DICTIONNAIRE (du latin dictionarium, recueil de dictions ). Il se dit, en général, soit d'un recueil des mots d'une langue rangés dans un ordre systématique et expliqués dans la même langue, ou traduits dans une autre, soit de divers recueils, faits par ordre alphabétique, sur des matières de littérature, de sciences ou d'arts, à la différence de glossaire, lexique, vocabulaire, qui ne s'appliquent qu'aux purs dictionnaires de mots. Les anciens nous ont laissé fort peu de monuments en ce genre, et le moyen âge, jusqu'au commencement du seizième siècle, ne nous offre guère que des essais philologiques très incomplets. Ce ne fut qu'après la découverte de l’imprimerie, à l'époque de la Renaissance, lorsque avec le goût des études se fit sentir le besoin impérieux d'entendre les auteurs de l'antiquité, que des écrivains, doués de l'esprit de recherches, s'attachèrent laborieusement à éclaircir les difficultés de l’art du langage, à indiquer ses principes et à consacrer les caprices de l'usage par l'autorité de leurs savantes investigations. Bientôt les religieux de Port-Royal préparèrent d'heureux développements à la lexicographie, en appliquant aux opérations les plus secrètes de la science grammaticale une logique forte et savante, qui leur dévoila les prodiges de l'esprit humain dans la formation du langage, et les conduisit à poser les fondements des langues en général, et en particulier de la nôtre. Les règles furent soumises à l'analyse; les principes, plus approfondis, se simplifièrent; leur analogie fut plus frappante, et, mieux liés ensemble, ils formèrent la grammaire générale, que plus tard féconda l'esprit philosophique, résultat heureux de l'étude que l'homme fit sur lui-même et sur les chefs-d'oeuvre créés par lui dans les arts et dans les sciences. Dès lors, on vit les dictionnaires se multiplier à l'infini; on en composa de tout genre, non-seulement pour toutes les langues, et même pour des idiomes populaires, mais encore sur toutes les matières les plus graves et les plus futiles. La fable et l'histoire, les moeurs et le théâtre, les voyages et les romans, la morale et les quolibets, les précieuses et les halles, etc., en un mot toutes les spécialités des travaux et des connaissances humaines: arts, sciences, usages, industries, préjugés, tout fut soumis à la forme de dictionnaire, et leur nombre est tel aujourd'hui qu'à eux seuls ils composeraient une grande bibliothèque, d'autant plus précieuse qu'elle pourrait ait besoin suppléer en quelque sorte à tous les livres connus.
Rappelons d'abord les tentatives des anciens. Sans parler de l'espèce de recueil biographique attribué à Callimaque, garde de la bibliothèque de Ptolémée-Philadelphe et qui se trouve perdu, le premier auteur qui parait s'être occupé de lexicographie est le célèbre Varron. Les fragments qui nous restent de ses recherches roulent sur les origines, l'analogie et la différence des mots. Nous possédons encore de lui un Traité de la langue latine en six livres. Vient ensuite le dictionnaire de Verrius Flaccus, grammairien qui florissait à Rome sous Auguste et dont le dictionnaire, intitulé De verborum significatione, était divisé en vingt livres; nous n’en conservons qu'un abrégé, fait, suivant les uns, dans le troisième siècle, et selon quelques autres, dans le cinquième, par Pompeius Festus, et qui fut retrouvé dans la bibliothèque du cardinal Farnèse. Vers la fin du premier siècle, Érotien, voulant aider à l'intelligence des termes difficiles ou obscurs qu’on rencontre dans Hippocrate, recueillit par ordre alphabétique tous les mots contenus dans les oeuvres de cet auteur, et en fit un vocabulaire qu'il dédia au savant Andromachus, premier médecin de Néron. Les explications de ce vocabulaire sont généralement trop brèves et quelquefois ambiguës, au point de n'offrir que des énigmes à deviner. Jules Pollux, l'un des instituteurs du jeune Commode, sous Marc-Aurèle, et qui professa depuis la rhétorique à Athènes, composa vers 180, en 10 livres, un dictionnaire grec sous le nom d'Onomasticon, que Vossius appelle un ouvrage trés-docte, et que Casaubon dit être excellent et trés-utile. C'est une nomenclature des mots, les uns synonymes, les autres analogues, rangés sous- quelques mots principaux qui servent de titres aux chapitres. Le livre où il traite de l'homme, et celui où il passe les arts en revue, sont remarquables par l'esprit de méthode avec lequel l'auteur a su classer en ordres, en genres et en espèces, une multitude de mots qui s'y trouvent expliqués. Cet Onomasticon parait avoir servi de type aux nombreux recueils publiés depuis sous le titre de « Janua Linguarum ». Vers la même époque Phrynicus Arrhabius, de Bithynie, composa en trente-sept livres, sous le non "d'Apparat sophistique", un recueil de tous les termes du dialecte attique, rangés dans un certain ordre et avec assez de méthode, ouvrage existant en son entier dans le neuvième siècle, du temps de Photius, qui le trouvait utile, quoique diffus, et dont il nous est parvenu un abrégé ayant pour titre: Eclogoe nominum et verborum atticorum.
