CONCORDANCE CRITIQUE ET SUPPLÉMENT DES DICTIONNAIRES

 

Ces longues et minutieuses opérations terminées, il fallut recourir aux sources mêmes, c’est-à-dire aux ouvrages des meilleurs écrivains dans tous les genres, mines fécondes que tous les Lexicographes avaient méconnues ou dédaignées : le Dictionnaire de TRÉVOUX et FERRAUD; de plus, il n’avait pas été difficile de reconnaître, en relisant ces auteurs, que dans les définitions, les acceptions, le tact et le jugement de FERRAUD avaient été trop souvent égarés par son imagination; qu’il avait substitué, comme le fait un nouveau Lexicographe, sa fausse manière d’entendre à la véritable, à la générale, et que par conséquent son travail était à refaire en entier. Ils oublièrent que les mots sont comme des monnaies dont nul ne peut échanger la valeur fixée par le public, souverain maître en ces deux choses, les mots et les monnaies.

Cependant un très-grand nombre de ces écrivains, dont les ouvrages n’avaient point été consultés par les Lexicographes ni par l’Académie, étaient membres de cette Académie, entre autres BOILEAU, BOSSUET, CORNEILLE, LA FONTAINE, RACINE, etc. , etc. , dans les ouvrages desquels on trouve des mots, des acceptions qu’elle n’a point admis, ni les Lexicographes après elle.

Les Sciences et les Arts ont enrichi la Langue de beaucoup d’expressions heureuses qui embellissent le style : plusieurs sont à présent consacrées par l’usage, incorporées à la Langue les autres, moins usitée, peuvent arrêter les LECTEURS; les AUTEURS eux-mêmes ont souvent besoin de connaître tous les termes techniques des Sciences, Arts, Manufactures, Métiers, etc. : l’Académie en a donné quelques-uns; mais elle a négligé le reste : le plan de l’ouvrage exigeait qu’ils fussent tous rassemblés; ils ont été puisés dans les Dictionnaires ou Traités particuliers des Sciences, Arts, etc. , et accompagnés de définitions concises, avec l’indication de la Science ou de l’Art auxquels ils appartiennent. L’Auteur, en faisant ce travail, s’est enhardi par ce principe incontestable : dans un Dictionnaire, ce qui abonde ne vicie pas, car ce sont surtout les mots qui se rencontrent rarement que l’on y va chercher de préférence; d’ailleurs la Langue ne refuse pas l’emploi de ces mots lorsqu’elle se modifie et devient le langage des Savants, des Artistes, des Ouvriers et même du Peuple. L’explication de ces mots est indispensable non-seulement pour les LECTEURS qui parcourent les livres de Sciences, d’Art etc. , qui lisent les feuilles périodiques, mais encore pour entendre les conversations, et pour communiquer avec les Savants, les Artistes, les Ouvriers et les gens du Peuple en général : ceux-ci surtout sont plus pédants et plus railleurs que les faux savants, et lorsqu’ils aperçoivent que l’on ne s’exprime pas avec leurs termes, non-seulement ils vous rient au nez, mais ils s’enhardissent à vous tromper; au contraire, la connaissance des mots d’une Science, d’un Art, d’un Métier, impose aux charlatans, aux railleurs et aux fripons; elle les force à se tenir sur la réserve. Il était donc indispensable pour le LECTEUR, et même pour les ÉCRIVAINS, de réunir tous ces mots avec leur explication, en faisant reconnaître à quel titre ils doivent être distingués de la Langue proprement dite. Ces considérations font sentir tout l’avantage d’une Nomenclature plus riche et plus abondante que celle des autres Dictionnaires; mais elle n’aurait pu justifier l’admission d’un grand nombre de termes bas ou obscènes, etc. , recueilli par le Dictionnaire des halles, etc. , et qui saliraient inutilement l’imagination des LECTEURS.

