§ 214. -- Généralités.
La formation savante a exercé une action profonde : elle n'a pas seulement augmenté le vocabulaire, mais elle tend de plus en plus à modifier l'aspect même de la langue.
La formation savante est double, latine et grecque. La formation latine date des origines de la langue, la formation grecque du XVIe siècle. La première a enrichi la langue commune ou écrite ; la seconde commence à l'altérer. Nous étudions d'abord la formation latine, dont l'action est plus ancienne, plus considérable.
FORMATION SAVANTE LATINE
§ 215. -- Vues générales sur la formation latine. -- Bas latin.
Dans la formation savante latine, il faut distinguer deux courants différents, celui du bas latin et celui du latin classique. La formation savante latine a commencé dès l'origine même de la langue. A l'époque où le latin populaire, après la chute de l'Empire, se transformait librement dans la bouche des populations gallo-romanes, le latin classique se perpétuait dans le bas latin, instrument des gens lettrés. La langue commune, le roman, était insuffisante pour l'expression des idées philosophiques, scientifiques et morales. Aussi jusqu'au XVIe siècle la plupart des penseurs ont-ils recours au latin. La langue dont ils se servent a sans doute beaucoup de rapports avec la langue parlée jusqu'à la renaissance des études sous Charlemagne ; elle est semée de barbarismes et de solécismes. Mais à partir de l'époque carolingienne, elle se rapproche davantage du latin classique, malgré des différences de vocabulaire, dues aux différences de milieu et de civilisation. C'est surtout par le bas latin que, durant tout le moyen âge, pénétrèrent en français les mots savants. Quand la langue vulgaire, au IXe et au Xe siècle, commença à s'écrire, les clercs firent naturellement entrer des mots latins dans les textes qu'ils composaient, et ils les tiraient du bas latin et non du latin classique. La cantilène de sainte Eulalie, les poèmes de saint Léger et de saint Alexis en renferment déjà un grand nombre ; la chanson de Roland elle-même en contient quelques-uns.
Dans les emprunts faits au bas latin, il faut distinguer les emprunts au latin ecclésiastique, les emprunts au latin scolastique et les emprunts au latin scientifique.
§ 216. -- Emprunts au latin ecclésiastique primitif.
Les emprunts au latin ecclésiastique primitif se divisent en deux classes : une première comprend certains mots introduits dès l'origine de la langue par les clercs et qui ont ceci de particulier qu'ils sont mi-populaires, mi-savants ; ils sont mi-populaires en ce sens qu'ils ont conservé à l'accent tonique la place qu'il avait en latin ; ils sont mi-savants en ce que ni les voyelles ni les consonnes qui les composent n'ont subi toutes les transformations phonétiques qu'elles subissent dans les mots populaires. Tels sont les mots âme (anc. franç. aneme), ange, apôtre, chanoine, martyr, moine, etc.
La seconde classe, beaucoup plus considérable, comprend des mots transportés à différentes époques dans la langue, les uns avec leur forme latine, comme agnus, angelus, confiteor, credo, gaude, gaudeamus, gloria, magnificat, etc., les autres pourvus d'une terminaison française : abjection, abnégation, acolyte, anathème, Bible, décrétale, fonts, géhenne, etc.
Beaucoup de ces mots existaient déjà dans le latin classique, mais avaient pris dans le latin ecclésiastique un sens particulier ; ainsi abnegatio, qui avait en latin le sens de refus était employé dans les écrits religieux avec celui de renoncement à soi-même ; fonts, de fontes, nous présente de même une signification restreinte à une cérémonie.
§ 217. -- Emprunts à la terminologie scolastique.
Les emprunts à la terminologie scolastique sont nombreux. Tantôt ce sont des formules transportées telles quelles en français : ab hoc et ab hac, accessit, ad hoc, ad hominem, ad libitum, admittatur, ad patres, ad rem, ad valorem, cancan, campos, deficit, distinguo, ergo, exeat, hic, in extenso, in extremis, item, etc. Tantôt ce sont des termes de philosophie ou de droit auxquels on a donné une terminaison française : affilier, annihiler, compréhensible, conceptualisme, concerner, contingence, corporéité, correctif, correspondre, crédibilité, curatelle, différencier, disponible, extravagant, impulsif, inadvertance, individu, intérêt, etc. Tantôt ce sont des noms de grades, comme baccalauréat, juriste, magister, etc.
§ 218. -- Emprunts scientifiques.
Le latin étant non seulement la langue de l'Église et des écoles, mais aussi celle des savants et des médecins du moyen âge, quelques emprunts de termes scientifiques remontent à cette époque ; tels sont les mots abaque, allodial, amalgame, amodier, annate, anomalie, etc.
§ 219. -- Emprunts de signification.
La langue populaire et la langue savante ne pouvaient vivre côte à côte, séparées par un mur infranchissable. Il devait arriver que l'une exerçât quelquefois son influence sur l'autre ; telle signification pouvait passer d'un domaine dans le domaine voisin, sous l'empire de causes diverses. Ainsi poser, de pausare, cesser, a pris le sens de " poser ", d'après le radical pos de certaines formes de ponere. Contracter, de contractus, contrat dans son sens figuré a emprunté la signification propre de contrahere. Habit, du latin habitus, " manière d'être, extérieur ", puis vêtement, a communiqué ce dernier sens à abiller, habiller, qui n'avait primitivement que le sens de " mettre en état, préparer ". Un mot peut quelquefois, à côté de son sens ancien, prendre d'autres significations par retour à l'étymologie dans le latin classique. Tel a été, en ancien français, le mot office, qui, dès que l'on commença à traduire, prit le sens de " devoir " : Traité des offices de Cicéron. Le sens de " rythme " pour nombre et celui de " génie bienfaisant " pour démon sont dus à une résurrection de significations perdues. C'est ainsi que Pascal, songeant au sens de negare, emploie nier avec le sens de " refuser " : libre d'octroyer la demande ou de la nier. Définir est quelquefois employé dans la langue actuelle avec le sens de " délimiter, circonscrire ", comme en latin definire. Neveu, par souvenir de nepos, a pris quelquefois le sens de " petit-fils ". Enfin, tel mot existant déjà en français avec un sens précis, en prend un nouveau, en gardant sa forme, par importation étrangère : ainsi parade, record, réduit.
§ 220. -- Action du latin classique.
A partir de la fin du XIVe siècle, le latin classique commence à le disputer en influence au latin scolastique. C'est l'époque où Bersuire traduit Tite-Live et verse à pleines mains dans sa traduction, sous leur forme latine à peine déguisée, les termes de la politique et de l'administration romaine. Le lexique de notre langue perd dès lors peu à peu ses caractères originaux pour reprendre ceux du lexique latin. Au XVe siècle la renaissance latine, représentée par les rhétoriqueurs, pour qui l'idéal est de parler latin en français, et au XVIe siècle les orateurs au style fleuri, à la période cicéronienne, les nombreux écrivains qui préfèrent recourir au latin, les uns par pédanterie et affectation, les autres par paresse, inondent la langue de termes nouveaux. Avec la révolution opérée par Malherbe dans la poésie, par Balzac dans la prose, la phrase latine devient le type sur lequel se moule la phrase française. En vain Vaugelas interdit la création de mots nouveaux, c'est-à-dire l'emprunt de mots latins, la formation latine continue sans relâche. L'étude de nos classiques, à cet égard, est curieuse et instructive. Les écrivains de la seconde moitié du XVIIe siècle sont d'autant plus latins que les sujets qu'ils traitent sont nobles et solennels. La langue de Molière et de la Fontaine est plus voisine de la langue du peuple, et par suite, on peut vraiment dire, plus française.