Ici doit trouver sa place Valère Harpocration, soit qu'il ait été, comme on l'a dit, l'un des précepteurs donnés par Antonin au jeune Varus, son fils adoptif, plus tard associé à l'empire par Marc-Aurèle, soit que, suivant une autre opinion, il ait vécu dans le quatrième siècle, contemporain de Libanius, qui en parle dans une de ses lettres. Cet habile rhéteur d'Alexandrie rassembla tous les mots employés particulièrement par les dix grands orateurs de la Grèce, et en composa un lexique, dans lequel il indique avec beaucoup d'exactitude les formes du barreau d'Athènes, les lieux divers de cette république, les noms des citoyens qui ont eu le maniement des affaires, et principalement tout ce qui a été dit à la gloire de ce peuple célèbre. Cet utile dictionnaire porte le titre d'Harpocration. N'oublions, pas, non plus, le Lexicon vocum platonicarum de Timée, qui, selon l'opinion la plus probable, vécut entre le deuxième et le quatrième siècle, recueil de locutions platoniques, accompagnées de courtes explications, retrouvé dans un ancien manuscrit de la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés.
Dès le cinquième siècle, la géographie avait été l'objet des recherches d'Étienne de Byzance: un fragment de son dictionnaire, contenant l'article Dodone et quelques autres, publié par Casaubon, révèle la manière de l'auteur, et suffit pour faire regretter vivement la perte d'un ouvrage où se trouvaient les noms des lieux et des habitants, l'origine des villes et leurs dérivés, ainsi que celles des peuples et de leurs colonies. Il ne nous reste de cet important dictionnaire géographique, outre le fragment ci-dessus indiqué, qu'un mauvais abrégé fait par Hermolaüs, sous l'empereur Justinien. Du temps de Théodose le jeune, vers le milieu du cinquième siècle, Helladius, grammairien d'Alexandrie, composa un lexique grec des mots et des façons de parler spécialement usités dans la prose. Plus tard, Hesychius, dont l'époque n'est pas fixée, que les uns placent dans le troisième siècle, mais qui, suivant d'autres, serait le même que le patriarche de Jérusalem mort en 609, nous a laissé un dictionnaire grec que Casaubon et Ménage regardent, comme le plus docte et le plus utile de tous les ouvrages de l'antiquité en ce genre. Ce lexique, dont on ne possède qu'un seul manuscrit conservé dans la bibliothèque Saint-Marc à Venise, et où les citations ont été retranchées, est encore d'un grand secours pour l'intelligence des auteurs et surtout pour l'explication de beaucoup d'usages anciens. On y trouve, rangés par ordre alphabétique, les termes employés dans les sacrifices, les divinations, la gymnastique, ainsi que toutes les expressions les moins usitées de la langue qui se rencontraient dans les poètes, les orateurs, les historiens, les médecins, les philosophes, ou qui étaient plus particulières à quelques-uns des peuples de la Grèce.
