TABLEAU DES CHANGEMENTS SUCCESSIFS DE LA PRONONCIATION
§ 510. -- Divisions.
Dans les paragraphes qui suivent, nous allons faire le tableau des changements successifs de la prononciation. Pour plus de commodité et de clarté, nous diviserons l'évolution de la prononciation en quatre périodes : la première s'étendant du latin populaire aux débuts du français, c'est-à-dire jusqu'au XIe siècle : c'est l'époque primitive ; la seconde s'étendant du XIe au XIVe siècle : c'est la période de l'ancien français ; la troisième allant du XIVe siècle au XVIe ; c'est la période du moyen français ; la quatrième enfin comprenant le français moderne. Et, dans chacune de ces périodes, nous examinerons les variations subies par les voyelles, les diphtongues, les consonnes simples et les groupes de consonnes.
§ 511. -- Époque primitive. -- Voyelles.
Le latin populaire avait sept voyelles, a, è, é, i, ò, ó, u ; le français du Xe siècle a neuf voyelles, à, è, é, e, i, ò, ó, ü et e féminin. Ces voyelles étaient accentuées ou atones.
L'a est ouvert. Accentué, il vient de a tonique entravé (§ 294) ou de a libre devant l dans certains mots (§ 301). Atone, il vient de l'a protonique, libre ou entravé (§ 346), particulièrement de l'a de certains monosyllabes atones (§ 352).
È accentué ou atone vient de è (e, æ) entravé ou devenu entravé (§§ 304, 344).
É accentué ou atone vient de é (e, i, œ) entravé (§§ 308, 342) ; de è ou é dans des mots transcrits du latin, comme pénitence, ténèbres.
E. Un troisième e, qui paraît être ouvert, sort de l'a accentué libre (§ 295) ou de l'è (e, æ) de Deum, erat, hebraeum, ancien français deu, ert, Ebreu. Il sort aussi de l'a atone dans les (illa), es, tes, ses (meas, tuas, suas), de l'ó atone dans les, mes, tes, ses (illos, meos, tuos, suos).
I accentué vient de i libre ou entravé (§ 318), de è fondu avec une palatale (§ 305, 2º), de a précédé et suivi d'une palatale (§ 298), de é (e, i) précédé d'une palatale (§ 316), de i modifié par un i atone postérieur (§ 309, II). Atone, il vient de i atone (§ 341).
Ó accentué vient de ó entravé (§ 324), de ó et ò libres devant une nasale (§ 327). Atone, il vient de ò, au, ó libres, de ó entravé (§§ 347, 348, 349 bis).
Ò accentué vient de ò (o) entravé (§ 319) et quelquefois libre (§ 321), de au (§ 333), ou de au sorti de a + b ou v devant une consonne (§ 333) ; enfin quelquefois de ó entravé (§ 324). Atone, il vient de ò entravé (§ 347).
Ü accentué ou atone vient de u latin libre ou entravé (§§ 328, 349).
E féminin, prononcé après la tonique, vient de a final ou de toute autre voyelle ayant subsisté après un groupe de consonnes difficiles à prononcer (§ 291).
Protonique, il vient de a, è, é, et même o (§§ 337 sq.) particulièrement dans des monosyllabes atones : me, te, se, je, que, etc. (§ 352).
§ 512. -- Diphtongues et triphtongues.
Le latin populaire n'avait qu'une diphtongue au, qui, dans la plupart des cas, s'est changée en un ò (§ 333, I). Le français du Xe siècle, par suite de la diphtongaison, opérée de bonne heure, des voyelles accentuées libres, a dix diphtongues, ai, ei, òi, ói, ui, èu, óu, òu, iè, uo, et deux triphtongues, ièu, uou.
Ai vient de a tonique ou atone suivi médiatement ou immédiatement d'une palatale (§§ 296, 346) ; de a tonique libre suivi d'une nasale (§ 299, 2º). Il se prononce à peu près comme dans l'interjection haïe.
Éi accentué vient de é (e, i, œ) libre et accentué (§ 309), de é libre ou entravé suivi d'une palatale (§ 315), de é libre suivi d'une nasale (§ 310).
Atone, il vient de é ou de è suivis d'une palatale (§§ 343, 345).