D’autres écrivains justement célèbres, quoiqu’ils ne fussent pas de l’Académie, LA BRUYERE, MOLIÈRE, PASCAL, J. -B. ROUSSEAU, RÉGNARD, etc. , etc. , avaient également enrichi la Langue d’expressions heureuses, ou donné aux mots des concordances, des acceptions nouvelles : l’Académie les rejeta : mais ce qui est plus étonnant encore, sa principale et plus difficile opération était de définir les êtres; de profonds métaphysiciens, des hommes de génie, CONDILLAC, DESCARTES, HOBBES, LOCKE, MALEBRANCHE, PASCAL, etc. , etc. ont donné d’excellentes définitions; l’Académie n’en a fait aucun usage, quoiqu’elles pussent servir à préciser, souvent même à rectifier les siennes : l’Auteur les a soigneusement recueillies; elles étaient trop précieuses pour n’en pas enrichir ce Dictionnaire.

* L’Auteur, connaissant l’excessive difficulté, l’impossibilité de faire un Dictionnaire parfait, était moins disposé que personne à critiquer les travaux des Lexicographes; mais son ardent désir d’être utile aux lecteurs, aux écrivains, et de contribuer à maintenir l’universalité de notre belle Langue dans sa pureté, son plan même, lui faisaient un devoir de la critique basée principalement sur le rapprochement des autorités, mais toujours soumise au jugement des lecteurs instruits.

* Plusieurs Dictionnaires que l’Auteur désigne ont rendu, par le publicité même, nécessaires des notes critiques. Les deux nouvelles éditions de l’Académie indiquées par A. et AL. n’ayant point eu de ses membres pour réviseurs, contiennent beaucoup de locutions ajoutées par leurs éditeurs, et que l’auteur croit n’être pas françaises, ne les ayant jamais trouvées dans l’immense quantité de livres qu’il a lus; un autre Dictionnaire, fait en province, offre beaucoup de locutions provinciales et basses inusitées ailleurs et qu’il fallait signaler pour les écarter même du style épistolaire; un autre a cru devoir refaire les définitions et donner aux mots les significations et acceptions dans lesquelles il les entend : l’Auteur aurait cru manquer à son devoir s’il ne les avait pas signalées comme inexactes, incorrectes, inusitées, et ne se permet d’en donner ici des exemples trop saillants; le lecteur peut en trouver à livre ouvert dont le sien donne l’extrait. En faisant ce travail désagréable, l’Auteur a du moins recueilli ce dont les laborieux rédacteurs ont réellement enrichi leurs ouvrages.

L’Auteur, libre dans sa marche, d’après ce principe, des fers dont l’Académie et les Lexicographes s’étaient enchaînés, forcé même pour l’exécution de son plan à tout recueillir, s’est fait un devoir de chercher dans les Auteurs en de tous genres, les Mots, Acceptions et Définitions omis par les Dictionnaires; il en fait une récolte abondante que le cadre de l’ouvrage et le mode de son exécution lui ont permis d’y faire entrer sans confusion. Les LECTEURS et les AUTEURS doivent également en profiter; ceux-ci surtout pour se servir de beaucoup de mots énergiques employés par des écrivains dont le nom et le mérite peuvent en autoriser l’usage, tels que les mots suivants :

XXI. Exemples de mots employés par de bons Auteurs.

ABERRATION, s. f. -tio. petit mouvement apparent des étoiles fixes; dispersion des rayons; A. t. de chir. déplacement des parties solides; B. t. d’opt. iris; A. (fig.) erreur; action d’errer. [Année litt.]

ABRUTISSEUR, adj. m. (peuple) qui abrutit les nations conquises. [Voltaire.]

CONTEMPTEUR, s. m. -tor . (des richesses) qui méprise. (poét.) [Desfontaines. Houtteville. La Bruyère.]

MÉPLACER, v. a. –cé, e, p. ne pas placer selon les convenances. [La Harpe.]