Au XVIIIe siècle, l'imitation latine grandit sous une nouvelle influence : nous voulons parler de cette tendance à l'abstraction qu'on voit poindre déjà dans la langue du XVIIe siècle, et qui, de nos jours, a pris une si funeste extension. Les noms concrets sont remplacés par des abstraits, les verbes par des noms d'action ; de là ce nombre sans cesse grandissant de mots en ité, en ation, empruntés ou imités du latin. Ainsi de plus en plus la langue française perd ses caractères propres pour prendre ceux de la langue latine.
§ 221. -- Emprunts au latin classique.
Les emprunts au latin classique sont innombrables. Qu'il nous suffise de citer, dans la lettre A : abject, ablation, abluer, abolition, abominer, abondance, abortif, absorber, absorption, abstinence, absurde, accéder, acception, acclamer, accumuler, acerbe, âcre, adage, adapter, addition, adhérer, adjonction, administrer, admirer, adopter, adorer, etc. (1).
§ 222. -- Dérivation. -- Caractères généraux.
La dérivation latine a été reprise par la langue moderne presque sous toutes ses formes. Des suffixes que le latin populaire avait abandonnés, et qui, par suite, étaient restés étrangers au français, ont reparu dans notre langue pour y retrouver une nouvelle existence. Tels sont atoire, ique, isme, iste, etc. Les suffixes latins ont eu ou ont chez nous diverse fortune : les uns restent confinés dans un coin de la terminologie scientifique et gardent leur caractère étranger ; tel le suffixe ium servant à former des noms de métaux ou de métalloïdes : calcium, rubidium, etc. Les autres, grâce à un emploi plus étendu, à une signification plus générale, ont pénétré plus profondément dans la langue : ainsi ation, iser, ité, atoire, if, etc. Parmi ceux-ci, on en voit qui s'ajoutent à des radicaux français : central donne centraliser, centralisation ; réglementer donne réglementation ; d'autres se fixent aux radicaux latins : axilla donne axillaire, genus générique. Dans le premier cas, comme dans le second, le principede formation est le même ; iser et ation se combinent avec les radicaux latins (réels ou fictifs) ; mais ces radicaux ne se distinguent pas, sous leur formation latine, de la forme qu'ils affectent en français : centralisation aurait pu exister en latin sous la forme centralisatio, ionis.
Il peut arriver aussi que le radical subisse une sorte de restauration latine quand il est pourvu d'un suffixe populaire : formel donne formaliser ; de précepteur on fait préceptoral, et non précepteural ; électeur électoral, proviseur provisorat, protecteur protectorat.
§ 223. -- Suffixe latin EUS, EA.
Eus, ea, a pénétré d'abord en français sous la forme ée commune au masculin et au féminin : aérée, momentanée, simultanée, etc. Puis, pour distinguer le masculin du féminin, on a réservé la forme ée au féminin, et l'on a, d'après elle, créé une forme masculine correspondante, é : aéré, momentané, simultané, etc.
Les botanistes ont formé un grand nombre de noms de plantes à l'aide de ce suffixe sous la forme plurielle eæ, qu'on a francisée en ées : aristolochiées, grossulariées, jasminées, juglandées, etc.
§ 224. -- Suffixe latin IUS, IA, IUM.
Ius n'a rien donné. Ia, au contraire, a servi aux botanistes à former des noms de plantes qui ont passé tels quels en français : camélia, dahlia, hortensia, magnolia, ratanhia (2), et dont quelques-uns ont pris la forme ie : collinsonie, kalmie, ruellie, swertie, etc.
Quant au neutre ium, il a eu un grand développement dans la terminologie chimique, où il sert à désigner des métaux. Il s'ajoute aux radicaux les plus divers, radicaux de noms propres, de noms communs, d'adjectifs, soit grecs comme ammonium, cadmium, glucinium, soit latins comme aluminium, calcium, silicium, soit français ou étrangers comme potassium, ruthénium, sodium, etc.
§ 225. -- Suffixe latin UUS.
Uus, qui se trouve en latin dans arduus, ardu ; assiduus, assidu ; exiguus, exigu, etc., n'a pas donné en français de formations nouvelles.
§ 226. -- Suffixe latin AEUS.
Aeus n'a presque rien donné : citons seulement cobæa, nom de plante adopté tel quel ; on dit aussi cobée.
§ 227. -- Suffixe latin ACUS.
Acus latin est de même nature que le suffixe grec <GR= akos>, et dans un certain nombre de mots se confond avec lui. Il ne se trouve que dans des mots transcrits du latin, comme opaque, de opacus, etc.
§§ 228-229. -- Suffixes latins ICUS, ICUS.
Il y a deux suffixes latins icus : icus et icus (§§ 76, 77). Icus n'a rien donné. Icus, qui, en sa qualité d'atone, devait disparaître de la langue populaire, a eu un riche développement dans la formation savante. Le nombre considérable d'adjectifs en icus, l'identité de forme que icus possède, grâce à une commune origine, avec le grec <GR= ikos>, suffixe très fécond dans la terminologie scientifique, ont donné à cette terminaison une consistance assez grande pour qu'on y ait vu le suffixe le plus propre à former des adjectifs. De là le nombre considérable d'adjectifs en ique que possède le français. Il les tire non seulement de mots latins ou de types latins reconstitués d'après la forme latine du mot simple : cadavre cadavérique, chaleur calorique, consonne consonantique, genre générique, voyelle vocalique, etc., mais encore de mots purement français auxquels on a ajouté le suffixe : cuivrique, féerique, granitique, hanséatique, etc.
Il est souvent difficile, dans un grand nombre de dérivés, de distinguer si ique répond au latin icus ou au grec <GR= ikos>. La question d'ailleurs est de peu d'importance, puisque le suffixe grec, ayant passé au latin avec un certain nombre de mots, s'est confondu avec le suffixe latin. C'est ainsi que même les dérivés en graphique, logique, métrique, de graphie, logie, métrie, peuvent être rapportés à des types latins graphicus, logicus, metricus. Tels sont les mots assyriologique, idéographique, photographique, sociologique, etc.
§ 230. -- Suffixe latin ATICUS.
Aticus n'existe en français que dans quelques mots tirés du latin : aquatique, lymphatique, ou dans certains d'origine grecque : mathématique.
Dans les autres mots en atique, c'est en réalité le suffixe ique (§ 228) ajouté à un radical grec en at : dogmatique, épigrammatique, numismatique, prismatique, etc.
§ 231. -- Suffixe latin UCUS.
Ucus ne se trouve que dans caducus, caduc.
§ 232. -- Suffixes latins AX, ACIS ; EX, ICIS ; IX, ICIS ; OX, OCIS.
Ces suffixes ne se retrouvent que dans des mots transcrits du latin : efficace, vivace ; code, codex ; appendice, calice ; atroce, féroce, véloce, etc.
§ 233. -- Suffixe latin ACEUS.
Aceus a été utilisé par la langue savante sous la forme acé (plus anciennement acée dans certains mots, § 223) : ampullacé, crustacé, fromentacé, etc. Il a fait fortune dans la nomenclature botanique, et, employé au féminin pluriel, il sert en général à former des noms de familles de plantes : c'est de beaucoup le plus usité des suffixes destinés à cette fonction : aquifoliacées, chicoracées, cucurbitacées, fucacées, etc. On trouve aussi ées employé concurremment avec acées : linacées, linées.
