SECTION TROISIÈME

LA FORMATION POPULAIRE

§ 33. -- De la dérivation et de la composition populaires.

Le premier fonds du lexique s'enrichit par un double procédé appartenant à la formation populaire : le procédé de la dérivation et le procédé de la composition. Par la dérivation, on crée des mots nouveaux soit en changeant la fonction de mots déjà existants, soit en dépouillant leur radical de sa flexion et en y ajoutant certaines lettres qui modifient la signification. Par la composition, on crée des mots nouveaux en réunissant plusieurs mots pour leur faire exprimer une seule idée.

DÉRIVATION

§ 34. -- De la dérivation propre et impropre.

La dérivation est propre ou impropre suivant qu'elle recourt ou non à des suffixes. Herbette de herbe, lainage de laine, sont des exemples de la dérivation propre ; le substantif appel, tiré du verbe appeler, l'adjectif caressant, caressante, tiré du participe présent caressant, sont des exemples de la dérivation impropre.

Nous commencerons par celle-ci, et nous examinerons comment les diverses parties du discours peuvent fournir, sans addition de suffixes, des noms, des adjectifs, des verbes, etc.

§ 35. -- Noms (substantifs et adjectifs) formant de nouveaux substantifs et adjectifs.

Les substantifs et les adjectifs peuvent donner naissance à de nouveaux substantifs et à de nouveaux adjectifs.

§ 36. -- Noms propres devenant noms communs.

Un nom propre peut devenir nom commun, et il le devient par des voies diverses.

Tantôt il passe par une sorte de périphrase où il détermine d'abord le nom commun qu'il doit ensuite remplacer : un fusil Chassepot ; ici le nom propre détermine le nom commun ; puis celui-ci se sous-entend : un chassepot. Tantôt il se transforme immédiatement en nom commun : un barème. Quelquefois il garde sa forme primitive précédée de l'article féminin : coiffure à la Titus ; mais, le plus souvent, la préposition et l'article se sous-entendent : coiffure à la Fontange devient coiffure Fontange, puis une fontange. Enfin l'on voit des adjectifs de noms propres s'employer substantivement : bohémien, gascon, etc.

Les sources de ces noms sont très diverses. Tantôt ils rappellent soit ceux qui ont découvert ou inventé un objet, soit ceux dont le nom, pour une cause ou pour une autre, a été attaché à l'invention ou à la découverte :

barème,
béguine,
calepin,
camélia,
carolus,
chassepot,
dahlia,
dédale,
eustache,
fontange,
gilet,
guillemet,
guillotine,
hortensia,
louis,
macadam,
macfarlane,
magnolia,
maillechort,
mansarde,
massicot,
mithridate,
montgolfière,
napoléon,
nicotiane,
orviétan,
paulette,
paulownia,
phaéton,
praline,
quinquet,
robinier,
ruolz,
stras,
victoria,
voltaire.

Tantôt ils rappellent des personnages plus ou moins célèbres de l'histoire ou de la littérature, qui personnifient certains caractères, certaines qualités, certains vices :

adonis,
agnès,
argus,
céladon,
cendrillon,
chauvin,
escobar,
espiègle,
gille,
harpagon,
jérémiade,
ladre,
lovelace,
matamore,
méphistophélique,
nicodème,
patelin,
péronnelle,
rodomont,
simonie,
tartufe,
turlupin.

Tantôt un nom de peuple ou de groupe d'hommes en est venu à désigner une qualité, soit bonne, soit le plus souvent mauvaise :

algonquin,
assassin,
cannibale,
bohème,
bougre,
esclave,
flandrin,
franc,
gascon,
grec,
huguenot,
huron,
iroquois,
jésuite,
juif,
normand,
ostrogoth,
vandale.

Tantôt, et pour des causes diverses, plus ou moins faciles à déterminer, les noms propres ont désigné des personnes ou des choses :

amphitryon,
atlas,
bavaroise,
brocard,
fiacre,
figaro,
frise,
jacquet,
jaquemart,
lérida,
margotin,
marionnette,
robinet,
séide,
silhouette,
truie.

Souvent aussi des noms de lieux désignent les produits originaires de ces lieux :

alençon,
angora,
artésien,
baïonnette,
berline,
biscaïen,
bougie,
brandebourg,
brie,
cachemire,
calcédoine,
calicot,
canari,
cantaloup,
cognac,
cordonnier,
cravate,
curaçao,
damas,
dinde,
échalote,
elbeuf,
épagneul,
faïence,
florence,
futaine,
galetas,
guinée,
hongre,
landau,
magot,
malines,
malvoisie,
manille,
maroquin,
moka,
mousseline,
nankin,
noyale,
pavie,
pêche,
perse,
persienne,
rouennerie,
sarrasin,
tulle,
valenciennes,
vaudeville.

Enfin des noms propres de personnes ont servi à désigner des animaux ou des fruits :

carlin,
jacquot,
martin-chasseur,
martinet,
martin-pêcheur,
martin sec,
pierrot,
reine-claude,
reine-marguerite,
renard,
roquet,
sansonnet.

§ 37. -- Noms communs formant de nouveaux noms communs.

Les noms communs forment de nouveaux noms communs :

1º Par simple changement de sens : bureau, qui a passé successivement du sens d'étoffe de drap à ceux de table de travail recouverte de cette étoffe, de meuble sur lequel on écrit, de salle où se trouve ce meuble, de gens qui se tiennent dans cette salle, etc. ; roman, qui a voulu dire d'abord composition en langue romane, puis chanson de geste, chanson de geste mise en prose, histoire en prose de quelque grande aventure imaginaire, histoire en prose de quelque aventure inventée à plaisir, récit inventé à plaisir, enfin aventures qui rappellent les romans ; toilette, qui, après avoir signifié petite toile, et spécialement petite toile blanche qui recouvre un lavabo, désigna le lavabo, l'ensemble des objets servant à la parure, puis la parure, etc. (Voir les différents articles du Dictionnaire pour cette série de noms communs sortis de noms communs.)

2º Par changement de sens accompagné de changement de genre, et alors un nom de chose peut devenir un nom de personne et inversement : enseigne, un enseigne ; garde, un garde ; manœuvre, un manœuvre ; paillasse, un paillasse ; peste, un peste ; trompette, un trompette ; -- pantomime, une pantomime, etc. (Voir, pour ce cas de changement de genre, § 554.)

§ 38. -- Adjectifs devenant substantifs.

L'adjectif devient substantif :

1º Par ellipse du nom qu'il qualifie : apéritif, carnivore, indicatif, journal, noble, poitrinaire, quadrupède, souverain ; -- anglaise, capitale, cursive, défensive, expectative, initiative, italiques, physique, politique, etc.

2º Par personnification plus ou moins consciente de l'objet qu'il désigne, et alors l'adjectif est masculin ou féminin sans qu'on puisse déterminer la cause du choix de l'un ou l'autre genre : un condensateur, un moteur ; une balayeuse, une mitrailleuse, etc. La langue de l'industrie est très riche en formations de ce genre.

3º Par emploi absolu en qualité de neutre logique ; le substantif est alors masculin : le beau, le droit, le sublime, le vrai, le bas de l'arbre, le propre de la vertu, etc. Il s'emploie de la même façon, mais au féminin, dans les locutions adverbiales : à la française, à la légère, à la ronde, etc.

La langue actuelle use beaucoup plus de l'adjectif masculin comme d'un neutre logique que la langue des siècles précédents. Les écrivains contemporains tantôt remplacent par l'adjectif précédé du déterminatif neutre d'un l'adjectif au superlatif : vous êtes d'un comique ! vous êtes d'un sincère ! au lieu de : vous êtes fort comique, fort sincère ; tantôt ils affectent de substituer l'adjectif à un substantif, en général abstrait : Il y a dans ce style du banal et du vague. Il y a eu dans ses aventures énormément de piquant et d'extraordinaire. C'est ainsi qu'un adjectif employé comme neutre logique se trouve sans cesse coordonné à des substantifs : Elles ont un charme, un capiteux particuliers. La nouveauté, l'étrange, le dramatique de la situation, etc.

Les numéraux cardinaux ou ordinaux, pris absolument, peuvent passer au rôle de substantifs : les Onze, les Quinze-vingts, les Cinq-Cents ; un douzième provisoire.

§ 39. -- Substantifs communs devenant adjectifs.

Le substantif commun devient adjectif par l'apposition, qui en fait le qualificatif d'un autre substantif. On a dit : un ruban rose ; rose, substantif, a d'abord qualifié momentanément des substantifs ; puis, l'emploi de cette construction étant devenu plus fréquent, le substantif apposé a passé complètement à l'adjectif : c'est ainsi qu'on a eu un adjectif rose à côté d'un substantif rose. Tel a été le cas pour amarante, châtain (de châtaigne), violet (de violette), et dans la langue populaire pour cochon, drôle, farce.

Certains autres substantifs, au contraire, sont restés à mi-chemin sur la voie de la transformation : bedeaude, chafouin, chamois, croche, étrière, lilas, marron, mauve, orange, etc.

§ 40. -- Noms (substantifs et adjectifs) devenant mots invariables.

Le substantif ne forme d'adverbes, de prépositions ou de conjonctions que par composition ; il produit, par dérivation impropre, quelques interjections : dame ! foin ! flûte ! merci ! peste !

L'adjectif, pris absolument, devient adverbe : chanter faux, crier fort, parler bas, voir clair, penser juste, faire exprès, etc. Il devient également interjection : las ! hélas ! bon !

§ 41. -- Pronoms devenant substantifs.

Bien que les pronoms paraissent être d'une nature telle que leur fonction ne puisse guère être transformée, ils sont quelquefois employés comme de véritables substantifs : Le moi est haïssable. Le tu et le vous. Un autre, une autre soi-même. Citons aussi la locution latine alter ego.

§ 42. -- Verbes.

Le verbe forme des substantifs, des adjectifs et des mots invariables.

Il faut considérer le participe passé, le participe présent, l'infinitif, l'impératif, le subjonctif, le présent de l'indicatif et le futur.

§ 43. -- Participes.

Les participes passés ou présents forment des adjectifs, des substantifs et des mots invariables.

§ 44. -- Participes passés devenant adjectifs.

C'est une propriété permanente de certains participes passés d'être employés adjectivement. Cette propriété tient à une cause historique et à une cause logique. La cause historique est la suppression du passif dans les langues romanes (§§ 600 et 685) : les deux formes du présent et du parfait laudor, laudatus sum, se sont fondues dans une forme unique : je suis loué. La cause logique est le fait que les verbes se classent d'après leur sens dans une catégorie différente, suivant qu'ils expriment une action soit momentanée soit de courte durée, ou une action prolongée, et qui peut se poursuivre plus ou moins longtemps sans que la pensée se porte sur l'idée de l'achèvement. A la première classe appartiennent, par exemple, cædo, vinco, ferio, etc. ; à la seconde, amo, video, audio, etc. Le passif français je suis aimé traduira aussi bien amor que amatus sum, parce qu'il exprime aussi bien l'idée de l'amour qui commence que de l'amour qui se poursuit. Mais je suis frappé ne rendra que cæsus sum, et cædor ne pourra se traduire que par on me frappe. Ainsi, tandis que les passifs des verbes de la première classe expriment une action qui se continue, ceux de la seconde expriment l'action qui vient d'avoir lieu et l'état qui résulte de cette action ; je suis frappé veut dire : je suis dans l'état d'un homme qui vient d'être frappé. Que maintenant l'on fasse abstraction de l'idée d'action, pour ne plus considérer que l'état, le participe deviendra un véritable adjectif. De là cette propriété des participes passés des verbes de la seconde classe de se transformer en adjectifs quand ils n'expriment plus l'action. Dans cette proposition : " la potion est composée par le médecin ", composée est participe ; dans " l'homme est composé de corps et d'âme ", composé est adjectif. Dans " le temple fut orné ce matin de fleurs ", orné est participe ; dans " du temple, orné partout de festons magnifiques ", il est adjectif.

§ 45. -- Participes passés devenant substantifs.

Les participes passés deviennent aussi facilement substantifs qu'adjectifs.

Si le participe désigne des êtres animés, le fait est normal : un fiancé, une fiancée ; un marié, une mariée ; les révoltés, les insurgés, un associé, etc.

Pour le participe passé désignant des choses, la question est plus complexe. Dans ce cas, le latin mettait le participe au neutre ou au féminin.

Les participes passés neutres substantifs en latin désignaient l'action accomplie : dictum, factum, scriptum, ce qui a été dit, fait, écrit, etc. Les participes passés féminins passaient à l'état de substantifs par ellipse d'un substantif : fossa = chose creusée ; strata = route aplanie.

Le français a développé cette double formation : il possède des substantifs participiaux, d'une part masculins correspondants aux neutres latins : un ajouté, aperçu, arrêté, bâti, cliché, coupé, doublé, fourré, etc. ; d'autre part féminins avec ellipse du substantif : une allée, assemblée, beurrée, bouffée, croisée, dégelée, fricassée, etc.

Il faut, à ce propos, remarquer particulièrement les verbes des IIe, IIIe et IVe conjugaisons. Leur participe, en effet, a pu passer par trois formes (§ 645) : 1º la forme latine : factum, fait ; mortuum, mort ; 2º la forme forte analogique, c'est-à-dire ayant l'accent sur le radical transformé en roman : peint, de peindre, qui a remplacé le latin pictum ; feint, de feindre, qui a remplacé le latin fictum ; enfreint, de enfreindre, qui a remplacé le latin infractum, etc. ; 3º la forme faible, c'est-à-dire ayant l'accent sur la terminaison en u, qui a remplacé soit la forme latine, soit la forme forte analogique : mordu pour mors, tendu pour tent, etc.

De là en français trois séries de substantifs participiaux correspondant à ces trois états successifs :

Fait, dit, cours, enclos, joint, sens, trait, conduit, écrit, vis, mors, exploit, assise, messe, pâte, perte, pointe, conduite, toise, quête, couverte, vente, etc. ;

Source, absoute, empreinte, feinte, pente, ponte, entorse, etc. ;

Étendue, value, issue, battue, vue, etc.

Ce procédé de formation est d'une richesse remarquable et ne cesse de créer des mots nouveaux tant dans la langue courante que dans la langue populaire.

Nous pouvons répéter pour le participe passé ce que nous avons dit § 38 sur l'adjectif employé comme neutre logique. Non seulement la langue actuelle a consacré l'emploi comme substantifs de certains participes, comme énoncé, prononcé, procédé, défilé, exposé, bien fondé, au débotté, au débouché, à l'insu, au vu et au su, à la dérobée, etc., mais encore elle emploie substantivement n'importe quel participe dans des constructions comme : vous êtes d'un décousu ! le décousu de votre style ; vous êtes d'un débraillé ! le débraillé de votre toilette, etc.

§ 46. -- Participes passés devenant mots invariables.

Avec le temps et par oubli d'une construction syntaxique où il était dépendant d'un substantif, le participe passé devient mot invariable : attendu, excepté, hormis, vu (§§ 658, 709).

§ 47. -- Participes présents devenant substantifs et adjectifs.

Le participe présent, qui, dans l'ancienne langue, exprimait l'état et l'action, se distinguant du gérondif, qui n'exprimait que l'action, est resté, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, variable en genre et en nombre (§ 707). Il suit de là que tout participe présent, du moment qu'on l'emploie absolument, sans mettre en relief sa fonction verbale, peut exprimer un état et devenir adjectif. Il en résulte aussi que la langue doit posséder un certain nombre de participes présents variables, quoique exprimant l'action, parce qu'ils appartiennent à une période de la langue antérieure à l'époque où l'Académie (1679) décida qu'on ne déclinerait plus les participes actifs.

De la première série on peut citer : absorbant, attachant, changeant, édifiant, intrigant, parlant, tremblant, etc. ; de la seconde : appartenante, co-partageante, contrevenante, tendante, etc. Tel verbe disparu reste dans son participe présent : pimpant.

Le participe présent devient non moins facilement substantif, soit qu'il prenne directement la valeur d'un substantif : un débutant, figurant, mendiant, etc., soit qu'il passe par l'adjectif : la Constituante, pour l'Assemblée constituante, etc.

Notons les participes présents substantifs désignant des choses, soit au masculin, soit au féminin, par ellipse d'un substantif : le couchant, levant, mordant, penchant, restaurant, volant, etc. ; la courante, dominante, résultante, variante, etc.

§ 48. -- Participes présents devenant mots invariables.

Comme le participe passé, le participe présent, par oubli d'une construction primitive, peut devenir mot invariable : concernant, durant, joignant, pendant. L'ancienne construction est visible encore dans maintenant et cependant (§ 707).

§ 49. -- Infinitifs devenant substantifs.

Jusqu'à la fin du XVIe siècle, l'infinitif a été régulièrement employé comme substantif (§ 700). Il en est resté de nombreuses traces dans la langue moderne ; un certain nombre d'infinitifs sont devenus si pleinement substantifs qu'on y reconnaît à peine des verbes et qu'ils s'emploient au pluriel : avoir, baiser, déboire, déjeuner, devoir, dîner, êtres, goûter, manger, pensers, pourparler, pouvoir, repentir, rire, sourire, souvenir, vivre, etc. Certains, comme loisir, manoir, plaisir, sont d'anciennes formes d'infinitifs. Certains, par suite de l'identité de prononciation entre er et é, ont les deux orthographes : dîner, après-dîner, après-dîné, et par suite après-dînée ; au débotter et au débotté ; d'autres semblent avoir perdu l'orthographe en er : au débouché, débridé, défilé, doigté, etc. Démenti paraît de même remonter à l'époque où il y a eu confusion entre les sons ir et i.

Ce procédé de formation a presque complètement disparu de la langue. Signalons toutefois un aller et retour, un coucher.

§ 50. -- Impératifs devenant substantifs et mots invariables.

La formation de substantifs au moyen d'impératifs ne donne guère que des interjections comme gare, que des noms composés comme cache-cache, va-et-vient, et d'autres qui seront étudiés plus loin (§ 204). Citons toutefois un sonnez, terme du jeu de trictrac.

L'impératif donne aussi des mots invariables : aga ! impératif de l'ancien verbe agare, regarder ; allons ! voyons ! va ! gare ! tiens ! et peut-être da, s'il est vrai que ce soit la contraction des impératifs di(s) et va.

§ 51. -- Subjonctifs devenant mots invariables et substantifs.

Le subjonctif peut quelquefois devenir mot invariable : soit (conjonction) et le subjonctif latin vivat ! Ce dernier est même devenu substantif variable : des vivats. Il a aussi formé des substantifs à l'aide de la composition : un sauve-qui-peut, être sur le qui-vive, un vive-la-joie.

§ 52. -- Présents de l'indicatif devenant substantifs.

Le latin tirait déjà des noms soit abstraits, soit concrets, du radical du verbe : pugna de pugnare, arma de armare, libum de libare, proba de probare, agger de aggerare, perfuga, transfuga, de perfugere, transfugere, etc. ; et aussi des adjectifs : abundus de abundare, adulter de adulterare, truncus de truncare, etc.

Les langues romanes, et en particulier le français, ont développé ce procédé.

Pour les substantifs, à l'inverse du latin, le français a formé des abstraits en plus grand nombre que des concrets. La plupart sont tirés de verbes de la Ire conjugaison : aboi, accord, apport, charroi, contour(n), coupe, détail, etc. Citons parmi les substantifs tirés de verbes d'autres conjugaisons : abat, débat, accueil, maintien, soutien, départ, croît, surcroît, pourvoi.

§ 53. -- Présents de l'indicatif devenant adjectifs.

Quant aux adjectifs, ils sont en moins grand nombre, et leur dérivation remonte pour presque tous assez haut dans la langue, qui a abandonné ce procédé : aise, blême, comble, délivre, étanche, fourbe, gauche, etc.

§ 54. -- Temps des noms verbaux.

Si l'on considère certains des noms verbaux, comme gîte, maintien, relief, soutien, revient, on reconnaît facilement qu'ils ne peuvent dériver que du présent de l'indicatif, vu leur forme et aussi leur signification abstraite.

§ 55. -- Futurs devenant substantifs.

On ne peut guère citer ici que un pâtiras qui s'est dit pour un souffre-douleur, et un qu'en-dira-t-on.

§ 56. -- Mots invariables devenant substantifs et adjectifs.

Citons parmi les adverbes : le dedans, le dehors, le dessus, le devant, le derrière, l'avant, l'arrière, le bien, le mieux, le plus, le moins, etc. ; parmi les prépositions : le pour, le contre ; parmi les conjonctions : le si, le car, le mais ; parmi les interjections : des hé, des ha, des hélas, des bravo, etc. Citons aussi l'adverbe souvent devenant adjectif dans souventes fois. Nous pouvons ranger ici le cas des propositions devenant des substantifs : un haut-le-cœur, un haut-le-corps, une belle-à-voir, etc. (§ 178).

§ 57. -- Dérivation propre.

Sur les cent et quelques suffixes qui ont servi ou servent encore à former les mots français, la plupart sont originaires du latin. Les uns sont propres à la langue populaire, les autres à la langue savante. Les uns vivaient aux premiers temps de la langue, ont graduellement épuisé leur fécondité et sont morts aujourd'hui ; d'autres sont nés à une époque relativement moderne et sont aujourd'hui en pleine vigueur. Quelques-uns ont eu leur domaine réduit ou étendu ; un certain nombre, nés avec le français, ont traversé quinze siècles d'existence sans rien perdre de leur activité ni de leur énergie créatrice. C'est dans l'histoire de la dérivation qu'apparaît le plus clairement la vie du langage, cette vie que notre esprit prête aux groupes de sons que nous appelons des mots. Le champ de l'activité intellectuelle est ici plus restreint, le nombre des éléments linguistiques sur lesquels elle s'exerce est moins considérable ; mais les idées à rendre sont, au contraire, variées, fines et délicates. On saisit là très nettement l'action de l'esprit modifiant les formes extérieures, les moules de la pensée qu'il s'est créés.

Les suffixes de dérivation se divisent en suffixes nominaux et suffixes verbaux, selon qu'ils forment des noms (substantifs ou adjectifs) ou des verbes.

Avant d'aborder l'étude détaillée de chaque suffixe, quelques observations générales sont nécessaires : 1º sur la signification, 2º sur la forme des suffixes.

§ 58. -- Des suffixes considérés dans leur signification.

Les noms concrets éveillent dans la pensée l'image des objets qu'ils désignent : cheval, fleur, maison, table. Les suffixes n'éveillent, au contraire, qu'une notion générale abstraite : esse dans richesse, rudesse, sagesse représente l'idée abstraite d'une qualité ; oir dans fermoir, grattoir, polissoir, celle d'instrument ; ier dans cerisier, pommier, prunier, celle de producteur, etc. Le suffixe s'ajoute donc à un radical nominal ou verbal pour en modifier la signification par l'idée secondaire qui lui est propre.

Pour qu'un suffixe soit vivant, il faut et il suffit que l'idée abstraite générale dont il est l'expression soit présente à l'esprit, qu'elle se détache nettement de l'image éveillée par le radical, autrement dit que le dérivé présente une double idée.

Cette condition est nécessaire : car si la notion du suffixe ou celle du radical, ou toutes deux concurremment, s'évanouissent devant l'unité d'image que présente le dérivé, celui-ci cesse d'être dérivé et devient mot simple : corbeau, rameau, taureau, sont aujourd'hui des mots simples, parce qu'on n'y reconnaît plus la présence des radicaux corp, raim, tor, ni, par suite, la présence des suffixes. De même, des mots où le radical est reconnaissable peuvent devenir simples quand le suffixe ne s'en détache plus avec netteté : dans épouvantail, gouvernail, l'esprit ne distingue plus guère ce qu'ajoute ail au radical de ces deux mots ; dès lors on perd de vue aussi la signification précise du radical, et l'on substitue à la double idée qu'offrait le radical enrichi du suffixe, l'idée ou l'image une du dérivé devenu simple.

A plus forte raison en est-il de même quand radical et suffixe sont méconnaissables : menton, rognon, ne paraissent plus les dérivés des radicaux latins de mentum et ren à l'aide des suffixes one, ione ; ces mots sont devenus simples.

Cette condition est suffisante : car, pour être vivant, le suffixe n'a pas besoin de produire des mots nouveaux. Son énergie reste latente et ne paraît au dehors que lorsqu'une circonstance extérieure, le hasard d'une nouvelle idée, d'un nouvel objet à exprimer, lui en donne l'occasion. Dans garçonnet, fillette, le radical garde sa valeur propre et éveille dans l'esprit l'image d'un garçon, d'une fille ; le suffixe y ajoute l'idée générale de quelque chose de petit, de jeune, idée qui vient s'ajouter à la première image et la modifier. Il ne faut rien de plus ; ce suffixe et, ette est bien vivant dans la langue. S'il n'agit pas, il peut agir, et il donnera de nouveaux dérivés lorsque le besoin s'en fera sentir.

Plusieurs des suffixes latins sont morts : ainsi le suffixe ie (remplacé par erie). D'autres s'éteignent, ont une signification de plus en plus vague. Alors il arrive à la langue de les utiliser d'une certaine façon ; souvent elle cherche seulement, au moyen de la dérivation, à renforcer la forme du mot, sans tenir compte du sens, soit -- et c'est le cas ordinaire -- pour donner plus de poids à un mot court, soit pour distinguer des formes identiques ou semblables. Des suffixes de signification incertaine, obscurcie, pouvaient seuls jouer ce rôle ; d'autres auraient agi par trop clairement sur le sens. Menton, rognon, ne disent rien de plus avec le suffixe on que les mots latins mentum et ren. On a surtout employé à cette fin d'anciens suffixes diminutifs, dont le sens n'était plus guère sensible. De même qu'on a préféré aux simples auris, ovis, à cause de leur forme trop brève, les diminutifs auricula, ovicula, le français a allongé aussi corb, tor, en corbeau, taureau, sans songer à y voir des diminutifs, eau étant passé du rôle de suffixe diminutif à celui de simple formule de dérivation.