PROSAÏSER, v. a. écrire en prose. [J. -J. Rousseau.]

RAPPELANT, adj. (souvenir) vif, profond. [J. -J.]

RAPSODER, v. a. - dé, e, p. raccommoder mal et sans soins. (iron.) [Sévigné.]

REGAILLARDIR, v. a. mettre en bonne humeur. [Molière.] (sé —), v. pron. famil. B.

RÉSISTIBLE, adj. 2 g. auquel on peut résister. [Desfontaines.]

Les ÉCRIVAINS y trouveront encore plusieurs mots omis, quoique très-utiles.

XXII. Exemples de mots omis.

GRADUELLEMENT, adv. Gradatim. par degrés (s’élever —). (omis, usité.)

PIERROT, s. m. paysan comique et niais [Bouhours.]; moineau franc. B.

ROCAILLEUX , adj. (style —) dur [Année littéraire.]chemin, plein de cailloux. (usité, omis.)

Ils y trouveront un très-grand nombre de mots composés, ou de privatifs, de duplicatifs ou de diminutifs omis par les Lexicographes.

XXIII. Exemples de mots composés, etc. omis.

ENTRE-DÉCHIRER (s’), v. récipr. se déchirer mutuellement. [Fénélon.]

INAMUSABLE, adj. 2 g. qui ne peut être amusé. [Demoustier. Dorat. Mad. De Somery.]

RÉORGANISATION, s. f. action d’organiser de nouveau; ses effets. [Linguet.]

Ils y trouveront des Concordances nouvelles ou mieux déterminées de mots, qui, substituées aux anciennes, rajeunissent le style ou fixent le sens.

XXIV. Exemples de nouvelles Concordances.

ESPÉRER, v. a et n. - ré, e, p. Sperare. avoir espérance (ex. —de la bonté du prince); —en Dieu; —que l’ont fera et non de faire, qui est neutre…

VAINCRE, v. a. Vincer. remporter la victoire, un grand avantage à la guerre, sur ses ennemis; l’emporter sur un concurrent; l’emporter sur… surmonter, dompter (fig.) (—ses passions, ses désirs); surpasser (—ses rivaux); (se —) v. pr. dompter ses passions. eu , e, p. adj. vaincu du temps [Malherbe.]; —des obstacles. [Racine.] (poét.)

VERSATILE, adj. 2 g. Mobilis. Variable (loi —). [Montesquieu.]

Les notes, les observations des Critiques ou Commentateurs sur les créations du génie, ont été puisées dans les commentaires les plus estimés ou les Auteurs dont le goût sert aujourd’hui de règle.

XXV. Exemples de notes de Commentateurs.

CANDIDEMENT, adv. - didè. (inus.) avec candeur. A. C. R. V. T. [Richelet.] (vicieux.) [Desfontaines.]

ÉVITABLE , adj. 2g. - bilis. qui peut être éviter (malheur —). (inus. très-bon.) [Voltaire.]

PUNISSEUR, s. m. qui châtie (foudre —). [Molière. J. J. Rousseau.] v. (inusité, très-bon.) [Voltaire.]

DÉBORDER, v. a,- dé, e, p. Exundare……(se —), v. pron… se dit des sentiments

[J. -J. Rousseau.] et des idées [La Harpe.]

Plusieurs auteurs ont donné aux mots de nouvelles acceptions qui enrichissent la Langue et qu’il est permis d’adopter.

XXVI. Exemples de nouvelles acceptions.

DÉRÈGLEMENT, s. m. Dissolution… | état de choses déréglé, hors du cours ordinaire de la nature, des règles de l’art (—des saisons, du pouls, des humeurs, d’une pendule); désordre; opposition aux règles de la morale…-ré-. e.

SÉCHERESSE, s. f. Siccitas… t. de dévotion, état de l’ame refroidie qui ne trouve plus de consolation dans les exercices pieux. [Fléchier. Nicole.]; se dit de la verve refroidie, stérile.

