LIVRE DEUXIÈME

HISTOIRE DE LA PRONONCIATION

SECTION PREMIÈRE

ÉLÉMENTS LATINS

§ 285. -- Introduction.

Les mots du latin populaire sont devenus des mots français correspondants en passant par une série considérable de changements dans la prononciation. Qui reconnaîtrait acerarborem dans érable, aqua dans eau, vervactum dans guéret, vicem dans fois ?

Non seulement les mots ont changé de forme, mais encore le système des sons s'est modifié. Nombre de voyelles et de consonnes du latin ont disparu, nombre de voyelles et de consonnes inconnues du latin ont paru.

C'est cette histoire de la prononciation que nous allons retracer.

I. -- THÉORIE GÉNÉRALE DES SONS

§ 285 bis. -- Voyelles et consonnes du français.

On distingue les sons en voyelles et consonnes.

I. Voyelles. -- Les voyelles sont les sons produits par le courant d'air qui, sorti des poumons avec plus ou moins de force, fait vibrer les cordes vocales et s'échappe sans trouver d'obstacle, diversement modifié suivant les diverses positions de la bouche. Les diverses voyelles ne sont que des modifications d'un son fondamental, modifications dues aux mêmes causes que ce qu'on appelle en physique ou musique le timbre. Autant le tube buccal peut, avec un même volume d'air, produire, par suite de ses positions diverses, de sons différents, autant il y a de voyelles. Par suite, leur nombre est infini.

Pourtant, avec toute la variété des sons qu'embrassent les langues humaines, elles peuvent rentrer dans cinq classes, à savoir : a, e, i, o, u (ou) ; ce sont là comme les points saillants du fonctionnement du système vocalique.

A est le son fondamental. Il se divise en deux séries distinctes, l'une montant vers e et vers i, l'autre descendant vers o et vers u.

Entre a et e, il n'y a point de solution de continuité, mais une ligne ininterrompue de modifications graduelles et insensibles : a prononcé avec un éloignement de plus en plus grand des extrémités des lèvres aboutit à e, qui, devenant plus grêle, s'amincit graduellement et aboutit à i. D'autre part, a, s'assourdissant par le rapprochement des extrémités des lèvres, passe à o et de là à u. Cette graduation de sons peut se représenter par le tableau suivant :

Entre a et i d'une part et a et u d'autre part, il y a place pour un nombre infini de voyelles, les unes plus voisines de a, les autres plus voisines de i et de u, et qui se rapprochent plus ou moins des sons désignés par e et par o.

En effet, a dans patte, vague, là, ma, etc., est le son appelé a ouvert (à) ou, comme dans les grammaires, a bref, et il se rapproche de e, qui lui-même se divise en deux sons, un premier voisin de à dans fer, fidèle, perte, tête, telle, et qui est l'e ouvert (è), un second voisin de i dans chanté, clef, aimer, et qui est l'e fermé (é). Entre l'è et l'é se place un e intermédiaire demi-ouvert et demi-fermé, dans maison. On a donc l'échelle

D'autre part, a dans pâte, pas, est un a voisin de o : c'est l'a fermé (á) ou, selon les grammaires, l'a long ; o lui-même se subdivise en deux sons : l'un voisin de á dans mort, parole, porte : c'est l'o ouvert (ò) ; l'autre voisin de u dans pôle, rôle, rôt : c'est l'o fermé (ó). Entre l'ò et l'ó se place un o intermédiaire demi-ouvert et demi-fermé, dans comment. De là l'échelle

Enfin entre l'è et l'ò se place le son intermédiaire ouvert dans douleur, neuf ; entre l'é et l'ó, le son intermédiaire eu dans creux, jeu ; entre e demi-ouvert, demi-fermé et o demi-ouvert, demi-fermé, est un eu demi-ouvert, demi-fermé, dans me, le. Entre l'i et l'u se place le son intermédiaire ü (u français), dans dur, due. Le tableau complet des sons vocaliques est le suivant :

Nous venons de considérer les voyelles au point de vue des variations de timbre. Si nous les considérons au point de vue de la durée, nous constatons que chacune d'elles peut être longue ou brève. Certains mots ont des voyelles naturellement longues, comme pâtre, peine, dire, mort, hôte, etc., ou naturellement brèves, comme bac, sec, dite, bock, duc, etc. Souvent aussi les voyelles sont d'une durée variable suivant la place qu'occupe dans la phrase le mot qui les contient : dans fer, l'e est plus long que dans fer-blanc, ferblantier.

Les voyelles étudiées jusqu'ici sont ce qu'on appelle les voyelles pures. Outre ces voyelles pures, le français possède des voyelles nasales. On entend par voyelles nasales les sons formés par l'émission de l'air qui, chassé des poumons, passe par le larynx au lieu de traverser le canal buccal et se divise, par suite, en deux parties dont l'une traverse le canal buccal pendant que l'autre, passant derrière le voile du palais abaissé, traverse les fosses nasales ; la résultante de ces deux séries simultanées de vibrations buccales et nasales produit un son particulier. Dans le français actuel, il y a quatre voyelles nasales : an, in, on, un ; elles sont longues quand elles sont suivies d'une consonne qui se prononce sans voyelle suivante ; elles sont moyennes dans le cas contraire :

Nasales longues : enfance, feinte, monde, défunte.

Nasales moyennes : enfant, pain, bon, commun.

La notation de ces sons dans l'écriture est loin d'être rigoureuse et précise : on le voit déjà par quelques-uns des exemples cités. En fait, a ouvert (bref ou long) peut être noté par a, à, em, en : ma, à, femme, solennel ; a fermé (bref ou long) par a, â : pas, crâne ; -- e ouvert (bref ou long), par e, è, ai, ei : perte, mer, succès, collège, pair, peine ; -- e fermé (bref ou long), par e, é, ai, ei, ey, ay, œ : passer, bonté, chantai, peiner, dey, Fontenay, Œdipe ; -- i (bref ou long), par i, î, y : dire, lisse, île, îlot, lyre ; -- o ouvert (bref ou long), par o, ô, eau, au, u : mort, hôpital, tableautin, taureau, pensum ; -- o fermé (bref ou long), par o, ô, eau, au : pot, côte, beaux, chevaux ; -- u (bref ou long), par ou, aoû : doux, août ; -- ü (bref ou long), par u, eu : duc, j'eus ; -- eu ouvert (bref ou long), par eu, œ, œu, ue, e : neuf, œil, bœuf, cueillir, le, se ; -- eu fermé (bref ou long), par eu, œu : peut, œufs.

De même pour les nasales, ã (long ou moyen) peut être noté par an dans tante ; par am dans chambre ; par en dans science ; -- e (long ou moyen) peut être noté par in dans tinte ; par im dans limbe ; par ein dans feinte ; par eim dans Reims ; par en dans rien ; par ain dans saint ; par aim dans faim ; par ein dans rein ; -- ô (long ou moyen) peut être noté par on dans honte ; par om dans ombre ; par un dans punch ; par um dans rumb ; -- u est noté par un dans commun ; par um dans humble.

On appelle diphtongue l'émission rapide de deux voyelles combinées d'intensité différente. Tantôt c'est la première qui est plus intense, tantôt la seconde. Les deux voyelles sont prononcées dans une seule émission de voix, en articulant le plus vite possible celle qui est la moins intense. Soient les deux voyelles a, o, prononcées avec la même intensité ; si vite qu'on les prononce, on aura deux voyelles séparées a, o. Si l'on prononce ao en appuyant soit sur l'a, soit sur l'o, on aura une diphtongue. L'ancien français possédait un nombre considérable de diphtongues : les unes descendantes, c'est-à-dire faisant porter l'intensité sur la première des deux voyelles (áo) ; les autres ascendantes, c'est-à-dire faisant porter l'intensité sur la seconde ().

Les diphtongues descendantes se changèrent, avec le cours du temps, en voyelles pures, ou, quand la première voyelle était i, ü ou u, en diphtongues ascendantes. Par suite, toutes les diphtongues qui restaient furent ascendantes, c'est-à-dire formées d'une première voyelle prononcée très vite et très faiblement et d'une seconde voyelle prononcée fortement. Puis, la prononciation devenant encore plus rapide, la première voyelle (i, ü, u) se changea en consonne ; de sorte qu'aujourd'hui il n'existe plus de diphtongues. Les prétendues diphtongues des grammairiens (ia, ie, io, ieu, iou, ua, ue, ui, uo, oua, oui) se réduisent à des combinaisons de consonnes nouvelles (i consonne, ü consonne et u consonne) et de voyelles.

Ce que nous disons des diphtongues pures doit se dire des diphtongues nasales. Ces groupes de sons n'ont que l'apparence de diphtongues nasales. Le second élément est bien une voyelle nasale, ã, e, ô ; mais le premier est une consonne (issue d'une voyelle), i consonne, ü consonne, u consonne : viande, bien, loin, coin, suint, nation.

II. Consonnes. -- Une consonne est un son produit par un courant d'air chassé des poumons qui, tantôt faisant vibrer, tantôt ne faisant pas vibrer les cordes vocales, traverse la bouche, après avoir été soit complètement arrêté, soit partiellement étranglé par l'obstacle formé par les lèvres, ou par la langue qui s'applique contre les lèvres, les dents ou le palais.

S'il y a vibration des cordes vocales, comme dans b, g, d, r, z, on a des consonnes sonores (1), ainsi appelées parce qu'elles sont caractérisées par la sonorité des cordes vocales. S'il n'y a pas vibration des cordes vocales, comme dans p, k, t, f, ç, on a des consonnes sourdes (2).

Quand le son est complètement arrêté, comme dans p, b, t, d, k, g, on a des consonnes explosives (3), ainsi appelées parce que la brusque fermeture de la bouche détermine une sorte d'explosion de l'air. Quand le son est partiellement étranglé, comme dans f, v, ç, z, ch, j, on a des fricatives (4), ainsi appelées parce qu'il est dû à un frottement de l'air contre les parois de la bouche.

Les consonnes étant dues à l'action d'un obstacle dans la bouche, il doit y avoir autant de groupes de consonnes qu'il y a d'obstacles différents :

1. -- Si la lèvre inférieure vient s'appliquer contre la lèvre supérieure ou la frôler, on a les labiales ou plus proprement les labio-labiales.

Si la fermeture est complète, on a, sans vibration des cordes vocales, p ; avec vibration, b, et ce dernier prononcé avec accompagnement d'une résonance nasale devient m.

Si la fermeture est incomplète, on a, avec vibration des cordes vocales et suivant la position plus ou moins avancée des lèvres, deux consonnes habituellement sonores, mais qui deviennent sourdes lorsqu'elles s'unissent intimement avec une consonne précédente sourde : ce sont l'u consonne dans oui, dans moi, toi, soi, et l'ü consonne dans puis, lui.

2. -- Si la lèvre inférieure vient s'appliquer à l'extrémité des dents supérieures, on a des labio-dentales.

Quand la fermeture est complète, toute émission de consonnes est impossible ; quand elle est incomplète, on a, sans vibration, f ; avec vibration, v.

3. -- Si l'extrémité de la langue et une petite partie de la face supérieure de la langue touchent l'extrémité des dents supérieures, on a des linguo-dentales.

Quand la fermeture est complète, on a, sans vibration, t ; avec vibration, d ; ce dernier, accompagné de résonance nasale, devient n.

Quand la fermeture est incomplète, on a, sans vibration, s sourde, notée par s, ss, ç, c, ti ; avec vibration, s sonore notée par s, z.

Quand la langue s'appuie contre les dents supérieures, l'air sortant de chaque côté entre la langue et les dents latérales produit la fricative sonore l.

Quand la pointe vient s'appuyer contre les alvéoles, elle produit en roulant l'r roulée ou alvéolaire, prononcée encore dans certaines provinces et sur la scène. L'r roulée a été remplacée à Paris au XVIIe siècle par l'r palatale.

4. -- Si la langue vient toucher par sa partie postérieure, supérieure ou antérieure, diverses parties du palais, depuis le palais mou, près du voile du palais, jusqu'à la partie du palais dur voisine des alvéoles dentaires, on a des linguo-palatales.

Quand la fermeture est complète, la partie supérieure de la langue peut toucher le haut du palais ou en avant du côté des dents, et alors on a, sans vibration, k devant e, i ; avec vibration, g devant e, i (gai, gui), -- ou un peu plus en arrière, vers le palais mou, et alors on a, sans vibration, k devant a ; avec vibration, g devant a ; -- ou enfin plus en arrière encore, près du palais mou ou du voile du palais, et l'on a, sans vibration, k devant o, u, ü, l, r, dans corps, coup, cure, classe, croire, coq ; avec vibration, g devant o, u, ü, l, r, dans gorge, goût, gutte, gland, grand, bague.

Quand la fermeture est incomplète, si la langue, en touchant le palais, laisse un passage à l'air, nous avons d'abord, si le contact se fait par la pointe et une partie de la face supérieure de la langue contre le palais dur, au-dessous des alvéoles, nous avons, sans vibration, ch dans château, chemin ; avec vibration, j ou g devant e, i. -- Si le contact a lieu avec la partie supérieure de la langue, plus en arrière contre le palais dur, nous obtenons une consonne qui a joué un rôle considérable dans l'histoire de notre prononciation : c'est l'i consonne ou l'i palatal, habituellement sonore, quelquefois sourd dans piano, bien, Dieu, pied, fier, yacht, yole, yeux, payer, moyen, où il est noté par i ou y ; dans février, hier, lier, ouvrier, où il est prononcé, mais non noté. -- Si enfin la partie postérieure de la langue est en contact avec l'arrière du palais dur, puis le palais mou, on a l'r grasseyée, qui a remplacé l'r alvéolaire.

5. -- Si la langue touche à la fois les dents et le palais, on a les linguo-dento-palatales : l mouillée, son qui a disparu de la prononciation courante et qui était la combinaison du son de l et du son de i palatal ; -- n mouillée, qui est la combinaison de l'n et de l'i palatal.

6. -- Il faut enfin considérer à part l'h aspirée, qui n'est pas en réalité une consonne, mais un souffle produit par le frottement plus ou moins fort de l'air, sortant librement de la gorge, quand les cordes vocales sont éloignées et, laissant la glotte ouverte, ne vibrent pas ; c'est un son qui a disparu de la prononciation courante et ne subsiste guère que dans la prononciation normande.

Ainsi, sept labio-labiales se décomposant en : deux explosives, la sourde p, la sonore b ; quatre fricatives, les deux sourdes u, ü, les deux sonores u, ü ; et une nasale, m.

Deux labio-dentales, toutes deux fricatives : la sourde k et la sonore v.

Sept linguo-dentales, se décomposant en : deux explosives, la sourde t, la sonore d ; deux fricatives, s sourde, s sonore ; deux liquides l, r (alvéolaire) ; et une nasale, n.

Sept linguo-palatales, se décomposant en : deux explosives, la sourde k, la sonore g ; cinq fricatives, les sourdes ch, i, les sonores j, i, r (palatale).

Deux linguo-dento-palatales : l mouillée et n mouillée.

Une laryngo-laryngale : h aspirée.

Pour ces vingt-six consonnes, l'alphabet français offre des ressources très insuffisantes. En effet, dans l'ordre des labiales, les consonnes u et ü ne sont pas représentées par des lettres ; dans l'ordre des dentales, s sourde est notée par s, ss, ç, c, ti ; s sonore par s, z ; -- dans l'ordre des palatales, l'i consonne n'a le plus souvent pas de représentation, ou est noté irrégulièrement par y ou i ; j est noté par j ou g (devant e, i) ; k a pour signes de notation c, k, q, qu, ck, cq, cqu, ch. L'l mouillée a quatre représentations différentes : ill, il, ll, l ; l'n mouillée est bizarrement notée par gn.

Inversement, telles lettres ont des valeurs doubles : c représente le son k et le son s ; t devant i est tantôt l'explosive t, tantôt la sifflante s ; m et n sont soit des signes de consonnes nasales (ma, ni), soit des signes de voyelles nasales (lampe, ton) ; dans non, la seconde consonne n'a pas la même valeur que la première. Enfin il existe un signe simple x qui représente soit ks, soit gz, soit s. On ne saurait pousser plus loin l'incohérence.

§ 286. -- Théorie des sons latins vers la fin de l'Empire.

Tel est le système actuel du français. Or ce système sort du système latin. Quel était celui-ci ?

I. Voyelles. -- Le latin classique possédait cinq voyelles, qui se dédoublaient d'après la durée, c'est-à-dire qui étaient longues ou brèves : a a, e e, i i, o o, u u (ou). A partir de l'époque impériale, ces différences de durée firent place à des différences de timbre ; les voyelles longues devinrent fermées, les voyelles brèves devinrent ouvertes, sauf toutefois pour a a, qui paraissent avoir abouti à un son unique, le son ouvert ; de plus, e et i, o et u se confondirent de bonne heure ; on eut donc sept voyelles correspondant aux dix du latin classique :

a a àe/èe i éi/io/òo u óu/u

Outre ses dix voyelles, le latin classique possédait trois diphtongues : ae, oe, au. Subissant la même transformation, ae devint è, oe devint é ; quant à au, tantôt il s'est changé en ó, tantôt il s'est maintenu.

Signalons enfin un dernier changement, particulier au latin parlé en Gaule ; l'u du latin classique, qui était prononcé ou, y prit le son actuel ü.

II. Consonnes. -- Le latin classique possédait seize consonnes : b, p ; d, t ; g, c (k, q) ; f, v ; j, s, z, h ; l, m, n, r.

Il avait en outre les groupes d'origine grecque ph, th, ch.

P, b, t, d, l, m, n, avaient très vraisemblablement la valeur que nous leur attribuons aujourd'hui en français.

Les gutturales c (k, q) et g étaient vélaires devant a, o, u, palatales devant e, i.

F, à en juger par les descriptions que nous laissent de sa prononciation les grammairiens anciens, avait la valeur de notre f ; pour le v, il se prononçait, sous l'Empire, comme l'anglais w et était une spirante labiale et non une dento-labiale comme le v actuel. C'est à la fin de l'Empire que le son de w s'est transformé en v, comme le prouve l'identité de forme qu'il a reçue dans les diverses langues romanes.

L's était sourde.

Le j avait le son du yod allemand ou de notre y dans yacht.

Il y avait deux sortes d'n : l'une identique à la nôtre (d nasal) ; l'autre gutturale, formée au fond du palais et qui se faisait entendre devant c ou g : ancora, angor.

Le z (= ds) avait s sonore.

L'r était roulée.

§ 287. -- Accent tonique latin. -- Règles de l'accent tonique.

Dans la transformation qu'ont subie les mots latins pour devenir les mots français, l'élément qui a joué le plus grand rôle est l'accent tonique. L'accent tonique consiste dans une intensité plus grande d'une des voyelles d'un mot ; on la prononce avec plus de force que les autres voyelles, de manière à augmenter l'amplitude des vibrations sonores qui la produisent, sans modifier en quoi que ce soit ni son timbre ni sa durée. Cet accent était-il en latin classique un accent de hauteur ou d'intensité ? Augmentait-il le nombre des vibrations ou leur amplitude ? Il est bien difficile de le dire. Ce qu'on peut toutefois affirmer, c'est que vers le IIe ou le IIIe siècle, l'accent tonique fut simplement un accent d'intensité, un coup de la voix, un ictus frappant pour chaque mot une voyelle déterminée. Et cet ictus n'a pas varié de place du latin au français ; il a persisté sur la même syllabe dans les langues romanes, c'est-à-dire que, dans les mots de formation populaire, la syllabe sur laquelle les Gallo-Romains faisaient porter l'effort de la voix est encore celle sur laquelle porte aujourd'hui cet effort.

Les règles de l'accent tonique, pour ce qui nous concerne, peuvent se ramener aux suivantes :

Dans les monosyllabes, l'accent frappait la voyelle : rem, post, me (5).

Dans les mots de deux syllabes, l'accent frappait la pénultième : caput, matrem, soror.

Dans les mots de plus de deux syllabes, si la pénultième était longue, elle était frappée par l'accent : dominorum, latronem ; si elle était brève, l'accent frappait l'antépénultième : hominem, hominibus.

Les mots monosyllabiques sont dits oxytons. Les mots dont la pénultième portait l'accent sont dits paroxytons. Les mots dont l'antépénultième portait l'accent sont dits proparoxytons.

Les voyelles frappées de l'accent sont dites toniques ou accentuées ; toutes les autres sont dites atones ou inaccentuées. Si elles précèdent la syllabe tonique, elles sont dites protoniques ; si elles la suivent, posttoniques.

§ 288. -- Accent second.

Outre cet accent, dit accent premier, les mots de plus de trois syllabes pouvaient être pourvus d'un autre accent, moins fort que le précédent, dit accent second, et qui frappait les syllabes de deux en deux en remontant à partir de la syllabe frappée de l'accent tonique : dans firmitatem, la voix appuyait fortement sur ta, un peu moins fortement sur firm : dans infirmitatibus, fortement sur ta, moins fortement sur firm, etc. On expliquera § 339 l'importance de cet accent second.

§ 289. -- Déplacement de l'accent.

Nous avons dit que l'accent n'a pas varié de place dans le passage du latin au français. Il y a toutefois quelques réserves à faire. Il a pu arriver que, pour des raisons diverses, l'accent ait avancé ou reculé.

Déjà en latin quelques mots semblent violer la règle de la place de l'accent : ce sont viginti et les autres noms de dizaines, qui peut-être, par suite d'une loi du latin archaïque, ont l'accent sur l'antépénultième, bien que la pénultième soit longue.

Pour les autres mots, le déplacement est dû soit à des causes phonétiques, soit à des causes morphologiques.

Causes phonétiques. -- 1º Dans les mots où un e ou un i tonique était en hiatus avec une voyelle suivante, l'accent a avancé sur cette voyelle : ainsi dans parietem pour parietem et dans les mots en eolum ou iolum pour eolum, iolum.

2º La difficulté de prononcer les proparoxytons lorsque la pénultième était suivie des groupes br, cr, tr, etc., a amené à faire avancer l'accent sur la pénultième : alacrem, cathedra, colubra, integrum, pour alacrem, cathedra, colubra, integrum.

Causes morphologiques. -- 1º Nous avons vu (§ 185) que, lorsque dans un composé le sentiment de la composition a disparu, il garde en roman sa place à l'accent latin : colligit, cueille ; collocat, couche ; cogitat, cuide, etc. Mais quand on a conservé conscience de la composition (§ 186), il y a eu ce qu'on appelle recomposition, et, le second élément étant alors le plus important, on a placé l'accent sur le radical du simple : explicat devient explicat, demorat demorat, recipit recipit, renegat, renegat, etc.

Un changement de suffixe peut encore amener un déplacement d'accent ; soricem devient soricem sous l'influence de perdicem ; inus est substitué à inus dans faginus pour faginus.

II. -- TRANSFORMATION DU GALLO-ROMAN

§ 289 bis. -- Caractères généraux.

C'est l'époque la plus féconde en transformations que celle du gallo-roman, qui s'étend du Ve au Xe siècle. Les sons, voyelles et consonnes, s'altèrent avec une telle rapidité, qu'au bout de quatre ou cinq siècles les mots ont totalement changé d'aspect et qu'on se trouve en présence d'une langue nouvelle. C'est dans cette période que se constituent les traits les plus importants de la prononciation française. Les changements que subit alors le latin donnent la clef de la plupart des changements ultérieurs.

Les atones disparaissent ou s'assourdissent ; les voyelles accentuées, sous l'action du temps fort, s'allongent, si elles sont brèves, et, dans la plupart des cas, se diphtonguent ou se transforment. Les groupes de consonnes se simplifient ; les consonnes simples s'affaiblissent entre deux voyelles. Un besoin pressant d'euphonie supprime tout ce que le système des consonnes latines peut avoir de dur, et fait disparaître les heurts nouveaux de sons qu'amène la disparition de certaines voyelles.

Nous commençons cette étude par les voyelles, et dans les voyelles par les finales, pour remonter de là aux voyelles accentuées et aux protoniques.

§ 290. -- Chute de la pénultième brève.

En gallo-roman, toute pénultième brève, sauf a, placée entre deux consonnes tombe, et, par suite, tous les proparoxytons deviennent paroxytons : ancora devint ancra, ancre ; asinum, asnum (6), asne, âne ; asperum, asprum, aspre, âpre ; arborem, arbrem, arbre ; alterum, altrum, autre ; buccula, buccla, boucle ; calidum, caldum, chaud ; camera, camra, chambre ; mobilem, moblem, meuble ; tabula, tabla, table ; etc.

Lorsque la voyelle pénultième était un a, elle a persisté longtemps, et elle se retrouve sous la forme d'un e dans la période la plus ancienne de notre langue : cannabem, anc. franç. chaneve, plus tard chanvre ; orfanum, orfene (orphelin) ; rafanum, ravene (raifort). Les mots de ce genre sont d'ailleurs très peu nombreux.

§ 291. -- Chute des voyelles finales sauf A.

Il n'y avait donc plus guère en gallo-roman que des paroxytons et des oxytons. Les paroxytons eux-mêmes sont devenus des oxytons par suite de la chute de toute voyelle finale, sauf quand cette voyelle était un a ou quand elle était précédée d'un groupe de consonnes de prononciation difficile : accusare devint accusar, accuser ; acrorem, acror, aigreur ; amicum, amic, ami ; cal(i)dum, cald, chaud ; carnem, carn, charn, plus tard chair ; frig(i)dum, frigd, froid ; lur(i)dum, lurd, lourd.

Quand la voyelle finale était un a, elle s'est maintenue d'abord, puis s'est changée plus tard en un e féminin : arca, arche ; bulla, boule ; cantat, chantet, plus tard chante ; cappa, chape ; costa, côte ; etc.

Quand la voyelle finale était précédée d'un groupe de consonnes, cette voyelle s'est maintenue, et plus tard en français a été rendue par le son e : cop(e)rit, couvre ; pop(u)lum, peuple ; ventrem, ventre ; etc.

Dans un certain nombre de mots français, on ne peut se rendre compte de la présence de cet e final qu'en remontant à la forme primitive : dans père, mère, frère, l'e ne s'explique que par les formes antérieures où il est précédé de deux consonnes : pedre, medre, fredre, de patrem, matrem, fratrem.

Les mots de cette série sont très nombreux ; ils l'emportent de beaucoup sur ceux qui ont régulièrement e provenant de a final latin : qu'il nous suffise de citer, aux lettres A et B : aigre (acrem), ancêtre (antecessor), âne (as [i]num), âpre (asp [e]rum), beurre (but [y]rum), bièvre (bebrum), etc.

Il peut arriver que l'e de ces deux séries de mots disparaisse : aqua, eaue, aujourd'hui eau.

Il y a deux exceptions à signaler à la loi générale de la disparition de la finale :

1º Lorsque la finale est en hiatus avec la pénultième tonique, elle se combine avec elle pour former une diphtongue : Deum devient Dieu.

2º Dans un certain nombre de paroxytons latins, la consonne séparant la tonique de la finale atone est tombée, de bonne heure ; il y a eu, par suite, hiatus et combinaison des deux voyelles en une diphtongue : graecum, anc. franç. grieu ; jugum, anc. franç. jou, aujourd'hui joug ; lupum, anc. franç. lou, aujourd'hui loup ; paucum, anc. franç. pou, aujourd'hui peu ; etc.