Il arrive aussi souvent qu'un suffixe, au lieu de perdre toute sa signification première, en prend une nouvelle dans des mots nouvellement dérivés. Cette modification atteint avant tout des suffixes dont le sens ne ressort pas assez clairement et autorise par là une conception différente. Ainsi aceus dans le français asse et l'italien accio a un sens péjoratif : besti-asse, besti-accia. Cette signification secondaire du suffixe se développe à côté du sens propre mal déterminé, sous l'influence d'un sens particulier à tel radical, et elle grandit aux dépens du sens propre ; l'idée déplaisante de bestia, après avoir pénétré le suffixe dans bestiasse, s'est attachée spécialement à lui, et il est dès lors devenu à son tour péjoratif.

Ces significations nouvelles dont s'enrichit tel ou tel suffixe en font, en réalité, de nouveaux suffixes à fonction spéciale. Il y a là une création réelle de la langue. Ainsi le suffixe latin alis, sous la forme du pluriel neutre alia, qui fut prise pour une terminaison féminine, donne un suffixe français aille, indiquant une collection : limaille, victuaille. Puis, sous l'influence de certains mots, il prend une valeur péjorative : prêtraille, valetaille. Or l'ancien français chienaille et l'italien canaglia (d'où canaille) représentent à notre esprit tout autre chose que le pluriel neutre d'un adjectif canalis. Ici, le français s'est tout à fait éloigné du latin ; il a été créateur.

§ 59. -- De la forme des suffixes.

Le principe qui domine la dérivation romane est le suivant : Tout suffixe roman est syllabique et accentué. Quand les langues romanes adoptent un suffixe non accentué en latin, elles lui donnent l'accent ; sans accent, il reste infécond. Ainsi les suffixes ius, eus, ulus, si riches en latin, sont inconnus aux langues romanes, parce qu'ils ne portent pas l'accent. Les mots latins qui les présentent ont pu passer en français : apium, ache ; linea, ligne ; tabula, table ; mais ni che, ni ge, ni le, correspondant à ces suffixes, ne sont passés à l'état de suffixes producteurs.

§ 60. -- Extension des suffixes.

Généralement chaque suffixe s'adapte à des radicaux de même nature, soit de substantifs, soit d'adjectifs, soit de verbes. Les dérivés en oir, eur, age, par exemple, supposent des radicaux verbaux : fermoir, grattoir, supposent les verbes fermer, gratter ; chercheur, joueur, marcheur, les verbes chercher, jouer, marcher ; brossage, coulage, lavage, les verbes brosser, couler, laver. Les dérivés en esse supposent des radicaux d'adjectifs : rudesse, sagesse, tendresse, supposent les adjectifs rude, sage, tendre.

Toutefois il arrive qu'un dérivé soit créé sans que le radical qu'exigerait la loi de l'analogie du suffixe existe ou ait jamais existé. Ainsi la langue n'a jamais possédé un verbe facter d'où serait sorti factage. A côté de charmant, obligeant, tirés de verbes, on a abracadabrant, tiré de abracadabra ; à côté de aimable, blâmable, louable, tirés également de verbes, on a charitable, véritable, tirés de charité, vérité. Bougeoir, drageoir, se rattachent à des substantifs au lieu de se rattacher, comme les autres dérivés en oir, à des verbes, etc.

Ces anomalies s'expliquent par le fait que le suffixe en arrive à porter à lui seul la signification qu'il avait d'abord uniquement par son union avec le radical. Pour bougeoir, drageoir, le suffixe oir présente l'idée tellement fréquente d'un objet qui sert à faire telle ou telle chose, que l'esprit supplée naturellement le verbe qui est nécessaire pour compléter l'idée. De même pour charitable, véritable, le suffixe, au lieu de se rattacher directement à un radical verbal, se rattache dans notre esprit à un verbe sous-entendu dont charité et vérité sont les compléments : capable de faire la charité, capable d'exprimer la vérité.

Quelquefois l'analogie s'exerce par le rapprochement de plusieurs suffixes. On dit laveur et lavage ; on a dit, par suite, facteur et factage, malgré l'absence d'un verbe facter.

La dérivation ne se renferme donc point dans les limites d'une logique rigoureuse ; l'analogie en étend le cercle de mille manières ; elle en est le principe presque essentiel, la puissance sans cesse créatrice.

§ 61. -- Extension du suffixe de la Ire conjugaison aux autres conjugaisons.

Un des effets les plus considérables de l'analogie est celui qui a étendu aux autres conjugaisons le suffixe propre à la Ire conjugaison. L'action qui avait déjà transformé en antem tous les participes présents en entem (§ 614) s'est exercée dans la dérivation. C'est ainsi que abilem a supplanté ebilem et ibilem (§ 93), que amentum a supplanté imentum, umentum (§ 145), que atorem a supplanté itorem (§ 112), que atura a supplanté itura (§ 111), que atorium a supplanté itorium (§ 113), que aticium a supplanté iticium (§ 82).

§ 62. -- Substitution de suffixes.

Les exemples précédents offrent des cas particuliers d'un phénomène plus général, celui de la substitution des suffixes. Si le suffixe se dégage assez librement du radical pour pouvoir se modifier dans sa forme, on comprend qu'il puisse se faire remplacer par d'autres plus ou moins voisins.

1º L'altération phonétique amène la confusion de deux suffixes d'origine différente.

Ail et al, dans l'ancienne déclinaison française, donnant aus au cas sujet, ces deux suffixes s'échangèrent : on a frontail pour frontal, poitrail pour poitral, portail pour portal. A la même confusion se rattache révérencieux pour révérentiel.

La labiale finale disparaissant au cas sujet des mots en if, jolif faisant jolis, ce suffixe if s'échangea contre le suffixe i : joli ; inversement, if a pu remplacer le suffixe is dans massif (anc. franç. massis), dans poncif pour poncis, dans gelif et métif, qui existent concurremment avec gelis et métis.

L'r n'étant plus sensible à une certaine époque dans le suffixe eur, celui-ci s'est confondu avec le suffixe eux : de là faucheux à côté de faucheur, fileux, gâteux, galvaudeux, hasardeux, pour fileur, gâteur, galvaudeur, hasardeur.

Armoire pour armaire, génitoires pour génitaires, nous reportent à l'époque où la diphtongue oi hésita entre l'ancienne prononciation et la nouvelle è ; de même et a remplacé oir dans couvet pour couvoir, peut-être sous l'influence de la prononciation couwé.

Le suffixe d'origine germanique enc, par suite de l'amuïssement du c final, s'est naturellement confondu avec an dans brelan, chambellan, cormoran, etc., et avec and dans tisserand.

2º Deux suffixes homophones ou presque homophones se substituent l'un à l'autre. C'est ainsi qu'on a dalleau pour dalot, floran pour florant ; cadenas, cervelas, cannelas pour cadenat, etc. ; chafaud pour chafaut ; chaland, marchand pour chalant, marchant ; par contre, friand pour friant, et au XVIIe siècle galande pour galante, qui suppose galand à la place de galant ; et par suite dans les dérivés : beuvante pour beuvande, écente pour écende, englanté pour englandé. De même encore on a chevet pour chevés (chevez en anc. franç.), civet pour civé, couvi pour couvis, daintier pour daintié, davier pour daviet, juiet pour juié ; aubin, égrin, pour aubun, aigrun ; tendron pour tendrun, coloris pour colorit, hautain (vigne) pour hautin, homard pour homar, saumure pour saumuire, roter pour router, ravigoter pour ravigorer, mulâtre pour mulate, sanglot pour sanglout ; dans printemps, on a vu le mot an, d'où le dérivé printanier, etc. ; française, danoise, sont des féminins analogiques formés par confusion de suffixes : danois, françois devaient faire au féminin danesche, francesche (cf. flammèche, grièche) ; mais, le suffixe germanique isc étant devenu ois comme le suffixe latin esem, il se confondit avec ce dernier, et, comme courtois faisait courtoise, danois fit danoise.

Le suffixe arius (franç. ier) a attiré à lui beaucoup de dérivés formés primitivement avec le suffixe are (franç. er) : bachelier, bouclier, écolier, pilier, sanglier, soulier pour bacheler, etc.

Des mots en eul, comme chevreul, écureul en ancien français, sont devenus des mots en euil : chevreuil, écureuil, sous l'influence de mots comme deuil, seuil, où la terminaison avait une l mouillée (cf. linceul et linceuil, etc.). D'autres ont échangé eul pour eau : réseul est devenu réseau, et berçuel berceau. Épagnol (où ol représente le suffixe latin olum) est devenu épagneul.

3º Des suffixes de même signification peuvent s'échanger : ainsi ette et elle, étant tous deux suffixes diminutifs : agrouette pour agrouelle ; alemette, amelette, omelette pour alemelle ; oter et ater : gargoter pour gargater ; ot et ol : loriot pour loriol, maillot pour maillol ; ard, art et at : escarbillard pour escarbillat, brocart pour brocat. Les suffixes aille, eille, ille, se sont remplacés dans ouaille pour oueille, corneille pour cornille. Les anciens mots mareschaussie, seneschaussie sont devenus maréchaussée, sénéchaussée. C'est ainsi encore qu'on a en ancien français rancœur, en français moderne rancure ; pépin au lieu de pepon. La vieille langue avait une souplesse très grande dans l'emploi des suffixes de même signification : elle disait indifféremment amerté, amertor, amerture, amertume ; aspresse, aspror, aspreté. Au XVIIIe siècle exacteté et exactesse existaient encore à côté de exactitude.

4º Signalons en outre l'influence de mots parents par la forme ou le sens : escargol s'est changé en escargot d'après escarbot ; plurel en plurier d'après singulier ; le latin crucifigere, au lieu de donner crucifiger, a donné crucifier sous l'influence de édifier, mortifier, etc.

5º On peut enfin attribuer comme cause à la substitution de suffixes le besoin de créer un mot nouveau de sens plus ou moins différent de celui qui existe déjà : oisif, oiseux ; escarboucle, escarbille ; paquis, pacage, etc.

Ajoutons toutefois que le caprice, ou des raisons psychologiques obscures, et aussi des erreurs d'orthographe ont pu être souvent les facteurs de ces transformations incessantes des suffixes.

§ 63. -- Intercalation de suffixes.

Le français, comme les autres langues romanes, intercale volontiers des suffixes secondaires entre le radical et le suffixe final.

Ces additions sont tantôt successives, tantôt immédiates : roi a donné roi-et, puis roi-et-el, puis roi-et-el-et, contracté en roitelet ; de même roue est devenu d'abord rouelle, puis rouelette, contracté en roulette ; au contraire, chambre a donné chambrillon, cotte cotillon, gant gantelet, peau pelletier, tendre tendrelet, verre verroterie, etc., sans passer par les formes intermédiaires chambrille, cotille, gantel, pellet, tendrel, verrot. Les suffixes secondaires ill, el, et, qui, ailleurs, existent indépendants, servent ici de trait d'union entre le radical et les suffixes finals on, et, ier.

Ce ne sont pas seulement des suffixes qui s'intercalent entre le radical et le suffixe final, ce sont encore certaines lettres ou certaines syllabes qui n'ont point ailleurs d'existence comme suffixes. Ces intercalations se produisent, suivant la nature des syllabes, à diverses époques de la langue, les unes à l'époque du latin populaire, les autres au temps du haut moyen âge ou du français moderne. Elles sont dues, pour la plupart, à l'embarras où se trouve la langue d'ajouter un suffixe commençant par une voyelle, à un radical terminé soit par une voyelle pure ou nasale, soit par une consonne qui s'est amuïe : aux mots bijou, écu il était difficile d'ajouter directement les suffixes ier et on ; de là bijoutier, écusson. Soit encore chaux dont la consonne finale s'est amuïe ; il donne pour la même raison chauler et échauder (1).

Voyons sous quelles influences se sont opérées ces diverses intercalations.

Intercalation de r. -- Cette intercalation est fréquente en français : les suffixes on, eau, ol, et, ette sont allongés en eron, ereau, erol, eret, erette : puceron, poétereau, fèverole, etc. Cet allongement est dû à une fausse analogie. Beaucoup de mots en er (ou en eur) formaient des diminutifs en on : aoûteur aoûteron, berger bergeron, vacher vacheron ; c'est là sans doute l'origine des noms de métier comme forgeron, marneron, tâcheron, vigneron, etc. De même de voleur se forma régulièrement le diminutif volereau. Avec le temps on oublia la dérivation véritable de ces mots, et, au lieu de rattacher forgeron à forgeur, marneron à marneur, volereau à voleur, on les rattacha à forge, marne, vol, et l'on crut à l'existence d'un suffixe ron, reau : de là puceron, moucheron, fumeron, laideron, godelureau, poétereau, etc. Eron, ereau, ont entraîné à leur tour erol, eret, erette.

Cette erreur d'analogie est surtout visible dans la création du suffixe erie à côté du suffixe ie : bonnetier, chevalier, donnent régulièrement bonneterie, chevalerie. Mais l'on perdit vite de vue le rapport entre erie et ier, et l'on regarda erie comme un simple suffixe ie (2).

Intercalation de t. -- L'intercalation d'un t dans abriter, agioter, bijoutier, caillouter, cafetier, cocotier, ferblantier, filouter, indigotier, papetier, routoir, etc., comparés aux mots abri, agio, bijou, caillou, café, coco, fer-blanc, filou, indigo, papier, rouir, etc., repose sur une erreur du même genre que la précédente. Le point de départ de ces dérivations est donné par les mots dans lesquels le t appartient au radical, mais n'est plus sonore dans le mot simple ; laitier, laiterie, laitage, ébruiter, crocheteur, etc., ont donné l'illusion de suffixes tier, terie, tage, ter, teur, etc., qui se sont ajoutés, surtout à partir du XVIIe siècle, aux radicaux terminés par une voyelle pure ou nasale. C'est ainsi que la langue, ayant perdu conscience de l'origine des noms en eau, en tire actuellement des verbes non en eler, mais en eauter ; comparez peau, peler à dépiauter. Elle a créé d'après le même principe biseauter, tableauter, tuyauter, etc. D'anciens dérivés formés régulièrement ont été transformés : abrier est devenu abriter, fermure fermeture, tabaquière tabatière, etc. Le rapport de blatier à blé et de puisatier à puits est un peu différent : il y a eu intercalation non d'un simple t, mais des suffixes et, at.

3º Signalons encore comme suffixes intercalaires ç ou ss dans écoincer de coin, courçon de court, écusson de écu, etc. ; ill dans chambrillon, cotillon ; l dans chauler ; ll dans épillet ; dedans échauder ; v dans amadouvier ; ig dans saligaud ; iq dans tourniquet, etc. Le nombre de ces intercalations est infini et donne à la langue une certaine richesse.

§ 64. -- Chronologie de la dérivation.

Certains suffixes gardent leur force depuis l'époque du latin populaire jusqu'à nos jours ; mais les transformations de la phonétique les atteignent en même temps que les radicaux auxquels ils pouvaient se souder. De là, dans la dérivation, des variations dont il faut tenir compte.

Soit le mot armatura ; il devient successivement armadura, armadure, armedure, armeüre, armeure, armure. Le suffixe atura se présente donc, aux divers moments de la langue, sous les formes adura, adure, edure, eüre, eure, ure, et, sous ces formes diverses, selon l'époque, il se joint aux divers radicaux. Aujourd'hui de nacre on forme nacrure ; au XIIIe siècle on en aurait tiré nacreüre ; au XIe, nacredure.

Il peut arriver aussi que les dérivés d'un radical se rattachent tantôt à la forme actuelle, tantôt à la forme qu'a eue le radical à telle ou telle époque. Jusqu'au XIIIe siècle, jour et tour avaient la forme journ et tourn. De là deux séries de dérivés, correspondant les uns à la forme ancienne : ajourner, tourner ; les autres à la forme plus récente : ajourer, entourer. Comparez de même enfourner, fournil, fourneau, fournée à four ; agneler à agneau, vêler, velin à veau, folie à fou, hiverner à hiver, limier à lien, courtois à cour. En revanche, les consonnes finales s'étant amuïes, il arrive souvent que la langue moderne n'en tient pas compte dans la dérivation : faubourien, quarderonner, etc.

Un cas particulier est celui que présente la rencontre d'une palatale finale de radical avec la voyelle initiale du suffixe ; elle amène des différences entre le simple et le dérivé : faux faucher, duc duché, harnais harnacher, sac sachet, coq cochet, clerc clergé, etc.

Les lois de ces transformations seront étudiées en détail au chapitre de la phonétique ; nous n'avons qu'à les signaler ici pour montrer l'origine des divergences souvent très grandes qui séparent le mot simple de son dérivé.

§ 65. -- Balancement de l'atone et de la tonique.

La voyelle du radical, accentuée dans le mot simple, devient, d'après la règle qui sera étudiée dans la phonétique, atone dans le dérivé, et, par suite, elle peut ne pas y être la même. C'est ce qui nous explique la différence de forme entre clef et clavée, nef et navette, grève et gravier, pierre et perron, chien et chenet, avoine et avenage, main et menotte, faim et famine, queue et couette, cœur et courage, gueule et goulée, pièce et dépecer, etc. De même un suffixe accentué devient atone et peut changer de forme quand il se trouve adjoint à un autre suffixe : corbeille corbillon, pommier pommeraie, bonnetier bonneterie, gravelle graveleux, dizaine dizenier, etc. Il arrive même que la voyelle qui, accentuée dans le radical, est devenue atone dans le dérivé, disparaisse tout à fait, non seulement dans la prononciation, mais même dans l'orthographe : comparez denrée (pour denerée) à denier, dernier (pour derrenier) à l'ancien français derrain, charton à chartier, chartil à charrette, chaudron à chaudière, lormier, lormerie à l'ancien français lorain ; limier à lien.

Mais cette règle du balancement de l'atone et de la tonique est loin d'avoir été toujours observée : par besoin d'analogie, la langue a souvent donné au radical du dérivé la même forme qu'il a dans le simple. On trouve déjà en ancien français fierté pour ferté d'après le radical de fier, foirable d'après le radical de foire, hoirie d'après le radical de hoir, croyance à côté de créance, piéton d'après le radical de pied ; c'est ainsi que l'on dit étoilé pour ételé, clairière pour clarière, dépiécer, empiécer, rapiécer à côté de dépecer ; désœuvré à côté d'ouvroir ; aiguiérée a remplacé aiguierée qui est encore dans Furetière, et cépée a remplacé cepée que l'on trouve même écrit spée. La forme du radical s'impose de plus en plus dans la langue moderne, et les nouveaux dérivés ne sont plus guère soumis à l'ancienne loi.

DÉRIVATION NOMINALE

I. -- DÉRIVATIONS VOCALIQUES

§ 66. -- Suffixes latins EUS, IUS.

Ces suffixes, étant atones, n'ont point été utilisés par le français pour créer des mots nouveaux, si ce n'est dans la langue savante ; la langue populaire les possède seulement dans des mots tirés directement du latin, ou dans des mots formés à une époque antérieure à la naissance du français. Citons parmi ceux que ne connaît pas le latin classique : *claria, glaire ; *frasea, fraise ; *glitia, glaise ; *grania, grange ; *junicia, génisse.

§ 67. -- Suffixe latin IA.

Le suffixe latin ia, comme les précédents, était atone, et on ne le retrouve que dans des substantifs, en général abstraits, tirés directement du latin.

§ 68. -- Suffixe gréco-latin IA.

A côté de ce suffixe latin atone ia, existait un suffixe grec accentué <GR= ia> qui, sous l'influence du christianisme, passa dans un grand nombre de mots : abbatia, aristocratia, astrologia, mania, sophia, etc. Cette terminaison grecque accentuée ia supplanta la terminaison latine atone ia. De là, en ancien français, de nouveaux substantifs abstraits en ie, tirés le plus souvent de substantifs ou d'adjectifs, rarement de verbes : baronnie, bonhomie, clergie, compagnie, courtoisie, diablie, folie, garantie, jalousie, librairie, maisnie, etc.

Ce suffixe ie, très riche dans la vieille langue, a complètement disparu à l'état de suffixe productif et a été remplacé par le suffixe erie. Nous avons vu § 63 comment s'est produite cette substitution sous l'influence des dérivés si nombreux en erie des substantifs en ier ou en eur, terminaisons qui, devenant atones, s'affaiblissaient en er : argentier argenterie, bijoutier bijouterie, bonnetier bonneterie, boucher boucherie, cachottier cachotterie, etc. ; blanchisseur blanchisserie, cajoleur cajolerie, confiseur confiserie, criailleur criaillerie, pleurnicheur pleurnicherie, etc.

§ 69. -- Suffixe français ERIE.

Dès le XIIe siècle, ce nouveau suffixe erie forme des dérivés de mots non terminés en ier ou eur. Ces dérivés sortent de verbes, de substantifs et d'adjectifs :

De verbes : afféterie, agacerie, badinerie, brusquerie, cacherie, coucherie, distillerie, émaillerie, essayerie, étenderie, fâcherie, filerie, filouterie, finasserie, foulerie, gâterie, etc.

De substantifs : ânerie, apothicairerie, argenterie, artillerie, batellerie, beurrerie, bigoterie, boîterie, bougrerie, butorderie, cagoterie, canonnerie, cartonnerie, charlatanerie, chinoiserie, courtisanerie, diablerie, etc.

D'adjectifs : bizarrerie, bouffonnerie, coquetterie, crânerie, fourberie, friponnerie, griserie, gueuserie, ivrognerie, etc.

La signification de ce suffixe (ie, erie) est diverse et mobile : tantôt il indique la qualité, généralement défavorable, qu'exprime le radical : diablerie, poltronnerie, singerie ; tantôt il marque le résultat de l'action qu'exprime le verbe : badinerie, causerie, criaillerie, plaisanterie, tricherie ; tantôt encore le résultat de l'action qu'exprime le nom de l'agent : charcuterie, charpenterie. Le résultat est conçu au sens concret avec une idée collective dans les dérivés de noms d'agent : argenterie, bijouterie, cavalerie, infanterie, maçonnerie, orfèvrerie, verrerie, verroterie, etc. L'idée collective se développe dans boucherie, boulangerie, huilerie, laiterie, qui désignent des établissements. Charcuterie, mercerie et certains autres désignent à la fois et le résultat et l'idée collective d'établissement.

§ 70. -- Suffixe latin IA dans les noms de pays.

Ce suffixe atone est celui qu'offre le latin classique dans Graecia, Italia, etc. Il a servi à l'époque des invasions germaniques à former quelques noms nouveaux : Francia, France, le pays des Francs ; Burgundia, Bourgogne, le pays des Bourgondions ; Marcomania, Mar-magne, le pays des Marcomans. Plus tard, on s'est exclusivement servi pour le même usage du suffixe accentué ie, étudié § 68 : le pays des Normands s'est appelé Normandie.

§ 71. -- Suffixe latin IUM.

Ce suffixe, étant atone, n'a passé que dans des mots tirés directement du latin ; citons comme formation du latin populaire : *grunnium, groin.

§ 72. -- Suffixe latin UUS.

Ce suffixe, étant atone, n'a passé en français que dans des mots tirés directement du latin, comme fatuus, fat, par l'intermédiaire du provençal fat.

§ 73. -- Suffixe latin AEUS.

Ce suffixe, d'origine grecque (<GR= aios>), était affecté en latin à quelques noms propres, comme Judaeus, anc. franç. juieu, juiu, d'où le féminin juive sur lequel a été refait le masculin juif.

II. -- DÉRIVATIONS AVEC UNE CONSONNE SIMPLE (3)

§ 74. -- Suffixe latin ACUS.

Ce suffixe donnait en latin soit des adjectifs, comme ebriacus, meracus, opacus, soit des substantifs, comme pastinaca, porcilaca, verbenaca, etc. Il est représenté dans ivraie, de ebriaca, et panais, autrefois pasnaie, de pastinaca ; mais il ne paraît pas avoir servi à des formations nouvelles.

§ 75. -- Suffixe gaulois ACUS.

Ce suffixe ne se trouve que dans des noms de lieux, comme Antoniacus, Antony ; selon les régions, ces noms offrent aujourd'hui les désinences y, é, ey, ec, ex, ieu, ieux, etc., quand acus est précédé d'une palatale, ou ai, ay, quand il n'y a pas de palatale.

§ 76. -- Suffixe latin ICUS.

Ce suffixe, qui se présentait en latin dans des substantifs, comme amicus, et des adjectifs, comme apricus, ne paraît pas avoir servi à former de mots nouveaux.

§ 77. -- Suffixe latin ICUS.

Ce suffixe, étant atone, n'a passé en français que dans des mots simples tirés directement du latin ; citons quelques formations du latin populaire : *avica (de avis), oie ; *barica (de baris), barge ; *rasica (de rasis), rache.

§ 78. -- Suffixe latin ATICUS.

Ce suffixe a donné en latin un assez grand nombre d'adjectifs : fanaticus, fluviaticus, pompaticus, silvaticus, viaticus. Il a passé en français sous la forme age et y a donné une foule de dérivés. Comme les mots latins en aticus, les mots français en age ont pu être des adjectifs : poisson marage, endroit ombrage, chant ramage, rat evage, etc. Sauvage et volage seuls sont restés adjectifs. Tous les autres dérivés sont substantifs.

Par suite, en ancien français, les mots en age pouvaient désigner aussi bien des personnes que des choses : message, dans le sens de celui qui est envoyé, a été remplacé par messager ; message désigne aujourd'hui la chose envoyée. De bonne heure, c'est la forme neutre aticum qui a prévalu, et les mots en age n'ont plus désigné que des choses.