Vers le neuvième siècle, tandis que l'Europe se débattait dans les ténèbres de la barbarie, les Arabes nous offrent un grand nombre de dictionnaires, parmi lesquels on en trouve de géographiques, qu'on dit très exacts, et d'autres, tel que celui d’Abd-el-Maleck, qui méritent d'être signalés. Toutefois, nous voyons à la même époque un archevêque de Mayence, Raban-Maur, auteur d'un glossaire théotisque, dont la bibliothèque de Munich conserve encore un manuscrit. Indiquons encore Suidas, qui, selon l'opinion la plus probable, vivait vers le dixième siècle; son dictionnaire n'est, à vrai dire, qu'une compilation biographique, où l'on souhaiterait parfois plus de goût et de discernement, ce qui l'a fait comparer à une bête couverte d'une toison d'or, mais où l'on trouve, outre l’interprétation des mots, non-seulement des notions historiques sur divers personnages de l'antiquité, mais encore un assez grand nombre de fragments d'auteurs perdus. Le milieu du onzième siècle nous offre le Vocabularium latinum de Papias. Vers 1050, le rabbin Juda Huig ou Chuic compose son dictionnaire hébreu, qui n'est pas, comme on l'a dit, le premier fait sur cette langue puisqu'on connaît celui du rabbin Menachem, au neuvième siècle; mais Juda Huig eut le mérite de créer une sorte de méthode et d’établir des règles, demeurées fort incertaines jusqu'alors, parce que les juifs se contentaient de recevoir de père en fils, et de se transmettre ainsi par tradition, la connaissance verbale de leur langue. Ce dictionnaire, de même que celui de Jona de Cordoue, postérieur de quelques années, est écrit en arabe, selon la coutume des rabbins du temps; il en est ainsi du vocabulaire talmudique de Ben Jechiel, mort en 1106.
Le moyen-âge ne nous offre plus guère que des compilations informes, dont il faut excepter toutefois le Catholicon du Génois Balbi, dans le treizième siècle, espèce d'encyclopédie latine, contenant une grammaire, une rhétorique et un vocabulaire, l'un des premiers ouvrages sur lesquels on ait fait les essais de l'art typographique. Du reste, après le lexique provençal-latin cité par Montfaucon, sous le titre de Dictionarium locupletissimum, à la date de 1286, nous nous bornerons à l'indication d'un vocabulaire latin-français déposé aux archives de l'empire (M. n° 897) et dont l'écriture paraît appartenir au commencement du quatorzième siècle. Vient enfin la Renaissance, époque unique dans l'histoire des langues. Alors, il y eut un immense accord de tous les savants à faciliter la connaissance des textes par l'explication des mots, et, sans nous arrêter aux divers travaux de ce genre, pas même au Lexicon ciceronianum de Nizolius, ni au dictionnaire polyglotte que Calepin donna en 1502 comme la moelle, ou plutôt l'essence de presque toutes les sciences, tirées de tous les meilleurs auteurs, hâtons-nous d'arriver au célèbre Robert Estienne, dont le Thesaurus lingus latinae, publié en 1531 (3 vol. in-fol.), vrai trésor en effet de recherches et d'érudition, ne peut guère se comparer qu'au Thesaurus lingus graecae de son fils, Henri Estienne (Paris, 1572, 5 vol. in-fol.), qui fit pour la langue d'Homère et de Démosthène ce que son père venait d'exécuter avec tant de succès pour celle de Virgile et de Cicéron. Le premier de ces ouvrages servit de type au Lexicon tottius latinitatis que Forcellini mit quarante ans à composer, sous la direction de son maître Facciolati, qui comprend tous les mots de cette langue avec leurs acceptions diverses, prouvées par des exemples. Quant au trésor de la langue grecque, toutes les améliorations dont il pouvait être susceptible ont reçu leur complément par la forme alphabétique que leur ont donnée MM. Firmin Didot, qui ont su profiter à la fois de celles déjà faites en Angleterre et du concours des plus savants hellénistes de l'Europe.