§ 292. -- Chronologie de la chute des atones.

Ces deux grands faits qui caractérisent le gallo-roman, la chute de la pénultième brève et la chute de la finale autre qu'un a, ne se sont pas produits en même temps.

Pour le premier fait, il s'était opéré déjà dès les premiers siècles de l'Empire, notamment pour les mots où la pénultième brève était placée entre r m, r d, l m, l d, l p, s t ; il s'était opéré aussi déjà pour frig(i)dum et dom(i)num. Dans les autres mots, la contraction s'est produite peu à peu, et il est bien difficile d'en déterminer les étapes successives. Le cas où elle semble s'être accomplie le plus tard, c'est celui où la pénultième était précédée d'un groupe de consonnes ; celui-ci a protégé quelque temps la pénultième ; fabrica est passé d'abord à *favrega. Quoi qu'il en soit, la disparition de la pénultième brève, dans la plupart des cas, était un fait accompli avant la chute de la voyelle finale, chute qui se produisit probablement vers le VIIe ou le VIIIe siècle, et qui, en tout cas, était achevée au IXe siècle ; car les Serments de Strasbourg nous offrent des exemples des trois faits étudiés précédemment : 1º suppression de la voyelle finale autre qu'un a : amur, christian, nul ; 2º conservation de l'a final : aiudha, cadhuna, cosa, nulla ; 3º conservation, après un groupe de consonnes, de la finale marquée tantôt par un a : fradra, sendra ; tantôt par un o : poblo, nostro ; tantôt déjà par un e : Karle, altre, fradre.

VOYELLES ACCENTUÉES

§ 293. -- Des voyelles accentuées.

Les voyelles accentuées eurent un sort différent suivant qu'elles étaient libres ou entravées.

Dans le système du latin vulgaire, une voyelle est dite libre quand elle est suivie d'une seule consonne terminant le mot : cor, ou quand elle termine la syllabe, soit à la fin d'un mot : me, te, pro ; soit à l'intérieur d'un mot devant une voyelle : mea, tua, Deus ; devant une consonne : bonus, panem ; devant deux ou plusieurs consonnes : patrem, integrum. La syllabe renfermant cette voyelle libre est dite syllabe ouverte.

Une voyelle est dite entravée quand, dans l'intérieur d'un mot, elle ne termine pas la syllabe : fortem, partem, crescere, etc. Cette syllabe est dite fermée.

Tantôt l'entrave existe déjà en latin classique ; tantôt elle est plus récente, étant amenée par la chute de la pénultième atone dans les proparoxytons : asinum asnum, calamum calmum, calidum caldum, credere credre, sabulum sablum, tabula tabla, etc. En ce cas, l'entrave empêche l'altération de la voyelle si elle n'est pas commencée ; ainsi l'a et l'e latins sont maintenus intacts dans table, merle, de tab(u)la, mer(u)la. Elle ne peut faire obstacle si l'altération s'est déjà produite : tepidum, avant de perdre sa pénultième atone, était devenu tiepedum, d'où tiède.

Voyelle a (a, a du latin classique).

§ 294. -- A entravé.

A bref ou long du latin classique, dans une syllabe fermée, a persisté, sauf dans les cas étudiés §§ 296, 299 1º, 301 2º, 303, que l'entrave fût latine ou romane : arb(o)rem, arbre ; as(i)num, asne, âne ; carmen, charme ; carnem, charn, plus tard chair ; carrum, char ; drappum, drap ; fab(u)la, fable ; lardum, lard ; partem, part ; passum, pas ; sap(i)dum, sade (dans maussade) ; tab(u)la, table ; vaccam, vache ; vallem, val ; etc.

Il est à remarquer que la chute de l'atone dans les paroxytons ne fait pas obstacle au changement de l'a en e (§ 295) : tal(e)s devient tels, appar(e)t, (il) appert, ce qui prouve que l'atone finale est tombée lorsque déjà l'a avait commencé à s'altérer, tandis que dans les proparoxytons comme fabula, l'u atone pénultième en tombant a produit l'entrave et, par suite, est tombé avec l'altération de l'a.

L'entrave peut être constituée par pi, bi, li, ni, etc., où l'i est semi-consonne : apium, ache ; *rabia (class. rabiem), rage ; *battalia, bataille ; *montania, montagne.

Il n'y a que peu d'exceptions au maintien en français de a latin entravé, et elles proviennent d'altérations récentes :

1º Les mots comme asperge pour asparge, chair pour char, gerbe pour jarbe, seront étudiés § 302, 2º.

Achète pour achate, de *accaptat, semble être une forme analogique sortie de achater d'après l'alternance étudiée au § 616.

§ 295. -- A libre.

A qui, dans une syllabe ouverte, peut être bref ou long dans le latin classique, est toujours long dans le latin populaire. Cet a frappé de l'accent tonique se dédoubla en aa, puis en ae, pour aboutir, sauf dans les cas étudiés §§ 296, 297, 298, 299 2º, 300 1º, à un e de nature spéciale (§ 317), qui, dans la langue actuelle, est ouvert quand il est suivi d'une consonne sonore : amer, hôtel, mer ; fermé quand il est final ou suivi d'une consonne muette : chanté, prenez. Dans un certain nombre de mots ai a remplacé e dans l'orthographe actuelle par préoccupation étymologique : ala, ele, puis aile ; clarum, cler, puis clair ; clavem, clef ; faba, fève ; gratum, gré ; labra, lèvre ; parem, per, puis pair ; etc. Citons aussi les terminaisons alem, el ; are, er ; ata, ede, ée ; atum, ed, é ; tatem, ted, té.

L'a s'est maintenu par exception dans la terminaison du parfait de la Ire conjugaison : chanta de *cantat pour cantavit (§ 633), dans as de habes (§ 647) et vas de vadis (§ 638).

§ 296. -- A suivi d'une palatale.

Lorsque a est suivi d'un i, soit que cet i existe déjà en latin comme dans basiat, maium, soit qu'il se dégage à une époque postérieure d'une palatale, comme dans acrem, aquila, laxat, plaga, etc., cet i se réunit à a pour former le son composé ai. C'est ainsi que l'on a d'une part : area, *aria, aire ; badium, bai ; *crassia, graisse ; maium, mai ; paria, paire ; varium, vair ; etc., et d'autre part : aquila, aigle ; factum, fait ; laxat, laisse ; plaga, plaie ; etc. (Voir pour l'i dégagé par une palatale après a, §§ 382, 384, 386, 387, 388, 389, 390, 392, 394, 396, 398, 399, 403, 406, 415, 419, 423.)

Nous avons déjà indiqué (§ 294) que dans certains mots, comme apium, ache ; *rabia, rage ; sapiam, (je) sache, l'i, au lieu de s'unir à l'a, formait entrave avec la consonne précédente, et maintenait l'a. De même l'a du suffixe aticum s'est conservé dans le français age.

Par une exception encore inexpliquée, le suffixe arium, au lieu d'aboutir à air, a abouti à ier : argentarium, argentier ; cancellarium, chancelier ; *cardinaria, charnière ; carnarium, charnier ; carpentarium, charpentier ; cellarium, cellier ; collarium, collier ; etc.

Ai, dans quelques cas, devient oi : Amboise, carquois, pantois, pour Ambaise, carcais, pantais.

Ce son ai était primitivement une diphtongue où l'accent portait sur a. Au XIe siècle, ai a passé à aè, puis à è, d'abord devant le groupe str, puis devant une simple consonne, et au XIIIe siècle dans une syllabe libre.

§ 297. -- A libre précédé d'une palatale.

A libre précédé d'un i, soit que cet i existe déjà en latin comme dans basiare, soit qu'il se dégage à une époque postérieure d'une palatale, comme dans laxare, negare, pacare, se combine avec cet i pour donner la diphtongue ié. C'est ainsi que l'on a eu pour les terminaisons are (verbes), atum, are (subst.), tatem, en français ier, ié, ier, tié ; que l'on a eu de capra, chièvre ; de caput, chief ; de carum, chier ; etc. Sur la réduction de à é dans un très grand nombre de ces mots, voir § 307.

§ 298. -- A libre entre deux palatales.

A libre placé entre deux palatales donne primitivement la triphtongue iei, qui s'est réduite à i : cacat, chieiet, chiet, (il) chie ; jacet, jieist, jist, (il) gît.

Il y a toute une classe de mots qui fait exception, celle des dérivés en ier. Arium précédé d'une palatale donne ier et non ir : aciarium, acier ; *berbicarium, bergier ; viridiarium, vergier ; etc. Sur la réduction de à é dans un grand nombre de ces mots, voir § 307.

§ 299. -- A devant M, N, non précédé d'une palatale.

1º Si a est entravé, il se nasalise, sans changer à l'origine la qualité de la consonne qui suit : chante se prononça d'abord chã-n'-te avant de se prononcer chã-te. Pour plus de détails, voir § 476.

2º Si a est libre, au lieu de passer de aa, ae, à ee, é, il aboutit à la diphtongue ai. Au Xe siècle, la cantilène de sainte Eulalie note ce son par ae : maent de manet ; à partir du XIe siècle, il est noté par ai ; mais, à la différence de l'autre son ai, produit par la palatale (§ 296), il reste diphtongue jusqu'au XVIe siècle.

C'est ainsi que les terminaisons latines amen, anum, ana, sont devenues en français aim ou ain, ain, aine. On a de même damum, daim ; famem, faim ; granum, grain ; hamum, hain ; etc. Sur la prononciation particulière de cette diphtongue ain et son assimilation à ein, voir § 480.

§ 300. -- A devant M, N, après une palatale.

1º Si a est libre, la palatale seule agit sur lui, et il aboutit à ié : canem, chien ; christianum, crestiien, crestien, chrétien (7)1 ; decanum, deiien, doiien, doyen ; ligamen, leiien, lien ; paganum, paiien, païen ; etc.

2º Si a est entravé, la palatale n'exerce aucune action : campum, champ ; carnem, anc. franç. charn (d'où acharner) : sur la forme actuelle chair, voir § 302.

§ 301. -- A suivi de L.

1º Si a est libre, il devient régulièrement e : ala, ele, plus tard aile ; hospitale, ostel, hôtel ; mortalem, mortel ; sal, sel ; talem, tel ; etc.

Pour les adjectifs en alem, dès le moyen âge la forme savante en al a coexisté à côté de la forme populaire en el, et a fini par prédominer (§ 90). Pour d'autres mots comme mal, pal, l'ancien français a connu les formes régulières mel, pel.

2º Si a est entravé, il se conserve d'abord, puis, comme nous l'étudierons § 455, il se combine avec l pour aboutir à au.

§ 302. -- A libre et entravé devant R.

1º Si a est libre, il se change régulièrement en e : altare, alter, autel ; amare, amer, aimer ; etc. Singularem, subtelarem, etc., ont donné régulièrement en anc. franç. sengler, soller, etc. ; puis dans ces mots, comme dans quelques autres, er est devenu ier en français moderne par substitution de suffixe (§ 114).

2º Si a est entravé, il se maintient régulièrement à l'origine ; mais, entre le XIVe et le XVIe siècle, il a une tendance à se changer en e : arrha, arres et erres ; asparagum, asparge et asperge ; carnem, charn, char, et cher, chair ; *carptiat, (il) jarce et gerce ; haut allem, garba, jarbe et gerbe ; *sarpa, sarpe et serpe.

§ 303. -- A devant S.

Pour a devant s, voir § 422.

Voyelle è (e du latin classique).

§ 304. -- È entravé.

È entravé, sauf dans les cas étudiés § 305, 2º, se maintient sans changement, que l'entrave soit latine ou romane : beccum, bec ; ferrum, fer ; festa, fête ; herba, herbe ; infernum, enfern, enfer ; mesp(i)la, nèfle ; perd(i)ta, perte ; pert(i)ca, perche ; ret(i)na, rêne ; septem, set, sept ; term(i)num, terme ; terra, terre ; etc.

La présence d'une palatale précédente n'empêche pas le maintien de l'è : cervum, cerf.

Pour toute une série de mots où l'è s'est diphtongué avant la chute de la pénultième brève, voir § 305.

La diphtongue dans nièce, anc. franç. nece, de *neptia, paraît due à l'influence du masculin en anc. franç. nies de nepos ; dans fiente de *femita, à celle de l'ancien français fiens de *femus. Elle est inexpliquée dans fière de fourche-fière, de ferrea ; dans pièce de *pettia, et tiers de tertium.

§ 305. -- È libre.

È libre, non suivi d'un i ou de toute autre lettre qui dégage un i, se diphtongue en iè, dès le début de la langue : bebrum, bièvre ; brevem, brief, bref ; cathedra, chadière, chaiere, chaire ; deretro, deriedre, derierre, derrière ; febrem, fièvre ; fel, fiel ; ferum, fier ; *grevem class. gravem), grief ; heri, hier ; leporem, lièvre ; palpetra, palpière, paupière ; sedet, siet, (il) sied ; etc.

La présence d'une nasale n'empêche pas la diphtongaison : bene, bien ; rem, rien.

Dans toute une série de mots, où la chute de la pénultième brève a rendu è entravé à l'époque romane, on a cependant iè, parce que è s'était déjà diphtongué quand s'est produite cette chute de la posttonique : *antephona, antiefne, antienne ; ebulum, hièble ; gemere, anc. franç. giembre, remplacé par geindre ; pedica, piège ; *sedicum, siège ; tepidum, tiède ; tremere, anc. franç. criembre, remplacé par craindre.

§ 306. -- È suivi d'une palatale.

Lorsque è, soit libre, soit entravé, est suivi d'un i ou de toute lettre qui dégage un i, le groupe ei ainsi formé s'est changé en la triphtongue iei, qui s'est réduite de bonne heure à i : decem, *deis, *dieis, dis, dix ; decima, *deisme, *dieisme, disme, dîme ; despectum, despieit, despit, dépit ; *ebrium (class. ebrium), ieivre, ivre ; lectum, lieit, lit ; legere, lieire, lire ; pectus, pieiz, pis ; *precat (class. precatur), prieit, (il) prie ; sex, sieis, sis, six ; etc.

§ 307. -- Destinées ultérieures de IÈ.

Iè, sorti de e, s'est confondu avec sorti de arium et sorti de a libre, sous l'influence d'une palatale. Les poèmes du moyen âge unissent dans une même strophe, à l'assonance ou à la rime, des mots tels que chief (caput), laissier (laxare), chevalier (caballarium), hier (heri).

Ce son ié, de triple origine, s'est maintenu jusqu'au XIVe siècle. Du XIVe au XVIe, il a graduellement disparu dans deux cas déterminés.

1º Tous les mots (substantifs, adjectifs, verbes ou mots invariables) en chié, gié ramènent les groupes chié, gié à ché, gé : bergier, legier, vachier, deviennent berger, léger, vacher ; giel, degiel, jiet, deviennent gel, dégel, jet. C'est là une réduction d'ordre phonétique, mais qui a cessé son effet et n'atteint pas les nouveaux mots dérivés en chier, gier ; car la langue actuelle a créé pistachier, sergier.

2º Tous les verbes et, par suite, tous les participes passés et adjectifs verbaux qui s'y rattachent, dont l'a ou l'e primitif avait été diphtongué en ié, réduisent cet à é par analogie avec la conjugaison normale cantare, chanter (§ 634).

3º Tous les mots dans lesquels était précédé d'une l mouillée, d'une n mouillée ou d'un i, ont fondu l'i de la diphtongue avec le son qui le précédait : baigner, doyen, lier, mouiller, prier. L'ancienne orthographe a subsisté dans châtaignier, groseillier, joaillier.

Cette réduction a donc laissé intacts :

a. Le issu de a précédé d'une palatale dans les mots autres que les verbes, qui n'avaient point chié, gié : amitié, inimitié, moitié, pitié. Dans chien, ie a été protégé par la nasale.

b. Le issu de l'a de arium dans tous les substantifs et adjectifs où ier n'est pas précédé de ch ou de g.

c. Le issu de è, dans tous les cas, sauf dans les verbes de la Ire conjugaison qui ont subi l'action analogique, et les anciens verbes en iembre comme criembre, giembre, etc., où aindre, eindre, ont remplacé iembre (§ 648).

Voyelle é (e, i du latin classique).

§ 308. -- É fermé entravé.

É entravé, sauf dans les cas étudiés §§ 311, 312, 313, 314, 315, se maintient d'abord intact, que l'entrave soit latine ou romane ; puis, à partir du XIIe siècle, il devient e ouvert : arista, areste, arête ; basil(i)ca, baselche, baseuche, basoche ; *capicium, chevet ; capillum, chevel, cheveu ; circ(i)num, cerne ; deb(i)ta, dette ; *districtia, détresse ; firma, ferme ; fissa, fesse ; fist(u)la, fêle ; illa, elle ; missa, messe ; nit(i)dum, net ; siccum, sec ; virga, verge ; etc.

§ 309. -- É fermé libre.

I. -- É libre, sauf dans les cas étudiés § 316, se diphtongue et donne d'abord la diphtongue ascendante éi ; puis, à partir du XIIIe siècle, devant les consonnes autres qu'une nasale ou une l mouillée, éi devient oi, qui progressivement passe à oé, puis à oè. Au XVIe siècle, ce son subit deux modifications : dans un certain nombre de mots, principalement dans ceux où oi était suivi d'un e ou d'une s finale, se réduisit à è (noté par ai : croie, craie) ; dans les autres mots, passa à oa, qui subsista jusqu'au commencement de ce siècle, où il est devenu wa tout en conservant l'orthographe traditionnelle oi.

C'est ainsi qu'on a eu : bibere, beivre, boivre, boire ; *cadere (class. cadere), chadeir, chaeir, cheeir, cheoir, choir ; creta, creie, croie, craie ; *ditum (class. digitum), deit, doit, doigt ; fidem, feid, feit, fei, foi ; *glitia, gleise, gloise, glaise ; habere, aveir, avoir ; *herem (class. heredem), eir, oir, hoir ; juniperum, geneivre, genoivre, altéré récemment en genièvre ; *lampreda, lampreie, lamproie ; me, mei, moi ; picem, peiz, peis, pois, poix ; *quetum (class. quietum), coi ; *stela (class. stella), esteile, estoile, étoile ; etc.

II. -- Lorsque é est suivi d'une posttonique où se trouve un i, il aboutit lui-même à i : feci, (je) fis ; ibi, i, y ; *illi (class. ille), il ; *presi, (je) pris ; veni, vinc, (je) vins ; *vinti (class. viginti), vint, vingt.

§ 310. -- É fermé libre devant une nasale ou une L mouillée.

É libre devant une nasale ou une l mouillée donne aussi ei, mais cette diphtongue a subsisté au lieu de passer à oi :

1º Devant une nasale : catena, chadeine, chaeine, contracté en chaîne ; frenum, frein ; *halena, aleine, haleine ; plenum, plein ; serenum, serein ; sinum, sein ; strena, estreine, écrit plus récemment étrenne ; vena, veine ; etc. Avoine, foin et moins sont des formes dialectales qui ont remplacé les formes anciennes et régulières aveine, fein et meins, de avena, fenum, minus. Fiente vient non pas de *femita qu'aurait fait supposer le classique fimus, mais de *femita, du latin populaire *femus. Venin de venenum est dû à un changement de suffixe ; il en est de même pour parchemin, de *percaminum et non du classique pergamenum.

2º Devant l mouillée : consilium, conseil ; soliculum, soleil ; vermiculum, vermeil, etc.

§ 311. -- É et È devant une nasale entravante.

Devant une nasale entravante, ni é ni è ne se diphtonguent, et en sorti de é ne se distingue pas à l'origine de en sorti de è : dans le poème de Saint Alexis, on trouve réunis dans une même assonance : dolente de *dolenta, femme de femina, jouvente de juventa, tendre de tenerum, ventre de ventrem.

Ce son en tend, dès le XIe siècle, à se confondre avec an ; la confusion est tout à fait complète au XIIe siècle ; mais elle n'a été consacrée par l'orthographe actuelle que dans un certain nombre de mots : *brennum, bren, puis bran ; cingulum, sengle, sangle ; *crennum, cren, cran ; deintus, deenz, dans ; *frimbia (class. fimbria), frenge, frange ; lingua, lengue, langue. Pour plus de détails, voir § 477.

§ 312. -- É et È entravés devant R.

Nous avons vu (§ 302, 2º) que a de a entravé devant r avait eu, à partir du XIVe siècle, une tendance à se changer en e. Inversement, à la même époque é et è, dans les mêmes conditions, s'échangent avec a : allem. bohlwerk, boulever, puis boulevard ; herse a dû se changer en harse, d'où harceler, anciennement herseler ; hernia, hergne, puis hargne. On peut rappeler ici larme de lacrima, devenu lairme, lerme, puis larme.

§ 313. -- É et È entravés devant L.

Pour é et è entravés devant l, voir §§ 456 et 457.

§ 314. -- É et È entravés devant S.

Pour é et è entravés devant s, voir § 422.

§ 315. -- É suivi d'une palatale.

É suivi d'un i ou de toute lettre dégageant un i, dans une syllabe ouverte ou fermée, donne d'abord ei, qui subit les mêmes transformations que ei venant de é non suivi d'un i (§ 309, I) : benedictum, beneeit, beneit, benoît, benêt ; crescere, creistre, croistre, croître ; districtum, destreit, destroit ; feria, feire, foire ; legem, lei, loi ; nigrum, neir, noir ; pectinem, peitne, peigne ; picem, peiz, peis, pois, poix ; regem, rei, roi ; rigidum, reide, roide, raide ; strictum, estreit, estroit ; tectum, teit, toit ; vicem, feiz, feis, fois ; etc. È dans des conditions analogues aboutit au contraire à i (§ 305) : dépit, église, élire, épice, lit, etc.

Devant une nasale, ei ne passe pas à oi : cingere, cen're, cein're, ceindre ; fingere, fen're, fein're, feindre.

§ 316. -- É précédé d'une palatale.

É précédé d'un i ou de toute lettre qui dégage un i donne, en se combinant avec cet i, la triphtongue iei, qui se réduisit de bonne heure à i : *cepa (class. caepa), cieive, cive ; cera, cieire, cire ; jacere, gésir ; licere, loisir ; mercedem, merci ; mucere, moisir ; pagensem, pays ; parisiensem, parisis ; placere, plaisir ; etc.

§ 317. -- Résumé des faits concernant A, È et É. -- Théorie des trois E.

Résumons maintenant les faits que nous présente l'étude de a, de è et de é.

A en position latine ou romane reste a ; libre, il devient e ; devant une nasale ou une palatale, il devient ai ; après une palatale, il devient ie.

E en position latine ou romane donne è ; libre, il donne iè, et dans les deux cas, sous l'influence d'une palatale, il donne i.

E ou i en position latine ou romane donnent é ; libres, ils donnent ei, puis oi, et, sous l'influence d'une palatale, ils donnent ei ou i.

Le français a donc possédé dès l'origine trois e, et très distincts, puisque les assonances ne les confondaient pas. L'e de e entravé était incontestablement ouvert, l'e de e ou i entravés était incontestablement fermé. Quelle était la valeur de e provenant de a ? Il est difficile de la déterminer d'une façon précise. Bien des théories ont été émises à ce sujet. L'hypothèse qui rend le mieux compte des faits est celle qui fait intervenir la quantité des syllabes : toute voyelle entravée était brève, toute voyelle libre était longue ; par suite, l'e provenant de e entravé était un e ouvert bref ; l'e provenant de e, i entravés, était un e fermé bref ; par suite aussi, ils ne pouvaient assoner avec l'e provenant de a, puisque ce dernier était un e long, étant dans une syllabe ouverte. D'autre part, e de a ne se confondant pas à l'origine avec ai provenant de a plus i, qui, nous l'avons vu (§ 296), avait passé de bonne heure à e ouvert, il y a tout lieu de supposer que l'e de a était un e fermé, mais plus long que l'e provenant de e, i, qui était un e bref. Ce n'est guère qu'au XVIIe siècle que cet e de a a passé au son ouvert devant les consonnes sonores : hôtel, mer ; il est resté fermé dans les autres cas : aimer, aimé.

Voyelle i fermé (i du latin classique).

§ 318. -- I fermé libre et entravé.

I fermé s'est maintenu jusqu'à nos jours sans changement, qu'il fût paroxyton ou proparoxyton, dans une syllabe ouverte ou dans une syllabe fermée : argilla, argile ; crinem, crin ; filia, fille ; filum, fil ; mille, mil ; nidum, nid ; *racimum (class. racemum), raisim, raisin ; etc. Les noms de jours lundi, mardi, etc., font supposer pour diem en latin populaire un i fermé ; le contraire a eu lieu pour glirem, dont la forme française leir, loir, remonte à *glirem et non au classique glirem (§ 309) ; mais on dit liron ; de même pour *ficatum au lieu de ficatum, feie, foie.

Sous l'influence de la labiale, l'i est passé à u dans *affibulat, (il) affuble, et tribulum, truble.

La palatale ne modifie pas la nature de l'i : dico, di, (je) dis ; mica, mie ; perdicem, perdrix, etc.

Pour l'histoire du son de l'i devant les nasales, comme dans vin de vinum, etc., voir § 479.

Voyelle ò (o du latin classique).

§ 319. -- O ouvert entravé.

Ò en position latine reste intact sauf dans le cas étudié, § 329 : fortem, fort ; mortem, mort ; *mottum (class. muttum), mot ; *noptias (class. nuptias), noces ; porta, porte ; sortem, sort ; etc.

Pour ò en position romane, voir § 322.

§ 320. -- O ouvert libre.

Ò libre, sauf dans les cas étudiés §§ 321 et 329, après s'être dédoublé en oo sous l'influence de l'accent, est devenu uo, déjà dans la prononciation du latin vulgaire dans tout le domaine roman ; il est noté uo dans la cantilène de Sainte Eulalie (ruovet de rogat), et telle est encore l'orthographe généralement suivie dans les textes du XIe siècle. Vers la fin de ce siècle, uo était passé à la diphtongue ascendante ue (buef de bovem), et aussi à oe, mais surtout dans le français de l'Ouest, ou bien au commencement d'un mot, et après u, e, v. Uè a été remplacé par eu déjà au commencement du XIIIe siècle, mais ne l'a emporté définitivement que vers la fin du XIVe. Des mots du français actuel où la voyelle tonique remonte à ò, la plupart ont eu, certains ont gardé les anciennes notations : ue dans ceux où la diphtongue était précédée d'un c explosif : écueil, recueil ; oe dans œil ; œu dans bœuf, cœur, sœur. Exemples : bovem, bœuf ; chorum, chœur ; cor, cœur ; mola, meule ; novem, neuf ; novum, neuf ; *potet (class. potest), (il) peut ; soror, sœur ; *volet (class. vult), (il) veut ; etc.

Ue s'est réduit de bonne heure à e dans avuec, avec, de apud + hoc, et plus tard, mais en syllabe atone, dans bienveillant, malveillant, pour bienveuillant, malveuillant. Fur a remplacé feur de forum, par confusion de prononciation avec les mots en ur.

