ÉLÉMENTS NON LATINS
§ 496. -- Voyelles et diphtongues grecques (1).
Les voyelles grecques sont <GR= a>, <GR= e>, <GR= ê>, <GR= i>, <GR= o>, <GR= ô> et <GR= u>. L'<GR= e> et l'<GR= o> sont brefs ; l'<GR= ê> et l'<GR= ô> sont longs ; l'<GR= a>, l'<GR= i> et l'<GR= u> sont tantôt brefs, tantôt longs.
L'<GR= a> a été rendu en latin par a. On sait que le latin populaire ne distingue pas a bref de a long. Par suite, la distinction entre l'<GR= a> bref et l'<GR= a> long a disparu dans le passage des mots grecs en latin, et l'<GR= a> s'est absolument fondu avec l'a du latin pour suivre ses destinées ultérieures. Remarquons seulement que le grec <GR= parabolê>, latinisé d'abord en parabola, s'est bientôt réduit à *paraola, *paraula, d'où parole.
L'<GR= e> a été rendu par e (e bref) et a suivi les destinées de l'e latin : <GR= kathedra>, cathedra, puis cathedra, d'où chaiere, chaire, chaise ; <GR= petra>, petra, d'où pierre ; <GR= presbuteros>, presbyter, d'où prestre, prêtre ; etc.
L'<GR= ê> a été rendu par e (e long) et a suivi les destinées de l'e latin : <GR= kêros>, cera, cire (pour *cieire) ; <GR= sêpia>, sepia, sèche ou seiche ; etc. Une exception doit être notée pour le mot <GR= ekklêsia>, transcrit par ecclesia : le français église (pour *églieise) joint son témoignage à celui des autres langues romanes pour attester que le latin populaire prononçait ecclesia et non ecclesia (2).
L'<GR= i> bref est assimilé à l'i (i bref) du latin populaire et se confond avec e (e long) : <GR= artemisia>, artemisia, armoise ; <GR= baptismos>, baptismus, batesme, baptême ; <GR= episkopos>, episcopus, evesque, évêque ; <GR= kirkinos>, circinus, cerne ; <GR= sinapi>, sinapem, sanve, autrefois senve ; <GR= triphullon>, *trifolum, trèfle. Son assimilation a e bref dans *antephona, <GR= antiphônos>, d'où le français antienne, est due à l'étymologie populaire. Quand il est rendu en français par un i, c'est qu'on a affaire à des mots savants ou demi-savants : bible, de biblia, <GR= biblia> ; diable, de diabolus, <GR= diabolos> ; épître, de epistola, <GR= epistolê> ; migraine, de hemicrania, <GR= êmikrania> ; etc. (3). Un cas embarrassant est celui du grec <GR= telônion>, latinisé en telonium, teloneum : le français tonlieu, qui s'y rattache manifestement, semble reposer sur une forme du latin populaire *teloneum, dont on ne voit pas la raison d'être. -- L'<GR= i> long se rencontre rarement. Il est rendu par i (i long) latin dans <GR= kaminos>, caminus, chemin (4). En revanche, il a été confondu avec i bref, c'est-à-dire e long, dans : <GR= khrisma>, chrisma, cresme, chrême, et dans <GR= khristianos>, christianus, d'où crestien, chrétien, mot demi-savant.
L'<GR= o> semble avoir eu une prononciation plus fermée que celle de l'o bref latin, puisque le grec <GR= porphurê> a été transcrit par purpura (et non *porpura), d'où le français pourpre, et qu'au grec <GR= koleos> correspond le latin coleus, d'où le français couille. C'est ce qui explique que le latin tornus, du grec <GR= tornos>, prononcé avec un o (o fermé), ait donné le français tour, et que le français gouffre se rattache à <GR= kolpos>. Toutefois la correspondance de l'o bref latin et de l'<GR= o> grec se trouve dans <GR= khoros>, chorus, chœur, dans <GR= kolaphos>, colaphus, coup, dans <GR= karuophullon>, *garyophyllum, girofle, dans <GR= kolla>, *colla, colle, dans <GR= polupous>, polypus, pieuvre, dans <GR= sarkophagos>, sarcophagus, cercueil, dans <GR= troia>, troia, truie, et peut-être dans <GR= kalopous>, *calopia, galoche (5)
L'<GR= ô> a été rendu par o (o long) : <GR= kudônion>, cotoneum, d'où le français cooin, coing ; <GR= môron>, morum, d'où le français meure, mûre ; <GR= ôra>, hora, d'où le français heure ; etc. Il n'est pas sûr que truite remonte à un type du latin vulgaire tructa ; les auteurs latins écrivent aussi trocta (grec <GR= trôktês>) ; d'autres langues romanes remontent sûrement au latin tructa ou trocta, et le français truite est peut-être une altération d'un ancien *troite, comme buis d'un ancien bois.
L'<GR= u> bref a d'abord été rendu en latin archaïque par un u, écrit parfois, plus récemment, par un y. Il s'est assimilé à l'u latin, confondu dans le latin populaire avec o (o long) : <GR= bursa>, bursa (byrsa), bourse ; <GR= erpullon>, *serpullum (serpyllum), d'où le provencal serpol, serpolet, qui a passé en français serpolet ; <GR= thunnos>, thunnus (thynnus), thon ; <GR= thursos>, *thursus (thyrsus), trou (de chou) ; <GR= krupta>, *crupta (crypta), d'où l'ancien français croûte, remplacé au XVIe siècle par grotte, d'après l'italien grotta ; <GR= kuminon>, cuminum, d'où l'ancien français comin, aujourd'hui cumin ; <GR= lugx>, lunx (lynx), d'où le dérivé *luncea, type du français once ; <GR= puxida>, *buxida (pyxida), boiste, boîte ; <GR= puxos>, buxus, d'où l'ancien français bois, bouis, altéré récemment en buis ; <GR= tumbos>, tumba, d'où le français cuivre, reste inexpliquée l'hypothèse d'une dissimilation de u en o due au voisinage du p est peu vraisemblable.
Dans les mots passés plus récemment du grec en latin, l'<GR= u> bref est assimilé à l'<GR= i> bref, confondu avec e (e long) : <GR= amugdalê>, *amigdala (amygdala), d'où le français amande, autre-par amende ; <GR= kuknos>, *cicinus (cycnus), d'où l'ancien français cisne, écrit aujourd'hui cygne fois restauration étymologique (6)
L'<GR= u> long a été très anciennement assimilé à l'i long du latin, bien qu'on l'ait transcrit par un y et quelquefois par un u : <GR= kuma>, *cima (cyma), cime ; <GR= kumation>, *cimatia (cymation, cumation), cimaise (7).
Les diphtongues grecques sont : <GR= ai>, <GR= au>, <GR= ei>, <GR= eu>, <GR= oi> et <GR= ou>.
A<GR= i> a été rendu en latin par ae et a suivi les destinées de cette diphtongue latine : <GR= blaisos>, blaesus, ancien français blois, d'où bléser ; <GR= graikos>, graecus, ancien français grieu, griu, d'où le féminin grive pris substantivement ; <GR= ioudaios>, judaeus, ancien français juieu, juiu, d'où le féminin juive dont on a tiré le masculin juif ; etc. (8).
A<GR= u> a été rendu par au et a suivi les destinées de cette diphtongue latine : <GR= kaulos>, caulis, chou ; <GR= kauma>, cauma, d'où *caumare, chômer ; <GR= pausis>, pausa, pose ; etc.
E<GR= i>, assimilé sans doute à l'ancienne diphtongue ei du latin, s'est comme elle réduit à i dans la période classique : <GR= leimax>, limax, d'où *limacea, limace ; <GR= leirion>, lilium, lis ; etc.
E<GR= u> se trouve rarement. <GR= Keleusma>, que les auteurs classiques transcrivent celeusma, semble être devenu dans la langue populaire *clusma, d'où l'italien ciurma, passé en français sous la forme chiourme. Rhume de rheuma, <GR= reuma>, est un mot demi-savant.
O<GR= i> a été rendu par oe et a suivi les destinées de cette diphtongue : <GR= poinê>, poena, peine.
Dans le latin ecclésiastique parochia (d'où le français paroisse), qui correspond pour le sens au grec <GR= paroikia>, l'o, comme le ch, est dû à une confusion entre <GR= paroikos>, et <GR= parokhos>.
