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Les buts du colloque



Éric 
Guichard

Enseignant-chercheur à l'ENS

Eric.Guichard arobase-anti__spam ens.fr

Il y a mille et une manières d'étudier Internet en tant qu'objet, et nous avons choisi pour ce colloque de privilégier le thème des usages, c'est-à-dire de comprendre Internet par ce que les gens y font et en font. Sont-ils auteurs, éditeurs, lecteurs, ou consommateurs? Sont-ils des collectifs, et si oui, où sont leurs territoires, où et comment se règlent leurs conflits?

Chacun d'entre nous, ici présent, a des éléments de réponse et voit un réseau, longtemps méprisé et décrié en France, réorganiser en profondeur notre économie et notre relation au savoir. Internet, c'est certes des tuyaux, des protocoles et des hommes (qui garantissent le bon fonctionnement du réseau, l'alimentent en termes de contenu, et l'utilisent); c'est peut-être une des quelques techniques que l'homme invente régulièrement pour mieux échanger, penser, créer. Et c'est aujourd'hui la rencontre imprévue de trois types d'acteurs: sciences exactes, sciences humaines et espace marchand. Mais comment se répartissent les usagers autour de cette triple configuration? Ce colloque essaiera de préciser leurs profils, leurs préoccupations, et leurs pratiques.

L'étude de l'usager masque parfois une incapacité à définir l'usage. Tout d'abord, avec Internet, la dimension sociale dans l'échange est rarement détaillée: la notion de «communauté», par exemple, est un fourre-tout sans grand sens. Il y a aussi une dimension cognitive, à ne pas confondre avec les notions d'individu et d'intimité: Internet nous interroge, non parce que c'est un lien entre une succession de solitudes, mais parce qu'il produit une image de nos pratiques intellectuelles. Cet aspect sera particulièrement développé dans le colloque. Internet, c'est aussi un nouveau système de signes, construit par les scientifiques. Il semblait utile de leur donner la parole, à la fois pour qu'ils nous expliquent ce qu'ils construisent aujourd'hui, à la fois parce qu'ils exportent une culture (aucune technique n'est faite pour les «nuls»), et donc des logiques, des représentations. Enfin, une technique ne se diffuse pas spontanément. Des résistances politiques (dont l'État n'a pas l'exclusivité) et des décisions, notamment économiques, peuvent étouffer, détourner ou accompagner la socialisation d'un système technique.

Face à un tel programme, il semble sage que nous nous fédérions. Le colloque sert à ça: le panorama des usages réalisé lors de ces journées nous offrira aussi une cartographie des experts (surtout français pour cette première fois) dans le domaine d'Internet. Cette rencontre nous permettra aussi de confronter nos questions et nos résultats à ceux de nos collègues, des sciences exactes, des sciences humaines, de l'industrie. Cette expérience, cette réflexion sur l'objet Internet, ne peut non plus être limitée à un espace politique. Oublions la notion de «spécificité française» et ouvrons-nous à la «francophonie active». Nos collègues belges, suisses et surtout québécois disposent d'une avance en matière de socialisation, et donc d'une réflexion, dont nous aurions tort de nous priver: nous parlons le même langage.

Avec nos amis francophones et bilingues, nous travaillerons plus facilement au niveau européen et nous pourrons avoir une attitude plus sereine, plus scientifique face aux États-Unis, pays qui, avec sa compétence technique, sa puissance économique et ses «stratégies de communication», apparaît aux yeux de certains comme un bloc homogène et menaçant. Mais les États-Unis, ce sont aussi des institutions, des individus, les unes et les autres ne disposant pas toujours du confort (matériel, intellectuel, technique) que l'on retrouve dans les institutions européennes d'excellence. Et, dans le creuset américain, de nombreux individus ont des exigences éthiques et scientifiques pareilles aux nôtres.

Cette invitation à travailler ensemble, à dépasser nos frontières intellectuelles ou nationales, n'est pas utopique. J'en veux pour preuve le succès d'une telle entreprise au sein de l'Atelier Internet depuis 1995. Je connais l'efficacité des régimes d'interdisciplinarité au sein des Écoles normales supérieures. Je constate aussi les dynamiques, fastes et trop méconnues, impulsées par le CNRS et le RNRT1. Et j'entends les entreprises et les collectivités locales formuler des demandes fort pertinentes.

Chacun d'entre nous sait poser les bonnes questions, dispose d'un savoir-faire, innove. Nous saurons donc décrire le monde contemporain et l'infléchir de façon qu'il s'accorde au mieux avec nos idéaux. Cette assurance n'interdit pas l'humilité: la carte des usages que nous allons construire sera incomplète. Pour l'affiner, mais aussi pour faire le point sur d'autres éclairages de l'objet Internet, nous nous réunirons à nouveau: ce colloque n'est que le premier d'une longue série. Au nom de toutes les personnes qui se sont impliquées dans sa préparation, je souhaite à tous un excellent travail.


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Réseau national de la recherche en télécommunications.


Anne Guyon et l'Atelier Internet




L'Atelier Internet a été fondé grâce à Anne Guyon: en 1994, chargée de mission au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, elle avait une claire conscience de l'importance des enjeux sociaux et intellectuels d'Internet. À cette époque, cela n'allait pas de soi. Ainsi, lorsqu'elle chercha un laboratoire susceptible d'étudier l'incidence d'Internet sur les pratiques futures des chercheurs, aucun des centres de recherche ne répondit. C'est dans ces conditions qu'un groupe de jeunes chercheurs et d'élèves de l'ENS décida de fonder un groupe de travail interdisciplinaire. Après une année de préparation, un programme de recherche fut mis en place; les participants au projet se réunissaient deux fois par mois pour rendre compte de leurs recherches: l'Atelier Internet était né.

Il y avait alors mille et une pistes à explorer. Et autant de pièges à éviter. Mais l'énergie du groupe, la variété des approches des participants venus de divers horizons, ont permis de frayer une voie originale dans l'analyse du phénomène Internet.

La collaboration engagée avec le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche d'alors, a constitué la condition essentielle de la réussite de nos recherches. Nous sommes en effet profondément redevables aux critiques d'Anne Guyon, à ses conseils, au réseau professionnel qu'elle a mis à notre disposition, à son ouverture d'esprit face aux nécessaires infléchissements de notre recherche. Quand les travaux du groupe ont commencé à être reconnus, il nous a semblé légitime de partager les fruits du succès avec Anne Guyon. Elle l'a toujours refusé. Ce mélange de discrétion, de rigueur et d'intelligence reste aujourd'hui présent à notre mémoire: Anne Guyon est décédée des suites d'une leucémie à l'âge de 41 ans le 21 août dernier.



Nous tenons aujourd'hui à lui rendre hommage en lui dédiant ce colloque.



Ce document a été traduit de LATEX par HEVEA.

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