Mais, ici encore, la langue moderne se distingue de l'ancienne. Celle-ci tirait ses dérivés en age de substantifs ou d'adjectifs, et quelquefois de verbes. Le dérivé d'un nom désignait l'ensemble des caractères relatifs à ce nom ou la collection des choses qui en font partie : courage, ensemble des sentiments qu'éprouve le cœur ; plumage, ensemble de plumes ; feuillage, ensemble de feuilles, etc. Le dérivé d'un verbe désignait le résultat de l'action verbale : mariage, l'état d'être marié ; témoignage, ce par quoi l'on a témoigné.

La langue moderne tire ses dérivés du radical des verbes au participe présent : blanchir blanchissage, moudre moulage, mouler moulage, etc. Mais, si elle ne peut plus former ses dérivés de noms, si livrage, par exemple, ne peut plus désigner un ensemble de livres, du nom livre, mais seulement le résultat de l'action de livrer, du verbe livrer, du moins le souvenir de l'idée collective attachée au suffixe age s'est conservé dans ce fait qu'il s'adjoint surtout, dans les formations nouvelles, à des radicaux de verbes exprimant une activité collective ou une action complexe : bavardage, brunissage, embauchage, entoilage, factage, marchandage, remplissage, etc.

§ 79. -- Suffixe latin UCUS.

Ce suffixe n'a passé en français que dans des mots simples tirés directement du latin et dans quelques formations nouvelles, comme : *astrucus, que l'on retrouve dans malotru ; *mattiuca, massue ; *tortuca, tortue.

§ 80. -- Suffixes latins AX, ACIS ; EX, ICIS ; IX, ICIS ; OX, OCIS.

Ces suffixes n'ont passé en français que dans des mots simples tirés directement du latin, nous n'avons pas de formations nouvelles à signaler.

§ 81. -- Suffixe latin ACEUS, ACIUS.

Aceus, acius formait en latin un nombre considérable d'adjectifs : betaceus, cretaceus, fabaceus et fabacius, hederaceus et hederacius, liliaceus, membranaceus, tiliacius, etc., et quelques substantifs neutres : piracium, plumacium, vinaceum, etc. En français il a subi une importante modification : on l'ajoute non seulement, comme en latin, à des radicaux de substantifs : plâtras, mais encore à des radicaux d'adjectifs : fadasse, ou de verbes : fatras.

En outre, à l'idée de ressemblance et à l'idée collective qu'il exprimait déjà en latin sont venues s'ajouter des idées accessoires augmentatives ou, le plus souvent, dépréciatives.

Aceus est devenu en français az, as ; acea est devenu ace, asse. On a donc pour les substantifs as au masculin, asse pour le féminin ; mais pour les adjectifs, comme on va le voir, asse s'applique le plus généralement aux deux genres.

I. Substantifs masculins.

a. Formés de substantifs : bourras, plâtras.

b. Formés de verbes : fatras, de l'ancien verbe fatrer (?).

c. Formés d'adjectifs : savantas (arch.) (4).

II. Substantifs féminins.

a. Formés de substantifs : cognasse, cuirasse, culasse, filasse, milliasse, paillasse, paperasse, pinasse (pinace), tétasses, vinasse.

b. Formés de verbes : chiasse, crevasse, lavasse, tirasse, traînasse (5).

III. Adjectifs. -- Asse a formé et forme encore un certain nombre d'adjectifs à valeur péjorative, tirés de substantifs ou d'adjectifs : blondasse, bonasse, cocasse, fadasse, hommasse, laidasse, mollasse, etc. Les plus anciens de ces adjectifs ont commencé à s'employer au féminin : bonasse, hommasse, mollasse, ne s'employaient qu'avec des substantifs féminins ; la forme masculine était sans doute inusitée. De là la forme féminine s'est étendue au masculin et est devenue suffixe indépendant : un blondasse, un fadasse. C'est ainsi que l'ancienne forme savantas est devenue savantasse.

§ 82. -- Suffixe latin ICIUS.

Icius, icia s'ajoutait en latin au radical des participes : additicius, facticius, locaticius, missicius, mixticius, etc. Il est passé en français sous la forme iz, is au masculin, isse au féminin : facticius, anc. franç. faitis ; mixticius, métis ; tracticius, anc. franç. traitis ; *voluticius, anc. franç. voutis. Mais, sous l'influence de la Ire conjugaison (§ 61), c'est surtout avec la forme ediz, eiz, eis, is du latin aticius qu'il a été utilisé pour créer quelques adjectifs comme coulis (vent), levis (pont), taillis (bois), et aussi un grand nombre de substantifs : arrachis, criquetis, croquis, culbutis, doublis, éboulis, élongis, fondis, fouillis, gâchis, galis, glacis, lancis, etc. Comme on le voit, ce suffixe ne s'ajoute guère, comme en latin, qu'à un radical verbal, même dans des cas où il paraît s'ajouter à un radical nominal, comme dans caillebotis, grenetis, lattis. La signification est le plus souvent collective : abatis, gâchis, hachis, treillis.

Pour les mots en isse, les uns sont les féminins de mots précédents, comme coulisse, métisse ; on peut y joindre jetisse de jeter, lanice de laine. D'autres proviennent de mots en icia qui ont passé à icia : tels jaunisse de *galbinicia pour galbinicia ; pelisse de *pellicia pour pellicia.

Enfin citons aussi certains mots en iche qui ne peuvent se rattacher à une source étrangère, comme la plupart des mots en iche, mais qui paraissent être des formes dialectales en iche pour isse : barbiche, bourriche, caniche, corniche, flammiche, godiche, pouliche.

§ 82 bis. -- Suffixe latin ICIUS.

Icius, icia, qui s'ajoutait en latin à des noms, a donné en ancien français ez, ece. Dans les mots conservés par la langue actuelle, ez a été confondu avec et : de là chevet pour chevez de *capicium substitué à capitium, et banneret pour bannerez ; le féminin s'est conservé sous la forme esse. Le plus souvent, ce suffixe ne s'ajoute pas directement au radical, mais à une sorte de suffixe intercalaire er (§ 63), comme dans ableret, couperet, dameret, feuilleret, formeret, fourcheret, guilleret, osseret ; forteresse, guinderesse, panneresse, sécheresse, singeresse. Ces féminins en eresse sont à distinguer des autres féminins en eresse étudiés § 112.

C'est probablement ce suffixe icia qui, confondu avec le suffixe itia, a donné naissance à la forme ece, esse, qui se trouve dans les mots abstraits étudiés § 124.

§ 83. -- Suffixe latin OCEUS.

Oceus, inconnu en latin classique, a dû exister en latin vulgaire, à en juger par d'assez nombreux mots italiens en occio, occia, dont quelques-uns ont été adoptés par le français à une époque récente, tantôt avec la désinence oche ou osse (bamboche, fantoche, sacoche ; carrosse), tantôt avec la désinence ouche ou ousse (cartouche ; gargousse). Il faut le reconnaître dans caboche et cabosse, formes normanno-picardes, qui remontent à un type *capocea, bien que le b médial, au lieu d'un v qu'on attendrait régulièrement (§ 426), soit surprenant. Peut-être aussi le nom de poisson chabot est-il pour chaboz, de *capoceum : il paraît venir des patois du sud-ouest de la langue d'oïl et a pour correspondant le provençal caboz (6).

§ 84. -- Suffixe latin UCEUS, UCIUS.

UCEUS, ucius, suffixe peu développé en latin, a pris une assez grande extension en italien, où on le trouve sous les formes uccio et uzzo, avec une valeur diminutive, notamment dans cappuccio, d'où le français capuce (7) ; capuccio, d'où le français cabus (8), et peluzzo, mot auquel il faut peut-être rattacher le français peluche, qui peut avoir été influencé dans sa terminaison par éplucher. Le provençal possède le même suffixe dans merlus et merlusso, d'où le français a tiré merlus, merluche (9). Les patois de langue d'oïl le connaissent aussi : dans le Loiret, la navette (plante oléagineuse) est dite navuce, de *napucia, et dans la Manche, navuchon, diminutif de la forme normanno-picarde *navuche. Toutefois aucun exemple certain de ce suffixe ne peut être cité dans le français proprement dit : baudruche est de formation obscure ; quant à coqueluche, freluche, guenuche et perruche, il faut voir dans leur désinence le représentant normal d'un suffixe ucca, inconnu au latin classique, analogue à occa, dont il a été parlé § 83.

§ 85. -- Suffixe latin IDUS.

Ce suffixe, étant atone, n'est représenté en français que par des mots tirés directement du latin : fade, de vapidum ; anc. franç. flaistre (d'où flétrir), de flaccidum (10) ; sade, de sapidum, etc. De muscum, mousse, le latin vulgaire a tiré *muscidum, d'où moiste, moite (11).

§ 86. -- Suffixe latin OLUS.

Olus, qui est l'orthographe archaïque de ulus, ne se présente à l'époque classique qu'après un radical en e ou en i : alveolus, filiolus. L'e en hiatus s'étant confondu avec l'i, et l'i à son tour ayant été prononcé comme un yod, l'accent tonique qui les frappait primitivement a glissé sur l'o (§ 289).

Olus, ola, donne régulièrement en français uel, eul : *aviolus, aïeul ; capreolus, anc. franç. chevruel ; linteolum, linceul, etc. Mais quelques mots ont changé eul en euil, sous l'influence de mots comme deuil, seuil : chevreuil pour chevreul, écureuil pour écuruel de *scuriolus, linçueil à côté de linceul, et bouvreuil, formation analogique d'après les précédents. Dans les autres, eul a été protégé par un i précédent : aïeul, filleul de *filiolus, glaïeul de gladiolus, ligneul de *lineolus, tilleul de *tiliolus. Moieul, moyeul est devenu moyeu, sans doute par une réaction du pluriel sur le singulier (§ 559).

A côté de ces mots en eul, euil, il en existe une série plus considérable en ol, ole, où la diphtongaison semble avoir été empêchée de bonne heure par l et qui sont sans doute d'origine dialectale (§ 16) : la langue même a hésité souvent entre ol et eul ; ainsi au XVIIe siècle fillol existait à côté de filleul ; espagnol a été remplacé par épagneul (§ 62). Alors que eul a peu donné, ol, au contraire, est très productif, surtout sous la forme féminine ole : cassole, chantignole, échignol, échignolle, foirole, gaudriole, guignol(et), anc. franç. maillol, d'où, par substitution de suffixe, maillot (§ 62), rissole, etc.

De plus, ol, ole, se présente souvent sous la forme erol, erole, sous l'influence de mots où l'r provient du radical, tels que banderole de bandière, laiterol de laitier, etc. (§ 63), et aussi sans doute sous l'influence de nombreux mots en ol, ole, de provenance italienne (§ 12) : barquerolle, casserole, fèverole, fuserole, lignerole, moucherole, etc.

§ 87. -- Suffixe latin ULUS.

Ce suffixe, étant atone, n'a guère passé en français que dans des mots tirés directement du latin. Nous ne pouvons citer comme formations postérieures que *orulus, orle, *turbulus, trouble (adj.), et *umbiliculus, (n)ombril.

§ 88. -- Suffixe latin CULUS.

Culus s'ajoute en latin à des radicaux de noms ou de verbes en a, e, i, i, u, u ; de là les suffixes ac(u)lus, ec(u)lus, ic(u)lus, ic(u)lus, uc(u)lus, uc(u)lus.

Ac(u)lus, ac(u)la, formait en latin, en s'ajoutant à des radicaux de verbes, des neutres singuliers et pluriels qui désignaient l'instrument : gubernaculum, gouvernail ; tenacula, tenailles. Sur ce modèle, le roman et l'ancien français avaient créé beaucoup de dérivés, dont la plupart ont disparu ; il nous est resté : aspirail, attirail, batail, épouvantail, éventail, fermail, soupirail, vantail. Il est quelquefois difficile de distinguer ce suffixe du suffixe ail, aille, provenant de alia (§ 95).

Eculus, ecula, iculus, icula, donnent régulièrement en français eil, eille, et iculus, icula, donne il, ille. C'est ainsi que l'on a eu d'une part : articulus, orteil ; pariculus, pareil ; somniculus, sommeil ; vermiculus, vermeil ; auricula, oreille ; corbicula, corbeille ; mais d'autre part : craticulus, graïl, gril ; periculum, péril ; canicula, chenille ; clavicula, cheville ; craticula, graïlle, grille.

Dans lentille de lenticula, vrille de viticula, et goupil de *vulpeculus (class. vulpecula), il paraît y avoir eu passage de eculus, iculus à iculus. Il y a eu substitution de suffixe (§ 62) dans ouaille, pour l'ancien français oueille, de ovicula. Aiguille semble venir non du latin acicula, mais d'un type *acuicula.

Les formations nouvelles sont peu nombreuses pour le suffixe eil, eille ; nous n'avons guère à citer que bouteille, groseille. Elles le sont davantage pour le suffixe il, ille : doisil, grésil ; barbille, broutille, bûchille, bulbille, croisille, escarbille, etc. Il est souvent difficile de distinguer ces dérivés en ille de ceux qui sont étudiés § 95.

Uculus, ucula, donne ouil, ouille : *carbucula (class. carbunculus), carbouille ; *colucula, quenouille ; cornucula, cornouille ; *fenuculum (class. feniculum), fenouil ; *ranucula (class. ranuncula), (g)renouille. Genou, pou, verrou, étaient originairement genouil, pouil, verrouil, de *genuculum (class. genu), peduculus, veruculum : comparez du reste les dérivés agenouiller, pouilleux, verrouiller (§ 559).

Uculus, ucula ne se présente guère en latin : subucula ; il n'a point passé en français.

§ 89. -- Suffixe latin ELA.

Ela donne en latin des substantifs féminins : candela, cautela, querela, etc., dont quelques-uns ont passé en ancien français avec la terminaison eile, oile : candela, chandoile ; mustela, mostoile. La forme actuelle chandelle a été refaite au XVIe siècle sur la forme latine. L'ancien suffixe a été conservé dans étoile, qui vient non du latin classique stella, mais du latin populaire stela.

§ 90. -- Suffixe latin ALIS.

Alis, suffixe déjà très riche en latin classique, où il formait surtout des adjectifs, æqualis, capitalis, legalis, letalis, mortalis, pluvialis, etc., est devenu d'une fécondité extraordinaire dans le latin ecclésiastique du moyen âge. C'est ce qui explique pourquoi la forme savante en al a coexisté dès le XIIe siècle avec la forme étymologique en el pour finir par prédominer : ainsi on trouve charnal, mortal, à côté de charnel, mortel ; champal (dans prés champaux), égal, journal, loyal, matinal, nasal, royal, ont supplanté les anciennes formes champel, journel, leel, matinel, nasel, reiel. Ménestrel, missel (anc. franç. messel) et mortel ont conservé leur ancien suffixe.

Certains adjectifs latins étaient devenus substantifs, comme canalis, sodalis, etc. Canalis a passé en français sous la forme chenel, puis chenal. Quant à cheptel, de capitale, joel (d'où joyau), de *jocale, noyel (d'où noyau), de *nucale, ils remontent à des neutres ayant passé déjà en latin populaire au rôle de substantifs. L'ancien français en possédait un plus grand nombre.

Dans poitrail, il y a eu substitution du suffixe ail au suffixe el, al des anciennes formes peitrel, peitral ; de même portail a remplacé portal (§ 62).

§ 91. -- Suffixes latins ELIS, ILIS.

Elis n'a rien donné en français : cruel ne correspond pas à crudelem, qui aurait donné crueil, mais à un type *crudalem.

Ilis n'a rien donné au masculin et au féminin, si ce n'est dans la langue savante (§ 242). Le neutre ile a donné fenile, fenil, et sur ce modèle ont été créés aisil (auj. essieu), faisil (auj. fraisil), fusil, outil, de types latins *axile, *facile, *focile (tirés de axem, facem, focum), *usetile, puis chartil pour charretil de charrette, chenil de chien, courtil de cour, coutil de coute, autre forme de couette, fournil de four.

Pour baril, l'étymologie en est inconnue.

Il faut distinguer ces dérivés en il de ile des dérivés en il de iculus déjà étudiés § 88.

§ 92. -- Suffixe latin ILIS.

Ilis, étant atone, n'a passé en français que dans des mots tirés directement du latin. Ilis a pu se développer en ilium, d'où eil, dans *mistilium, méteil.

§ 93. -- Suffixe latin BILIS.

Bilis s'ajoutait en latin à des radicaux de verbes : amabilis, flebilis, visibilis, volubilis ; quelquefois à des radicaux de substantifs : favorabilis, rationabilis. Dans ce dernier cas, le suffixe était abilis. Ce dernier suffixe s'est étendu considérablement à la fin de l'Empire, et, dans le latin populaire, il a absorbé les autres suffixes ibilis et ubilis.

Il y a pourtant quelques dérivés français en ible qui doivent être de formation mi-savante, puisque ibilis ne pouvait donner ible, et ils sont formés soit de substantifs : paisible de paix, pénible de peine ; soit le plus souvent du radical du présent de verbes : faisible de faire, lisible de lire, loisible de l'ancien verbe loisir, nuisible de nuire (12), traduisible de traduire. D'autres dérivés, assez nombreux, en ible sont des mots tout à fait savants et empruntés à des adjectifs latins en ibilis ou formés par analogie avec ces derniers (§ 242).

Quant aux dérivés en able, ils sont innombrables. La plupart sont formés de radicaux verbaux sans distinction de conjugaison : aimable, appréciable, contribuable, croyable, guérissable, haïssable, prenable, etc. D'autres, moins nombreux, sont formés de radicaux de substantifs : carrossable, charitable, corvéable, dommageable, équitable, mainmortable, pitoyable, risquable, sortable, véritable, viable.

Abilis exprimait en latin une possibilité active ou passive : formidabilis, qui peut être effrayé et qui peut effrayer ; favorabilis, qui peut être en faveur et qui peut mettre en faveur. L'ancien français a continué cette tradition, et les nouveaux adjectifs en able qu'il a créés pouvaient exprimer, dans les verbes transitifs, l'actif et le passif : accueillable, qui peut être accueilli ou qui peut accueillir ; agréable, qui peut être agréé ou qui peut agréer ; aidable, qui peut être aidé ou qui peut aider. De cet emploi du moyen âge la langue moderne a gardé : comptable, qui peut compter ; effroyable, qui peut effrayer ; épouvantable, qui peut épouvanter ; pitoyable, qui peut faire pitié ; redevable, qui peut redevoir ; secourable, qui peut secourir, et quelques autres. Ajoutons les mots de formation savante : délectable, qui peut délecter ; responsable, qui peut répondre ; solvable, qui peut payer. Les dérivés actuels en able de verbes transitifs expriment tous une possibilité passive : vendable, qui peut être vendu, etc. Dans les verbes intransitifs, le suffixe able indique et ne peut indiquer qu'une possibilité active : convenable, qui peut convenir ; périssable, qui peut périr ; serviable, qui peut servir ; valable, qui peut valoir ; alable dans préalable, qui peut aller devant. La signification du suffixe est légèrement modifiée dans certains intransitifs : une situation remédiable, à laquelle on peut remédier ; une affaire lamentable, sur laquelle on peut se lamenter ; jours ouvrables, pendant lesquels en peut ouvrer, travailler.

§ 94. -- Suffixe latin LIA.

Le suffixe lis (alis, elis, ilis) pouvait s'employer substantivement au pluriel neutre lia ; ce pluriel, dans le latin populaire, a été pris pour un féminin singulier (§ 544), de telle façon que la terminaison alia est devenue en français aille, la terminaison elia ou ilia, eille, et la terminaison ilia, ille. Il n'existe qu'un mot en eille : merveille de *meribilia (class. mirabilia) ; mais les suffixes aille, ille ont formé, en s'ajoutant aux radicaux de noms ou de verbes, beaucoup de substantifs féminins à signification collective.

§ 95. -- Suffixes latins ALIA, ILIA.

Alia, spécialement usité en latin pour désigner des noms de fêtes, formait aussi des collectifs : carnalia, fatalia, etc. C'est avec ce dernier sens qu'il a passé en roman sous la forme aille, qui, par sa signification collective, se distingue du suffixe aille de acula (§ 88, 1º). Les mots ainsi formés sont très nombreux : blocaille, bordaille, cassaille, couaille, futaille, grisaille, limaille, maraudaille, quincaille (anc. franç. clincaille), rocaille, etc. Certains dérivés ont conservé plus longtemps l'idée de pluralité par la forme du pluriel : accordailles, cisailles, épousailles, finançailles, funérailles, relevailles. A l'idée collective est venue se joindre peu à peu une idée péjorative qui semble s'accentuer de plus en plus : gueusaille, mangeaille, prêtraille, valetaille, etc.

Ilia a, lui aussi, donné beaucoup de dérivés : béquille, bobille, brandille, charmille, coquille, fondrilles, gradille, ormille, pacotille, pointille, ramille, vétille, voleïlle (auj. volaille), etc. Il est souvent très difficile de savoir si les dérivés en ille appartiennent à ce suffixe ilia ou au suffixe icula (§ 88, 2º). Les dérivés qui renferment une idée collective sont plutôt à ranger parmi les dérivés formés avec le suffixe ilia.

§ 96. -- Suffixe latin MEN.

Men, suffixe de substantifs neutres, se présente en latin sous les formes amen, imen, imen, umen, umen, suivant qu'il s'ajoute à des radicaux de verbes en a, en i, en i ou en u. Nous n'avons à étudier ici que les suffixes toniques amen, imen, umen.

Amen a donné en français des dérivés de verbes : couvain de couver, levain de lever, pelain, plain de peler ; des dérivés de substantifs : airain, aeramen ; funin, *funamen ; merrain, *materiamen ; douvain de douve ; anc. franç. loraim, *loramen (d'où lormier) ; graissin de graisse, ridain de ride. Dans un certain nombre de dérivés, la terminaison in a remplacé ain.

Imen a également donné des dérivés de verbes : nourrain (anc. franç. nourrin), nutrimen ; fretin de fret, frait ancien participe passé de fraindre, gratin de gratter, halin de haler ; des dérivés de noms : grésillin de grésil. Imen s'est soudé à un radical germanique dans (re)gain, dont la forme primitive est gaïm, guaïm ; il a pris la place de ina dans sain (premier élément de saindoux) de *sagimen (class. sagina), de iminum dans farcin de *farcimen (class. farciminum), de amen dans alevin de *allevimen (class. allevamen). A la même dérivation appartiennent sans doute arsin, crottin, revolin.

Umen paraît se trouver dans les verbes enchaussumer, tiré de *chaussum dérivé de chaux, et everdumer, tiré de *verdum. L'ancien français avait un certain nombre de mots en un, où ce suffixe a été remplacé par un autre : aubun devenu aubin, de albumen ; egrun devenu égrain, égrin, aigrin, de *acrumen ; tendrun devenu tendron, de *tenerumen.

§ 96 bis. -- Suffixe latin EMIA.

Ce suffixe apparaît dans deux mots latins : *blastemia pour blasphemia (d'après le grec <GR= blasphêmia>), anc. franç. blastenge ; vindemia, vendenge, écrits plus tard blastange, vendange. D'après ces mots ont été créés losange, louange, mélange, vidange.

§ 96 ter. -- Suffixe français IÈME.

Ce suffixe ième, qui est celui des noms de nombre dans centième, deuxième, etc., sera étudié § 577.

§ 97. -- Suffixe latin ANUS.

Anus formait en latin un très grand nombre d'adjectifs marquant l'appartenance : humanus, rusticanus, urbanus, etc., et des substantifs désignant l'habitant d'un pays : paganus, Romanus, ou une dignité : decanus.

Il a passé en français avec la forme ain, aine, et aussi, sous l'influence d'une palatale précédente, avec la forme ien, ienne : humanus humain, mais decanus doyen, paganus païen. Il a conservé aussi, la plupart du temps, le triple sens qu'il avait en latin d'appartenance, d'habitant et de dignité.

Mais dans l'ensemble des mots originaires du suffixe anus, il faut distinguer soigneusement les mots en ain des mots en ien de la langue moderne. Les mots en ain sont presque tous anciens et remontent soit à des mots latins, comme humain, mondain, romain, souverain, soit à des formations analogiques, comme aubain, *alibanum ; certain, *certanus ; lointain, *longitanus ; marraine, *matrana ; parrain, *patranus ; souterrain, *subterranus (class. subterraneus) ; vilain, *villanus ; acerain de acier, bedaine de boude, chapelain de chapelle, châtelain de château, forain de fors, hautain de haut.

Parmi les mots en ien, au contraire, les uns, et en petit nombre, sont anciens, comme doyen, païen, ancien de *anteianus ; les autres, et en nombre considérable, proviennent de ce que, avec le temps, ien, sorti par un accident phonétique de anus, a été considéré comme un suffixe nouveau, indépendant de son congénère ain, et a été utilisé pour former des adjectifs ou des substantifs : collégien, faubourien, prussien, rhétoricien, etc.

Dans gardien, ancien français gardenc (§ 142), il y a eu substitution de suffixe.

Sur aine, dans les noms de nombre comme dizaine, huitaine, voir § 99.

§ 98. -- Suffixe germanique AIN.

Ain dans écrivain n'a point la même origine que dans les mots précédents. Ici ain représente sans doute une terminaison d'accusatif germanique : à l'époque barbare, le latin scriba faisait au cas régime scribane, d'où écrivain. C'est cette même terminaison que l'on retrouve dans nonnain, putain (§ 533).

§ 99. -- Suffixe latin ENUS.

Enus a passé dans un très petit nombre de mots comme serenus, serein (adj.), et *serenum de serum, serein (subst.). Il aurait dû servir, comme dans d'autres langues romanes, à former des noms de nombre ; mais en français enus a été supplanté par anus. On est parti de centain, et l'on a adapté de bonne heure la terminaison à dix : dizain ; de là on l'a ajoutée aux autres noms de nombre : quatrain, huitain, etc.

§ 100. -- Suffixe latin INUS.

