MANUEL DE NÉOLOGIE.

 

Les nouveaux Dictionnaires, entre autres celui de NÉOLOGIE, le MANUEL LEXIQUE, ont fourni quelques-uns des mots dont le Langue s’est véritablement enrichie depuis deux siècles. L’Auteur a recueilli ces mots dans les bons livres publiés jusques à ce moment; il s’est appuyé des secours de la critique et de l’étymologie pour faire le choix des produits de la NÉOLOGIE, ou l’art de créer des mots nouveaux, des produits du NÉOLOGISME qui est l’abus de cet art ou une affectation vicieuse de créer des mots nouveaux mal forgés, ou de leur donner de nouvelles acceptions. (Voyez l’Avis particulier sur la 6e édition.)

Plusieurs personnes, atteintes de ce que l’on pourrait appeler la NÉOPHOBIE, l’horreur des nouveautés, rejettent les créations de la NÉOLOGIE qu’elles confondent avec le NÉOLOGISME : pour détruire cette horreur nuisible à la Langue, il suffit de quelques réflexions. Horace autorise le renouvellement d’anciens mots et la création de nouveaux; il loue Pindare comme le poète plein d’un bouillant délire, et de termes nouveaux inventeur admiré. LA HARPE, traduct.

L’opinion d’Horace est appuyée sur la nature même des langues, qui ne peuvent rester stationnaires à moins d’être toujours pauvre et barbares, comme les hommes qui les parlaient primitivement : les créations de la NÉOLOGIE, admissibles lorsqu’elles ont des analogues, des parents si l’on peut dire, dans la langue, lorsqu’elles complètent les familles de mots, ont l’avantage de rajeunir le style, de lui donner du relief, et surtout de fixer l’attention du lecteur en lui présentant des idées nouvelles, nouvellement exprimées par des mots qui les rend plus frappantes, plus retenables, comme les mots NÉOPHOBE, NÉOPHOBIE, etc. : elles ont, comme les monnaies neuves, ou le mérite d’une valeur nouvelle, ou celui d’un plus grand éclat.

Ces réflexions répondent à la critique des auteurs de deux nouveaux Dictionnaires qui, dans leurs préfaces, ont blâmé l’admission de celui-ci de ces mots qu’ils suppriment; mais les mots Cuider, Enseigner, etc. , etc. que La Fontaine emploie, devaient-ils être proscrits, et les Lexicographes se sont-ils donné la peine de considérer le plan de ce Dictionnaire, quoiqu’ils prétendent en avoir fait de meilleurs en s’écartant " de la fausse route que l’on avait prise, " route qu’il fallait au moins connaître avant de la condamner; ont-ils considéré que les personnes qui consultent un dictionnaire forment de classes, les LECTEURS et les ÉCRIVAINS, et que l’essentiel est de faire leur part ?

Les mots dont la NÉOLOGIE a enrichi la Langue sont caractérisés ou par la citation d’un grand nombre d’autorités, ou par une seule autorité dont le poids justifie l’emploi du mot.

XVII. Exemples de mots créés par la Néologie.

AIMANT, C. , adj. Amans. (vi. , renoue.) porté à aimer, qui aime. A. AL. [Mascaron. Genlis.] V. G.

DÉRAISON, s. f. défaut de raison; manière de penser, d’agir déraisonnable; jugement, action, opinion déraisonnable. [Chaulieu. Gresset. Sévigné.]

ENTRAÎNEMENT, s. m. action d’entraîner; force, effet, attrait, charme de ce qui entraîne; (des passions, de l’habitude); état de ce qui est entraîné. [Houteville. La Harpe.] se dit des passions, etc.

TRAJECTILE, s. m. tout ce qui sert à naviguer [St.-Pierre.], à faire un trajet.

Les produits du Néologisme, ou n’ont qu’une citation, ou sont accompagnés d’observations critiques.

XVIII. Exemples de mots forgés par le Néologisme.

AGRICULTEUR,s. m. Agricultor. cultivator; A. AL. C. G. CO. [Delille. Fréron.] néologie. (mieux) agricole. (syn.)

INTERIMISTIQUE, adj. f. (fonction), par intérim, (barbarisme.) (mieux) intérimistice, analogue d’armistice, d’interstice. –rimaire. C. (interim, dans l’intervalle, stare, subsister. lat.)

VINOMÈTRE, instrument pour connaître la qualité du vin. (barbarisme). (mieux) Oïnomètre.

Mais comme quelques-uns de ces derniers mots furent employés par des savants ou des auteurs lus généralement, il fallait en donner l’explication : ils ont été notés par des indications (vicieux.) (barbarisme.) (inusité.)

