LANGUE. (Philologie). Dans son acception propre, ce mot s'entend de l'expression des pensées au moyen de sons articulés et liés entre eux; ce qui constitue l'une des prérogatives les plus essentielles de l'être raisonnable, de l'homme.

De bonne heure, dans l'antiquité grecque déjà, on souleva la question de l'origine des langues; et au dix-huitième siècle on s'en occupa avec une nouvelle ardeur. Les uns considérèrent le langage comme une invention de l'intelligence humaine; les autres y virent un don Immédiat de la divinité, en invoquant même à l'appui de leur opinion l'autorité de la Bible, comme faisait encore en 1766 Süssmilch, qui essaya de démontrer dans un ouvrage spécial que le langage a pour origine non pas l'homme, mais uniquement son créateur. Herder, dans sa célèbre dissertation Sur l'Origine des Langues (Berlin, 1772), rejeta avec raison ces deux opinions, et établit le premier que la langue est un attribut essentiel et nécessaire de la nature humaine. Adelung (dans son Mithridate [1809]) envisageait encore ce phénomène d'une manière si extérieure et si purement mécanique, qu'il prétendait que toutes les langues sont construites de même et qu'elles ne diffèrent entre elles que suivant le degré auquel elles sont parvenues sur l'échelle de leur développement, depuis les langues monosyllabiques de l'Asie orientale jusqu'aux langues polysyllabiques de l'Europe. Ce fut Eichhorn qui le premier donna en Allemagne l'idée de grouper les langues généalogiquement, en comprenant sous le nom de langues sémitiques la langue hébraïque et celles qui ont de l'affinité avec elle. En 1808, F. Schlegel, dans son Essai sur la Langue et la Sagesse des Indiens, distinguait les langues non susceptibles de flexions, les langues, à affixes, et les langues à flexions; et il nommait inorganiques les langues des deux premières classes, et organiques celles de la troisième. Bientôt après Bopp, en créant la grammaire comparée, non-seulement donna à la science des langues a une base large et solide, mais encore signala avec une profonde pénétration le mécanisme du langage, les moyens à l'aide desquels l'homme crée des expressions pour les divers rapports et situations de la vie; voie féconde, que Pott élargit encore, tandis que J. Grimm explorait d'une manière analogue, mais chronologiquement limitée, le champ qu'offrait à son esprit investigateur une nation fractionnée en un grand nombre de branches, la nation germanique. Enfin, G. de Humboldt, dont les observations furent principalement dirigées sur les caractères et les qualités propres de l'individu, de l'être isolé, démontra que toute langue est bien une émanation de la nature humaine en général, mais qu'en même temps elle constitue en soi un organisme particulier qui reflète fidèlement le caractère particulier du peuple qui la parle et qui de son côté réagit d'une manière déterminante sur le développement du génie de ce peuple. Il nous apprit aussi que la langue peut, à la vérité, être dominée par la nature de la puissance d'articulation vocale, mais bien davantage encore par l'activité formatrice intérieure de l'esprit, laquelle est tellement une activité articulaire, que le sourd-muet, presque complètement exclu de l'articulation vocale, parvient à l'aide du mouvement visible des instruments de la parole et de l'écriture en lettres à parfaitement comprendre l'articulation, et même à s'en servir, puisqu'il apprend à lire, à écrire et à parler alphabétiquement. Dans ces dernières années Steinthal a entrepris avec un remarquable succès de continuer et de développer d'une manière encore plus claire ces recherches et ces découvertes de G. de Humboldt, et de leur donner des bases plus solides (consultez la Science des Langues de G. de Humboldt [Berlin, 1848], sa Classification des Langues [1850], et son Origine des Langues [1851].

Ces travaux préparatoires, dont les résultats, quand on songe à l'intervalle de temps si restreint dans lequel ils se sont succédé, paraissent déjà si importants, font clairement apprécier les conditions qu'il faudra remplir pour pouvoir pénétrer plus avant dans l'essence même des langues et de leur diversité: 1° connaître les rapports existant entre le langage et l'esprit; 2° déterminer les rapports du langage avec la pensée; 3° connaître les rapports existant entre les, diverses langues et l'essence générale des langues, condition qui a pour corollaires les questions suivantes. À quel moment se produit la diversité des langues? Comment est-elle possible et nécessaire? Jusqu'où peut-elle aller? 4° enfin, exposer la diversité des langues dans ses formes. Or, ce n'est que dans ces derniers temps que ces questions et quelques autres ont été soulevées : elles n'ont point encore été rigoureusement scrutées ni posées dans les termes les plus exacts, et dès lors elles sont loin d'être résolues. La psychologie n'a encore presque rien fait pour elles; et c'est tout récemment seulement, à la suite de nombreuses investigations, aussi solides que sagaces, que la physiologie a pu sous ce rapport arriver à quelques données certaines.

Le son est un bruit nécessairement produit, c'est-à-dire un bruit formant une expression indépendante de l'organisme animal. La parole provient d'une mise en oeuvre de la voix produite par la gorge au moyen de parties situées au-dessus de la gorge, telles que la cavité buccale, le palais, la langue, les dents, les lèvres, le nez. Le grand nombre des parties qui y coopèrent, la diversité des positions qu'elles affectent les unes vis-à-vis des autres et la gradation du vent rendent possible une quantité presque infinie de sons et d'associations de sons, qui nécessairement ne sauraient se noter ensemble par n'importe quelle écriture, pas plus qu'il n'est physiologiquement possible de les, observer tous, parce qu'un grand nombre d'organes qui y prennent part se dérobent complètement à la vue en y coopérant. Toutefois, il n'y a pas d'homme qui emploie à la fois tous les sons possibles; au contraire, chacun de nous, de même que chaque peuple, a sa manière propre d'user les instruments de la voix, et en emploie de préférence une certaine partie. La différence essentielle existant entre la parole et d'autres sons, tels que les cris d'animaux, nos propres cris, le rire, c'est qu'elle est articulée, formée, limitée. Or, cette limitation, fondée sur l'essence même du son et déterminée par la capacité qui lui est propre, est la base de sa séparation en modes et en individualités précisément discernables: elle est en même temps extérieurement produite et encore une fois déterminée, tantôt publiquement par les sons qui se limitent réciproquement dans l'association des sons, tantôt intellectuellement, par la force rationnelle de volonté de celui qui parle, libre qu'il est de prolonger ou de supprimer à volonté la durée du son produit par le souffle ou la voix, seul mode par lequel l'association des sons parvienne à sa complète signification. Il en résulte que l'articulation qui pénètre jusque dans les éléments les plus simples du langage repose essentiellement sur la puissance qu'a l'esprit sur les instruments de la parole de les contraindre à traiter le son d'une manière qui réponde à son effet et de faire servir à ce but aussi bien les éléments substantiels du son, de sa nature, de sa forme et de son intensité, que ses éléments accidentels, c'est-à-dire sa quantité et le ton.