 

DÉFINITIONS. — La partie la plus utile et par conséquent la plus précieuse de cette ouvrage, les Définitions fournis par les Métaphysiciens ou par les grands Écrivains qui se sont illustrés par l’élévation ou par la profondeur de leur génie, sont également importantes et pour les AUTEURS et pour les LECTEURS , qui acquerront beaucoup de discernement en comparant et méditant ces Définitions. Jusqu’alors elles étaient éparses dans des ouvrages trop profonds ou trop nombreux; elles étaient souvent ou trop diffuses ou trop abstraites :tantôt l’Auteur les éclairent en les développant, tantôt il les réduits à leur plus simple expressions, et toujours sans ajouter rien qui les dénature, ou rien retrancher de ce qui les constitue. Ce genre de travail fut, non le plus fastidieux, mais le plus pénible de tous ce qu’exigea la composition de ce Dictionnaire, et le LECTEUR peut se faire une idée de ces difficultés en parcourant, entre autres ouvrages métaphysiques qu’il a fallu lire attentivement et analyser, la PHILOSOPHIE DE KANT , traduction de CH. DE VILLERS, ouvrage qui présentait le système de Métaphysique le plus récemment admis en France.

L’Auteur s’est permis, comme par compensation de cette fatigue d’esprit, de hasarder des définitions pour lesquelles il réclame l’indulgence des Lecteurs; il les a placées à la suite de celle des auteurs . (Voyez ces mots Dépit, Désir, Dévot, Ennui, Médecine, Orgueil, Vanité, etc. , etc.). Le rapprochement et l’ensemble de ces phrases descriptives, auparavant éparses dans toute une bibliothèque, donnent un véritable Code de Définitions; elles sont comme des traits de lumière retirés des épaisses ténèbres de la métaphysique et réunis en faisceaux pour aider à discerner les êtres dont la connaissance exacte est la plus nécessaire à l’homme : cette lumière les présente sous toutes leurs faces et dans tous leurs rapports; elle nourrit l’esprit, le défend contre l’erreur : quelques-unes valent tout un traité de morale. Voyez aux mots Religion, Vertu, etc.

Mais si les définitions de chaque être en particulier présentent autant d’utilité, le rapprochement très facile à faire de celles de plusieurs mots est bien plus utile encore; il peut, en quelques instants, tenir lieu de longues dissertations, de longs traités. Ces définitions donnent la véritable représentation des êtres définis et les différents jours sous lesquels l’esprit peut les contempler; elles offrent, par leur réunion, l’ensemble des connaissances que l’homme, après des siècles d’expérience et de méditation, a acquises sur lui-même et sur les êtres avec lesquels il est en rapport; elles sont les oracles de la Raison et de la Vérité, seules règles du Jugement.

XXVII. Exemples des définitions extraites des auteurs

BONHEUR, s. m. Felicitas…. accord (proportion juste [Trublet], ou approchée) entre les désirs, les besoins et le pouvoir de les satisfaire [Dumarsais.]; absence du mal[Epicure.]; état dont on doit désirer la durée [Fontenelle.]; suite longue et rapide de désirs satisfaits. [Hobbes.]—ou félicité, le plus grand bonheur dont on puisse jouir. [Locke.] —, état durable dans lequel le plaisir surpasse la peine [Saint-Lambert.]; suite de plaisirs [Voltaire.]; suite de sensations ou d’idées agréables; état d’harmonie parfaite…

RELIGION,s. f –gio…. . société entre l’homme et Dieu [Bonald.]; adoration de Dieu et pratique de la vertu [Dumarsais.]; philosophie du peuple [Kotzebue.]; foi aux êtres supérieurs, invisible [Lavater.]; philosophie du malheur [Maury.]; science de servir Dieu [Plutarque.]; rapport de Dieu à l’homme [Rivarol.]; devoir de l’homme envers Dieu [Vauvenargues.]; éducation du peuple; opinions, principes qui lient à ces devoirs. – naturelle, raison divinisée; idée de la Divinité, commune à tous les peuples; morale commune à tous les hommes. [Voltaire.] - , philosophie divine…. .;