§ 234. -- Suffixes latins AS, ADIS ; EIS, EIDIS.
As, adis, eis, eidis, d'origine grecque, ont pu être utilisés pour former des noms propres comme Franciade, Henriade, Achilléide, mais n'ont point servi à former des noms communs.
§ 235. -- Suffixe latin IDÆ.
Idæ, qui en latin, d'après la dérivation grecque, servait à former des noms patronymiques, a été utilisé par les naturalistes pour désigner des familles : annélides, falconides, léporides, etc. Dans certains mots, sous l'influence sans doute de la terminaison idæ, ides a été rendu par idés : bovidés, corvidés.
§ 236. -- Suffixe latin TUDO, TUDINIS.
Ce suffixe est passé à la langue savante sous la forme tude tirée du nominatif tudo : de là amplitude, aptitude, certitude, gratitude, habitude, lassitude, latitude, longitude, rectitude, etc. Sur le modèle de ces mots pris au latin, on a créé, à diverses époques : plénitude au XIIIe siècle, décrépitude au XIVe, platitude et exactitude au XVIIe. Malherbe a essayé sans succès d'introduire esclavitude, et Chateaubriand vastitude.
§ 237. -- Suffixe latin AGO, AGINIS.
Ago, aginis a été utilisé par la botanique soit sous la forme du nominatif latin : érucago, fabago, filago, fumago ; soit sous les formes francisées age, agine, que plusieurs de ces mots offrent concurremment : érucage, filage, fumagine.
§ 238. -- Suffixe latin ALIS.
Alis affecte dans la dérivation savante les mêmes formes al et el que dans la dérivation populaire (§ 90). La dérivation savante se reconnaît à ce trait que les radicaux des dérivés n'ont point la forme populaire :
Al : abdominal, alluvial, amical, cæcal, caudal, colonial, doctoral, équatorial, fatal, génial, horizontal, etc.
El : additionnel, continuel, différentiel, fonctionnel, intentionnel, juridictionnel, etc.
§ 239. -- Suffixe latin OLUS.
Olus en latin s'adaptait exclusivement à des radicaux terminés en e ou en i : araneola, aureolus, filiolus, gloriola. On le trouve, conformément à l'usage latin, dans flavéole, artériole. Eole et iole ont été ajoutés abusivement à des radicaux consonantiques : drupéole, absidiole. Enfin on ajoute même ole à un radical terminé par une consonne : crinole.
§ 240. -- Suffixe latin ULUS.
Ulus, de signification diminutive, forme des substantifs masculins ou féminins, et des adjectifs, la plupart appartenant à la langue scientifique : antennule, florule, glumellule, libellule, etc.
§ 241. -- Suffixe latin CULUS.
D'après corpusculum, homunculus, on crée des diminutifs en cule à sens souvent péjoratif. Le suffixe est cule quand le radical se termine par une consonne : animalcule ; icule quand il se termine par une voyelle : caulicule, cornicule, principicule, théâtricule.
§ 241 bis. -- Suffixe latin ELA.
Ela n'a donné en français comme formation nouvelle que curatelle d'après tutelle.
§ 242. -- Suffixe latin ILIS (abilis, ibilis).
Ilis n'apparaît guère que dans des mots empruntés au latin, sauf dans vibratile et volatil (3). Dans la plupart de ces mots, il se présente sous la forme ile : ductile, facile, hostile, nautile, versatile, etc. (§ 585).
Pour abilis et ibilis, nous avons vu (§ 93) que la langue populaire n'avait guère utilisé que le premier, et que le second avait été surtout utilisé par la langue savante. Elle l'ajoute soit à des radicaux de verbes français : corrigible, exigible, lisible, etc., soit à des radicaux de verbes latins : accessible, coercible, explosible, fusible, etc.
Nuisible a remplacé l'ancien français nuisable, sous l'influence du latin nocibilis.
§ 243. -- Suffixes latins AMEN, IMEN, UMEN.
Ces suffixes ne se trouvent que dans des mots empruntés directement au latin, soit sous la forme latine, comme abdomen, examen, soit sous la forme francisée, comme crime, régime, bitume, légume, volume.
§ 243 bis. -- Suffixes latins IMUS et ESIMUS.
Ces suffixes, particuliers aux noms de nombre, ont formé centime, millime sur le modèle de décime, de decimus, et infinitésime sur le modèle de millésime, de millesimus.
§ 244. -- Suffixe ANUS.
Anus a donné dans la formation populaire ain, aine (§ 97), et dans la formation savante an, ane : argentan. Le pluriel neutre ana, qui sert de suffixe à des noms propres, Menagiana, Scaligerana, etc., s'est même détaché du radical et est devenu un nom commun : des anas. Sous la forme ianus, iana, nous avons vu qu'il est devenu ien, ienne, et a produit un suffixe nouveau. Aujourd'hui ien, ienne est d'un emploi usuel dans la langue savante ; il s'ajoute aux radicaux des adjectifs en icus désignant des personnes, pour remplir en français les mêmes fonctions qu'en latin icus : logicus logicien, rhetoricus rhétoricien, de sorte que là où le féminin ica donne un substantif abstrait en ique : logique, rhétorique, le masculin pris substantivement se transforme en icianus icien, et reçoit un nouveau féminin iciana icienne ; citons encore arithméticien, esthéticien, fabricien.
Ien, ienne, représentant ianus, iana, forme des dérivés adjectifs qui se tirent généralement de noms propres : le modèle en est donné par les mots Cæsarianus, Ciceronianus, Italianus, etc. De là napoléonien, neptunien, normalien, parnassien, shakespearien, voltairien, etc.
A côté de ien il faut placer éen, qui est à eus (aeus) ce que icien est à icus ; de là pour le latin Chaldaeus, Nemaeus, Phocaeus, etc., et les traductions Chaldéen, Néméen, Phocéen, etc., et encore cyclopéen, herculéen. De là encore, par analogie, élyséen, fuséen, lycéen, marmoréen, etc.
§ 245. -- Suffixe INUS.
Nous avons vu (§ 100) que la forme féminine de ce suffixe avait fourni un grand nombre de formations nouvelles qui, la plupart, tirées de radicaux latins, grecs ou étrangers, appartenaient par suite à la langue savante. Cette terminaison ine, issue de la formation populaire, a été d'abord adoptée par la terminologie spéciale de la chimie : amygdaline, caféine, fibrine, lactine, spongine, vanilline, etc.
Sous la forme du masculin, ce suffixe a formé aussi un certain nombre de mots : acarin, alcalin, caballin, corallin, hélicin, jacobin, etc.
§ 245 bis. -- Suffixe latin UNUS.
Ce suffixe ne se trouve que dans des mots transcrits du latin, comme importun, inopportun, opportun, et n'a point donné de formations nouvelles.
§ 246. -- Suffixe latin O, ONIS.
Ce suffixe, au point de vue de la dérivation savante, ne peut guère être étudié que dans les formes tio, sio, tionis, sionis. Sous sa forme simple o, onis, il se confond évidemment avec le suffixe o, onis de la dérivation populaire (§ 104).
§ 247. -- Suffixe latin TIO, TIONIS, SIO, SIONIS.