Dans son état actuel, voici comment la science des langues explique les rapports de l'esprit avec le langage. Quand l'esprit, parvenu à avoir la conscience de lui-même, reçoit une impression, une intuition, il naît immédiatement et instinctivement en lui le besoin de se représenter à lui-même cette intuition : à ce premier acte de l'activité de l'esprit succède aussitôt le besoin du second acte, lequel consiste à fixer cette idée spontanément produite : or, cet acte se produit par un signe extérieur quelconque, et plus particulièrement par un son s'échappant instinctivement, et devenant un son articulé, c'est-à-dire un son limité et un, parce que l'idée est limitée et une. Le langage est par conséquent la conscience instinctive de l'intuition parvenue à s'exprimer au moyen d'un ton limité et articulé. Puis, quand avec le progrès de la conscience l'esprit est parvenu à la formation de la pensée, il procède avec cette pensée comme il procédait tout à l'heure avec les intuitions, de telle sorte que la langue n'est pas l'expression pure des intuitions et des pensées, mais toujours seulement de leur image; d'où il suit que l'histoire du langage n'est que l'histoire des idées humaines. Il y a donc bien union intime entre la langue et la pensée, mais non identité, et dés lors il n'y a pas nécessairement accord absolu entre elles. Il faut tout au contraire distinguer trois choses dans le langage : 1° la substance de la pensée, qui est représentée par les intuitions et les idées et subordonnée à ses lois propres, appartenant à l'essence de l'esprit; 2° le son ou l'élément extérieur en général; et 3° l'activité de la réunion de ses deux éléments, la représentation de la substance de la pensée dans le son, d'après des lois précises particulières à la langue. Cette troisième chose, que Humboldt appelle la forme intérieure de la langue, est à proprement parler l'âme de la langue, la base intime de sa vie et de sa conformation. Toutefois, pas un seul de ces éléments n'est invariable en soi. La pensée procède, il est vrai, de lois éternelles, rigoureusement valables pour chaque individu; mais la manière dont chacun en use n'est pas moins différente, comme le prouvent les lois tout aussi rigoureuses de l'organisme physique dans les différents phénomènes qui s'opèrent dans chaque corps humain isolé; c'est pour cela que la pensée est plus rapide chez l'un, plus subtile chez l'autre, plus profonde chez un troisième, etc. En outre, les organes de la voix, dans ce qu'ils ont d'essentiel, sont les mêmes chez tous les hommes et cependant construits d'une façon particulière dans chaque individu, qui en use aussi d'une façon particulière. Enfin, il peut y avoir une immense différence dans la manière dont chaque Individu parvient à représenter ses intuitions. A cette diversité des trois éléments, qui a pour base son essence même, il faut encore ajouter l'influence qu'ils exercent réciproquement l'un sur l'autre. La médiation de l'image avec le son est essentiellement subordonnée à la qualité particulière des sons dont on dispose, et les images ainsi subordonnées réagissent à leur tour sur le contenu de la pensée, et réciproquement. Enfin, une double influence extérieure agit encore sur cette variabilité. Aussitôt qu'au moyen du son la langue devient un phénomène sensitif, elle tombe dans le domaine de la perception sensitive, aussi bien pour celui qui parle que pour celui à qui on parle. Elle est, à la vérité, perçue en premier lieu par l'oreille; mais en raison du rapport organique de tous les sens entre eux, tous les sens de celui qui parle agissent aussitôt sur la forme ultérieure du son, de même que sur la forme intérieure de la pensée. Et comme celui à qui l'on parle ne doit pas seulement percevoir mais comprendre, il faut que celui qui parle se dirige aussi bien dans ses sons que dans ses images d'après la complète capacité de celui à qui il parle. Il en résulte, en même temps qu'une constante répétition des mêmes phénomènes, une diversité qui ne peut avoir d'autres limites que la capacité humaine de percevoir en général.

Il suit de là que la langue apparaît, bien limitée partout, suivant les temps et les lieux, dans des éléments fixés une fois pour toutes; mais qu'elle porte dans cette mesure même le germe vivant d'une déterminabilité infinie, et que comme la matière de la pensée est inépuisable, de même aussi il est impossible de jamais épuiser l'infinité de ses combinaisons. Une langue commune à l'universalité des hommes est donc non-seulement impossible, mais encore la multiplicité des langues est une nécessité; en effet, il y aura toujours autant d'hommes parlant la même langue qu'il s'en trouvera de réunis par la communauté des modes d'intuition et d'images, de même que par tout ce qui résulte de la communauté des lois, des moeurs, de la religion, etc.; d'où il suit que chaque peuple a sa langue à lui. Or, celle-ci, à son tour, n'apparaît jamais dans un rigoureux isolement; et, au contraire, elle se sépare, suivant les différents rameaux que forme un peuple, en branches et en dialectes qui y correspondent, et s'individualise successivement jusqu'aux façons particulières de parler des individus. D'un autre côté, la langue d'un peuple a toujours de plus ou moins grands rapports d'affinité avec la langue d'un autre peuple ou avec les langues d'autres peuples. Toutefois, l'affinité des langues ne correspond pas toujours nécessairement à l'affinité des races; parce que l'une et l'autre, déterminées par des causes diverses, peuvent avoir eu une histoire différente. La diversité des langues ne provient donc pas seulement de la condition extérieure du son dérivatif, mais plutôt de la forme intérieure de la langue ou bien de la différence du génie même des peuples, lequel détermine plus ou moins la forme des sons. Les langues différentes n'ont point de modèle catégorique commun; elles ne forment point d'échelle ascendante directe, de telle façon qu'on ne puisse les mesurer que d'après leur éloignement de l'origine commune ou de la perfection idéale; mais elles forment des membres organiques, dont la réunion constitue l'organisme complet du langage.