Òi vient de au tonique ou atone suivi d'une palatale (§§ 333, I ; 350).
Ói accentué ou atone vient de ó (o, u) suivi d'une palatale (§§ 330, 350).
Üi accentué ou atone vient de ü ou de ò (o), quelquefois de ó (o, u), suivis d'une palatale (§§ 329, 331, 350).
Eu se trouve dans les mots Dèu, ebrèu, etc. (§ 291). Plus tard une nouvelle diphtongue éu sortira de òu (§ 325).
Óu provient de ó (o, u) libre, qu'il soit ou non suivi immédiatement de u (§ 325).
Òu provient de ó libre suivi de u, spécialement dans le groupe òcu (§ 329), ou bien de au suivi de u (§ 333).
Ié vient de è (e, æ) libre accentué (§ 305), ou de a libre accentué précédé d'une palatale (§ 297), ou encore exceptionnellement de arium (§ 296).
Uò vient ò (o) libre accentué (§ 320).
Ièu vient de è (e, æ) suivi immédiatement de u (§ 296). Cette triphtongue peut sortir plus tard de uòu (p. 122, note).
Uòu sort de ò dans le groupe ocum (§§ 291, 329).
§ 513. -- Consonnes simples.
Le latin populaire avait quinze consonnes simples, dont six explosives b, p, d, t, g, c ; cinq continues f, v (w), s sourde, i consonne, h aspirée ; quatre liquides l, r, m, n. Il avait deux consonnes doubles z, x ; de plus, le ph, qui valait soit p, soit f. Le français du Xe siècle a vingt consonnes simples.
B vient de b initial de mots ou de syllabes (§§ 433, 438) ou de b double médial (§ 436). Il est intercalé entre m et l, m et r (§ 472, 2º).
P vient de p initial de mots ou de syllabes (§§ 425, 430), de p double médial (§ 428), de p ou b final appuyé (§§ 427, 437).
D vient de d initial de mots ou de syllabes (§§ 410, 413, 414), de d simple ou double médial (§ 413), de t simple médial (§ 402). Il est intercalé entre l, l mouillée, n, n mouillée ou s sonore, g et r (§§ 421, 465, 484).
T vient de t initial de mots ou de syllabes (§§ 401, 405), de t double médial (§ 405), de t ou d final appuyé (§§ 403, 412). Il s'intercale entre s sourde et r (§ 421).
G dur, qui se trouve seulement devant o, ü, l, r, provient de g initial de mots ou de syllabes prononcé devant ces sons (§§ 393, 396), de c médial simple (ou q) devant o, u (§ 380). Le gu suivi d'une voyelle est d'origine germanique (§§ 443, 449).
C dur, qui n'existe que devant o, ü, l, r, vient de c initial de mots ou de syllabes prononcé devant ces sons (§ 377), de c double devenu final (§ 384), ou de g médial faisant partie d'un groupe devenu final (§ 395). C'est l'élément toujours persistant du groupe initial qu prononcé devant n'importe quelle voyelle.
V vient de v initial de mots ou de syllabes (§§ 443, 449), de p, b, v simples médiaux (§§ 426, 434, 445), d'u en hiatus (§§ 354, 447).
F vient de f initiale de mots ou de syllabes (§§ 441, 442), de p, b ou r médiale devenue finale (§§ 427, 435, 446), et exceptionnellement de v initial (§ 443).
S sonore, notée par s, rarement par z, vient de s simple médiale (§§ 417, 423), de ti, ci en hiatus (§§ 406, 356), de c devant e ou i (§ 382).
S sourde est notée s avant ou après une consonne, au commencement ou à la fin des mots ; entre deux voyelles, elle est notée par ss. Elle vient de s initiale ou finale de mots ou de syllabes (§§ 416, 421) ; de s double (§ 423) ou en groupe (§§ 422, 423 ; de x (§ 387). Elle répond comme finale (§ 418) à l's sonore médiale, et quelquefois au groupe rs devenu final (§ 492).
I consonne est noté par i et se trouve dans les diphtongues ai, ei, òi, ói, üi. Il est le produit de la diphtongaison é en éi, de a en ai devant les nasales. Ou bien il se développe de la palatale qui suit les voyelles ; voir là-dessus particulièrement §§ 296, 315, 329.