Nous avons vu (§ 108) que la dérivation populaire, sans se préoccuper des différences de conjugaison, applique à tous les participes présents le suffixe de la Ire conjugaison, ationem. La formation savante ressuscite ces différences, et, à côté de ation, possède les terminaisons ition et sion. De plus, la formation populaire avait réduit ationem à aison ; la formation savante fait revivre la forme purement latine ation, qui a fourni d'innombrables dérivés.
Parmi les dérivés en ation, ition, sion, les uns reproduisent des types latins fictifs, mais formés régulièrement d'après les règles de la dérivation latine, comme claustration, majoration, compromission, ignition, etc. Les autres sont tirés directement de mots français : arrestation, bifurcation, démoralisation, herborisation, localisation, unification, vaccination, etc.
Remarquons les dérivés en isation de iser, et en ification de ifier, dont le nombre grandit sans cesse ; cette dérivation fournit ainsi à la langue une foule de mots abstraits, souvent utiles, le plus souvent disgracieux et lourds.
Le nom abstrait ne suppose pas toujours le verbe, et peut être tiré directement du substantif radical du verbe : futurition de futur ; futurer n'existe pas.
§ 248. -- Suffixes latins ARIS, ARIUS.
Ces suffixes, comme nous l'avons vu (§§ 114 et 115), ont abouti dans la langue populaire : aris à er, et arius à ier ; puis ier a absorbé er. Un phénomène analogue se produit dans la langue savante : arius, ayant donné aire, a absorbé ar qui devait sortir de aris. Aire a reçu dans la langue moderne un développement considérable. Tantôt l'adjectif est tiré de radicaux latins : alvéolaire, ampullaire, bullaire, corpusculaire, dignitaire, foliaire, lapidaire, etc. Tantôt il est tiré de radicaux purement français : actionnaire, autoritaire, humanitaire, incidentaire, ovalaire, réactionnaire, tarifaire, utilitaire, etc.
Dans ces dérivés, aire garde partout sa signification propre de " qui tient, qui a ", et les différences de sens actif ou passif viennent du radical. Dans les substantifs en ataire tirés de participes passés, la signification passive est dérivée, non primitive : destinataire, légataire, ne signifient pas étymologiquement " celui à qui on donne, à qui on lègue quelque chose ", mais " celui qui a une chose donnée (donatum), léguée (legatum) ". La chose est visible dans concordataire, mandataire, qui est " celui qui a concordat, mandat ". De même pensionnaire est " celui qui a pension " ; or, comme pension désigne aussi bien la somme en tant qu'elle est touchée qu'en tant qu'elle est donnée, pensionnaire doit avoir les deux sens. C'est pour une raison analogue que démissionnaire, signifiant proprement " celui qui a démission ", a pu prendre le sens de " celui qui reçoit, pour qui est faite la démission ", aussi bien que le sens de " celui qui fait démission, qui donne sa démission ". En un mot, quand aire se joint à des participes passés neutres, comme la signification de ces neutres est fort nette, les dérivés ont une signification aussi nette, passive en apparence, active en réalité, et qui s'oppose à celle qu'indique le participe présent du verbe (mandataire, qui a, qui reçoit mandat ; mandant, qui donne mandat). Quand aire se joint à des substantifs abstraits dont la signification, comme pour tous les mots abstraits, peut être considérée à des points de vue différents, la signification des dérivés change avec ces points de vue divers, mais aire partout conserve sa valeur propre.
Ce que aire est au participe passé dans légataire et les analogues, il l'est au participe futur dans référendaire, qui a amené récipiendaire.
§ 249. -- Suffixes latins TOR, SOR ; TORIUS, SORIUS.
Nous pouvons répéter, à l'occasion de ces suffixes, ce que nous avons dit (§ 247) à propos des suffixes tio, sio ; de même que la langue savante a fait reparaître les suffixes ition et sion, à côté de ation représentant le suffixe populaire aison (§ 108), de même elle a fait revivre iteur et seur, itoire, utoire et soire à côté de ataire et teur représentant les formes populaires oire et eur (§§ 112, 113).
La langue populaire n'avait créé d'après les mots latins en torius que des substantifs masculins ou féminins désignant des instruments d'action ; la langue savante a créé aussi des adjectifs : accusatoire, blasphématoire, bouillitoire, cimentatoire, conservatoire, diffamatoire, divisoir, écritoire, exutoire, ondulatoire, etc. ; la terminaison atoire prédomine néanmoins et s'ajoute à des radicaux purement français.
De même pour les noms en eur, la forme en ateur l'emporte, par suite du grand nombre de verbes de la Ire conjugaison, parmi lesquels se rangent les verbes en iser et ifier : accélérateur, colonisateur, congélateur, déformateur, épurateur, panificateur, mais absoluteur, ascenseur, compositeur, etc.
§ 250. -- Suffixe latin ATURA.
De même encore ici le suffixe ature, correspondant au suffixe populaire eüre, ure (§ 111), n'a pas absorbé iture. Dans la langue populaire, ure joint généralement à des radicaux de verbes, pour former des noms exprimant l'action verbale subie et le résultat de l'action (4). Ature peut, au contraire, se joindre à des radicaux de substantifs, et il exprime l'ensemble des caractères qu'indique le radical, du moins dans les mots de dérivation nouvelle comme arcature, caricature, filature, musculature ; dans les mots en iture, le radical est toujours un radical verbal : fourniture, investiture, pourriture, etc.
§ 251. -- Suffixe latin OSUS.
Osus a passé dans la langue populaire sous la forme eux, euse (§ 116). La langue savante l'a repris sous la forme latine ose : morose, nivôse, pluviôse, ventôse, etc., ou sous l'une des formes eux, ieux. Dans ce dernier cas, la forme savante se laisse facilement reconnaître à cette marque que le type latin est conservé fidèlement : adipeux, astucieux, dévotieux, facétieux, etc. Eux s'ajoute même à un radical grec : œdémateux.
§ 252. -- Suffixe latin UOSUS.
Au précédent suffixe se rattache le suffixe uosus, originaire de radicaux latins en u : luxuosus, sumptuosus, tumultuosus. De là en français flatueux, etc. Il a fini par devenir un suffixe indépendant et à s'attacher à d'autres radicaux que les radicaux en u : délictueux, difficultueux, majestueux, torrentueux, etc.
§ 253. -- Suffixes latins ATUS (= É), IATUS (= IÉ).
Dans la langue populaire atus, iatus, sous la forme é, ié, donnent des adjectifs et des participes (§ 118). La langue savante ajoute ces suffixes adjectivaux ou participiaux à des radicaux de mots latins : acuminé, constellé, digité, dissoluté, fasciculé, hernié, innomé, labellé, lobé, etc. ; angustié, folié, hypertrophié, salarié, etc.
§ 254. -- Suffixes latins ATUS (= AT), IATUS (= IAT), ATUM (= ATE).
Les suffixes latins atus dans magistratus, atum dans mandatum, ont donné at : commissariat, électorat, externat, opiat, orphelinat, patronat, prolétariat, salariat, etc. La plupart de ces dérivés sont tirés de substantifs en aire, et pour le peuple qui ne peut saisir le rapport de aire de arius à ariat de ariatus, rien de plus embarrassant que ce suffixe : aussi change-t-il ariat en airiat ; volontariat de volontaire devient chez lui volontairiat.
Ate, qui représente le féminin ata ou le neutre atum, joue un rôle dans la nomenclature chimique et sera étudié plus loin (§ 282 bis).