Si l'organisme de la langue, non plus que celui de la plante ou de l'animal, ne saurait se connaître et se décider d'après une ou plusieurs espèces de langues, de plantes ou d'animaux, mais seulement d'après leur ensemble relatif, il y aura nécessité d'une classification des langues, mais non point d'une classification se déterminant par quelques signes isolés, arbitrairement choisis, par exemple, comme celle des plantes d'après les étamines qui n'offre pas de point d'appui suffisant pour la connaissance de l'organisme végétal. Pour cela il faut surtout prendre en considération jusqu'à quel point et de quelle manière un peuple a montré la force d'établir la différence et les rapports communs de la forme, de l'expression et du sujet à exprimer, de s'élever jusqu'à l'image et d'exprimer cette image sous la forme du son. Un grand nombre de sons divers ont dû naturellement résulter des conditions de quantité et de qualité de cette force. Or la différente la plus frappante, la plus tranchante, apparaît dans la forme des mots. Il y eut des langues qui groupèrent tout uniment entre eux des substantifs; d'autres qui groupèrent un substantif et un modificatif; d'autres qui construisirent leurs mots suivant des règles de syntaxe et avec des flexions ou des mots qui en tiennent lieu. Les premières ont été nommées isolantes ou monosyllabiques; parce que chaque idée est rendue par un monosyllabe, qui ne change pas, mais qui, joint à un autre, peut le modifier sans changer lui-même. Les secondes ont été nommées combinantes, parce que l'idée rendue par un mot peut se modifier par d'autres mots qui s'y adjoignent sans autre valeur que celle de la modification voulue, comme des affixes, des préfixes, etc. Enfin, les troisièmes ont été appelées fléchissantes, parce que les mots s'y modifient pour rendre diverses idées par des flexions grammaticales, comme les cas, les conjugaisons, etc. Nous ignorons si dans les temps antéhistoriques une langue passa de la première espèce à la seconde, et ensuite à la troisième; si d’isolante elle devint combinante, puis fléchissante. Dans les temps historiques et même là où nos connaissances remontent à plusieurs milliers d'années, nous ne trouvons pas traces d'une semblable transformation. Tous les monuments nous montrent la langue chinoise isolante, l'égyptienne combinante et les indo-germaniques fléchissantes. On rencontre bien des empiétements et des fluctuations, comme dans les langues ouraliennes ou finnoises, qui furent peut-être favorisés par une remarquable puissance de son, mais qui n'ont point été suffisamment élucidés et expliqués. Il existe d'ailleurs un indice concluant de la différence des langues connues, dans la manière dont s'y expriment les rapports d'activité et les formes de la parole. En effet, un verbe véritablement perfectionné, un verbum finitum, ne se rencontre que dans le basque, dans l'égyptien, dans les langues sémitiques et dans les langues indo-germaniques. Les autres se servent ou d'une disposition de mots significative ou d'une association de mots, ou bien encore de syllabes auxiliaires adhérentes, exprimant qu'ils appartiennent l'un à l'autre, ou de formes du participe, ou enfin de formations d'agglomération, lesquelles peuvent bien quelquefois présenter une étonnante ressemblance extérieure avec les véritables formations verbales de flexion, mais qu'on peut reconnaître comme différant en principe. Ainsi, les peuples dont les langues ne, possèdent point de véritable verbe, ou ne sont point arrivées du tout à une séparation des diverses représentations matérielles et des formes de la parole, ou bien ne sont parvenues qu'à une distinction de l'activité durable et de l'action passagère ou tout au plus de la substance de l'activité.

D'après ces différences concluantes, Steinthal a récemment divisé en treize groupes les langues qui lui étaient particulièrement connues. Les six premiers groupes confondent la matière et la forme, à savoir : 1° sans catégories et seulement juxtaposées, les langues de l'Inde transgangétique; 2° aussi sans catégories, mais conjuguant, les unes exprimant par des formations de mots les déterminations du contenu, les autres indiquant les rapports des mots par des préfixes, ou encore désignant les déterminations de forme par des mots sujets ajoutés aux racines, les langues de la race malaie et polynésienne; 3° les langues des tribus des Cafres et des Nègres du Congo; 4° le mandchou et le mongole, qui séparent les catégories de l'être et de l'activité par la combinaison des racines avec le verbum substantivum ou bien par des terminaisons formées; 5° les dialectes turcs; 6° la race ouralienne ou finnoise. Les sept autres groupes séparent la matière de la forme, à savoir : 1° sans distinction de nom et de verbe, soit en juxtaposant, le chinois; 2° ou en incorporant, le mexicain; 3° ou en combinant beaucoup, les langues du nord de l'Amérique; 4° au contraire, avec la différence du nom et du verbe, soit en formant beaucoup, le basque; 5° ou en assemblant, l'égyptien; 6° et 7° ou enfin ayant des flexions, les unes avec une conjugaison intérieure, les langues sémitiques, et les autres avec une flexion complète, les langues indo-germaniques.

