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Les premiers pas sur Internet: une étude longitudinale



Laure Carles et Stefana Broadbent

CB&J

l.carles@cbj.fret s.broadbent@cbj.fr




Suite à un bombardement médiatique sans précédent dans l'histoire de l'innovation technologique, des milliers de personnes se lancent dans la découverte d'Internet, souvent chez elles, la plupart du temps sans aide ni formation. Même pour ceux qui sont déjà familiers de l'ordinateur, il s'agit d'une véritable découverte.

Afin de comprendre comment se passe cette découverte et d'esquisser l'évolution dans l'usage et la représentation d'Internet, nous avons réalisé une étude longitudinale sur les premiers jours d'un internaute novice. Depuis l'installation d'un kit de connexion jusqu'à la navigation libre sur Internet nous avons suivi des utilisateurs afin d'observer comment se construisent ces nouveaux objets techniques et sociaux que sont les «sites», les «courriers électroniques» les «moteurs de recherche», etc.

L'échantillon de notre étude est constitué de huit sujets rémunérés, âgés de 20 à 30 ans, utilisateurs réguliers de micro-ordinateurs, et qui n'ont jamais utilisé Internet, ni pour communiquer ni pour rechercher des informations. Chaque participant a été observé pendant cinq sessions de deux heures. Les participants ont reçu un kit de connexion des plus grands providers, Wanadoo, AOL, Club Internet, France Explorer (les connexions ont été réalisées avec des fournisseurs d'accès différents afin de réduire tout biais dans les résultats lié à l'environnement du fournisseur d'accès). Les participants avaient pour consigne de naviguer librement comme ils le feraient s'ils étaient seuls devant leur micro-ordinateur chez eux et souhaitaient découvrir Internet. Nous leur avons en outre demandé de verbaliser et de commenter le plus possible le cours de leur action. À la fin de chaque session, nous avons réalisé un questionnement approfondi de type auto-confrontation. Les observations se sont déroulées dans un laboratoire d'usabilité, les séances étaient filmées et un matériel technique approprié a permis de réaliser une capture vidéo de l'écran.

L'exploration au cours des cinq jours a suivi un chemin assez prévisible: les participants ont tous abordé Internet avec des attentes très fortes mais sans en soupçonner les possibilités ni les contraintes réelles. Après une longue et pénible séance d'installation des logiciels et des abonnements, les neo-internautes se sont lancés dès le deuxième jour dans l'exploration, d'abord de l'environnement de leur fournisseur, puis du Web. Enfin ils ont essayé de communiquer, soit par les groupes de discussion (chat), soit par courrier électronique.

Néanmoins les énormes difficultés rencontrées, les attentes bafouées, les mauvaises surprises, révèlent que, pour comprendre et utiliser correctement Internet, les utilisateurs doivent passer par une révision importante de leurs conceptions naïves. En effet, lors de la première utilisation d'Internet les utilisateurs ne partent pas de «rien», tous les sujets arrivent, à leur premier contact avec le réseau, avec nombre d'idées et d'attentes sur ce qu'est Internet, ce que l'on peut y faire et comment c'est organisé. Ces représentations naïves alimentées par des représentations techniques et sociales, et notamment par les analogies avec d'autres technologies jugées similaires (fax, Minitel...) orientent leurs attentes et leurs comportements et conditionnent leurs premiers pas.

Par exemple, l'étude met en évidence qu'initialement tous les participants abordent Internet avec un modèle spontané d'un réseau organisé hiérarchiquement. Dans cette conception Internet est un ensemble fini qui est structuré par thèmes et sujets qui s'emboîtent en approfondissements progressifs. Cette vision détermine un ensemble de comportements quant à l'utilisation des moteurs de recherche, l'exploration des sites Web, l'utilisation des liens hypertextuels.

En effet les participants s'attendaient à trouver d'emblée un sommaire global d'Internet qui orienterait leur navigation, la recherche se faisant par thèmes en allant du plus général au plus spécifique et non pas par mot-clef. De même, pour chaque site, ils s'attendaient à rentrer par un point d'accès unique et à y découvrir un sommaire du site, qui les guiderait dans l'exploration tel le sommaire d'un livre: si un site s'ouvre non pas sur une home page mais sur une autre page d'information, ils ne naviguent pas parce qu'ils assimilent le contenu du site au contenu de cette première page. Déçus par un contenu «pauvre», ils quittent immédiatement le site.

Au fil des jours et d'expériences contrastées, les participants renoncent progressivement à cette idée d'organisation hiérarchique intrinsèque (tant au niveau de la structure d'Internet qu'à l'intérieur même d'un site), mais n'ont pas le temps de reconstituer un modèle nouveau d'Internet. À la fin de l'étude, ils ont acquis une vision d'Internet comme un réseau extrêmement dense, très confus, où tout est connecté à tout. Mais, loin d'avoir reconstruit un modèle opérationnel du Web, ils ont juste eu le temps de déconstruire celui qu'ils possédaient. En effet, la complexité des objets techniques et sociaux à maîtriser et à s'approprier requiert bien plus de cinq jours pour arriver à se constituer un bagage de concepts et de pratiques efficaces.
Ce document a été traduit de LATEX par HEVEA.

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