SEMENCE DE PAROLES À L'USAGE DE LA CONVERSATION
LE DICTIONNAIRE DE LA LECTURE

Jacques-Philippe Saint-Gérand
Université Blaise Pascal
Clermont-Ferrand II
ATILF, UMR CNRS 7118
Nancy II

0. Parole et Paroles

Curieux spectacle que celui que --depuis des lustres -- la linguistique nous offre de la parole en tant qu'acte comme en tant qu'objet conceptuel !... L'attitude qui est aujourd'hui la nôtre à l'égard de la notion de parole est en effet toute soumise au conditionnement que la linguistique post-saussurienne -- disons la linguistique générale européenne du XXe siècle [1] -- a infligé à des objets que le regard rétrospectif de l'historien montre plus ductiles que ces entités pesantes et fonctionnelles auxquelles les ont réduits les formalismes modernes ; des objets ayant d'ailleurs subi de multiples reconfigurations au cours de siècles pendant lesquels, sans que nous ayons pu en garder traces précises, les activités orales prédominèrent sur les pratiques d'écriture.

Dans le système épistémique structurel, où l'on retrouvera ci-dessous les traces précises du discours pédagogique de Saussure lui-même, on a donc opposé, depuis le début du XXe siècle, la langue, ce produit social dont l'existence permet à l'individu l'exercice de la faculté de langage, à la parole, qui est l'acte par lequel se réalise la partie individuelle de cette même faculté sémiologique. Avec pour conséquence l'enfermement de l'objet verbal soumis à cette dichotomie dans une circularité indéfinie : la langue est nécessaire pour que la parole soit intelligible et produise tous ses effets ; mais celle-ci est nécessaire pour que la langue s'établisse. On comprend dès lors que le linguiste, épris de science et de rigueur sans s'apercevoir toujours de la part idéologique qui conditionne son épistémologie-réflexe -- largement dérivée du positivisme et du réalisme du siècle antépénultième -- ne puisse aujourd'hui envisager la notion et le terme de parole que dans des syntagmes faisant référence à une pratique effective de la langue et du langage : actes de parole, chaînes de parole, circuit de la parole, domaine de la parole, éléments de la parole, émissions de la parole, étude de la parole, faits de parole, fonction de parole, linguistique de la parole, sons de la parole, unités de la parole ou somme des paroles perçues. Même si elle en procède lointainement comme un héritage qui aurait été détourné de ses bénéficiaires naturels et immédiats, c'est là une manière de voir irréductiblement étrangère à la partie du XIXe siècle dans laquelle la curieuse entreprise lexicographique du Dictionnaire de la Conversation et de la Lecture trouve son assise. S'y marque en effet immédiatement l'éviction de la dimension rhétorique. Et, dans ce creux, on peut déjà percevoir le malaise qui frappe en ce siècle une culture vivant la transition de la littérature à l'action.

L'univers de la parole naïvement perçue et des « longs discours à flots inépuisables » [2] est déployé, réfléchi et diffracté au XIXe siècle en gloses infinies que le pandæmonium lexicographique français de l'époque se plaît malignement à orchestrer en cacophonies concurrentes et souvent cocasses qui soulignent le divorce de plus en plus grand du verbe et du geste. Dictionnaires encyclopédiques, dictionnaires de langue, dictionnaires monolingues, bilingues, dictionnaires de synonymes, dictionnaires de proverbes, dictionnaires logiques, analogiques, étymologiques, dictionnaires universels, dictionnaires généraux, tous ces ouvrages dressent des listes vertigineuses dans lesquelles le signe prend le pas sur l'ordre du monde et le recompose à la guise des lexicographes mus par des ambitions et des desseins pas toujours explicites, car l'opinion a toujours du mal à ne pas vouloir se faire passer pour raison et mesure objective du savoir. Il conviendrait en conséquence de proposer une nouvelle catégorie, celle des dictionnaires doxologiques chargés de transmettre, de diffuser et vulgariser à chaque époque, les formes standardisées de la parole dicible sur tel ou tel objet. Alors que la rhétorique taxonomique s'exténue, et que Fontanier (1818 et 1822) porte par deux fois les cordons du poële des tropes et des figures non tropes de Dumarsais, que Joseph Victor Le Clerc publie en 1823 sa… Nouvelle rhétorique, fondée sur des principes argumentatifs, que le lieu commun devient l'expression d'une banalité saisie comme défaut, et que s'annonce le règne des idées reçues, des clichés et des stéréotypes, le dictionnaire peut parfois prétendre être ce trésor du sens ordinaire et de la connaissance popularisée. Ainsi en est-il de cet Inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous, Répertoire des connaissances usuelles rédigé par une société de Savants et de Gens de Lettres, qui nous retient aujourd'hui et sur lequel avis et commentaires n'ont cessé abondamment de diverger jusqu'à nos jours.