L'origine de toutes les langues et la période créatrice où naquirent les formes de son qui leur sont propres remontent bien au-delà de toute tradition historique. Dans l'état actuel de notre connaissance des langues, à partir de leurs plus anciens monuments, la plénitude et la fraîcheur sensitive de leurs formes de sons apparaissent en voie de diminution presque constante, tout au moins dans les langues indo-germaniques, et de nouvelles formations de mots n'y sont possibles que par la combinaison ou la dérivation, d'après des modèles préexistants; mais il ne se crée plus de racines. La cause de ce phénomène gît dans l'élévation indépendante qui a eu lieu de l'esprit pensant au-dessus de la force sensitive de la nature; élévation avec laquelle devait disparaître cette intuition primordiale de la nature qui donnait aux mots leur existence; de sorte qu'aujourd'hui tout ce que l'on tenterait pour obtenir cet accord primordial entre le son, la représentation et l'intuition, ne pourrait plus conduire à des résultats certains dans les détails. D'un autre côté, l'esprit pensant a besoin d'un mode d'exposition dépouillé autant que possible de l'action des sens; et c'est ainsi qu'avec l'affranchissement de l'esprit des liens des sens, le dépouillement du mot de ses éléments sensitifs naturels, sa transformation en un signe équivalant à l'objet et à l'idée qu'il représente (signe librement déterminé par l'esprit), deviennent un progrès de la langue, qui alors gagne autant en rigueur, en précision de la signification des mots et en riche et fine formation de la syntaxe, qu'elle perd du côté de la forme du son. C'est ce qui explique la disparition des langues synthétiques, comme aussi l'apparition et les progrès des langues analytiques. Les premières, les langues synthétiques, telles que le sanscrit, le grec et le latin, ne visent nullement à désigner les rapports grammaticaux par des formes réelles de mots, et possèdent en conséquence une plus grande quantité ainsi qu'une plus grande diversité de sons, une plus grande abondance de flexions.

Les secondes, au contraire, les langues analytiques, dissolvent dans leurs parties constitutives beaucoup ou la plupart de ces formes de mots; elles représentent le rapport par ces formes de mots indépendantes du mot sujet, ou bien elles complètent les formes de mots devenues défectueuses par des mots auxiliaires, précisant, circonscrivant la valeur des idées par des articles, des pronoms, des verbes auxiliaires et des prépositions. La spiritualisation progressive de la langue analyse donc de nouveau dans ses éléments l'expression de la représentation et de ses rapports, compris d'abord dans un seul mot, et représente le rapport grammatical en lui-même par une forme de mot abstraite et indépendante. Au lieu du latin complexe amavi, le français j'ai aimé indique une désignation de la personne (je) et du temps (ai) séparée du verbe sujet (aimé). Parmi les langues modernes de l'Europe, celles qui naquirent de la corruption d'antiques mères langues sous l'influence d'éléments constitutifs étrangers, les langues romanes, par exemple, ont une construction essentiellement analytique, tandis que les langues germaniques tiennent le milieu entre ces langues analytiques et les anciennes langues synthétiques. Si de cette position intermédiaire il résulte pour les langues germaniques des avantages faciles à reconnaître, la langue anglaise est redevable de sa supériorité précisément à cette circonstance qu'elle laisse au principe analytique le plus large champ possible, sans pour cela perdre de son caractère essentiellement synthétique.

Une langue métisse, composée d'éléments de plusieurs langues différentes employés confusément les uns en même temps que les autres, n'existe point à l'état de langue populaire; car ces éléments tirés de langues étrangères ne sont admis ordinairement qu'en quantité relativement très-minime; ou bien, lorsqu'ils y pénètrent en plus grand nombre, ils sont si complètement assujettis, qu'il leur faut se plier aux lois qui ont présidé à la formation de cette langue, et c'est ainsi que les éléments romans de la langue anglaise se sont courbés complètement sous la prédominance du génie particulier des langues germaniques. Ou bien encore ils arrivent à exercer eux-mêmes une certaine prépondérance sur l'ancienne langue indigène, et c'est ainsi que dans la langue française la syntaxe germanique a en général triomphé de la syntaxe latine. Il n'y a même pas jusqu'aux langues arbitraires, l'argot par exemple, qui ne soient arbitraires que dans une partie seulement de leur trésor de mots; pour le reste, il leur faut se conformer aux lois de la langue du peuple dans le domaine géographique duquel on parle.

Sous le rapport de la dérivation et de l'affinité des langues, on distingue les langues mères, les langues filles et les langues soeurs. Par exemple, les langues romanes, c'est-à-dire le français, l'italien, l'espagnol, le provençal; sont des langues filles de la langue latine, et forment entre elles des langues soeurs. Dans ses rapports avec les langues romanes la langue latine est une langue mère, et une langue soeur à l'égard de la langue grecque.

On appelle langues vivantes celles qui servent encore aujourd'hui à des nations tout entières pour leurs relations orales et écrites, et qui par conséquent sont sujettes à de nombreuses modifications. Les langues mortes, au contraire, sont celles qui ont disparu de l'usage de la vie quotidienne, qui n'existent plus que dans des ouvrages, et demeurent par conséquent isolées et en quelque sorte immuables, telles que l'ancienne langue hébraïque, le grec ancien, le latin et le sanscrit. Quand les langues mortes sont étudiées et employées de préférence par les savants dans un but philologique, on les nomme langues savantes. Les langues anciennes ou classiques sont, dans une acception plus restreinte, le grec ancien et le latin. Les langues sacrées ou ecclésiastiques sont celles qui, après avoir disparu de l'usage de la vie commune, sont demeurées à l'usage du culte.

Voici comment on classe aujourd'hui les langues les plus importantes répandues sur la surface du globe.

LANGUES DE L'EUROPE ET DE L'ASIE CONTINENTALE.

A. Langues fléchissantes. Les langues à flexions, évidemment originaires de l'Asie, et ne composant que deux grandes familles, présentent le développement grammatical le plus complet. Aussi les peuples auxquels elles appartiennent ont-ils été et sont-ils toujours les représentants par excellence de la civilisation et de l'histoire de l'humanité. Mais d'un autre côté la réaction de cette activité historique et de ce travail intellectuel explique la dégénérescence et la décomposition qui apparaissent dans les formes de ces langues. Elles ont pour la plupart de riches et antiques littératures; ce sont celles qui ont été l'objet des études scientifiques les plus longues et les plus approfondies, celles par conséquent qu'on connaît le mieux.