Inus formait en latin des adjectifs désignant la manière ou l'origine ; il en est de même en français de in : chevalin, enfantin, gouin, sauvagin ; alexandrin, alpin, flandrin, etc. De plus, inus dans le roman a remplacé eus pour former des adjectifs de matière ; l'ancien français en possédait un grand nombre ; la langue moderne en a quelques-uns : aimantin, argentin, blondin, etc.

Mais ce sont surtout des substantifs qu'a formés le suffixe in. Un grand nombre d'adjectifs latins en inus étaient passés en français à l'état de substantifs, comme consobrinus cousin, matutinus matin, etc. Il y a eu un grand nombre de formations nouvelles désignant des personnes, des objets ou des idées abstraites, et tirées de radicaux latins ou étrangers : agassin, belin, brassin, casaquin, chevrotin, gorgerin, harpin, trottin, etc. Dans butin et jardin, il faut sans doute voir une provenance germanique non seulement pour le radical, mais aussi pour la terminaison.

Ce suffixe a, en outre, une action diminutive qui résulte de l'idée primitive d'origine ou de descendance qu'il exprimait, comme dans amitinus, libertinus, sororinus : or le plus jeune arrive facilement à être considéré comme le plus petit. De là le sens diminutif que inus a pris en bas latin dans des mots comme casina, vallina, et en français dans des adjectifs comme blondin, et des substantifs comme oursin, turbotin. La signification diminutive aboutit naturellement à la signification péjorative : de là : calotin, galantin, plaisantin, etc.

La forme féminine ina ne servait pas seulement en latin à former des adjectifs ; elle a donné nombre de substantifs tirés soit de radicaux de verbes : coquina, ruina, soit de radicaux de noms : collina, radicina. En français, on n'a guère que des dérivés de radicaux de noms : archine (cintre), bâtine, capucine, famine, vermine, etc. Dans babine, bruine, haine (anc. franç. haïne), saisine, on a affaire à des radicaux germaniques.

Ce suffixe s'est extraordinairement développé dans la langue mi-savante, mi-populaire de l'industrie, qui, par l'adjonction de ine à des mots populaires comme amande, brillant, violette, désigne toutes sortes de produits : amandine, brillantine, violettine. C'est ainsi que la signification diminutive dans bottine, chaumine, narine, ou abstraite dans haine, saisine, a fait place à la signification de produit quelconque, et même à la signification spéciale d'étoffe dans lustrine, percaline, etc. Mais, dans la plupart des formations nouvelles de ce genre, le suffixe ine est adjoint à un mot savant latin ou grec ou à un mot étranger, ce qui fait que cette dérivation fait plus partie de la dérivation savante que de la dérivation populaire (§ 245).

§ 101. -- Suffixe latin UNUS.

Unus formait en latin des adjectifs de sens divers ; en roman, il s'est spécialisé pour désigner des animaux. C'est à ce titre que nous le trouvons dans le français bécune ; mais bécune ne remonte pas directement au latin vulgaire ; c'est un emprunt de l'espagnol becuna.

§ 102. -- Suffixe latin UDO, UDINIS.

Udo, udinis donnait en latin des substantifs : consuetudine devenu costudne, et, par changement de suffixe, costumne, costume, coustume, coutume. Ainsi le suffixe udine s'est confondu avec le suffixe umine, français ume. Sur ce modèle ont été formés amertume de *amaritumine pour amaritudine, enclume de *inclumine pour *includine, qui est lui-même une altération du classique include.

§ 103. -- Suffixe latin AGO, AGINIS.

Ago, aginis donnait en latin des substantifs et était spécialement appliqué aux noms de choses végétales ; de là plantagine plantain, propagine provain, plus tard provin. Sur ce modèle on a créé *fusagine fusain, *perpagine parpaing.

§ 104. -- Suffixe latin O, ONIS.

O, onis, en latin, désignait le plus souvent des personnes agissantes et des animaux, plus rarement des choses. Il a passé en français sous la forme on avec ces trois acceptions et a servi à un grand nombre de formations nouvelles.

Les nouveaux noms de personnes sont peu nombreux : baleinon, brouillon, bûcheron, charron, charton, forgeron, souillon, vigneron, etc.

Les mots en on désignant des animaux se présentent au contraire en très grand nombre : barbichon, bécasson, chaton, cochon, dindon, griffon, liron, oison, plongeon, etc.

Mais c'est surtout pour les noms de choses que ce suffixe s'est développé d'une façon extraordinaire ; ici les créations sont innombrables : aiguillon, bâillon, ballon, barillon, bêchon, bedon, cabanon, fleuron, etc., et, dans ces formations, le suffixe s'attache à des radicaux tantôt de verbes, tantôt de noms, créant ainsi soit des dérivés abstraits, soit le plus souvent des dérivés concrets.

Beaucoup de ces dérivés ont une valeur diminutive, et elle est surtout apparente dans certains noms d'animaux, comme aiglon, ânon, chaton, faon, liron, ourson, raton. De l'idée diminutive découle aussi une idée péjorative dans brouillon, fripon, grognon, marmiton, souillon, etc.

Il faut remarquer que le suffixe on, dans les langues romanes autres que le français et le provençal, a le sens augmentatif ; c'est ce sens que l'on voit dans des mots empruntés à l'italien ou à l'espagnol, comme ballon (anc. franç. balle, mais influencé par l'ital. pallone), caisson, canton, fanfaron, toron, etc. Les deux significations contradictoires se rencontrent dans carafon, qui, comme dérivé de carafe, signifie " petite carafe ", et comme transcription de l'italien caraffone signifie " grande carafe ".

§ 105. -- Suffixes français ERON, ETON, ICHON.

Dans certains dérivés en on, l'idée diminutive s'accentue par l'intercalation de syllabes entre le radical et le suffixe (§ 63).

Er s'intercale dans aileron, chaperon, cotteron, flotteron, fumeron, laideron, laiteron, lamperon, liseron, moucheron, mousseron, napperon, paleron, puceron, etc. Sur l'origine de cette intercalation, voir § 63 (13).

Et s'intercale dans banneton, caneton, culeton, hanneton, panneton, etc. (14).

Ich s'intercale dans alichon, cadichon, cornichon, folichon, gonichon, etc.

§ 106. -- Suffixe latin IO, IONIS.

Io, ionis, suffixe fréquent en latin, formait, en s'ajoutant à des radicaux de substantifs, des substantifs désignant en général des personnes : ardelio, aulio, laternio, litterio, susurrio, tabellio, ventrio, etc. Le latin populaire a développé cette formation pour créer des substantifs concrets tantôt exprimant une fonction : *campionem, champion, tantôt exprimant une idée diminutive : *arcionem, arçon ; *grillionem, grillon ; *piscionem, poisson ; *truncionem, tronçon. Comme on le voit, dans certains cas i a été absorbé par la consonne précédente : arçon, poisson, *catenionem chignon, *campinionem champignon, *salinionem salignon ; dans d'autres, il conserve sa valeur syllabique : champion. D'après champion ont été formés cornion de corne, croupion de croupe, fanion du radical de fanon, gavion de l'ancien français gave.

§ 107. -- Suffixes français IÇON, ILLON.

Remarquons pour ion l'intercalation de syllabes entre le radical et le suffixe (§ 63) : de dans hameçon comparé à haim ; de ill dans ardillon, boquillon, bouvillon, cendrillon, chambrillon, goupillon, grappillon, moinillon, négrillon, postillon, raidillon, toupillon, tourillon, trompillon, vermillon, etc.

§ 108. -- Suffixe latin TIO, TIONIS, SIO, SIONIS.

Tio, sio s'ajoutait en latin au supin des verbes et donnait des noms avec sens abstrait. Celui-ci peut passer au sens concret : natio, action de naître, devient nation ; mansio, action de séjourner, devient séjour. Le français va plus loin : potio y devient ce que l'on boit, ligatio ce qui sert à lier.

Outre les nombreux mots qu'il a pris au latin, comme orationem oraison, fusionem (class. fusionem) foison, prensionem (class. prehensionem) prison, le français avait créé un grand nombre de mots nouveaux qui, suivant les conjugaisons, devaient se répartir en mots en aison, mots en ison et mots en oison. Mais, la dérivation de la Ire conjugaison étant la plus abondante, aison a absorbé les dérivés des deux autres terminaisons (§ 61) : de là pendaison de pendre, tondaison de tondre, cueillaison de cueillir, formés d'après avalaison, calaison, combinaison, comparaison, conjugaison, couvaison, déclinaison, fanaison, fauchaison, fenaison, flottaison, harangaison, livraison, oraison, ouvraison, paraison, etc. Pâmoison à côté du verbe pâmer nous présente une forme dialectale. Garnison, guérison et trahison sont réguliers d'après garnir, guérir et trahir. Ce suffixe s'ajoutait encore aux substantifs : cervaison de cerf, lunaison de lune (à l'imitation du bas lat. lunatio), olivaison de olive, porchaison de porc, etc.

Ce suffixe, si riche en ancien français, est aujourd'hui totalement éteint ; il a disparu devant le suffixe savant ation (§ 247), et même un certain nombre de mots en aison ont changé leur terminaison en ation : tel dérivaison, remplacé par dérivation.

§ 109. -- Suffixes latins ANEUS, INEUS, ONEUS.

Aneus, ineus, oneus, suffixes d'adjectifs en latin, ont peu produit en français. Du premier il faut citer, à côté de l'adjectif étrange, et des substantifs campagne, montagne, tirés directement du latin, un substantif nouveau, barange de barrer (cf. le provenç. baranha). Ineus n'a rien donné. Oneus a donné un type *ebrionia, ivrogne, qui en ancien français était féminin et signifiait ivresse, avant de devenir adjectif (15).

§ 110. -- Suffixe latin OR, ORIS.

Or, oris formait en latin des noms abstraits, surtout à l'aide de radicaux de verbes : ardor, languor, pallor, splendor ; rarement à l'aide de radicaux d'adjectifs : albor, claror. En français, le procédé est inverse : peu de formations nouvelles sont tirées de radicaux verbaux, et elles ont d'ailleurs disparu, comme esfreor du verbe esfreer, avec lequel a été confondu freor, aujourd'hui frayeur, de fragorem, etc. La plupart des mots nouveaux ont été tirés d'adjectifs : blancheur, douceur, fraîcheur, grosseur, laideur, longueur, raideur, souleur, tiédeur, etc. ; quelquefois de verbes, comme senteur, touffeur, qui paraît être pour étouffeur, de étouffer ; et même de participes présents : écuanteur, pesanteur.

Pour le genre des mots en eur, voir § 552.

§ 111. -- Suffixe latin URA.

Ura formait des substantifs abstraits en s'ajoutant au radical du participe passé : morsura, pictura, etc. Ce suffixe a été utilisé de deux façons : ou bien il a gardé sa forme ura, franç. ure, et s'est ajouté soit à des participes passés : confiture, couverture, friture, teinture, etc., soit à des adjectifs : froidure, ordure (anc. franç. ord), verdure, etc. ; ou bien, sous l'influence des verbes de la Ire conjugaison (§ 61), il s'est transformé en un suffixe atura, franç. edure, eüre, eure, ure, qui s'est adapté au radical surtout de verbes de la Ire conjugaison : ajusture, allure, bavure, cambrure, carrure, déchirure, nouure, etc., et aussi exceptionnellement de verbes d'autres conjugaisons : bouffissure, flétrissure, moisissure, ternissure ; -- batture, etc. Sous cette seconde forme, il s'est adapté à des radicaux de substantifs, et, dans ce cas, il présente souvent un sens collectif : cadrannure, carature, chevelure, ferrure, feuillure, mâture, portraiture, ramure, etc.

Fermeture, à côté de fermure, a été créé d'après ouverture. Fermeture, de son côté, a provoqué boucheture. Nourriture (anc. franç. nourreture) est une forme savante tirée de nutritura et qui a entraîné garniture et pourriture.

§ 112. -- Suffixe latin TOR, TORIS, SOR, SORIS.

Tor, sor, s'ajoutaient, eux aussi, en latin au radical du participe passé et formaient des noms d'agents : factor, lector, messor, etc. Suivant que les mots de formation nouvelle étaient tirés de radicaux de la Ire, de la IIe ou de la IIIe conjugaison (§ 532), le suffixe eut en ancien français une forme différente au cas sujet, mais une forme unique au cas régime : edour. De là, quand le cas sujet eut disparu, ce suffixe si fécond edour, eeur, eur, qui a formé et forme encore un si grand nombre de noms d'agents. Il en est même arrivé à se rendre indépendant du radical verbal auquel il était originairement attaché, et à posséder si bien, sans lui, la valeur du nom d'agent, qu'il s'ajoute directement à des radicaux de noms : chronique chroniqueur, farce farceur, etc.

Le féminin du suffixe tor était trix : imperator imperatrix. Trix, tricem, devrait donner riz ; c'est ainsi qu'en ancien français empereor fait au féminin empereriz. De très bonne heure ce suffixe riz fut remplacé par le suffixe resse (§ 129), qui formait une foule d'autres substantifs féminins et que l'on ajouta à la terminaison du masculin eur, devenue er, étant atone : chanteur chanteresse, trouveur trouveresse, etc. Au XVe siècle, l'r finale s'étant amuïe dans les noms d'agents en eur, la plupart se confondirent avec les mots en eux, formés avec le suffixe osus, et, par suite, ils prirent de même le féminin euse : blanchisseur blanchisseuse, trompeur trompeuse. L'ancien féminin eresse n'a subsisté que pour quelques mots : bailleresse, chasseresse, défenderesse, devineresse, enchanteresse, pécheresse, vengeresse (§ 568).

Dans la langue moderne, eur, euse a pris une signification nouvelle : par une sorte de personnification, il désigne des objets et devient un substitut imagé de oir, oire (§ 113) : un condenseur, un diviseur, un numéroteur, etc. De même au féminin, par ellipse de machine, on dit : une balayeuse, une batteuse, une couveuse, une faucheuse, etc.

§ 113. -- Suffixe latin ORIUS.

Orius (torius, sorius), comme les précédents suffixes, s'ajoutait en latin au radical du participe passé : adventorius, amatorius, formant ainsi des adjectifs verbaux. Il n'est plus utilisé par le français pour former des adjectifs, sauf dans la langue savante (§ 249).

Mais déjà en latin d'une part le neutre formait des substantifs indiquant soit l'endroit où se fait l'action : auguratorium, cenatorium, deambulatorium, etc., soit un instrument : cisorium, olfactorium, scriptorium, etc. D'autre part, le féminin, lui aussi, servit quelquefois à former des substantifs désignant l'instrument : messoria, natatoria, versoria, etc. Ces deux procédés de formation ont passé en ancien français ; mais, dans les mots nouveaux, le suffixe se présente la plupart du temps sous la forme edoir, eoir, oir, emprunté à la Ire conjugaison, qui s'adjoint au radical de n'importe quelle conjugaison (§ 61) : on a ainsi pour le masculin des noms d'endroits : abattoir, abreuvoir, accotoir, boudoir, butoir, etc. ; des noms d'instruments : affiloir, arrachoir, arrosoir, brunissoir, fondoir, tendoir, etc. Abusivement, oir s'ajoute à des noms : bougeoir, drageoir, peignoir (étui à peigne, trousse). La forme du féminin semble spécialement réservée pour les noms d'instruments : affiloire, attrapoire, avaloire, baignoire, bassinoire, couloire, rôtissoire, etc.

Boutoi, cochoi, rivoi, tentoi, etc., sont des formes ou l'r s'est amuïe.

§ 114. -- Suffixe latin ARIS.

Aris formait en latin des adjectifs : familiaris, popularis, vulgaris, dont un seul a passé en français, mais pris substantivement, l'ancien français sangler. Are formait aussi des substantifs neutres : altare, collare, cochlear, etc. Le gallo-roman a créé quelques dérivés nouveaux, qui d'adjectifs sont devenus plus tard substantifs : *bacalarem, bacheler ; *bucularem, boucler (écu) ; pilarem, piler ; scolarem, escoler ; *sotularem, souler. A la fin du moyen âge, ce suffixe er s'est confondu avec le suffixe ier (§ 115), de là bachelier, bouclier, écolier, pilier, sanglier, soulier.

§ 115. -- Suffixe latin ARIUS.

Arius formait en latin des adjectifs : adversarius, contrarius, et, en particulier, quand il était joint à un radical de substantif, des adjectifs désignant des personnes agissantes, et, par suite, devenant facilement substantifs : argentarius, ballistarius, calceolarius, vinarius, etc. Il est passé en français avec ce double emploi sous la forme ier, réduite à er dans la prononciation lorsque le radical est terminé par ch, g, dans l'orthographe le plus souvent quand il est terminé par l mouillée, n mouillée (§ 307). Pourtant nous avons encore épongier, pistachier, sergier ; le premier créé par la Fontaine, le second qui date du XVIIe siècle et dont l'orthographe était incertaine, puisque Cotgrave le note pistacher ; de même serger a été remplacé par sergier. Blatier de blé, courtier pour couratier, puisatier de puits, présentent l'intercalation d'un suffixe at (§§ 63 et 131).

Pour les adjectifs, le radical est tantôt tiré d'un adjectif : journalier, tantôt d'un substantif : buissonnier, chicanier ; tantôt d'un adverbe : devancier. Toutefois la langue actuelle est plus réservée que l'ancienne langue dans la création de nouveaux adjectifs ; elle n'en tire plus, par exemple, de substantifs abstraits, comme droiturier, justicier, mensonger, etc. A la série des adjectifs appartiennent, quoiqu'ils soient devenus substantifs, les nombreux noms d'arbres fruitiers comme abricotier, cerisier, prunier, etc.

Les substantifs désignant des personnes agissantes sont dérivés de substantifs : barbier, chevalier, cordonnier, coutelier, matelassier, etc., et les formations de ce genre sont innombrables et incessantes.

Arium, neutre de arius, formait en latin de nombreux substantifs désignant le lieu où est contenu le primitif : apiarium, aquarium, columbarium, viridarium. C'est cet arium qu'il faut reconnaître dans la terminaison ier de bénitier, bourbier, cendrier, encrier, herbier, médaillier, poussier, etc., qui tous désignent soit un endroit, soit un objet contenant ce qu'indique le radical.

Aria, féminin de arius, avait le même sens quand il était adjoint à un radical de substantif concret, avec ellipse d'un substantif désignant l'endroit dans lequel se fabriquait ou se travaillait la matière indiquée par le radical : argentaria, calcaria, calcearia, etc. C'est là l'origine du suffixe féminin ière, qui a pris un si grand développement en français, où il a considérablement élargi son emploi et désigne le plus souvent le contenant : aumônière, bonbonnière, cafetière, canardière, gouttière, houblonnière, sablonnière, etc.

§ 116. -- Suffixe latin OSUS.

Osus s'unissait en latin surtout à des radicaux de substantifs pour former des adjectifs exprimant une qualité ou une possession : famosus, gibbosus, gloriosus, ingeniosus, etc., plus rarement à des radicaux d'adjectifs : aquilosus, ebriosus, falsosus. Ce suffixe, d'une fécondité inépuisable, a donné en français un nombre considérable de dérivés nouveaux, tirés soit de substantifs : aluneux, baveux, boueux, haineux, etc. ; soit de verbes : boiteux, chatouilleux, convoiteux, fâcheux, etc.

Pelouse est une forme dialectale pour peleuse, et velours est une corruption de veloux, forme méridionale pour veleux.

§ 117. -- Suffixe latin ATUS.

Atus s'unissait en latin à des substantifs désignant des emplois, des dignités : consulatus, episcopatus, magistratus. Il a passé en français dans archevêché, archiprêtré, comté, doyenné, duché, évêché, vicomté, vidamé, etc.

Le genre féminin de comté dans Franche-Comté, et de vicomté est dû à une confusion entre le suffixe é de atus, masculin, et l'ancien suffixe de itatem, féminin (§§ 122 et 552).

§ 118. -- Suffixes latins ATUS, ITUS, UTUS.

Atus, itus, utus, terminaisons de participes, avaient fini en latin par s'ajouter directement à des radicaux de substantifs et former ainsi des adjectifs marquant la possession : barbatus, pellitus, cornutus.

Atus sous la forme é et utus sous la forme u ont donné et donnent encore beaucoup en français : absinthé, ardoisé, bagué, carabiné, diadémé, etc. ; bossu, bourru, charnu, chevelu, crépu, crochu, fanu, feuillu, grenu, joufflu, etc. (16). Il y a même entre ces deux suffixes é et u coexistence pour les dérivés d'un même substantif, le suffixe u indiquant en effet une possession plus caractérisée que le suffixe é ; ainsi, feuillé signifie qui a des feuilles, feuillu qui a beaucoup de feuilles ; de même membré, membru ; râblé, râblu ; dans certains cas, les deux terminaisons sont synonymes : mafflé, mafflu ; mais, en général, alors même que la forme en é n'a jamais existé ou a disparu, les mots en u indiquent la possession d'une façon plus accentuée que les mots en é.

Itus n'a guère passé dans les langues romanes ; mentionnons toutefois cabri, emprunté du provençal. Signalons aussi la forme en ude des mots étrangers, comme battude.

§ 119. -- Suffixe latin ATA.

Ata, comme atus, mais en roman seulement, a dépouillé sa valeur participiale pour devenir un suffixe de substantifs féminins et s'adjoindre avec ce rôle à des radicaux de noms. Les dérivés de ce genre sont nombreux, tantôt ajoutant à l'idée du radical : gerbée, jonchée, tablée ; tantôt désignant ce que contient ou porte le primitif : ânée, année, assiettée, bouchée, brassée, charretée, chaudronnée, journée, nichée, nuitée, panerée, peignée ; tantôt ce que produit le primitif : araignée (toile d'araigne), arbalétée, archée, dentée, etc. ; tantôt enfin une action exercée sur le primitif : fessée, jouée (coup sur la joue en anc. franç.).

A côté de ata, il semble que le latin populaire ait employé aussi ita substantivement : chalemie et toupie supposent peut-être des types comme *calamita et *toppita.

§ 120. -- Suffixe français ADE.

A ce même suffixe ata se rattache le suffixe ade, que le français a emprunté des langues du Midi où le latin ata s'était transformé en ada (17). Un certain nombre de mots italiens, provençaux et espagnols étant entrés pourvus de ce suffixe dans la langue, celle-ci, par imitation, l'a ajouté à un grand nombre de radicaux : baignade, ballottade, bourrade, croisade, dindonnade, échappade, galopade, glissade, griffade, noyade, œillade, onglade, reculade, régalade, salade, tirade, etc.

§ 121. -- Suffixe latin ETUM.

Etum, suffixe neutre collectif, désignait en latin un endroit abondant généralement en arbres ou plantes : arboretum, lauretum, rosetum ; le pluriel eta avait le même sens. Il a passé en français au singulier sous la forme eid, ei, oi, ai, au pluriel sous la forme féminine eide, eie, oie, aie. La langue moderne n'a guère conservé que la forme féminine ; la forme masculine est restée dans des noms propres de lieux et quelques noms communs comme gravois, dont l'ancienne forme est gravoi, et écofrai, écofroi ; quant aux mots en aie, ils sont très nombreux : aunaie, boulaie, cannaie, cerisaie, châtaigneraie, futaie, etc.

§ 122. -- Suffixe latin TAS, TATIS.

Tas, tatis, formait très fréquemment dans le latin de la décadence des noms abstraits : animalitas, limpiditas, miserabilitas. De là trois formes en ancien français : l'une en venant de itatem : sanctitatem, saintedet, sainteet, sainteé ; une seconde en venant de ietatem : medietatem, meitiet, moitié ; une troisième en venant de tatem : bon(i)tatem, bontet, bonté.

De ces trois formes, n'a persisté que dans amitié (et inimitié formé sur amitié), moitié, pitié ; eé, qui a formé quelques dérivés nouveaux à l'époque primitive de la langue, comme comteé, ducheé, quiteé, etc., s'est confondu avec é de atus (§ 117). Quant à té, il a persisté et a formé régulièrement à l'origine un certain nombre de dérivés tirés d'adjectifs : cher cherté, fier ferté fierté, loyal loyauté, papal papauté, royal royauté. D'après ces trois derniers mots a été imaginé un suffixe auté que l'on trouve dans amirauté, primauté, principauté, privauté. De plus, poverté, sous l'influence de povre, était devenu povreté, et aussi sauvetet, sauveté, dès l'origine de la langue, se trouve en concurrence avec sautet, sauté ; aspretet, de bonne heure, a supplanté aspertet ; de là on en vint à considérer la forme féminine de l'adjectif comme la seule propre à recevoir le suffixe té : brièveté, dureté, gracieuseté, grièveté, grossièreté, impureté, naïveté, oisiveté, tardiveté, etc., où nous voyons l'adjectif sous sa forme féminine ; c'est ainsi que les anciennes formes durté, netée, purté, sainteé, surté furent peu à peu remplacées, dès le XIIIe siècle, par dureté, netteté, pureté, sainteté, sûreté.

Dans la langue actuelle, le suffixe savant ité (§ 255) a remplacé, pour la formation de mots nouveaux, le suffixe eté ; il a même altéré des mots anciens : verté est devenu vérité ; aguëté est devenu, sous une double influence, aguité, puis acuité. Comparez aussi l'ancienne forme amableté à amabilité.

§ 123. -- Suffixes latins ATIUS, ITIUS, UTIUS.

Pour les renvois à ce numéro, voir §§ 81, 82, 83.

§ 124. -- Suffixe latin ITIA.

Itia formait en latin, avec des radicaux d'adjectifs, des noms abstraits : avaritia, lætitia. Itia aurait dû aboutir phonétiquement à eise, oise (§ 315), mais il a reçu une double forme, encore imparfaitement expliquée, de esse et de ise.

