UNE LECTURE PAR JOUR MOSAÏQUE Littéraire, Historique, Morale et Religieuse, Composée de 365 pièces extraites de
prosateurs français, anciens et modernes, Avec Des notes biographiques, historiques, géographiques,
philosophiques, Par A. BONIFACE Auteur d'une grammaire adoptée par le Conseil Royal de
l'Université de France, Diversité, c'est ma
devise BRUXELLES, Société Belge de Librairie, etc. 1838 |
PRÉFACE
Une expérience de tous les jours est venue nous démontrer que le système qui a présidé à la composition de la plupart des recueils littéraires du genre de celui que nous publions offre de graves inconvénients pour l'instruction des élèves.
L'inégalité trop sensible dans l'étendue des morceaux, le choix de sujets d'un genre constamment noble et élevé, presque tous recueillis dans les anciens auteurs, une classification didactique et monotone qui exclut toute variété, s'opposent d'abord à ce que la plupart de ces extraits puissent servir de matière de composition : l'analyse en devient plus difficile, le sujet et le style sont au-dessus de la portée des élèves, qui n'y trouvent d'ailleurs aucune note explicative des faits historiques ou littéraires(1). L'absence de toute critique, comme le dit judicieusement M. Tissot, entre tant de morceaux du même genre qu'on donne pour modèles, expose, ou au danger d'une admiration aveugle, ou à une grande incertitude de jugement.
Autant qu'il a été en notre pouvoir, nous avons évité ces inconvénients, par une variété continue dans le choix de nos pièces, dont chacune présente un sujet complet qui peut être lu, commenté, analysé en une heure, et reproduit à peu près dans le même temps.
Quant à l'ordre, nous les avons classées en forme d'éphémérides, ce qui en augmente l'intérêt. Toutefois nous n'avons souvent envisagé l'événement que comme un accessoire. Aux dimanches, nous avons reporté les sujets de religion et de morale, qui se composent de 52 pièces, graduées de manière à présenter un Cours général d'instruction religieuse.
Un autre défaut, que nous regrettons de signaler dans nos devanciers, c'est l'espèce de dédain qu'ils affectent pour les auteurs contemporains, dont ils ne citent que certaines notabilités. La littérature moderne cependant est riche en faits et en noms; et donner, dans un recueil, accès aux productions de notre temps, c'est mettre les lecteurs à même de former leur jugement et leur goût par la comparaison des diverses manières dont les sujets sont traités, et des différences de style de nos époques littéraires : telle est la lacune que nous nous sommes proposé de remplir.
Parmi les auteurs cités, quelques-uns, il est vrai, sont encore peu connus; mais cette considération n'a pas dû nous arrêter : il suffit que le morceau présenté comme modèle soit bien pensé et bien écrit.
Au reste, des notes critiques sur les détails et sur l'ensemble de chaque pièce suppléeront à ce que plusieurs d'entre elles pourraient avoir d'imparfait ou de défectueux. Souvent une phrase mal construite, une pensée fausse, une expression impropre, un jugement hasardé, signalés à l'élève, deviendront un enseignement plus fécond en résultats que la perfection des autres parties offertes à son admiration : rien n'instruit plus sûrement qu'une critique judicieuse et modérée. Nous croyons avoir atteint ce but sans blesser aucun amour-propre, sans alarmer les susceptibilités même les plus ombrageuses.
"Quiconque ne connaît pas les défauts, dit Voltaire dans son Commentaire sur Corneille, est incapable de connaître les beautés; et je répète ce que j'ai dit dans l'examen de presque toutes ces pièces, que la vérité est préférable à Corneille, et qu'il ne faut pas tromper les vivants par respect pour les morts." Nous ajouterons qu'il ne faut les tromper par respect pour personne, et c'est ce que nous avons tâché de faire.
"Il me semble, dit-il encore, dans ses Remarques sur la Suite du Menteur, que la meilleure manière de s'instruire est d'observer soigneusement les fautes des bons écrits, parce qu'elles pourraient être d'un exemple dangereux; et de remarquer les beautés des pièces moins heureuses, parce que d'ordinaire ces beautés sont perdues. Nous nous sommes conformé à ce conseil; toutefois, nous ne prétendons point avoir donné une critique complète de chacune des pièces que nous avons examinées; nous devions laisser quelque chose à faire aux professeurs qui feront usage de notre livre, de plus nous nous sommes fait un devoir de passer sous silence tout ce qui pouvait être contesté, ou qui avait peu d'importance.