A. Langues indo-germaniques. Ces langues, les plus parfaites grammaticalement parlant, originaires du plateau situé à l'ouest des versants du Mouz-tag et du Bolor-tag, qui vont en s'abaissant toujours vers la mer Caspienne, se sont propagées de là, au moyen de l'émigration des races, à l'est jusqu'à l'embouchure du Gange, et à l'ouest jusqu'à l'extrémité des côtes et des îles de l'Europe; de sorte qu'elles dominent dans le vaste espace compris entre ces deux points extrêmes, à l'exception de quelques contrées occupées par des races finnoises, turques et caucasiennes. Pendant les siècles derniers, elles ont continué au moyen de la colonisation à se propager dans toutes les parties de la terre, et plus particulièrement en Amérique. Or, plus une race s'est dissoute de bonne heure, plus elle avait pénétré à l'ouest, et moins elle est en état de montrer des débris du trésor de ses origines premières, moins aussi elle a conservé les traits d'affinité qu'elle présentait dans le principe. La France, les côtes de l'Angleterre et de l'Irlande forment les points extrêmes de cette catégorie.

I. Langues celtiques (voyez CELTES), divisées en deux groupes : 1° le plus ancien, celui du nord-ouest, Ie groupe gaélique ou gadhélique (irlandais, gaélique et manks); et 2° le plus récent, celui du sud-ouest, le groupe kymri ou breton (kymri dans l'acception la plus restreinte ou welche, cornouain, armoricain ou bas-breton).

Viennent ensuite, au coeur de l'Europe et dans ses îles et presqu'îles septentrionales:

II. D'abord les langues germaniques, parentes des langues slaves, et dont la forme la plus ancienne qu'on connaisse se trouve dans les fragments qu'on a pu conserver de la littérature des Goths. En font partie : 1° la langue allemande, connue dans ses diverses périodes de développement sous les noms de haut, de moyen et de plat allemand, avec la langue écrite appelée aujourd'hui haut allemand, issue du haut et du moyen allemand; 2° la langue néerlandaise, divisée en hollandais et en flamand; 3° la langue frisonne; 4° de la langue anglo-saxonne naquit, sous l'influence romane, la langue anglaise, de toutes les langues germaniques celle qui a été le plus perfectionnée, et devenue de nos jours une langue universelle; 5° les langues scandinaves dont la forme la plus ancienne, morte aujourd'hui, l'ancien norvégien, a laissé une riche et abondante littérature, tandis que fleurissent encore : a, la langue islandaise, la plus ancienne de toutes les langues germaniques vivantes; b, la langue suédoise; et c, la langue danoise, avec le dialecte des îles Faroë, des Orcades et des îles Shetland, lequel diffère peu du norvégien.

III. Le groupe des langues letto-slaves occupe l'est de l'Europe. A. La famille des langues lettones, quoique restreinte, opprimée et méprisée, n'en a pas moins fourni les données les plus précieuses à la philologie comparée. Elle se divise 1° en lithuanien (ou prusso-lithuanien), langue parlée dans la Prusse orientale, dans le bassin du Memel, avec une littérature bornée à un petit nombre de livres religieux et de chants populaires, marchant d'ailleurs rapidement vers sa complète extinction. De toutes les langues indo-germaniques aujourd'hui vivantes, c'est celle qui a conservé la construction la plus ancienne; et elle est par conséquent d'une importance extrême pour l'étude des autres langues letto-slaves; 2° en prussien (appelé aussi ancien prussien), langue parlée sur le littoral qui s'étend depuis l'embouchure de la Vistule jusqu'au voisinage du Memel, morte déjà vers la fin du dix-septième siècle, et qu'on ne connaît plus que par une traduction du catéchisme, moins ancienne sans doute que le lithuanien, mais très importante cependant, à cause du caractère tout particulier de ses formes antiques; 3° en letton, la langue populaire de la Courlande et des parties sud et sud-est de la Livonie, possédant beaucoup d'ouvrages imprimés, sans avoir pourtant de littérature nationale proprement dite, et étant au lithuanien à peu près ce que l'italien est au latin. B. La famille des langues slaves est de toutes les langues indo-germaniques celle qui s'est propagée sur le plus vaste espace; elle occupe tout le territoire qui s'étend depuis la Dwina et le Volga jusque près de l'Erzgebirge, et depuis la mer Blanche jusqu'à la mer Adriatique et la mer Caspienne. Les langues qui la composent sont grammaticalement plus riches et ont entre elles bien plus d'affinités que les langues germaniques et romanes (voyez Slaves [Langues]). Cette famille se divise en deux groupes principaux : (a) les langues de l'est et du sud-est: 1° le russe, 2° le bulgare, 3° l'illyrien (serbe, croate, slowénique ou wende). L'ancien bulgare, dit slave ecclésiastique, l'emporte sur toutes les langues slaves par sa richesse de formes et par son empreinte antique. (b) les langues de l'ouest : 1° le polonais, avec le dialecte des Cassoubes, dispersé çà et là au nord de la Poméranie; 2° le tchèque (voyez Bohême [Langue]), parlé en Bohême et en Moravie, et formant des dialectes différents parmi les Slovaques, au nord-ouest de la Hongrie; 3° le serbe ou wende, divisé en deux dialectes, celui de la haute et celui de la basse Lusace.

IV. A la partie sud-est de l'Europe appartient le groupe des langues pélasgiques, comprenant :

A. La langue grecque, qui s'est conservée dans une longue suite de siècles et dans divers dialectes, parmi lesquels l'éolien est celui qui a gardé les formes les plus antiques. Elle s'est insensiblement transformée en grec moderne, langue qui diffère du grec ancien par la précision moindre de ses limites. De même que le bulgare et le valaque, langues parlées actuellement dans la partie inférieure du cours du Danube, la langue albanaise est extrêmement impure et corrompue; et cependant, dans ses éléments fondamentaux, elle n'en paraît pas moins se rapprocher du grec beaucoup plus que les deux autres.

B. La langue latine a conservé son antique caractère, de même que le grec ancien. Ces langues diffèrent profondément l'une de l'autre par leurs lois vocales. Après avoir étouffé et supplanté les autres langues de l'Italie, l'osque, l'umbre, l'étrusque, comme elle d'origine indo-germanique, la langue latine, grandissant avec Rome, devint une langue littéraire et universelle; et après sa mort, elle demeura la langue de l'Église et de l'érudition. Mais du contact du latin populaire, de la lingua Romana rustica, avec d'autres langues, notamment avec des langues celtiques et germaniques, naquirent les langues italienne, espagnole, portugaise, provençale, française, dacoromane ou valaque, soeurs de la langue latine, sans parler des langues rhéto-romanes, lesquelles sont presque complètement dépourvues de littératures.