La présence d'une l mouillée n'empêche pas la diphtongaison : *dolium (tiré de dolere), deuil ; folia, feuille ; oculum, œil ; solium, seuil ; *troculum (class. torculum), treuil ; etc.

§ 321. -- Exceptions à la diphtongaison de O ouvert libre.

O persiste dans des mots d'apparence savante, comme (il) dévore, école, étole, rose. Dans rossignol, ol pour eul paraît être une forme dialectale. Pour roe, plus tard roue, de rota, il y a peut-être eu influence de roé, roué, " en forme de roue ".

§ 322. -- O ouvert dans les proparoxytons.

Selon l'époque de la chute de la pénultième brève (§ 290), ò en position romane se diphtongue ou ne se diphtongue pas. Il ne se diphtongue pas dans caryophyllon, girofle ; cophinum, coffre ; modulum, anc. franç. modle, plus tard moule ; praepositum, prevost, prévôt ; rotulum, rodle, rôle ; solidum, sold, sou ; etc. Il se diphtongue dans *jovenem (class. juvenem), jeune ; *mobilem (class. mobilem), meuble ; opera, œuvre ; populum, peuple.

§ 323. -- O ouvert entravé devant L, S.

Pour ò entravé devant l, voir § 459.

Pour ò entravé devant s, voir § 422.

Voyelle ó (o, u du latin classique).

§ 324. -- O fermé entravé.

Ó entravé, qui répond à u et à o du latin classique, persiste, sauf dans le cas étudié § 330, mais avec un son d'abord intermédiaire entre o et ou, qui aboutit définitivement à ou vers le XIIIe siècle. Dans les textes antérieurs à cette époque, sa notation ne diffère pas de celle de l'ó libre, et il est marqué par u d'abord, puis par ou, o ; à partir du XIIIe siècle, la notation ou commence à l'emporter. Exemples : ampulla, ampoule ; bucca, bouche ; burgum, bourg ; crusta, croûte ; cultrum, coutre ; *curere (class. currere), courre ; diurnum, jorn, jour ; furca, fourche ; gutta, goutte ; lusca, louche ; ordinem, anc. franç. ourne, orne ; *orulum, anc. franç. ourle, orle ; rubeum, rouge ; stuppa, étoupe ; etc.

Nous avons vu (§ 319) que nuptias, du latin classique, avait été changé en *noptias, d'où noces. Dans sanglot, de *singluttum (class. singultum), le suffixe ot a remplacé out. Forme, ordre et (il) orne, de forma, ordinem, ornat, sont des mots savants. Ailleurs de aliorsum a dû subir l'influence des mots en eur.

§ 325. -- O fermé libre.

De même que é libre s'est diphtongué en ei, de même ó libre, sauf dans le cas étudié § 330, s'est diphtongué en ou, noté d'abord par u, puis par ou et o, tout comme nous venons de le voir pour ó entravé. D'ailleurs, beaucoup de textes antérieurs au XIIe siècle ne distinguent ni à l'assonance ni à la rime ó libre de ó entravé, alors que ni l'un ni l'autre ne se confond soit avec o de o, soit avec u de u. Pourtant ils ne devaient pas être identiques. Comme é entravé a persisté, ó fermé entravé a dû, lui aussi, subsister et se prononcer à l'origine comme notre ó actuel. En tout cas, si de bonne heure il a passé au son actuel ou, il n'a jamais pu avoir la valeur d'une diphtongue. Ó libre, au contraire, a eu tout de suite la valeur d'une diphtongue oou, qui peu à peu s'est transformée en èou, pour aboutir au XIIIe siècle à eu. L'ancienne notation o subsista encore quelque temps, mais, à partir du XIIIe siècle, fut remplacée peu à peu par eu : cotem, queux (à aiguiser) ; duos, dous, deux ; florem, fleur ; gula, gueule ; hora, heure ; illorum, leur ; mores, mœurs ; nepotem, neveu ; nodum, nœud ; suffixes orem, eur ; osum, eux ; plorat, (il) pleure ; solum, seul ; votum, vœu ; etc. Augurium et ostium paraissent avoir subi un changement de quantité en latin populaire et être devenus augurium, ustium, d'où heur et huis (§ 331).

Quelques mots, au lieu de eu, présentent ou pour des raisons particulières. A côté de la forme leu de lupum on trouve au moyen âge la forme lou (plus tard, loup par réaction étymologique), qui fait supposer le contact immédiat de l'u final avec la voyelle accentuée par suite de la chute ancienne du p, et, par conséquent, sa conservation (§ 291) : loou, lou ; de là le féminin louve ; la forme leuve ne se rencontre pas en ancien français. De même jugum a dû perdre son g de bonne heure et se prononcer joo, jou (plus tard joug par réaction étymologique).

Dans d'autres cas, il y a eu influence de mots de même famille dans lesquels la voyelle était atone : amour pour *ameur s'est modelé sur amoureux,ou est atone ; époux pour *épeux de *sposum (class. sponsum) sur épouser, jaloux pour jaleux de zelosum sur jalousie, douve pour deuve de doga sur douvain ou douvelle, douelle. Nous, vous, où, pour, de nos, vos, pro, ubi, ont été traités comme des proclitiques.

Juvenem s'était changé en *jovenem (§ 322), totum en *tottum (§ 402). Dans le premier cas il faut probablement voir l'influence de la labiale qui a changé ó en ò, et par suite produit ue, plus tard eu, comme dans : colubra, *colobra, coluevre, couleuvre ; cupreum, *copreum, cuevre, cuivre ; ovum, *ovum, uef, œuf ; etc.

§ 326. -- Du son EU. -- Ses trois sources.

Si nous laissons de côté l'action de la nasale (§ 327) et de la palatale (§ 329), nous voyons que, dans une syllabe ouverte, o, u aboutissent régulièrement à eu (§ 325), et que o, lui aussi, en passant par uo, ue, oe, aboutit à eu (§ 320). Le premier eu date du XIIIe siècle, le second du XIVe. Ils se confondirent dès cette époque. De plus, dans le même siècle, et surtout au XVe, mais autour de Paris, non à Paris, le son eü, où l'hiatus provenait de la chute d'une consonne médiale, se réduisit à eu : *augurium (class. augurium), eür, eur, heur ; *fatutum, feüt, feu ; jejunum, jeün, jeun ; securum, seür, seur ; les mots en atura, eüre, eure, etc. ; à Paris on prononçait sur, hur ; ainsi étaient prononcés crû, dû, eu, (tu) eus, (que tu) eusses, etc. La prononciation de Paris a triomphé, sauf pour feu, heur et jeun.

Inversement meure, de mora, est devenu mûre, peut-être par confusion avec le féminin meure, mûre, de matura, et seur, de super, est devenu sur.

§ 327. -- O ouvert et O fermé devant une nasale médiale et finale.

Devant une nasale, ò et ó ne se diphtonguent pas et donnent le même son, l'ò, dans cette condition, étant passé à ó. Il y a eu pourtant à l'origine diphtongaison çà et là pour l'ò non entravé : buona de bona ; cuens de comes ; hoem de homo ; mais cette diphtongaison ne paraît pas avoir pénétré dans le français proprement dit.

Exemples de ó : columbum, coulon ; cumulum, comble ; *deunde, dont ; fundere, fondre ; juncum, jonc ; *lumbea, longe ; nomen, nom ; pavonem, paon ; summa, somme ; *uncia (class. uncia), once ; *undecim (class. undecim), onze ; etc.

Exemples de ò : bonum, bon ; comitem, comte ; homo, on ; longum, long ; pontem, pont ; tondere, tondre ; etc. Dame de domina constitue une exception difficile à expliquer.

Pour l'histoire du son nasal on, voir § 478.

Voyelle u fermé (u du latin classique).

§ 328. -- U fermé libre ou entravé.

U fermé libre ou entravé, sauf dans les cas étudiés § 331, a persisté depuis les premiers temps de la langue ; mais il faut noter qu'en latin classique u se prononçait ou, tandis que la voyelle française se prononce u. Ce changement s'est opéré de très bonne heure sur le territoire de la Gaule, sous l'influence du celtique sans doute, peu de temps après la romanisation du pays. Quoi qu'il en soit, c'est là un trait qui distingue le français, le provençal et certains dialectes ladins et du nord de l'Italie des autres parlers romans : fustem, fust, fût ; *grua (class. gruem), grue ; luna, lune ; nudum, nu ; pruna, prune ; scutum, escu, écu ; una, une ; etc. Butyrum devait donner et a donné en ancien français bure ; mais en vallon et dans les parlers lorrains u devant r est devenu eu : beurre est donc une forme dialectale ; on rencontre d'ailleurs au XVIe siècle une confusion entre les rimes en ur et les rimes en eur.

Sur l'histoire du son nasal un, voir § 479.

§ 329. -- O ouvert devant une palatale.

Ò suivi d'une palatale s'est diphtongué comme l'ò libre (§ 320), mais, en combinant sa diphtongue soit avec un i latin, soit avec un i roman dégagé par la palatale, il a abouti à la triphtongue uoi, uei, qui, de très bonne heure, dès avant le XIIe siècle, s'est réduite à la diphtongue ascendante, puis descendante ui, laquelle a fini par prendre le son actuel ui, où l'u a la valeur d'une semi-consonne : *aloxina, aluine ; *appodiat, (il) appuie ; *cocere (class. coquere), cuire ; *copreum (class. cupreum), cuivre ; corium, cuir ; coxa, cuisse ; *docere (class. docere), duire (dresser) ; hodie, hui ; inodiat, (il) ennuie ; modium, mui, muid ; *nocere (class. nocere), nuire ; noctem, nuit ; octo, huit ; oleum, huile ; ostrea, huître ; *ploia (class. pluvia), pluie ; *posteis, puis ; troja, truie ; *vocita, vuide, vide ; etc.

Il n'y a pas eu dégagement d'i dans focum, jocum, locum, le c étant tombé de bonne heure (§ 291) (8).

§ 330. -- O fermé devant une palatale.

Ó suivi d'une palatale donne d'abord la diphtongue oi rimant avec des mots en ó ; mais à partir de la fin du XIIe siècle, et surtout à partir du XIIIe, cette diphtongue oi se confondit avec celle qui remplaça l'ancienne diphtongue ei (§ 309, I), et eut la même destinée qu'elle : angustia, angoisse ; buxum, bois (9) ; ductum, doit ; *grunnium, groin ; nucem, nois, noix ; *rucina, roisne, roine, rouanne ; ungere, oindre ; vocem, vois, voix ; mots en orium, oir, etc.

Luctat devait donner et a donné en ancien français loite, qui s'est changé en luite, et au XVIIe siècle en lutte (§ 357). Gindre est pour joindre de *junior (class. junior).

§ 331. -- U devant une palatale.

U suivi d'une palatale donne d'abord la diphtongue ascendante ui, qui assone avec les mots en u comme écu, nu ; plus tard ui devient une diphtongue descendante qui rime avec ui provenant de ò suivi d'une palatale : ducere, duire ; fructum, fruit ; junium, juin ; *lambruscum (class. labrusca), lambruis, lambris ; *lu cere (class. lucere), luire ; *putium (class. puteum), puiz, puis, puits ; *ustium (class. ostium), uis, huis ; etc. La disparition de l'i latin dans eür, heur de *augurium (class. augurium) est inexpliquée.

Diphtongues latines.

§ 332. -- Diphtongues AE et OE.

Ces deux diphtongues en latin s'échangeaient déjà fréquemment contre un simple e ; en roman, elles lui ont fait place complètement.

Ae a été traité en gallo-roman comme un e, c'est-à-dire comme un è. Libre, il a donné iè : caelum, ciel ; laeta, liée, contracté ensuite en lie ; quaerit, (il) quiert ; etc. Toutefois caepa a été prononcé cepa et a abouti régulièrement à cive (§ 316). Entravé, ae donne e ouvert : quaerere, querre.

Oe a été traité comme un e, c'est-à-dire comme un é, et a abouti à ei devant une nasale : poena, peine.

§ 333. -- Diphtongue AU.

I. -- La diphtongue au, déjà à la fin de l'Empire, s'était réduite à o dans un certain nombre de mots latins : on trouve alosa, clodere, clostrum, coda, colis, plostrum, à côté de alausa, claudere, claustrum, cauda, caulis, plaustrum. Mais cette réduction ne fut ni complète ni générale. Certaines régions du domaine roman ont gardé la diphtongue au, et, dans le nord de la Gaule, à en juger par la forme qu'ont prise les mots qui en latin classique avaient au, ceux-ci ont conservé assez longtemps la diphtongue. Cet au libre ou entravé devant toute consonne autre qu'une nasale s'est changé en o, qui assonait et rimait avec o provenant d'o (§ 319). Dans quelques mots la graphie au a été rétablie plus tard par retour à l'étymologie : alausa, alose ; aurum, or ; ausat, (il) ose ; caulem, chol, chou ; causa, chose ; claudere, clore ; laudes, los ; *pauperum (class. pauperem), povre, pauvre ; pausa, pose, pause ; taurum, tor, taur(eau).

Comme on le voit pour chose et chou, la réduction de au à ò n'a pu s'opérer qu'après le passage de c devant a à ch ; si causa, caulem, avaient été déjà en gallo-roman cosa, colem, ils n'auraient pas abouti à cette forme (§ 377) ; comparez d'ailleurs le mot queue, anc. franç. coe, venant, lui, de coda et non de cauda. Or le changement de c devant a en ch a dû s'opérer au VIIIe siècle ; la réduction de au à ò est donc postérieure à cette date.

Au suivi d'un i palatal a également abouti à o et a pu former avec cet i la diphtongue oi : *claustrium, cloistre, cloître ; gaudia, joie. Cette diphtongue oi rima de bonne heure avec oi de ei (§ 309, I).

II. Une autre diphtongue au a pu se former à l'époque romane, soit par suite de la chute d'une consonne placée entre a et u : fagum, *faum, *fauum, fou (§ 291) ; gracula, *gragula, *graula, grole ; soit du changement après a de v en u : clavum, *clauum, clou ; fabrica, *favrega, faurga, forge ; gabata, *gavata, *gauta, jode, joe, joue ; parabola, *paraola, *paraula, parole.

Dans les deux cas, cette diphtongue postérieure au a abouti en ancien français à o ouvert qui a subsisté, sauf dans fou et clou, où il s'est combiné avec l'u suivant, et dans joue par influence sans doute du dérivé jouée (coup sur la joue) où l'o ouvert était atone.

III. Devant une nasale, au aboutissait en ancien français non à un o ouvert, mais à un o fermé qui depuis a été nasalisé : *facunt, *faunt, pour faciunt, font ; *habunt, *aunt, pour habent, donne ont ; vadunt, *vaunt, donne vont.

ATONES PRÉCÉDANT LA TONIQUE

§ 334. -- Considérations générales.

Lorsque la syllabe tonique n'est pas initiale, elle peut être précédée d'une atone brève ou longue devant une ou plusieurs consonnes ; debere, monstrare, pastorem, pavorem, porcarium, etc.

Elle peut être aussi précédée de deux atones brèves ou longues devant une ou plusieurs consonnes : bonitatem, carpentarium, matutinum, ministerium, misculare, nominare, quiritare, etc.

Elle peut être enfin précédée de trois atones brèves ou longues devant une ou plusieurs consonnes : aedificare, arboriscellum, asperitatem, dominicella, fructificare, etc.

Ces diverses combinaisons sont moins compliquées en réalité qu'en apparence. Dans le premier cas, l'atone, étant initiale, s'est maintenue à l'origine, pour tomber plus tard dans quelques groupes spéciaux. Dans le second cas, la première syllabe est frappée d'un accent secondaire (§ 288) qui la préserve de la chute ; l'atone ni dans bonitatem est à la syllabe bo, frappée de l'accent secondaire, ce que l'atone finale tem est à la syllabe frappée de l'accent premier ta ; correspondant à l'atone finale, on peut lui donner le nom de contre-finale. Le troisième cas est fort rare, et chacun des mots qu'il comprend demande un examen spécial.

Nous n'avons donc qu'à étudier le sort de l'atone initiale et celui de la contre-finale. Nous commencerons par celle-ci.

§ 335. -- De la contre-finale. -- La contre-finale A se maintient.

La contre-finale, à l'origine, suit les mêmes lois que l'atone finale : elle se maintient si c'est un a long ou bref ; si c'est un e, un i, un o, un u longs ou brefs, elle tombe, à moins qu'elle ne soit précédée d'un groupe de consonnes qui rend son maintien nécessaire.

A bref ou long se maintient dans l'ancienne langue sous la forme d'un e féminin qui devient ordinairement muet dans la prononciation actuelle et disparaît même quelquefois dans l'orthographe : ainsi les terminaisons de l'ancien français edor, eor, de atorem ; edure, eüre, de atura ; edoir, eoir, de atorium, sont devenues en français moderne eur, ure, oir ; parmi les adverbes en ment, les uns, en très grand nombre, ont conservé l'e atone, comme bonnement, sincèrement, les autres, comme vraiment, l'ont perdu. Citons encore : *calamellum, chalemel, chalumeau ; *canabaria, chenevière ; paradisum, pareïs, parevis, parvis ; etc. Sevrer vient de *seperare, non de *separare ; merveille, de *meribilia, pour mirabilia.

§ 336. -- Les contre-finales E, I, O, U brèves ou longues tombent.

E : caerefolium, cerfeuil ; cerebellum, cerveau ; desiderare, désirer ; liberare, livrer ; offerenda, offrande ; temperare, temprer, tremper, etc.

E : blasphemare, blasmer ; consuetudinem, coutume ; *deberabeo, devrai ; verecundia, vergogne ; etc.

I : amaritudinem, amertume ; asinarium, asnier, ânier ; bonitatem, bonté ; caritatem, cherté ; domitare, dompter ; dubitare, douter ; hospitale, hostel, hôtel ; masticare, maschier, mâcher ; orichalcum, archal ; etc.

I : *berbicarium, berger ; dormitorium, dortoir ; *exradicare, esrachier, arracher ; molinarium, meunier ; radicina, racine ; salinarium, saunier ; *venirabeo, vendrai, viendrai ; etc.

O : ancorare, ancrer ; collocare, coucher ; involata, emblée ; etc.

O : *impejorare, empirer ; *mansionaticum, maisnage, ménage ; Victoriacum, Vitré, Vitry ; etc.

U : ambulare, ambler ; circulare, cercler ; cumulare, combler ; *tremulare, trembler ; etc.

U : adjutare, aidier, aider ; *impasturiare, empaistrier, empestrer, empêtrer ; matutinum, matin ; etc.

Dans certains cas où la contre-finale était régulièrement tombée, un e féminin a pu être intercalé plus tard pour faciliter la prononciation : souvrain de *superanum et tourtreau de *turturellum sont devenus souverain, tourtereau.

§ 337. -- Influence des groupes.

E, i, o, u, précédés ou suivis d'un groupe de consonnes que la chute de l'atone autrait rendu difficile à prononcer, persistent, en général, à l'origine sous la forme d'un e : caprifolium, chievrefueil, chevrefeuil, chèvrefeuille ; *catenionem, cadegnon, chaegnon, chegnon, chignon ; *domnicellum, dommeisel, dameisel, damoisel, damoiseau ; latrocinium, ladrecin, larrecin, larcin ; *nutrectionem, nodreçon, nourreçon, nourrisson ; papilionem, paveillon, pavillon ; peregrinum, pèlerin ; *petrosilium, pedresil, perresil, persil ; quadrifurcum, cadre-four, carrefour ; *quadrinionem, cadregnon, carregnon, careillon, carillon ; suspectionem, souspeçon, soupçon ; etc.

On voit, par plusieurs de ces exemples, que la conservation de la contre-finale est due à la présence de groupes de consonnes à l'origine de la langue, et que, lorsque, par la suite, ces groupes ont disparu, la contre-finale, elle aussi, a pu disparaître ; ainsi pour larcin, persil, soupçon. Dans carillon, pavillon, eillon s'est affaibli en illon ; dans nourrisson, l'i actuel paraît dû à l'influence du verbe nourrir. On peut rapprocher d'ailleurs de nourrisson les futurs dormirai, mentirai, partirai, qui ont subi une influence analogue de l'infinitif. Correcier de *corruptiare est devenu courroucer sous l'influence du substantif verbal courroux.

§ 338. -- Exceptions dues à l'analogie.

Le maintien de l'atone est dû souvent à l'analogie. Ce fait est surtout visible dans les verbes dérivés de noms et d'adjectifs : chaîne, enchaîner ; couronne, couronner ; honneur, honorer ; mari, marier ; oubli, oublier ; etc. Nous avons déjà parlé (§ 65) de la puissance de cette action du simple sur le dérivé.

§ 339. -- Contre-pénultième. -- Accent second binaire.

La contre-pénultième ne se rencontre que dans un petit nombre de mots : ædificare, fructificare, *panificare, qui ont donné en ancien français aegier, frotegier, panegier. Il semble, d'après cela, que les mots latins ont un accent second binaire : ædificare, fructificare, *panificare. On ne peut donc guère, en présence de ces exemples, rattacher directement arbrisseau, anciennement arbroissel, à un type *arboriscellum ; il vient probablement de *arbuscellum, qui aurait donné régulièrement arboissel, puis arbroissel sous l'influence de arbre. De même âpreté ne peut se rattacher à asperitatem, mais a été tiré de âpre avec le suffixe savant té.

§ 340. -- Atones qui se maintiennent.

On ne peut fixer de règles rigoureuses pour le changement des atones. Une seule loi générale semble les régir : la tendance à l'affaiblissement ou à l'assourdissement. Souvent elles se maintiennent d'après les lois propres aux voyelles accentuées ; le plus souvent elles descendent la gamme et s'arrêtent à l'un ou à l'autre des échelons inférieurs et arrivent à l'e féminin. L'i descend à l'e, à l'a, à l'o, à l'u (ou) ; l'e descend à l'a, à l'o, à l'u (ou) ; l'a arrive à l'o, à l'u (ou) ; l'o devient u (ou). Toutes viennent aussi se confondre dans l'e féminin. Mais pourquoi dans tel mot l'atone passe-t-elle par deux, trois degrés ? Pourquoi, dans tel autre, s'arrête-t-elle au premier ? dans tel autre, enfin, ne se modifie-t-elle pas ? On ne peut pas toujours le dire.

§ 341. -- I long atone.

I long atone dans une syllabe ouverte ou fermée se maintient en général : cisterna, citerne ; civ(i)tatem, cité ; *fidare (class. fidere), fier ; filiolum, filleul ; *glironem (class. glirem), liron ; lib(e)rare, livrer ; *nid(i)care, nicher ; pipionem, pigeon ; *ripaticum, rivage ; villanum, vilain ; vivenda, viande ; etc.

Il s'affaiblit en e par dissimilation devant un i accentué : divinum, devin ; divisum, devis ; vicinum, veisin, voisin ; etc.

L'i de ier a amené la forme premier de primarium.

Dans affubler, anc. franç. afibler, de *affib(u)lare, l'i a passé à l'u sous l'influence de la labiale.

§ 342. -- E fermé atone.

É atone, dans une syllabe ouverte ou fermée, est représenté en ancien français par un e dont on ne peut préciser la prononciation. Dans la langue moderne, l'ancien e aboutit à des sons différents selon sa position.

1º En syllabe fermée. -- Il prend le son ouvert (è) devant r : circare, cerchier, chercher ; firmare, fermer. Il prend le son fermé (é) par suite de la chute d'une s suivante : districtum, détroit ; *pisturire, pestrir, pétrir ; etc. Devant n et m il se nasalise en em, en, prononcés de nos jours comme an (§ 477) : *impejorare, empeirier, empirer ; ingenium, engin ; etc. Amoindrir, au lieu de amendrir, est dû, comme moindre, à l'influence de moins.

2º En syllabe ouverte. -- Quand il est immédiatement suivi de la tonique, il s'est, en général, changé en e féminin : debere, devoir ; minacia, menace ; minare, mener ; *recipere (class. recipere), recevoir ; *sep(e)rare (class. separare), sevrer ; etc. Neiger, au lieu de neger, est dû à il neige.

Devant une labiale, il peut devenir eu ou u : bibenda, buvande ; bibentem, buvant ; *bi-b(e)raticum, bevrage, beuvrage, breuvage ; *desep(e)rare, desseuvrer ; etc.

Quand, par suite de la chute d'une consonne médiale, il s'est trouvé en contact avec une voyelle, il a le plus souvent disparu : *debutum, deü, du ; securum, seür, sûr ; sigillum, seel, seau, sceau ; vitellum, veel, veau ; etc.

Devant r, l et n, m, e passe à a dans : *bilancia, balance ; *exrad(i)care, esrachier, arracher ; glenare, glaner ; *hirunda, aronde ; pigritia, *pareise, paresse ; *remare, remer, ramer ; zelosum, jaloux ; etc. Regnon de *renionem est devenu exceptionnellement rognon.

§ 343. -- E fermé devant une palatale.

Devant une consonne palatale, il se dégagea après l'e un i qui forma avec lui une diphtongue ei, laquelle suivit les destinées diverses de cette diphtongue (§ 309) : consiliare, conseiller ; crescentia, creissance, croissance ; *dignare (class. dignari), deignier, daigner ; fiscella, feissele, foiscele, faisselle ; *fodic(u)lare, foeillier, foueillier, fouiller ; licere, leisir, loisir ; ligare, leiier, leier, lier ; nigella, neiele, niele, nielle (plante) ; plicare, pleier, plier et ployer ; regalem, reial, royal ; etc.

§ 344. -- E ouvert atone.

È atone s'est confondu dès l'origine avec é atone, et comme lui il aboutit à des sons variés.

1º En syllabe ouverte. -- Il est devenu e féminin en ancien français et a gardé ce son dans un certain nombre de mots du français moderne : *genuc(u)lum, genouil, genou ; levare, lever ; nepotem, neveu ; recepta, recette ; tenere, tenir ; venire, venir ; etc.

Dans quelques mots l'e féminin est passé à l'e fermé, presque toujours sous l'influence de la prononciation des mots latins correspondants ; ferire, férir ; peric(u)lum, péril ; praepos(i)tum, prévost, prévôt ; *veruc(u)lum, verrou ; etc.

Dans pèlerin, tènement et autres, où l'e est séparé de la syllabe tonique par un e féminin il est resté plutôt ouvert.

Il est fermé dans le cas d'hiatus : péage, séance, séant, etc.

Dans d'autres cas, en particulier aussi lorsqu'il se trouve en hiatus, l'e est passé à i : *ebureum, ivoire ; laetitia, ledece, leece, liesse ; leonem, lion ; levistica, levesche, livêche ; pedonem, peon, pion ; etc.

2º En syllabe fermée. -- Il reste ouvert ; mais s'il se produit la chute d'une des deux consonnes, il devient é. Ainsi l'on a d'une part : *adrestare, arrêter ; germ(i)nare, germer ; vermic(u)lum, vermeil ; etc. ; mais : *festucum, fétu ; peccatum, péché ; respectum, répit ; etc.

3º Dans une syllabe ouverte ou fermée devant l ou r. -- Il se change souvent en a : delphinum, dalphin, dauphin ; *feroticum, feroche, farouche ; *percaminum, parchemin ; perjurium, parjure ; etc. Mercatum était déjà devenu en latin populaire *marcatum, d'où marchié, marché. De même æramen, *aramen, anc. franç. arain, plus tard airain. Une action analogue d'un a voisin a amené le changement de e en a dans edage, aage, plus tard âge, et dans echée, achée, sous l'influence de l'ancien verbe aeschier, aachier.