H est d'origine germanique (§ 499) ou est le produit d'une réaction étymologique (§ 372).
Tch, noté par ch, vient de c initial de mots ou de syllabes devant a (§§ 379, 388 2º), d'i en hiatus après p (§ 356, 1º).
Ts, noté par c ou z, vient de c initial de mots ou de syllabes devant e, i (§ 378), de ci (§ 383), de ti après une consonne (§ 406, 2º), de t, d combinés avec s par suite de la chute d'une voyelle (§ 418). Après n, quand elle est la seconde consonne d'un groupe médial ou final, après l mouillée et n mouillée, l's de flexion se change en z, et le mouillement disparaît (§ 557, 1º).
Dj, noté par j devant a, o, u, et par g devant e, i, vient d'i consonne, initial de mots (§ 397) ; de g initial de mots ou de syllabes devant a, e, i (§§ 393, 396) ; d'i en hiatus après diverses consonnes (§ 356, 1º), et dans le suffixe aticum, adium, age.
L vient de l initiale de mots ou de syllabes (§ 452), de l finale de syllabes (§ 453), de l simple médiale (§ 452) ou de l double (§ 452).
R vient de r initiale ou finale de mots ou de syllabes (§§ 486, 487) ou de r simple médiale (§ 486).
L mouillée vient de l précédée ou suivie d'une palatale, avec laquelle elle se fond (§§ 462, 463).
M vient de m initiale de mots ou de syllabes (§§ 466, 472 1º) ; de m médiale simple ou double, demeurée intérieure ou devenue finale (§§ 467, 469, 471) ; de m contiguë à une consonne (§ 472).
N vient de n initiale ou finale de mots ou de syllabes (§§ 473, 483, 484), de n simple médiale ou de n double (§§ 474, 485) ; de m finale (§§ 468, 469), ou devenue contiguë à une dentale ou à une palatale (§ 484, 2º).
N mouillée, notée par gn ou ign, et, à la fin des mots, par ng ou ing, vient de n fondue avec une palatale voisine (§§ 482, 483).
§ 514. -- Groupes de consonnes.
Les groupes de consonnes sont les mêmes qu'en latin, sauf que cr remplace tr dans criembre de tremere (§ 401), et gl, gr remplacent cl, cr dans quelques cas (§ 477). En outre, dans l'intérieur des mots, on voit apparaître de nouveaux groupes ldi, mbr, ndr, mbl, str, où la consonne médiale a été introduite par suite de la chute d'une voyelle : molre moldre, tenre tendre, chamre chambre, humle humble, esre estre, etc. (§ 361, IV).
§ 515. -- Ancien français (onzième-quatorzième siècles). -- Voyelles.
Les voyelles pures a, è, i, ò, ü, e féminin, se conservent sans modification durant presque toute cette période. L'é entravé, sorti de l'é (e, i) entravé latin, devient è dans le courant du XIIe siècle (§ 308). En revanche, l'e sorti de l'a libre semble devenir fermé (§ 317).
Trois voyelles nouvelles apparaissent au XIe siècle : ce sont les voyelles nasales ã, e et ô, celle-ci seulement en voie de formation ; l'm et n après elles conservent encore toute leur valeur primitive (§§ 475, 476, 477, 478).
§ 516. -- Diphtongues et triphtongues.
La diphtongue ai passe à è du XIIe au XIIIe siècle, tout en continuant d'être écrite ai (§ 296).
Ei se change en òi dans tous les mots (§ 309, I), excepté devant une nasale ou une l mouillée (§ 310) : moi, toi, soi, mais fein, plein, sein, conseil, pareil.
Cette nouvelle diphtongue òi, sortie au XIIe siècle de éi, vient s'ajouter aux deux diphtongues òi sortie de au + i palatal (§ 333, I) et ói sortie de ó + i palatal (§ 330). Au XIIIe siècle, ces trois diphtongues se fondent dans la prononciation oè, qui, à la fin du XIIIe siècle, devient wè.
Ui, qui se prononçait auparavant en appuyant sur l'u, c'est-à-dire en assonant avec u, devient une diphtongue ascendante et assone ou rime avec i (§ 331).