Les dérivés en esse, comme allégresse, bassesse, délicatesse, finesse, gentillesse, etc., expriment une idée abstraite ; dans l'ancienne langue, au contraire, esse s'appliquait aussi bien aux idées concrètes qu'aux idées morales ; on disait amplesse, grandesse, hautesse, etc., pour désigner des objets amples, hauts, grands, etc. Le suffixe eur a remplacé le suffixe esse dans ce sens (§ 110). Pourtant grossesse et hautesse ont conservé leur sens concret dans des acceptions spéciales ; ivresse, sécheresse, ont gardé le sens ancien ; dans jeunesse, vieillesse, l'image matérielle est à peine visible.

Les dérivés en ise n'ont pas pris une acception aussi spéciale : tantôt, comme dans cagnardise, marchandise, ise s'applique à des objets matériels ; tantôt, comme dans fainéantise, gourmandise, sottise, traîtrise, il désigne des qualités morales ; tantôt, comme dans maîtrise, prêtrise, il désigne des dignités. De plus, le radical, au lieu d'être régulièrement un adjectif, comme pour les dérivés en esse, peut être aussi un substantif : maîtrise, prêtrise ; un verbe : convoitise, hantise. De là le caractère moins tranché que présente cette dérivation.

§ 125. -- Suffixe latin IVUS.

Ivus formait en latin des adjectifs, spécialement avec des radicaux de participes passés : captivus, nativus. Il a passé en français sous la forme if, ive, qui s'adjoint indistinctement à des radicaux de verbes, de substantifs et d'adjectifs : défensif, fautif, maladif, pensif, poussif, tardif, etc.

Dans le cours de la langue, if a souvent remplacé is : massif, plumitif, poncif, anc franç. massis, plumetis, poncis ; ou eux : oisif, anc. franç. oiseus (§ 62).

Le suffixe if a été extraordinairement développé par la formation savante (§ 257).

III. -- DÉRIVATIONS AVEC CONSONNE DOUBLE

§ 126. -- Suffixe latin ELLUS (substantifs).

Ellus, suffixe diminutif, s'ajoutait en latin à des radicaux de substantifs : agnus agnellus. Il a passé en français sous la forme el, eau, et y a pris un grand développement ; mais ce développement a eu pour résultat d'atténuer la valeur diminutive, qui dans bien des cas a totalement disparu.

Tantôt, le simple n'existant plus, le dérivé en eau en a pris la place dans le français : bouleau (anc. franç. boul), corbeau (anc. franç. corp), rameau (anc. franç. raim), taureau (anc. franç. tor). Cette substitution s'était déjà opérée dans le latin populaire pour agneau, château, étourneau, linteau, manteau, râteau, etc. (18).

Tantôt le simple et le dérivé coexistent, mais chacun avec une acception différente, qui a cessé d'être diminutive pour le dérivé : bande bandeau, cercle cerceau, chape chapeau, four fourneau, front fronteau, moine moineau, nez naseau, plat plateau, pomme pommeau, tombe tombeau, etc.

Tantôt le suffixe garde sa valeur diminutive : cordeau, cordelle, jambonneau, pruneau, prunelle, rondelle ; en particulier pour les noms d'animaux : baleineau, bécasseau, carpeau, chevreau, paonneau, pigeonneau, serpenteau, etc. Quelques-uns de ces diminutifs renforcent le suffixe d'une r : lapereau, passerelle, poétereau, tombereau (§ 63).

Enfin, dans certains de ces dérivés, tirés de radicaux de verbes, le suffixe sert à désigner l'instrument : cerneau, copeau (pour coupeau), cureau, gratteau, traîneau, etc.

§ 126 bis. -- Suffixe français (d'origine espagnole) ILLE.

Il faut citer ici les mots cantatille, pastille, résille, qui, sous l'influence du suffixe espagnol illa (correspondant au latin ella), ont pris la terminaison ille, qu'il ne faut pas confondre avec le suffixe ille de icula (§ 88).

§ 127. -- Suffixe latin ELLUS (adjectifs).

Ellus s'ajoutait en latin aussi à des radicaux d'adjectifs : misellus, novellus. L'ancien français a connu ce procédé de dérivation : blond blondel, fauve fauvel, noir noirel, roux roussel, etc. Ces diminutifs ont disparu ou plutôt sont restés à l'état de noms propres. On peut citer comme dérivés du même genre prêle pour âprelle, dérivé de âpre, et blavelle, tiré de bleu d'après une forme dialectale blau, blave.

§ 128. -- Suffixe latin CELLUS.

Cellus, suffixe diminutif peu développé en latin, a pris de l'extension en roman, parce qu'il était accentué et moins sujet à perdre sa signification. Aussi cellus a-t-il remplacé culus (§ 88) dans beaucoup de mots : leonculus leoncellus, lionceau ; monticulus monticellus, monceau ; navicula navicella, nacelle. De là des dérivés formés très anciennement, comme arbrisseau, damoiseau, jouvenceau, panonceau, ponceau, puceau, pucelle, rainceau, ruisseau, souriceau, vermisseau, etc.

§ 129. -- Suffixe gréco-latin ISSA.

Issa, suffixe probablement d'origine grecque, a pénétré dans le parler populaire par le latin de l'Église ; on le rencontre surtout dans les écrits chrétiens : abbatissa, diaconissa, decanissa, fratrissa, etc. Devenu esse, il sert à former le féminin de noms de personnes : chanoinesse, déesse, diablesse, dogesse, drôlesse, duchesse, maîtresse, mulâtresse, négresse, pairesse, papesse, patronnesse, princesse, etc., et s'est étendu aux noms d'animaux : ânesse, lionnesse, tigresse. Nous avons vu § 112 comment ce suffixe esse avait été substitué à la terminaison iz du suffixe riz au féminin des noms en eur.

§ 130. -- Suffixe latin ITTA.

Itta, dans le latin des inscriptions, était spécialement employé pour former des diminutifs de noms de femmes : Attitta, Bonitta, Caritta, etc. Avec le cours du temps, ce suffixe est passé des noms propres aux noms communs et s'est étendu au masculin aussi bien qu'au féminin. En outre, il semble que peu à peu d'autres voyelles aient pu concourir à donner des variantes de ce suffixe ; de là : attus, ittus, ittus (ettus), ottus, d'où en français at, it, et, ot que nous étudions dans les paragraphes qui suivent.

§ 131. -- Suffixe français AT.

At se rencontre dans des noms d'animaux comme corbillat, cornillat, louvat, verrat. En dehors des noms d'animaux, citons crachat, cuffat, gravats, pissat. Pour certains de ces mots, l'orthographe est incertaine ; pour verrat, le sens diminutif a disparu par suite de la disparition du simple. C'est le même suffixe qu'il faut reconnaître dans goujat, d'origine provençale, et peut-être dans blatier, puisatier (§§ 63 et 115).

§ 132. -- Suffixe français IT.

It a formé probablement petit, d'étymologie obscure, qui fait supposer un type *pittittum.

§ 133. -- Suffixe français ET (substantifs).

Et, qui remonte à ittus prononcé de bonne heure ettus, a donné d'innombrables substantifs, qui ont été d'abord et sont encore pour la plupart des diminutifs : broche brochette, cane canette, coq cochet, fourche fourchette, maison maisonnette, noue nouette, poule poulette, sac sachet, etc. La signification diminutive a disparu, soit que le dérivé ait pris une signification spéciale à côté de celle du primitif : casque casquette, couple couplet, double doublet, face facette, livre livret ; soit aussi que le primitif ait cessé de vivre : alouette (anc. franç. aloue), loquet (anc. franç. loc), navet (anc. franç. nef), paltoquet (anc. franç. paletoc), sommet (anc. franç. som), etc. Souvent aussi le suffixe paraît s'ajouter au radical d'un verbe, et alors il exprime autant l'idée d'un instrument que celle d'un diminutif : allumette, claquet, claquette, devinette, foret, jouet, lorgnette, mouchette, nichet, nouet, sonnette, etc. (19).

§ 134. -- Suffixe français LET (substantifs).

Le suffixe et se fait parfois renforcer d'une l (§ 63) et forme des substantifs : barbelet, bracelet, dentelet, gouttelette, noulet, odelette, osselet, etc.

§ 135. -- Suffixe français ET ou LET (adjectifs).

Le suffixe et ou let sert aussi à former des adjectifs : aigrelet, brunet, doucet, grandelet, jaunet, mollet, etc.

§ 136. -- Suffixe français OT.

Le suffixe ot est resté diminutif dans fiévrot, îlot.

IV. -- DÉRIVATIONS AVEC UN GROUPE DE CONSONNES.

§ 137. -- Suffixe latin IGNUS.

Ignus, qui se trouve dans le latin benignus, bénin, etc., ne paraît pas avoir servi à de nouvelles formations.

§ 138. -- Suffixe germanique LD.

Ld se trouve dans la racine germanique wald, de waldan, " gouverner ", qui a servi à former une foule de noms propres d'hommes : Rainald, Renaud, etc. Des noms propres, cette désinence ald, aud, est passée aux noms communs, avec des radicaux soit germaniques, soit non germaniques, et souvent avec un sens péjoratif : clabaud, courtaud, finaud, grimaud, lourdaud, maraud, moricaud, noiraud, penaud, ribaud, salaud, trigaut ; peut-être aussi faut-il la reconnaître dans les noms féminins : baguenaude, chiquenaude, gringuenaude. Ald a servi aussi à former quelques noms d'animaux : crapaud, levraud, pataud. Dans beaucoup de mots, comme cabillaud, touchaud, etc., l'orthographe a introduit par analogie un d, bien que la suffixe ald n'y soit pour rien (§ 62).

§ 139. -- Suffixe latin INQUUS.

Inquus, qui se trouve dans le latin propinquus, n'a point passé en français.

§ 140. -- Suffixes latins ANDUS, ENDUS.

Nd se trouve dans les terminaisons de participes futurs latins andus, endus, dont le pluriel neutre s'est substantifié : bibenda buvande, offerenda offrande, præbenda provende, vivenda viande. De là des mots comme filandre (pour filande), foirande, jurande, etc. De là aussi les dérivations secondaires en andier et anderie, terminaisons qui, comme les précédentes, s'ajoutent à des radicaux de verbes : buandier, buanderie, curandier, ferrandier, lavandière, taillandier, taillanderie, etc. Dans marchand, andus semble s'être substitué à antem.

§ 141. -- Suffixe latin BUNDUS.

Bundus, qui se trouve dans le latin vagabundus, vagabond, etc., n'a point passé en français.

§ 142. -- Suffixe germanique NG.

Ng, suffixe d'origine germanique, a donné en français un certain nombre de dérivés, que l'on peut diviser en deux séries :

1º Des mots en enc, terminaison qui s'est de bonne heure altérée en ent, ant ou même an : bougrenc, jaserenc, *marenc, *merlenc, *païsenc, tisserenc, d'où les formes actuelles : bougran, jaseran, merlan, *moran dans le composé cormoran (corbeau de mer), paysan, tisserand. D'après tisserand a été créé peigneran (ouvrier qui fait les peignes, Dict. Trévoux).

Boulanger a dû désigner à l'origine celui qui fait du pain boulenc, en boule.

2º Des mots en lenc, terminaison qui est devenue de nos jours lan : brelan, chambellan, éperlan (anc. franç. brelenc, chambrelenc, esperlenc).

§ 143. -- Suffixe latin ENSIS.

Ensis désigne en latin la descendance ou le séjour : Atheniensis, forensis. Réduit en latin populaire à esis, il a passé en français sous la forme eis, plus tard ois, et dans certains mots ais : bordelais, bourgeois, courtois, gaulois, tournois, liais, etc. Sous l'influence d'une palatale, on a is au lieu de eis : marquis, parisis, pays.

Dans un certain nombre de mots, le suffixe eis, ois, ais de ensis s'est confondu avec le suffixe homophone de iscus (§ 149).

§ 144. -- Suffixe latin LENTUS.

Lentus, très fréquent en latin classique : opulentus, sanguinolentus, turbulentus, a formé très peu de mots nouveaux en latin populaire. On peut citer *sanguilentus (class. sanguinolentus), sanglant. Églantier dérive de l'ancien français églant, qui représente un type *aquilentus.

§ 145. -- Suffixe latin MENTUM.

Mentum, dans le latin classique, a formé de nombreux dérivés abstraits, et dans le latin populaire remplaçait fréquemment le suffixe tio ; il en était arrivé aussi, par extension de sens, à former des dérivés concrets : calceamentum, vestimentum, etc. Ce suffixe, par suite de l'influence prépondérante de la Ire conjugaison (§ 61), est passé en français sous la forme ement : abaissement, abattement, attendrissement, bouleversement, etc. Dans compartiment, sentiment, etc., l'i étymologique a reparu, et ces formes ont remplacé compartement (cf. appartement, département), sentement. Braiment est pour braiement, châtiment pour châtiement. Ces dérivés ont, comme en latin, la plupart du temps un sens abstrait, et quelquefois un sens concret.

§ 146. -- Suffixe latin NT (ANS ANTIS, et ANTIA).

Nt se trouve en latin dans ans antis, et antia, qui ont donné en français ant et ance. Les participes présents en ens et leurs dérivés en entia s'étaient ramenés dans le latin populaire à des formes uniques en ans et antia (§ 614), et ont ainsi grossi le nombre des dérivés en ant et ance.

L'étude des dérivés en ant est celle des participes présents déjà faite §§ 47 et 48.

Quant au suffixe ance, il a formé une foule de dérivés dont la plupart coexistent avec un participe en ant : bienséance, confiance, créance, croyance, défaillance, outrecuidance, souvenance, vengeance, etc. Le verbe primitif a disparu dans finance.

§ 147. -- Suffixe germanique RD.

Rd se trouve dans le germanique hardus, " dur, fort ", adjectif employé fréquemment dans la composition des noms de personnes et qui a fini par jouer le rôle d'un suffixe. Ce suffixe, sous la forme française ard (autrefois art), fém. arde, a servi à créer, avec des radicaux de noms ou de verbes, d'innombrables dérivés désignant des êtres vivants : bâtard, bavard, couard, criard, fuyard, grognard, pillard, soûlard, vantard. Dans la plupart de ces dérivés, il a un sens dépréciatif ; dans quelques-uns, il a un sens augmentatif, comme dans gaillard, veinard ; dans d'autres, comme bécard, busard, montagnard, etc., il indique simplement une propriété. Enfin, dans billard, brassard, buvard, corbillard, étendard, placard, puisard, dans bombarde, moutarde, nasarde, poularde, il indique des objets, et ici le sens est tantôt augmentatif, comme dans milliard, poularde, tantôt indéterminé.

Dans brocart, ard a remplacé le suffixe étranger at (§ 62) ; dans boulevard, il s'est introduit à la place de la désinence du mot allemand werk, ouvrage ; dans brancard, il a remplacé le suffixe al du provençal brancal.

§ 148. -- Suffixe latin RN.

Rn, dans les suffixes latins erna, ernus et urnus, formait des adjectifs et des substantifs dont le français a gardé quelques-uns : quaterna, carme ; quaternum, cahier ; taberna, taverne ; diurnum, jour ; infernum, enfer ; etc. La dérivation populaire a peu ajouté à la langue classique ; citons cependant galerne, lierne et l'ancien français muterne (taupinière).

§ 149. -- Suffixe germanique SC.

Sc se trouve dans le suffixe germanique isc indiquant l'origine, la manière, qui a formé en ancien français des adjectifs terminés au masculin en ois, au féminin en esche. De griu, forme régulière prise par le latin graecum, le vieux français tira un masculin griois et un féminin griesche, qui nous est resté dans ortie-grièche et pie-grièche ; le doublet grégeois nous est venu par l'intermédiaire du provençal grezesc. Les adjectifs en ois, esche, se sont fréquemment confondus avec les adjectifs en ois, oise (§ 143) ; c'est ainsi que angloise (auj. anglaise), danoise, ont pris la place de anglesche, danesche. Chevêche, flammèche, harnais (cf. harnacher, anc. franç. harnescher) et marais (cf. maraîcher, anc. franç. mareschier) offrent, à ce qu'il semble, le même suffixe.

Le suffixe isc reparaît dans la terminaison esque, empruntée à l'italien esco, qui figure dans un si grand nombre de mots savants (§ 264).

§ 150. -- Suffixe gréco-latin ST (ESTUS, ESTIS).

St, qui se trouve dans estus et estis, suffixes latins d'origine grecque, n'a donné dans la dérivation populaire que *forestis, forêt.

§ 151. -- Suffixe latin ASTER.

Aster, suffixe diminutif assez fécond dans le latin populaire et qui indiquait une ressemblance incomplète avec l'idée du radical devait, par suite, avoir un sens péjoratif : parasitaster, patraster, etc. De là en français les substantifs gentillâtre, marâtre (formé sur le modèle de l'anc. franç. parâtre), etc. Dans écolâtre pour escolaste et mulâtre pour mulat, il y a eu substitution de suffixe (§ 62). Dans les adjectifs bellâtre, blanchâtre, bleuâtre, douceâtre, noirâtre, etc., âtre exprime une qualité approchante ; dans certains autres, comme acariâtre, opiniâtre, il est tout à fait péjoratif.

§ 152. -- Résumé de la dérivation nominale.

Nous avons passé en revue les nombreux suffixes qui servent à former les noms et les adjectifs, en les classant dans un ordre purement extérieur et artificiel.

Des suffixes s'ajoutent à des radicaux de substantifs, d'adjectifs, de verbes ou de mots invariables, et ils forment dans l'une ou l'autre de ces combinaisons soit des substantifs, soit des adjectifs. Parmi ces suffixes, les uns se sont maintenus seulement dans l'ancienne langue et ne survivent aujourd'hui que dans des mots isolés, où ils ne sont plus sentis comme suffixes : ainsi ail, ain, as, aison, is, etc. ; les autres ont duré jusqu'à nos jours et sont encore vivants : ainsi eur (fém.), eur (masc.), u, esse, ise, etc. D'autres se sont développés dans le cours de la langue : ainsi ien sorti de en précédé d'une palatale, el sorti, à côté de al, du latin alem. Quelques-uns ont changé de signification et, par suite, de fonction : age, de suffixe collectif, est devenu suffixe de nom d'action ; aille, de suffixe collectif, est devenu suffixe péjoratif.

Les suffixes français sortis des suffixes tant latins que germaniques sont :

able,
ade,
age,
agne,
aie,
ail, aille,
aille,
ain (anus),
ain (aginem),
ain (german.),
ais (ois),
aison,
al, el,
ande, andier, andière,
ange,
ant, ance,
ard, arde,
as, asse,
at,
âtre,
aud, aude,
é, ée,
ée,
eau, elle ; ereau,
erelle,
eil, eille,
ement,
erie,
esse,
esse (issa),
esse (itia),
esse, eresse (icia),
et, ette,
eul, ieul,
eur,
eur, eresse, euse,
eux, euse.
ien, ienne.
ie,
ien, ienne,
ier, ière,
il,
il, ille,
ille,
in,
in, ine,
is (ensem),
is, isse ; ice, iche,
ise,
oche,
oir, oire,
ois, oise,
ol, ole,
on, eron, eton, ichon, içon, illon,
osse,
ot, otte,
ouche,
ouil,
ousse,
té,
u,
uche,
ume,
un,
ure.

Parmi ces suffixes, sont actuellement vivants, à divers degrés :

a) Formant des noms de choses, concrets ou abstraits : age, ance, ement, oir, ure, qui se joignent habituellement à des radicaux de verbes ; -- té, ée, esse (ânesse), ise, eur verdeur), erie, aille, ille, on (ânon), is, ine, qui se joignent à des radicaux de noms.

b) Formant des noms de personnes (substantifs ou adjectifs) : ais, aise ; ois, oise ; ant, ante (ande) ; andier ; eau, elle ; ereau, erelle ; ard, arde ; aud, aude ; eur, euse ; eux, euse (communeux) ; ien, ienne ; ier, ière.

c) Formant des adjectifs : able, al, ale ; el, ele ; âtre ; é, ée ; et, ette ; eux, euse (poudreux) ; in, ine ; u.

Quelques-uns de ces suffixes peuvent passer d'une classe à une autre.

On voit la variété de cette formation, grâce à laquelle la pensée peut s'exprimer dans ses nuances les plus fines, les plus délicates. Cette richesse de la dérivation française fait contraste avec la singulière pauvreté de la dérivation germanique.

DÉRIVATION VERBALE

§ 153. -- De la dérivation verbale.

La dérivation verbale comprend les verbes dérivés à l'aide de suffixes simples er, ir, et les verbes dérivés à l'aide de suffixes complexes tels que ailler, onner, otter, etc.

Les premiers sont tirés de noms : fêter de fête, aigrir de aigre ; les seconds sont généralement tirés de verbes : criailler de crier, vivoter de vivre ; quelquefois de noms : botteler de botte.

§ 154. -- Suffixes simples ER, IR.

En général les verbes tirés de substantifs sont en er, les verbes tirés d'adjectifs sont en ir : ainsi arrher, barrer, chambrer, flamber, meubler, nuancer, poudrer, sabler, tabler, venter, etc., sont tirés de substantifs (20) ; blanchir, bleuir, brunir, chérir, faiblir, fraîchir, froidir, grossir, mûrir, roussir, etc., sont tirés d'adjectifs. Un petit nombre de verbes en er, comme fausser, gourmander, griser (rendre gris), niaiser, sont tirés d'adjectifs ; un petit nombre en ir, comme garantir, meurtrir, sont tirés de substantifs. Mais dans les parasynthétiques (§ 194), l'échange des deux dérivations est plus fréquent : abaisser, assoter, déniaiser, éborgner, émousser, épurer, évider, rasséréner, etc., sont formés avec des adjectifs ; aboutir, accroupir, ahurir, anéantir, s'enorgueillir, racornir, etc., sont formés avec des substantifs.

§ 155. -- Combinaison du suffixe avec la finale du radical dépendant de la date de la dérivation.

Dans cette dérivation, il faut tenir compte de la date de la formation (§ 64). La dérivation peut remonter au latin populaire ou aux premiers temps du français ; dans ce cas, on trouve entre le nom et le verbe dérivé des différences de forme dont la phonétique seule peut rendre compte : ainsi faux à côté de faucher. En général le groupe de consonnes précédant le suffixe est conservé dans le dérivé sous une forme plus voisine de la forme primitive que celle qu'il a dans le radical ; comparez paix à apaiser, prix à priser, roux à roussir.

Le radical variant avec le temps, on peut avoir, suivant ces variations, différentes dérivations : les anciennes formes journ, tourn se retrouvent dans ajourner, tourner ; les formes plus modernes jour, tour ont donné ajourer, entourer.

Enfin rappelons l'insertion d'un t après le radical quand il se termine par une voyelle (§ 63) : abriter, agioter, clouter, filouter, tuyauter.

§ 156. -- Des suffixes simples de verbes.

Les deux suffixes simples, les seuls survivants dans la langue, sont er et ir ; l'ancien français a connu aussi le suffixe ier, qui n'est qu'une variante phonétique de er et que nous allons étudier.

§ 157. -- Suffixe latin IARE.

A sa période la plus reculée, le roman formait des verbes en iare en ajoutant ce suffixe à des radicaux d'adjectifs ou de participes. De là en ancien français un grand nombre de verbes en ier : aiguisier de *acutiare, allégier de *alleviare, courroucier de *corruptiare, drecier de *drectiare, froissier de *frustiare, haucier de *altiare, sucier de *suctiare, tracier de *tractiare, etc.

Ier s'est réduit dans tous ces verbes à er (§ 307) ; mais l'ancienne prononciation est encore sensible dans des verbes où er est précédé d'une l mouillée comme mouiller de *moll-iare, dans des verbes en gner comme rogner de *rotundiare, et dans des verbes où l'i de iare avait passé dans la syllabe précédente comme baisser de *bassiare.

§ 158. -- Des suffixes complexes de verbes.

Parmi les suffixes complexes de verbes, les uns sont d'origine latine, comme icare, ulare, culare, illare, izare, etc. ; les autres sont d'origine française, comme asser dans jacquasser, etc.

§ 159. -- Suffixes latins ICARE et *ICIRE.

Icare, peu développé dans la bonne latinité, s'est étendu dans l'époque postérieure et a donné, en s'ajoutant à des radicaux de verbes ou de noms, des dérivés soit de sens augmentatif comme claricare, splendicare, vellicare, soit de sens diminutif, comme candicare, nigricare. Le roman a développé cette formation ; de là : *bullicare, bouger ; *carricare, charger ; *coacticare, cacher ; *fasticare, fâcher ; *nidicare, nicher ; *nivicare, neiger ; *rodicare, ronger ; *sedicare, segier, siéger. Dans ces verbes, comme dans ceux que nous avons étudiés § 157, la terminaison était en ancien français ier, qui s'est plus tard réduit à er (§ 307).

Il faut admettre qu'à côté de icare, le latin populaire a connu icire ; en effet, les verbes durcir, éclaircir, noircir, font supposer les types *duricire, *exclaricire, *nigricire. Ces verbes ont dû faire croire à un rapport entre l'adjectif et un suffixe cir ; sur le modèle de éclaircir on a formé obscurcir. De là encore accourcir, enforcir et étrécir, qui ont remplacé les anciennes formes accourcier, enforcier, estrecier.

§ 160. -- Suffixe latin ULARE.

Ulare donnait en latin des dérivés à valeur diminutive ou fréquentative : il se retrouve dans quelques créations du roman qui ont passé en français : *brustulare, brûler ; *misculare, mêler ; *turbulare, troubler ; *tremulare, trembler.

Ce suffixe se retrouve peut-être sous la forme surprenante ioler dans finioler (auj. fignoler), frioler et tournioler.

§ 161. -- Suffixe latin CULARE.

Culare, suffixe qui s'est développé en italien, en provençal et en français, sans doute sous l'influence des suffixes nominaux aculus, iculus, uculus (§ 88), a un sens fréquentatif ou diminutif. En français il a pris, suivant la voyelle qui précéde le c, les formes ailler, eiller, iller, ouiller, et la langue semble souvent indécise sur le choix de telle ou telle de ces trois formes : ainsi chatouiller était au XIIIe siècle chatailler et chateiller.