Enfin, sous l'influence de la labiale, l'e est passé à o, u, ou, dans femier devenant fumier, gemel jumeau, lemignon lumignon, prevende provende, prevoire prouvaire (conservé dans le nom d'une rue de Paris, rue des Prouvaires).

§ 345. -- E ouvert atone devant une palatale.

Quand une palatale suit è atone, il se dégage un i qui forme avec lui une diphtongue qui a, en général, suivi les destinées de la diphtongue ei étudiée § 309 : decanum, deiien, doiien, doyen ; medianum, meiien, moiien, moyen ; necare, neier, noyer ; pectorale, peitral, poitral, poitrail ; seniorem, seigneur ; etc.

Nier, prier, scier étaient anciennement neier, preier, seier, de negare, *precare (class. precari), secare, et sont dus à l'influence des formes accentuées sur le radical où e devenait i : je prie, etc. Empirer de *impejorare pour empeirier a subi l'influence de pire. Dans néant pour neient, noient, la diphtongue s'est transformée en é.

§ 346. -- A atone.

1. -- A atone, dans une syllabe ouverte, se maintient généralement, sauf quand il est précédé d'un c ou quand il est en hiatus : aciarium, acier ; alausa, alose ; amarum, amer ; aprilem, avril ; avena, avoine ; maritum, mari ; panarium, panier ; etc.

Toutefois, devant une n ou une r, il est quelquefois passé à e féminin : granarium, grenier ; *ranuc(u)la (class. ranunculum), grenouille. Dans *smaralda (class. smaragdum), esmeraude, émeraude, l'a est traité comme contre-final, d'après la prononciation *ismaralda, § 420.

Quand il est précédé d'un c, il devient e : caminum, chemin ; camisia, chemise ; canale, chenal ; capitale, cheptel ; capillum, cheveu ; capreolum, chevreuil ; etc. Dans chaleur, chalumeau, charogne de *caronia, l'l et l'r semblent avoir protégé l'a, qui s'est maintenu.

A se trouve souvent en hiatus par suite de la chute d'une consonne médiale. Alors il devient en ancien français e féminin, pour disparaître souvent en français moderne : *gratic(u)lum (class. craticulum), greïl, gril ; *habutum (class. habitum), eü, eu ; maturum, madur, meür, mûr ; pavorem, peor, peeur, peur ; *placutum (class. placitum), pleü, plu ; etc. Il s'est conservé, du moins pour l'orthographe, dans paon de pavonem ; il s'est changé en o dans noël de natalem et poêle de patella.

2. -- A atone entravé, précédé ou non d'un c, se maintient en général : aripennum, arpent ; carruca, charrue ; castellum, chastel, château ; castigare, chastier, châtier ; *partire (class. partiri), partir ; passare, passer ; quadrifurcum, carrefour ; etc.

Il devient e devant r ; épervier, anc. franç. esparvier, du haut allemand sparvari ; cercueil, anc. franç. sarcueu, de sarcophagum.

Il est passé exceptionnellement à o dans dommage, anc. franç. damage de dam, et, peut-être sous une influence celtique, dans orteil pour arteil, de artic(u)lum. Ascalonia a dû devenir de fort bonne heure escalonia ; en tout cas l'ancien français ne connaît que la forme eschaloigne, plus tard échalotte, par substitution du suffixe. Dans écouter pour escouter, de ascoltare, il faut reconnaître l'influence des verbes nombreux commençant par és, é.

Devant une nasale, il subit le même sort que a tonique entravé (§ 299, 1º).

3. -- Devant une palatale, a atone subit le même sort que a tonique (§ 296), c'est-à-dire aboutit à la diphtongue ai, qui prend bientôt le son è : adjutare, aider ; cacare, cheier, chier ; *gagantem (class. gigantem), jaiant, jéant, géant ; laxare, laissier, laisser ; pacare, payer ; placere, plaisir ; *racimum, raisin. Frayeur, anc. franç. freor, paraît dû à l'influence de effrayer.

§ 347. -- O ouvert atone.

Ò atone dans une syllabe ouverte, sauf dans les cas étudiés § 350, ne se distingue pas en ancien français de ó et est devenu ou dans la langue actuelle : colorem, couleur ; columbum, coulon ; dolorem, douleur ; locare, louer ; *morire (class. mori), mourir ; probare, prouver, etc. Dans doler pour douler de dolare et doloire pour douloire de dolatoria, il y a eu réaction étymologique.

2º Dans une syllabe fermée, sauf dans les cas étudiés § 350, ò atone subsiste : dormire, dormir ; hospitale, ostel, hostel ; mortalem, mortel ; sortire, sortir ; etc. Dans jeudi de jovisdiem l'o a été traité comme tonique. Meunier, meulière, ont remplacé mounier de *mol(i)narium, moulière de molaria, sans doute sous l'influence de meule et de ses nombreux dérivés. Dans d'autres mots, il est difficile de dire pourquoi l'ò n'a pas été conservé et s'est changé en ou comme s'il n'avait pas été entravé : corrigia, courroie ; *formicem, fourmi ; porcellum, pourceau ; tormentum, tourment ; etc. Fournaise pour fornaise a subi l'influence de four.

3º Devant une nasale, ò atone libre ou entravé a abouti à ô, que nous étudierons § 478. Notons toutefois comme exceptions danger pour dongier, de *domniarium, damoiseau de *domnicellum et demoiselle de *domnicella.

§ 348. -- O fermé atone.

Ó atone dans une syllabe ouverte ou fermée, sauf dans les cas étudiés § 350, est resté d'abord ó, pour aboutir de bonne heure au son actuel ou : *bullicare, bouger ; bullire, bouillir ; colare, couler ; *cosinum, cousin ; cucurbita, coorde, couourde, courde, courge ; *cul(i)cinum, cousin ; dub(i)tare, douter ; fullonem, foulon ; gluttonem, glouton ; nutrire, nourrir ; *pullanum, poulain ; etc.

Arroser n'a remplacé la forme régulière arrouser de ros que depuis le XVIIe siècle. Dans oraison et peut-être aussi dans soleil, il y a eu réaction étymologique. Fleurir est dû à l'influence de fleur. Pleurer pour plourer est dû à l'influence de (il) pleure.

O s'est affaibli en e par dissimilation dans quenouille de *conuc(u)la et dans semondre, sejourner (plus tard séjourner), selon, secousse de submonere, *subdiurnare, *sublongum, succussa.

Devant une nasale, ó atone a abouti à ô, ó (§ 478) : donare, donner ; fundare, fonder ; num(e)rare, nombrer, etc.

§ 349. -- U long atone.

U long atone, dans une syllabe ouverte ou fermée, sauf dans les cas étudiés § 350, reste, mais avec la prononciation ü : fumare, fumer ; *furittum, furet ; *fusata, fusée ; *fusellum, fuseau ; *huccare, hucher ; judicare, juger ; *pul(i)cella, pucelle ; etc. Froment de frumentum constitue une exception inexpliquée.

Toutefois u s'est affaibli en e dans *furleonem, frulon, furlon, frelon ; *junicia, genisse, génisse ; juniperum, anc. franç. geneivre, genoivre, aujourd'hui genièvre ; etc.

Beugler est une forme récente pour bugler, de l'ancien français bugle, buffle.

Pour u atone devant une nasale, voir § 479.

§ 349 bis. -- AU atone.

Au atone, sauf dans les cas étudiés § 350, donne normalement un o ouvert qui en hiatus devient ou : *alauditta, aloete, plus tard allouette ; ausare, oser ; deaurare, dorer ; *inraucare, enroer, plus tard enrouer ; laudare, loer, plus tard louer ; etc. Dans clôture, autrefois closture, de *clausitura, l'o est devenu fermé par suite de la chute de l's.

§ 350. -- O, O, U, AU, U devant une palatale.

O, o, u, au suivis d'un i ou de toute lettre dégageant un i donnent la diphtongue oi, et s'il s'y joint une nasale, la diphtongue oin : focarium, foyer ; *frustiare, froisser ; *fusionem (class. fusionem), foison ; junctura, jointure ; locarium, loyer ; *mucire (class. mucere), moisir ; otiosum, oiseux ; potionem, poison ; *russeola, roissole, rissole ; *unionem (class. unionem), oignon.

Appuyer est dû à l'influence de (il) appuie, ennuyer de (il) ennuie ; cuisson, cuisine, à l'influence de cuire.

Par exception, oficina, qui aurait dû donner oisine, a donné uisine, plus tard usine, et l'ancien français boisson est devenu buisson.

U dans les mêmes conditions aboutit à la diphtongue ui : lucentem, luisant. Le latin vulgaire disait *cugitare, au lieu de cogitare : de là cuider.

§ 351. -- De l'E féminin ou muet.

D'après ce qui précède, nous voyons que l'e dit féminin ou muet représente, soit à la finale des mots, soit dans sa partie protonique, n'importe quelle voyelle latine.

A la finale, il représente un a latin ou toute autre voyelle préservée de la chute par un groupe de consonnes : rose de rosa, arbre de arb(o)rem. Dans une protonique, il peut représenter n'importe quelle voyelle latine : cheveu de capillum, devin de divinum, devoir de debere, mener de minare, neveu de nepotem, quenouille de *conucla, semondre de *submonere, etc.

Cet e féminin se prononçait partout et toujours en ancien français et semble avoir passé par les sons o, eu, e. Il s'affaiblit d'abord dans les mots où il suivait une voyelle ou une diphtongue : vraiement devint vraiment ; aveugléement, aveuglément ; liemier, limier ; eaue, eau.

L'orthographe, dans ce cas, a conservé l'e final, sauf dans eau, et à la terminaison des imparfaits et conditionnels oie, oies, aie, aies, devenus als, ais, et dans les subjonctifs présents sois, sois, soit, et ait. Dans l'intérieur du mot, elle a eu des hésitations ; elle a conservé l'e dans crierie, soierie, tuerie, balbutiement, dévoiement, etc., l'a supprimé dans châtiment, plaidoirie, prairie, voirie, etc. ; certains mots même ont une double graphie : enjouement et enjoûment, éternuement et éternûment, remerciement et remercîment.

Puis l'e féminin a perdu de sa sonorité dans la partie protonique du mot entre deux consonnes, surtout dans le voisinage d'une liquide ; là encore l'orthographe est restée indécise : tantôt elle a conservé l'e, tantôt elle l'a supprimé ; on a d'une part chaudron, larcin, réglisse, serment, surplis, à côté de bourrelet, carrefour, laideron, etc. La prononciation courante ne fait pas plus entendre l'e dans le second cas que dans le premier. L'e entre deux consonnes n'a persisté que lorsqu'il suit un groupe de consonnes : appartement, exactement, librement, etc., ou à l'initiale lorsque la seconde consonne n'était pas une l ou une r ; on dit blouse, bluter, brouette, écrits autrefois belouse, beluter, berouette, mais on dit demi, deviser, devoir. Encore faut-il noter que dans certains mots l'e féminin primitif s'est changé, nous l'avons vu (§ 344), en é : désir, guérir, péril, séjour, etc., et que dans les autres l'e peut disparaître dans la prononciation suivant la place qu'ils occupent dans la phrase : on dit un homme petit, mais un p'tit homme, quatre chevaux, mais un bon ch'val.

A la finale, l'e féminin a persisté après une consonne jusqu'au XVIe siècle. Depuis le XVIIe siècle, il ne se fait plus entendre dans la prononciation courante qu'après un groupe de consonnes : peuple, quatre, simple, table, etc.

§ 352. -- Mots atones.

Nous avons déjà dit (§ 287, note) que tous les mots en latin n'avaient point d'accent. Nous allons passer ici rapidement en revue ces mots atones.

Ce sont d'abord des monosyllabes employés comme adverbes, prépositions ou conjonctions, et, per, pro, jam, quare, aut, ubi, quod, sic, où la voyelle a été naturellement traitée comme atone : et, par, pour, jà, car, ou, où, que, si. Les formes anciennes se et ne du latin si et nec ont été remplacées par si et ni, la première par retour à l'étymologie, la seconde sous l'influence sans doute de si venant de sic.

Il faut citer aussi les adjectifs, pronoms personnels, démonstratifs, possessifs et relatifs qui ont, suivant le rôle qu'ils jouaient dans la phrase, abouti à une forme atone ou tonique : me, te, à côté de moi, toi, de me, te (§ 591) ; mea, tua, sua, atones, se sont réduits à *ma, *ta, *sa, d'où ma, ta, sa (§ 594) ; de même illum, illa sont devenus *lum, *la, d'où lo, le, la (§§ 592, 593) ; quid donne comme forme atone que et comme forme tonique quoi (§ 598, 3º).

§ 353. -- Action régressive de l'atone finale sur la voyelle accentuée.

L'atone finale peut exercer son action sur la voyelle tonique et l'assimiler à elle ; cette action n'a existé dans le latin des Gaules que pour i posttonique sur é (§ 309, II).

HIATUS

§ 354. -- Des hiatus.

L'hiatus existe déjà en latin comme dans leonem, paria, rubeum, unionem, etc. Il peut se produire en français par la chute d'une consonne médiale, comme dans flagellum, flael, fléau ; scutella, escüele, écuelle ; etc.

Le français n'a pu, en général, maintenir cette rencontre de voyelles, trop difficiles à prononcer ; il a cherché à s'en défaire, et, pour cela, a eu recours à divers procédés que nous allons examiner. Cette réduction de l'hiatus s'est opérée aux diverses époques de la langue, soit aux derniers temps du latin populaire, soit au moyen âge, soit à l'époque moderne. Les modifications de la prononciation amenaient, en effet, suivant les époques, de nouveaux groupes de voyelles qu'il fallait ensuite faire disparaître.

Les hiatus sont le plus souvent formés par la rencontre de deux voyelles, plus rarement de trois ; dans le premier cas, il peut se produire des diphtongues ; dans le second, des triphtongues.

§ 355. -- Hiatus latins.

Le latin possédait beaucoup de groupes de voyelles formant hiatus : ea, ei, eo, eu ; ia, ie, io, iu ; ua, ue, ui, uo, uu. De ces groupes, les plus fréquents sont ceux que forment les voyelles i, e avec les autres voyelles ia, ie, io, iu ; ea, eo, eu ; les groupes ua, ue, uo, uu sont moins fréquents.

Dans le latin populaire, la série ea, eo, eu s'est assimilée, sauf sous l'accent tonique dans les dissyllabes comme deus, à la série ia, io, iu ; la dualité n'a subsisté que dans l'orthographe. Ainsi les grammairiens de l'époque impériale blâment d'une part baltius, brattia, cavia, cochlia, lancia, solia, pour balteus, brattea, cavea, cochlea, lancea, solea, et d'autre part aleum, doleum, scrineum, soleum, pour alium, dolium, scrinium, solium. Les inscriptions nous offrent un nombre considérable de formes en eus écrites par un i, et en ius écrites par un e ; mais la prononciation en ius était réellement la seule en usage.

Nous nous trouvons donc seulement en présence de deux séries de groupes : ceux où le premier son est un i, ceux où le premier est un u.

§ 356. -- Résolutions des hiatus latins.

Les hiatus latins ont disparu de plusieurs façons :

1º L'i se combine avec la consonne précédente.

Si c'est une n ou une l, l'i forme avec elle une n mouillée (notée par gn) : balneare, baigner ; linea, ligne ; unionem, oignon ; vinea, vigne ; etc. ; -- ou une l mouillée (notée par il, ill) : allium, ail ; consilium, conseil ; filia, fille ; etc.

Si c'est un c, on a une s sourde : *facia (class. facies), face ; *glacia (class. glacies), glace ; minacia, menace ; etc.

Si c'est un t précédé d'une voyelle, on a une s sonore précédée d'un i : *glitia, glaise ; otiosum, oiseux ; rationem, raison ; etc.

Si c'est un t précédé d'une consonne, on a seulement une s sourde : angustia, angoisse ; fortia, force ; *frustiare, froisser ; etc.

Si c'est un d précédé d'une voyelle, on a un i : badium, bai ; radiare, rayer ; etc.

Si c'est un d initial ou précédé d'une consonne, on a eu dj, plus tard j (noté par g ou j) : deusque, jusque ; diurnum, jour ; hordea, orge ; etc.

Après les labiales, l'i se consonnifie toujours, que la labiale soit précédée ou non d'une consonne : cavea, cage ; *sabium, sage ; sapiam, sache ; tibia, tige ; etc.

2º L'i se combine avec la voyelle de la syllabe précédente pour former avec elle une diphtongue nouvelle qui deviendra, par la suite, une voyelle simple : area, aire ; *clarea, glaire ; *copreum, cuivre ; corium, cuir ; *crassia, graisse ; ebrium, ieivre, ivre ; *fragea, fraise ; paria, paire ; etc.

3º L'i tombe dans : parietem, *paretem, paroi ; quietum, *quetum, coi.

4º L'u disparaît dans battuere, battre ; consuere, cosdre, coudre ; consuetudinem, costume, coutume ; mortuum, mort. Il se consonnifie en v dans vidua, vedve, veuve.

Mentionnons enfin les cas rares où l'hiatus se maintient, comme dans leonem, *lionem, lion.

Tels sont les divers moyens qu'emploie la langue à l'origine pour arriver à la suppression des hiatus. Nous les retrouvons dans le cours de son histoire avec d'autres qu'elle met en œuvre pour la résolution des nouvelles diphtongues et des nouveaux hiatus.

§ 357. -- Résolutions des diphtongues ; de fortes elles deviennent faibles ou voyelles.

Les nouvelles diphtongues viennent du développement des voyelles se dédoublant sous l'influence de l'accent tonique ou sous l'influence d'une consonne voisine.

A, sous l'action d'une nasale (§ 299) ou d'une palatale suivante (§ 296), devient ai ; sous l'action d'une palatale qui précède (§ 297) et dans la terminaison arium devient ié.

E, i dans une syllabe ouverte (§ 309), e, i dans une syllabe fermée, devant une palatale (§ 315), donnent ei, qui reste devant une nasale ou l (§ 310) et se change en oi dans la plupart des autres cas.

O devient uo, ue, oe, eu (§ 320) ; o devient eu, ou (§§ 324, 325) ; o, o, u, sous l'action d'une palatale, donnent òi, ui, ói (§§ 329, 330).

U combiné avec une palatale donne ui (§ 331).

Voilà donc, issues des voyelles latines, six diphtongues nouvelles ai, iè, ei, òi, ói, ui, eu, ou.

De plus, la consonne l, dans des cas déterminés, se change en un u qui, se combinant avec la voyelle précédente, donne naissance à de nouvelles diphtongues, ou à une triphtongue ; al donne au (§ 455), èl donne eau (§ 456), él donne eu, ol donne ou (§ 459), il donne iu.

Nous avons donc les diphtongues ai, au, ei, eu, ié, iu, òi, ói, ou, ui (§ 458).

Les diphtongues ai et au se réduisent, la première à è, la seconde à o.

La diphtongue ei se réduit à è.

Les diphtongues eu (eou), ou (oou) se réduisent à eu, ou, quelquefois même à u (fur, mûr).

La diphtongue iu aboutit à ieu ou à ui, quelquefois même à u (ru).

Les diphtongues òi et ói se réunissent et aboutissent à oè, wè.

La diphtongue ui aboutit à wi, quelquefois même à u (rut).

La diphtongue devient yé : dans certains cas déterminés, elle se dédouble en iyé : février, hier, meurtrier, etc.

§ 358. -- Résolutions diverses des hiatus produits par la chute des consonnes médiales.

Les nouveaux hiatus proviennent de la chute d'une consonne médiale placée entre deux voyelles. La langue actuelle les a quelquefois laissés subsister ; plus fréquemment elle a contracté les deux voyelles en une seule syllabe, comme dans les exemples suivants :

A + a : cadentia, cheance, chance (cf. échéance) ; *catafalicum, chaafalt, chafaud ; *catalectum, chadalit, chaalit, châlit ; *waidhaniare, guadagnier, guaagnier, gaagnier, gagner ; etc.

A + é ou è : *cadere, cader, chaeir, cheeir, cheoir, choir ; catena, chadeine, chaeine, chaîne ; cathedra, chadeire, chaeire, chaire ; magistrum, maiestre, maistre, maître ; quaterna, caderne, caerne, carme ; etc.

A + e féminin : praerie, prairie ; etc.

A + i : fagina, faïne, faîne ; *graticulum, graïl, gril ; vagina, guaïne, gaïne, gaine ; etc.

A + o : a(u)gustum, agost, aost, août ; caveola, jaiole, geôle ; *fladonem, flaon, flan ; pavonem, paon ; pavorem, paor, peor, peeur, peur ; *tabonem (class. tabanum), taon ; suffatorem, edeur, eeur, eur ; atorium, edoir, eoir, oir ; etc.

A + u : a(u)gurium, aür, eür, eur, heur ; maturum, madur, meür, mûr ; etc.

E + a : *aetaticum, edage, eage, aage, âge ; *metallia, medaille, meaille, maaille, maille.

E + e : sedere, seeir, seoir, soir ; videre, veeir, veoir, voir ; etc.

E + i : regina, reïne, roïne, reine ; *seminaticium, semeïs, semis, et tous les mots avec le suffixe eïs, is ; etc.

E + o : *betullum, beol, boul (d'où bouleau) ; etc.

E + u : securum, segur, seür, sûr ; etc.

O + o : rotundum, roond, reond, rond ; etc.

O + e : *exrotelliare, esroeillier, esraailler, érailler.

Lorsque la première des voyelles en hiatus est un u, cet u devient une demi-voyelle dans la prononciation familière : on prononce suer, tuer, etc., en une seule syllahe. Cette contraction s'est même parfois imposée à la prononciation soutenue, comme dans fuir (pour füir) de *fugire, écuelle (pour ecüelle) de scutella. Lorsque la première voyelle est un ou, on voit le même fait se produire, sauf pourtant après les groupes bl, br, et autres similaires : jouer, nouer, vouer, par exemple, sont monosyllabiques. Cependant la tendance de la prononciation à contracter est moins forte qu'après u ; si oui de hoc + *illi est depuis longtemps monosyllabique, jouir est toujours dissyllabique.

Au lieu d'une contraction, la langue a quelquefois recours à une consonnification : velvote, pour veluote ; plus souvent à l'insertion d'une consonne, comme dans bayer, autrefois baer, beer ; cahier, pour cayer, autrefois caern ; emblaver, autrefois emblaer ; parvis pour parevis, autrefois pareïs ; pivoine, autrefois pioine ; pouvoir, autrefois pouoir ; etc. Dans envahir et trahir, l'h n'a qu'une valeur orthographique : elle tient lieu de tréma.

CONSONNES

§ 359. -- Des consonnes en général.

On a vu que les consonnes latines sont b, p ; d, t ; g, c (ou k, ou q) ; v, f ; z, s, i, h ; l, m, n, r ; et les groupes ch, ph, th. Elles peuvent se présenter dans le mot, simples (pater), doubles (currit), ou en groupes (statua, scribere, monstrare) ; et suivant leur situation, comme initiales (pater, flamma), médiales (pater, infernum, astrum), ou finales (pater, amant). Les changements qu'elles éprouvent dépendent de la nature du son et de sa situation.

§ 360. -- Changements divers en dehors des lois générales.

Les changements que peut subir une consonne ne dépendent pas seulement de la nature de cette consonne et de la place qu'elle occupe dans le mot. Quand des syllabes voisines contiennent la même consonne, qui se trouve ainsi répétée, ou deux consonnes de même ordre, il se produit entre ces consonnes une sorte de solidarité qui peut aboutir à deux phénomènes inverses : la dissimilation ou l'assimilation (10). La même solidarité se remarque lorsque deux consonnes prennent respectivement la place l'une de l'autre : c'est ce qu'on appelle la métathèse réciproque, dont il est logique de joindre l'étude à celle de la dissimilation et de l'assimilation. Il n'en est pas tout à fait de même de la métathèse simple, où une seule consonne est en jeu ; mais il est commode de ne pas la séparer de la métathèse réciproque, parce que ce sont les mêmes consonnes qui y sont sujettes (11) Enfin on traitera ensuite de l'épenthèse, en tant que ce phénomène se produit en dehors du cas qui a été examiné au § 358. Ici encore c'est moins un lien logique qu'une préoccupation pratique qui a décidé de la place à attribuer à l'étude de l'épenthèse. Il est incontestable, toutefois, que parmi les causes encore obscures qui déterminent la production de l'épenthèse, l'assimilation a quelque droit de figurer : elle a produit le germe que l'analogie et l'étymologie populaire ont ensuite prodigieusement développé (12).

§ 361. -- Assimilation. -- Dissimilation. -- Métathèse. -- Épenthèse.

I. -- L'assimilation est un phénomène relativement rare. On le trouve dans chercher (pour cercher), écarquiller (pour écartiller), échanger (pour essanger (13)), églogue (pour éclogue), salsepareille (pour sarsepareille). Il est probable que le latin verbena est devenu *vervena dans la prononciation vulgaire ; de là le français verveine. On a supposé que le latin populaire *berbicem (d'où brebis) était dû à une assimilation, la forme normale vervecem s'étant de bonne heure prononcée verbecem.

II. -- La dissimilation est plus fréquente que l'assimilation ; elle atteint surtout les liquides et les nasales (l, r, m, n), plus rarement les autres consonnes. Son action s'exerce tantôt aux dépens de la première consonne, tantôt aux dépens de la seconde ; cette action peut modifier la nature de la consonne qu'elle frappe, ou faire disparaître la consonne elle-même.

L est devenue r dans : brocaille (pour blocaille), hurler (pour huller), nombril (pour nomblil), rossignol (pour lossignol). On a supposé que son changement en r dans orme, dont la forme normale serait olme, oume, était dû à une dissimilation qui s'est produite d'abord lorsque le mot était précédé de l'article défini (l'orme pour l'olme), et qui s'est ensuite généralisée (14).

L est devenue n dans : fincelle (pour filcelle), manille (pour malille), niveau, autrefois nivel (pour livel), nomble (pour lomble). Le français quenouille existe dès l'origine de la langue : déjà en latin vulgaire *colucula s'était changé en *conucula par dissimilation.

L a disparu dans able (pour alble), faible (pour flaible), ficelle (pour filcelle), quincaille (pour clincaille). On peut considérer flambe, à côté de flamme, et ses nombreux dérivés, non comme le résultat d'une confusion entre les sons mm et mb, mais comme le représentant légitime d'un ancien flamble, issu régulièrement du latin flammula. Cheville et chail (d'où chaillou, caillou) remontent probablement à des formes du latin vulgaire *cavic(u)la, *cac(u)lum, pour clavicula, calculum. Quant à chamailler, qui n'apparaît qu'au XVIe siècle et qui se présente d'abord avec le sens de " frapper ", il est bien aventuré de vouloir l'expliquer par un verbe latin hypothétique *clamac(u)lare (15).