§ 254 bis. -- Suffixe gréco-latin ITA (= ITE)
Ce suffixe d'origine grecque est passé dans le latin ecclésiastique sous la forme ita : cenobita, sodomita. De là en français barnabite, jacobite, jésuite, devenus noms communs.
§ 255. -- Suffixe latin ITAS, ITATIS.
Nous avons vu (§ 122) ce suffixe sous la forme eté donner dans la langue populaire un certain nombre de dérivés. La formation savante l'a repris avec la voyelle de liaison du latin : veracitatem, qui dans la langue populaire serait devenu veraisté, vraisté, vraité, garde sa forme primitive intacte dans véracité.
La plupart des mot en té sont tirés ou d'adjectifs en able, ible, qui donnent, non les formes françaises ableté, ibleté, mais les formes latines abilité, ibilité : amabilité, inamovibilité, etc. (5) ; ils peuvent être aussi tirés d'adjectifs en ique qui produisent non isté, mais icité : authenticité, héréticité, laïcité, etc. Dans un certain nombre de dérivés, ité prend, par analogie avec ceux qui dérivent de participes, la forme éité : diaphanéité, subalternéité, etc.
Le nombre des mots en ité est infini ; il s'en crée sans cesse de nouveaux, comme d'ailleurs il s'en créait déjà d'innombrables en itatem dans le latin de la décadence et le latin scolastique : cette dérivation répond aux tendances irrésistibles qui poussent le français vers l'abstraction à outrance.
§ 256. -- Suffixe latin IVITAS, IVITATIS.
Aux dérivés précédents se rattachent les dérivés en ivité dans lesquels le suffixe déjà étudié s'ajoute à des adjectifs en if, ive, comme activité, destructivité, etc., ou quelquefois, sous la forme ivité, a une existence indépendante et s'ajoute à n'importe quel radical latin : absorptivité, combativité, etc.
§ 257. -- Suffixe latin IVUS.
Ivus, qui, dans la langue populaire, était devenu if, ive (§ 125), n'a pas changé quand il a été repris par la langue savante. Il se joint au radical des participes passés et forme un grand nombre d'adjectifs : adhésif, adventif, coercitif, coopératif, digestif, irruptif, locatif, récognitif, réflexif, etc. Récitatif est dérivé de réciter d'après l'italien recitativo.
§ 258. -- Suffixes latins ELLUS, ILLUS.
Les suffixes diminutifs ellus, qui est devenu dans la langue populaire el, eau (§§ 126, 127), et illus peuvent se fixer à des radicaux latins et donner de nouveaux dérivés : carpelle, échinelle, flavelle, gentianelle, glumelle ; fibrille, fimbrille, ramille, spongille, etc.
§ 259. -- Suffixe latin ISSA.
Issa, qui, sous la forme esse, a donné tant de mots dans la langue populaire (§ 129), n'apparaît dans la langue savante que dans des mots empruntés comme mélisse, pythonisse, et n'a donné aucune nouvelle formation.
§ 260. -- Suffixes latins ANDUS, ENDUS.
Les terminaisons andus, endus du participe futur passif latin ne se trouvent guère que dans des mots empruntés soit au latin religieux : légende, soit au latin savant : dividende, multiplicande.
§ 261. -- Suffixe latin BUNDUS.
Bundus ne se trouve que dans quelques mots pris du latin : moribond, nauséabond, etc.
§ 262. -- Suffixes latins ANS, ANTIS, ENS, ENTIS ; ANTIA, ENTIA ; OSCENTIA, ESCENTIA.
Ces suffixes donnent naissance à des adjectifs veroaux et à des noms abstraits d'action ; ant, ance sont des suffixes de la langue populaire (§ 146) ; ils peuvent être revendiqués par la langue savante quand ils se fixent à des radicaux latins : concomitant concomitance, correspondance, hébraïsant, vétérance, etc. Escent, escence donnent des inchoatifs : arborescent, dégénérescent, déliquescence, florescence, etc.
§ 262 bis. -- Suffixe latin ULENTUS.
Sur le modèle de corpulentus, sanguinolentus, etc., on a créé flatulent.
§ 263. -- Suffixe latin MENTUM.
Le suffixe ment, que nous avons étudié dans la dérivation populaire (§ 145), peut servir à la dérivation savante, comme dans internement, investissement.
§ 263 bis. -- Suffixe latin UPLUS.
Sur le modèle de quadruplus, decuplus, a été formé nonuple.
§ 264. -- Suffixe latin ISCUS.
Le suffixe iscus, devenu en italien esco, est passé en France sous la forme esque dans des mots tels que arabesque, burlesque, pédantesque, soldatesque, etc., mots venus d'Italie à des époques différentes. Sur ce modèle ont été créés quelques mots nouveaux, comme funambulesque, simiesque.
Iscus, d'où vient esque, est le même suffixe que le grec <GR= iskos>, auquel on doit astérisque, ménisque, obélisque. Isque a sans doute agi sur le mot odalique (turc odalik), qu'il a transformé indûment en odalisque. Par un retour assez curieux, ce suffixe grec, qui se substitue dans un mot à ique, est dans d'autres précisément réduit à ique par la prononciation populaire : astérique pour astérisque.
§ 265. -- Suffixes latins d'origine grecque ISMUS et ISTA.
Ismus et ista, d'origine grecque, avaient de bonne heure passé au latin et s'y étaient complètement naturalisés. Favorisée par les Pères de l'Église, cette dérivation a reçu une grande extension au moyen âge dans le latin de la scolastique ; c'est de là qu'elle a passé dans le parler vulgaire. Dans la langue moderne, isme a d'abord servi à donner des noms aux systèmes, aux doctrines : calvinisme, cartésianisme, luthérianisme, spinozisme, etc. ; iste, aux partisans de ces systèmes, de ces doctrines : calvinistes, etc. ; puis la signification de ces suffixes s'est étendue, sans perdre toutefois la notion de chose intellectuelle qui y est renfermée : césarisme, dandisme, favoritisme, népotisme, nihilisme, noctambulisme, vocalisme, etc. Iste a pénétré dans le parler populaire et y a servi à désigner les corps d'état : ébéniste, fleuriste, fumiste, ornemaniste, etc.
Le nombre des dérivés en isme et en iste est considérable et s'accroît chaque jour. Il est rare que l'on trouve à la fois parallèlement la forme en isme et la forme en iste. Cela tient à ce que les substantifs abstraits en isme sont d'ordinaire formés d'après les adjectifs concrets auxquels ils correspondent. Il arrive donc, ou que les adjectifs concrets en iste n'ont pas encore développé l'idée abstraite qui doit fournir un correspondant en isme : ainsi figuriste, oculiste, sonnettiste, spécialiste, styliste, etc. ; ou bien que les mots abstraits en isme ont été tirés d'adjectifs correspondants présentant, non le suffixe iste, mais une autre terminaison : ainsi exclusivisme exclusif, puritanisme puritain, romantisme romantique, etc.
§ 265 bis. -- Des suffixes verbaux.
Il n'existe dans la formation savante que deux suffixes verbaux : are et izare.
§ 266. -- Suffixe latin ARE.
Er, suffixe verbal de la formation populaire, appartient à la formation savante quand il se joint à des radicaux non de mots français, mais de mots latins (réels ou fictifs) : injecter suppose *injectare de injectus ; conférencier vient, non de conférence, qui aurait donné conférencer comme balance a donné balancer, mais de *conferentia. Citons comme verbes de formation savante : anémier, effigier, granuler, inciser, innocenter, majorer, relater, transfuser, etc.