Ou de ó libre tonique (§ 325) et òu dans pòu de paucum (§ 333), primitivement distincts, se confondent d'abord pour devenir eu à la fin du XIIIe siècle.
Uo de ò libre tonique se change au XIe siècle en ue, du XIIe au XIIIe siècle en oe (§ 320).
Il y a trois nouvelles diphtongues : les diphtongues nasales ain, ein, ien, la dernière plus récente et qui a toujours eu le même son que de nos jours ; les deux autres, à l'origine, se prononçaient ã-in', e-in'.
Quatre nouvelles diphtongues au (§ 455), eu (§ 457), òu, óu (§ 459), et deux nouvelles triphtongues eau (§ 456), ieu (§ 457), se forment par la vocalisation de l devant une consonne. Ou et óu se réduisent très vite à la voyelle simple u (ou).
§ 517. -- Consonnes simples.
A la fin du XIe et au commencement du XIIe siècle, d médial tombe dans la prononciation (§§ 402, 411). De même le t à la fin des mots (§§ 403, 412). Les autres consonnes finales, précédées d'une consonne ou d'une voyelle, tendent à disparaître quand elles sont suivies de mots commençant par une consonne. La même cause agit au pluriel des substantifs et adjectifs qui perdent devant l's de flexion la consonne finale du radical, palatale ou labiale : le coc, les cos ; le drap, les dras.
Tch se réduit à ch (§ 379), et ts à s (§ 378) au XIIIe siècle. Le z final, à la même époque, se réduit au son d's simple (§ 418), et dj perd son élément dental (§ 397).
S devant une consonne, à l'intérieur des mots, disparaît dans la prononciation (§ 422).
§ 518. -- Groupes de consonnes.
Aucune modification n'est apportée dans cette période aux groupes de consonnes de la période précédente.
§ 519. -- Moyen français (quatorzième-seizième siècles). -- Voyelles.
L'e féminin commence à n'être plus prononcé après les diphtongues et les voyelles, atones ou accentuées : vraiment, uniment, pour vraiement, uniement, journé(e) (§ 351).
Eu remplace la diphtongue oe, plus anciennement ue et uo (de ó tonique libre), dans neuf, œuf, etc. (§ 320).
É commence à remplacer ié dans tous les mots où cette diphtongue était précédée de ch ou g et dans tous les verbes où elle était précédée d'une palatale quelconque (§ 307).
A cette époque enfin, les sons simples i palatal, uè, wè, remplacent les hiatus formés par i, o, u, ü devant une voyelle accentuée : ions, iez de l'imparfait et du conditionnel deviennent monosyllabiques : on dit diable, viande, écuèle, mwèle au lieu de di-able, vi-ande, écu-ele, mo-ele (§§ 357, 358).
§ 520. -- Diphtongues.
Il n'y a plus qu'une seule diphtongue pure : au, de al vocalisé (§ 455) ; et une seule triphtongue pure : eau, de èl vocalisé (§ 456).
§ 521. -- Consonnes.
Rien à remarquer.
§ 522. -- Groupes de consonnes.
Rien à remarquer.
§ 523. -- Français moderne. -- Voyelles.
È remplace é quand celui-ci est suivi d'une consonne persistante : chèf, fève, père, au lieu de chéf, féve, pére, etc. Par suite, l'on dit bergé(r), bergère, messagé(r), messagère.
Une alternance analogue s'est établie à partir du XVIe siècle, et déjà plus anciennement, entre o, eu ouverts et o, eu fermés, suivant qu'ils sont suivis ou non d'une consonne sonore : dot, cœur, sœur, à côté de dos, flot, jeu, lieu, heureux, etc.
Ó remplace ò devant une sifflante dans des mots comme chose, fosse, rose, etc.
E féminin tombe, au XVIIe siècle, dans la prononciation courante, sauf après les groupes de consonnes qui exigent une voyelle d'appui : peuple, table, propre, appartement, exactement, lestement, etc.
Dans nombre de cas, sans qu'on puisse formuler de règles précises, è et plus souvent é remplacent e féminin dans des mots tels que bénin, gémir, guérir, lépreux, querir, etc.