Après ces chefs-d’œuvre, signalons quelques-uns des lexicographes qui les premiers firent des dictionnaires, soit entièrement de leur propre langue pour l'usage de leur nation, soit avec une explication latine ou autre, pour en faciliter l'intelligence aux étrangers: tels sont, sous cette dernière forme, les vocabulaires espagnol et latin de Lebrixa, français-latin du même Robert Estienne, latino-italien de Pierre Gasselini, le trésor des trois langues espagnoles, française et italienne de César Oudin, le dictionnaire hollandais et italien de Moïse Giron, le glossaire suédois-latin-anglais-français de Hag. Spegel, le lexicon gothico-runique latin et grec d'André Gudmond, les dictionnaires flamand-français de Grange, allemand-français de Schwan, polonais-allemand-français de Trotz, russe-français-allemand de Heym, suisse-allemand-français de Poëtevin, etc.; et sous l'autre forme, le dictionnaire purement français d'Aimar Ranconnet, et celui de Nicod; le trésor de la langue espagnole de Sébastien Covarruvias, le vocabulaire italien de Fabricio Luna, et enfin le Richezze de la lingua volgare d'Alumno de Ferrare, qui eut la patience de réunir tous les mots et toutes les expressions dont Boccace et les auteurs précédents s'étaient servis.
Du reste, avant toutes les nations de l'Europe et dès 1612, l'Italie avait un bon dictionnaire, celui de l'Académie de la Crusca, en six volume in-fol., vaste répertoire auquel sans doute on peut reprocher de n'avoir pas donné l'étymologie des mots, et de ne pas comprendre dans ses citations des écrivains célèbres, entre autres le Tasse et l'Arioste, parce que cette académie s'est bornée aux seuls auteurs du trecento, c'est-à-dire à ceux de 1301 à 1400, mais qui n'en est pas moins un modèle qu'on n'a pas surpassé depuis. Le dictionnaire de la Crusca précéda de près d'un siècle celui de l'Académie Française, et dans ce long intervalle, où toutes les gloires vinrent à l'envi décorer le règne de Louis XIV, la lexicographie fut presque réduite à des compilations, hérissées de recherches scolastiques, dénuées, pour la plupart, de critique, de méthode et d'esprit philosophique. Nous en excepterons toutefois, 1° pour le latin et le grec, le Lexicon graeco-latinum de Robert Constantin (2 vol. in-fol., 1562), le Janua linguarum de Comenius, publié en Pologne (1631), et traduit depuis en treize langues différentes; l'Etymologicon de Vossius (in-fol., 1662); le Manuale graecum de Hédérich, plus ample et plus correct que ceux de Scapula et de Schrevelius; le Jardin des racines grecques du bénédictin Lancelot (1657), et principalement les glossaires de Du Cange sur les mots de la basse latinité et de l'hellénisme corrompu, ouvrage d'un vaste savoir. 2° Pour les langues orientales, le Nomenclator de Drusius, mort en 1616; le dictionnaire syriaque de Ferrari (in-4°, 1622), le trésor de la langue arabe de Gigeius, encore fort estimé (4 vol., 1632); le Lexicon de Castell, en sept langues (1659), travail plein d'érudition; le grand dictionnaire turc de Lorrain Meninski (4 vol. in-fol. 1680); la Bibliothèque orientale de d'Herbelot, qu'il n'eut pas la satisfaction de publier, etc. 3° Pour notre langue, les Origines françaises de Caseneuve (1652), et celles que donna trente ans après le savant Ménage; le dictionnaire de Richelet (in-4°, 1680) : porté dans l'édition de Lyon (1728) à trois vol. in-f°, et qui, le premier, a indiqué la prononciation et cité des exemples choisis dans les meilleurs auteurs du temps; enfin, celui de Furetière, d'où est sorti l'important dictionnaire de Trévoux.