O<GR= u>, assimilé à l'ancienne diphtongue ou du latin, s'est réduit comme elle à u dans la période classique : <GR= bouturon>, butyrum, ancien français burre, devenu plus récemment beurre ; <GR= mousa>, musa, d'où *musare, muser ; <GR= skiouros>, *scurius (métathèse pour sciurus), d'où *scuriolus, écureuil.
§ 497. -- Consonnes grecques.
Les consonnes simples du grec sont : <GR= b>, <GR= g>, <GR= d>, <GR= k>, <GR= l>, <GR= m>, <GR= n>, <GR= r>, <GR= s>, <GR= t>, auxquelles correspondent respectivement en latin b, g, d, c, l, m, n, r, s, t. Dans les emprunts faits par le latin au grec, les consonnes grecques ont été rendues par les consonnes latines correspondantes. Le k et le p paraissent avoir été plus sonores que le c et le p latins, et ils ont été quelquefois rendus non par c et p, mais par les sonores g et b. De là en français buis (autrefois bouis), de buxus, <GR= puxos> ; boîte (autrefois boiste), de *buxida, <GR= puxida> ; église, de *egglesia pour ecclesia, <GR= ekklêsia> ; girofle, de *garyophyllum (caryophyllum), <GR= karuophullon> ; gouffre, de *golfus, <GR= kolpos> ; goujon, de gobionem, <GR= kôbios>. Le <GR= g> initial est tombé dans <GR= glukurriza>, transcrit d'abord par glycyrrhiza, puis devenu liquiritia (par étymologie populaire, d'après liquidus), d'où le français demi-savant réglisse. Dans <GR= amugdalê>, amygdala, le <GR= g> est rendu par n : de là amande ; dans <GR= sagma>, sagma, et <GR= smaragdos>, smaragdum, il s'est changé de bonne heure en l : de là salme, saume, somme, et esmeralde, esmeraude, émeraude. Le <GR= b> de <GR= abrotonon>, abrotonon, s'est vocalisé en u dans le français propre aurone ; mais beaucoup de patois ont un v et non un u. Les autres consonnes simples ne donnent lieu à aucune remarque particulière.
Les consonnes doubles du grec sont : <GR= z>, <GR= x> et <GR= ps>. Le latin a transcrit <GR= x> par x, et <GR= ps> par ps : il n'y a qu'à renvoyer pour ces sons à ce qui a été dit aux §§ 387 (x) et 425 et 429 (p en groupes). Pour le <GR= z>, il y a eu hésitation. Très anciennement on l'a rendu par ss : <GR= maza>, massa, d'où le français masse. Plus tard, on l'a adopté sous sa forme propre, z, mais la prononciation l'a assimilé au son de j ou du groupe di en hiatus, et la graphie des inscriptions et des manuscrits est quelquefois conforme à la prononciation. C'est ainsi qu'on trouve : catomidiare, pour catomizare, de <GR= katômizein> ; judæidiare, pour judaizare, de <GR= ioudaizein> ; oridia, pour oryza, de <GR= oruza> ; et inversement zabolus, de <GR= diabolos> ; zeta, de <GR= diaita> (9) ; etc. De là le français jaloux, de zelosum, dérivé de <GR= zêlos>, et les nombreux verbes en oyer, ayer ou ier qui correspondent à la désinence latine izare, du grec <GR= izein> (10). Dans les emprunts postérieurs, le z, transcription du grec <GR= z>, paraît être confondu avec s sonore : <GR= Lazaros>, Lazarus, *las're, ladre.
Le grec possède en outre trois consonnes aspirées : <GR= th>, <GR= kh> et <GR= ph>. Les Romains ont de bonne heure laissé tomber l'aspiration dans les deux premières, et, bien que l'orthographe classique les rende par th et ch, ces deux consonnes se sont absolument confondues avec t et c (11). Il en a été de même, à l'origine, de <GR= ph>, que les textes latins archaïques rendent simplement par p. L'ancien usage s'est conservé dans : <GR= kolaphos>, *colapus (colaphus), coup ; <GR= strophos>, stroppus (strophus), étrope ; <GR= phalagx>, palanca (phalanga), palanche ; <GR= phantasia>, *pantasia (phantasia), d'où *pantasiare, anc. franç. pantoisier, d'où pantois.
Plus récemment, le <GR= ph>, rendu par ph, s'est confondu avec f : <GR= karuophullon>, *garyophyllum, girofle ; <GR= orphanos>, orphanus, d'où *orphaninus, orphelin ; <GR= phantasma>, phantasma, fantôme (12); etc.
ÉLÉMENTS GERMANIQUES
§ 498. -- Voyelles et diphtongues germaniques.
Au moment des invasions barbares en Gaule, les idiomes germaniques possédaient à peu près les mêmes sons que le latin, et l'assimilation s'est faite avec la plus grande facilité. Nous ne noterons que les faits dignes de remarque, renvoyant pour l'ensemble à la phonétique des éléments latins.
L'a germanique libre devient e comme l'a latin lorsqu'il est accentué, et reste a quand il est atone : hatjan romanisé en *hatire a donné haïr à l'infinitif, mais het, écrit plus récemment hait, à la 3e personne du singulier du présent de l'indicatif ; brasa a donné brese, écrit plus récemment braise, mais les dérivés et composés brasier, embraser, etc. Toutefois dans les mots empruntés plus récemment par le français aux idiomes germaniques (allemand proprement dit, néerlandais, scandinave, etc.) avec lesquels il s'est trouvé en contact, le changement d'a libre en e ne se produit plus : hase, rade, rate, sale, vague, etc. En contact avec la palatale ou la nasale, l'a germanique libre donne naissance soit à ai, soit à ié, dans les mêmes conditions que l'a latin : haie (haga) ; ancien français eschiele (pour eschiere), escadron, devenu plus récemment échelle (skara) ; saisir (sazjan) ; la désinence -an dans les noms germaniques aboutit à ain en français : Bertain, Ayen, et par extension nonnain, putain. La désinence ari aboutit à ier, comme la désinence latine arium : sparwari, épervier.
L'e ouvert, noté e et ë, en syllabe ouverte accentuée, se diphtongue en ié, comme l'e bref latin, dans bief (beti), bière (bëra), fief (fëhu) ; en syllabe ouverte atone, il ne se diphtongue pas, mais il peut subir l'influence d'une palatale consécutive, et devenir ei, oi, comme dans broyer (brëkan) ; son changement en i dans déchirer (skërran) et dans épier (spëhan) est exceptionnel. Devant une r et quelquefois devant une l, dans la syllabe atone et quelquefois dans la syllabe accentuée, il passe facilement à a : écharpe (skerpa), falaise (felisa), garant (wërento), (loup-)garou (wërewulf), harde (troupeau) (hërda). En syllabe fermée, il reste e ouvert : guerre (wërra), haubert (halsbërg), héberge (heribërga), etc. Devant une l, il donne naissance au son eal, eau, comme l'e bref latin : heaume (hëlm).
L'e fermé se diphtongue en ei, oi en syllabe ouverte accentuée comme l'e long latin : *roi, élément composant de arroi, désarroi, corroi, qui représente un radical germanique red. Pourtant la diphtongue ne s'est pas produite dans regret, que l'on rattache au radical qui se trouve dans le gothique gretan ; cela tient sans doute, comme le montre d'ailleurs la conservation du t intervocalique, à ce que le mot n'appartient pas à la couche primitive des mots germaniques passés en français.
L'i bref aboutit, comme l'i bref latin, au même résultat que l'e long dans befroi et effroi, qui se rattachent à fridhu, paix, dans époi, de spit, variante de speot (d'où épieu), et dans falaise (fëlisa). Lorsqu'il est atone ou dans une syllabe fermée, il se change en e sans se diphtonguer : crèche (krippja) ; faîte, ancien français feste (first) ; feutre, ancien français feltre (filt) ; guerdon, ancien français guerredon (widerlon) ; sénéchal (siniskalk) ; lèche (liska) ; tette (titta).
Devant une nasale on a primitivement en, puis ordinairement an : bande, ancien français bende (binda) ; chambellan, ancien français chamberlenc (kammerling) ; clenche (klinka) ; éperlan (spierling) ; harangue, ancien français harengue (hring) ; hareng (haring) ; rang, ancien français renc (ring) ; ancien français sen (sinn), d'où forcené.
Devant le groupe sk non suivi d'un a, il se produit une métathèse de sk en ks, et le k dégage un i qui se combine avec l'e pour donner ei, oi, ai : frais, ancien français freis (frisk) ; le féminin, primitivement fresche, a subi l'influence du masculin.