§ 267. -- Suffixe d'origine grecque IZARE.
Nous avons vu (§ 163) que le suffixe verbal izare, d'origine grecque, s'était développé dans le latin populaire, où il avait pris la forme idiare, d'où sont venus les verbes en eier, oier, oyer. La formation savante a repris sous la forme iser ce suffixe, qui a profondément pénétré dans la langue, au point de se joindre non seulement à des radicaux latins, mais encore à des substantifs ou à des adjectifs français, et d'empiéter ainsi sur le domaine du suffixe er, qui devient de plus en plus restreint : actualiser, animaliser, canaliser, dramatiser, neutraliser, etc., sont tirés de radicaux latins ; mais brutaliser, crétiniser, égaliser, galantiser, galvaniser, macadamiser, etc., sont tirés de mots français.
On ajoute volontiers au radical le suffixe iser sous la forme du participe présent ou de l'adjectif verbal en isant, sans que l'on ait besoin de créer le verbe aux autres temps : un arabisant, un indianisant, etc.
§ 268. -- Autres formations analogiques.
Certains mots savants ont été créés sur le modèle de formations latines ou françaises. Ainsi capricant est tiré de capra avec la terminaison icant correspondant au suffixe verbal icare. Préalable a été créé d'après præambulum, prélegs d'après prælegatum. Quatuor a servi de modèle pour septuor, sextuor, et aqueduc pour viaduc, etc.
§ 268 bis. -- De la composition.
Comme la formation savante reprend au latin non seulement ses mots dérivés, mais encore ses composés, toutes les formes qu'affecte la composition latine peuvent reparaître dans notre langue, suivant les caprices des lettrés. Nous n'avons donc qu'à passer en revue les divers procédés que met en usage le latin et voir s'ils sont représentés en français.
§ 269. -- Composés syntactiques.
Les composés syntactiques sont peu nombreux. Citons alinéa (de a linea), acupuncture, atrabile, locomobile, locomoteur, in-folio, in-quarto, etc.
Ces composés peuvent être quelquefois hybrides, c'est-à-dire composés d'un élément latin et d'un élément français : interroi, similor, etc.
§ 270. -- Composés asyntactiques. -- Adjectif et adjectif ou substantif.
Le nombre des composés asyntactiques est considérable ; ils se classent d'après la nature des éléments composants.
Il y a d'abord des adjectifs formés d'un adjectif et d'un adjectif : omnipotent, omniscient, d'où sortent des substantifs : omnipotence, omniscience ; puis des adjectifs formés d'un adjectif et d'un substantif : curviligne, longirostre, rectiligne, multicolore, multiflore, multivalve, etc., dont quelques-uns ont été directement substantifiés : centimètre, millimètre.
§ 271. -- Composés asyntactiques formés d'un substantif et d'un substantif avec suffixe adjectival.
Les composés asyntactiques formés d'un substantif et d'un substantif forment des adjectifs comme clavicorne, lunisolaire, parmi lesquels il faut ranger les nombreux composés en forme ou en pède : acinaciforme, aériforme, cunéiforme, falciforme, etc. ; alipède, cirripède, etc.
§ 272. -- Composés asyntactiques formés d'un substantif et d'un substantif.
Les composés d'un substantif et d'un substantif sont assez peu nombreux : adipocère, agripaume, dentirostres, fulmicoton, harmonicorde.
§ 273. -- Composés asyntactiques formés d'un substantif et d'un adjectif ou un substantif verbal.
Le résultat de la composition quand les éléments sont un substantif et un adjectif ou un substantif verbal, est ici un adjectif. Voici les principaux adjectifs ou substantifs verbaux formant le second élément : cide : insecticide, régicide, tyrannicide ; -- cole : fimicole, horticole, ignicole ; -- culteur et culture : apiculteur, horticulteur, ostréiculture ; -- fère : aérifère, calorifère, crucifère, lactifère, mammifère ; -- fique : calorifique ; -- fuge : fébrifuge ; -- pare : gemmipare, ovivipare ; -- vore : fumivore, herbivore, insectivore.
§ 274. -- Composés asyntactiques formés d'un attribut et d'un verbe.
C'est ici que prennent place les innombrables verbes en ifier : amplifier, bonifier, codifier, gazéifier, lubrifier, momifier, etc.
§ 275. -- Composition par particules.
Nous examinerons l'une après l'autre chacune des particules. Elles présentent les mêmes combinaisons que les particules déjà étudiées dans la formation populaire (§ 196).
Ab semble n'avoir rien donné.
Ad a formé adformant, allocation.
Ante donne anténuptial, antéoccupation, antéversion, anthélix, antidater, et des parasynthétiques comme antédiluvien.
Bis (bi) ne s'emploie qu'au sens de redoublement : bicarbonate, biconcave, bidenté, bigéminé, bipède, bisannuel, bissextile, bivalve. Bis reste devant les voyelles ou devant s. Dans binocle, nous avons affaire au distributif latin bini.
Tri et quadri, comme bi, forment des mots scientifiques : trifolié, trilobé, quadrilatéral, quadrinome, etc.
Circum donne circompolaire.
Cum, particule rare dans la composition populaire, est fréquente dans la langue savante. Outre de nombreux composés repris au latin, comme cohabiter, collection, comprimer, etc., on peut citer parmi les formations nouvelles : coefficient, coexister, concentrer, etc. Avec des substantifs ou des adjectifs, cum sous la forme co tend à prendre un certain développement et à devenir populaire : coétat, cohéritier, colégataire, colicitant, copartageant, cosignataire, cotuteur, etc.
Contra n'a guère donné que contravention, formé d'après le latin contravenire.
De n'a point donné en réalité de nouveaux composés, parce que la composition avec dé appartient à la langue populaire ; pourtant on a pu adjoindre la particule populaire dé à des radicaux savants : démonétiser, démoraliser, etc.
Dis, di, donnent diduction, disparité, disproportion, disproportionnel, dissemblable, dissimilaire, dissimiler, etc.
E, ex, donnent, comme dans la langue populaire, des composés avec é, mais dont le second élément est savant : écaudé, élabré, élingué, etc. D'après des mots empruntés au latin, comme excéder, excursion, etc., on a formé expatrier, exponction, exproprier, etc. Enfin ex, ainsi que co (cum), entre en composition avec des substantifs : ex-député, ex-préfet, etc. Cette composition a quelque tendance à devenir populaire.
Extra, qui ne se composait pas en latin avec les verbes, a donné cependant les composés savants extravaguer tiré du latin scolastique, extrapasser et le parasynthétique s'extravaser. Outre ces composés verbaux, on a, d'après les lois de la composition latine, extradition, extrados, extrajudiciaire, extra-utérin, extraversion. La langue du commerce a formé les composés extra-fin, extra-superfin, etc.
In, qui dans la langue populaire avait la forme en, em, a été repris sous sa forme latine par la langue savante dans les parasynthétiques infiltrer, intimider, etc.
Au sens négatif, il a pris un développement considérable et a formé et forme une quantité innombrable de nouveaux composés : illettré, illogique, impardonnable, inaltérable, inefficace, etc.
Inter a donné intercellulaire, interférer, interposer, et des parasynthétiques comme intercadent, intercostal, interfolier, etc.
Intra a donné intrados, qui s'oppose à extrados.
Intro. On ne peut guère citer que intromission, tiré par dérivation du participe latin intromissum.