Des notices biographiques sur les écrivains, des notes explicatives pour tout ce qui pourrait arrêter le lecteur, se trouvent aussi à la fin de chaque pièce. De plus, des tables de matières, aidant à la recherche et à la classification des sujets et de leurs différents genres de style, ainsi qu'au développement des principales idées physiques et morales, complèteront ce travail, que nous ne craignons pas de présenter comme absolument neuf.
Cette Mosaïque peut donc être considérée comme une véritable encyclopédie où sont abordées presque toutes les questions intéressantes sur la Religion, la Morale, la Philosophie, l'Histoire, la Littérature et la Grammaire. Pour les gens du monde, c'est un livre de lecture non moins instructif qu'agréable; pour les jeunes littérateurs, c'est un manuel pratique de composition et d'improvisation, source abondante de pensées et de matières sur presque tous les sujets qu'ils peuvent traiter; c'est encore un répertoire varié de Rhétorique, de grammaire, et de Critique littéraire; pour tous, c'est un Miroir fidèle de la littérature, soit ancienne, soit contemporaine, du genre classique et du genre romantique.
Le Télémaque est, pour les partisans de l'enseignement universel(2), l'Épitome de la composition française; mais, tout en rendant justice à ce chef-d'œuvre de notre langue, on est forcé de convenir que son style, presque uniformément noble, élevé, harmonieux, le rend inapplicable à tous les sujets, surtout à ceux du genre familier.
Nous pensons que notre ouvrage, composé de tant d'éléments divers, portant l'empreinte de tant de plumes habiles, reflétant des pensées si variées et si diversement exprimées, atteindra plus facilement le but de cet enseignement. C'est surtout pour l'étude de la langue maternelle que ce nouveau mode d'instruction obtient de véritables succès, qu'on cesse de contester dès qu'on entend les intéressants élèves de MM. de Séprés et Deshoulières.
Sans nous inquiéter des disputes qui divisent notre monde littéraire, nous ne nous sommes faits partisan d'aucune école; nous sommes éclectique, et nous n'admettons qu'une secte en littérature, celle du vrai et du beau. Auprès des anciennes célébrités des Bossuet, des Fénelon, des Voltaire, des Rousseau, des Buffon, nous avons placé les célébrités du jour : Châteaubriand, Lamartine, Villemain, V. Hugo, Balzac, J. Janin, C. Nodier, Eugène Sue, Alfred de Vigny, de Latouche, Saintine, Alex. Dumas, etc.
Notre devise est variété, et nous avons voulu la justifier : tous les styles et tous les genres, toutes les écoles et tous les auteurs, se trouvent réunis dans ce recueil, comme dans un panorama littéraire. Docile au précepte de Boileau, nous avons tâché de passer du grave au doux, du plaisant au sévère; le passé et le présent, la muse antique et la muse nouvelle, le classique et le romantique, se trouvent en compagnie, prennent la parole tour à tour, et du moins ici font la paix. Cependant la critique la plus sévère a présidé au choix des morceaux; et, pour éviter l'uniformité, soit dans les matières, soit dans le style, nous avons confié ce choix à plusieurs littérateurs. 1500 pièces ont été lues, commentées, réduites à la moitié; cette nouvelle collection, revue par des professeurs de rhétorique, a été limitée à 500 pièces dont nous avons extrait les 365 que nous donnons au public, avec la confiance d'avoir accompli du moins une œuvre utile et consciencieuse.
Nous manquerions à la reconnaissance, si nous n'adressions nos remercîments bien sincères à MM. Lorain, Durand, Sabatier, Loriol, Abel Dufresne, et spécialement à MM. G. Rossary et Jugand, qui nous ont aidé dans la composition de ce nouvel ouvrage. Nous espérons qu'on l'accueillera avec d'autant plus de faveur que le besoin en est senti depuis longtemps.
Ce 30 mai 1836
A. Boniface
1. Il est juste cependant d'en excepter l'excellent recueil que publie en ce moment M. Tissot, et qui est destiné à être un des plus beaux monuments de notre langue.
2. Dont le fondateur est M. Jacotot.