Dans quelques mots entrés plus récemment en français, l'i bref germanique s'est conservé : bitte, crique, écrevisse, équiquer, guimpe, lippe, sigler (devenu plus récemment singler), tique, etc.
L'i long reste normalement i, quelle que soit l'époque où les mots germaniques ont passé en français : bise (bisa), bride (brida), canif (knif), échine (skina), éclisse (slizan), gripper (gripan), gris (gris), guile, d'où guiller (wile), guigne (wihsila), litre, liteau (lista), riche (rikja), etc.
L'o ouvert se diphtongue en ue, eu (qui aboutit exceptionnellement à oue, oua) comme l'o bref latin dans une syllabe ouverte accentuée ; il devient ou quand la syllabe est atone : ancien français breu (brod), d'où brouet ; fauteuil, ancien français faldestuel (faldastol) ; fouarre, ancien français fuerre (fodr), d'où fourrage ; freux (hrok), ancien français huese (hosa), d'où houseau ; orgueil (urgoli), etc. Il y a eu dissimilation dans éperon, ancien français esperon, esporon (sporo).
Quand la syllabe est fermée, l'o reste o ouvert : bord (bord), étoc (stokk), etc.
L'o fermé est très rare ; il est rendu par ou sans diphtongaison dans bouter (*botan) et dans escoute (*skota).
L'u bref ne paraît se trouver qu'en syllabe fermée ; atone ou accentué, il devient également ou : adouber (dubban), bouc (bukk), bourg (burg), brou (brust), fourbir (furbjan), fournir (frumjan), ancien français hourd d'où hourder (hurd), housse (*hulstja), houx (huls), soupe (*suppa), toucher (*tukkon), touffe (*tuppha), tourbe (*turba).
Il faut noter cependant que devant r on a quelquefois o pour ou : morne (*murnj), orgueil (urgoli). De même devant la nasale et la palatale : coife (chuppha, latinisé de bonne heure en cofea), essoine et soin, soigner (*sunnja), etc.
Les mots empruntés plus récemment rendent quelquefois l'u bref par u (tel semble être le cas pour but et butte, dont le type germanique exact n'est d'ailleurs pas assuré, et de esturgeon, sturjo) ou par ou (loustic, de lustig).
L'u long germanique subsiste partout, mais en prenant, comme l'u latin, la prononciation de l'u français actuel : bru (brud) ; brun (brun) ; ancien français buc (buk), d'où trébucher ; cruche (kruk) ; écume (skum) ; gru (*grut), d'où gruau ; tuyau (*tuda).
La diphtongue ai, notée aussi ei, a perdu son second élément dans les plus anciens emprunts faits par le français au germanique : avachir (*waikjan) ; gagner, ancien français gaagnier (*waidhanjan) ; hameau (haim-) ; hâte (*haifst) ; etc. Dans les mots passés plus récemment en français, elle est rendue par ai, qui a pu devenir ensuite è : guère, ancien français guaire (weigaro) ; haiter dans souhaiter (*haitjan) ; héron, ancien français hairon (heiger) ; laid (laid) ; etc.
La diphtongue au devient o et, sous l'influence de la palatale, oi : choisir (*kausjan) ; honnir, honte (*haunjan, *haunitha) ; loge (*laubja) ; lot (laut) ; robe (*rauba) ; roseau (raus) ; rôtir (raustjan) ; etc. Dans bleu, la diphtongue eu est sortie de ou (comme feu de fou), et cet ou paraît dû à la diphtongue allemande au combinée avec un u ou un o consécutif, comme si le germanique avait possédé la forme *blauo à côté de blao (génitif blawes). Si éteuf vient de staup, on doit aussi supposer que au s'est combiné avec un u produit par la vocalisation du p ; mais l'étymologie est peu sûre. Au a été rendu par ou dans le mot récent sourcrout (sauerkraut), devenu par étymologie populaire choucroûte.
Les diphtongues eu, iu, eo, io, ie se trouvent rarement dans les mots germaniques passés en français, et il est difficile de dire pourquoi elles aboutissent tantôt à iè, tantôt à i : bière (bior), échif, de l'ancien français eschiver (skiuhan), épieu (spiot), espiègle (eulenspiegel), étrier (*streupo), etc.
§ 499. -- Consonnes germaniques.
Aspirée. -- Nous avons vu (§ 372) que l'h latine avait disparu en français. Il n'en est pas de même de l'h germanique initiale. Devant une voyelle, elle subsiste toujours ; mais si autrefois elle avait la valeur propre de l'aspiration, aujourd'hui elle ne sert plus qu'à empêcher la liaison : hache (hacke), haie (haga), haïr (hatjan), halbran (halberent), halle (halla), etc. Devant l, r, n, elle ne se conserve que si une voyelle s'intercale, comme dans hanap (hnapp), harangue (hringa). Sinon, elle tombe ou se change en f : rang (hring), freux (hrok), frimas (hrim). Dans l'intérieur des mots, entre deux voyelles, elle disparaît ordinairement : échif de l'ancien français eschiver (skiuhan), épier (spëhan), fief (fëhu) ; devant une autre consonne, elle se change en i dans les mots anciens et disparaît dans les mots récents : guetter, anc. franç. gaitier (wahtan), taisson (thahs), mais lansquenet (landsknëht).
Palatales. -- Dans les mots anciens, le k germanique a été assimilé au c latin et a eu le même développement phonétique, sauf en un point. Devant e, i ou j, le k germanique primitif est traité comme devant a, c'est-à-dire qu'il aboutit en français proprement dit à ch, tandis qu'en normanno-picard il reste k (écrit ordinairement qu) : déchirer (skërran), écharpe (skerpa), échine (skina), échif de l'ancien français eschiver (skihuan), gauchir (wenkjan), etc. La forme normanno-picarde équiper, de équipe (skip), a passé en français (13). Le g et le j germaniques sont traités exactement comme le g et le j latins ; remarquons seulement que la désinence en jan des verbes germaniques est rendue par ir (haïr de hatjan, fourbir de furbjan, etc.), sauf dans épargner (sparanjan) et gagner (waidhanjan). -- Le son composé sch, sorti d'un ancien sk, est rendu en français par ch, ou sch : chenapan et schnapan (schnapphahn), échoppe (schoppen), schabraque (schabracke), schelme (schelm), etc. Le néerlandais sch se prononce sk, de là la transcription de brandschatten par bransqueter. La formation de séran, serancer (schranz, schrenzen) est surprenante.
Dentales. -- Rien de particulier à remarquer sur le t et le d germaniques primitifs, qui sont traités respectivement comme t et d latins, si ce n'est que dans les mots empruntés récemment ils ne s'affaiblissent pas, même lorsqu'ils sont intervocaliques : bouter (botan), regreter (gretar), bride (brida), etc. Pourtant il semble qu'il y ait eu un affaiblissement de t en d dans bedeau, si ce mot se rattache réellement à l'ancien haut allemand bital, butil ou putil. -- Le t et le d spirants, notés par des caractères spéciaux, mais que l'on peut respectivement remplacer par th et dh, se sont confondus avec le t et le d primitifs : taisson (thahs), tarir (tharrjan), touaille (twahila), gagner (waidhanjan), etc. -- L's germanique est traitée comme l's latine ; notons que non seulement elle se fait précéder d'un e initial lorsqu'elle est suivie d'une consonne au début des mots (épervier, anc. franç. espervier, de sparawari), mais que devant l il y a parfois intercalation d'un c : éclisser, ancien français esclicier (slizan). -- Le z germanique a été rendu en latin mérovingien par un c dans sacire, transcription de sazjan, et ce c a été traité comme le c latin, d'où saisir. A une époque plus récente, le z est rendu en français par ç spirant (en picard ch), remplacé ordinairement par ss dans l'orthographe moderne : éclisser (slizan), écrevisse (krebiz).
Labiales. -- Le p, le b et l'f germaniques sont traités comme les sons correspondants du latin. En général le p et le b ne s'affaiblissent pas, même quand ils sont intervocaliques (guiper de wipan, robe de rauba). Le changement de habersack en havresac est surprenant et est peut-être dû à quelque étymologie populaire. -- Le w initial est régulièrement rendu par gu dans les anciens textes français ; de nos jours, gu s'est réduit à g devant a : gant (want), garant (wërento), guerre (wërra), guiper (wipan), etc. (14) Nous avons noté (§ 443) que le même traitement se présente dans quelques mots latins sur lesquels des mots germaniques voisins de sens et de forme paraissent avoir agi. Dans les mots empruntés très récemment à l'allemand, le w est rendu par v : vaguemestre, valse, vasistas, vermout (15) ; il faut noter pourtant que bivouac est plus usité que bivac. Au milieu des mots, le w devient v (trêve de treuwa, épervier de sparawari) ; quelquefois, après un a, il se vocalise et se combine avec l'a pour aboutir a au, ou : mauve, primitif de mouette (mawa) ; choue, primitif de chouette (kawa) ; houe (hawa) ; etc.
