AVIS SUR LA CINQUIÈME ÉDITION.
Pour se rapprocher davantage de ce but (conserver à la Langue française son universalité, offrir au Lecteur une juste idée des choses qu’il lui importe le plus de connaître, sous les rapports de ses besoins, de ses devoirs et de son bonheur), l’Auteur a joint aux mots des exemples qui font mieux sentir leurs acceptions : mais, au lieu de phrases triviales, inusitées, dont les gros Dictionnaires sont plus qu’inutilement gonflés, il a mis des MAXIMES et des PENSÉES morales dont l’ensemble forme une collection qui manquait à notre Littérature : il les a extraites ou traduites, pour la plupart, des Auteurs anciens, modernes et vivants (la liste nombreuses de ces Auteurs se trouve ci-après). En faisant ce travail qu’il croit essentiellement utile, il a deviné, pour ainsi dire, le conseil du grammairien Domergue qui disait à l’Académie française, dont il était membre, que, « dans la presque impossibilité où elle était de bien définir, il fallait donner une décomposition étymologique des mots, avec des exemples choisis qui en détermineraient les différents emplois »; conseil que Furetière, les éditeurs Trévoux et Johnson avaient prévenu dans leurs ouvrages. Cette difficulté de bien définir est aussi considérablement atténuée dans cette ouvrage qui offre des définitions des êtres les plus importants à connaître, tels que Dieu, l’Âme, la Religion, etc, etc, données par les plus habiles métaphysiciens et moralistes, LOCKE , MALEBRANCHE , NICOLE , PASCAL , VAUVENARGUES, etc, etc.
Ces exemples, considérés d’abord sous le point de vue grammatical, serviront aux Étrangers à se rendre propre et comme maternelle la Langue française; car l’expérience a démontré que la méthode la plus sûre de s’approprier une langue, est de meubler sa mémoire du plus grand nombre possible de mots, de locutions et de phrases : toutes les Grammaires en offrent une multitude; mais, au lieu de se remplir la tête de phrases d’antichambres, d’auberge ou de cuisine, que l’attention, stimulée par la nécessité, fait aisément retenir , les Étrangers trouveront des PENSÉES qui se graveront plus profondément dans leur mémoire, et leur faciliteront la lecture et l’intelligence de nos bons auteurs dont elles offrent le style et l’ESPRIT.
Ces exemples et les additions seront aussi très-utiles aux personnes qui croient posséder le mieux notre langue; ils les avanceront dans une étude à laquelle toute la vie ne peut suffire, puisque nul ne meurt sans avoir péché contre la langue : les Écrivains les plus habiles y verront un grand nombre de locutions, d’acceptions, de tours, de hardiesses de style autorisés par des citations respectables qui leur faciliteront l’expression, souvent embarrassante, de leurs idées; de plus ils y trouveront, si l’on peut s’exprimer ainsi, de l’esprit tout fait, des idées qui en feront éclore d’autres dont ils nourriront leurs écrits, des sujets de médiation, et des guides qui rectifieront les écarts de leur jugement et leurs opinions .
Nous sommes conduits naturellement au point de vue moral sous lequel on doit considérer cette COLLECTION de MAXIMES et de PENSÉES qui forme comme un second ouvrage incorporé dans le Dictionnaire. Pour en faire d’abord connaître tout le prix, nous citerons trois pensées seulement :
La morale, présentée par Pensées détachées, a plus d’énergie.
SÉNÈQUE.Des Maximes morales éparses et sans suite font plus d’effet sur le cœur.
F. BACON.Les Pensées morales sont des clous d’airain qui s’enfoncent dans l’âme et qu’on n’en arrache point.
DIDEROT.Nous ajouterons qu’il suffit d’ouvrir ce livre, de lire quelques exemples, pour reconnaître qu’il est un grand nombre de ces MAXIMES, de ces PENSÉES dont le souvenir ou l’oubli peut avoir l’influence la plus heureuse ou la plus funeste sur les destinées, non pas seulement du Lecteur ou de quelques individus, mais même des peuples. Elles portent la plupart sur les objets les plus importants à l’humanité, sur la religion, la politique, la littérature, les beaux-arts et la morale dont elles offrent un Cours rédigé en MAXIMES, fruit de l’expérience des siècles.
Cette liste imposante d’écrivains de tous les pays, de tous les temps, qui tous s’accordent à proposer et défendre les mêmes principes de félicité; la Religion et la Vertu, forme une autorité toute-puissante dont le poids fait courber sous le joug de la vérité les esprits les plus orgueilleux. Que pourraient-ils opposer à cet assentiment universel de tous les hommes doués de sens et de génie, qui ont médité sur l’Homme et la Divinité ? Chacune de ces Pensées est comme l’étoile brillante que le pilote consulte pour connaître le point où il se trouve, celui vers lequel il désire se diriger : réunies, elles composent un fanal qui s’élève, éblouissant de lumière, du sein des ténèbres sans cesse refoulées, amoncelées autour de lui par l’ignorance, la superstition et le philosophisme; il ne cesse d’éclairer la vraie route du bonheur.
