Suite à un bombardement médiatique sans précédent dans l'histoire de
l'innovation technologique, des milliers de personnes se lancent dans la
découverte d'Internet, souvent chez elles, la plupart du temps sans aide
ni formation. Même pour ceux qui sont déjà familiers de l'ordinateur, il
s'agit d'une véritable découverte.
Afin de comprendre comment se passe cette découverte et d'esquisser
l'évolution dans l'usage et la représentation d'Internet, nous avons réalisé
une étude longitudinale sur les premiers jours d'un internaute
novice. Depuis l'installation d'un kit de connexion jusqu'à la navigation
libre sur Internet nous avons suivi des utilisateurs afin d'observer
comment se construisent ces nouveaux objets techniques et sociaux que
sont les «sites», les «courriers électroniques» les «moteurs de
recherche», etc.
L'échantillon de notre étude est constitué de huit sujets rémunérés, âgés
de 20 à 30 ans, utilisateurs réguliers de micro-ordinateurs, et qui n'ont
jamais utilisé Internet, ni pour communiquer ni pour rechercher des
informations. Chaque participant a été observé pendant cinq sessions de
deux heures. Les participants ont reçu un kit de connexion des plus grands
providers, Wanadoo, AOL, Club Internet, France Explorer (les connexions ont
été réalisées avec des fournisseurs d'accès différents afin de réduire tout
biais dans les résultats lié à l'environnement du fournisseur d'accès).
Les participants avaient pour consigne de naviguer librement comme ils le
feraient s'ils étaient seuls devant leur micro-ordinateur chez eux et
souhaitaient découvrir Internet. Nous leur avons en outre demandé de
verbaliser et de commenter le plus possible le cours de leur action. À la
fin de chaque session, nous avons réalisé un questionnement approfondi de
type auto-confrontation. Les observations se sont déroulées dans un
laboratoire d'usabilité, les séances étaient filmées et un matériel technique
approprié a permis de réaliser une capture vidéo de l'écran.
L'exploration au cours des cinq jours a suivi un chemin assez
prévisible: les participants ont tous abordé Internet avec des
attentes très fortes mais sans en soupçonner les possibilités ni les
contraintes réelles. Après une longue et pénible séance d'installation
des logiciels et des abonnements, les neo-internautes se sont lancés dès le
deuxième jour dans l'exploration, d'abord de l'environnement de leur
fournisseur, puis du Web. Enfin ils ont essayé de communiquer, soit par
les groupes de discussion (chat), soit par courrier électronique.
Néanmoins les énormes difficultés rencontrées, les attentes bafouées, les
mauvaises surprises, révèlent que, pour comprendre et utiliser
correctement Internet, les utilisateurs doivent passer par une révision
importante de leurs conceptions naïves. En effet, lors de la première
utilisation d'Internet les utilisateurs ne partent pas de «rien», tous les
sujets arrivent, à leur premier contact avec le réseau, avec nombre
d'idées et d'attentes sur ce qu'est Internet, ce que l'on peut y faire et
comment c'est organisé. Ces représentations naïves alimentées par des
représentations techniques et sociales, et notamment par les analogies
avec d'autres technologies jugées similaires (fax, Minitel...) orientent
leurs attentes et leurs comportements et conditionnent leurs premiers pas.
Par exemple, l'étude met en évidence qu'initialement tous les participants
abordent Internet avec un modèle spontané d'un réseau organisé
hiérarchiquement. Dans cette conception Internet est un ensemble fini qui
est structuré par thèmes et sujets qui s'emboîtent en
approfondissements progressifs. Cette vision détermine un ensemble de
comportements quant à l'utilisation des moteurs de recherche, l'exploration
des sites Web, l'utilisation des liens hypertextuels.
En effet les participants s'attendaient à trouver d'emblée un
sommaire global d'Internet qui orienterait leur navigation, la recherche se
faisant par thèmes en allant du plus général au plus spécifique et non
pas par mot-clef. De même, pour chaque site, ils s'attendaient à rentrer
par un point d'accès unique et à y découvrir un sommaire du site,
qui les guiderait dans l'exploration tel le sommaire d'un livre: si un
site s'ouvre non pas sur une home page mais sur une autre page
d'information, ils ne naviguent pas parce qu'ils assimilent le contenu du
site au contenu de cette première page. Déçus par un contenu «pauvre»,
ils quittent immédiatement le site.
Au fil des jours et d'expériences contrastées, les participants
renoncent progressivement à cette idée d'organisation hiérarchique
intrinsèque (tant au niveau de la structure d'Internet qu'à l'intérieur
même d'un site), mais n'ont pas le temps de reconstituer un modèle nouveau
d'Internet. À la fin de l'étude, ils ont acquis une vision d'Internet comme
un réseau extrêmement dense, très confus, où tout est connecté à tout. Mais,
loin d'avoir reconstruit un modèle opérationnel du Web, ils ont juste eu le
temps de déconstruire celui qu'ils possédaient. En effet, la
complexité des objets techniques et sociaux à maîtriser et à s'approprier
requiert bien plus de cinq jours pour arriver à se constituer un bagage
de concepts et de pratiques efficaces.
Ce document a été traduit de LATEX par HEVEA.