Liquides et nasales. -- Rien de particulier à remarquer pour l, r, m et n, qui sont traitées respectivement comme les consonnes correspondantes du latin.
ÉLÉMENTS D'ORIGINE SAVANTE
§ 500. -- Transcription des mots latins d'après la prononciation latine de l'époque.
Les mots dits mots savants ne sont pas parvenus tous jusqu'à nous sans avoir subi quelques transformations nécessitées soit par une prononciation du latin particulière à telle ou telle époque, soit par le système de la terminaison propre au français.
La première action est visible dans la transcription des syllabes latines um et un qui, du jour où à la prononciation vraiment latine oum', oun', fut substituée au moyen âge la prononciation nasale om, on, fut généralement notée par les graphies françaises om, on. C'est ainsi qu'à côté de la forme circumnavigation, correspondant exactement au latin du moyen âge circumnavigatio, mais prononcé de la façon dont on prononce actuellement le latin, nous avons une foule de mots plus anciens, tels que circoncire, circonférence, circonscription, circonstance, etc., qui nous reportent à une prononciation différente du latin. Certains mots hésitent entre les deux orthographes : tel fongus et fungus, et, alors même que l'ancienne graphie semble définitivement adoptée, on peut constater aujourd'hui une tendance pour quelques mots à être modelés sur la prononciation latine actuelle ; ainsi circompolaire et circonvallation sont souvent prononcés, malgré l'orthographe de l'Académie, circum'polaire, circum'vallation. La même action peut se constater pour les terminaisons : dictum, rogatum, totum, sont devenus dicton, rogaton, toton ; factotum se présente sous les deux formes factotum et factoton.
§ 501. -- Transcription des mots latins d'après le système de la terminaison française.
La modification la plus importante est celle qui a été produite par les nécessités de la terminaison française. Alors que la syllabe finale était tombée dans tous les mots d'origine populaire, sauf quand sa survivance était exigée par la présence d'un groupe de consonnes difficiles à prononcer, ici elle a persisté, mais en se pliant aux lois générales qui régissent la création de tout mot nouveau et qui, par certains procédés identiques de terminaison, lui donnent en quelque sorte droit de cité dans la langue.
Ainsi, pour la conjugaison, tous les verbes en are et ire se sont identifiés aux verbes en are et ire d'origine populaire et ont pris les terminaisons er, ir ; quant aux verbes en ere ou en ere, l'analogie de la syllabe finale latine avec la terminaison française er les a naturellement fait passer presque tous dans la première conjugaison : dissuader de dissuadere, imprimer de imprimere. Si certains, comme dépendre, instruire, refondre, ont pris une terminaison spéciale, c'est qu'ils ont subi une influence particulière qui sera étudiée plus loin (§ 503).
Pour les autres mots, il est impossible de déterminer des règles aussi précises. Tantôt on a supprimé simplement la terminaison latine : abject, abrupt, anis, crédit, décret, légat, scélérat, etc. ; tantôt, et le plus souvent, on l'a remplacée par un e féminin, non pas seulement quand en latin c'est un a, comme dans crapule, statue, syllabe, etc., ou qu'elle est précédée d'un groupe de consonnes difficiles à prononcer : albâtre, antre, arbitre, sacre, etc., mais dans tout autre cas : absinthe, adage, collège, convolvule, débile, délire, fertile, etc. ; tantôt enfin, quand il s'agit de suffixes savants dont la parenté avec les suffixes populaires de commune origine est encore nettement distincte, ou les uniformise avec ces derniers : atio devient ation sur le modèle de aison ; ivus devient if sur le modèle de if ; alis devient al sur le modèle de el ; ator devient ateur sur le modèle de eur ; etc.
§ 502. -- Réaction des formes latines ou savantes sur les mots de formation populaire.
La forme particulière des mots savants a pu parfois réagir sur la forme des mots populaires correspondants, ou le souvenir de la forme de l'original latin a pu faire modifier la forme du mot français. Ces modifications se sont produites surtout à partir du XVe siècle, de l'époque des humanistes. Un certain nombre d'écrivains, par respect pour la latinité, essayèrent de rendre aux mots français la forme qu'ils avaient dans la langue mère, sans tenir compte des transformations que ces mots avaient subies durant un espace de plus de dix siècles. On s'efforça de rapprocher l'orthographe de l'étymologie. De là laurier, pauvre, taureau, pour lorier, povre, toreau, d'après le latin laurus, pauper, taurus ; aile pour èle d'après ala, clair pour cler, pair pour per, d'après clarus, par ; compter pour conter, d'après computare ; nid pour ni d'après nidus ; nœud pour neu d'après nodus ; puits pour puis d'après puteus ; etc. ; doigt pour doi, d'après digitus. L'x à la fin de croix, noix, poix, voix est due à l'influence des formes latines crux, nux, pix, vox. De là encore l'introduction de l'h qui, nous l'avons vu (§ 372), était presque inconnue de l'ancien français, dans hiver, hoir, homme, honneur, hôte, hui, etc. De là surtout la présence de doubles lettres que la prononciation du latin populaire avait laissées tomber et que les latiniseurs ont rétablies : abbé, affubler, allaiter, appeler, cellier, collier, goutte, etc.
Ces modifications, en général, n'ont pas altéré la prononciation du mot, bien que, de nos jours, l'on puisse constater une tendance à prononcer les doubles consonnes. Mais parfois ce retour à l'étymologie a altéré profondément la prononciation : ainsi dans abstenir pour astenir, adjoindre pour ajoindre, expert pour espert, frémir pour fremir, etc.
Enfin l'influence de la langue savante a fait préférer souvent des préfixes savants à des préfixes populaires, ce qui a donné naissance à des composés bizarres et hybrides, comme imboire pour emboire ; interdire, intervenir, pour entredire, entrevenir ; interligne pour entreligne ; introduire pour entreduire ; etc.
§ 503. -- Réaction de la langue populaire sur les mots de formation savante.
Une action inverse de la précédente est celle de la langue populaire sur les mots de formation savante.
Nous avons vu déjà (§ 501) comment la terminaison des suffixes savants s'était modelée souvent sur la terminaison des suffixes populaires. Souvent aussi un suffixe populaire s'ajoute à un radical savant : acéteux, admirable, adversaire, comburant, comparaison, réprimande, virtuel, etc. Nous avons vu aussi (§ 501) la terminaison populaire er s'adapter à la plupart des verbes d'origine savante. Instruire de instruere a été formé d'après détruire, tiré sans doute de *destrugere. Très souvent un verbe simple d'origine populaire impose sa forme à un verbe composé d'origine savante : confidere aurait donné confider, comme elidere a donné élider, si fier n'avait pas existé : de là confier. D'après le même procédé ont été formés compromettre, concourir, conjoindre, convaincre, déduire, défléchir, dénier, dépendre, excommunier, produire, réfléchir, refondre (rembourser), etc. Il en est de même pour un certain nombre de noms : nombreux pour numerose d'après nombre, objet pour object d'après jet, rectiligne pour rectiline d'après ligne, rescrit pour rescript d'après écrit. Tous les mots savants commençant par ex, esp, est, alors que leurs originaux latins commencent par sc, sp, st, comme escabeau, espace, espèce, espérer, esprit, estomac, auxquels il faut ajouter école, état, étole, étude, où l's s'est amuïe anciennement, ont, par analogie, reçu l'e prothétique des mots populaires commençant par ces groupes de consonnes. Par contre, respons est devenu répons sous l'influence de répondre.
De même dans avers, avocat, pour advers, advocat, le préfixe savant ad a été remplacé par le préfixe populaire a de abattre, aboucher, etc. Charme, emprunté de carmen, a changé le c initial en ch comme les mots populaires champ de campum, chien de canem, etc. Des mots de l'ancien français, comme benedir, predechier, ont perdu leur d à l'imitation des mots populaires et sont devenus bénir, prêcher. A ces mots se rattachent d'ailleurs les mots demi-populaires, demi-savants dont nous avons parlé (§ 216) et qui ont subi, pour la place de l'accent et aussi en partie pour la transformation de leur son, l'influence des mots populaires.