Un grand nombre de ces PENSÉES sont dirigées contre un faux système auquel de grands politiques ont attribué la chute de plusieurs empires, contre le philosophisme ou la fausse philosophie. Si l’amour de la sagesse ou de la vraie philosophie porta de grands écrivains à combattre l’abus de la religion; si tout a été dis ou écrit contre cet abus, le même amour et l’intérêt de l’humanité commandent à ceux qui se dévouent pour elle de recueillir tout ce qui a été dit ou écrit, tout ce qui peut l’être contre l’abus de la philosophie ou le philosophisme, cause unique de tous nos maux; poison et dissolvant du corps social, qui en sépare tous les membres, les corrompt en les pénétrant d’un égoïsme froidement systématique, les armes les uns contre les autres, et les poussant à sacrifier tout à eux-mêmes, les fait tôt ou tard, sacrifier par tous. (Voyez Philosophisme, Religion, etc. etc.)
Ces réflexions doivent rassurer les personnes qu’effaroucheraient des noms d’auteurs proscrits ou suspects : ils trouveront, au contraire, réunies celles, seulement, de leurs pensées qui viennent à l’appui des systèmes religieux, moraux ou politiques universellement adoptés, et qui fortifient la croyance en un Dieu punisseur et rémunérateur (Voyez ces mots). Un très grand-nombre de ces Pensées et Maximes développées seraient la base d’un traité particuliers de morale; et par exemple un traité sur la tolérance pourrait porter pour épigraphe ces pensées : « L’homme n’est pas plus maître de ses opinions que de ses sensations; mais il l’est de leur manifestation. Si Dieu l’avait voulu, l’espèce humaine n’aurait qu’une religion, un langage, un mode de gouvernement. »
Sans doute, parmi tant de MAXIMES et de PENSÉES, toutes ne pourront plaire également à tous les Lecteurs : souvent il arrivera que le Lecteur croira pouvoir accuser leur auteur, son interprète ou citateur, d’être dans l’erreur; mais alors, du moins, ce Lecteur aura-t-il encore la satisfaction de jouir de la préexcellence de son jugement sur le leur; et la réfutation mentale de l’erreur, en exerçant son esprit, le débarrassera de quelques portions de ce temps qui pèse si lourdement sur la plupart des hommes : car cet ouvrage est particulièrement offert aux ennuyés, aux voyageurs isolés, aux oisifs, aux détenus, à ceux que l’attente dans un cabinet, un bureau, condamne à tuer le temps, à tous ceux, enfin, pour lesquels la vie intellectuelle, la pensée a des charmes, et qui ne peuvent plus jouir que de ses délices. Il doit aussi diminuer le nombre des ennuyeux, en rectifiant le jugement et nourrissant l’esprit de ceux qui aiment à parler et ne demandent à la société que des oreilles attentives : l’aride champ de la Lexicographie s’y trouve parsemé de fleurs, de perles, même de pierreries dont ils pourront enrichir leurs discours. Pour les y rassembler, l’Auteur a dévoré l’ennui de la lecture de gros et de nombreux volumes, dans lesquels il n’a trouvé souvent qu’une seule, ou même aucune pensée digne d’être offerte au lecteur; plusieurs d’entre elles lui coûtèrent le prix d’un livre.
Cet ouvrage et plus particulièrement encore offert aux malheureux1 ! puissent-ils, à sa lecture y trouver quelques distractions, quelques consolations, et s’y pénétrer de la résignation philosophique ou religieuse, inappréciable vertu qui nous apprend l’art si difficile de vivre heureux ou plutôt le moins malheureux possible ! et, si l’Auteur peut y réussir, s’il inspire à quelques jeunes gens l’amour de Dieu, de la Vertu, de la Patrie; s’il en arrête d’autres dans l carrière qui les conduit au malheur, il sera récompensé des sacrifices de temps, d’argent et même de sa santé, qu’il a faits pour donner à son ouvrage le plus grand degré d’utilité possible en mettant l’instruction et le bon sens dans les mains de tout le monde; en offrant à ceux qui ont tout lu, l’analyse, le résumé de leurs lectures, par la réunion de l’universalité des choses accompagnées des pensées saillantes qu’elles font naître dans l’esprit des grands Écrivains, des Philosophes et des Savants; réunion qui fait du Dictionnaire un MANUEL ENCYCLOPÉDIQUE et MORAL que tout homme qui sait lire et réfléchir doit avoir près de lui, pour en nourrir son esprit toujours avide, lorsque nul autre objet ne lui offre un aliment.
Enfin cet ouvrage, poétiquement parlant, transporte le Lecteur aux Champs Elyséens; il s’y voit entouré de Sages de tous les pays, ils lui soumettent leurs pensées : son esprit se développe, ses principes se raffermissent, son ame s’épure dans leur entretien; il en sort et meilleur et plus heureux.