R est devenue l dans : colidor (forme populaire pour corridor), crible (pour cribre), décharneler (pour décharnerer), écarteler (pour écarterer), enchanteler (pour enchanterer), ensorceler (pour ensorcerer), érable (pour erabre, issu lui-même de érarbre), flairer (du lat. pop. flagrare pour fragrare), flamberge (altération par étymologie populaire de floberge pour froberge), frileux (pour frireux), marjolaine (pour marjoraine, issu de majoraine par épenthèse), pèlerin (pour pererin), prunelaie (pour pruneraie), salbotière (pour sarbotière, forme populaire de sorbétière), sorcellerie (pour sorcererie), tarele (ancienne forme de tarière qui a donné naissance à taraud par substitution de suffixe), tracelet (pour traceret), veautre, autrefois veltre (pour vertre).

R a disparu dans : choucroute (altération par étymologie populaire de soucroute pour sourcroute), contrôle (issu de conterole pour contrerole), fierte (pour fiertre), héberge (pour herberge), jarreter (pour jarreterer), levrette, levron (issus de leverette, leveron pour levrerette, levreron), retable (pour rertable), titre, terme de chasse (pour tritre) (16). On peut rappeler aussi que érable est sorti de érabre pour érarbre.

Le français ne présente pas d'exemple assuré de la dissimilation de l'm, car il n'est pas sûr que dodeliner soit le même mot que l'ancien dodeminer, et le changement de m en n dans natte, nèfle reste obscur dans son point de départ.

N est devenue l dans : calonnière (forme populaire pour canonnière), gonfalon (pour gonfanon). Même phénomène dans l'italien armellina (pour armenina), d'où le français armeline. Par suite, le son gn (n mouillée) est devenu ill (l mouillée) dans carillon (pour carignon).

G est devenu c dans le latin populaire *ginciva pour gingiva, d'où gencive, et *gicerium pour gigerium, d'où gésier.

J est devenu z dans *zonchet, pour jonchet ; ce z initial s'est confondu avec l's de liaison, et on a écrit quelquefois le jeu des onchets (et même des honchets) pour le jeu des jonchets (17).

Qu est devenu c dans le latin populaire *cinque, *cinquanta (pour quinque, quinquaginta), d'où cinq, cinquante.

V a disparu dans le latin populaire *varactum (pour vervactum), d'où guéret, et dans viande (pour vivande) (18).

Enfin on peut voir une sorte de dissimilation de l's dans riposte (pour risposte), de l'italien risposta.

La dissimilation entraîne quelquefois la chute non seulement de la consonne, mais de la voyelle qui la suit : idolâtre, idolâtrie, mots savants, sont pour idololâtre, idololâtrie, et le latin populaire paraît avoir déjà connu les formes syncopées *diaminica (pour *diadominica), d'où dimanche, et *disjunare (pour *disjejunare), d'où dîner.

III. -- Il y a plusieurs variétés de métathèse. Le cas le plus simple est celui où une consonne (spécialement l'r) change de place avec la voyelle qui l'accompagne. C'est celui qui se présente dans : brebis (pour berbis), carneau, carneler, autrefois kerneau, kerneler (pour créneau, créneler), éberner (pour ébrener), écrabouiller (pour écarbouiller), effarer (pour effraer), éprevier, ancienne forme d'épervier, étraper (issu de étreper pour éterper), fromage (pour formage), gourmet (pour groumet), grabeler (pour garbeler), grabuge (pour garbuge), pour (du lat. vulgaire por pour pro), treuil (du lat. vulgaire *troc(u)lum pour torculum). Mentionnons ensuite le cas où la consonne change de syllabe. Le plus souvent elle va vers le commencement du mot, comme dans : abreuver (pour abeuvrer), breuvage (pour beuvrage), crevette (pour kevrette), esclandre (pour escandle), frange (du lat. vulgaire *frimbia, pour fimbria). Plus rarement elle passe dans la syllabe suivante, comme dans : espadrille (pour espardille) (19).

Il y a métathèse réciproque lorsque deux consonnes prennent respectivement la place l'une de l'autre, comme dans : amelette (d'où omelette) (pour alemette), coudre, du lat. vulgaire *colurum (pour corulum), digueau (pour guideau), eaune (d'où aunée), du latin vulgaire *iluna (pour inula), étincelle, du latin vulgaire *stincella (pour *scintella, scintilla (20)), réglisse, du bas lat. riquilicia (pour liquiritia), tonlieu, du lat. vulgaire *tonoleum (pour teloneum).

IV. -- L'épenthèse, c'est-à-dire l'intercalation d'une consonne, peut se produire pour des nécessités phonétiques : c'est ce qui arrive quand la chute d'une voyelle rapproche des consonnes que la langue n'a pas l'habitude de prononcer en groupe (21). Le français intercale un b entre m et l, et entre m et r (combler, chambre), un d entre l et r, n et r, n mouillée et r, s douce et r, z et r (moudre pour moldre, cendre, ceindre, coudre pour cousdre, ladre pour lasdre), un g entre n et l (épingle), un t entre s dure et r (être pour estre). Tous les exemples en seront réunis dans les paragraphes consacrés à chaque consonne considérée en groupe roman. Nous ne parlerons ici -- parce que la place n'en saurait être ailleurs -- que des cas où une consonne s'introduit sans nécessité phonétique.

L s'intercale dans : bouticle, forme dialectale de boutique, d'où on a tiré bouticlard ; cible ; démoniacle, ancienne forme de démoniaque qui s'est maintenue jusqu'au commencement du XVIIe siècle ; enclume, qui remonte au latin vulgaire *includinem pour incudinem ; esclipot, forme dialectale pour esquipot ; flûte, sorte de bateau, et triacle, ancienne forme de thériaque, d'où l'on a tiré triacleur.

R s'intercale dans : arbalétrier (dérivé de arbaletre pour arbalète), bissêtre, breuilles, brusquer (pour busquer, chercher), calendrier, chanvre, courte-pointe, dartre (pour derte, du latin herpetem, d'après une étymologie récemment proposée), écolâtre, encre, épeautre, esclandre, étrésillon, fanfreluche, feutre, filandre, flâtrer, flétrir, fraisil, fringale, fronde, gouffre, litre (subst. fém.), maladrerie, mitraille, registre, rustre, tavaïole, tertre, timbre, trésor, vrille. Il a été introduit aussi à la finale de topinambour et de velours par confusion avec des mots où il s'écrivait sans se prononcer, -- puis il a fini dans ces deux mots par pénétrer dans la prononciation (22).

N (et m devant p ou b) s'intercale dans bimbelot, brimborion, bombance, cancrelat, cingler (terme de marine), concombre, convoiter, flanquer (pour flaquer), gingembre, ginguet, jongler, lambruche, lamper, langouste, lanterne (lat. vulgaire lanterna pour laterna), martingale, peintre, reginglette, rendre (lat. vulgaire *rendere pour reddere), ronger, tambour, tampon, tonton, forme populaire pour toton.

§ 362. -- Lois générales des consonnes simples initiales.

Sauf les palatales, les consonnes simples initiales se sont maintenues, en général, sans changement jusqu'à nos jours : bonum, bon ; dentem, dent ; ferrum, fer ; lavare, laver ; mortem, mort ; nucem, noix ; patrem, père ; rem, rien ; sanum, sain ; tenere, tenir ; volare, voler. Nous n'aurons que peu d'exceptions à signaler, telles que celles de l'm devenant n dans certains mots (§ 466), de v se changeant en f ou en gu (§ 443).

§ 363. -- Lois générales des consonnes simples médiales.

La plupart des consonnes simples médiales, spécialement les explosives et les continues, se sont affaiblies dès la période gallo-romane, et quelques-unes ont disparu dans la période suivante : ainsi, entre le Ve et le Xe siècle, p est passé à b, puis à v ; b est passé à v ; t est passé à d : *sapere, savoir ; habere, avoir ; *potere, podeir ; mutare, muder. D primitif et d venant de t ont de bonne heure disparu : creidre, croire, de credere ; muder, muer, de mutare.

S sourde est devenue s sonore : causa, chose.

Dans certains mots, la labiale médiale a disparu sous l'action d'un o ou d'un u qui la suit : *habutum, eü, eu ; *tabonem, taon.

§ 364. -- Lois générales des consonnes simples finales du latin.

Les consonnes finales latines étaient c, d, l, m, n, r, s, t. Les finales c, d, l ne se trouvent que dans quelques mots ; les autres sont très fréquentes. Elles se maintiennent toutes à l'origine, sauf c (§ 384), et m, qui, d'ailleurs, dès les premiers temps de l'Empire romain, était tombée à la fois de tous les mots, sauf dans quelques monosyllabes comme rem, meum, tuum, suum : il faut ajouter n, qui est restée dans non, non. Plus tard toutes les consonnes finales d, s, t se sont amuïes ; l et r seules ont persisté : sal, sel ; cor, cœur, et aussi quelquefois s, par exemple dans plus, hélas, os.

§ 365. -- Lois générales des consonnes finales simples du roman.

La chute des consonnes finales, et spécialement celle de m, eut pour effet de rendre finales des voyelles atones qui étaient médiales en latin : et comme, vers le VIIe siècle, ces atones, sauf a, tombèrent elles-mêmes le plus ordinairement (§ 291), des consonnes médiales devinrent à leur tour finales : murum devint successivement muru, puis mur ; talem, tale, tal.

Cette chute de la terminaison latine amena naturellement le changement de certaines de ces consonnes devenues finales. Si l, r, ici aussi, se maintiennent, s sonore devient d'abord s sourde, pour s'amuïr dans la suite, sauf dans quelques mots. P, b, v se changent en f : *capum, chef ; sebum, sef (suif) ; clavem, clef. D passe à t, qui tombe à son tour : fidem, feid, feit, fei (foi). T primitif, après s'être conservé quelque temps, tombe en général : virtutem, vertut, vertu. Enfin m et n ont subsisté, mais avec le temps elles ont changé de son en nasalisant la voyelle qui précède : nomen, nom ; manum, main.

§ 366. -- Consonnes doubles.

Les consonnes doubles finales ont naturellement perdu leur second élément quand s'est produite la chute de la voyelle finale latine : annum est devenu successivement annu, ann, an.

Les consonnes doubles médiales ont perdu leur premier élément postérieurement à l'affaiblissement des consonnes simples : pp s'est réduit à p ; bb à b ; tt à t, ll à l, etc. : abbatem, abet, abé ; cappa, chape ; bellam, bele ; gutta, goute ; etc. Plus tard l'on fera très souvent reparaître, par préoccupation d'étymologie, la consonne tombée ; mais la prononciation propre aux premiers temps restera le plus souvent intacte. Ainsi dans abbé, belle, goutte.

Seuls, peut-être, les groupes rr et ss demeurèrent non altérés à l'origine : terra, terre ; lassa, lasse.

§ 367. -- Groupes de consonnes initiaux.

Ces groupes sont souvent formés d'une explosive ou d'une continue et d'une l ou d'une r : bl, pl, fl, cl, gl, pr, br, fr, cr, gr, dr, tr, etc. Ils se sont maintenus sans changement parce que la liquide l ou r n'est point sujette à altération et que la première consonne, en qualité d'initiale, ne change point.

Les groupes initiaux que forme l's suivie d'une des consonnes c, p, t, m, dans scribere, sperare, stare, *smaraldum, se prononçaient en latin populaire avec le secours d'un i qui est devenu plus tard é : escrire, esmeraude, espérer, ester.

§ 368. -- Groupes médiaux formés de deux consonnes.

Dans les groupes médiaux formés de deux consonnes, il faut distinguer le sort de la première consonne de celui de la seconde dans les groupes latins et dans les groupes romans.

I. Première consonne. -- 1º Dans les groupes latins ont seules persisté régulièrement jusqu'à nos jours r : barba, barbe, et f devant l : inflare, enfler. P, b, devant r ou l, ont persisté, mais en descendant d'un degré : aprilem, avril ; duplum, double ; febrem, fièvre. Quant aux autres consonnes, elles se sont, à des époques variées, transformées ou amuïes : alba, albe, aube ; centum, cen't, cent ; festa, feste, fête ; patrem, pedre, père.

2º Dans les groupes romans, les phénomènes sont à peu près les mêmes : v, b, persistent dans viv(e)re, vivre ; fleb(i)lem, faible ; p s'affaiblit en v dans vip(e)ra, guivre ; mais la première consonne tombe dans : plat(a)num, plane ; sap(i)dum, sade ; dub(i)tare, douter ; nav(i)gare, nager ; etc.

II. Deuxième consonne. -- 1º Dans les groupes latins, la deuxième consonne est traitée comme initiale, c'est-à-dire persiste régulièrement : rupta, route ; ardentem, ardent ; carbonem, charbon ; servire, servir ; firma, ferme.

2º Dans les groupes romans, suivant l'époque de la chute de la voyelle qui précède et sa place par rapport à l'accent, elle reste telle quelle : fab(u)la, fable ; sem(i)ta, sente ; viv(e)re, vivre, ou s'affaiblit d'un degré : adj(u)tare, aider ; cub(i)tum, coude ; vind(i)care, venger ; etc.

§ 369. -- Groupes médiaux formés de trois consonnes ou plus.

Quand le groupe est formé de trois consonnes ou plus, la première ou la dernière est toujours une des liquides l, r, m ou n, ou bien s. Ces groupes complexes sont traités d'après les mêmes principes que ceux de deux consonnes. Ainsi presb(y)ter donne prestre ; hosp(i)talem donne ostel. Généralement le sort de la consonne du milieu est déterminé par l'euphonie du groupe : pulverem, polvre, polre, poudre, lvr étant trop difficile à prononcer. De même *torquere, torcere, torsre, tordre ; forf(i)ces, forces ; galb(i)num, jalne, jaune ; etc.

§ 370. -- Groupes de consonnes finaux.

Les groupes finaux ou devenus finaux suivent les règles des groupes médiaux, c'est-à-dire que la première consonne disparaît en général : deb(e)t, doit ; quantum, quant ; vivit, vit ; etc. R persiste régulièrement : ursum, ours. Quant à la dernière consonne qui subsiste, elle a le sort des consonnes simples finales, c'est-à-dire qu'elle s'est amuïe dans la plupart des cas.

Il faut remarquer aussi que la dernière consonne devient sourde si elle était primitivement sonore : cervum, cerf ; *corbum, anc. franç. corp (d'où corbeau) ; frig(i)dum, froit (froid). L'orthographe postérieure, dans ses préoccupations étymologiques, a rendu souvent à la sourde finale la forme de la consonne sonore qu'elle avait en latin ; mais la prononciation est demeurée fidèle à la tradition primitive de la langue : un froit hiver, un grant homme.

§ 371. -- Classification des consonnes.

Nous étudierons les consonnes dans l'ordre suivant : d'abord h, puis les linguo-palatales k, q, g, i (j). Nous continuerons par les linguo-dentales t, d, s, z, les labio-labiales p, b, les labio-dentales f, v. Nous terminerons par l'examen des quatre consonnes dites liquides l, m, n, r, qui, tout en se rattachant par la formation de leur son, soit aux labio-labiales, soit aux linguo-dentales, présentent dans l'histoire du consonnantisme français des particularités qui doivent être étudiées spécialement.

§ 372. -- H.

L'h latine avait disparu dès les premiers temps de l'Empire dans la prononciation des Romains ; la plupart des inscriptions ne la notent plus. Quoi qu'il en soit, l'ancien français ne connaît pas l'h pour les mots d'origine latine et populaire : c'est ainsi que l'on écrit encore sans h : avoir de habere, on de homo, orge de hordeum, etc. Si l'h figure aujourd'hui dans la plupart des mots où elle figurait en latin, sa présence est due, presque toujours, à un retour à l'étymologie : haleine, herbe, hérisser, heure, hiver, hoir, etc.

Quelquefois l'h a dû être mise au commencement des mots, devant un i ou un u, pour indiquer que cet i ou cet u était bien une voyelle et non la consonne j ou v que l'écriture ne distinguait pas de l'i et de l'u : huile, huis, huit, huître, dont les originaux latins n'ont pas d'h initiale. Sur l'h de envahir et trahir, voir § 358.

Enfin, dans quelques mots d'origine latine, comme haler, hâte (broche), haut, hennir, hernie, herse, hucher, l'h est aspirée. Pour haler, hâte et haut, il y a eu sans doute influence des mots germaniques hal, harsta et hoch, avec h aspirée (§ 498) ; pour hennir, hucher, l'h est le résultat d'une onomatopée ; pour herse, hernie, l'h aspirée reste inexpliquée.

§§ 373, 374, 375. -- PH, TH, CH.

Sur les combinaisons ph, th, ch, créées par les Latins pour la transcription de consonnes grecques, voir § 497.

Palatales.

§ 376. -- Palatales.

Dans les paragraphes groupés sous ce titre, nous réunissons non seulement les consonnes c (k, q), g, et i (j), mais aussi les combinaisons formées par t suivi d'un e ou d'un i en hiatus, lesquelles aboutissent en français à un son palatal.

§ 377. -- Du C latin. -- C initial devant O, U, L ou R.

Bien qu'il soit plus que probable que le c en latin ait eu un même son, à savoir le son k, qu'il fût placé devant n'importe quelle voyelle ou n'importe quelle consonne, il faut distinguer plusieurs cas pour son passage en français : nous avons à étudier la destinée du c suivant qu'il est initial, médial ou final, suivant qu'il est devant telle ou telle voyelle, suivant enfin qu'il fait partie de tel ou tel groupe de consonnes.

Initial devant o, u, l, r, il a gardé le son k : comitem, comte ; corona, couronne ; cor, cœur ; cultellum, couteau ; curare, curer ; *curbum (class. curvum), courbe ; *curere (class. currere), courre ; clarum, clair ; clavem, clef ; clericum, clerc ; credere, croire ; crepare, crever ; etc.

On trouve g initial au lieu de c dans quelques mots : *claria, glaire ; *classium (class. classicum), glais, glas ; crassum, gras ; craticulum, graïl, greïl, gril ; etc. Pour glaire, il y a eu une confusion de *claria (class. clarus) avec glarea signifiant " gravier ". Pour les autres, l'altération du c en g avait dû se produire déjà en latin populaire. Gras, à côté de l'ancien français cras, est dû sans doute à l'influence de gros.

§ 378. -- C initial devant E, I.

C initial devant e, i, qui se prononçait k en latin, a passé à partir du VIIIe siècle au son tch pour aboutir à ts au XIIe siècle et à s sourde au XIIIe (23) : caelum, ciel ; celare, celer ; cera, cire ; cervum, cerf ; *cinque (class. quinque), cinq ; civitatem, cité ; etc.

§ 379. -- C initial devant A.

C initial devant a s'est changé, en passant par ky, ty, en tch ; ce changement, commencé probablement au VIe siècle, était terminé au VIIIe. Tch a conservé son élément dental dans certains patois lorrains et wallons ; en français, il l'a perdu à partir du XIIIe siècle, et il s'est dès lors prononcé ch comme dans la langue actuelle : canem, chien ; carnem, charn, char, chair ; caulem, chou ; causa, chose ; etc.

§ 380. -- C médial devant A, O, U.

C médial devant a et précédé d'un a, d'un e ou d'un i, se change en i qui forme diphtongue avec cette voyelle ou se fond avec elle : auca, oie ; baca, baie ; braca, braie ; ebriaca, ivraie ; pacare, payer ; precat, (il) prie ; decanum, doyen ; necare, noyer ; fica, fie, plus tard figue ; plicare, plier ; urtica, ortie ; etc.

S'il est précédé d'un o ou d'un u, il tombe en général : advocatum, avoué ; carruca, charrue ; focacia, fouace ; inraucare, enrouer ; jocare, jouer ; lactuca, laitue ; locare, louer ; etc.

2º Suivi d'un o ou d'un u et précédé d'une voyelle, c médial tombait régulièrement en ancien français, après s'être affaibli en g dans le roman : ciconia, anc. franç. ceogne ; cicuta, anc. franç. ceüe ; cuculla, coole, cououle, coule ; gracula, grole ; locusta, *logosta, looste, anc. franç. laouste ; secundum, anc. franç. seont ; securum, seür, sür. Certains de ces mots ont été refaits très anciennement sous une forme demi-savante, plus voisine du type latin avec le c adouci en g : aigu, cigogne, ciguë, langouste, second (pron. segond). Par suite, dragon de draconem doit être, lui aussi, regardé comme un mot savant.

§ 381. -- Cas particuliers.

Sur focum, feu ; jocum, jeu ; locum, lieu, voir §§ 291 2º, 329.

§ 382. -- C médial devant E ou I, et précédé d'une voyelle.

Ce, ci peuvent appartenir à une syllabe médiale ou faire partie d'une syllabe finale.

Ce, ci dans une syllabe médiale aboutissent à un i formant diphtongue avec la voyelle précédente ou se fondant avec elle et suivi d'une s sonore : aucellum, oisel, oiseau ; cocina, cuisine ; *domnicellum, damoisel, damoiseau ; *focile, foisil, fusil ; *gicerium (class. gigerium), gisier, gésier ; lacertum, *laisert, lésert, lézard ; licere, loisir ; *racimum (class. racemum), raisim, raisin ; vicinum, veisin, voisin ; etc.

Ce, ci dans la syllabe finale aboutissent à une s sourde notée au VIIIe siècle par z, puis par s et souvent de nos jours par x : *berbicem, brebis ; bifacem, biais ; brace, brais ; crucem, croix ; *nidacem, niais ; nucem, noix ; pacem, paix ; perdicem, perdrix ; picem, poix ; *romanice, romanz, romant, roman ; soricem, souris ; vicem, fois ; vocem, voix ; etc.

§ 383. -- CE, CI en hiatus.

Ce, ci en hiatus aboutissent toujours à s sourde, notée par s à la fin des mots, par c devant e ou i, par ç devant o et u, ou par ss : aciarium, acier ; brachium, bras ; *facia (class. faciem), face ; focacia, fouace ; *glacia (class. glaciem), glace ; *junicia, génisse ; *lacium (class. laqueum), laz, las, lacs ; *macionem, maçon ; minacia, menace ; pellicia, pelisse ; etc.

§ 384. -- C final.

C est final soit en latin comme dans sic, soit en roman par suite de la chute de la finale : amicum, amic.

1º S'il est précédé d'une voyelle, il devient i, qui forme diphtongue avec cette voyelle ou se fond avec elle : fac, fai, plus tard (je) fais ; duco, dui, plus tard duis dans (je) conduis ; *preco (class. precor), priei, pri, (je) prie ; amicum, ami ; ficum, fi, plus tard fic ; sic, si ; spicum, espi, épi ; etc. Le c n'a pas laissé de trace dans festu, fétu, de *festucum (class. festuca).

2º S'il est précédé d'une consonne, il donne is, si cette consonne est une s : cresco, (je) croîs ; *nasco (class. nascor), (je) nais ; pasco, (je) pais ; après toute autre consonne, il subsiste en général, sauf, pour la prononciation, après n : arcum, arc ; juncum, jonc ; porcum, porc. Si le c est double, l'un des deux subsiste et dans l'orthographe et dans la prononciation : beccum, bec ; saccum, sac ; siccum, sec ; etc.

§ 385. -- C double médial.

Quand c double est médial, l'un des deux c tombe, et celui qui reste a les destinées que nous venons d'étudier dans les paragraphes précédents : bisaccia, besace ; bucca, bouche ; *croccia, crosse ; flaccidum, *flaisde, *flaiste, flaistre, d'où flétrir ; succussa, secousse ; vacca, vache ; etc.

§ 386. -- C premier élément d'un groupe de consonnes latin.

1º Dans le groupe ct précédé d'une voyelle, c se change en i, qui forme diphtongue ou se fond avec cette voyelle : coctum, cuit ; despectum, despieit, despit ; factum, fait ; fructum, fruit ; *lactem (class. lac), lait ; lectum, lieit, lit ; luctat, anc. franç. loite, (il) lutte ; noctem, nuit ; octo, huit ; pectinem, peitne, peigne ; strictum, estreit, étroit ; tectum, toit ; tractum, trait ; *varactum, guarait, guaret, guéret ; etc. Dans flotter, jeter, roter, le c de fluctuare, *jectare (class. jactare), ructare n'a pas laissé de trace.

Quand ct est précédé d'une n, il se développe de même une diphtongue : junctum, joint ; punctum, point ; sanctum, saint ; etc.

2º Dans le groupe cr, c se change en i, qui a formé primitivement diphtongue avec la voyelle précédente : lacrima, lairme, lerme, larme ; sacramentum, sairement, serment. Acrum, *alecrum (class. alacrem), macrum, qui donnent aigre, allègre (autrefois aliegre), maigre, présentent un traitement particulier.

§ 387. -- C devant S (ou X) en latin.

L'histoire de x qui équivaut à cs n'est autre que l'histoire de c. Cette consonne double dégage un i formant diphtongue avec la voyelle précédente et suivi de s sourde : axilla, aisselle ; *buxida, boiste, boîte ; coxa, cuisse ; *coxinum, coissin, puis coussin ; examen, essaim ; exire, eissir, issir ; fraxinum, fraisne, fresne, frêne ; laxare, laisser ; lixiva, *leissive, lessive ; etc.

Il faut noter que dans les composés avec le préfixe ex, sauf dans exire, eissir, issir, où le sentiment de la composition s'était perdu, x s'est changé de bonne heure en s, d'où es, plus tard é : éclairer, éconduire, élire, etc.

§ 388. -- C second élément d'un groupe de consonnes latin.

1º Si c est précédé de s, le groupe sc ainsi formé se change, s'il n'est pas suivi de a, en is avec s sourde, notée par is à la fin des mots ou quand la lettre suivante était une consonne, et par iss quand c'était une voyelle : *bruscinum, broissin, broussin ; crescentia, croissance ; crescit, croist, (il) croît ; discum, deis, dois, dais ; *fascellum, faisseau, faisceau ; fascem, fais, faix ; fascia, faisse ; fuscina, foisne, fouisne, fouine ; *lambruscum, lambruis, lambris ; pascentem, paissant ; *ramuscellum, *ramcsel, raimsel, rinsel, rinceau ; vascellum, vaissel, vaisseau ; viscum, guis, gui ; etc.

2º Si c précédé de s est suivi de a, ou s'il est précédé de toute autre consonne, il est traité comme un c initial : arca, arche ; furca, fourche ; mercedem, merci ; piscare, peschier, pêcher ; porcellum, porcel, pourceau ; porcum, porc ; etc.

§ 389. -- C en groupe roman autre que le groupe CL.

C précède la consonne. -- Ici nous nous retrouvons en face du groupe cr, et, par suite, du simple changement de c en i : dic(e)re, *diire, dire ; duc(e)re, duire ; fac(e)re, faire ; *luc(e)re, luire ; etc.

Devant une autre consonne que r, comme dans dec(i)ma, *dieisme, disme, dîme ; grac(i)lem, graisle, grêle ; *rucina, roisne, rouanne, le c a à la fois abouti à s sonore et dégagé un i.