Ce fut en 1694 que l'Académie Française publia le sien en deux vol. in-fol. La sixième et dernière édition, sortie des presses de MM. Firmin Didot, est de 1835. Cet ouvrage fut, dès son apparition, l'objet de nombreuses critiques : la plus ingénieuse et la plus mordante fut d'en extraire les façons de parler populaires et proverbiales, et de les publier, en 1696, sous le titre de Dictionnaire des Halles. L'Académie ne répondit pas, et fit bien; mais elle ne profita point assez de ces critiques, et ce fut un tort. Elle n'adopta la forme alphabétique que dans sa seconde édition de 1718. Cependant, tandis que l'Académie Française, avec une persévérance que la plus scrupuleuse modestie ne saurait excuser, négligeait les exemples que lui offraient les ouvrages des grands écrivains qu'elle comptait parmi ses membres, un simple avocat de Normandie, Basnage de Beauval, savait en profiter pour augmenter et perfectionner le dictionnaire de Furetière, qu'il publia de nouveau en 1701 (3 vol. in-fol.), et dont les jésuites s'emparèrent bientôt pour en faire disparaître tout ce qui semblait favoriser le calvinisme, que Basnage avait embrassé après la révocation de l'édit de Nantes. Ils en donnèrent une édition en 1704, sous le titre de Dictionnaire universel, qui a pris depuis celui de Trévoux, ville où il fut imprimé, et dont il a conservé le nom. Ce dictionnaire, que des accroissements et des améliorations successives ont porté à huit vol. in-fol. dans l'édition de 1771, doit être regardé comme le meilleur et le plus complet qui existe jusqu'à présent dans notre langue, même en y comprenant le Grand vocabulaire Français publié chez Panckoucke, en 30 vol. in-4° (1767), et qui n'est guère qu'une compilation indigeste de l'encyclopédie.
Le dix-huitième siècle fut fécond. en ouvrages philologiques dignes d'être remarqués, et chaque pays de l'Europe put dès lors compter un dictionnaire de sa langue. Le premier en date est le Vocabulario Portuguez, en dix vol. in-fol., publié à Coïmbre, de 1712 à 1728, par Raphaël Bluteau. Puis vient celui de la langue castillane, que l'Académie de Madrid donna en 1726 et années suivantes, ouvrage fait à l'instar de celui de la Crusca, avec des exemples tirés des meilleurs auteurs espagnols. L'Angleterre, qui possédait déjà l'encyclopédie de Chambers, imprimée en 1728, à laquelle Diderot emprunta l'idée de l'Encyclopédie française, mais qui jusqu'alors n'avait guère pour son usage que le dictionnaire universel de Bailey, le vocabulaire de Boyer et les Etymologicon linguae anglicanae de Junius et de Skinner, fut aussi dotée en 1755, par Samuel Johnson, d'un des meilleurs dictionnaires qui existent dans aucune langue. Il y a peu d'exemple, d'un travail aussi étendu exécuté par un seul homme et avec une égale supériorité. Nous avons encore à signaler en Suède le Glossaire de Jean Ihre (2 vol. in-fol., 1769), dans lequel on trouve, non-seulement l'explication raisonnée de la langue suédoise, mais, en outre, de bonnes observations sur les analogies et sur les origines des langues en général. Pour l'Allemagne, mentionnons également le Dictionnaire grammatical et critique d'Adelung (Leipzig, 1774 à 1780, 5 vol. in-4°), qui a fait pour sa langue ce que Johnson avait si heureusement exécuté pour la sienne. Inférieur au lexicographe anglais dans le choix des exemples, Adelung l'égale souvent pour les définitions, pour le classement des mots, leur filiation, l'ordre de leurs acceptions diverses, et il le surpasse même quelquefois pour les étymologies, qu'il tire fréquemment des langues orientales, auxquelles il rapporte une partie des dialectes germaniques, et que Johnson avait trop négligées dans son travail. Vers la même époque, en France, le savant Lacurne de Sainte-Palaie terminait son glossaire alphabétique de la langue française depuis son origine jusqu'à Malherbe, recueil immense, qui ne forme pas moins de 61 tomes manuscrits, déposés à la Bibliothèque impériale, et dont il n'a été imprimé qu'un vol. in-fol., comprenant jusqu'au mot asseurté. Enfin, indiquons en Portugal l'admirable dictionnaire si heureusement commencé par l'Académie royale des sciences de Lisbonne. Après ces dictionnaires, nous serions coupable d'oublier celui que l'Académie russe de Saint-Pétersbourg a publié de 1816 à 1822, en six vol. in-4°, et auxquels nous n'avons guère rien à comparer, malgré les louables efforts de plusieurs lexicographes de nos jours.