Ces suffixes s'ajoutent à des radicaux de noms ou de verbes :

Ailler : brétailler, ferrailler, fouailler, harpailler, etc. ; courailler, criailler, disputailler, dormailler, répétailler, tournailler, etc.

Eiller ne se trouve guère que dans herbeiller, qui était d'ailleurs en ancien français herbiller, et dans l'ancien français foeiller, foueillier devenu fouiller, et toeiller devenu touiller.

Iller : boursiller, bousiller, brasiller, grappiller, nasiller, pointiller, etc. ; brandiller, fendiller, mordiller, sautiller, etc. Fourmiller a remplacé l'ancien français fourmiier, fourmier.

Ouiller : chatouiller, et sans doute barbouiller ; gazouiller (peut-être du même radical que jaser) et patouiller de patte. Bredouiller, qui a remplacé l'ancien français bredeler, est d'étymologie obscure.

§ 162. -- Suffixe latin ILLARE, ELLARE.

Illare, ellare, suffixe fréquentatif ou diminutif dans cantillare, titillare, vacillare, est devenu en français, et avec le même sens, eler, et y forme de nombreux dérivés tirés de radicaux de noms : bosseler, cuveler, denteler, greneler, panteler, etc. ; ou de verbes : branler (anc. franç. brandeler de brandir), craqueler, épinceler, harceler (pour herseler de herser), etc.

§ 163. -- Suffixe gréco-latin IZARE.

Izare, créé d'après la terminaison verbale grecque <GR= izein>, s'était considérablement étendu surtout dans le latin populaire, où il se présente souvent sous la forme idiare. Idiare est devenu en français eier, oier, oyer : blanchoyer, blondoyer, bordoyer, bornoyer, chatoyer, côtoyer, coudoyer, flamboyer, foudroyer, giboyer, verdoyer, etc. Idiare devient, pour des raisons phonétiques, éier, eyer dans grasseyer ; eyer, par confusion, devient ayer dans bégayer, cartayer, et aussi ier dans charrier à côté de charroyer. Quant à planchéier, il est de même le résultat d'une confusion, comme le prouve la forme ancienne plancheer.

§ 164. -- Suffixes latins ASCERE, ESCERE, OSCERE.

Ascere, escere, oscere, suffixes inchoatifs, ont formé en latin un grand nombre de verbes dont quelques-uns ont passé en français avec la terminaison aître, oître : *nascere (class. nasci), naître ; *pascere, paître ; crescere, croître ; *conoscere (class. cognoscere), connaître. Il n'y a guère à citer comme dérivé nouveau que *parescere, paraître.

§ 165. -- Suffixe latin ITARE.

Itare, suffixe fréquentatif, s'ajoute en latin classique au radical des verbes : agitare, de agere. Le latin populaire ne l'emploie guère que dans *vanitare, tiré de vanus ou de vanare, vanter (21).

§ 166. -- Suffixes latins ANTARE, ENTARE.

Antare, entare, très rares en latin classique (praesentare, présenter), ne sont que la combinaison de la désinence du participe présent avec le suffixe simple are. Épouvanter remonte au latin populaire *expaventare ; mais les anciens verbes creanter, crevanter, etc., peuvent dériver des participes creant (de croire), crevant (de crever), comme, de nos jours, plaisanter de plaisant.

§ 167. -- Suffixes français ETER, OTER.

Les suffixes fronçais et et ot (§§ 135, 136) se présentent également comme suffixes verbaux sous les formes eter et oter, donnant naissance, tantôt avec des radicaux de noms, tantôt avec des radicaux de verbes, à des verbes soit diminutifs, soit fréquentatifs : becqueter, caneter, coqueter, feuilleter, haleter, tacheter, voleter, etc. ; asticoter, boulotter, chapoter, chipoter, emberlificoter, grignoter, tapoter, vivoter, etc.

§ 168. -- Suffixes français INER, ONNER.

Inare, dont on trouve quelques exemples en latin, semble le prototype du suffixe français iner dans bruisiner, couliner, trottiner, et peut-être traîner, anc. franç. traïner. On peut rattacher à cette série les verbes en onner : chantonner, griffonner, mâchonner, nasillonner, etc.

§ 169. -- Suffixe français ASSER.

Un suffixe fréquent comme suffixe augmentatif et souvent péjoratif est asser, qui tire évidemment son sens des mots en asse étudiés § 81. Il se retrouve dans de nombreux verbes, comme croasser, écrivasser, fricasser, harasser, jacasser, répétasser, rêvasser, rimasser, tracasser, etc. Il s'est fondu avec la désinence des substantifs avocat et prélat dans avocasser, prélasser.

§ 170. -- Verbes en OCHER, NICHER, IFLER.

Signalons enfin des suffixes verbaux d'origine inconnue, comme ocher dans bavocher, effilocher, flanocher, piocher, riocher ; -- nicher dans pleurnicher ; -- ifler dans écornifler.

COMPOSITION POPULAIRE

§ 171. -- Considérations générales.

La différence essentielle qui distingue la composition française, comme celle des autres langues romanes, de la composition latine, c'est que la première combine des mots, la seconde des radicaux. Dans silvicola, anguimanus, on ne trouve que des radicaux nus, dépouillés de toute flexion, silvi, col, angui, man, suivis de terminaisons qui donnent à ces composés leur unité et leur individualité. Le roman, au contraire, combine des termes qui généralement ont, pris à part, une existence propre : arrière-cour, grand-père, porte-plume.

Toutefois les deux systèmes ont cela de commun qu'ils reposent l'un et l'autre sur l'ellipse. La composition par radicaux du latin combinant des radicaux purs, indéterminés par eux-mêmes, c'est-à-dire incapables de remplir le rôle de noms, de verbes, etc., c'est la terminaison du composé qui seule guide l'esprit dans le choix des valeurs à attribuer aux éléments composants. Cette composition, sous-entendant un nombre considérable d'idées accessoires, est donc éminemment elliptique.

De même la composition française. Elle forme, elle aussi, une expression synthétique qui éveille dans l'esprit plus d'idées que n'en présentent les éléments composants pris chacun à part : timbre-poste ne veut pas dire simplement timbre et poste, mais timbre de la poste, timbre pour la poste, et se résout en une périphrase qui met en lumière l'ellipse fondamentale du composé.

L'ellipse est l'essence de la composition, mais non de la juxtaposition. Celle-ci consiste dans la soudure plus ou moins intime d'éléments réunis sans ellipse, simplement mis les uns à côté des autres d'après les règles ordinaires de la syntaxe. Dans le latin respublica, quamobrem, et dans le français dorénavant, malheureux, il y a simple rapprochement, puis soudure de mots, sans aucune dérogation aux lois ordinaires de la syntaxe, sans ellipse.

Ainsi la juxtaposition décompose les idées, indique, quand il y a lieu, les rapports à l'aide de particules, recourt à l'analyse. La composition groupe dans une unité simple des idées qui se présentaient naturellement séparées, procède par voie de synthèse. La synthèse est un procédé de formation de mots bien déterminé ; les mots qu'elle crée existent dès l'instant où les éléments composants sont mis en présence et combinés par l'ellipse. La juxtaposition n'a rien de bien précis ; comme elle n'est qu'une réunion de mots, faite d'après les lois les plus élémentaires de la syntaxe, seule la plus ou moins apparente fixité que l'usage donnera à l'un ou à l'autre de ces groupements y fera reconnaître un juxtaposé. Elle doit son existence au temps.

A quel moment les juxtaposés arrivent-ils à l'existence ? Il se passe pour les mots composés quelque chose d'analogue à ce qui se passe pour le substantif simple : cornet désigne d'abord la feuille de papier roulée en corne et, par suite, une qualité de forme ; puis il finit par réveiller dans l'esprit l'image totale de l'objet, au lieu de n'exprimer que sa qualité la plus saillante. De même, timbre-poste a éveillé sans doute d'abord dans l'esprit une double image, celle d'un déterminé timbre et d'un déterminant poste, alors que cornet n'en éveillait qu'une, celle d'un déterminant ; mais, comme pour cornet, timbre-poste a fini par éveiller l'idée générale de l'objet ; la double image qu'il présentait a fait place à une image unique : le composé est devenu simple.

Par suite, il faut distinguer deux époques dans l'existence des composés : celle où ils sont encore reconnus comme composés, et celle où ils deviennent simples. Licou a d'abord vécu comme composé, présentant la double idée de lier et de cou ; puis cette double idée s'est réduite à une seule, celle de l'objet indiqué par le mot.

Or les juxtaposés ne connaissent que la seconde de ces deux époques. Ils ne sont juxtaposés que le jour où déterminant et déterminé ont perdu leur valeur propre et ne présentent plus à l'esprit que l'image totale de l'objet.

L'unité peut se faire dans la pensée sans être réalisée dans l'orthographe : dans gendarme, plafond, les éléments composants sont soudés ; la forme et l'idée concordent ; dans arc-en-ciel, timbre-poste, la soudure est moins parfaitement indiquée ; dans pomme de terre, rien n'indique extérieurement la juxtaposition, et néanmoins l'image présentée à l'esprit est simple.

L'unité d'image, qu'elle soit visible ou non, est donc ce qui détermine l'existence d'un juxtaposé ; mais le passage, pour les images, de la complexité à l'unité est souvent incertain ; telle locution flotte souvent entre ces deux états, n'étant pas encore assez simple pour mériter le nom de juxtaposition, déjà trop réduite pour ne pas être considérée comme une locution spéciale. Ces locutions reçoivent le nom de locutions par juxtaposition.

Quelle est la place du déterminant par rapport au déterminé ? Les mots composés sont de véritables définitions par genres et par espèces, où l'un des deux termes spécifie, détermine l'autre ; le déterminant doit donc exprimer dans l'objet la qualité, dans la substance le phénomène : coffre-fort = coffre qui est fort ; clairvoyant = qui voit clair. Suivant la tradition latine, le déterminant précède encore le déterminé dans les trois cinquièmes des composés français ; les exceptions à cette règle proviennent, en général, de l'esprit analytique qui a de plus en plus pénétré les langues romanes.

Nous n'avons jusqu'ici parlé que de deux formes de composition : la juxtaposition et la composition proprement dite. Entre elles deux prend place la composition par particules, qui combine des substantifs, des adjectifs, des verbes, avec des particules, prépositions, adverbes, etc. Cette composition donne, dans un certain nombre de cas, simplement des juxtaposés, dans d'autres des composés, et, par suite, ne mériterait aucune étude spéciale si, dans certains cas, elle ne se combinait pas avec la dérivation pour former des mots nouveaux d'une forme particulière : c'est ainsi que de barque elle tire, à l'aide des particules en, dé, et du suffixe er, les composés embarquer, débarquer. Nous aurons donc à étudier la juxtaposition, la composition par particules et la composition proprement dite.

I. -- JUXTAPOSITION

§ 172. -- Classement des juxtaposés.

La division la plus claire pour étudier les juxtaposés est celle qui consiste à prendre chacune des parties du discours : substantifs, adjectifs, pronoms, verbes, mots invariables.

§ 173. -- Substantifs issus d'une juxtaposition. Substantifs juxtaposés formés d'un substantif et d'un adjectif.

Les substantifs issus d'une juxtaposition sont formés : 1º de substantifs et d'adjectifs qui les qualifient (juxtaposés de coordination) ; 2º de substantifs et de substantifs, les uns dépendant des autres (juxtaposés de subordination).

Comme nous l'avons dit, dans les substantifs juxtaposés formés d'un substantif et d'un adjectif, tantôt, et le plus souvent, le déterminant précède, tantôt il suit le déterminé.

I. Le déterminant précède : bas-fond, beau-fils, blanc-manger, bonheur, claire-voie, court-bouillon, extrême-onction, franc-maçon, gentilhomme, malfaçon, moyen âge, petit-fils, rond-point, sauvegarde, vif-argent, etc.

Ajoutons les juxtaposés formés avec des adjectifs possessifs : monsieur, madame, mademoiselle, etc.

II. Le déterminant suit. Déjà en latin on trouve jusjurandum, respublica, etc., avec postposition de l'adjectif. En français les mots dimanche, orfroi, outarde et vimaire nous représentent des composés latins où le déterminant suit : dies dominica, aurum Phrygium, avis tarda, vis major.

Citons comme juxtaposés postérieurs : amour-propre, bouts-rimés, chape-chute, chevau-léger, coffre-fort, état-major, fer-blanc, forfait, pivert, raifort, saindoux, vinaigre, etc.

Le premier terme peut être un adjectif pris substantivement : clair-obscur, gras-double, etc.

§ 174. -- Substantifs juxtaposés formés d'un substantif et d'un substantif.

Le latin classique possédait déjà pater-, mater-familias, plebiscitum, ludimagister, etc. A des composés analogues du latin populaire ou du roman remontent certains mots simples du français, comme lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, arantèle, connétable, joubarbe, orpiment, pourpier.

§ 175. -- Substantifs juxtaposés de subordination en ancien français.

L'ancien français pouvait exprimer sans l'aide de la préposition de le rapport de possession entre deux noms, quand le nom possesseur était un nom de personne : la maison le roi, c'est-à-dire du roi. Cette construction s'est conservée dans bain-marie, cuisse-madame, hôtel-Dieu, trique-madame, trou-madame, et dans certaines interjections où le nom Dieu s'est altéré : corbleu, palsambleu (pour corps Dieu, par le sang Dieu), etc. Il semble que la même construction se retrouve dans des mots composés où le possesseur n'est pas un nom de personne, comme bourg-épine, curage (pour cul-rage), terre-noix, etc.

§ 176. -- Substantifs juxtaposés de subordination en français moderne.

Le français moderne forme les substantifs juxtaposés de subordination à l'aide de diverses prépositions :

De : Aide de camp, belle de nuit, blanc de céruse, chef-d'œuvre, eau-de-vie, gendarme, haut-de-chausses, mont-de-piété, pot-de-vin, salle d'asile, trait d'union, vaudeville, etc.

A : face-à-main, fil à plomb, justaucorps, propre à rien, etc.

En : arc-en-ciel, croc-en-jambe, etc. ; bachelier, licencié, docteur ès lettres, ès sciences,ès représente en les.

§ 177. -- Locutions juxtaposées par figure.

Il est un certain nombre de locutions juxtaposées soit par coordination soit par subordination, comme rouge-gorge, pied d'alouette, qui reposent sur une figure de style, la synecdoque ou la métaphore ; la synecdoque forme des juxtaposés de coordination, la métaphore des juxtaposés de subordination. Quand on dit un rouge-gorge, on fait une synecdoque, c'est-à-dire l'on désigne un certain oiseau tout entier par sa qualité la plus saillante ; quand on dit un pied d'alouette, on fait une métaphore, c'est-à-dire l'on désigne une plante par le nom d'un objet auquel on la compare pour la forme.

Citons parmi les juxtaposés par synecdoque : bel esprit, blanc-bec, gros-bec, grand-œil, où le déterminant précède ; bas-bleu, béjaune, cul-blanc, tapis vert, etc., où le déterminant suit.

Citons parmi les juxtaposés par métaphore : bec d'âne ou bédane, bec-de-corbin, boule-de-neige, bout de l'an, crête-de-coq, cul-de-jatte, œil de perdrix, rat de cave, etc. Quelquefois, mais rarement, la métaphore atteint des juxtaposés de coordination : aigue-marine, longue-vue, pie-mère, etc.

Notons d'ailleurs que la métaphore ne va guère sans synecdoque, puisque la comparaison ne peut porter que sur une qualité déterminée de l'objet comparé ; si j'appelle une plante pied d'alouette, c'est que je compare une de ses parties au pied d'une alouette : je la désigne donc par une de ses parties désignée métaphoriquement ; je fais une synecdoque enrichie d'une métaphore.

§ 178. -- Substantifs juxtaposés divers.

Il existe d'autres procédés de formation de substantifs juxtaposés ; mais la formation y est si simple et si apparente qu'il suffit de les énumérer.

I. Substantifs et substantifs réunis par la conjonction et : arts et métiers, poids et mesures, ponts et chaussées, trente et quarante, trente et un, etc. Quelquefois la conjonction tombe, dans la rapidité de la prononciation, quand le juxtaposé s'est totalement réduit dans l'esprit à l'unité d'image. Ainsi le latin usus fructusque est devenu ususfructus, transporté en français sous la forme usufruit. Ainsi les mots français point et virgule, chaud et froid, coton et laine, sont devenus point-virgule, chaud-froid, coton-laine.

II. Adverbes et substantifs (le substantif peut être à l'origine un participe) : bien : bienfait ; -- des : désarroi, désastre, déshonneur, etc. ; -- ex : échantillon, échenal ; -- mes : mégarde, mésaise, mésaventure, etc. ; -- non : non-sens, non-valeur ; -- presque : presqu'île ; -- re : rebord, reflux, renom, etc.

III. Substantifs suivis d'un complément déterminatif : prud'homme pour preu d'homme ; on disait de même preu de femme, d'où est sorti l'adjectif prude.

IV. Participe présent et régime direct : lieutenant, les ayants cause, les ayants droit.

V. Infinitifs avec régime pris substantivement : le laisser aller, le laisser-faire, un laissez-passer (= laisser passer), le savoir-faire, le savoir-vivre, un ouï-dire (= ouïr dire).

VI. Des propositions qui deviennent substantifs par ellipse : belle-à-voir, haut-le-corps.

VII. Des substantifs auxquels s'est soudé l'article : (l)andier, (l)endemain, (l)endit, (l)ierre, (l)ingot, (l)oriot, (l)uette.

§ 179. -- Adjectifs issus d'une juxtaposition.

Les adjectifs issus d'une juxtaposition se ramènent à trois types principaux :

I. Adjectifs formés d'un adverbe et d'un adjectif (ou participe) : bienfaisant, bienheureux, bienséant (d'où bienséance), bienveillant (d'où bienveillance), bienvenu, maladroit, malappris, malfaisant, malpropre, etc.

II. Adjectifs formés d'un adjectif pris adverbialement et d'un participe : clairvoyant, clair-semé, etc.

III. Adjectifs formés d'un adjectif avec valeur adverbiale et d'un adjectif : demi-fin, demi-rond, nouveau-né, nouveau venu, tout-puissant, etc.

Dans aigre-doux, bis-blanc, clair-obscur, ivre-mort, les deux adjectifs ne se qualifient pas l'un l'autre, mais qualifient également le substantif auquel ils sont joints.

L'usage actuel, en supprimant la conjonction dans sourd et muet, a créé un second juxtaposé différent du premier par le sens.

IV. Il faut rattacher à la classe des adjectifs formés par juxtaposition les adjectifs numéraux tels que vingt-deux, cent huit, etc., vingt-et-unième.

§ 180. -- Démonstratifs issus d'une juxtaposition.

Pour les démonstratifs issus d'une juxtaposition, voir § 596.

§ 181. -- Verbes issus d'une juxtaposition.

I. Les verbes formés par juxtaposition le sont d'ordinaire au moyen de particules préposées au verbe simple. Nous renvoyons donc l'étude de ces verbes aux §§ 192 et 196, qui traitent de la composition par particules.

Exceptionnellement un verbe peut être formé d'un adjectif employé adverbialement et d'un verbe : bavoler.

II. Les locutions par juxtaposition se forment rarement de deux verbes, l'un régissant l'autre, et, quand cela arrive, il ne se produit qu'un infinitif pris substantivement et qui n'est point susceptible de se conjuguer : le laisser-aller, le savoir-faire, le savoir-vivre, etc. Notons toutefois que la langue du droit connaît quelques verbes composés : saisir-brandonner, saisir-gager, saisir-revendiquer.

III. Sur les juxtapositions constituées par le futur et le conditionnel (je chanterai, je chanterais) ou par les temps passés à auxiliaires (j'ai, j'avais chanté, etc.), voir §§ 604, 605 et 607.

§ 182. -- Mots invariables issus d'une juxtaposition (22).

Le roman n'a conservé à leur état simple qu'un petit nombre de mots invariables du latin et a remplacé ceux qu'il abandonnait par des particules où la juxtaposition joue un rôle important. Parmi ces nouveaux juxtaposés, les uns remontent à l'époque romane et ont leurs éléments si bien fondus qu'ils ont l'air de mots simples ; les autres, de date plus récente, les ont encore séparés. Mais que les divers termes se soient soudés ou non, les principes de formation sont les mêmes. On peut les réduire à quatre : 1º combinaison de deux ou plusieurs mots invariables ; 2º combinaison d'une préposition et d'un nom ; 3º combinaison d'un substantif et d'un adjectif employés absolument ; 4º phrases ou membres de phrase pris absolument. Le résultat de ces combinaisons donne des adverbes, des prépositions et des conjonctions. Les interjections sont formées d'une autre manière.

Adverbes.

1º Combinaison de deux ou plusieurs mots invariables. C'est généralement une préposition et quelquefois un adverbe qui s'ajoute à un adverbe. Déjà en latin classique on trouve desuper, exante, perinde, subinde, etc. De là, en français, des adverbes issus de juxtaposition dont les uns appartiennent à l'époque romane : ainsi, assez, avant, çà, derrière, dont, ensemble, ici ; dont les autres semblent, pour la plupart, être de formation française : arrière, aussitôt, bientôt, d'ailleurs, deçà, dedans, dehors, déjà, delà, demain, depuis, désormais, dessous, dessus, devant, dorénavant, jadis, jamais, plutôt, tandis, tantôt.

2º Combinaison d'une préposition et d'un nom. Le latin possédait déjà admodum, invicem, obviam, quamobrem, etc. Le français a créé soit avec une préposition et un substantif : à l'entour, autour, d'abord, davantage, enfin, ensuite, environ, parfois, etc. ; soit avec une préposition et un adjectif neutre : à présent, de même, d'ordinaire, partout, surtout, etc. ; soit avec une préposition et un adjectif féminin pris substantivement : à droite, à gauche, à la légère, etc.

Par ellipse, l'adverbe peut devenir substantif : tels dessous, dessus, devant, etc., et, à leur tour, ces substantifs précédés d'une préposition donnent de nouveaux adverbes composés : au dedans, au dehors, auparavant, etc.

Rattachons à cette série les locutions si nombreuses au moyen âge et dont quelques-unes sont restées : à reculons, à tâtons, etc.

3º Combinaison d'un substantif et d'un d'adjectif employés absolument. De même que le latin disait hodie (= hoc die), magnopere (= magno opere), reipsa, etc., le français dit autrefois, quelquefois, toutefois, beaucoup, longtemps, toujours. A cette série appartiennent aussi les adverbes en ment,ment représente un ablatif latin mente. Sur les particularités de cette formation, voir § 724.

4º Phrases ou membres de phrase pris absolument : cependant, maintenant, naguère, néant, nonobstant, oui, peut-être, piéçà, sens dessus dessous, etc.

Prépositions.

Les prépositions offrent les mêmes caractères de formation que les adverbes. D'ailleurs souvent la préposition est un adverbe avec complément, et l'adverbe est inversement une préposition prise absolument. Avant, dedans, devant, environ, peuvent prendre ou ne point prendre de régime.

Quelques prépositions sont formées de prépositions simples combinées entre elles : par-devant, par-devers, envers, dans (deintus), jusque (deusque), dès (deex).

D'autres sont formées d'une préposition accompagnée d'un régime : avec (apud hoc) qui remonte aux prémiers temps de la langne, et parmi.

D'autres enfin sont formées d'un substantif précédé et suivi d'une préposition : à cause de, en vertu de, au travers de, etc., et, dans ces locutions, de peut parfois tomber : en face, vis-à-vis, hors ligne, hors rang, hors concours, etc.

Malgré est devenu préposition par oubli de l'étymologie ; malgré lui doit s'analyser en effet au mauvais gré de lui.

Conjonctions.

Sauf et, ou, si, comme et que, les conjonctions se ramènent à des adverbes pris absolument ou à des adverbes et à des prépositions combinés avec que ou comme. La liste des conjonctions par juxtaposition se retrouve donc dans celle des locutions données comme adverbes ou comme prépositions.

1º Adverbes pris absolument : car (qua re), pourtant, néanmoins, etc.

2º Locutions conjonctives : aussi bien que, après que, dès que, puisque, parce que, etc.

Interjections.

Les interjections formées par juxtaposition sont en particulier les expressions ayant la valeur de jurements dans lesquelles entre le nom de Dieu au génitif et que l'usage a transformées de mille manières (§ 175) : par le sang Dieu devenu palsambleu ; par Dieu devenu pardieu, parbleu, pardine, pardi ; mort-Dieu devenu mordieu, morbleu, etc., etc. Citons encore hélas, composé de et d'un adjectif devenu, avec le temps, invariable ; dame pour Notre-Dame, et plaît-il, phrase interrogative dont un usage journalier affaiblit le sens primitif.

II. -- COMPOSITION PAR PARTICULES

§ 183. -- Composition par particules.

La composition par particules est la combinaison d'un radical substantif, adjectif, verbe ou participe, avec un préfixe préposition ou adverbe : poison donne contre-poison, heureux malheureux, dire contredire, monter surmonter, etc.

Ces combinaisons ne mériteraient pas une étude à part, si la composition par particules ne produisait pas des formes curieuses où elle combine son action avec celle de la dérivation : barque donne dé-barqu-er, bas sou-bass-ement, table en-tabl-ement. De tels composés présentent un intérêt spécial, et, par suite, un chapitre doit être consacré ici à la composition par particules.

La composition par particules est le procédé le plus fécond que le roman mette en usage pour créer des mots. Toujours en pleine activité, elle transforme incessamment et renouvelle la langue.

Nous étudierons d'abord les particules dans leurs caractères généraux, puis nous les examinerons les unes après les autres.