C suit la consonne. -- Dans ce cas il faut tenir compte de l'époque de la chute de l'atone entre les deux consonnes : le plus souvent, le c s'était déjà altéré avant cette chute, et quand cette chute s'est produite, elle a amené un groupe de consonnes dont la première est en général tombée : duodecim, dodeze, dodze, doze, douze ; fabricare, favregar, faurgar, forger ; fodicare, fodegar, fodgar, fouger ; manducare, mandegar, mandgar, manger ; *nivicare, nevegar, nevgar, neiger ; vindicare, vendegar, vendgar, venger ; etc. Dans pertica, perche, la chute de l'atone s'est faite plus tôt que dans les mots précédents, et, par suite, l'on a le changement régulier de c en ch devant a avec chute du t. Grammaire est un mot demi-savant tiré de grammatica, devenu gramadie, gramalye, gramarye, grammaire.

§ 390. -- Groupe roman CL.

1º Précédé d'une voyelle, le groupe roman cl aboutit le plus généralement à l (§ 462) : *apparic(u)lare, appareiller ; artic(u)lum, orteil ; buttic(u)la, bouteille ; *carbuc(u)la (class. carbuncula), carbouille ; *cavic(u)la (class. clavicula), cheville ; *fodic(u)lare, fouiller ; gubernac(u)lum, gouvernail ; mac(u)la, maille ; oc(u)lum, œil ; *paric(u)lum, pareil ; *rubic(u)lum, roïl, rouil ; *scoc(u)lum (class. scopulum), écueil ; *solic(u)lum, soleil ; etc.

Dans un certain nombre de mots qui n'appartiennent pas à la couche la plus ancienne de la langue, cl, au lieu de passer à t, s'est transformé en gl : *aboc(u)lum, aveugle ; buc(u)lum, anc. franç. bugle, d'où beugler ; matric(u)larium, anc. franç. marreglier, d'où marguillier.

Une seconde série de mots demi-savants a conservé cl intact, quoique précédé d'une voyelle : mirac(u)lum, miracle ; sec(u)lum, siècle.

2º Précédé d'une consonne autre que s, cl a persisté : circ(u)lum, cercle ; cooperc(u)lum, couvercle ; sarc(u)lare, sarcler ; *unc(u)lum (class. avunculum), oncle ; etc.

Si la consonne qui précédait était une s, le c est tombé : masc(u)lum, masle, mâle ; *misc(u)lare, mesler, mêler ; musc(u)la, moule ; etc.

§ 391. -- C en picard et en normand.

Contrairement à ce qui arrive dans le français propre (§ 379), c initial ou médial devant a persiste, en normand et en picard, sans altération, c'est-à-dire garde le son k. Un certain nombre de mots, importés de ces deux dialectes, présentent ca ou que au lieu de cha, che : buquer, buquet, caillou, calumet, camperche, camus, carne (coin), caudrette, crevette, curet (petit char), déroquer, faucard, foulque, freluquet (cf. freluche, freloche), maque, etc. Pour quelques-uns de ces mots on trouve la forme française à côté de la forme dialectale : à côté de affiquage, buquette, carbouille, flaque, existent les formes françaises correspondantes affichage, bûchette, charbouille, flache.

Inversement, ch au lieu de s devant un e ou un i (§ 378) se trouve dans des mots importés des mêmes dialectes : catiche pour catisse, choper pour coper, fauchard à côté de fauçard, fauchon pour fauçon, grincheux pour grinceux, hercher à côté de herser.

Caboche pour chabosse et cacheron pour chasseron réunissent les deux phénomènes (24).

§ 392. -- Histoire de Q.

Q en latin était toujours suivi de la labiale u, ce qui l'a empêché de suivre les destinées de c dont il avait le son.

1º A l'initiale, il a perdu généralement la labiale u, mais a conservé le son primitif : quadratum, carré ; quare, car ; quassare, casser ; *quetum (class. quietum), coi ; etc. L'orthographe latine s'est conservée dans : quando, quant ; *quattor (class. quatuor), quatre ; etc.

Certains mots en latin vulgaire avaient déjà changé qu en c : querquedula, *cercedula, sarcelle ; quinquaginta, *cinquaginta, cinquante ; quinque, *cinque, cinq.

Qu médial, lui aussi, dans quelques mots, s'est changé en c : *coquere, *cocere, cuire ; laqueum, *lacium, las, lacs ; querquedula, *cercedula, sarcelle.

Dans les autres mots la palatale qu a dégagé un i et s'est changée en g : aquila, *agla, aigle ; *aquilentarium, églantier. Ou bien elle a dégagé un i, et la labiale u s'est changée en v : aquosum, aiveux, éveux ; *exaquare, *essaiver, essaver ; *sequere (class. sequi), suivre.

Égal pour igal est un mot demi-savant ; l'ancien français avait, d'après la règle précédente, ivel de aequalem. Aiguière, bien qu'on trouve en ancien français aigue à côté de ève, paraît être un mot d'origine méridionale, tiré du provençal aiguiera.

§ 393. -- G initial.

G initial devant o, u a conservé le son gu qu'il avait en latin devant n'importe quelle voyelle : gobionem, goujon ; *gorga, gorge ; gubia, gouge ; gula, gueule ; gurdum, gourd ; gustum, goût ; gutta, goutte ; etc.

Devant a, e, i, il a pris le son dj, qui a perdu son élément dental au XIIIe siècle et a abouti à la prononciation actuelle, qui est notée par j devant un a et un o et par g devant une autre voyelle : *gagantem (class. gigantem), jaiant, géant ; gagatem, jaié, jaiet, jais ; galbinum, jaune ; gamba, jambe ; gaudia, joie ; *genistum, genêt ; gentem, gent ; *genuclum, genouil, genou ; *ginciva (class. gingiva), gencive ; etc.

Comme pour le c (§ 391), le normand et le picard ont conservé au g le son dur devant un a : galet, galette, à côté de jalet.

2º Devant une consonne g initial a subsisté : glandem, gland ; *glitia, gleise, gloise, glaise ; grandem, grand ; granum, grain ; etc. Il est toutefois tombé dans lise, qui a la même origine que glaise, dans loir de glirem, et ses dérivés lérot et liron.

§ 394. -- G médial entre deux voyelles.

G médial entre deux voyelles se change ordinairement en i, qui tantôt forme diphtongue avec la voyelle précédente, tantôt s'assimile à l'i qu'a déjà formé la voyelle précédente ou suivante en se diphtonguant : castigare, chastiier, châtier ; fagina, faiine, faïne, faîne ; flagellum, flaiel, fleel, fléau ; fugire, fuiir, fuïr, fuir ; *gagantem (class. gigantem), jaiant, géant ; gagatem, jaiiet, jaiié, jais ; ligare, leiier, leier, lier ; magistrum, maiistre, maïstre, maître ; negare, neiier, nier ; nigella, neiele, niele, nielle ; ossifraga, orfraie ; paganum, paiien, païen ; plaga, plaie ; regina, reiine, reïne, reine ; saga, saie ; vagina, guaiine, guaïne, gaine ; etc.

Dans certains cas, les voyelles qui entourent le g n'ont pas favorisé son changement en i ; il est tombé : augurium, heur ; augustum, aost, aoust, août ; ego, eo, io, jo, je ; ruga, rue ; etc.

Dans corvée de corrogata et dans douve de doga, un v s'est introduit après la chute du g. Légume est une forme savante qui a remplacé l'ancien français leün de legumen avec chute normale du g.

§ 395. -- G final.

G final n'existe qu'en roman.

1º Précédé d'une voyelle, il devient i : legem, lei, loi ; regem, rei, roi. Dans fagum et jugum, le g est tombé avant la finale (§ 291, 3º) ; de là fou, et jou, écrit joug par réaction étymologique.

2º Précédé d'une consonne, il passe en ancien français au son k, qui ne s'est maintenu de nos jours que devant un mot commençant par une voyelle : lonk et large, Bourk en Bresse, sank et eau. L'orthographe moderne a rétabli le g : burgum, bourc, bourg ; longum, lonc, long ; *sanguem (class. sanguinem), sanc, sang ; etc.

§ 396. -- G en groupes latins ou romans.

G seconde consonne d'un groupe suit les destinées du g initial devant une voyelle : angustia, angoisse ; argentum, argent ; bulga, bouge ; *gorga, gorge ; ingenium, engin ; etc.

G première consonne d'un groupe. Ce groupe peut être précédé d'une consonne ou d'une voyelle.

a. Quand il est précédé d'une consonne, on a affaire aux groupes ngl, rgl, lgr, rgr, ngr.

Le groupe ngl subsiste intact : ang(u)lum, angle ; cing(u)la, sangle ; sing(u)larem, sanglier ; ung(u)la, ongle ; etc.

Le groupe rgl laisse tomber le g : *marg(u)la, marle, marne.

Les groupes lgr, rgr perdent également leur g et introduisent un d euphonique entre les deux consonnes (§ 361, IV) : *fulg(e)rem (class. fulgur), foildre, foudre ; surg(e)re, sordre, sourdre. Bougre de bulgarum est un mot demi-savant.

Dans le groupe ngr, le g développe un i qui forme une diphtongue nasale avec la voyelle précédente et reçoit le d euphonique (§ 361, IV) : cing(e)re, ceindre ; fing(e)re, feindre ; plang(e)re, plaindre ; pung(e)re, poindre ; etc.

b. Quand le groupe est précédé d'une voyelle, le g se change régulièrement en un i, qui formait anciennement diphtongue avec la voyelle précédente ; et, si la seconde consonne était une l, elle devenait une l, notée encore par il ou ill ; si c'était une n, elle devenait une ñ, notée encore par ign devant un e, et çà et là par ing à la fin des mots : *brag(u)lare, brailler ; *brog(i)lum, breuil ; *brug(i)tum, bruit ; coag(u)lare, cailler ; *dignare (class. dignari), daigner ; dignitatem, daintié, daintier ; fragrare, flairier, flairer ; frig(i)dum, froid ; *fug(i)ta, fuite ; inguina, *engna, eingne, aigne, aine ; integrum, entieir, entir, entier ; leg(e)re, *lieire, lire ; nigrum, neir, noir ; *perpag(i)nem, parpaing ; plantag(i)nem, plantain ; pugnum, poing ; rig(i)dum, roide, raide ; signum, seing ; *strig(u)la, estrille, étrille ; etc.

Règle de regula est un mot savant ; la forme ancienne est riule, qu'il faut rapprocher de tiule, plus tard par métathèse tuile (25), de tegula. Dans paresse de pigritia, et pèlerin de peregrinum, le g est tombé. Dans frêle (anc. franç. fraile) de fragilem, il y a eu confusion avec les mots en esle, êle, du jour où ai s'est changé en e (§ 422). Nigrum prunum a dû être prononcé de bonne heure *neruprunum avec chute du g ; de là nerprun.

§ 397. -- I palatal initial.

L'i palatal initial se prononçait et s'écrivait en latin comme un i dans iam, iacere, etc. Il a pris en roman le son dj, noté par j ou g, qui a perdu au XIIIe siècle le son dental pour aboutir à la prononciation actuelle : iacere, gésir ; *iectare (class. iactare), jeter ; iam, jà ; iocum, jeu ; *iovenem, jeune ; *iunicia, génisse ; etc.

§ 398. -- I palatal médial entre deux voyelles.

I médial entre deux voyelles tombe lorsque ces voyelles ne se prêtent pas au développement d'une diphtongue, comme dans ieiunare, jeüner, jeûner ; si, au contraire, les voyelles se prêtent à une diphtongaison, l'i se combine avec la voyelle précédente : peior, *pieire, pire ; raia, raie ; troia, truie ; etc.

§ 399. -- I palatal final.

I palatal, devenu final en roman par suite de la chute de la finale, s'est régulièrement combiné avec la voyelle précédente pour former une diphtongue : maium, mai.

§ 400. -- I second élément d'un groupe de consonnes.

Les groupes que l'i peut former ont été étudiés déjà au chapitre de l'hiatus, § 356. On peut voir en outre les paragraphes relatifs à chacune des consonnes constituant le premier élément de ces groupes.

Dentales.

§ 401. -- T initial.

T initial se maintient : tempus, temps ; terra, terre ; tres, trois ; etc.

Par exception, tr est devenu cr dans tremere, craindre.

§ 402. -- T médial entre deux voyelles.

T entre deux voyelles s'est d'abord affaibli en gallo-roman en d, puis en un son que l'on trouve noté ordinairement par d et dans certains textes par th, et qui avait probablement la valeur du th anglais doux ; puis, à la fin du XIe siècle, il est tombé : abbatissa, abedesse, abeesse, abbesse ; armatura, armedure, armeüre, armure ; cathedra, chadiere, chaiere, chaire ; cotonium, codoin, cooin, coing ; dolatoria, doledoire, doleoire, doloire ; *metallia, medaille, maaille, maille ; natalem, nadel, nael, noel, noël ; rotundum, redond, reont, rond ; spatha, espede, espee, épée ; vitellum, vedel, veel, veau ; etc.

§ 403. -- T final.

T final ou devenu final par suite de la chute de la syllabe finale s'est, quand il était précédé d'une voyelle, progressivement affaibli et est tombé dans la prononciation et dans l'orthographe (26) : abbatem, abet, abbé ; *bellitatem, beltet, beauté ; civitatem, citet, cité ; gratum, gret, gré ; latum, let, lé ; scutum, escut, écu ; virtutem, vertut, vertu ; etc.

Si, au contraire, t était précédé d'une consonne, il s'est maintenu longtemps dans la prononciation, et encore aujourd'hui il persiste dans l'orthographe ; il ne se prononce plus que dans le cas de liaison : cantum, chant ; dictum, dit ; factum, fait ; partem, part ; tortum, tort ; etc.

§ 404. -- T devant une consonne autre que L en groupe latin.

Nous n'avons à considérer ici que les groupes tt et tr.

Le groupe tt en roman s'est réduit à un simple t, soit dans l'intérieur, soit à la fin des mots. De là en ancien français : bouteille de *butticula, chat de *cattum, glouton de gluttonem, goute de gutta, toute de *totta. Par réaction étymologique, tt a été rétabli dans beaucoup de mots : atteindre, goutte, etc.

Le groupe tr, s'il est précédé d'une consonne, reste intact : capistrum, chevestre, chevêtre ; ostrea, huître ; s'il est précédé d'une voyelle, il s'est réduit de bonne heure à dr ; puis, au XIIe siècle, il y a eu tantôt assimilation du d à l'r comme dans : latronem, ladron, larron ; nutrire, nodrir, nourrir ; petra, piedre, pierre ; etc. ; tantôt suppression du d, comme dans : fratrem, fredre, frère ; matrem, medre, mère ; palpetra, palpiedre, palpiere, paupière ; patrem, pedre, père ; etc.

§ 405. -- T devant une consonne autre que L en groupe roman.

Il y a à considérer les groupes tt, td, tr, tm, tn, tc.

Tt, comme dans les groupes latins, se réduit à t : mat(u)tinum, matin.

Td se réduit à t : nit(i)dum, net ; put(i)da, pute.

Tr perd le t s'il est précédé d'une voyelle : but(y)rum, beurre ; il la garde quand il est précédé d'une consonne : turt(u)rem, tourtre.

Tm, tn, perdent régulièrement le t : abrot(o)num, aurone ; art(e)misia, armoise ; art(e)monem, armon ; pect(i)nem, peigne ; plat(a)num, plane ; ret(i)na, rêne ; sept(i)mana, semaine ; etc.

Tc perd toujours le t : ant(e)cessor, ancestre ; *coact(i)care, cacher ; *dent(i)catum, denché ; *feroti(c)um, farouche ; *levisti(c)a, livêche ; pant(i)cem, panse ; *salvati(c)um (class. silvaticum), sauvage ; etc.

§ 406. -- T devant E ou I en hiatus.

Ti précédé d'une voyelle a abouti à d plus s sonore et dégagé un i qui a formé diphtongue avec la voyelle précédente ou s'est fondu avec elle ; ds a perdu son élément dental de très bonne heure pour aboutir au son actuel : *acutiare, aiguiser ; *apprivitiare, apprivoiser ; *glitia, glaise ; *latia, laize ; otiosum, oiseux ; potionem, poison ; rationem, raison ; retiolum, reisuel, réseuil ; sationem, saison ; venationem, venaison ; etc.

Buse de butia est irrégulier ; ce mot a dû être formé de busard, qui vient lui-même d'une forme plus ancienne et plus correcte, buisard. Notons à part les mots où ti est devenu final par suite de la chute de la finale et a abouti au même résultat : palatium, palais ; pretium, *prieis, pris, prix ; *puteum (class. puteum), puits. Chevet (pour chevez) ne peut venir de capitium, mais de *capicium ; il y a eu confusion entre la terminaison itium et le suffixe icium.

2º Précédé d'une consonne, ti a un traitement différent suivant la consonne qui le précède.

a. S'il est précédé d'une s, il aboutit à s sourde, notée par ss ou, à la fin des mots, par s, et il dégage un i qui s'unit à la voyelle précédente : angustia, angoisse ; *frustiare, froisser ; pastionem, paisson ; *ustium (class. ostium), huis ; etc.

b. S'il est précédé de toute autre consonne, il aboutit aussi à s sourde, notée par ss ou c, mais ne dégage pas d'i : *captiare, chasser ; *fortia, force ; frictionem, frisson ; lintiolum, linceul ; *mattea, masse ; *noptias, noces ; *pettia, pièce ; *plattia (class. platea), place ; etc.

§ 407. -- T suivi de L.

Il y a ici deux séries de mots à distinguer :

1º Ceux où tl était devenu en latin vulgaire cl et où, par suite, il subit le même traitement, que le cl primitif (§ 390), c'est-à-dire passe à l (§ 453) : sit(u)la, *sicla, seille ; vet(u)lum, *veclum, vieil ; etc.

2º Ceux où t n'ayant pas passé à c tombe ou s'assimile à l : *crot(u)lare, crodler, croller, crouler ; duct(i)le, douille ; fist(u)la, fêle ; induct(i)le, andouille ; rot(u)lum, rôle ; spat(u)la, espatle, espalle, espaule.

§ 408. -- T second élément d'un groupe de consonnes latin.

Abstraction faite des cas étudiés § 406, 2º, t précédé d'une consonne dans un groupe latin persiste régulièrement : *allactare, allaiter ; cultellum, couteau ; festa, feste, fête ; *juxtare, jouster ; *mentonem, menton ; *partire (class. partiri), partir ; rupta, route ; etc. Sur le groupe tt, voir § 404, 1º.

§ 409. -- T second élément d'un groupe de consonnes roman.

Abstraction faite des cas étudiés § 406, 2º, t persiste de même lorsqu'il est précédé d'une consonne dans un groupe roman : com(i)tem, comte ; deb(i)ta, dette ; hosp(i)tem, hoste, hôte ; perd(i)ta, perte ; etc.

Dans quelques cas où l'atone a persisté plus longtemps, le t s'est adouci en d : adjutare, aider ; cubitum, coude ; *placitare, plaider ; *vocita, vide ; etc.

§ 410. -- D initial.

D initial, sauf lorsqu'il est suivi d'un e ou d'un i en hiatus, reste intact : *damum (class. dama), daim ; decem, dix ; dentem, dent ; dolorem, douleur ; ducere, duire ; durum, dur ; etc.

S'il est suivi d'un e ou d'un i en hiatus, il se combine avec cette voyelle pour aboutir au son dj, qui perd son élément dental au XIIe siècle et devient j : *deusque, *diusque, jusque ; diurnum, jour ; etc. (§ 356, 1º).

§ 411. -- D médial entre deux voyelles.

D médial entre deux voyelles s'est affaibli d'abord en un son analogue à celui du th doux anglais, puis, comme le t, il est tombé complètement vers la fin du XIe siècle : alauda, aloe, aloue (d'où alouette) ; audire, oïr, ouïr ; *cadentia, cheance, chance ; *cadere (class. cadere), cheeir, cheoir, choir ; denudare, dénuer ; *fodire (class. fodere), foïr, fouir ; *gaudire (class. gaudere), joïr, jouir ; *invadere (class. invadere), envahir ; *lampreda (class. lampetra), lamproie ; laudare, loer, louer ; *nidacem, niais ; sedere, seeir, seoir ; *tradire (class. tradere), trahir ; vadare, guaer, gueer, guéer ; videre, veeir, veoir, voir ; etc.

§ 412. -- D final.

D final en latin est tombé de bonne heure dans les monosyllabes : ad, à ; quid, quei, quoi.

2º Devenu final et précédé d'une voyelle, il s'est changé d'abord en la sourde t, qui a disparu à son tour : fidem, feid, feit, fei, foi ; nidum, nid, nit, ni (plus tard nid) ; nodum, nue, neu (puis nœud) ; nudum, nud, nut, nu ; vadum, gued, guet, gué ; etc.

Devenu final et précédé d'une consonne, il se change en la sourde t, qui est tombée dans la prononciation : *deunde, *dunde, dont ; mag(i)dem, mait ; subinde, souvent. Le t est tombé dans l'orthographe dans inde, ent, en.

Dans l'un et l'autre cas, très souvent dans le second, on a rétabli le d par réaction étymologique, ou, dans les adjectifs, sous l'influence de la forme du féminin : cal(i)dum, chald, chalt, chaut, chaud ; frig(i)dum, freid, freit, froit, froid ; fundum, fond, font, fond (27) ; grandem, grand, grant, grand ; laudem, lod, lot, lo, lod dans le pluriel lods ; *lurdum (class. luridum), lord, lort, lourd ; pedem, pied, piet, pié, puis pied ; tardum, tard, tart, tard ; etc. Mais ce d final garde le son du t dans le cas de liaison : un grand homme, pied à terre ; etc. Vert de vir(i)dem, a, au contraire, gardé le t au masculin, et l'a même imposé au féminin.

§ 413. -- D dans un groupe de consonnes latin.

D second élément d'un groupe de consonnes persiste régulièrement : ardentem, ardent : fundere, fondre ; perdere, perdre ; unda, onde ; etc.

2º Quand il précède toute autre consonne que r, il tombe : adsatis, assez ; adventura, aventure ; advocatum, avoué ; etc.

Devant une r, il s'assimile à cette consonne ou tombe : cathedra, chadiere, chaiere, chaire ; quadraginta, *quaranta, quarante ; quadratum, carré ; etc.

§ 414. -- D dans un groupe de consonnes roman.

Il y a à considérer les groupes td, dt, dn, dl, dr, dc.

Td et dt se réduisent à t (§§ 405, 409) : nit(i)da, nete, nette ; *put(i)da, pute ; etc. ; ped(i)tum, pet ; *perd(i)ta, perte ; *rad(i)tura, rature ; *rend(i)ta, rente ; *vend(i)ta, vente ; etc.

Dn entre deux voyelles devient nn dans bod(i)na, anc. franç. bonne (auj. borne), d'où abonner ; mais s'il est précédé d'une consonne, le d tombe : card(i)ne, carne (forme normanno-picarde), d'où en français propre charnière ; ord(i)ne, orne, d'où ornière.

Dl assimile le d à l'l : mod(u)lum, molle, moule ; querqued(u)la, *cerced(u)la, sarcelle ; etc.

Dr entre deux voyelles perd le d ou l'assimile à l'r : claud(e)re, clore ; cred(e)re, croire ; desid(e)rare, désirer ; hed(e)ra, (l)ierre ; etc.

Dr précédé d'une consonne garde le d : find(e)re, fendre ; perd(e)re, perdre ; vend(e)re, vendre ; etc.

Dc a été étudié déjà (§ 389, 2º), et nous avons vu que le d disparaissait dans tous les cas.

§ 415. -- D devant E, I en hiatus.

Nous avons vu que di en niatus à la syllabe initiale s'était changé en dj, puis en j (§ 409) dans *deusque, *diusque, jusque, et diurnum, jour. Il en a été de même lorsque di médial était précédé d'une consonne autre qu'une n : hordeum, orge ; viridiarium, vergier, verger.

Si la consonne est une n, le d tombe, et l'n se mouille : *rotundiare, roongner, rogner ; verecundia, vergogne ; etc.

Quand di médial est précédé d'une voyelle, d tombe, et l'i se combine avec cette voyelle : *appodiare, appuyer ; badium, bai ; gaudia, joie ; gladium, glai ; inodiare, ennuyer ; medium, *miei, mi ; modium, mui, muid ; radium, rai, rais ; etc. (28).

§ 416. -- S initiale.

S initiale devant une voyelle persiste régulièrement : sanctum, saint ; sanum, sain ; securum, seür, sûr ; solum, seul ; surdum, sourd ; etc.

De sarcofagum on a eu sarcueu, sarquieu, sarqueil, serqueil, puis cercueil, par une faute d'orthographe que l'usage a consacrée.

§ 417. -- S médiale entre deux voyelles.

S médiale entre deux voyelles persiste avec le son de s sonore : ausare, oser ; causa, chose ; me(n)sura, mesure ; pausare, poser ; *rasare, raser ; etc.

§ 418. -- S finale.

S finale en latin ou devenue finale en roman par suite de la chute de la syllabe finale subsiste toujours dans l'orthographe : crassum, gras ; plus, plus ; pressum, près. Mais, de bonne heure, s finale est tombée dans la prononciation devant un mot commençant par une consonne ; elle ne se fait plus entendre que dans quelques mots comme as, ambesas, dix, hélas, os, ours, etc.

Lorsque s était précédée d'une dentale, elle se combinait avec elle pour produire le son ts, écrit z : latu, lets, lez, et toutes les 2es personnes du pluriel. Par analogie, quelques monosyllabes comme chez, nez, rez, ont reçu un z au lieu d'une s. Dans doux, époux, heureux, et un très grand nombre de mots, l'orthographe a remplacé arbitrairement l's finale par un x.

§ 419. -- S premier élément d'un groupe de consonnes latin.

Sur sc, sauf devant a, voir § 388. Sc devant a ainsi que dans tous les groupes où s est le premier élément, a gardé anciennement son s, qui a fini par tomber, d'abord dans la prononciation, plus tard dans l'orthographe (§ 422). -- Le groupe ss médial a persisté dans l'orthographe, mais s'est peu à peu changé dans la prononciation en s sourde : vessica, vessie.

§ 420. -- Particularité des groupes initiaux SC, SP, ST, SM.

Les groupes initiaux sc, sp, st, sm étaient prononcés comme s'ils étaient précédés d'un i. Certains grammairiens latins blâment iscena pour scena, istimulus pour stimulus, etc. Cet i en position devint e (§ 341) en français. Cependant cette voyelle paraît ne s'être ajoutée au début qu'autant que le mot précédent finissait par une consonne. La Cantilène de sainte Eulalie écrit une spethe (épée) et non une espethe. Mais, à partir du XIe siècle, l'usage est devenu général, et cet e prosthétique s'est conservé même après une voyelle finale. De là : scala, eschelle, plus tard échelle ; scintilla, *stincilla, estincelle, étincelle ; scriptum, escrit, écrit ; scutum, escu, écu ; *smaraldum (class. smaragdum), esmeraude, émeraude ; sparsum, espars, épars ; spat(u)la, espaule, épaule ; speciem, espice, épice ; spissum, espais, épais ; stannum, estain, étain ; *stela (class. stella), estoile, étoile ; strictum, estroit, étroit ; stringere, estreindre, étreindre ; etc.

§ 421. -- Particularités du groupe roman SR.

Pour le groupe médial sr, il faut distinguer le cas où s est sonore du cas où s est sourde.

Entre s sonore et r, il s'intercale un d (§ 361, IV) : *cos(e)re (class. consuere), cosdre, plus tard coudre ; *cisera (class. sicera), cisre, cisdre, cidre.