Nous pourrions multiplier les exemples de cette réaction de la langue populaire sur la langue savante. Ceux que nous avons donnés suffisent pour montrer la puissance des habitudes primitives de prononciation ou de formation des mots sur la partie du vocabulaire entrée dans le parler français à une époque postérieure.
§ 504. -- Transcription du grec. -- I. Voyelles et diphtongues.
Nous avons parlé (§ 496) des voyelles et des diphtongues grecques dans les mots passés si anciennement en latin qu'on peut les considérer comme faisant partie de notre fonds populaire primitif. Nous avons maintenant à considérer les mots grecs que le français a empruntés soit au moyen âge, soit à l'époque moderne (16).
L'<GR= a> (long ou bref) est transcrit par a : aphone (<GR= aphônos>), etc. Dans avelanède, du grec médiéval <GR= balanidi>, l'e de la deuxième syllabe est dû à une confusion entre ce mot et le mot provençal avelanedo, coudraie.
L'<GR= e> est transcrit selon les cas par e, par é ou par è : apepsie (<GR= apepsia>), généalogique (<GR= genealogia>), genèse (<GR= gennêsis>, confondu avec <GR= genesis>), thème (<GR= thema>), etc. Dans parallélipipède (<GR= parallêlepipedon>), l'i de la syllabe li est dù à une assimilation de l'é à l'i de la syllabe suivante.
L'<GR= ê> a pris en bas grec et a conservé chez les grecs actuels le son d'un i. Cette prononciation de l'<GR= ê> a régné dans notre pays jusqu'à la réforme d'Erasme. Elle a laissé des traces dans ambi (<GR= ambê>), amnistie (<GR= amnêstia>), boutique (<GR= apothêkê>), chimie (<GR= khêmeia>), christe (<GR= krêthmos>, confondu avec le lat. crista), ithos (<GR= êthos>), etc. (17). Dans esquinancie, bien qu'on trouve au XIIIe siècle esquinancy, la désinence représente plutôt celle du latin du moyen âge synanchia que celle du grec <GR= kunagkhê> ou <GR= sunagkhê>.
Dans les autres mots empruntés du grec, la transcription de l'<GR= ê> est la même que celle de l'<GR= e> : amnésie (<GR= amnêsia>), analeptique (<GR= analêptikos>), catachrèse (<GR= katakhrêsis>), etc. Il y a eu assimilation dans stratagème, pour stratégème (<GR= stratêgêma>).
L'<GR= i> (long ou bref) est rendu par i : ïambe (<GR= iambos>), idée (<GR= idea>), ictère (<GR= ikteros>), etc. (18). L'è de avelanède (bas GR <GR= balanidi>) est dû à une confusion avec le provençal avelanedo ; l'é de antéchrist (<GR= antikhristos>), à une confusion de <GR= anti> avec le préfixe latin ante ; celui de cimolée (<GR= kimôlia>), à une confusion du suffixe grec <GR= ia> avec le suffixe latin ea ; celui de érésipèle, forme usuelle pour érysipèle (<GR= erusipelês>) et de pleurésie (<GR= pleuritis>), à une confusion entre les suffixes <GR= êsis> et <GR= itis> (19) ; celui de homélie (<GR= omilia>), à une dissimilation.
L'<GR= o> et l'<GR= ô> sont rendus indistinctement par o : dose (<GR= dosis>), glotte (<GR= glôtta>), etc.
L'<GR= u> (long ou bref) est transcrit par un y : élytre (<GR= elutron>), hypoglosse (<GR= upoglôssios>), etc. (20). Dans quelques mots, par oubli de l'étymologie, l'<GR= u> est rendu par i : abîme (<GR= abussos>), asile (<GR= asulon>), cristal (<GR= krustallon>). Placé à l'initiale devant une autre voyelle, l'<GR= u> a été consonnifié et rendu par j dans jacinthe (<GR= uakinthos>).
La diphtongue <GR= ai> est transcrite en latin classique par ae, et la diphtongue <GR= oi> par oe ; le français rend l'une et l'autre par é ou è : <GR= paidagôgos>, paedagogus, pédagogue ; <GR= muraina>, muraena, murène ; <GR= phalaina>, phalène ; <GR= phoinix>, phœnix, phénix ; <GR= aoidos>, aède. Toutefois il faut mettre à part diocèse, qui représente le latin diocesis, variante de dioecesis, <GR= dioikêsis> (cf. poeta, <GR= poiêtês>), et cimetière, qui correspond à cimiterium (<GR= koimêtêrion>), forme employée ordinairement par Grégoire de Tours, et où l'<GR= oi> et l'<GR= ê> sont transcrits par i, conformément à la prononciation qu'a conservée le grec moderne. En revanche, la prononciation classique du grec, restaurée par Érasme, a triomphé dans hétaïre (<GR= etaira>), et l'orthographe latine dans œcuménique (<GR= oikoumenikos>), œdème (<GR= oidêma>) et Œdipe (<GR= Oidipos>) ; l'usage est hésitant entre céliaque et cœliaque de <GR= koiliakos>.
La diphtongue <GR= ei> est rendue en français comme en latin par le son simple i quand elle est suivie d'une consonne : <GR= eidôlon>, idolum, idole ; <GR= eikonoklastês>, iconoclaste ; <GR= kheirourgia>, chirurgia, chirurgie ; etc. Lorsqu'elle est suivie d'une voyelle, le latin hésite pour la rendre entre e et i : de <GR= politeia> il fait politia (d'où le français police), mais de <GR= plateia> platea. Le français offre des exemples des deux systèmes : à côté de chorée (<GR= khoreia>), épichérème (<GR= epikheirêma>), hypoténuse (<GR= upoteinousa>), latrie (<GR= latreia>), lycée (<GR= lukeion>), odéon (<GR= psdeion>), nous disons nécromancie (<GR= nekromanteia>), etc. On trouve rarement <GR= ei> transcrit par éi ; pourtant séméiotique et séméiologie sont plus usités que sémiotique, sémiologie.
Les diphtongues <GR= au> et <GR= eu> sont transcrites en latin par au et eu ; le français suit ordinairement cet usage : autographe (<GR= autographos>), nautique (<GR= autikos>) ; euphémisme (<GR= euphêmismos>), neume (<GR= pneuma>), pleurétique (<GR= pleuritikos>), etc. Mais la prononciation grecque de la décadence, qui consonnifie l'<GR= u>, a laissé des traces dans buplèvre (<GR= boupleuron>), évangile (<GR= euaggelion>), névralgie, névritique, etc. (dérivés de <GR= neuron>, nerf), et plèvre (<GR= pleura>) ; en outre, on doit rappeler que amaurose (<GR= amaurôsis>), automate (<GR= automatos>), tautologie (<GR= tautologia>) et l'ancien mot philautie (<GR= philautia>) se sont prononcés longtemps en donnant à l'u le son d'une f.
La diphtongue <GR= ou>, transcrite u en latin, est de même rendue par u en français : buplèvre (<GR= boupleuron>), uretère (<GR= ourêtêr>), etc. Toutefois la notation ou l'a emporté dans ouraque de <GR= ourakhos>. La forme fautive acolythus pour acoluthus (<GR= akolouthos>) apparaît déjà dans le latin ecclésiastique et a donné en français acolyte, à côté de anacoluthe (<GR= anakolouthon>).
Toute voyelle, toute diphtongue qui se prononçait en grec avec un esprit rude est normalement précédée d'une h en français, d'après l'exemple de la transcription latine : <GR= agiographos>, hagiographe ; <GR= ekatombê>, hécatombe ; <GR= êgemonia>, hégémonie ; <GR= ierarkhia>, hiérarchie ; <GR= olokauston>, holocauste ; <GR= ôroskopos>, horoscope ; <GR= uakinthos>, hyacinthe ; <GR= aimatitês>, hématite. Cette h n'est pas aspirée, sauf dans hiérarchie. L'usage est hésitant pour quelques mots. Le Dictionnaire de l'Académie enregistre concurremment ellébore et hellébore (<GR= elleboros>), endécagone et hendécagone (de <GR= endeka>, onze), erpétologie et herpétologie (de <GR= erpeton>, reptile), étique et hectique (<GR= ektikos>), olographe et holographe (<GR= olographos>), etc.
Parfois on a mis par erreur une h à des mots dont l'initiale n'avait pas l'esprit rude : hermine, à côté de ermin ('<GR= Armenia>), hermite à côté de ermite (<GR= erêmitês>), etc.
§ 505. -- Transcription du grec. -- II. Consonnes.