XIX. Exemples de mots vicieux ou barbares.

DÉCHAGRINER, v. a. -né, e, p. (fam. , inus.) égayer. [Hénault.] G. RR.

INDISPUTABLEMENT, adv. G. d’une manière indisputable, sans contestation. (vici.) [Desfontaines.]

RELICHER, v. a. lécher souvent. (popul.)

RENASQUER, v. n. voy. Renâcler. (Barbarisme.)

L’usage a fait perdre à la langue un grand nombre de mots qui se trouvent encore dans les nomenclatures des Dictionnaires modernes, et même dans les dernières éditions de l’Académie : ils sont tous désignés par ces notes (inus.) (peu usité.)

XX. Exemples de mots inusités ou peu usités.

DÉBRUTALISER, v. a. -sé, e, p. faire cesser d’être brutal. [Vaugelas.] R. G. C. (inus.) B.

PROBANTE, adj. F. (en forme —), authentique;(raison —), convaincante. (peu usité.)

REDARGUER, v. a. -gué, e, p. -guerer. réprimander, blâmer, reprendre. (inus.)

RENTER, v. a. -té, e, p. donner, assigner certains revenus. (peu usité.)

SANCIR, v. n. t. de mer, couler bas. (peu usité.)

L’écrivain évitera de donner à son style un air suranné en ne les employant pas : il était encore plus nécessaire pour lui de connaître à quel style particulier un mot peu être affecté; il était nécessaire pour l’étranger surtout de ne pas confondre ces divers styles dans la conversation ou la correspondance, et de n’en pas employer d’ignobles ou d’obscènes, ni même de trop élevés. Les lexicographes les plus estimés ont trop souvent négligé de les caractériser ou de les accompagner de ces notes (bas.) (obscène.) (à éviter.), etc. ou bien (poétique.) (noble.) (didactique.) (propre.) (figuré.) (familier.) (exagéré.) (vieux.) (nouveau.) (comique.) (burlesque.) (populaire.)(style relevé.), etc. , etc. comme ils le sont dans cet ouvrage, pour faire éviter le mélange des styles et les atteintes que l’ignorance peut porter à la pudeur, à la délicatesse, dans la conversation; les exemples se trouveront à l’ouverture du livre. Il est très-important pour les étrangers d’éviter ces méprises (Voy. les Patronymes, part. 2.) ou ce mélange des styles : les écrivains y sont encore plus intéressés; quels que soient leur mérite, la richesse de leurs images, la profondeur ou la sublimité de leurs pensées, s’ils confondent tous les styles, ils offenseront la délicatesse du goût, ils provoquent la Critique, et ne seront jamais classiques.

La réunion momentanée de plusieurs contrées à la France nécessita l’admission de quelques mots étrangers par le Gouvernement, et qu’il fallait placer dans les nomenclatures pour leur intelligence, tels que belt, polders, thalweg, etc.; il en est beaucoup d’autres qui furent empruntés de l’étranger, et maintenant incorporés à la langue, tels que budget, morbidezze, vasistas, etc. , etc.; tous ont été recueillis.

Il aurait été très-facile à l’Auteur de tripler le nombre des mots qui peuvent se rattacher au corps même de la langue en complétant toutes les familles de mots, comme le désirait M. le cardinal Maury; c’est-à-dire en formant des adjectifs de tous les substantifs qui peuvent en fournir, comme réquisitionnaire, de réquisition; puis les adverbes, les adjectifs et les adjectifs, par exemples, substantivement, et enfin des verbes avec les substantifs, les adjectifs et les adverbes; mais il a cru devoir se borner en général à recueillir ceux de ces mots qui furent employés par les bons écrivains jusqu’à ce jour, et les partisans de la Néologie pourront aisément compléter ces familles à l’aide des finales adjectives, adverbiales ou verbales.

Le Néologisme trouverait à faire une immense récolte de mots dans les nomenclatures des sciences que les professeurs-écrivains changent tous les deux lustres pour rajeunir les méthodes et substituer leurs compositions aux livres élémentaires de leurs maîtres; mais les recueillir serait une chose très-inutilement dispendieuse et même dangereuse, et la science serait noyée dans le torrent de la logorrhée synonymique; les nomenclatures scientifiques seraient doublées si l’on traduisait leurs mots et les noms grecs en latin, et les latins en grec, comme ont fait quelques naturalistes; cependant un Dictionnaires universel devrait mettre la langue et l’imagination des lecteurs en possession de tout ce qui existe; l’Auteur a d’abord recueilli ces mots employés par les professeurs estimés, puis il a terminé ce MANUEL ENCYCLOPÉDIQUE par une Nomenclature complète d’Histoire naturelle entremêlée d’additions à celle de la Chimie et de la Médecine, etc. , d’après les.