Intus a donné intussuception, tiré du mot latin susceptio.
Ob n'a rien donné.
Pæne a donné pénombre.
Parum a donné paraffine, dont d'ailleurs les deux éléments sont tirés du latin : parum affinis.
Per a donné persifler, mot créé à la fin du siècle dernier et où le sens de per est obscur.
Post a donné postcommunion, postdate, postdater, postface, postposer. Postidater a été créé par analogie avec antidater.
Præ se trouve dans préalable, préavis, précompter, prédécès, prédéterminer, prédominer, préétablir, préexister, préliminaire, préopiner, présupposer, etc.
Præter n'existe que dans des mots transportés du latin, comme prétérit, prétérition, prétermission.
Pro a formé proéminence, projeter, proposer.
Quasi a donné quasi-contrat, quasi-délit.
Re dans la langue savante n'a que l'acception de répétition, tandis que, comme nous l'avons vu (§ 196, 25), il a d'autres acceptions dans la langue populaire.
Retro a formé rétroactif, rétroaction, tirés de retroactum, rétrospectif, tiré de retrospectum, et ne se trouve ailleurs que dans des mots empruntés du latin, comme rétrocession, rétrogradation, rétrograde, rétrograder.
Se n'existe que dans des emprunts latins : sécession, sélection, tirés des participes secessus, selectus.
Sub a formé subalterne, subdéléguer, subdiviser, sublingual, sublunaire, subordonner, etc.
Super a formé superfin, superposer ; superfétation est formé sur le verbe latin superfetare.
Trans se trouve dans transept, transpercer, et dans les parasynthétiques transborder, transvaser.
Ultra a formé le parasynthétique ultramontain et tend à devenir populaire dans des créations comme ultra-républicain, ultra-royaliste, etc.
FORMATION SAVANTE GRECQUE
§ 276. -- Vues générales sur la formation grecque.
Jusqu'au milieu du XIVe siècle, le français ne contenait que peu d'éléments grecs (§ 5). C'étaient des mots qui avaient passé dans le latin populaire ou dans le latin ecclésiastique et avaient perdu la trace de leur origine première ; ou bien c'étaient des termes du bas grec que les croisés, au XIe siècle et au XIIe, avaient rapportés de Constantinople.
Au XIVe siècle, le grec commence à pénétrer dans la langue. Il est introduit par Nicole Oresme, le traducteur d'Aristote. Bien que sa version des Éthiques, des Politiques, des Économiques et du traité du Ciel et du Monde fût faite non sur l'original, mais sur des traductions latines, néanmoins un nombre relativement considérable de mots grecs passa dans le texte français. Les œuvres d'Oresme, bien que fort appréciées de leur temps, furent de bonne heure oubliées ; aussi la plupart des termes grecs employés par le vieux traducteur n'entrèrent que plus tard dans la langue et furent repris à la source grecque. Au XVIe siècle, les traducteurs furent sobres d'emprunts à la langue hellénique ; c'est par la science beaucoup plus que par la littérature que la terminologie grecque pénétra chez nous. D'ailleurs elle ne s'y installa pas brusquement, mais fit une sorte de stage en passant par la forme latine. Les dictionnaires de médecine du XVIe siècle et du XVIIe sont rédigés en latin et présentent une terminologie mipartie latine etgrecque. Ambroise Paré, au XVIe siècle, seul fait exception ; ses œuvres, écrites en français, contiennent un grand nombre de mots grecs ; mais encore quelques-uns sont-ils reproduits sous la forme purement latine et donnés comme des mots latins.
Au XVIIIe siècle même, notre langue, malgré les apparences, n'a de rapports avec le grec que par le latin. De même que le petit nombre de termes de médecine et de chirurgie et quelques termes de philosophie qu'elle avait reçus du grec lui avaient été transmis par le latin de la scolastique, de même les nomenclatures nouvelles qui chargent le lexique d'un nombre presque infini de mots nouveaux, avec l'œuvre de Linné et de Jussieu, sont, elles aussi, rédigées en latin avant de passer dans le français. Ce n'est véritablement qu'au XIXe siècle que les physiciens, les chimistes et les philosophes empruntent directement au grec les termes qui leur sont nécessaires pour consacrer leurs découvertes nouvelles. Des espèces innombrables d'insectes, de plantes, de minéraux, de fossiles, sont découvertes et classées ; il faut les dénommer : où trouver, sinon dans le grec, assez de termes clairs, précis, bien faits ? La richesse de cette langue, ses remarquables qualités de précision et de netteté, son égale puissance de composition et de dérivation, la désignaient naturellement aux savants, qui y puisent à pleines mains.
Ces emprunts ne restent pas toujours confinés dans le domaine restreint de la science, mais envahissent de tous côtés la langue commune, la pénètrent et menacent de la désorganiser. L'extension, le progrès des sciences, la vulgarisation, pour employer le terme consacré, l'action incessante de la presse, le développement de l'industrie, répandent dans l'usage général certains termes qui n'auraient pas dû sortir du laboratoire du chimiste ni du cabinet des philosophes. De plus, une foule de suffixes, de particules grecques, étant devenus usuels, chacun se croit autorisé à combiner ces éléments à sa guise, en bravant les lois du grec et celles du français. De là des formations hybrides et barbares qu'on rencontre dans plus d'un de nos composés modernes. De là aussi des composés mi-grecs, mi-français, qui montrent à quel point beaucoup d'éléments composants grecs sont devenus organiques et ont perdu leur cachet d'origine.
§ 277. -- Emprunts.
Ces emprunts consistent en des mots grecs que l'on transporte directement dans la langue, soit le plus souvent en leur donnant une terminaison française, soit en leur gardant leur forme originelle. Ces emprunts forment une masse imposante de mots. Contentons-nous de citer à la lettre A : acalèphe, adynamie, aède, agame, agora, amnésie, amorphe, amphibole, amphictyon, anacoluthe, anagallis, anaglyphe, analgésie, anandre, anchilops, anesthésie, ankylose, antanaclase, aphone, aphylle, archéologue, etc.
§ 278. -- Composition grecque en général.
Les composés de formation récente supposent la création d'un composé grec qui leur sert de type. Ainsi bibliophile dérive de <GR= biblion> et de <GR= philos> par l'intermédiaire du mot <GR= bibliophilos> (6) créé d'après les règles de la composition grecque. De même sur le modèle de <GR= brakhukephalos> on a créé <GR= dolikhokephalos>.
Nous allons étudier séparément les composés de mots et les composés par particules.
§ 279. -- Composés de mots.
Voici, pour les composés de mots, la liste des principaux éléments composants :
1.
Anthropo -caie, -ïde, -logie, -métrie.2.
Algie : gastr-algie, névr-algie.§ 280. -- Du trait d'union dans les composés grecs.
Dans tous les mots qui précèdent, les deux éléments ne sont point séparés par un trait d'union, comme si l'on avait conscience de la composition grecque. Pourtant il y a eu des hésitations. Ainsi l'Académie écrivit d'abord deutéro-canonique. En outre, dans des mots de formation nouvelle dont le premier élément grec est en i ou en o, et dont le second est un élément français, ou latin, ou étranger (§ 284), le trait d'union semble de règle.
§ 281. -- Composés par particules.
Voici la liste des particules les plus en usage :
A privatif (an devant une voyelle) : acotylédone, anaérobie, anéroïde, etc.
Ana : anasarque.
Anti : anthelminthique, antiseptique, antispasmodique.