En règle générale, les consonnes grecques <GR= b>, <GR= g>, <GR= d>, <GR= z>, <GR= th>, <GR= k>, <GR= l>, <GR= m>, <GR= n>, <GR= x>, <GR= p>, <GR= r>, <GR= s>, <GR= t>, <GR= ph>, <GR= kh>, <GR= ps>, sont transcrites respectivement par b, g, d, z, th, c, l, m, n, x, p, r, s, t, ph, ch et ps. Nous ne nous arrêterons que sur celles qui donnent lieu à quelques remarques particulières.
Le <GR= b> a pris en bas grec la prononciation v ; de là : avanie (<GR= abania>) et avelanède (<GR= balanidi>).
Dans les groupes <GR= gg, gx, gk, gkh>, le <GR= g> est rendu en français comme en latin par n : <GR= aggelos>, angelus, ange, etc. Le g, transcription du <GR= g>, n'a gardé son son explosif que devant a et o et devant les consonnes ; devant e, i et y il a pris le son continu : <GR= geôgraphia>, géographie ; <GR= stratêgêma>, stratagème ; <GR= philologia>, philologie ; <GR= androgunos>, androgyne ; etc. Toutefois, lorsque la voyelle grecque finale est transcrite par e, il y a hésitation : ou l'on conserve le son explosif, et alors on écrit gu : apologue, <GR= apologos> ; synagogue, <GR= sunagôgê> ; ou l'on adopte le son continu : stratège (plus usité que stratègue), <GR= stratêgos>.
Le <GR= z> est transcrit par s et non par z dans les verbes en iser, <GR= izein> : baptiser, etc.
Le <GR= th> est transcrit par t et non par th dans quelques mots isolés (trône, de thronus, <GR= thronos>, etc.), et dans les groupes <GR= phth> et <GR= khth> : <GR= diphthoggos>, diphtongue. Toutefois la transcription des groupes <GR= phth>, <GR= khth> par pht, cht, adoptée par l'Académie en 1878, n'est pas acceptée sans protestation, et beaucoup préfèrent l'ancienne orthographe phth, chth, seule admise par l'Académie en 1835. Devant la désinence ie, le th se prononce toujours avec le son propre du t : apathie (<GR= apatheia>), sympathie (<GR= sumpatheia>), etc. Pourtant l'Académie recommande de prononcer le th comme s sourde dans chrestomathie (<GR= khrêstomatheia>).
Le <GR= k> transcrit par c en latin a toujours gardé son son explosif devant a et o et devant les consonnes ; mais devant e, i et y il a pris le son continu : <GR= kephalikos>, céphalique ; <GR= kinêmatikos>, cinématique ; <GR= kuklos>, cycle ; etc. Cependant dans quelques mots le <GR= k> est transcrit par k et garde la prononciation explosive même devant e, i, y : ankylose (<GR= agkulôsis>), kaléidoscope, (<GR= kalos>, beau), kératophyte (<GR= keras>, corne), kinétoscope (<GR= kinêtos>, mobile), kyste (<GR= kustis>), phénakisticope (<GR= phenakistikos>, trompeur). Il a été rendu par qu dans le latin populaire liquiritia, <GR= glukurriza>, d'où le français réglisse, dans esquinancie, de <GR= kunagkhê>, confondu avec <GR= sunagkhê>, dans squelette (<GR= skeletos>) et dans squirre (<GR= skirros>). Enfin dans les désinences, <GR= k> est souvent rendu par qu : bibliothèque (<GR= bibliothêkê>), critique (<GR= kritikos>), zodiaque (<GR= zpsdiakos>), etc.
Le <GR= p> est quelquefois tombé dans le groupe <GR= pt> de mots demi-savants : tisane (<GR= ptisanê>) ; le groupe <GR= pt> a disparu tout entier dans arnica (<GR= ptarmikê>).
Le <GR= r> (<GR= r> aspiré) est transcrit par rh, comme en latin : rhéteur, <GR= rêtôr> ; rhotacisme, <GR= rôtakismos>. Toutefois l'Académie, sans proscrire absolument l'orthographe rhabdologie, rhabdomancie, rhapsode, rhythme, préfère écrire avec r plutôt qu'avec rh. Mais, dans l'intérieur des mots, elle a remplacé, en 1878, l'ancienne orthographe hémorrhagie (<GR= aimorragia>), etc., par hémorragie, etc., tout en conservant, par une véritable inconséquence, diarrhée (<GR= diarroia>), myrrhe (<GR= murra>), à côté de squirre (<GR= skirros>) et bien d'autres.
Le <GR= s> est rendu par s sonore quand il est entre deux voyelles ; partout ailleurs il est représenté par s sourde : <GR= krasis>, crase, mais <GR= pathos>, pathos, etc. Une exception est constituée par glose, qui reproduit le bas latin glosa pour glossa, de <GR= glôssa>.
Le <GR= t> a pris le son d'un d en bas GR dans le groupe <GR= nt> : cette prononciation s'est introduite dans syndérèse (<GR= suntêrêsis>). Dans les désinences <GR= tia> et <GR= teia>, le <GR= t> conserve le son t qui lui correspond en français lorsqu'il est précédé d'une consonne : amnistie (<GR= amnêstia>), eucharistie (<GR= eukharistia>). Lorsqu'il est précédé d'une voyelle, il prend normalement le son de s sonore et est transcrit soit par t, soit même par c : aristocratie (<GR= aristokratia>), nécromancie et nécromance (<GR= nekromanteia>), etc. Notons toutefois que l'ancien mot philautie (<GR= philautia>) se prononçait avec le son propre du t.
Le <GR= ph> est quelquefois transcrit par f, surtout dans les mots passés anciennement en français : faisan (<GR= phasianos>), fantaisie (<GR= phantasia>), fiole (<GR= phialê>), flegme (<GR= phlegma>), frénésie (<GR= phrenêsis>).
Le <GR= kh> est quelquefois transcrit par c, surtout dans les mots passés anciennement en français : caractère (<GR= kharaktêr>), colère (<GR= kholera>), métempsycose (<GR= metempsukhôsis>), etc. On hésite entre choléra et coléra, mais la première orthographe est plus en usage. Dans les désinences, <GR= kh> est souvent transcrit par qu : eunuque (<GR= eunoukhos>), etc. On hésite entre synecdoque et synecdoche (<GR= sunekdokhê>). Enfin il est exceptionnellement transcrit par k dans kilomètre et autres mots analogues, où kilo représente tant bien que mal le grec <GR= khilioi>, mille.
Lorsque ch, transcription du grec <GR= kh>, est placé devant a, o, ou devant une consonne, il sonne toujours comme k ; mais devant e, i, y, il sonne tantôt comme k, tantôt comme le ch français, sans qu'on puisse donner de règle précise autre que l'usage, lequel n'est même pas toujours fixé.
§ 506. -- Transcription du grec. -- Remarques diverses.
Quelques mots grecs ont été transcrits fautivement en français par suite de l'ignorance de ceux qui les ont introduits : <GR= akmê> a été corrompu en <GR= aknê> par un copiste et a donné naissance au terme de médecine acné ; <GR= summetria> et <GR= sunneurôsis> ont perdu leur consonne double dans symétrie, synévrose, etc. D'autres simplifications semblent dues au besoin de faciliter la prononciation de groupes qui n'existent pas dans les mots proprement français : Ariane pour Ariadne (<GR= Ariadnê>), dictame pour dictamne (<GR= diktamnon> (21)), étique pour hectique (<GR= ektikos>), etc. Une fois introduits dans la langue, les mots d'origine grecque ont plus d'une fois subi le contre-coup des habitudes de prononciation contractées par le français. Le th correspondant au <GR= th> ne sonne pas autrement que le t français ; mais on le supprime sans scrupule dans la prononciation quand il figure dans un groupe de trois consonnes, par exemple dans asthme. Si arome (<GR= arôma>), diplôme (<GR= diplôma>) et d'autres mots se prononcent avec un o long, ce n'est pas tant parce que le modèle grec a un <GR= ô>, puisque nous prononçons aussi atome (<GR= atomos>), pôle (<GR= polos>), avec un o long, et au contraire polygone (<GR= polugônos>) avec un o bref, que parce qu'ils ont été entraînés par l'exemple des mots populaires baume, Côme, heaume, Jérôme, psaume, royaume. On peut faire la même remarque sur les mots en one : trône (<GR= thronos>) doit probablement son o long à aumône (autrefois aumosne), et l'on prononce aphone (<GR= aphônos>) avec un o bref (22). L'allongement de l'a dans idolâtre (<GR= eidôlolatrês>), théâtre (<GR= theatron>), est dû à l'influence du suffixe français âtre.