V. Le dernier groupe, celui des langues ariques (ainsi nommées du nom aria [en zend airia], sous lequel ces peuples se désignaient eux-mêmes dans les temps primitifs), a persisté en Asie, et n'a formé que deux familles : l'une, qui a fini par émigrer au sud-est, et l'autre demeurée d'abord dans la contrée originelle, puis répandue postérieurement dans celles qui la circonscrivent.

A. Famille indoue ou arique de l'est: 1° le sanscrit, auquel la philologie générale et l'histoire de la civilisation doivent leurs notions les plus importantes et les plus profondes, mort vraisemblablement vers l'époque d'Alexandre le Grand comme langue populaire, mais qui continue toujours d'être cultivé comme langue sacrée et langue savante, tandis que dès le troisième siècle avant notre ère une nouvelle langue vulgaire se développait en plusieurs dialectes; 2° le prakrit, espèce de sanscrit négligé et amolli dans la bouche des habitants primitifs de la presqu'île en deçà du Gange, qui a produit également une littérature; 3° du dialecte prakrit est aussi provenu le pali, langue sacrée des bouddhistes; de même que c'est aussi du prakrit que se forma, avant le dixième siècle, l'hindûi, qui se subdivisa successivement 4° en hindi et 5° en hindoustani, sans compter divers autres dialectes indous, dont plusieurs possèdent déjà une littérature (voyez Indoues [Langue]). 6° Enfin il y faut comprendre la langue des Zingares, répandue en Asie, en Afrique et aussi depuis le quinzième siècle en Europe, composée, il est vrai, d'un grand nombre d'éléments étrangers, mais qui n'est nullement un argot, une langue de fripons et de bandits, et qui a pour base dans tous ses dialectes l'idiome populaire de la partie septentrionale de l'Inde en deçà du Gange.

B. La famille iranienne ou arique de l'ouest : 1° le zend, qui vraisemblablement était autrefois la langue dominante de la Perse, langue sacrée, mais morte depuis longtemps, dans laquelle furent écrits les ouvrages de Zoroastre (voyez Zendavesta); 2° le pehlewy ou houzvaresh, ancienne langue morte de la Perse occidentale, qui possédait également une littérature relative à la religion de Zoroastre, et qui se retrouve encore sur des inscriptions et des médailles; 3° l'ancienne langue perse, parlée au temps des Achaeménides, et qui n'est plus connue que par des inscriptions cunéiformes; 4° le pârsi, ou nouveau persan, langue très-littéraire et extrêmement répandue, comme l'idiome dans lequel sont écrits les ouvrages de littérature, comme la langue des hautes classes, de la diplomatie et des cours de justice; 5° la langue des Beloudches, qui se rapproche beaucoup du nouveau persan; et 6° la langue des Kourdes, qui manque de littérature; tandis que 7° les langues des Afghans (voyez Afghanistan) ou le poushtouh, sont mélangées d'éléments appartenant à l'Inde en deçà du Gange; 9° sous l'influence des Turcs, la langue arménienne s'est de plus en plus éloignée de son caractère iranien. Elle possède une vaste littérature, datant déjà de quatre siècles avant J.-C., et se divise en ancien et en nouvel arménien, avec quatre dialectes (voyez Iran et Persannes [Langue et littérature]).

B. Les langues sémitiques, originaires du sud-ouest de l’Asie, se rapprochent plus les unes des autres par leurs racines communes et par leurs modes de flexion que les langues indo-germaniques. Elles procèdent d'une manière logique, et approprient simplement le son à la pensée, mais exigent trois consonnes dans le mot-racine; elles font des consonnes les représentants du sujet, des voyelles ceux des idées de rapports, et manquent d’harmonie dans la flexion. Les peuples auxquels elles appartiennent n'ont point d'épopée véritable; en revanche, elles ont créé et développé le monothéisme : 1° La plus pauvre et la moins formée des langues sémitiques est l'araméen, divisé en araméen occidental ou syriaque, et en araméen oriental qui avait pour patrie Babylone, et reçut pour la première fois de l'école d'Alexandrie sa dénomination de chaldéen, qu'il a conservée jusque aujourd'hui (voyez Chaldéen). Les Juifs, après leur exil de soixante-dix ans, rapportèrent de Babylone le chaldéen en Palestine, de telle sorte qu'à partir de l'époque des Machabées l'hébreu devint la langue du culte et de la science, tandis que le chaldéen apparaît déjà fortement dans le Talmud et forme la base de la littérature judaïco-rabbinique (voyez Juive [Littérature]). Il s'est conservé comme dialecte populaire vivant parmi les Chaldéens chrétiens des bords du Tigre et dans le Kourdistan. De cette famille de langues se rapprochent aussi de très-près les dialectes morts des Samaritains, des Sabéens et des Palmyréniens. 2° La langue phénicienne et la langue punique des Carthaginois, toutes deux depuis longtemps mortes, avaient d'étroits rapports avec la langue hébraïque ou cananéenne, supplantée par le chaldéen. 3° La langue arabe est ancienne et en même temps aussi riche que souple; son dialecte septentrional, distingué en ancien et en nouvel arabe, était devenu, grâce au Coran, la langue universellement dominante des livres et des rapports sociaux dans toute l'étendue des différents États arabes; mais, elle aussi, elle a disparu de l'Europe, à l'exception du dialecte corrompu des paysans de l’île de Malte. Le dialecte arabe du sud, ou himiaritique, n’est plus connu que par quelques faibles restes, mais a poussé de nombreux rejetons en Afrique.

B. Langues isolantes. Les langues monosyllabiques, ou isolantes, sont précisément l'opposé des langues à flexions; elles ne possèdent que des mots monosyllabiques, de simples racine, et manquent complètement de syllabes adjonctives de formation pour désigner les rapports, ou bien n'en montrent que des rudiments tout à fait incomplets. A ce dernier degré du développement grammatical appartiennent : 1° les langues de l'Inde en deçà du Gange, telles que la langue des Birmans et la langue d’Anan, encore plus purement monosyllabique; la langue siamoise, etc., etc.; la langue thibétaine (voyez Thibet), qui montre déjà des rudiments de formes grammaticales; 3° la langue de la presqu'île de Corée; et 4° la langue chinoise, qui désigne les rapports grammaticaux des mots par leur position dans une proposition rigoureusement réglée, langue possédant une littérature très-riche, même sous le rapport géographique, ethnographique et historique.