VÉRITÉ, s. f. –tas. conformité de l’idée avec son objet, d’un récit avec le fait, du discours avec la pensée; l’opposé d’erreur, de mensonge, de fausse opinion; principe, axiome, maxime, raison; sincérité, bonne foi; imitation, expression parfaite de la nature. Pl. choses véritables. - , connaissance du rapport entre les êtres [Dumarsais.]; évidence réelle des êtres ou des faits [Frédéric.]; ce qui est énoncé tel qu’il est [Voltaire.]; rapport exact entre la proposition et son objet. – physique, science du rapport entre les corps. – morale, science de rapport entre les personnes [Bonald.] : adv. en - , certainement, assurément, de bonne foi : à la - , exprime l’aveu (à la - , j’ai dit que….)….

Ces définitions, qui ramènent, aux vrais principes, doivent servir à terminer les discussions inutiles, les disputes même les procès (Voyez au mot Contrefaçon), à réprimer les divagations de cette faculté tant estimée, quoique si dangereuse que l’on appelle Esprit, faculté, qui, trop souvent, dénature tout, et rétrécit les bornes du génie, en ne s’arrêtant qu’à la face la plus brillante des objets, sans les examiner sous toutes les faces, ni les approfondir. Ces définitions font découvrir les fausses acceptions, les alliances vicieuses de mots, les pétitions de principes sur lesquelles on échafauda les absurdes systèmes qui ont bouleversé l’ordre social; elles servent à analyser et réduire à des propositions erronées les déclamations dont on s’est servi pour égarer les peuples.

Combien d’opinions paradoxales ne rendraient pas dangereux des ouvrages admirables par le style, si leurs auteurs, avant de prendre la plume, avaient réuni, rapproché et médité les définitions de tous les mots représentatifs des êtres défigurés dans leurs systèmes, définitions données par des hommes devant le génie desquels celui de ces Écrivains pouvait pâlir sans honte : ils auraient trouvé, dans l’ensemble et le rapprochement de ces définitions, les véritables systèmes dont les principes et les conséquences règlent impérieusement les choses les plus importantes pour l’homme, telles que la Divinité, la Nature, la Religion, la Morale, la Politique, etc. , etc. (Voyez ces mots.)

Aucune de ces définitions ne porte atteinte à la Religion, à la Morale, à l’Autorité : la Raison et la Vérité sont unes, et les auteurs qui les ont le moins respectées dans leurs déclamations, ont été réduits à parler comme elles lorsqu’ils se sont restreints aux définitions. Ils ont senti que le moindre écart des principes rendrait leurs définitions fausses ou ridicules et leurs auteurs mésestimables; que s’ils pouvaient, à l’aide de faux raisonnements développés des dans des phrases sonores, à l’aide de pensées ambitieuses, d’un charlatanisme de style et de philanthropie, égarer l’esprit et le cœur avides de nouveautés, le bon sens et le goût seraient offensés par une définition nue et contrefaite : une mauvaise définition est comme un dessin incorrect; le plus brillant coloris et tout l’apparat d’une composition pathétique n’en couvrent pas moins défauts; d’après ces principes l’Auteur a rejeté celles que détruit la saine raison, et par exemple celle-ci : Dieu…. . être tout-puissant, etc. que l’on regarde comme, etc. etc. , aux regards les moins exercés, et surtout de ceux qui étudient la Nature et la Vérité. (Voy. Aux mots Conscience, Hasard, Nature, etc.)