Il est à peine besoin de dire que l'accent grec ne joue aucun rôle dans la transcription et la prononciation des mots passés en français. La transcription des désinences donne seule lieu à quelques remarques. Tantôt le mot est transporté intégralement en français sous la forme du nominatif (23) : amnios (<GR= amneios>), daphné (<GR= daphnê>), épiphora (<GR= epiphora>), héros (<GR= êrôs>), herpès (<GR= erpês>), hymen (<GR= umên>), myosotis (<GR= muosôtis>), opopanax (<GR= opopanax>), pancréas (<GR= pagkreas>), panthéon (<GR= pantheion>), sphinx (<GR= sphigx>). Tantôt on s'attache au thème des cas obliques en remplacant la désinence par un e : aphasie (<GR= aphasia>), aphérèse (<GR= aphairesis>), apocyn (<GR= apokunon>), apophyse (<GR= apophusis>), crase (<GR= krasis>), critique (<GR= kritikos>), dose (<GR= dosis>), musée (<GR= mouseion>), etc. La désinence <GR= is> est souvent confondue avec <GR= ia>, <GR= eia> et rendue par ie : phtisie (<GR= phthisis>), poésie (<GR= poiêsis>), etc.
§ 507. -- Transcription des mots italiens et espagnols.
I. Italien. -- Quoique l'u italien ait le son de l'u latin, il est rendu par u français : attitude, brusque, burle, fugue, réussir, etc. Notons cependant que Mme de Sévigné transcrit alpiù par alpiou et que nous écrivons escouade, de squadra, à côté de escadron, de squadrone. Le c devant e, i a en italien un son qui peut se noter tch. Il est souvent représenté par ch : amouracher, bravache, cartouche, chicorée, chipolata, conche ; mais on trouve aussi c, ç et ss : cicerone (que l'Académie autorise à prononcer à l'italienne tchi-tché-ro-né ou simplement ci-cé-ro-né), cantatrice, citadelle, vermicelle (que quelques vieilles gens prononcent encore vermichelle), façade, fantassin. Le ch a le son d'un k et est transcrit ordinairement par qu : damasquiner, faquin, marasquin ; dans baguette, pour *baquiette, il faut voir l'influence de bague. On a conservé la notation italienne dans machiavélique en restant fidèle à la prononciation ; mais dans chamade, lumachelle, niche, nocher, petechie et supercherie, il y a eu méprise, et le ch italien a fini par être prononcé comme un ch français. La transcription de cicisbeo par sigisbée est surprenante. Le z est parfois conservé, comme dans lazarone, lazzi, mezzanine, parfois transcrit par ç ou ss, et même ch : altesse, anspessade, caleçon, caveçon, faïence, gouache. L'l mouillée est représentée en italien par gli : on a quelquefois conservé cette représentation (bonne-voglie, imbroglio), mais plus ordinairement on l'a ramenée à l'usage ordinaire du français qui le représente par ill (cannetille, ébrillade), ou on l'a simplifiée en ï, (coïon, tavaïole). Le g devant e, i, qui en italien sonne comme dj, est rendu par g dans la plupart des cas (agio, arpège, manège, voltiger) ; dans quelques mots passés anciennement en français, on l'a confondu avec s douce : artisan, courtisan, noliser. Notons, enfin, que pour mettre la prononciation des mots empruntés de l'italien en harmonie avec la prononciation française, on a souvent préposé un e aux groupes initiaux sc, sp, squ, st (escompte, escouade, espalier, estacade), et que calzone et pulcinella sont devenus caleçon, polichinelle.
II. Espagnol. -- L'u est transcrit ordinairement par u français, bien qu'il ait la même prononciation que l'u italien : busquer, calenture, frutille, etc. On trouve cependant ou dans boucaro, felouque ; quant à cachucha, on le prononce à l'espagnole, parce qu'il n'est pas encore réellement francisé. Le b, confondu avec v dans la prononciation espagnole, est rendu par v dans alcôve, cavèce, cévadille, gavache. Le ñ (n mouillée) a été rendu d'après le système français dans duègne, pagne, confondu avec n simple dans dona, basquine. Le ll (l mouillée) ne concorde avec le système français que lorsqu'un i précède ; on ajoute cet i dans passacaille, oille. Le j (son guttural) est assimilé au j ou au ch français : alfange, Don Quichote, jonquille. Le z est rendu par c, ç, ss : caparaçon, carapace, calebasse. Le d a été autrefois confondu avec r : cédille s'est prononcé et écrit cerille au XVIIe siècle.
Pour la désinence des mots empruntés à l'italien ou à l'espagnol, deux systèmes se font concurrence : tantôt le mot est pris et transporté tel quel en français, sans souci de l'accent tonique (agio, bravo, condottiere, diva, opéra de l'italien ; boléro, camarilla, cortès, guerilla, de l'espagnol), tantôt on francise la désinence (accort, altesse, brave, de l'italien ; bizarre, cavèce, mantille, de l'espagnol). Dans les mots dont la désinence n'a pas été francisée, il y a souvent erreur sur le genre et le nombre : nous disons du macaroni et un alcarazas, bien que les désinences (i dans l'italien maccheroni et as dans l'espagnol alcarrazas) soient celles du pluriel, et nous faisons du masculin chipolata, guerilla, opéra, etc., qui sont proprement des féminins. Le portugais albinos, qui est un pluriel masculin, devenu le français albinos, s'emploie aux deux nombres et aux deux genres.
§ 508. -- Transcription des mots anglais.
On peut affirmer que l'anglais est celle des langues étrangères à laquelle le français a emprunté le plus de mots au XIXe siècle ; mais si l'on parcourt la liste que nous avons donnée au § 8, on remarquera les plus étranges disparates dans la façon dont les mots anglais sont transcrits. Il ne faut pas trop s'en étonner : il y a un abîme entre l'orthographe anglaise (interprétée d'après l'usage français) et la prononciation réelle, et tantôt le français se laisse guider par la prononciation seule, qu'il rend approximativement, comme dans bébé (baby), bifteck (beefsteak), rosbif (roastbeef) ; tantôt il est esclave de l'orthographe, comme dans club, coaltar, flirt, keepsake, yacht, etc. Ce dernier cas est le plus fréquent dans les emprunts récents ; mais on ne saurait dire qu'il soit le plus louable, car il jette la prononciation française dans un fâcheux désarroi. Il aurait peut-être été plus sage de se décider une bonne fois à transcrire l'anglais yacht, rail, et square, par *yole, *rel, et *scouère, que de jeter dans l'embarras tant d'honnêtes gens qui ne savent pas les langues étrangères. Nous ne signalerons ici que les mots dont l'orthographe française usuelle s'éloigne sensiblement de l'orthographe anglaise ; dans plusieurs, ce n'est pas la prononciation effective de l'anglais qui a amené cette différence, mais une assimilation, réfléchie ou non, avec telle ou telle désinence familière à la langue française : beaupré (bowsprit), bébé (baby), bifteck (beefsteak), boukinkan (buckingham), bouledogue (bulldog), boule-ponche (bowl punch), boulingrin (bowling-green), cotre (cutter), moire (mohair), pannequet (pancake), paquebot (packet-boat), partenaire (partner), redingote (riding-coat), rosbif, autrefois rôt-de-bif (roastbeef).
§ 509. -- Corruption, confusion et étymologie populaire.
Il nous reste à examiner trois causes qui ont agi sur la prononciation d'un grand nombre de mots pour la déformer.
I. -- C'est d'abord la corruption de la prononciation de tout un mot ou d'une partie d'un mot, provenant d'erreurs ou d'habitudes vicieuses de langage qui se sont imposées avec le temps.
C'est ainsi que l'article s'est peu à peu soudé au mot qu'il déterminait jadis dans landier, lendemain, lendit, lierre, lingot, loriot, luette (24) ; que griotte s'est substitué à agriotte ; que l'on écrit ma mie, par oubli de l'ancien usage qui élidait l'a de ma devant un mot commençant par une voyelle, m'amie, au lieu de mon amie comme de nos jours (§ 595) (25). A cette série se rattachent les formes hypocoristiques Fanchon pour Françoise, fanfan pour enfant, fifi pour fils, godiche pour godon, joujou pour jeu, etc., et les altérations des formules de jurement : corbleu, morbleu, palsambleu, jarni, jarnibleu, etc. ; les abréviations provenant de la rapidité de la prononciation : ça pour cela, ci pour ici, comme ci comme ça, qui est même devenu dans le langage populaire couci couca, copain pour compain, etc. Restent les innombrables mots qui se sont corrompus sous l'influence de causes obscures. Pourquoi godailler a-t-il remplacé gogailler, chicotin socotrin, genièvre genoivre, grégeois grézois, grenouille renouille, guigne guisle, hampe hanste, hublot hulot, lutrin letrin, etc. ? Il serait bien difficile de le dire.