C. Langues combinantes. Entre les langues isolantes et dépourvues de formes, et les langues à flexions, tout à fait formées grammaticalement, se placent le plus grand nombre des langues existantes, qui cherchent à indiquer les rapports des mots au moyen d'adjonctions de la nature la plus diverse. A cet ordre appartiennent :

A. La famille des langues tatares, appelées aussi lataïques, finnoises-tatares, ougres-tatares, ou encore langues touraniennes, et formant deux groupes principaux :

I. Les langues tatares proprement dites : 1° le toungouse et le mandchou; 2° le mongole (mongole-oriental et kalmouck); 3° le turc (voyez Turques [Langue et littérature]), formant trois grands groupes, qui se subdivisent en vingt dialectes (ouigourique, koman, usbeck, turcoman, kirghis, baschkir, krimmique, etc.), auxquels il faut encore ajouter le dialecte des Iakoutes, dispersés au nord-est de l’Asie sur les bords de la Léna.

II. Les langues finnoises (choudique, ougre, ouralien [voyez Finnois]), divisées en : 1° groupe samoyède; 2° groupe ougre, auquel appartiennent les Ostjaks, les Wogoules et les Magyares; 3° groupe bulgare (Tchérémisses et Mordwines); 4° groupe permien (Permiens, Syrjaenes et Wotjaeks); 5° les langues finnoises proprement dites, qui ont atteint leur plus haut degré de perfection (a) chez les Finnois ou les Souomalènes de la Finlande; langues possédant une poésie et une littérature importantes, tandis que toutes les autres langues de la famille tatare, à l'exception du magyare et du turc, ou n'ont point du tout de littérature, ou n'en ont qu'une insignifiante; (b) l’esthonien; (c) le livonien; (d) le lapon; (e) l'ingre.

B. La famille des langues caucasiennes. On comprend sous cette dénomination la famille nombreuse, et divisée en une foule de dialectes, des langues qui se sont fixées sur un étroit espace autour du Causase, et qui n'ont encore été l'objet que d'un très-petit nombre de travaux. Parmi ces langues, le géorgien, dit-on, est parvenu au plus haut degré de développement grammatical, tandis que l'abchase est sous ce rapport resté au degré le plus infime. On y distingue : 1° les langues ibériennes, parlées dans les premières assises et les vallées méridionales du Caucase, et comprenant la langue littéraire des Géorgiens, la langue des Lazes et des Mingréliens, et le souanien; 2° les langues du Caucase occidental, comprenant les langues des Tscherkesses ou Circassiens et des Abchases; 3° les langues du Caucase central, ou bien la langue des Mizdschegi ou Tschetschenzes, divisés en plusieurs nations; 4° les langues du Caucase oriental, dont font partie celle des Lesghiens.

C. La plus grande partie des langues encore peu connues du nord-est de l'Asie, entre autres : 1° la langue des Toukaghirs; 2° la langue des Tchouwanzes; 3° la langue des Korjaeks et des Tchouktches, sur les bords de la mer Glaciale du Nord; 4° la langue des Kamtchadales, parlée dans le Kamtschatka; et 5° la langue des Kouriles ou Aïnos, dans les îles Kourili. L'ancienne langue japonnaise, appelée aussi langue Iamaos, a beaucoup d'affinités avec cette dernière; elle ne sert plus aujourd'hui que comme langue savante, tandis que la langue vulgaire actuelle, qui en diffère sensiblement, est fortement mélangée de mots chinois.

D. Les langues du Dekkan, ou celles de la partie méridionale de l'Inde en deçà du Gange (voyez Indoues [Langues]), ont presque toutes des littératures plus ou moins importantes, mais n'ont jusqu'à ce jour été l'objet d'aucune investigation scientifique. Les plus importantes sont : 1° le tamoule, 2° le télougou ou télinga, 3° le kanarèse, 4° le malayalam, 5° le singhalais.

D. La langue Basque, qui par sa construction rappelle surtout les langues américaines, avec lesquelles elle n'a cependant aucune affinité, est demeurée tout à fait isolée à l'extrémité du golf de Biscaye, comme langue combinante et comme débris d'une époque dont toutes traces historiques ont disparu. Elle forme trois ou quatre dialectes, passe d'Espagne en France, et n'est plus parlée aujourd'hui que par les gens du peuple.

Les langues des îles de la mer des Indes ou de la Polynésie, depuis Madagascar, jusqu'à l''île de Pâques, et depuis les Philippines jusqu'à la Nouvelle-Zélande, appartiennent toutes à la famille des langues malaises (voyez Malais); elles sont agglomérantes, et généralement à un degré très-infime de développement grammatical. Comme patrie du malais, qui ne pénétra sur le continent que dans la presqu'île de Malakka, on désigne l'intérieur du plateau de Sumatra. A Java, il existe une langue poétique, appelée kawi, qui par sa construction grammaticale est encore malaise, mais dont les mots sont pour la plus grande partie emprunté au sanscrit. On ne possède point encore de renseignement certains sur les langues des Hanaforas et des Papous, ou nègres de l'Australasie, ainsi que sur les rapports qu'elles peuvent avoir avec le malais.

LANGUES DE L'AFRIQUE ET DE L'AMERIQUE

Des nombreuses langues de l'Afrique, il n'y en a guère qu'une centaine qu'on connaisse, et encore d'une manière fort vague; car ce 'est que sur un très-petit nombre d'entre elles qu'on possède des renseignements précis, de telle sorte qu'il serait encore impossible d'en déterminer avec certitude les principaux groupes.