§ 184. -- De la composition par particules en latin.

Principe : Les composés latins, passant en roman, se décomposent, et le radical (c'est-à-dire le verbe, le substantif ou l'adjectif auquel s'adjoint le préfixe) et le préfixe sont traités comme s'ils étaient isolés.

En latin, c'est un trait ordinaire de la composition avec particules que le radical et le préfixe se fondent ensemble, par suite d'une altération apportée dans la forme même du radical. Ainsi : ago : adigo, redigo, subigo ; -- facio : afficio, conficio, perficio ; -- emo : eximo ; -- lego : colligo, etc.

Cette loi de la phonétique latine, qui affaiblissait la seconde syllabe sous l'action du temps fort qui frappait la première, a pourtant cessé d'assez bonne heure d'être observée, et il s'est formé, déjà sous la République, un assez grand nombre de mots nouveaux dans lesquels la syllabe du radical reste intacte : tego : detego ; -- nego : denego, renego ; -- fero : affero, confero ; -- placeo : complaceo, à côté de displiceo ; -- mando : demando, à côté de commendo, etc. Donc, à la fin de l'Empire, la langue contenait un certain nombre de composés où le radical n'était pas modifié, et un grand nombre dans lesquels il était altéré.

De même que le radical, la préposition a quelquefois subi des changements : par assimilation, adl devient all, cuml devient coll, cumf devient conf : allatum, collatum, confero, etc.

§ 185. -- Composés latins non décomposés à l'époque romane.

Parmi les composés à radical modifié, il y en avait dans lesquels l'union du radical et de la particule était si intime, qu'on n'y reconnaissait plus la valeur propre du radical, et que le mot était considéré comme simple : adultero de ad-altero. D'autres composés, à radical modifié ou non, dont le simple avait disparu, étaient, par ce fait, considérés comme des mots simples : consuere, cosuere, de cum-suere. Enfin, certains composés avaient pris une acception spéciale détournée, telle qu'on ne songeait plus à les rapporter au radical qui avait servi à les former : ainsi conficere signifie " confire " et non " faire ensemble ".

De là vient que certains de ces composés ont passé comme simples en roman et en français : confit de confectum, conclure de concludere, corvée de corrogata, cueillir de colligere, coucher de collocare, etc.

§ 186. -- Composés latins décomposés à l'époque romane.

La plus grande partie des composés latins se sont décomposés à l'époque romane : le radical revient, s'il y a lieu, à sa forme première, et la préposition, reprenant à son tour l'accent, persiste sous la forme même qu'elle possède isolée.

Pour le radical des verbes : accepto devient accapto, j'achète ; acquiro, acquæro, j'acquiers ; assideo, assedeo, j'assieds ; condemno, condamno, je condamne ; excludo, exclaudo, j'éclos, etc.

Pour la préposition : perdono devient perdono, je pardonne ; perjuro, perjuro, je parjure ; provideo, provideo, je pourvois ; transulto, transsalto, je tressaute.

§ 187. -- Changement dans les prépositions.

Pour la même raison, e revient à sa forme primitive ex : eligere devient exlegere, anc. franç. eslire ; elevare, exlevare, eslever.

On est allé plus loin, et on a substitué à une particule une autre, voisine de son, comme dans dispretiare au lieu de depretiare, d'où desprécier ; disdignare au lieu de dedignare, d'où desdaigner ; perfundus au lieu de profundus, d'où en anc. franç. parfont ; subtusmittere au lieu de submittere, d'où sousmettre.

Enfin une particule quelconque a remplacé la primitive : contaminare devient intaminare, entamer ; illuminare, adluminare, allumer ; invitare, convitare, convier.

Voilà pourquoi, dans tous ces composés avec particules, le second terme, si uni qu'il fût au premier, a conservé son initiale traitée comme initiale et non comme médiale, quand la particule se termine par une voyelle. Contradicere donne contredire, non contreire ; defendere donne défendre, non devendre ; recipere donne recevoir, non roivoir. Comparez à ces formes trahir de tradere, où le sentiment de la composition (trans + dare) s'est perdu de bonne heure.

§ 188. -- Causes de la décomposition des composés romans.

Quelle est la cause de cette décomposition ? On ne peut supposer que ces formes sont des formes du latin archaïque qui ont vécu à côté des formes de la langue classique et ont reparu à l'époque romane ; car les documents les plus anciens du latin nous offrent l'application constante de la loi de l'inflexion. Y a-t-il eu composition nouvelle, le roman reprenant le simple et la particule et les combinant pour créer des composés qui se trouvent correspondre aux anciens composés latins ? Cette explication est admissible dans certains cas. Il se peut que parfaire soit plutôt sorti d'une combinaison nouvelle de par et de faire, que de *perfacere, que refaire vienne plutôt de re et faire que de *refacere. Surface est plus vraisemblablement sur et face que *superfacia, qui aurait donné soreface. On pourrait voir encore une confirmation de cette hypothèse dans ce fait que les particules peuvent se substituer les unes aux autres, dans une certaine mesure : il y a création nouvelle avec des particules synonymes plutôt que de véritables substitutions : *discadere peut être aussi bien la combinaison nouvelle de dis avec cadere que la transformation de decidere en discadere ; intaminare est créé avec in et taminare autant que tiré de contaminare par substitution de suffixe. Mais, outre que cette manière de voir a contre elle l'étrangeté de cette création nouvelle s'exerçant sur des éléments analogues ou identiques, déjà combinés, on peut se demander comment on aurait pu créer des composés nouveaux avec ad, in, cum et captare, luminare, taminare, tels qu'acceptare, adluminare, contaminare, si ni captare, ni luminare, ni taminare n'existaient isolés à l'époque romane. Or on n'en possède point d'exemples.

Il faut donc nécessairement admettre que le peuple, à l'époque romane, avait un sentiment fort net de la composition dans la plupart des composés, que là où une signification détournée toute spéciale, la disparition du radical comme mot simple, la fusion depuis trop longtemps achevée du radical et de la particule, n'empêchaient pas la conscience du langage de reconnaître les éléments composants et leur signification première, le roman a reformé à nouveau les mêmes composés en les rapprochant de leur forme primitive, reprenant les éléments comme simples et les traitant comme tels phonétiquement.

Cette déformation et cette reformation se laissent bien voir dans les textes du latin postérieur et les documents primitifs du bas latin, qui nous donnent nombre de formes non infléchies ou refaites, lesquelles, n'ayant pas, pour la plupart, passé en roman, appartiennent bien à la latinité du temps : com-pati, ob-staturus, de-tractare, con-sacrare, in-factum, ad-spargere, præ-capere, præ-jacere, etc.

§ 189. -- Particules séparables et inséparables.

Les particules sont séparables ou inséparables. Les particules inséparables sont celles qui ont disparu de la langue en tant que prépositions ou adverbes et ont été conservées par la tradition uniquement dans les mots composés. Dans le passage du latin au roman, sont sorties de l'usage les particules ab, circum, cum, dis, ex, et encore, parmi ces particules, les unes ont eu meilleure fortune que les autres, puisque ab et cum, par exemple, ne peuvent plus former de composés français, tandis que ex, dis, quoique n'existant plus à l'état libre, sont encore pleines de vie en tant que particules composantes.

Il en est de même des particules séparables : les unes sont plus usitées que les autres ; fors, outre, sur, servent rarement à former de nouveaux composés ; arrière, contre, devant, en, entre, etc., sont d'un emploi très fréquent.

§ 190. -- Particules adverbes et prépositions.

Les particules sont adverbes ou prépositions. Les adverbes sont tous séparables, sauf in négatif et la particule itérative re, et ils marquent soit la qualité : bene, male ; soit la quantité : bis, plus ; soit la négation : non, in, etc.

Les prépositions, séparables ou non, s'emploient tantôt comme prépositions réelles, ayant pour complément le second terme du composé : contrepoison ; tantôt comme adverbes, le complément étant sous-entendu : confrère (frère qui est avec un autre frère) ; sur est préposition dans surtout, adverbe dans surenchère ; contre est adverbe dans contredire, préposition dans contresens, etc. A citer arrière-main, avant-main,arrière, avant, sont tantôt préposition, tantôt adverbe.

§ 191. -- Combinaison des particules.

Les particules se combinent de quatre manières avec les radicaux et donnent naissance à plusieurs sortes de mots, substantifs, adjectifs, verbes.

1º Elles s'unissent aux verbes, formant ainsi de nouveaux verbes : venir, contrevenir.

2º Elles s'unissent aux noms (substantifs et adjectifs) et aux infinitifs pour former de nouveaux noms : poison, contrepoison ; honnête, malhonnête ; boire, pourboire.

3º Elles s'unissent à des noms pour former avec eux des verbes à l'aide d'un suffixe verbal : em-barqu-er, em-bell-ir (parasynthétiques verbaux).

4º Elles s'unissent à des noms pour former avec eux des substantifs ou des adjectifs à l'aide d'un suffixe nominal : en-tabl-ement, ac-corn-é (parasynthétiques nominaux).

Nous allons étudier chacune de ces quatre formations.

§ 192. -- Particule et verbe (remettre).

La particule est un adverbe ou une préposition prise adverbialement ; elle modifie la signification du verbe en y ajoutant l'idée ou la nuance d'idée qui lui est propre : battre : abattre, combattre, débattre, rabattre ; -- mettre : commettre, démettre, permettre, soumettre, etc. ; -- porter : apporter, comporter, emporter, supporter, etc. ; -- traiter : maltraiter.

§ 193. -- Particule et nom (malheureux, arrière-cour, pourboire).

1º La particule est un adverbe. Tantôt il y a simple juxtaposition avec particule séparable, comme dans malheureux, bien portant, ou avec particule inséparable, comme dans déshonnête, déloyal, désunion ; tantôt il y a ellipse, et par suite composition, comme dans avant-bras, avant-scène, arrière-neveu, arrière-plan, contre-coup, surabondance.

2º La particule est une préposition. Il y a toujours, dans ce cas, une ellipse qui se place entre l'article et le substantif composé : un à-compte est " ce qui est donné à compte " : le contrepoison est " ce qui est, ce qui sert contre le poison ".

Nous reparlerons plus loin des composés (§§ 201, 202) ; pour les juxtaposés, voir § 173.

§ 194. -- Parasynthétiques verbaux.

Les parasynthétiques verbaux sont formés à l'aide d'une particule et un nom auxquels s'ajoute une terminaison verbale. Ils offrent ce caractère remarquable d'être le résultat d'une composition et d'une dérivation agissant ensemble sur un même radical, de telle sorte que l'une ou l'autre ne peut être supprimée sans amener la perte du mot. De barque on tire embarquer, débarquer, sans qu'on ait eu besoin de créer embarque, débarque ou barquer.

La formation des parasynthétiques verbaux est soumise à quelques lois générales.

1º Constatons d'abord que, dans la création des verbes nouveaux, la langue commence volontiers par le participe passé : enrubanné, ensoleillé, ont précédé enrubanner, ensoleiller ; quelquefois le participe passé existe seul avec valeur de participe ou simplement d'adjectif : accorné, suranné.

Les substantifs produisent, en général, des verbes de la Ire conjugaison : balle : déballer, emballer ; -- bouche : déboucher, emboucher ; -- caisse : encaisser ; -- col : accoler, décoler ; -- genou : agenouiller ; -- ligne : aligner ; -- merveille : émerveiller ; -- nuit : anuiter ; -- os : désosser ; -- pâte : empâter ; etc. Quelquefois, alors même qu'il existe un verbe formé par dérivation simple du substantif, le composé peut être regardé comme parasynthétique : charge : charger, décharger ; -- plume : plumer, déplumer. On trouve, mais rarement, des parasynthétiques verbaux de la IIe conjugaison, tirés de substantifs, et ils sont de formation ancienne : bout : aboutir ; -- brute : abrutir ; -- corne : racornir ; -- hure : ahurir ; -- orgueil : enorgueillir ; -- terre : atterrir.

Quelle est la valeur de la particule et du suffixe dans ces parasynthétiques ? La terminaison donne l'idée verbale de " mettre, rendre, faire ", si le composé est un verbe actif ; de " être, venir ", peut-être aussi de " devenir ", si c'est un verbe neutre, et la particule précise cette idée en indiquant le rapport de ce verbe " mettre, rendre " ou " être " avec le substantif. Embarquer, débarquer, s'analyseront donc : mettre (= er) en (= em-) ou hors de (= dé) barque. Atterrir, verbe neutre, sera : venir (= ir) à (= at) terre ; atterrer : verbe actif, mettre (= er) à (= at) terre. Donc la particule dans ces parasynthétiques n'est pas un adverbe, mais une préposition. Elle s'adjoint à un substantif qui lui sert de complément, et son complément reçoit, avec la terminaison verbale du suffixe, l'unité de forme et l'unité d'idée.

2º Les adjectifs donnent généralement des verbes de la IIe conjugaison : bâtard : abâtardir ; -- baub (anc. franç.) : ébaubir ; -- bel : embellir -- doux : adoucir ; -- frais : rafraîchir ; -- moindre : amoindrir ; -- noble : anoblir ; -- rond : arrondir ; -- sourd : assourdir ; -- etc. Moins nombreux peut-être sont les verbes de la Ire conjugaison formés d'adjectifs : chaud : échauder ; -- court : écourter ; -- fol : affoler ; -- gai : égayer ; -- long : allonger ; -- pire : empirer ; -- sot : assoter ; -- etc.

Ici encore, la particule est une préposition : enrichir est " mettre en riche, en l'état de riche ". Mais elle présente dans ces verbes formés d'adjectifs un sens moins précis que dans les verbes formés de substantifs, parce que l'adjectif passant à l'état de substantif devient une sorte de nom abstrait, et que le rapport exprimé par la préposition est moins net quand il détermine un nom abstrait que lorsqu'il détermine un nom concret.

Ces composés formés d'adjectifs ont donc la valeur factitive. Toutefois certains d'entre eux, surtout les verbes en ir, ont une tendance à devenir neutres, c'est-à-dire qu'ils s'emploient absolument : rajeunir est aussi bien " devenir " que " rendre jeune " ; enlaidir est également " devenir " et " rendre laid ".

3º Quelques composés enfin, ceux où entre la particule é, sont d'une analyse plus délicate : émousser, c'est " rendre mousse de (pointu) ". La particule ajoute au mot l'idée de l'état antérieur, par opposition à l'état actuel qu'indique le composé.

§ 195. -- Parasynthétiques nominaux.

Les parasynthétiques nominaux, c'est-à-dire les mots composés d'une particule et d'un nom joints à un suffixe nominal, sont moins nombreux que les parasynthétiques verbaux. Citons parmi les substantifs : accoinçon, déshérence, écoinçon ou écoinson, effûtage, embellie, embranchement, embrasure, empaumure, emplacement, encadrure, etc. ; parmi les adjectifs ou participes adjectifs : effronté, embesogné, empenaillé, englanté, engrêlé, enjoué, éploré, forcené, sous marin, souterrain, etc.

§ 196. -- Étude des diverses particules, dans l'ordre alphabétique.

Nous prenons les particules dans leur forme primitive et étymologique, de manière à suivre plus facilement le développement en français.

1. Ab (ou abs, a) a disparu en tant que préposition dans les langues romanes et ne se retrouve plus qu'en composition : aveugle de *aboculus, avorter de abortare, et son dérivé avorton.

2. Ad (par assimilation ac, af, ag, al, ap, ar, as, at, a) a formé un très grand nombre de mots. Cette particule perdait régulièrement en ancien français son d devant les mots commençant par une consonne ou une voyelle : mais le désir de faire paraître l'étymologie (§ 502) a ramené ce d soit sous sa forme primitive, soit sous sa forme assimilée. Abaisser, abattre, apercevoir, etc., ont conservé la vieille orthographe.

Ad et un verbe. Outre de nombreux composés latins qui ont passé au français, comme acquérir, adjoindre, apporter, etc., il y a une foule de composés nouveaux : abaisser, abattre, affaiblir, apercevoir, assaillir, attirer, etc. La particule ajoute au simple une idée de direction vers un lieu déterminé. En ancien français, ad avait en outre une valeur augmentative : aemplir, " remplir jusqu'au bord " ; mais là encore l'augmentatif n'indique autre chose que l'idée d'une limite atteinte.

Ad et un substantif. La particule se combine avec un complément de manière à former une locution adverbiale ou adjective qui prend, par ellipse, la valeur d'un substantif : être à bandon et, elliptiquement, un abandon ; être à guet, un aguet ; de même acompte, affût, aplomb, appoint, à-propos.

Ad avec un substantif ou un adjectif forme des parasynthétiques verbaux (§ 194).

Ad forme peu de parasynthétiques nominaux : accoinçon, appontement (§ 195).

3. Ante (anti dans anticipare), ne se retrouve que dans des composés transportés du latin au français : ancêtre de antecessor, antan de *anteannum. A côté de ante a dû exister le comparatif *antius représenté par l'anc. franc. ains, que l'on retrouve dans aîné (anc. franc. ainsné).

Ante, dans le latin populaire, a donné abante, avant, qui s'ajoute aux substantifs en qualité d'adverbe : avant-coureur, avant-garde, avant-main, etc. ; en qualité de préposition : avant-main, etc.

4. Bene et male, particules séparables, formaient en latin des juxtaposés dont quelques-uns ont passé en français par le latin ecclésiastique : bénir, benêt. Ils ont servi à créer en français de nombreux juxtaposés : bien-aimé, bienfaiteur, bienveillant, maladroit, malappris, malfaisant, maudire, maussade, etc.

5. Bis est passé en roman sous les formes bes, ba, ber, bar ; dans certains mots, bes a été remplacé par bis par souvenir du latin. Cette particule a son sens étymologique de " deux fois, doublement ", dans besas, besaigre, besaiguë, bisaïeul (anc. franç. besaiol), biscuit (anc. franç. bescuit), brouette pour berouette. L'idée de dualité amenant à celle de séparation, de déchirement, et par suite à celle de peine et de mal, bis a une valeur péjorative dans bagou, balafre, balèvre, barbouquet, barlong, berlue, bévue, bistourner (anc. franç. bestourner).

6. Ca, cal, cali, coli, chari, sont les différentes formes d'un suffixe d'origine obscure et propre au français et au provençal. Il a en général une valeur péjorative : cabosser, calembour, calembredaine, califourchon, camouflet, charivari, colimaçon (normand calimachon).

7. Contra, rare en latin en tant que particule composante, a pris en roman une grande extension, et, comme cette particule est séparable, elle forme de nombreux composés avec des verbes ou avec des substantifs. Contre en composition présente divers sens : tantôt il éveille l'idée d'une action opposée à une autre : contredire, contrepoison ; tantôt une idée d'échange, de retour : contre-balancer ; tantôt l'idée d'une chose située en face d'une autre : contre-allée, contresigner : tous sens d'ailleurs qui se ramènent à ceux du latin contra.

Contre se combine avec des verbes : contre-balancer, contresigner, contrevenir.

Contre se combine avec des noms, soit en qualité d'adverbe : contre-allée, contre-coup, contremarche, contre-rôle, etc. ; soit en qualité de préposition : contrepoison, contresens, à contre-cœur, etc.

8. Cum (com, con, col, cor, co) présente un développement opposé à celui de contra. Fréquent en latin, il est devenu d'un emploi rare en français. Dans les composés français, il se joint aux verbes en ajoutant à l'idée qu'ils expriment celle de réunion : combattre, compromettre, " engager avec soi ", correspondre. Parfois il n'a guère qu'un sens augmentatif : complaindre, contourner, etc. Il se joint aussi en qualité d'adverbe aux substantifs : compère, confrère. Copain pour compain est, comme compagnon, un parasynthétique de l'époque romane primitive, cumpanio (§ 538). Les parasynthétiques verbaux sont très rares : confronter (§ 194). Quant à concentrer, il doit être d'origine savante.

9. De indique en latin éloignement d'un point de départ, et figurément cessation, privation. Parfois il indique l'achèvement d'une action, par suite son intensité. En dehors des rares mots latins composés avec de qui ont passé en français, comme dauber de dealbare, demeurer de demorare, désirer de desiderare, dorer de deaurare, etc., les nouveaux composés sont rares ; car cette préposition, comme nous l'avons vu (§ 187), a été chassée par dis ; citons toutefois débattre, déchoir, degré, demander.

10. Dis indiquant séparation, division, et par suite négation, aboutit aux mêmes significations que de ; de là la confusion qui s'établit entre les deux particules, à l'avantage de dis (§ 187). Cette dernière particule, passée en français sous la forme des, dé, a formé des composés très nombreux :

Avec des verbes : décharger, déloger, démembrer, déshériter, etc.

Avec des noms : dégoût, déloyal, désagréable, désarroi, désastre, déshonneur, désobligeant, etc.

Les parasynthétiques verbaux sont très nombreux : débarquer, défroquer, dégainer, dégauchir, déniaiser, etc. (§ 194).

Il est à remarquer que, dans les mots de formation populaire qui ont conservé le de latin, le français a de avec e mi-muet : degré, demander, demeurer, excepté désirer qui a été rapproché de la prononciation latine de desiderare. Il en est de même des composés avec di, qui, ne reprenant pas la particule dis, ont passé en roman à l'état de simples : demi de dimidium, mais déluge de diluvium.

Il ne faut pas confondre les composés précédents avec ceux où la préposition de est unie à des substantifs pour former de véritables adverbes : debout, ni avec ceux où elle se joint à un adverbe pour en former un nouveau : dehors, dessous, dessus. Derrière est en réalité de-rière et devrait se prononcer ainsi et non dè-rière.

11. E, ex indique en latin extraction, éloignement, privation. Un petit nombre de composés latins ont passé en roman, mais en modifiant la voyelle initiale trop peu sensible : emendare, amender. La langue a remplacé e par ex, et tous les nouveaux composés sont formés à l'aide de ex sous la forme és, é :

Avec des verbes : échanger, échauffer, émouvoir, éprouver, etc.

Avec des substantifs : échantignolle, échenal, etc.

Les parasynthétiques verbaux sont nombreux : écorner, égrener, éparpiller, époumonner, etc. (§ 194).

12. Foris, devenu en français fors, hors, est inconnu en latin comme particule de composition. On le trouve dans quelques expressions comme forbannir, forcené, forclore, forfaire, forjeter, forligner, formariage, formuer, fourvoyer, hormis. Faubourg, faufiler, faux-marcher sont des altérations de forsbourg, forsfiler, forsmarcher.

13. In a passé en français sous les formes en, em. A côté des mots pris du latin, comme enceindre, enclore, enflammer, enfler, enseigner, emplir, employer, etc., il a formé de nouveaux composés soit avec des verbes : enfermer, etc., soit avec des noms, en qualité de préposition : embonpoint, en cas, endroit, entrain, etc. On trouve aussi des parasynthétiques verbaux : embaumer, endimancher, englober, enrouler, etc. (§ 194), et des parasynthétiques nominaux : encâblure, encolure, entablement, etc. (§ 195).

14. In négatif se joignait en latin surtout à des adjectifs pour leur donner une valeur négative, plus rarement à des substantifs. Quelques composés latins ont passé en français : enceinte de incinctam, enfant de infantem, ennemi de inimicum, etc. ; mais in, comme élément de composition, n'a point passé en ancien français ; il a pris au contraire un développement considérable dans la langue savante (§ 275).

15. Inde, adverbe qui a remplacé de bonne heure dans le latin populaire ex eo, ex illo, a passé en français sous les formes en, em, et se retrouve dans quelques verbes composés : enfuir, enlever, entraîner, emmener, emporter.

16. Inter, passé en français sous la forme entre, a servi à créer des composés très nombreux, qui, pour le sens, se divisent en deux séries distinctes. En effet, entre indique le rapport qui existe entre deux ou plusieurs choses dont l'une est en contact avec le milieu de l'autre. En outre, entre signifie aussi " au milieu de ". Mais, de plus, le milieu étant la moitié de l'espace parcouru, entre a encore le sens de " à demi ". De là trois séries de composés verbaux : verbes réciproques : s'entre-assommer, s'entre-battre, s'entre-déchirer, etc. ; verbes actifs dans lesquels entre a le sens de " au milieu de " : entrecouper, entre-croiser, entremêler, etc. ; verbes actifs où entre signifie " à demi " : entre-bâiller, entre-clore, entr'ouvrir, etc.

Entre se combine avec des noms soit comme adverbe : entrebas, entre-cours, entre-temps, etc., soit comme préposition : entr'acte, entre-colonne, entrecôte, etc.

Il ne paraît avoir formé qu'un seul parasynthétique : entre-colonnement (§ 195).

17. Minus a donné une particule séparable moins, qui se trouve dans moins-value, et une particule inséparable més, mé, qui se combine avec des verbes : mécontenter, méfaire, mépriser, mésestimer, etc. ; avec des noms : mésaise, mésaventure, méchant (anc. franç. mescheant), mécontent, mécréant, mégarde.

18. Non, particule séparable, se joint à des substantifs et à des infinitifs pris substantivement, ou à des adjectifs : nonobstant, non-pareil, non-sens, non-valeur, nonchaloir, nonchalant (d'où nonchalance).

19. Ob n'existe que dans quelques mots passés directement du latin au français : occire de occidere, oublier de *oblitare tiré de oblitus, usine de oficina, etc.

20. Per a la forme par dans les mots de formation populaire. Les verbes composés qu'il formait étaient très nombreux en ancien français, et dans ces composés il signifiait " jusqu'au bout " : parachever, parfaire, parfournir, etc., sont des débris de ces nombreuses formations. Il se construisait aussi en ancien français avec l'adjectif et un autre adverbe pour lui donner la valeur d'un superlatif ; il en est resté une trace dans l'expression : c'est par trop fort (§ 589).

21. Post n'existe comme particule composante que sous la forme *postius, puis, que l'on retrouve dans puîné (anc. franç. puisné).