Le plus grand nombre de ces définitions ajoutées aux Dictionnaires sont exactes, et inattaquables, telles que celles-ci :

XXVIII. Exemples de définitions exactes.

DIEU, s. m. Deus… cause de l’univers [Condillac.]; l’être parfait. [Nicole….]

MÉDECINE, s. f. sans pl. -dicina…. application des connaissances de l’homme à sa conservation….

PRIÈRE, s. f. Precatio…. . élan de l’âme vers Dieu. [Mad. De Staël.]

Il est impossible que toutes ces définitions paraissent avoir le même degré de justesse pour tous les lecteurs, soit par l’imperfection de ces définitions mêmes ou du jugement de celui qui évalue, soit par les différences naturelles de la manière de sentir. Un jeune Lexicographe les nomme obscures : l’une des grandes difficultés de l’instruction est de la proportionner à la capacité des têtes qui doivent la recevoir, de marcher entre l’abstrait et le trivial; de plus un axiome latin dit : tot capita, tot sensus; mais du moins toutes peuvent être considérées comme des acceptions, des interprétations, des manières particulières de considérer l’objet défini; acceptions qui servent à faire comprendre la pensée ou le système de leurs auteurs.

XXIX. Exemples de définitions et acception.

DÉLICATESSE, s. f. Subtilitas…. . sensibilité excessive, susceptibilité [Bossuet. Fléchier. Molière. Nicole.]; finesse et justesse d’esprit [Bussy.]; recherche subtile…. . – s, sentiments, discours, procédés délicats qui touchent…. .

QUIÈTISME, s. m……. union immédiate, intime, avec Dieu et contemplation passive qui permet tous les vices [d’Argens.]; hypocrisie de l’homme pervers [Diderot.]; confiance extrême dans l’amour pour Dieu [Fénelon.]; hérésie des cœurs sensibles. [Maury.]

UNIVERS, s. m. pensée de l’Éternel….

Mais que le Lecteur ne se hâte pas trop de condamner ces définitions en général; il doit se mêler de lui-même, de ses préjugés, de ses passions, de l’influence de sa situation : qu’il ne mette pas sa manière de sentir et de comprendre, peut-être fausse, à la place de celle des grands hommes qui ont médité sur les objets définis, et dont les noms doivent inspirer le respect et la confiance, tels que DESCARTES, HOBBES, LOCKE, MALEBRANCHE, NICOLE et PASCAL : surtout qu’il ne les accuse pas d’obscurité; ce serait accuser les ténèbres de son intelligence.

Quelques-unes de ces définitions ne sont que des pensées ingénieuses, poétiques ou philosophiques, exprimées en peu de mots, sous les formes de la définition, mais l’Auteur, frappé de leur éclat, n’a pas eu le courage de les rejeter : elles lui parurent comme des pierres éparses sur les sables arides de la Lexicographie.

XXX. Exemples de définitions poétiques.

HISTOIRE, s. f. -toria…. . la plus sage conseillère des rois [Bossuet.]; témoin des temps; messagère de l’antiquité [Cicéron.]; science des faits [Mercier.]; expériences des nations; tableau de l’avenir tracé dans le passé….

TERRE, s f. Terra…. (poét.) hôpital des fous de l’univers [Young.]; un des temples de la Divinité. [Voltaire.]

VIE, s. f. Vita. État des êtres tant qu’ils ont en eux le principe du mouvement et des sensations; sa durée; espace de temps de la naissance à la mort; portion considérable de temps; point, moment, entre deux éternités [Pascal. Platon. Timée.]; rêve d’une ombre [Pindare.]; organisation et sentiments [Voltaire.]; suite de sensations, d’idées; mouvement des organes, conscience de soi; poursuite du bien, fuite du mal….

VERNIS, s. m… (fig.) teinture, notion légère.