Maintenant, comme nous n'avons pas la prétention de tracer les règles de la science lexicographique, bornons-nous à résumer ici le plus méthodiquement possible ce qui nous parait avoir été dit de mieux sur cette matière, depuis les tâtonnements des seizième et dix-septième siècles jusqu'aux savantes investigations des érudits du siècle suivant et des habiles philologues de nos jours. Les dictionnaires sont les archives des langues, où doivent être recueillis et classés tous les mots de chacune de ces langues à l'usage des peuples qui les parlent. Toutes ont deux sortes de mots distincts, les uns primitifs et les autres dérivés; il y a donc deux manières de les ranger, l'une en les disposant par racines, l'autre en les plaçant; quelle que soit leur nature et leur origine, dans leur ordre alphabétique. De ces deux méthodes, la première est sans contredit la plus rationnelle, la plus logique, la plus propre à instruire, parce qu'elle montre immédiatement, et sous le mot primitif, tous ceux qui en dérivent, à l'instar de ces arbres généalogiques où l'on voit, sous chaque chef de famille, tous les descendants et toutes les branches qui en sortent. Mais l'ordre radical, plus approprié à l'usage des savants, qui n'ont guère besoin de dictionnaire, qu'à celui du commun des lecteurs, pour lesquels ils sont faits, offre beaucoup moins de facilité pour les recherches que l'ordre alphabétique; aussi cette dernière forme a-t-elle universellement prévalu. Sans doute, un dictionnaire ne donne point la science et moins encore le talent, mais il doit en être la clef, parce qu'il conduit à la propriété des expressions, soit en montrant les différentes significations des mots, soit en indiquant l'usage qu'on en fait et celui qu'on en doit faire : cette signification s'établit par de bonnes définitions, cet usage par une bonne syntaxe. Et comme chaque langue est à la fois écrite et parlée, après avoir déterminé la nomenclature des mots qui la composent, il faut en indiquer l'orthographe et la prononciation, qui l'une et l'autre sont parfois subordonnées à l'étymologie; marquer ensuite la qualification de chacun d'eux comme partie du discours; distinguer leurs acceptions diverses, en observant la filiation des idées, et y joindre tous les éclaircissements propres à fixer leurs sens véritable en s'appuyant de l'autorité des exemples.
Il ne reste peut-être plus qu'un seul moyen d'arrêter la décadence où tombe visiblement la langue de jour en jour, c'est d'opposer une forte digue au débordement de néologismes, d'expressions impropres, de métaphores outrées, de locutions incorrectes, de tournures forcées, d'images incohérentes dont nous sommes envahis; et cette digue, qui exige un assemblage de matériaux épurés ne saurait être construite, il faut le dire, que par la seule compagnie qui, malgré les éternelles épigrammes dont elle n'a cessé d'être l'objet depuis sa création n'en réunit pas moins encore dans son sein une multitude et une variété de connaissances et talents qui n'existent peut-être pas ailleurs, et qu'il est surtout impossible de trouver rassemblés dans une même personne. Telle est donc maintenant la haute mission de l'Académie Française : chargée uniquement, dans son origine, de veiller sur la langue naissante, elle à pu sans doute, par une stricte observance de ses statuts, la laisser libre dans sa marche tant que cette marche lui a été imprimée par le génie; mais aujourd'hui que nous comptons fort peu de Pascal, de Racine, de Molière, de Bossuet, de La Bruyère, de J.-J. Rousseau, de Montesquieu, de Voltaire, le premier devoir de l'Académie est de ramener la langue dans les limites raisonnables que ces modèles ont su toujours respecter sans rien perdre de leur essor et de leurs prodigieux avantages. Le principe constitutif de l'Académie française doit être en effet un principe conservateur. Instituée d'abord pour suivre et constater l'état de la langue, elle doit maintenant tracer l'histoire philosophique de son enfance, de ses progrès et de sa perfection, en se reportant à l'origine de chaque mot, en expliquant ses variétés de formes et de sens dans ses âges divers, en indiquant les nuances Infinies d'acceptions qu'il a reçues du bon goût et du bon usage, en renouvelant, comme l'ont fait, parfois avec bonheur, J.-J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, des pressions ingénieuses et pittoresques que leur abandon a laissées sans analogues, en groupant enfin autour de chaque mot les exemples les plus variés et les meilleurs que puissent fournir nos chefs-d'oeuvre. Voilà le service qu'on est en droit d'attendre de cette célèbre corporation; il serait le plus éminent, le plus réel que jamais ses travaux eussent rendu la langue et aux lettres françaises.