Apo : aphélie.
Archi, particule qui dérive du radical de <GR= arkhô>, et marque dans les composés grecs une idée de prééminence, de supériorité, de haut degré. Il n'a guère formé que des composés hybrides, et nous verrons plus loin (§ 284) la double signification qu'il y a.
Dia : diacaustique, diacoustique, diacommatique.
Di : didelphes, diodon, disperme.
Dys : dyslalie, dysodie, dysosmie, dysphagie.
En : énostose.
Endo : endocarpe, endocarde, endosmose.
Exo : exogène.
Épi : épidiscal, épigénèse, épigénie.
Meta : métagramme.
Para : parachronisme, paramètre.
Peri : périhélie.
Hyper : hypertrophie.
Hypo : hypogyne.
§ 282. -- Dérivation grecque.
Les principaux suffixes utilisés par la langue savante sont ie (<GR= ia>), ique (<GR= ikos>), ose (<GR= ôsis>), ite (<GR= itis>), ite (<GR= itês>) (7).
Ie, qui se confond avec le suffixe latin ia (§ 68), a une signification abstraite et sert surtout à former des dérivés de composés : agronomie, anaplastie, herpétologie, hydrométrie, pornographie, etc. Il a en outre absorbé la terminaison is : ainsi <GR= phthisis> devient phtisie.
Ique, nous l'avons vu aussi (§ 229), se confond avec le suffixe latin icus. Il s'adjoint, comme le précédent, en général à des composés : acataleptique, achromatique, allopathique, anatomique, anesthésique, etc.
Ose. Sur le modèle des dérivés grecs <GR= amaurôsis> amaurose, <GR= galaktôsis> galactose, le langage de la médecine crée des dérivés tels que gastrose, névrose, etc., dans lesquels ose indique l'ensemble des affections qui peuvent atteindre la partie du corps indiquée par le radical. Dans chlorose, le suffixe change légèrement de signification : il indique d'une manière générale une affection caractérisée par les pâles couleurs.
Ite de <GR= itis> a son point de départ dans des mots tels que <GR= arthritis> arthrite, <GR= nephritis> néphrite, inflammation des reins, des articulations. De là l'emploi de ite pour former, avec des radicaux de noms latins ou grecs désignant quelque partie du corps, des substantifs féminins qui désignent l'inflammation de ces parties : bronchite, conjonctivite, cystite, entérite, laryngite, etc. Ce suffixe est d'un emploi plus étendu que ose, parce qu'il a une signification beaucoup plus précise.
Ite de <GR= itês> se retrouve dans <GR= aimatitês> hématite, <GR= puritês> pyrite. Le langage de la minéralogie a formé sur l'analogie de ces types : anthracite, balanite, fulgurite, graphite, lignite, etc. Ici encore le radical est indifféremment un mot grec, latin, français.
§ 282 bis. -- Nomenclature chimique.
Le suffixe ite de <GR= itês>, dont nous venons de parler, sert à désigner des minéraux qui se rencontrent souvent à l'état de cristaux ; de là à l'utiliser pour désigner des sels, il n'y avait pas loin. Telle est, semble-t-il, l'origine de l'affectation qui lui a été donnée dans la nomenclature chimique : azotite, baryte, chlorite, phosphite, etc.
Outre ite, la nomenclature chimique posséda dès l'origine les suffixes ate, eux, ique, ure. Ure est d'origine obscure ; eux et ique sont empruntés à la dérivation savante ordinaire ; ate a été calqué sur atum ou ata et constitue une troisième représentation de ce suffixe latin : les deux autres sont at et é (§§ 117, 254).
De nos jours, la constitution de la chimie organique a amené la création d'une nomenclature correspondante où paraissent de nouveaux suffixes. Nous avons vu (§ 245) le suffixe ine servant à désigner certains principes essentiels de corps organisés. A côté de ine, il y a ène dans anylène, éthylène, où il désigne des carbures d'hydrogène et, par suite, ne semble être autre chose que la terminaison ène de hydrogène. Citons encore le suffixe ose (§ 251) dans cellulose, glycose, ichthyose, etc. ; le suffixe ium (§ 224) dans calcium, magnésium, osmium, ruthénium, etc.
§ 283. -- Mots hybrides.
Nous avons déjà fait observer (§ 276) que beaucoup des éléments composants du grec avaient fini par devenir organiques et, par suite, s'adjoindre soit à des mots latins, soit à des mots français, soit à des mots étrangers. De là de nombreuses compositions hybrides.
§ 284. -- Compositions hybrides, gréco-latine et gréco-française.
1º Exemples de composition gréco-latine : apojove, autoclave, bicycle, calorimètre, centigramme, centimètre, chloral, épitoge, anormal, lithotritie, etc.
2º Exemples de composition gréco-française : bureaucratie, cartographie, chloroforme, clysopompe, électro-négatif, électro-positif, antipape, antichrétien, épicorollé, nitro-benzine, octidi, quercitron ; archi s'emploie ou avec la valeur du grec <GR= arkhi> : archidiacre, archiprêtre, archiduc, etc. ; ou, dans le langage familier, avec la valeur d'un superlatif : archimillionnaire ; le plus souvent, en ce cas, il se joint à des noms ou à des adjectifs ayant une signification défavorable : archifou, archibête ; en ce sens il est en voie de devenir une nouvelle particule péjorative.
Sur le modèle des composés gréco-latins ou gréco-français dont le premier élément était terminé en o, comme chloroforme, néochrétien, etc., on en est venu à créer des composés latins-français avec un premier élément latin terminé en o, qu'il eût ou non droit à cette terminaison : ainsi les mots de médecine génito-urinaire, séro-sanguin, tibio-tarsien, etc. C'est le même système qui fait de o la lettre de liaison dans anglo-français, anglo-saxon, franco-allemand, etc.
La langue populaire, allant plus loin, a raccourci beaucoup de ces composés grecs où le premier élément se terminait en o et a supprimé le second : un kilo, un aristo, un clyso, un typo, pour kilogramme, aristocrate, clysopompe, typographe. Par analogie, le mot vélocipède, de nos jours, est devenu vélo, où le premier élément lui-même a été raccourci.
§ 284 bis. -- Dérivés et composés savants échappant à toute classification.
Il est un certain nombre de mots dont la formation est étrangère à toute loi et échappe à toute classification. Citons seulement catadioptrique, combinaison arbitraire de catoptrique et dioptrique ; chloral, composé de chlore et de la première syllabe de alcool ; phalanstère, composé de phalange et de la dernière syllabe de monastère ; terraqué, formé de terra + aqua + eus (§ 223) ; vespétro, amalgame bizarre des trois mots vesse, pet et rot.
Notes
1. Signalons aussi des emprunts d'expressions latines, comme ab ovo, qui continuent la tradition scolastique.
2. A côté de la forme en ia existe quelquefois la forme en e ; ainsi : bégone, dorstène, gardène, vallisnère, pour bégonia, dorstenia, gardenia, vallisneria, etc.
3. Cadil a dû être formé d'après baril.
4. Ure a été utilisé par la langue savante dans procédure et vermiculure.
5. L'adjectif correspondant peut ne pas exister : ainsi viabilité, tiré directement du latin via, et non d'un adjectif viable.
6. Notons que <GR= philobiblos> existe en GR, mais que dans les composés de ce genre <GR= philo> est toujours le premier élément.
7. D'après odéon, on a fait un suffixe on qui se trouve dans orphéon de Orphée.