Un grand nombre d’êtres métaphysiques, d’objets qu’il est indispensable de connaître, de qualités de l’homme, etc. sont exprimés par deux mots : quoique l’usage ne soit pas de les comprendre dans les nomenclatures, ils ne se sont pas écartés de celle-ci, parce qu’ils font partie intégrante de l’ensemble des définitions que l’Ouvrage doit offrir au Lecteur.

XXXI. Exemples.

AMOUR, s. m. Amor… - véritable, attachement exclusif, avec l’entière abnégation de soi-même. – de soi, attachement à soi-même; désir de sa conservation. [J. -J Rousseau…]

AMOUR-PROPRE, s. m. sentiment de préférence exclusive pour soi; trop grand attachement à soi-même; V. G. A. AL. CO… amour de son être et de son bien être [Malebranche.]; sentiment naturel d’amour et de préférence de soi.

ESPRIT, s. m. Ingenium…. bel - , art de bien dire [Helvétius.]; art de dire élégamment des riens; celui qui le possède. – faux, qui apprécie mal les rapports des objets. – fou, qui controuve des rapports imaginaires, sans réalité ni apparence. – juste, qui voit les rapports tels qu’ils sont. – solide, qui forme ses idées sur des rapports réels. – superficiel, qui juge sur les rapports apparents. – d’imbécile, qui ne compare pas. [J. -J Rousseau.] – fort, s. m. qui traite de chimères les articles de foi; faux philosophe sans principes; philosophiste; athée; matérialiste; sceptique par orgueil et par ignorance. – systématique, art de réduire les principes d’une science à un petit nombre [d’Alembert….]; - public, inspiré par un amour exclusif de la patrie, et guidé par son intérêt; volonté des citoyens de mettre leurs facultés en commun……. – de corps……. égoïsme commun, de corporation…. .

SIMPLICITÉ, s. f. – tas…. droiture d’une âme que s’interdit tout retour sur elle et sur ses actions [Fénélon.]; ignorance de son propre mérite [Trublet.]; vérité d’un caractère naturel, innocent et droit. – de style, rapport exact entre le sujet, les pensées et les expressions. [Barthélémy.] (syn.)

VERRE, s. m. Vitrum…… - de Moscovie, talc très-lamelleux, sert de vitre. B.

Les recherches faites dans les auteurs en tous genres ont fourni les définitions de beaucoup de mots que les Lexicographes, surtout RESTAUT, avaient placés dans leurs nomenclatures, sans aucune explication.

XXXII. Exemples de mots non définis.

ANTIBACCHIQUE, s. m. t. de poésie latine. R. -Bach - C. le contraire du vers bacchique. Antibache.

MYCLOSSUM, s. m. t. d’anat. R. -glosse, adj. 2 g. (muscle -), de la langue.

REPARTONS, s. m. pl. terme d’ardoisier. bloc, crenon.

RUNOGRAPHIE, s. f. v. style, écriture runique; B. traité sur cette écriture.

ZÉBU, s. m. L. petite pièce de bison. B.

Elles ont fourni le complément d’un grand nombre de définitions qui, faute de développement, étaient inutiles et incorrectes.

XXXIII. Exemples de définitions incomplètes.

ALBIGEOIS, s. m. pl. et adj. sectaires. G. prétendus Manichéens sacramentaires, d’Albi, etc. [Basnage.]

CONGRUISME, s. m. opinion sur la grace efficace, expliquée par sa congruité. C. V. G. arrangements que Dieu prend pour déterminer l’homme selon ses vues, sans gêner son libre arbitre. [Voltaire.]

DÉISME, s. m. croyance à l’existence d’un seul Dieu, sans révélation ni culte.

THÉISME, s. m. croyance de l’existence d’un Dieu. A. réel, tout-puissant, actif et parfait.

Ces additions en particulier, et beaucoup d’autres déjà indiquées, justifient le titre de SUPPLÉMENT AUX DICTIONNAIRES.