I. Les langues combinantes, qu'on a comprises sous Ie nom de langues Hamitiques, semblent être particulières à cette partie de la terre. Elles comprennent : 1° la langue copte, issue de l'ancienne langue égyptienne, possédant une riche littérature théologique, mais supplantée aujourd'hui par l'arabe, et ne servant plus que comme langue d'église; 2° la langue nuba (voyez Nubie), avec la langue dongola et la langue kinsy, appelée aussi langue berbère (barâbra) ou barbary, parlée en Nubie et dans le Kodofan; 3° la langue des Tébous ou Tibbous, à l'est du désert du Sahara, que les uns disent se rapprocher du copte, et que les autres rangent parmi les langues de nègres; 4° de même, la langue des Bischaris, peuple de la haute Egypte et de la côte de Nubie, est désignée par les uns comme ayant de l'affinité avec le copte, tandis que d'autres la font provenir de l'arabe.

II. Les langues sémitiques de l'Afrique y sont venues de divers contrées de l'Asie et à des époques différentes : 1° L'éthiopien ou l'axouméen provient du dialecte himiaritique de l'Arabie méridionale : c'est un langue littéraire de l'Ethiopie ou de l'Abyssinie, qui ne sert plus aujourd'hui que comme langues, de livres d'église et de documents, qui dès le quatrième siècle fut supplantée par la nouvelle langue gheez ou tigre; laquelle fut presque complètement supplantée à son tour au quatorzième siècle par l'amhari. 2° La langue de l'Arabie septentrionale, l'arabe proprement dit, a pris, par suite des émigrations et des conquêtes des Arabes, possession de presque toute la côte septentrionale, et a même pénétré assez avant dans l'intérieur de l'Afrique. 3° On n'est point d'accord sur l'origine de la langue des Berbères, qui sous des noms divers (Amazirg, Kabyles, Schowis, Zouaves, Tergas, Touergas, Touaregs, Touariks, etc.), s'étendent depuis la frontière occidentale de I'Egypte jusqu'à l'océan Atlantique, et depuis la Méditerranée jusqu'au Sénégal et aux limites septentrionales des régions du sud; de telle sorte que dans cette vaste étendue de territoire, c'est tantôt l'Arabe que l'on parle, et tantôt la langue berbère. La langue berbère, de même que celle des Gouanches, langue primitive, mais aujourd'hui morte, des îles Canaries, sont généralement considérées comme dérivant de l'ancien numide, dont de nos jours encore, dit-on les Touaregs emploient l'antique alphabet. Dans sa construction grammaticale, la langue berbère a, dit-on, un caractère sémitique, tandis qu'il 'y a rien de sémitique dans son trésor de mots. 4° On n'est pas non plus d'accord sur la question de savoir si la langue des Haoussas ou Gouberis, qui habitent la région centrale du bassin du Quorra et sont aujourd'hui soumis au Fellatahas, langue comprise fort au loin dans l'intérieure l'Afrique comme langue des relations commerciales, appartient ou non à la famille de langues sémitiques, et s'il faut la faire remonter jusqu'à l'ancienne langue punique des Carthaginois. 5° La langue de Gallas, nation nègre du sud de l'Abyssinie, est rattachée par les uns aux langues sémitiques, et par les autres aux langues des Cafres.

III. Les langues du plateau central de l'Afrique, s'étendant depuis l'équateur jusqu'au pays du Cap, semblent ne former qu'une ou deux grandes familles: la famille occidentale des nations du Congo, et la famille orientale des nations cafres. La langue des Hottentots, remarquable par ses sons gutturaux et par le claquement tout particulier que produit la langue, diffère complètement des unes et des autres.

IV. Les langues nègres du Soudan et de la côte depuis le Sénégal. jusqu'au Quorra sont très-nombreuses, et diffèrent fortement entre elles. On distingue surtout dans le nombre 1° la langue, très-harmonieuse et très-répandue dans le haut Soudan et sur la côte, des Foulahs, peuple industrieux, agricole et commerçant, qui a créé des colonies; tandis qu'autre rameau de la même race, les Fellatahs, s'est étendu au moyen de la conquète. 2° La langue des Mandingos, divisée en un grand nombre de dialectes. Cette nation, qui se livre aussi au commerce et à I'industrie, est après celle des Foulahs, la plus nombreuse et la plus puissante de celles qui habitent entre le Sénégal et le Quorra. 3° La langue des Ialofs ou Wolofs, dans la Sénégambie. 4° La langue des Ashantis, la nation la plus puissante de la Côte-d'Or et des contrées qui l'avoisinent à l'est. 5° La langue ardra ou ashire, parlée par les Dahomans sur la côte de la Guinée supérieure, peut-être l'une des plus pauvres langues de l'Afrique, mais qui, à ce qu'il paraît, compte encore un grand nombre de langues-soeurs.

Les langues de l'Amérique, dont on compte plusieurs centaines, ne forment ordinairement que de petites, souvent même de toutes petites familles, qui, sous le rapport des racines comme sous celui du trésor de mots, semblent n'avoir entre elles aucune affinité. Mais toutes ces langues, depuis le Groenland et la mer Glaciale du Nord jusqu'au cap Horn, ont un caractère commun, à savoir la construction grammaticale, la forme dite incorporante, la réunion d'un grand nombre de mots pour n'en former qu'un tout; caractère qui les distingue de toutes les autres langues connues, et dont on ne trouve l'analogue (et encore fort incomplètement) que dans le basque (voyez Indiens). Elles perdent de jour en jour du terrain, par suite des incessants envahissements des langues germaniques et romanes à la suite de la colonisation: les premières ont déjà pris possession de la plus grande partie de l'Amérique septentrionale, et les secondes de l'Amérique méridionale et centrale. Consultez Adelung, Mithridate, ou science générale des langues (ouvrage continué par Vater [4 vol.; Berlin, 1806-1817]); Klaproth, Asia Polyglotta (Paris, 1823), et les autres ouvrages du même savant; Balbi, Atlas ethnographique du globe (Paris, 1826); Prichard, Researches in to the physical history of mankind (Londres 1826); Vater, Littérature des grammaires, lexiques et collections de mots de toutes les langues de la terre (Berlin, 1947), Bergaus, Atlas ethnographique (Gotha, 1852); Schleicher, Aperçu systématique des langues de l'Europe (Bonn, 1850).

[éd. 1867, t. 12, pp. 109 b - 116 a]