Un nouvel ó sort de la diphtongue au sortie de al et de la triphtongue eau sortie de el, prononcées primitivement ao et eao. A la fin du XVIe siècle, ao devient ó, et au XVIIe l'e féminin de eao devenu eo cesse d'être prononcé.
Au milieu du XVIe siècle, è remplace ouè dans un certain nombre de substantifs, d'adjectifs, de verbes comme croie, monnoie, foible, connoître, paroître, et à l'imparfait et au conditionnel. Dans les mots qui n'avaient pas subi ce changement, oua a remplacé ouè entre le XVIe siècle et l'époque de la Révolution.
Deux nouvelles voyelles nasales apparaissent au XVIe siècle : i et u, dont il est impossible d'indiquer exactement la prononciation et qui, dans le courant du XVIIe siècle, sont devenues en et eun (§ 479).
Enfin au XVIIe siècle les voyelles nasales se changent en voyelles orales : an-née se prononce anée (§ 475).
§ 524. -- Diphtongues.
Le français moderne, comme on l'a vu par ce qui précède, n'a pas de diphtongues ni de triphtongues ; les seules qui subsistaient au XVIe siècle, ao et eao, sorties de al et de el, ayant disparu à la fin du XVIe siècle et au XVIIe.
§ 525. -- Consonnes simples et groupes de consonnes.
Au XVIIe siècle, r double est réduite à r simple. Au XVIIIe siècle, r palatale ou grasseyée se substitue à l'ancienne r alvéolaire. A la même époque, et déjà au XVIIe siècle dans le langage vulgaire, un i palatal remplace l mouillée, et l'h aspirée devient muette.
Les consonnes finales étaient encore distinctes au XVIe siècle non seulement avant les voyelles, mais encore avant toute pause du discours. C'est la règle observée encore pour les noms de nombre cinq, six, sept, etc., et pour certains autres monosyllabes comme soit ! net, fat, os, etc. A partir du XVIIe siècle, la plupart des consonnes finales ne se maintiennent plus que devant les voyelles dans le cas de liaison. R finale eut une destinée semblable ; même cette consonne cessa momentanément de se faire entendre dans bien des cas où nous la prononçons aujourd'hui, par exemple dans les infinitifs en ir et en oir.
De nos jours, la tradition des liaisons n'est plus guère observée dans toute sa rigueur qu'en vers : l'hiatus est de plus en plus toléré dans la prononciation courante. En revanche, sous l'influence de la lecture et de l'orthographe ou de quelque analogie, on a parfois rétabli des consonnes finales qui avaient cessé d'être prononcées : ainsi nous prononçons les État-s-Unis, tandis qu'au siècle dernier on ne faisait pas la liaison.
Pour les groupes de consonnes, il est à remarquer qu'ils deviennent de plus en plus nombreux par suite de la chute de l'e muet dans l'intérieur des mots ; on se trouve donc en présence de rencontres de consonnes qui nous ramènent en quelque sorte à l'origine de la langue : ainsi caleçon prononcé calçon nous reporte au temps où al n'était pas encore vocalisé devant une consonne ; dv dans nous d(e)vons, lv dans nous l(e)vons, pt dans p(e)tit homme, sont des groupes que le roman et l'ancien français n'auraient point tolérés et auraient ramenés à une consonne simple.
§ 526. -- Conclusion.
Cette rapide esquisse des transformations subies par la prononciation française nous montre que la langue a eu dès l'origine une tendance marquée à la contraction, à la prononciation rapide des mots. Les voyelles atones primitives ont disparu en donnant naissance à des groupes de consonnes peu harmonieux, dont la langue s'est débarrassée aussitôt. L'e féminin cessant d'être prononcé au milieu ou à la fin des mots, le français actuel se retrouve encombré de groupes qui lui donnent de plus en plus le double caractère monosyllabique et consonnantique. L'exemple suivant rendra visible au lecteur ce double caractère : la phrase qu'est-ce que c'est que cela prononcée rapidement arrive à n'être guère composée que de consonnes, séparées par des voyelles uniquement pour le besoin de la présence d'accents toniques : kékséksa. Que nous sommes loin de la phrase latine correspondante : Quid est eccehoc quod eccehoc est quod ecceillac