Plusieurs auteurs ont employé des mots extraordinaires, sans que rien, dans le texte ni dans les notes, puisse en apprendre le sens : les ouvrages des savants et les étymologie en ont donné l’explication.

XXXIV. Exemples de mots extraordinaires.

CHRYSOGON, s. m. [J. -B. Rousseau.] financier. B. (Chrysogonos. , né de l’or. gr.)

LYCOPHRON, s. m. esprit obscur, impénétrable (style de -). Lycophron, auteur de l’Alexandra.

OESTRE, s. m. -tros. sorte de taon, insecte diptère ou aptère, astome; B. -, [J. -J. Rousseau.] aiguillon, piquant, stimulant.

POLIERGIE, s. f. t. de littérature; [La Harpe.] Poly- (polus, plusieurs, ergon, ouvrage. gr.)

THÉODICÉE, s. f . justice de Dieu, traité de ses attributs. [Leibnitz.] (théos, Dieu, diké, justice. gr.)

YCTOMANIE, s. f. fureur de battre. Ic-

Quelquefois les définitions sont différentes ou contradictoires.

XXXV. Exemples de définitions différentes.

CONTINENCE, s. f. -tia. Vertu de s’abstenir du plaisir de la chair (garder, observer la -); cette abstinence; capacité pour contenir; étendue. A. V.

MÉTAPHRASTE, s. m. qui traduit littéralement. G. C. V. qui ne traduit pas littéralement. R.

STANOGRAPIE, s. f. gouvernement militaire. C. Stratographie. T. G. mieux description d’une armée, de tout ce qui la compose, des armes, des campements, etc. description de tout ce qui compose une armée. A. R. CO. Voy. Stratocratie.

Le rapprochement des autorités, l’opposition de plusieurs à une seule, ou d’une autorité plus grave à toutes les autres, enfin l’étymologie, guident le LECTEUR dans son choix. Cet objet d’utilité particulière, qui s’applique généralement à l’Orthographe, dont on parlera plus bas, autorise sans doute le titre de CONCORDANCE DES DICTIONNAIRES.

Il aurait été très-facile à l’Auteur de donner aux définitions beaucoup plus d’étendue en copiant l’Encyclopédie, mais il avait présent à l’esprit le reproche fait au célèbre Chandler d’avoir oublié qu’un DICTIONNAIRE universel, quoique portatif, n’est pas un DICTIONNAIRE DE CHOSES, mais de mots. Le but de l’Auteur a été de donner un Dictionnaire de la Langue avec les définitions, les acceptions et des exemples utiles et moraux de l’emploi des mots, et non pas un abrégé de l’Encyclopédie, travail insuffisant, inutile, parce que les sciences ont fait des progrès qui rejetteraient cet ouvrage à trois siècle de nous. Il a de même écarté beaucoup de mots cités par l’ancienne Encyclopédie, parce que la langue française n’y attache plus la même idée. Malgré cette réserve, des critiques lexicographes qui confondirent ces deux choses si différentes, le Dictionnaire portatif et l’Encyclopédie, ont fait à l’Auteur le reproche d’avoir admis trop de mots et d’acceptions : ils ont oublié que le Dictionnaire universel d’une langue en est le dépôt, le trésor et comme les archives, et qu’il doit offrir aux lecteurs toutes les dénominations, tous les mots dont elle s’est servis, dont elle se sert encore pour désigner tous les êtres, exprimer toutes les idées, dont les mots sont les représentants. Voyez l’Avis particulier sur la 6e édition.

Quelque latitude que lui laissât le principe trop méconnu dont il ne s’est point écarté, soit pour l’admission, soit pour le rejet des mots et de leurs définitions, l’Auteur n’a pas cru devoir grossir inutilement sa très-abondante nomenclature des mots allemands, anglais, hébreux, grecs, latin, qui ne sont en français les représentants d’aucune idée, quoiqu’ils figurent dans d’autres Dictionnaires sans être même accompagné de phrases et de critiques.