22. Prae n'existe, lui aussi, que dans quelques mots passés directement du latin au français : prêcher de praedicare, préséance de praesidentia, prêter de praestare, prévoir de praevidere et prévôt de praepositus.

23. Pressum, participe passé du verbe latin premo, a été pris adverbialement dans le latin populaire ; il s'est combiné avec ad, d'où après, qui forme quelques noms composés (§ 201). Combiné avec la conjonction que, il forme l'adverbe presque.

24. Pro, devenu en français pour, se trouve dans poursuivre, pourvoir, etc., passés directement du latin au français, et dans des composés nouveaux : pourchasser, pourparler (devenu substantif). Dans pourfendre et pourpoint, il y a eu confusion de sens avec per.

Pour est adverbe dans pourtour, profil, qui est d'origine sans doute italienne (cf. l'anc. franc. porfil, pourfil) ; préposition dans pourboire.

25. Re marque en latin soit le rétablissement dans le premier état, soit l'augmentation, soit la rétrogradation, soit l'opposition, soit enfin la réciprocité. Il a conservé tous ces sens en français : racheter, recourber, refaire, reluire, repousser, retourner. Il existe un certain nombre de verbes composés avec la préposition à qui, combinés avec re, ont ra comme syllabe initiale : rabougrir de abougrir, rapetisser de apetisser ; sous l'influence de ces composés réguliers, la particule re est devenue dans beaucoup de mots ra : rafraîchir, rassasier, ravauder, etc.

La langue populaire fait un emploi abusif de re : elle en affaiblit ou efface complètement la valeur dans un grand nombre de composés qui n'expriment plus une idée autre que celle du simple : rapproprier, rassortir, récurer, remplir, renforcer, rétamer, etc., pour approprier, assortir, etc.

Cette particule se présente tantôt sous la forme re : recevoir, tantôt sous la forme ré : réjouir. La forme ancienne est re, qui élidait l'e devant une voyelle : raccourcir, rapprendre. Ré ne devrait se trouver que dans les cas où re précédait des verbes composés avec la particule es : récurer (de escurer), réjouir (anc. resjouir) ; mais, sous l'influence de la prononciation latine, a été substitué à re dans un certain nombre de mots, soit anciens, soit nouveaux, commençant par une voyelle, afin d'éviter l'élision qui effaçait trop la particule : réajourner, réappeler, réunir, etc. De là parfois dans la langue de véritables doublets, comme recréer, récréer ; reformer, réformer, l'un étant le composé français re + créer, former, l'autre le mot latin recreare, reformare. On conçoit qu'il y ait eu parfois hésitation, et que, quand un composé de ce genre présentait deux sens très différents, comme repartir, on ait marqué cette différence en assignant re à l'un des doublets et à l'autre. A plus forte raison s'explique-t-on ainsi l'existence de formes différentes pour des mots strictement apparentés : rebelle et rébellion, refuge et réfugier, rouvrir et réouverture, etc.

26. Se, particule inséparable en latin, n'existe que dans quelques mots passés directement du latin au français : séduire de seducere, sevrer de *seperare, sûr de securum, etc.

27. Sine, devenu sans, n'existe que dans des composés nominaux où il joue le rôle de préposition (§ 201).

28. Sub, devenu sou, se, n'existe que dans des mots passés directement du latin au français : sourire, secouer, secourir, séjourner, semondre, etc. Sub, dans beaucoup de composés, a été chassé par subtus.

29. Subtus sous la forme sous a remplacé subter comme adverbe et comme préposition. Il se combine avec des verbes : soubattre, souligner, soupeser, etc., et avec des substantifs et des adjectifs en qualité d'adverbe (§ 202) et de préposition (§ 201).

30. Super devenu sur exprime une idée de superlatif dans : surajouter, surbaisser, surcharger, surchauffer, surenchérir, etc. Il se combine comme adverbe avec des substantifs (§ 202) et donne un parasynthétique nominal : surnaturel, sur le modèle duquel a sans doute été créé surhumain (§ 195).

31. Sursum ou susum est devenu en français sus, qui s'emploie seulement comme adverbe dans quelques expressions : susdit, susénoncé, etc., formes qui sont d'ailleurs plutôt d'origine savante.

32. Trans est devenu tra et tré dans traduire, traverser, travers, mots transportés du latin, et trébucher, tressaillir, etc. Le sens de la particule dans ces composés est celui de " à travers, jusqu'au bout ", et, par extension, " beaucoup, fort ".

33. Ultra, devenu outre, se trouve dans l'ancien français outrecuider (d'où outrecuidance), outrepasser, outrepeser. Il figure aussi dans quelques locutions juxtaposées en qualité de préposition.

34. Vice se combine en latin avec les substantifs : vice-præfectus. Le français a imité cette tournure : de là les composés demi-populaires anciens vicomte, vidame et les composés demi-populaires plus récents vice-amiral, vice-consul, vice-roi, etc.

III. -- COMPOSITION PROPREMENT DITE

§ 197. -- Division et classement.

La composition proprement dite repose sur l'ellipse (§ 171). Les formes qu'affecte l'ellipse sont très diverses, et, par suite, très diverses sont les sortes de composition. Nous allons les passer en revue, en commençant par les plus simples, celles qui se rapprochent le plus de la juxtaposition, pour finir par les plus compliquées.

§ 198. -- Apposition.

Au plus bas de l'échelle de la composition se trouve l'apposition. Celle-ci est plus qu'une juxtaposition, car elle a pour effet de modifier la nature de l'un des substantifs, celui qui est apposé, en le réduisant au rôle d'attribut : chou-fleur s'analyse en chou qui est fleur ; chef-lieu, en lieu qui est chef.

Le latin n'a guère développé l'apposition ; on n'en peut guère citer comme exemples que arcus ballista, devenu arbalète ; mus araneus, d'où musaraigne, d'après un féminin mus aranea. Aussi les composés par apposition sont-ils rares dans la vieille langue ; ils sont, au contraire, très nombreux dans le français moderne :

1º Le déterminant précède : aide-major, chef-lieu, maître clerc, maîtresse femme, mère patrie, tambour-maître, etc.

2º Le déterminant suit : bateau-mouche, betterave, biens-fonds, café-concert, carte-lettre, chafouin, chêne-liège, chou-fleur, chou-rave, commissaire-priseur, compère loriot, cornemuse, lieutenant-colonel, martin-pêcheur, pierre ponce, sabre-baïonnette, etc.

On pourrait centupler cette liste, sans épuiser la richesse de cette composition plus vivante que jamais, surtout dans la terminologie des métiers, celle des sciences et celle de la presse. Toutefois, il est souvent difficile d'affirmer que certains de ces composés sont formés par apposition ; il est possible que le second terme soit un simple adjectif, par exemple dans papier brouillard, ou complément du premier, par exemple dans café-concert, roman-feuilleton (§ 200).

§ 199. -- Composés dépendant de l'apposition.

A l'apposition se rattachent diverses séries de noms composés :

1º Des composés qui désignent un objet par un nom propre le personnifiant et y joignent par apposition un nom commun qui le qualifie : Colin-maillard, Colin-tampon, Martin-bâton, Marie-salope, etc.

2º Les expressions honorifiques, telles que Son Excellence le ministre, Sa Majesté le roi, Sa Sainteté le pape, etc. Les combinaisons des noms propres avec Monsieur, Madame, etc., où l'apposition se réduit à une simple juxtaposition : Monsieur Alphonse, Madame Pernelle.

§ 200. -- Composition avec génitif.

Le génie de la langue a paru jusqu'ici contraire à ce procédé de formation d'après lequel le second nom dépend du premier par ellipse de la préposition. Voici les mots qui présentent ou qui paraissent présenter cette construction : abri-vent, banlieu, banvin, blanc-Rhasis, camperche, champart, chanlatte, fourmi-lion, orfèvre, terre-plein, timbre-poste, timbre-quittance. Est-ce assez pour pouvoir affirmer que nous possédons la composition avec génitif ? Peut-être ; en tout cas, elle existe en germe. Et si l'on considère les nombreuses formations analogiques, telles que maison Pierre et compagnie, librairie Delagrave, etc. ; la composition par apposition, plus riche encore ; la composition avec les noms de couleur, d'un usage tout aussi populaire ; si l'on remarque que ces divers procédés de formation, grâce à leur ressemblance extérieure et à l'oubli des constructions anciennes, tendent maintenant à se confondre dans une même construction ; si l'on ajoute à cela l'imitation anglaise, il ne paraît pas invraisemblable que la composition avec génitif doive profiter de toutes ces circonstances pour prendre racine dans la langue.

§ 201. -- Composition du type ACOMPTE, POURBOIRE.

Les composés français de ce genre ont été, pour la plupart, adverbes ou locutions adverbiales avant de devenir substantifs, et sont formés de différentes prépositions.

A : abandon, acompte, acoup, adieu, alentour, aloi, amont, aplomb, appoint, à-propos, atout, aval, averse.
Après : après-dîner, après-midi, après-souper, etc.
Arrière : arrière-main.
Avant : avant-main, avant-scène.
Chez : chez-soi.
Contre : contrepoison, contresens, contre-temps, contrevent, etc.
De : débonnaire (= de bonne aire).
En : embonpoint, en-cas, endroit, en-tout-cas, entrain, etc.
Entre : entr'acte, entrecuisse, entregent, entreligne, entremets, entresol, etc.
Fors, hors : faubourg, hors-d'œuvre, etc.
Outre : outremer.
Par : pardessus, parterre, etc.
Sans : sans-cœur, sans-gêne, sans-souci, etc.
Sous : sous-œuvre, sous-seing, etc.
Sur : surplus, surpoint, surtout, etc.

§ 202. -- Composition du type ARRIÈRE-COUR.

Dans les composés de ce genre, l'ellipse est très apparente : le composé arrière-cour s'analyse en : cour qui est arrière ou cour d'arrière. Le rejet du substantif après l'adverbe est conforme au principe général de la composition ancienne, qui place d'ordinaire le déterminant avant le déterminé. Dans quelques-uns de ces composés, le substantif, par une sorte de syllepse, au lieu de représenter l'objet entier qu'il désigne, n'en représente qu'une partie, celle que précisément détermine l'adverbe : ainsi avant-bras, arrière-bouche, etc., qui signifient non le bras, la bouche, mais la partie du bras, de la bouche qui est avant ou qui est arrière.

Arrière : arrière-ban, arrière-bouche, arrière-neveu, etc.
Avant : avant-bras, avant-garde, avant-main, avant-port, etc.
Contre : contre-allée, contre-amiral, contre-coup, etc.
Entre : entrebande, entrebât, entre-temps,entre a le sens de " par le milieu " ; entre-cours, le sens de réciprocité ; entre-fin, entre-large, celui de " à demi ".
Par : parclose, parfin (archaïque).
Sous : sous-bail, sous-lieutenant, sous-préfet, etc.
Sur : surbande, surpoids, etc.

§ 203. -- Composition du type COLPORTER.

Le latin possède des juxtaposés formés d'un verbe et d'un complément : manumittere, crucifigere, animadvertere, etc. Le français a développé cette composition ; mais, par la chute des flexions, ce qui était juxtaposé en latin est devenu naturellement composé. Manutenere s'explique par la syntaxe latine ; maintenir ne peut s'expliquer par la syntaxe française ; il faut y voir une ellipse. En fait, le substantif est devenu une sorte de radical, dont le verbe seul détermine le rôle dans la composition.

Citons comme composés de ce genre : billebarrer, blanc-poudré, boursoufler, bousculer, caillebotter, champlever, chantourner, colporter, court-mancher, culbuter, houspiller, morfondre, saupoudrer, vermoulu, etc.

§ 204. -- Composés du type PORTEFEUILLE.

Cette composition, très riche et très vivante, présente un intérêt particulier par la nature de ses éléments.

Trois hypothèses peuvent être émises sur la nature de l'élément non nominal : celles d'un radical verbal, d'un impératif ou d'un indicatif. La théorie qui voit dans porte de portefeuille un simple radical verbal n'est pas soutenable. Quelle est, en effet, la notion que présente un radical ? C'est celle d'une action vague et indéterminée. Or, dans nos composés, comme le second élément est très souvent un régime, le premier élément verbal ne peut pas présenter une idée générale d'action, mais au contraire l'idée d'une action qui s'exerce sur un objet ; le verbe ici sort de l'abstraction pour entrer dans la réalité vivante ; il faut donc y voir absolument une fonction déterminée du verbe, un mode particulier. Quel est ce mode ?

Comme les quatorze quinzièmes des composés de ce genre sont formés de verbes de la Ire conjugaison au singulier avec complément sans déterminatif, tels que portemanteau, tire-botte, garde-manger, etc., on est porté au premier abord à croire qu'on a affaire ici au mode indicatif. Mais on est forcé de reconnaître que l'élément verbal a été à l'origine un impératif, 2e personne du singulier, pour les raisons suivantes :

1º Les noms traduisant dans le latin du moyen âge des noms français correspondants présentent presque sans exception l'impératif, et cela dès le IXe siècle : tenegaudia (porte-joie), portaflorem (porte-fleur), portapoma (porte-pomme), etc.

2º Dans certains composés de l'ancien français, l'impératif est indiscutable : Jehan Boi l'eau, Martin Boivin, Martin clo mes oeulz, Uguignon fai mi boire, etc. ; boi, clo et fai sont des impératifs.

3º L'impératif est visible dans une foule de locutions de la langue moderne, comme : un ne m'oubliez pas, un pensez à moi, un revenez-y, un venez-y voir, un rendez-vous.

4º De même certains composés latins, usités encore aujourd'hui, présentent l'impératif : fac-simile, factotum, nota bene, salva nos, vade-mecum.

5º Une dernière raison en faveur de l'impératif, est que le régime vient après le verbe. Or cette construction, qui apparaît dès les premiers temps de la langue, n'est possible qu'autant que le verbe est à l'impératif, parce que, dans la syntaxe primitive du français, les régimes suivaient le verbe à l'impératif et le précédaient à l'indicatif.

§ 205. -- Composés avec l'impératif.

On a donc commencé par créer ces composés avec l'impératif. Outre les exemples que nous venons de citer, l'impératif est évident dans les composés suivants, qui ne peuvent s'expliquer que par un impératif suivi d'un vocatif : grippe-minaud, (à) saute-mouton, bêche-Lisette, morgeline, etc. Rappelons aussi certaines expressions familières où la formation avec l'impératif se laisse prendre sur le fait : fouette cocher ! va comme je te pousse ! en veux-tu, en voilà !

§ 206. -- Composés avec l'indicatif.

Cette composition avec l'impératif, aussi vieille que la langue et encore en pleine activité, a pour caractère essentiel d'être une création spontanée, qui ne se raisonne pas et se fait par une intuition synthétique. Aussi, quand le peuple veut analyser ces formations, par cela même qu'il substitue l'analyse à la synthèse, il ne se trouve plus dans la situation d'esprit qui les a inspirées jadis, et il ne les comprend plus. Il les reprend avec des erreurs, et tout le premier se trompe sur son œuvre. Demandez à quelqu'un de vous expliquer ce que c'est qu'un revenez-y, son premier mouvement sera de définir : " ce qui engage à revenir " ; le nom propre Boileau, où l'impératif est incontestable, repris par l'analyse, devient " qui boit de l'eau ".

Et cette analyse logique, qui tend à substituer la signification de l'indicatif à celle de l'impératif, se trouve singulièrement aidée par la confusion grammaticale du français entre l'impératif et l'indicatif de la Ire conjugaison, les quatorze quinzièmes des composés verbaux appartenant à celle-ci.

De là deux forces qui agissent pour former ces composés : l'une, la force primitive qui les a créés à l'origine avec le verbe à l'impératif, et qui, toujours existante, est encore en pleine activité ; l'autre postérieure, la force analogique, qui imite et applique aveuglément, sans se soucier des erreurs, les formes dues à la première. L'une crée les composés où l'impératif laisse encore visible le dialogue ; l'autre donne ceux où le verbe n'exprime plus que l'action pure et simple, et se réduit au présent. Cette création avec l'indicatif s'est faite de bonne heure ; on trouve déjà en ancien français fait-pain, mal le vaut, tient le vent, etc., comme sobriquets ; dans la langue moderne, comment expliquer autrement que par l'indicatif abat-jour, meurt-de-fain, tord-boyaux, etc. ? Les deux forces coexistent donc depuis longtemps et luttent encore aujourd'hui entre elles.

§ 207. -- Classement de ces composés.

Pour classer ces composés, nous supposerons qu'ils renferment tous un impératif, et l'ellipse y sera triple, suivant les trois personnes du discours :

1º C'est l'objet qui parle.
2º C'est à l'objet qu'on parle.
3º C'est de l'objet qu'on parle.

Ces trois sortes d'ellipses sont naturelles et instinctives.

Par une métaphore hardie, l'esprit amène l'objet, lui parle, le fait parler ou imagine un interlocuteur avec lequel il en parle, et, de ces dialogues spontanément conçus, d'une manière consentie ou non, il ne reste que l'écho lointain dans la forme verbale du composé.

§ 208. -- Composés de la 1re personne.

Ici l'objet est supposé parler, et il y a ellipse de " ce qui dit ". Les composés de ce genre sont rares : ne m'oubliez pas (nom du myosotis), laissez-passer, boit-tout.

§ 209. -- Composés de la 2e personne.

Ici on s'adresse à l'objet, et il y a ellipse de " ce à quoi on dit ". Les composés de ce genre sont les plus nombreux :

Tantôt le verbe est accompagné d'un régime direct : abaisse-langue, allume-feu, attrape-nigaud, brise-lames, cache-corset, casse-tête, chauffe-linge, coupe-fil, croque-mort, cure-oreille, fesse-mathieu, gagne-pain, garde-barrière, grippe-sou, hache-paille, licol, passepoil, perce-neige, pèse-vin, portemanteau, pousse-café, prête-nom, remue-ménage, ronge-maille, tournevis, etc.

Tantôt le verbe est accompagné d'un complément indirect : boute-en-train, chie-en-lit, croque-en-bouche, meurt-de-faim, pince-sans-rire, touche-à-tout, vol-au-vent, etc.

Tantôt le complément est un adverbe ou un adjectif, un substantif ayant valeur d'adverbe : boute-hors, chasse-avant, court-vite, gagne-petit, hale-avant, mâche-dru, passavant, passe-debout, trotte-menu, vaurien, etc.

Tantôt le verbe est accompagné d'un substantif au vocatif, soit masculin : cauchemar, claquebois, grippeminaud, etc. ; soit féminin : bêche-lisette, chausse-trape, trousse-barre, etc.

Tantôt il y a double impératif : chante-pleure, chassez-déchassez, passe-passe, tire-laisse, tournevire, va-et-vient, etc.

§ 210. -- Composés de la 3e personne.

Ici il est question de l'objet, et il y a ellipse de " ce à propos de quoi on dit ".

Tantôt le verbe a un régime direct : baisemain, boute-selle, casse-cou, couvre-feu, mangetout, rendez-vous, etc.

Tantôt il a un régime indirect : saute-en-barque.

Tantôt il a un infinitif pour complément direct : venez-y-voir.

Tantôt il est accompagné d'un adverbe : passe-partout, revenez-y.

Tantôt il est avec un substantif au vocatif : coupe-faucille, morgeline, marchepied, etc.

§ 211. -- Du genre de ces composés.

Les composés précédents sont essentiellement adjectifs. Mais ces adjectifs peuvent s'employer absolument, et, alors, comme les composés avec préposition, ils deviennent neutres quand ils s'appliquent à des choses : un attrape-mouches, un chasse-pierres, etc., c'est-à-dire " ce qui attrape les mouches, etc. ". Cependant cette règle ne s'applique qu'à une classe de composés, celle des composés formés d'un verbe accompagné d'un complément direct ou indirect, ou d'un adverbe, et, dans cette classe même, elle souffre un certain nombre d'exceptions. Quelques-uns sont féminins : les uns, comme bouteroue, garde-robe, parce que les éléments qui les composent se sont soudés, et que, n'étant plus sentis comme composés, ils prennent le genre de leur terminaison, les autres, comme perce-neige, perce-pierre, parce qu'on les considère comme des adjectifs pris substantivement, et que, par suite, ils s'accordent avec les substantifs sous-entendus auxquels ils se rapportent.

Pour les composés formés d'un impératif et d'un vocatif ou de deux impératifs ; ils échappent à cette règle. Dans les premiers, le genre est déterminé par le vocatif, l'objet étant désigné par le nom qui est au vocatif ; l'impératif ne joue que le rôle d'une épithète qui vient déterminer ce dernier : la bêche-lisette est la lisette que l'on engage ironiquement à bêcher ; le composé ne peut donc avoir que le genre du nom. Dans les seconds, la raison qui détermine le genre est psychologique. En effet, les composés avec deux impératifs ne diffèrent des précédents que parce que l'épithète y est double et parce que le nom de l'objet auquel s'applique la double épithète est sous-entendu. L'objet étant simplement conçu, le genre du composé dépend donc de la nature de cette conception, de l'aspect sous lequel le nom se présente à l'esprit. De là les masculins cache-cache, passe-passe, et les féminins chantepleure, tournevire, virevire.

§ 212. -- Adverbes tirés des composés verbaux.

Certaines locutions adverbiales sont tirées de ces composés verbaux, telles que d'arrache-pied, à brûle-pourpoint, à cloche-pied, à l'emporte-pièce, à tire-larigot, à tue-tête, etc.

Dans ces adverbes, qui, comme les noms composés, présentent divers compléments, substantif à l'accusatif, infinitif, vocatif, etc., il est à remarquer que rarement, comme dans emporte-pièce, le composé existe isolément comme nom ; dans la plupart de ces locutions, l'impératif ne peut se séparer de la préposition.

§ 213. -- Composés irréguliers.

Certaines formations échappent à tout classement : ce sont des phrases ou des fragments de phrases que l'usage, en les affublant d'un article, transforme en substantifs, comme : coq-à-l'âne, dinde, ducroire, faire-le-faut, sauve-qui-peut, etc. D'autres sont encore inexpliqués, comme brassicourt, éclaboussure, filagor, etc.

Pour les mots comme lendemain, lendit, lierre, luette et abajoue, accoursie et mamour, voir § 509.


Notes

1. Parfois le suffixe du simple est supprimé, et c'est directement à son radical qu'on ajoute un autre suffixe : ainsi bâtonnat, officiat, violâtre, de bâtonnier, officier, violet, au lieu de *bâtonneriat, *officeriat, *violetâtre.

2. La même analogie a créé pineraie, ronceraie, d'après les dérivés réguliers châtaigneraie, fougeraie, pommeraie, etc.

3. Nous entendons par là non seulement des dérivations simples qui procèdent immédiatement du primitif, comme manica de manus, mais aussi celles qui procèdent d'une autre dérivation, comme -at-icus. Ces dérivations ont, dans les deux cas, presque toujours besoin d'une voyelle de liaison. Nous rencontrons les consonnes c, d, I, m, n, r, s, t, v.

4. Dans un certain nombre de mots, comme cadenas, cannelas, cervelas, cornillas, la désinence actuelle s'est substituée au suffixe at étudié § 131. Les autres noms en as, comme canevas, coutelas, galetas, etc., sont d'origine étrangère.

5. Mordache pour mordasse paraît dialectal. Quant aux autres mots si nombreux en ace, asse ou ache, ils sont d'origine étrangère.

6. Dans épinoche, filoche, freloche, mailloche, mioche et pioche, il faut reconnaître non le suffixe dialectal oche qui se trouve dans caboche, mais le représentant régulier en français d'un suffixe occa inconnu au latin classique. Quant à brioche et taloche, l'origine en reste obscure, aussi bien en ce qui concerne le radical qu'en ce qui concerne la désinence.

7. Le diminutif capuchon semble indiquer que l'italien cappuccio a d'abord été rendu en français par *capuche ; quant à notre mot actuel capuche, il paraît avoir été tiré après coup de capuchon par une sorte de dérivation régressive.

8. On a rattaché cabus au provençal cabus, qui correspond à l'italien capuccio ; mais, le chou cabus étant déjà désigné sous ce nom par le médecin italien Alebrant de Sienne, qui écrivait en français au XIIIe siècle, il est plus vraisemblable d'attribuer à ce mot une origine italienne.

9. Merluche est en apparence une forme normanno-picarde pour merluce, qui serait le correspondant exact en français du provençal merlusso et de l'espagnol merluza ; mais il ne semble pas réellement indigène dans la région française correspondante.

10. Un type *flaxidum ou *flascidum rendrait mieux compte de la forme française.

11. Cf. le provençal moisse.

12. Lisible et nuisible ne datent guère que du XIVe siècle. Ils ont pris la place des formes de l'anc. franç. lisable, nuisable, sans doute sous l'influence des formes latines legibilis, nocibilis.

13. Barberon, nom prétendu du salsifis, est issu d'une double erreur typographique pour barbebou, provenç. barbabou (barbe de bouc).

14. Dans singleton le suffixe ton a été ajouté au mot anglais single.

15. C'est le sens qu'a ce mot dans l'exemple des Serm. de saint Bernard cité dans le Dictionnaire à l'article ivrogne.

16. Sénevé correspond à un type *sinapatum et a dû s'employer de bonne heure comme substantif.

17. L'italien ata était anciennement ada.

18. Ypréau pour ypreau est une prononciation fautive consacrée par l'usage.

19. Dans des mots comme ableret, couperet, dameret, feuilleret, gorgeret, guilleret, etc., et a pris la place de ez, étudié § 82 bis.

20. Patauger est pour patauder, de pataud.

21. L'étymologie de tâter d'après *taxitare, fréquentatif de taxare, n'est pas sûre. Convoiter, que l'on a voulu tirer de *cupiditare, se rattache à un type *cupidietare de formation inexpliquée.

22. Nous n'expliquons ici que le mécanisme de la formation de ces mots invariables ; nous renvoyons le détail aux §§ 726 et 727.