II. -- Une confusion peut se produire entre deux mots à peu près voisins de son et de sens, ou même seulement à peu près voisins de son.
La synonymie et l'homophonie ont agi de concert pour transformer ajou en ajonc sous l'influence de jonc ; conreer en congreer sous celle de gréer ; cras en gras sous celle de gros ; démandibuler en démantibuler sous celle de démanteler ; échandillon en échantillon sous celle de chanteau ; échiqueré en échiqueté sous celle de déchiqueté ; épiet en épieu sous celle de pieu ; escarbouiller en écrabouiller sous celle de écraser ; estecade en estacade sous celle de attaque ; glier en glisser sous celle de glace ; grediller (crépiter) en grésiller sous celle de grésiller (faire du grésil) ; gronir en grogner sous celle de grigner ; hourvari en boulevari sous celle de bouleverser ; lemignon en lumignon sous celle de lumière ; maisseler en machelier sous celle de mâchoire ; etc.
L'homophonie paraît avoir seule agi dans le changement de apote en apôtre (terme de marine) d'après apôtre ; de busquer en brusquer (chercher) d'après brusquer ; de écousser en écoucher d'après coucher ; de étreper en étraper d'après attraper ; de éventoire en éventaire d'après inventaire ; de fageolet en flageolet (haricot) d'après flageolet ; de flueur en fleur (flux menstruel) d'après fleur ; de frouer en flouer d'après flou ; de fonde en fonte (partie de la selle) d'après fonte ; etc. Ici il faut ranger les nombreux cas de substitution de suffixe étudiés déjà (§ 62). C'est ainsi que blafar est devenu blafard, homar homard, filatice filatrice, épontile épontille, éponte éponde, finesser finasser, etc. (26).
III. -- Souvent un mot change de prononciation parce que, sa véritable étymologie n'étant plus saisie, on lui en donne une autre d'après un mot qui présente à peu près le même son.
L'allemand Eidgenossen, sous l'influence de Hugues, est devenu huguenot. Netun (lutin), du latin Neptunum, a été d'abord changé en nuitun, nuiton, d'après nuit, parce que le lutin se manifestait pendant la nuit ; puis il s'est transformé en luitun, luiton, lutin, sous l'influence du verbe luiter, lutter, le lutin tourmentant les gens, luttant avec eux. L'ancien terme de recettes médicales boli armenii est devenu brouillamini, ayant été rattaché à brouiller. Citons encore calfater rattaché à feutre, d'où calfeutrer ; cordouanier à cordon, d'où cordonnier ; coutepointe à courte, d'où courte-pointe ; escarboncle à boucle, d'ou escarboucle ; ételon à étalon, d'où étalon (cheville) ; floberge à flambe, d'où flamberge ; fresaie à effrayer, d'où effraie ; émeut à émonder, d'où émonde (fiente d'oiseau) ; enarme à larme, d'où enlarme ; ensouble à souple, d'où ensouple ; entretant à temps, d'où entretemps ; étique à phtisie, d'où le dérivé étisie ; épinoche à épine, d'où épinard ; gleteron à glouton, d'où glouteron ; maladerie à ladre, d'où maladrerie ; vaudevire à ville, d'où vaudeville ; etc. Ici doivent aussi se ranger faubourg, faufiler, faux-fuyant, faux-marchier, où le préfixe for (§ 196, 12), n'étant plus compris, a été changé en l'adjectif faux.
Cette sorte d'altération de la prononciation des mots est ce qu'on appelle l'étymologie populaire. C'est en effet du langage du peuple qu'elle provient pour passer dans la langue commune.
Notes
1. Dans ce paragraphe et dans le suivant, on ne considère que les mots grecs incorporés anciennement au latin ; sur les emprunts plus récents, voir §§ 504 et 505.
2. Le grec <GR= kerasos> a été rendu par cerasus, devenu ensuite en latin populaire *ceresus (comme alacris est devenu *alecris), d'où le dérivé *ceresia, qui a donné le français cerise.
3. Le latin classique dit linum, d'où le français lin, bien que le mot grec correspondant <GR= linon> ait un <GR= i> bref.
4. D'où le dérivé cheminée, représentant un type *caminata. On ne trouve pas chemin au sens de " fourneau ", qui est celui du latin et du GR ; il a pris de bonne heure celui de " voie ", sous l'influence d'un mot celtique qui s'en rapprochait phonétiquement.
5. École, de schola, GR <GR= skholê>, n'appartient pas à la couche populaire primitive du français.
6. Lorsque l'<GR= u> bref est représenté en français par un i, c'est qu'on a affaire à des mots savants ou demi-savants : timbre, de tympanum, <GR= tumpanon> ; ancien français gip, de gypsum, <GR= gupsos>, etc. On trouve quelquefois u : ancien français murte (myrte), de <GR= murtos>.
7. Papier est savant ; il a remplacé *papir, calqué sur papyrus, <GR= papuros>, par confusion de la désinence ir avec le suffixe ier.
8. Comme dans quelques mots le latin rend <GR= a> : par a (crapula correspond à <GR= kraipalê>), on a supposé que page pouvait remonter à un type *padium, de <GR= paidion> ; mais c'est peu vraisemblable.
9. Dans liquiritia, de <GR= glukurriza>, réglisse, la désinence du mot grec a été confondue par étymologie populaire avec le suffixe latin itia.
10. Gingembre paraît sorti par une double assimilation de *gingibre, calqué sur le latin zingiber, <GR= ziggiber> ; en tout cas, ce n'est pas un mot de formation populaire. Le rapport de jujube (qui n'apparaît qu'au XVIe s.) avec le lat. zizyphum, <GR= zizuphon>, est obscur.
11. Le <GR= kh> de <GR= arakhnê> a disparu dans aranea, d'où le français aragne et érigne.
12. On a même, par erreur, rendu par ph le <GR= p> (*golphus de <GR= kolpos>, d'où gouffre), et le <GR= b> (triumphus, de <GR= thriambos>). A côté de triumphus, les textes archaïques donnent triumpus ; quelques étymologistes veulent que tromper représente *triumpare pour triumphare.
13. Dans les mots empruntés récemment, le k germanique est quelquefois rendu par k : képi (kaeppi), kirsch-wasser (kirschwasser). On remarquera que dans le groupe initial kn le français intercale une voyelle pour rendre plus facile la prononciation de ce groupe : canapsa (knappsack), canif (knif).
14. Exceptionnellement on a avachir de waikjan..
15. L'orthographe allemande est pourtant conservée dans talweg.
16. Ces emprunts se sont presque toujours faits par l'intermédiaire d'une transcription latine.
17. On trouve jusqu'au XVIIe siècle anachorite (<GR= anakhôrêtês>).
18. Les auteurs du moyen âge écrivent souvent, par ignorance, un y au lieu d'un i dans les mots empruntés du grec : l'erreur s'est perpétuée dans hypocras, où l'on a cru voir le préfixe <GR= upo>, dans syphon, orthographe encore admise par l'Académie au lieu de siphon (<GR= siphôn>). Enfin l'y est employé arbitrairement dans l'adverbe y, latin ibi.
19. Le latin dit de même phrenesis, phreneticus, bien que le grec classique ne connaisse que <GR= phrenitis>, <GR= phrenitikos>.
20. La transcription de <GR= surigx>, <GR= iggos> par seringue pour syringue, paraît due à une sorte de dissimilation.v
21. La forme <GR= diktamon> est donnée par quelques manuscrits d'auteurs grecs.
22. Il y a une tendance dans la prononciation actuelle à introduire presque partout l'o long dans les mots en ome et en one.
23. Le génitif est conservé dans aloès (<GR= aloê>, <GR= ês>).
24. Inversement, la première syllabe du mot a pu être prise pour l'article : cunette pour lacunette.
25. Inversement, la voyelle de l'article féminin s'est soudée au substantif : abajoue pour la bajoue, alumelle pour alemelle, qui est lui-même pour la lemelle.
26. Déjà en latin populaire, fiala était devenu fiola sous l'influence du suffixe iolus.