Entre s sourde et r il s'intercale un t (§ 361, IV), soit qu'il s'agisse de ss, soit de s appuyée, soit de sc, où le c, comme on l'a vu (§ 388), dégage un i passant devant l's : antecess(o)r, ancestre, ancêtre ; cognosc(e)re, connoistre, connaître ; cresc(e)re, croistre, croître ; *ess(e)re (class. esse), estre, être ; *nasc(e)re (class. nasci), naistre, naître ; pasc(e)re, paistre, paître ; etc.

§ 422. -- Chute de l'S devant une consonne.

L's précédant une consonne et étudiée §§ 419, 420 et 421 est tombée dans la prononciation à des époques diverses, suivant la nature de cette consonne.

Devant j, f, v, b, d, g, l, m, n, r, elle s'est amuïe déjà avant le milieu du XIe siècle ; mais, avant de disparaître tout à fait, elle avait passé par des sons intermédiaires, dont orfraie pour osfraie, de ossifraga, nous a conservé un spécimen. Dans tous les autres mots, s est tombée sans laisser de traces.

Devant p, t, c, l's est tombée plus tard, vers le XIIe siècle, et cette chute était un fait accompli au XIIIe : ici encore l'amuïssement a passé par des étapes intermédiaires, et l'on trouve au moyen âge l's remplacée devant une consonne par h : asperum, aspre, âpre ; *claustrium, cloistre, cloître ; fustem, fust, fût ; masticare, mascher, mâcher ; scrinium, escrin, écrin ; scutum, escu, écu ; sponsum, espoux, époux ; etc.

L's en tombant a souvent altéré la voyelle précédente ; si elle est tonique, elle change de timbre et devient longue ; asne âne, aspre âpre, crespe crêpe, feste fête, hoste hôte, etc. ; elle garde généralement son timbre quand elle est atone ; mais il arrive fréquemment que la prononciation du simple où la voyelle en question est tonique et par suite longue, agisse sur le dérivé : âne ânier, âpre âpreté, hôte hôtelier, etc. ; mais coteau est resté avec o bref à côté de côte ; de même poteau poterne (posteau, posterne), bûcheron avec u bref à côté de bûche, arrêter avec e bref à côté de arrête : citons aussi les préfixes avec é pour es : étêter, etc.

Certains mots ont été repris par les lettrés sous leur forme ancienne, et la prononciation moderne a restauré l's qu'ils avaient perdue : destrier, forestier, geste, ménestrel, ost. Langouste est un mot du Midi qui a remplacé l'ancienne forme laouste, laoute. Dans d'autres mots, empruntés très anciennement au latin, l's a toujours été et est restée sonore : chaste, triste, etc.

§ 423. -- S suivie d'un I en hiatus.

S suivie d'un i en hiatus aboutit à s sonore quand elle est simple, à s sourde, notée par ss, quand elle est double, et l'i se combine avec la voyelle précédente : basiare, baiser ; *bassiare, baisser ; *ma(n)sionem, maison ; messionem, moisson ; nausea, noise ; tonsionem, toison ; etc.

§ 424. -- Z.

Le z n'étant pas, à vrai dire, une lettre latine, mais grecque, il en sera question § 497.

Labiales.

§ 425. -- P initial.

P initial subsiste : patrem, père ; perdere, perdre ; pontem, pont ; porta, porte ; etc. Sur fresaie au lieu de presaie, du latin præsaga, voir § 509.

§ 426. -- P médial entre deux voyelles.

P médial entre deux voyelles devient v : *assopire, assouvir ; caepa, cive ; capillum, cheveu ; crepare, crever ; lupa, louve ; propaginem, provain ; ripa, rive ; etc. Il est tombé quand la seconde voyelle était un u, dans *reciputum, receü, reçu ; *saputum, seü, su.

Sur p suivi d'une voyelle en hiatus, voir § 356, 1º.

§ 427. -- P final.

P latin, devenu final en français par suite de la chute de la syllabe finale, persiste toujours dans l'orthographe s'il est précédé d'une consonne, mais tombe ordinairement dans la prononciation : campum, champ ; cippum, cep ; *drappum, drap ; etc.

Il se change en f s'il est précédé d'une voyelle : *capum (class. caput), chef ; *sepem, anc. franç. soif (haie) ; etc.

Sur lou, loup de lupum, voir § 325.

§ 428. -- P double.

P double se réduit à p, au lieu de se changer en v comme p simple entre deux voyelles ou devant r : *cappa, chape ; *capponem, chapon ; *cuppa, coupe ; *sappinum, sapin ; stuppa, étoupe ; etc. Dans nappe de mappa et dans quelques autres mots, on a rétabli p double par retour à l'étymologie.

§ 429. -- P premier élément d'un groupe de consonnes latin.

P premier élément d'un groupe de consonnes latin a des destinées diverses suivant la nature de la consonne qui le suit :

Pr précédé d'une voyelle devient vr : aprilem, avril ; capra, chèvre ; capreolum, chevreuil ; *copreum, cuivre ; etc. ; précédé d'une consonne, p subsiste : *impremere (class. imprimere), empreindre.

Pl devient bl : duplum, double.

3º Devant toute autre consonne que l et r, p tombe : *accaptare, acheter ; baptisma, batesme, plus tard baptême ; capsa, châsse ; *captiare (class. captare), chasser ; *corruptiare, courroucer ; *neptia (class. neptis), nièce ; *noptias (class. nuptias), noces ; rupta, route ; septem, set, plus tard sept ; etc.

§ 430. -- P second élément d'un groupe de consonnes latin.

P second élément d'un groupe de consonnes latin subsiste régulièrement : culpa, coulpe ; palpetra, paupière ; serpentem, serpent ; talpa, taupe ; etc.

§ 431. -- P premier élément d'un groupe de consonnes roman.

P premier élément d'un groupe de consonnes roman subit aussi des destinées diverses suivant la nature de la consonne qui le suit.

Pr précédé d'une voyelle devient vr : *junep(i)rum (class. juniperum), genièvre ; lep(o)rem, lièvre ; op(e)ra, œuvre ; paup(e)rem, pauvre ; pip(e)rem, poivre ; *sep(e)rare, sevrer ; super, seuvre, seure, seur, sur ; vip(e)ra, guivre ; etc. ; précédé d'une consonne, il garde le p : asp(e)rum, aspre, âpre ; rump(e)re, rompre ; temp(e)rare, tremper ; etc.

Pl subsiste dans cop(u)la, couple ; pop(u)lum, peuple, qui semblent être des mots demi-savants. Il faut noter écueil de scop(u)lum,pl, devenu par altération cl, a suivi la destinée de ce groupe et est devenu t (§ 390), et nèfle de mesp(i)la, qui a dû devenir de bonne heure *mesf(i)la. Éteule, de stip(u)la, est une forme dialectale qui a supplanté la forme régulière étouble.

3º Devant toute autre consonne que r et l, p disparaît : carp(i)num, charme (29) ; comp(u)tare, conter, plus tard compter ; corpus, cors, plus tard corps ; *emp(u)ta, ente ; sap(i)dum, sade (dans maussade).

4º Sur p suivi d'un i en hiatus, comme sapiam, (je) sache, voir § 356, 1º.

§ 432. -- P second élément d'un groupe de consonnes roman.

P second élément d'un groupe de consonnes roman est devenu v dans : sin(a)pum, sanve. Le rapport de évêque à episcopum est obscur ; on a supposé une ancienne forme *evesqueve dont la dernière syllabe aurait disparu comme celle de angele, virgene, formes primitives de ange, vierge.

§ 433. -- B initial.

B initial persiste régulièrement : badium, bai ; barba, barbe ; beccum, bec ; bene, bien ; brevem, bref ; etc.

§ 434. -- B médial entre deux voyelles.

B médial entre deux voyelles devient régulièrement v : abante, avant ; caballum, cheval ; cerebellum, *cerevel, cervel, cerveau ; cubare, couver ; faba, fève ; habere, avoir ; hibernum, hiver ; *meribilia (class. mirabilia), *mereveille, merveille ; probare, prouver ; taberna, taverne ; etc.

Dans certains mots, le b est tombé très anciennement dans le voisinage d'un u ou un o : *debutum, deü, dû ; *habutum, eü, eu ; nebula, nieule, niele (nielle) ; *nuba, nue ; *rubic(u)lum, roïl, rouil ; *tabonem (class. tabanum), taon ; viburna, viorne ; etc.

§ 435. -- B final.

B final latin ou devenu final en roman par suite de la chute de la syllabe finale devenait généralement en ancien français p lorsqu'il était précédé d'une consonne : orbum donnait orp. Après une nasale, b tombait : columbum, coulon ; le b a été rétabli par réaction étymologique dans plomb de plumbum.

Précédé d'une voyelle, le b s'est très anciennement changé en v ; ou bien ce v tombe : ibi, iv, i, y ; ou bien il se consonnifie en f : sebum, anc. franç. sef ; ou bien encore il se vocalise en u : sebum, anc. franç. seu, siu, sui ; la forme actuelle suif paraît être une fusion de sef et de sui.

§ 436. -- B double.

B double se réduit à b, au lieu de se changer en v, comme b simple entre deux voyelles ou devant r : abbatem, abé, plus tard abbé ; *abbiberare, abreuver ; etc.

§ 437. -- B premier élément d'un groupe de consonnes latin.

B premier élément d'un groupe de consonnes latin a subi une destinée différente suivant la nature de la consonne qui le suivait.

B devant r devient r : *colobra (class. colubra), couleuvre ; fabrum, fèvre (dans orfèvre) ; febrarium, février ; febrem, fièvre ; labra, lèvre ; librum, livre ; etc. Sur forge, de fabrica, voir § 333, II.

2º Devant toute autre consonne, b tombe : toutefois, la plupart des mots, populaires ou demi-savants, qui présentaient cette chute ont été refaits d'après l'étymologie : ainsi l'ancien français disait astenir, oscur, soutil, et non abstenir, obscur, subtil. Citons ici, comme mots anciens et réguliers, sous de subtus et souvenir de subvenire.

§ 438. -- B second élément d'un groupe de consonnes latin.

B second élément d'un groupe de consonnes latin subsiste : alba, aube ; barba, barbe ; carbonem, charbon ; gamba, jambe ; etc.

§ 439. -- B premier élément d'un groupe de consonnes roman.

B premier élément d'un groupe de consonnes roman a subi aussi une destinée diverse suivant la nature de la consonne qui le suivait.

Br, comme dans les groupes latins, devient vr : lib(e)rare, livrer ; rob(o)rem, rouvre.

Bl persiste généralement : eb(u)lum, hièble ; mob(i)lem, meuble ; sab(u)lonem, sablon ; tab(u)la, table. A côté de table, on a tôle, forme dialectale qui remonte à *taula, où la diphtongue au est le résultat soit d'une vocalisation du b en u, soit d'une chute du b antérieure à la chute de l'u latin. Sur parole de parabola, voir § 496.

3º Devant toute autre consonne que l et r, b tombe : *berb(i)calium, bercail ; *bomb(i)tire, bondir ; dub(i)tare, douter ; cucurb(i)ta, *coorbde, gourde ; gab(a)ta, jatte ; *malehab(i)tum, *malabde, malade ; presb(i)ter, *prebstre, prestre.

4º Sur b suivi d'un i en hiatus comme *rubium, rouge, voir § 356, 1º.

§ 440. -- B second élément d'un groupe de consonnes roman.

B second élément d'un groupe de consonnes roman tantôt persiste, comme dans arbre de arb(o)rem, corbeille de corbic(u)la, etc., tantôt se change en v, comme dans chanvre de cann(a)bem, tantôt disparaît, comme dans jaune de galb(i)num.

§ 441. -- F initiale, médiale et finale.

F initiale persiste : faba, fève ; fratrem, frère ; etc. Son changement en h dans hors de foris, à côté de fors, demeure inexpliqué.

F médiale entre deux voyelles tombe : bifacem, biais ; *refusare, reüser, ruser ; *scrofellas, écrouelles.

Il n'y a pas d'exemple de f finale.

§ 442. -- F en groupes latins et romans.

F second élément d'un groupe de consonnes subsiste : infantem, enfant ; infernum, enfer ; etc.

Devant une consonne, f subsiste si elle est suivie de l ou de r : inflare, enfler ; ossifraga, orfraie ; sulf(u)rem, soufre. Elle tombe devant toute autre consonne : forf(i)ces, forces.

§ 443. -- V initial.

V initial persiste : vanum, vain ; vena, veine ; vinum, vin ; vocem, voix ; etc. Exceptionnellement il est devenu f dans vapidum, fade ; vicem, fois.

Dans un certain nombre de mots, v initial est devenu gu, g, peut-être sous une influence germanique (§ 499) : vadum, gué ; vagina, gaine ; vastare, gâter ; *varactum, guéret ; vespa, guêpe ; vipera, guivre ; viscum, gui ; *vitica, guiche ; *vulpiclum, goupil ; etc.

§ 444. -- V et W germaniques.

Sur v et w germaniques, voir § 499.

§ 445. -- V médial entre deux voyelles.

V médial entre deux voyelles ou bien subsiste comme dans : *grevare (class. gravare), grever ; lavare, laver ; movere, mouvoir ; novellum, nouvel ; viventem, vivant ; etc., ou bien tombe comme dans : ovicula, oueille, ouaille ; pavonem, paon ; pavorem, paor, peeur, peur ; *uvitta, uette, luette ; *vivenda, viande ; etc.

Sur joue de *gavata, voir § 333, II.

§ 446. -- V final.

V devenu final en roman aboutit à f : bovem, bœuf ; brevem, bref ; cervum, cerf ; clavem, clef ; *grevem (class. gravem), grief ; navem, nef ; novem, neuf ; novum, neuf ; salvum, sauf ; etc. Sur clou de clavum et riu, ru de rivum, voir §§ 291, 333.

L'f finale de l'adjectif numéral neuf ne se prononce pas devant une consonne et se prononce comme v devant une voyelle. Il ne se prononce pas non plus dans clef (qu'on écrit aussi clé) et il a même disparu de l'orthographe dans apprenti, bailli et ers : c'est là un phénomène dont l'explication appartient à la morphologie (§ 559).

Dans certains cas, le latin populaire paraît avoir changé rv en rb : *corbum (class. corvum), d'où corbeau ; *curbum (class. curvum), courbe et courber.

§ 447. -- U demi-consonne.

On peut considérer comme un u demi-consonne l'u en hiatus dans tenuem, vidua. Nous en avons déjà parlé § 356, 4º.

§ 448. -- V premier élément d'un groupe de consonnes.

Pour v premier élément d'un groupe de consonnes roman, il faut distinguer le cas où il est suivi de r ou l du cas où il est suivi d'une autre consonne.

Vr précédé d'une voyelle persiste : viv(e)re, vivre ; précédé d'une consonne, il tombe, et il s'intercale un d (§ 361, IV) : pulv(e)rem, poudre ; solv(e)re, soudre ; etc. Il est devenu fr dans *parafredum pour paraveredum, palefroi.

Vl précédé d'une n devient bl dans inv(o)lare, embler.

2º Devant toute autre consonne, v tombe : civ(i)tatem, cité ; *jov(e)nem (class. juvenem), jeune ; jovisbarbam, joubarbe ; nav(i)cella, nacelle ; nav(i)gare, nager. Avistruthio et avicellum sont devenus de bonne heure *aucellum et *austruthio, d'où oiseau et autruche.

§ 449. -- V second élément d'un groupe de consonnes.

V second élément d'un groupe de consonnes subsiste : advenire, avenir ; malva, mauve ; servire, servir. Sur le cas particulier de pulverem, solvere, voir § 448.

§ 450. -- PH.

Sur ph, consonne d'origine grecque, voir § 497.

Liquides.

§ 451. -- Des quatre consonnes L, M, N, R.

Les paragraphes qui suivent traiteront non seulement des consonnes purement latines l, m, n, r, mais des nouvelles consonnes françaises l mouillée et n mouillée. De plus, il y sera parlé des deux phénomènes nouveaux propres au français : le changement de l en u dans certaines conditions et la production des voyelles nasales.

§ 452. -- L initiale, médiale, finale.

L persiste quand elle est initiale, médiale entre deux voyelles et finale.

Initiale : lavare, laver ; leporem, lièvre ; linea, ligne ; *lionem, lion ; longum, long ; luna, lune ; etc. Sur rossignol pour lossignol, niveau pour liveau, nomble pour lomble, voir § 361.

Médiale, entre deux voyelles : ala, ele, aile ; dolorem, douleur ; valere, valoir ; etc. Sur *conucula pour *colucula, quenouille, et d'autres mots où l médiale est devenue r, voir § 361.

Finale en latin ou devenue finale en roman : caelum, ciel ; fel, fiel ; filum, fil ; mel, miel ; pilum, poil ; sal, sel ; talem, tel ; etc.

§ 453. -- L dans un groupe de consonnes latin.

L second élément d'un groupe de consonnes latin persiste en général : duplum, double ; implere, emplir. Toutefois elle peut tomber par dissimilation comme dans cheville, de *cavicula pour clavicula, quincaille pour clincaille et faible pour flaible (§ 361).

Ll médial, après s'être maintenu quelque temps, se réduit à l, mais a été rétabli plus tard, dans la plupart des cas, par réaction étymologique : appellare, appeler ; bella, bele, belle ; gallina, geline ; illa, ele, elle ; nulla, nule, nulle ; villa, vile, ville ; etc. Dans anguille de anguilla, l'orthographe latine rétablie par réaction étymologique a fini par modifier la prononciation et l'amener à celle de l (§ 464).

L premier élément d'un groupe de consonnes, sauf dans albulum, able, dans *balneum, bain, et dans calculum, chail, où elle est tombée très anciennement, s'est vocalisée, autrement dit changée en u après a, è, é, i, ò, ó.

§ 454. -- L changée en U ; caractères généraux.

Du XIe au XVe siècle s'est produit un fait important pour la prononciation de l : sa vocalisation, c'est-à-dire son changement en ou (écrit u) devant une consonne, à l'intérieur des mots ou à la fin d'un mot étroitement uni par le sens au mot suivant.

Il y a, en effet, beaucoup de rapport entre le son l et le son ou. Dans la prononciation ordinaire de l'l, la langue vibre horizontalement ; mais elle peut aussi s'arquer ou se croiser. Dans le premier cas, elle s'en vient toucher la voûte du palais par le sommet de la courbure et produit en même temps que l un i demi-voyelle qui se combine avec cette consonne pour former une l (§ 462). Dans le second cas, la langue, en se creusant, donne à la bouche la forme nécessaire pour produire la voyelle ou.

Comme le changement atteint dans une partie des cas la voyelle précédente, il faut distinguer les divers groupes que forment les voyelles ou les diphtongues avec l'l : al, èl, él, il, òl, ól, ul, eul.

§ 455. -- AL devenant AU.

Al, au XIIe siècle, s'est changé en au, qui formait à l'origine une diphtongue ascendante prononcée aou, et qui, au XVIe siècle, en passant par ao, a abouti à o fermé : alba, aube ; alt(e)rum, autre ; calcem, chaux ; cal(i)dum, chaud ; falcem, faux ; falsum, faux ; *galb(i)num, jaune ; malva, mauve ; palma, paume ; etc.

§ 456. -- ÈL devenant EAU.

Au XIIe siècle aussi èl devint d'abord eal, pour aboutir à la triphtongue eaou. Cette triphtongue, au XVIe siècle, était devenue eao, puis eo ; et ce n'est qu'au XVIIe siècle qu'elle aboutit au son o fermé qu'elle a aujourd'hui : eau de el apparaît rarement à l'intérieur des mots, comme dans épeautre ; il est très fréquent à la fin des mots, substantifs et adjectifs ; sur cette terminaison, voir § 464.

§ 457. -- ÉL devenant EU.

Él accentué donne eu, qui ne se rencontre que dans quelques mots : capillos, cheveus, cheveux, d'où le singulier cheveu qui a remplacé l'ancienne forme chevel : illos, els, eus, eux. Arroche est une forme normanno-picarde pour arreuce, de atriplicem, en passant par *atreplice, *arelce. Basoche pour baseuche de basilica doit être aussi une forme dialectale ; yeuse de ilicem est emprunté du provençal.

Él atone est passé de eu à ou dans fougère de filicaria, et dans foupir pour feupir, felpir, d'un radical d'origine incertaine felp ; à au dans aunée, de *iluna + ata ; à u dans du, pour del, de de + le.

§ 458. -- IL devenant IU.

L'ancienne langue a connu le changement régulier de il en iu devant une consonne : subtiles, soutius ; viles, vius ; vil(i)tatem, viuté. Mais ces formes ne se sont pas maintenues. Les formes savantes subtils, vils, ont remplacé soutius, vius, et ont fait reparaître la consonne latine. Cette consonne s'est changée en n, qui est elle-même tombée dans *fil(i)cella, fincelle, ficelle (§ 361, II). Essieu pour essiu, de axile, paraît être une forme dialectale.

§ 459. -- ÒL et ÓL devenant OU.

Ol avec o ouvert et ol avec o fermé ont d'abord donné deux diphtongues distinctes, qui se sont fondues dans la suite en un son unique ou : bulga, bouge ; coll(o)care, couchier, coucher ; cultellum, couteau ; poll(i)cem, pouce ; pullitra, poltre, poutre ; sol(i)dare, souder ; *vulpic(u)lum, goupil ; etc.

§ 460. -- UL devenant U.

L suivant u s'est fondue avec lui sans laisser de traces : pul(i)cem, puce.

§ 461. -- EUL devenant EU.

Dans le groupe eul, l devait, en se vocalisant, se fondre avec la voyelle eu : ainsi dans le pluriel aïeux.

§ 462. -- L mouillée.

L suivie d'un i en hiatus ou précédée, dans certaines conditions, d'un c (§ 390), d'un g (§ 396), d'un t (§ 407), se change en une l dont le son propre est analogue au son gli de l'italien. Ce son a disparu de l'usage courant pour faire place à un son purement palatal : deuil, prononcé jadis deul, est prononcé aujourd'hui deuy'. Cette prononciation nouvelle, dont on constate l'existence déjà à la fin du XVIe siècle, a triomphé complètement dans la seconde moitié du XIXe siècle.

L mouillée, notée généralement par ill à l'intérieur des mots, par il à la fin des mots, ne subsiste pas à l'origine devant une consonne, mais se vocalise en u : de là le féminin vieille à côté du masculin vieux, anc. franç. viels, vieus ; de là le singulier travail à côté du pluriel travaux, anc. franç. travals, travaus ; etc.

§ 463. -- L mouillée précédée de A, È, É, I, Ò, Ó.

A suivi de l donne ail, aille dans : animalia, aumaille ; baj(u)lare, bailler ; *batac(u)lare, bâiller ; *berb(i)calium, bercail ; palea, paille ; sponsalia, épousailles ; etc.

È suivi de l donne ieil : *vet(u)lum, vieil.

É suivi de l donne eil : consilium, conseil ; soliculum, soleil ; tilia, teille ; vigilia, veille ; etc.

I suivi de l donne ille dans canicula, chenille ; *cavicula, cheville ; filia, fille ; etc.

Ò suivi de l donne euil : caerefolium, cerfeuil ; dolium, deuil ; *folia, feuille ; solium, seuil ; etc. Uil est irrégulier dans cuillère de cochlearia ; mais beaucoup prononcent euil dans ce mot.

Ó suivi de l donne oil, ouil : ductile, douille ; *fenuculum, fenouil ; *fulgerem (class. fulgur), foildre, plus tard foudre.

§ 464. -- Réaction des formes en L et L mouillée sur les formes en U et en L et vice versa.

La vocalisation de l ne se produisant que devant une consonne et le mouillement de l n'ayant pas lieu devant l's du pluriel, il devait en résulter à l'origine une forme différente pour le singulier et le pluriel dans les substantifs, et pour le masculin et le féminin dans les adjectifs. Par suite aussi, à une époque postérieure, le besoin d'analogie a pu ramener l'une de ces deux formes à l'autre, celle pourvue de l non vocalisée à u, et inversement, et celle pourvue de l mouillée à l simple, et inversement (§§ 559, 585).

1º C'est ainsi que tous les mots en eau final correspondant à èl sont des formes analogiques créées d'après le pluriel régulier en eaus, eaux : arbrisseau, barbeau, carreau, cerveau, ciseau, damoiseau, fléau, fuseau, etc., ont remplacé les anciennes formes régulières arbrissel, barbel, carrel, cervel, cisel, etc., sous l'influence des pluriels en eaux. L'ancien substantif pel de palum faisait au pluriel peus, et dialectalement pieus ; la forme actuelle pieu est tirée de ce pluriel dialectal. Il en a été de même pour les adjectifs beau, jumeau, nouveau, etc. Toutefois, pour les adjectifs, certains ont gardé l'ancienne forme dans le cas où ils sont placés devant une voyelle : bel enfant, bel et bon, etc.

Inversement, la forme du féminin dans les adjectifs a protégé l'l du masculin qui en ancien français se vocalisait au pluriel ; cruel, pluriel crueus ; tel, pluriel teus ; une forme unique en el a été adoptée pour les deux genres et les deux nombres.

2º C'est ainsi que des mots en l, comme genouil, pouil, verrouil, ont été remplacés par genou, pou, verrou sous l'influence du pluriel genoux, poux, verrous. De même vieil, qui n'a été conservé que devant une voyelle, a été remplacé devant une consonne par vieux. Inversement, mais dans des mots relativement récents, la forme en ail a supplanté au pluriel la forme en aux : ainsi dans épouvantail, éventail, plumail, portail, etc.

Des formes où l était mouillée primitivement ont pris une l simple : avrill, cill, périll, sont devenus avril, cil, péril. Inversement, des formes où l était simple ont pris une l : anguile dans anguille, gentil dans gentilhomme et le féminin gentille.

Chevreul est devenu chevreuil sous l'influence de mots comme deuil, seuil ; sous la même influence, on a la forme linceuil à côté de linceul. Enfin l'ancien français sarcueu lui-même, de sarcofagum, bien que n'ayant point d'l étymologique, est devenu cercueil.

§ 465. -- L dans un groupe de consonnes romano.

L second élément d'un groupe de consonnes roman persiste en général : fab(u)la, fable ; masc(u)lum, masle, mâle ; mer(u)lum, merle ; *misc(u)lare, mêler ; rot(u)lum, rôle ; etc.

Apôtre de apost(o)lum, chapitre de capit(u)lum, chartre de chart(u)la, épître de epist(o)la, titre de tit(u)lum,l s'est changée en r, et amande de amygdala, ange de angelum, où elle a disparu, sont des mots demi-savants.

Elle s'est changée en n dans marg(u)la, marne ; pess(u)lum, pêne ; poster(u)la, poterne.

Entre m et l s'intercale un b (§ 361, IV) : cum(u)lum, comble ; hum(i)lem, humble ; sim(u)lare, sembler ; etc.

L premier élément d'un groupe de consonnes roman est surtout à considérer dans le groupe lr ; entre l et r s'est intercalé un d (§ 361, IV) : *fulg(e)rem (class. fulgur), foildre, foudre ; mol(e)re, molre, moldre, moudre ; pulv(e)rem, poldre, poudre ; solv(e)re, solre, soldre, soudre ; etc. Dans ficelle, fincelle, de *filicella, il y a eu dissimilation ; voir § 361.