PELLISSIER
Parmi les Dictionnaires français modernes, autres que celui de l'Académie, auquel on a fait un gros volume de complément renfermant la géographie, la mythologie, la technologie, etc., il faut citer d'abord celui de Laveaux, œuvre philosophique contenant des définitions nouvelles appartenant presque toutes à l'auteur, mais peu appréciées aujourd'hui, par suite du changement des opinions; puis celui de Boiste, qui ne définit presque que par des synonymes, mais qui fait suivre les définitions de sentences morales tirées des bons auteurs, et indique en général, avec les différences d'orthographe, les premiers écrivains qui ont employé chaque mot dans un sens ou dans un autre. Les appendices de ce dictionnaire, contenant un Dictionnaire des rimes, un dictionnaire des synonymes, un dictionnaire des difficultés de la langue, un dictionnaire biographique, géographique, etc., ajoutent encore à son utilité. Le Dictionnaire de Napoléon Landais a eu un succès que rien ne semble justifier. Ses attaques contre le Dictionnaire de l’Académie n'ont souvent pas le sens commun; néanmoins elles flattaient la vanité ignorante. On lui a fait un supplément énorme dû à MM. Barré et Chézurolles, qui avaient à rectifier une foule de bévues endossées par l'auteur, dont le prénom, dit-on, avait puissamment aidé à la vente. Le Dictionnaire de M. Bescherelle n'est pas beaucoup mieux fait; les mots y sont entassés sans discernement, l'encyclopédie s'y mêle sans direction aucune; chaque auteur a fait la série syllabique dont il était chargé comme il l'a entendu, l'un dans un sens, l'autre dans un autre, pillant dans les dictionnaires et les encyclopédies, sans gêne et sans façon, ce qui convenait à ses opinions, à ses goûts. Heureusement de nombreuses citations lui donnent quelque intérêt; mais le manque de révision des épreuves a trop souvent tout embrouillé.
L. Louvet.
A l'étranger, nous devons encore mentionner ici les travaux de Gesenius de Freytag, pour les langues orientales, de même que ceux de Campe, Heinsius, Graff, etc., et tout récemment des frères Grimm, pour la langue allemande; de Schneider et de Passow pour la langue grecque; de Basile Faber, J.-M. Gessner, Scheller, Freud, Klotz, etc., pour la langue latine. Des dictionnaires relatifs à certaines parties des connaissances humaines ont été aussi entrepris, à partir du dix-huitième siècle, par exemple sur la mythologie, la géographie et l'histoire. Dans ces derniers temps, beaucoup d'érudits ont composé des dictionnaires explicatifs des mots qui se trouvent employés dans tel ou tel auteur; nous citerons en ce genre le dictionnaire de Sturz pour les oeuvres de Xénophon, celui de Schweighaeuser pour Hérodote, celui d'Ast pour Platon, celui d'Ellenot pour Sophocle, et celui de Bonnelle pour Quintilien, comme les meilleurs. On a un bon dictionnaire des mots employés par les Pères de l'Eglise, par Suicer; pour les commentateurs du Nouveau Testament, par Walch, Bretschneider, Wilke, etc.
[éd. 1867, t. 7, pp. 557 a - 560 b]