§ 466. -- M initiale.

M initiale subsiste : magis, mais ; manum, main ; mare, mer ; mola, meule ; murum, mur ; etc.

Elle s'est toutefois changée en n dans : mappa, nappe ; matta, natte ; mespila, nèfle.

§ 467. -- M médiale entre deux voyelles.

M médiale entre deux voyelles persiste : amarum, amer ; humanum, humain ; limare, limer.

Sur l'orthographe de homme, pomme, etc., voir § 475.

§ 468. -- M finale latine.

M finale latine tombe régulièrement, comme nous l'avons vu (§ 291), sauf dans quelques monosyllabes où elle est devenue n : m(e)um, mon ; t(u)um, ton ; s(u)um, son ; rem, rien ; etc. Sur la prononciation de cette n, voir § 475.

Pourtant de jam a perdu l'm.

§ 469. -- M finale romane.

M devenue finale en roman se change en n ; mais cette n a été souvent remplacée par m dans l'orthographe actuelle par réaction étymologique : aeramen, airain ; damum, daim ; examen, essaim ; famem, faim ; homo, on ; nomen, nom ; nutrimen, nourrain ; etc. Sur la prononciation de cette m ou de cette n, voir §§ 470 et 475.

§ 470. -- M finale de syllabe.

M finale de syllabe, comme dans em-porter, nom, etc., se prononçait à l'origine, mais s'est amuïe de bonne heure, comme on le verra § 475.

§ 471. -- MM médiale et finale.

Mm, soit médiale, soit finale, s'était réduite en ancien français à une simple m ; mais, comme nous le verrons § 475, la voyelle précédente étant nasalisée, on a, dans l'intérieur du mot, rétabli mm, pour marquer par la première m cette nasalisation : flamma, flamme, gemma, gemme ; summa, somme ; etc. Flamber paraît être sorti non de flammer, mais d'une ancienne forme *flambler (§ 361).

§ 472. -- M dans un groupe de consonnes latin ou roman.

M second élément d'un groupe de consonnes subsiste quand elle est suivie d'une voyelle : arma, arme ; firma, ferme ; lacr(i)ma, larme ; palma, paume ; sept(i)mana, semaine ; vermic(u)lum, vermeil ; etc. Suivie d'une consonne, elle tombe, sauf devant n : dorm(i)torium, dortoir ; dorm(i)t, (il) dort ; mais germinare, germer.

Elle a été remplacée par un b entre deux r : *marm(o)r, marbre.

M premier élément d'un groupe de consonnes subsiste en général ou se change en n, particulièrement devant les dentales, les palatales et l'i en hiatus ; mais, comme on le verra (§ 475), l'm ou l'n ne se prononcent plus, sauf dans les mots où la voyelle précédente, de nasale qu'elle était, est devenue orale : *cambiare, changer ; com(i)tem, comte ; comp(u)tare, conter, compter ; gamba, jambe ; hom(i)nem, homme ; intam(i)nare, entamer ; lam(i)na, lame ; nom(i)nare, nommer ; rum(i)cem, ronce ; rump(e)re, rompre ; sem(i)nare, semer ; sem(i)ta, sente ; simium, singe ; tempus, tems, temps ; vindemia, vendange ; etc. Colonne de columna forme exception ; l'ancien français avait aussi la forme inexpliquée colombe, qui est restée dans le langage technique.

Sur l'orthographe de certains de ces mots par mm, voir § 475.

Il faut noter à part les groupes ml, mr où un b s'est intercalé entre les deux consonnes (§ 361, IV) : cam(e)ra, chambre ; cum(u)lare, combler ; hum(i)lem, humble ; num(e)rum, nombre ; sim(i)lare, sembler ; trem(u)lare, trembler, etc. Dans craindre de trem(e)re, empreindre de *imprem(e)re, geindre de gem(e)re, il y a eu substitution analogique de la terminaison infinitive dre à la terminaison bre des anciennes formes régulières criembre, empriembre, giembre.

§ 473. -- N initiale et finale.

N initiale subsiste : nasum, nez ; navem, nef ; noctem, nuit ; nomen, nom ; nutrimen, nourrain ; etc.

N finale latine ne se présente que dans quelques mots neutres comme examen, nomen, nutrimen, etc. Elle a dû tomber de bonne heure et n'a point laissé de traces. Elle s'est toutefois conservée dans non de non et dans en de in.

§ 474. -- N médiale entre deux voyelles.

N médiale entre deux voyelles subsiste : donare, doner, donner ; honorem, honneur ; humana, humaine ; lana, laine ; minare, mener ; una, une ; etc.

Sur l'orthographe de certains de ces mots par nn, voir § 475.

§ 475. -- Nasalisation de M et de N à la fin des syllabes ou entre deux voyelles.

Du XIe siècle au XVIIe siècle se produisit pour l'm et l'n le phénomène important de la nasalisation de la voyelle précédente (§ 286). Ce changement atteignit d'abord les voyelles a, e, les diphtongues ai, ei, plus tard la voyelle o et les diphtongues ie, oi, enfin les voyelles i et u.

A l'origine, la voyelle nasale n'absorbe pas encore, comme elle le fera plus tard, tout le son de l'm ou de l'n qui la suit. La consonne conserve toujours sa valeur pleine et entière, en rendant nasale la voyelle précédente : chanter ne se prononce pas chã-té, comme aujourd'hui, mais chã-n'-ter. De là à une certaine époque pour l'm et l'n médiales l'orthographe mm, nn, où la première consonne indique la nasalisation de la voyelle : pomme, couronne, honneur, antienne, chienne, etc. Nous avons conservé un souvenir de cette ancienne prononciation dans les liaisons : mon âme, prononcé mon-nâme ; toutefois on prononce aussi mo-nâm, avec passage de la voyelle nasale à la orale.

Nous allons étudier successivement chacune des voyelles qui ont été nasalisées par leur contact avec m ou n.

§ 476. -- A nasal.

A nasal se forme à l'origine de a entravé suivi de m ou n : annum, an ; campum, champ ; cantum, chant ; etc. Puis son domaine s'est agrandi aux dépens de e (§ 477).

§ 477. -- E nasal.

E nasal vient de è ou de é suivis de m ou n devant une consonne. Il se prononçait comme nous prononçons aujourd'hui in, ain, ein. Mais vers la fin du XIe siècle il commençait à se fondre avec an et à en prendre le son : findit devenait successivement fèn't, fen't, puis fãn't. Le changement était opéré au XIIe siècle, si bien qu'il n'existait plus alors de son nasal e, sauf pour la diphtongue ien. La transformation fut assez radicale pour que parfois l'orthographe la suivît. Dans le courant du XIIIe siècle et du XIVe, on prit l'habitude d'écrire an au lieu de en étymologique, et cette orthographe s'est maintenue dans un grand nombre de mots : cingula, sangle ; *diamin(i)ca, dimenche, dimanche ; findere, fendre ; insimul, ensemble ; lingua, langue ; tendere, tendre ; vendere, vendre ; etc.

L'e nasal se produit encore dans le monosyllabe atone in, en, même quand la préposition est suivie d'une voyelle. La consonne se fait entendre devant une voyelle suivante dans les mots composés : ennui (inodium), enivrer, etc., qui se prononçent ã-nui, ã-nivrer, plus anciennement e-nui, e-nivrer.

§ 478. -- O nasal.

Au XIe siècle, la syllabe on assone avec ó pur, mais plus souvent encore avec elle-même, ce qui indique un commencement de nasalisation. Au XIIe siècle, le son nouveau ô est entièrement formé. Il provient :

1º De l'ò et de l'ó entravés devant m ou n : bon(i)tatem, bonté ; com(i)tem, comte ; longum, long ; rump(e)re, rompre ; etc.

2º De ò et de ó libres, devant m ou n devenue finale : bonum, bon ; homo, on ; nomen, nom ; etc.

§ 479. -- I nasal, U nasal.

I nasal ne date que du milieu du XVIe siècle. La syllabe in se prononçait encore i-n' dans la première moitié du XVIe siècle. Dans la seconde moitié, elle prend un son intermédiaire entre i-n' et le son nasal i ; ce n'est que peu à peu et graduellement qu'elle finit, au XVIIIe siècle, par se fondre avec i et par prendre le son que nous lui donnons dans fin, vin.

U nasal date de même de la seconde moitié du XVIe siècle ; auparavant un se prononçait u-n' en conservant à l'u sa valeur primitive ; peu à peu l'u en se nasalisant a pris le son de eu ouvert que l'on entend dans jeun, un, etc.

§ 480. -- Diphtongues nasales AIN, EIN, OIN, IEN.

Les diphtongues ai, ei, oi se sont nasalisées à peu près à la même époque que les voyelles a, e, o ; mais la nasalisation n'affectait d'abord que la première voyelle de la diphtongue : main se prononçait mã-in', plein ple-in'. Puis, quand ai et ei se furent confondus en è, les diphtongues nasales correspondantes se réduisirent à en' : pain, aime, plein, furent prononcés pe-n', e-m', ple-n'. Pour la diphtongue nasale oin, comme la diphtongue oi était passée à oè, puis à (§ 309), elle passa à we : foin, moins, prononcés d'abord fô-in', mô-in's, furent prononcés fwe, mwe.

Quant à la diphtongue ien, elle ne date que du XIIe ou XIIIe siècle. Née après le changement de e en ã, cette diphtongue conserve jusqu'à nos jours le son e qui lui est propre : chien, mien, rien, etc.

§ 481. -- Changement des voyelles nasales en voyelles orales.

Jusqu'au XVIIe siècle, les voyelles a, e, o précédant n ou m étaient nasalisées même lorsque les nasales étaient suivies d'une voyelle ; on prononçait fãme, chiene, pôme, courône. Mais à partir de cette époque on s'est mis à prononcer devant n ou m les voyelles orales correspondant aux anciennes nasales ; de là la prononciation de année, couronne, flamme, donner, honneur, constamment et les adverbes analogues, etc., en dépit de l'orthographe qui a conservé la double nasale, signe de l'ancienne prononciation. Dans d'autres mots comme âme, entamer, l'orthographe a suivi la prononciation. Dans femme, hennir, prudemment et les adverbes analogues, l'e s'étant confondu avec l'ã, c'est l'a oral et non l'e oral qu'on entend dans la prononciation. Dans grammaire, si les deux m se font entendre aujourd'hui, c'est sous l'influence de la prononciation du mot latin correspondant.

§ 482. -- N mouillée nasale médiale.

N suivie d'un i en hiatus, ou d'une consonne dégageant un i, a pris un son particulier appelé n mouillée (ñ), noté par ign dans l'intérieur des mots ; mais en ancien français l'ñ produisait un effet identique à celui de l'n simple, c'est-à-dire qu'elle rendait nasale la voyelle précédente : ainsi châtaigne de castanea se prononçait chatãi-ñe ; la voyelle, de nasale, redevint orale au XVIIe siècle, et l'on prononça comme aujourd'hui châtai-ñe. De là : aranea, araigne et aragne ; balneare, baigner ; campania, champagne ; *caronia, charogne ; *dignare (class. dignari), daigner ; inguina, eingne, aigne, aine ; linea, ligne ; *montania, montagne ; *pinnionem, pignon ; *renionem, rognon ; seniorem, seigneur ; vinea, vigne ; etc.

Dans quelques mots, l'i en hiatus s'est changé en j au lieu de mouiller l'n (§ 356, 1º) : extraneum, étrange ; laneum, lange ; lineum, linge ; etc.

§ 483. -- N mouillée finale.

Le traitement de ñ médiale était identique en ancien français pour ñ finale ; ainsi loin de longe se prononçait lôi-ñ. Mais dès le XIIIe siècle, l'n a perdu le son mouillé, et les diphtongues nasales qu'elle a formées en s'unissant avec la voyelle précédente se sont confondues avec celles que nous avons étudiés § 480 ; l'orthographe actuelle hésite entre n et ng : balneum, bain ; cotoneum, coing ; cuneum, coin ; junium, juin ; *perpaginem, parpaing ; plantaginem, plantain ; propaginem, provin ; pugnum, poing ; etc.

§ 484. -- N en groupe roman.

N premier élément d'un groupe roman persiste en général, et, quand la consonne suivante est une r, il s'intercale un d ; si c'est une l, il s'intercale un g (§ 361, IV) : cin(e)rem, cendre ; cing(e)re, *cing're, *ceny're, ceñdre, ceindre ; jung(e)re, joindre ; man(i)ca, manche ; spin(u)la, épingle ; string(e)re, étreindre ; ten(e)rum, tendre ; etc.

N second élément d'un groupe persiste dans as(i)num, asne, âne ; galb(i)num, jaune ; *jov(e)nem, jeune ; retina, rêne, etc. Dans dom(i)na et fem(i)na, il y a une assimilation de l'n à l'm. Dans peigne de pect(i)nem, l'i dégagé par le c a mouillé l'n. Dans carp(i)num, charme, le p avant de disparaître a changé l'n en m (§ 431).

Elle s'est changée en r dans un certain nombre de mots demi-savants comme : coph(i)num, coffre ; diac(o)num, diacre ; ord(i)nem, ordre ; pamp(i)num, pampre ; tymp(a)num, timbre ; etc.

§ 485. -- N en groupe latin.

N premier élément d'un groupe latin persiste devant les labiales (30), les dentales ou les palatales : centum, cent ; infantem, enfant ; longum, lonc, long ; tendere, tendre ; vindemia, vendange ; etc.

Nn s'était réduit à n, mais a été rétabli par réaction étymologique : annellum, anel, puis anneau.

Devant s, n est tombée régulièrement et à une époque très ancienne : suffixe ensem, ois ; insula, île ; mansionem, maison ; mensem, mois ; mensura, mesure ; sponsa, épouse ; etc. Penser, à côté de peser, est dû à un nouveau participe *pendsus, tiré de pendere.

2º Pour n second élément d'un groupe latin il faut distinguer n médiale de n finale.

N finale est tombée à partir du XIIe siècle : carnem, charn, chair ; diurnum, jorn, jour ; furnum, forn, four ; infernum, enfern, enfer ; etc. Par suite, nn finale se réduit à n : annum, an ; pannum, pan ; vannum, van ; etc.

N médiale persiste : carnarium, charnier ; diurnale, journal ; furnarium, fournier ; ornare, orner ; etc.

§ 486. -- R initiale et médiale entre deux voyelles.

R soit initiale, soit médiale entre deux voyelles subsiste régulièrement : rationem, raison ; rem, rien ; ripa, rive ; rumpere, rompre ; -- amara, amère ; corona, couronne ; durare, durer ; parare, parer ; etc.

Pour les cas de dissimilation de r médiale, voir § 361.

§ 487. -- R finale.

R finale en latin ou devenue finale en roman persiste toujours : amarum, amer ; cantare, chanter ; carum, cher ; mare, mer ; per, par ; etc. Toutefois elle s'est changée en l dans autel, altel, de altare.

A partir du XIIIe siècle, r finale cessa d'être prononcée dans les mots de plus d'une syllabe ; peu à peu, et la plupart du temps sous l'influence de mots savants ou de la prononciation latine, elle a été rétablie pour beaucoup de mots.

§ 488. -- R devenant S entre deux voyelles.

Dans certains cas, l'r entre deux voyelles s'est changée en s sonore : chaise à côté de chaire de cathedra, besicles pour l'ancien français bericles, altération de beryl emprunté au latin beryllus. Ce sont les deux traces d'une prononciation parisienne du XVIe siècle qui échangeait l'r et l's entre deux voyelles ; on disait pèse, mèse, frese pour père, mère, frère, etc.

§ 489. -- R double.

R double s'est maintenue dans la prononciation et l'orthographe jusqu'au XVIIe siècle ; à partir de cette époque, elle s'est réduite à r simple dans la prononciation, sauf dans quelques futurs comme courrai, mourrai, querrai. Dans d'autres mots, comme horreur, terreur, etc., rr a reparu sous l'influence de la prononciation latine. Notons que currere, courre, était devenu de bonne heure *curere en latin vulgaire.

§ 490. -- R second élément d'un groupe de consonnes latin ou roman.

R second élément d'un groupe de consonnes latin ou roman persiste dans tous les cas : capra, chèvre ; latronem, ladron, larron ; matrem, medre, mère ; nigra, neire, noire ; perd(e)re, perdre ; etc.

§ 491. -- R premier élément d'un groupe de consonnes latin ou roman.

R premier élément d'un groupe de consonnes latin ou roman persiste généralement, sauf dans quelques mots, devant s (§ 492) : arb(o)rem, arbre ; barba, barbe ; dormire, dormir ; fortem, fort ; etc.

R est tombée exceptionnellement dans babiche, babichon, pour barbiche, barbichon.

Sur brebis, fromage, treuil, voir § 361.

§ 492. -- Groupes RS, SR.

Le groupe rs s'était réduit déjà, en latin vulgaire, à s dans dorsum, *dossum, dos ; sursum, susum, sus ; il a subi plus tard le même traitement dans *persica (class. persicum), devenu *persche, pesche, pêche.

Pour le groupe sr, voir § 421.

§ 493. -- Résumé historique.

Ainsi, d'après tout ce qui précède, on a pu se rendre compte de quels changements profonds a été atteint le phonétisme latin.

I. Voyelles. -- Les pénultièmes brèves atones sont tombées les premières, dès l'Empire, de manière à ne laisser que des paroxytons. Quelques siècles plus tard, les atones finales tombèrent également ou se réduisirent à un son nouveau, l'e féminin, de manière que tous les mots furent accentués sur la dernière syllabe ou bien terminés par un e féminin, précédé immédiatement de l'accent. Les contre-finales tombèrent en même temps, de façon à amener la formation de nouveaux groupes de consonnes.

Les atones contre-toniques et initiales se maintinrent ou s'affaiblirent soit en e féminin, soit en o fermé.

Quant aux voyelles accentuées libres, de bonne heure a devient e ; è et ò passèrent à et uo, et plus tard é et ò à éi et ou. Suivis de consonnes nasales, a, o d'abord, puis u, et enfin i subissent un sort particulier.

Les voyelles entravées se maintiennent sans changement. Les hiatus, aux différentes époques de la langue, disparaissent suivant divers procédés.

Les palatales agissent sur les voyelles libres et entravées, en y ajoutant un élément nouveau, le yod, qui forme avec elles des diphtongues ou des triphtongues.

Les triphtongues se réduisent de bonne heure, par la chute de la voyelle médiale, soit à des diphtongues, soit à des voyelles.

Les diphtongues elles-mêmes, à leur tour, et quelle que fût leur origine, qu'elles fussent le développement des voyelles libres, celui des voyelles libres ou entravées précédées ou suivies d'une palatale, qu'elles sortissent d'anciennes triphtongues, ou enfin qu'elles fussent le produit de la vocalisation de l, se réduisirent, les unes plus tôt, les autres plus tard, à des voyelles simples.

II. Consonnes. -- Les consonnes initiales des mots se maintiennent ; les consonnes médiales s'affaiblissent ; les groupes de consonnes latins ou romans disparaissent, la dernière étant traitée comme initiale, la première tombant, si elle n'est l, r, m, n, s. L et s à leur tour ont disparu, la première changée en u, la seconde tombant et modifiant le son de la voyelle précédente. Les nasales, à une certaine époque, sont absorbées par la voyelle précédente. Les palatales se changent en un yod, ou en une sifflante, ou en une chuintante. Parmi ces dernières, ch, j et ts ou z perdent peu à peu leur élément dental pour aboutir au sens actuel.

Quant aux consonnes finales, elles s'amuïssent presque toutes avec le temps.

§ 494. -- Comparaison du phonétisme latin et du phonétisme français.

De ces changements, qui bouleversent le phonétisme latin, résulte une série de sons nouveaux, voyelles et consonnes.

Le latin populaire avait sept voyelles, a ouvert, e ouvert, e fermé, i, o ouvert, o fermé et u (ou), et une diphtongue au. Le français actuel a onze voyelles, a ouvert, a fermé, e ouvert, e fermé, i, o ouvert, o fermé, ou, ü, eu et e muet. Il a en plus quatre voyelles nasales, ã, e, ô, u. Le français a donc développé richement le système du vocalisme latin, si l'on se rappelle en outre que, dans sa première période, il a possédé dix diphtongues ai, éi, òi, ói, üi ; èu, òu, óu, ; iè, uò, et deux triphtongues ièu, uòu.

Une pareille richesse se retrouve dans le système du consonnantisme français, comparé au consonnantisme latin. Le latin populaire avait quinze consonnes simples, dont six explosives, b, p, d, t, g, c ; cinq continues, f, v (= w), s sourde, i consonne, h aspirée ; quatre liquides, l, r, m, n. Il avait une consonne double, le z ; de plus, le ph, qui valait soit p, soit f. Le français actuel a vingt-deux consonnes : b, p, f, v ; t, d, s sourde, s sonore ou z ; k, g, ch, j, l, r, m, n, l mouillée, n mouillée, h aspirée, i consonne, ou (ouate) et u (huile).

§ 495. -- Conflits entre la phonétique et l'analogie.

Le libre et régulier développement de ce phonétisme français a été quelquefois contrarié dans son jeu par l'analogie. Nous avons, à mainte reprise, montré l'influence sur certains sons d'autres sons voisins qui se sont substitués à eux. Nous avons vu des noms en er de are prendre ier sous l'influence de la terminaison ier sortie de arium : bouclier, écolier, sanglier, etc. Gras a remplacé cras, sous l'influence de gros, et gourde courde, sous l'influence de gourd, Nous avons signalé aussi la particularité de la langue actuelle qui ne conserve plus guère l'ancien balancement des toniques et des atones du radical au dérivé. Si le vieux français disait pièce, dépecer, le français moderne a créé empiécer, rapiécer, laissant dans le dérivé à la voyelle du radical la même valeur que lorsqu'elle était tonique dans le simple. Nous verrons plus abondamment dans les chapitres de la morphologie consacrés aux formes verbales l'effet de la force de l'analogie qui a détruit la variété de l'ancienne conjugaison et a établi l'uniformité au détriment de l'ancienne règle de l'accent tonique qui donnait : il aime, nous amons, il preuve, nous prouvons, pour la même raison que nous disons encore : il vient, nous venons ; il meurt, nous mourons.


Notes

1. Appelées aussi douces, parce qu'elles produisent un effet doux à l'oreille, le son de la voix étant mêlé au bruit consonnantique affaibli.i

2. Appelées aussi fortes, parce que, le souffle de la voix étant produit avec toute sa force, le son frappe fortement l'oreille.

3. Ou muettes, parce qu'on ne peut les prononcer sans le secours d'une voyelle.

4. Ou continues, parce que le son peut être continué ; ou spirantes, parce qu'il rappelle le souffle de la respiration.

5. Certains mots n'avaient pas d'accent tonique ; ce sont spécialement les monosyllabes employés comme prépositions ou comme adjectifs démonstratifs. En outre, quelques dissyllabes, comme les adjectifs possessifs et les adjectifs démonstratifs faisant fonction d'articles, n'avaient point non plus d'accent : mea, tua, sua, ille, illum, etc.

6. Dans les paragraphes suivants, nous citons la plupart des substantifs ou adjectifs masculins à l'accusatif, ce cas étant, comme on le verra (§ 537), celui qui a donné la forme actuelle des substantifs ou adjectifs masculins.

7. Crétin présente une contraction dialectale de chrétien.

8. Le c dans ces mots, étant tombé, il s'est produit une triphtongue : fuou, juou, luou. La triphtongue s'est réduite de deux façons : d'une part en u, et l'on a eu fu, ju, lu, d'autre part par la chute ou le changement de la première voyelle : fou, jiou, liou, d'où feu, jieu (plus tard réduit en jeu) et lieu.

9. Bois s'est réduit irrégulièrement à buis par l'intermédiaire de bouis.

10. L'assimilation et la dissimilation ont aussi un rôle dans la phonétique des voyelles : le latin vicinum est devenu vecinum (d'où le français voisin) par dissimilation, tandis que mercatum est devenu *marcatum (d'où le français marché) par assimilation. On n'a pas cru devoir consacrer un paragraphe particulier aux cas de ce genre ; mais on les a étudiés successivement dans les paragraphes consacrés à chaque voyelle. De même il faut se reporter à l'étude détaillée de chaque consonne pour les cas d'assimilation de deux consonnes qui se suivent immédiatement.

11. Au contraire, la métathèse qui peut se produire entre deux consonnes immédiatement voisines (comme laxare devenant *lascare) est renvoyée à l'étude particulière consacrée à chaque consonne..

12. Les faits exceptionnels de prosthèse (grenouille) et d'aphérèse (griotte, mie) seront étudiés dans le § 509. Quant à la prosthèse devant s initiale suivie d'une autre consonne, voir § 420..

13. Il faut tenir compte aussi de l'influence exercée par échanger, composé de changer.

14. Si grume se rattache au latin gluma, ce ne peut être en vertu d'un phénomène de dissimilation directe ; mais glumula devenu grumula pourrait à la rigueur avoir donné naissance par analogie à *gruma.

15. La chute de l'l dans épisser pour éplisser est inexpliquée ; dans ange, il faut voir une apocope de angele, ancien proparoxyton dont la prononciation devint bientôt impossible.

16. Boesse et gratte-boesse n'ont rien de commun avec brosse, mais se rattachent à buis, autrefois bois.

17. Sur la chute du j latin dans jejunum, jeun, voir § 398.

18. Sur la chute du b dans les imparfaits latins en abam, ebam, ibam, voir §§ 633 et 639.

19. Un cas assez difficile à classer et qui semble devoir être mentionné ici est celui de marguillier pour marriglier.

20. Le même phénomène s'observe dans le domaine des voyelles pour bluter, autrefois beluter (pour buleter), éteule, du latin vulgaire *stupila (pour stipula).

21. Dans le domaine des voyelles on ne constate guère d'épenthèse analogue que dans les mots anciens ou récents d'origine germanique (hanap, du germanique hnapp, etc.), ou dans les mots récents d'origine étrangère caleçon, de l'italien calzone ; voir pour ces cas §§ 498, 499 et 507. On peut expliquer de même l'e de souverain et de tourtereau.

22. Dans effondrer, fondrilles, l'r n'est pas épenthétique : elle représente l'r du latin vulgaire qui déclinait fundus, *fondoris, d'après corpus, corporis.

23. Il s'agit ici du français propre ; sur le traitement du c en normand et en picard, voir § 391.

24. Cf. pour tous ces mots le § 16.

25. Riule s'est aussi changé en ruile, d'où les mots actuels ruilée, ruiler.

26. On étudiera à la morphologie le t final du latin dans les formes verbales.

27. La forme neutre fundus a passé successivement par les formes fonds, fonts (écrit : fonz), fons, et plus tard fonds.

28. D'après cela, assiéger ne doit pas venir de *assediare, mais de *assedicare.

29. Le p, avant de disparaître, a transformé l'n en m.

30. Cependant l'n est tombée dans couvent, de conventum. Dans convoiter, l'n s'est, au contraire, introduite abusivement, sans doute par suite de l'hésitation qu'il y a eu longtemps entre convent et couvent.