Compilation encyclopédique ambitieuse mais réussie, pour certains; pour d'autres, ramas d'articles aux mérites trop hétérogènes pour constituer une collection digne de considération, le DCL [3] s'est vite acquis une notoriété incontestablement contestée... W. Duckett imagine, coordonne, et, de 1832 à 1839, publie une première fois cet ensemble en 52 volumes de format petit in-8°, augmenté de 16 volumes entre 1844 et 1851, puis, une seconde fois, en 16 volumes, grand in-8°, entre 1864 et 1866, auxquels s'adjoignent 5 volumes de supplément chez Firmin Didot en 1878. La série s'intègre ainsi à la kyrielle d'encyclopédies et de dictionnaires encyclopédiques que le XIXe siècle a disséminés sur sa route…

L'éditeur « scientifique » de cette œuvre, William Duckett, est un littérateur français, entendez un feuilliste ou folliculaire, un entrepreneur en rédactions, d'origine irlandaise, mais résidant à Paris où il est né en 1804 et mort le 20 mai 1863. Apprenti juriste, le jeune William est vite saisi par le démon du journalisme et entre dans la rédaction du célèbre Constitutionnel, cet enfant des Cent-Jours, journal bourgeois et conservateur que le docteur Véron devait acquérir en 1844, comme on se procure les charmes d'une danseuse de l'Opéra…. Grisé par les succès du journalisme, Duckett comprit très vite tout l'intérêt qu'il pouvait tirer des succès que connaissaient les encyclopédies allemandes de l'époque, et notamment le célèbre Conversation's Lexikon, qu'il se promit d'adapter aux goûts et aux modes culturels de la France de Louis-Philippe… A l'époque même où la possession et la maîtrise de la langue française devenaient des conditions inaliénables de socialisation et d'ascension dans les sphères du pouvoir (le décret de 1832), tandis que le français se définissait peu à peu comme norme culturelle de référence, il existait indéniablement une clientèle pour ce genre d'ouvrages qui donne l'illusion d'embrasser la totalité du savoir pour en mettre la substance à disposition des usages du locuteur bourgeois. Et, de même que Noël et Delaplace, depuis le début du siècle (1804) avaient égrainé en diverses langues leurs célèbres Leçon [françaises [4]] de littérature et de morale, et que Francisque Michel, sous le second Empire, avait su varier à son tour les points d'application linguistique de sa Critical Inquiry into the Scottish Language, de sorte que les mondes hispanique, lusitanien et germanique soit aussi l'objet de ses reconstitutions étymologiques, de même Duckett sut-il extraire du DCL en 1841-1842 un Dictionnaire de la Conversation à l'usage des dames et des jeunes personnes en 10 volumes.

Il serait instructif de comparer les images que les entreprises concurrentes contemporaines ou légèrement postérieures donnent du DCL. Comme ce n'est pas ici l'objet du propos, je me contenterai de rappeler comment l'ouvrage est défini dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse. Comme l'on peut s'en douter de la part d'un monument qui se veut tout à la fois encyclopédique, universel et critique, et qui se situe simultanément sous l'angle chronologique après la première édition du DCL et en exacte contemporanéité de la seconde, le jugement est sévère. Il se fonde d'abord sur le rappel des propres ambitions que s'assigne l'ouvrage dirigé par Duckett, ou plutôt sur la dénonciation du principe d'éclectisme revendiqué par ce dernier sous le couvert d'un « cachet d'unité » qui trouverait sa légitimation dans la sincère adhésion de chaque rédacteur de notice aux valeurs idéologiques et culturelles qu'il défend par ses paroles :

Il y aurait ainsi dans le DCL une sorte de méta-unité non directement évidente du discours, fondée sur un critère d'ordre déontologique et moral qui assurerait la permanence de la vérité par delà l'infinie prolifération des paroles de rédacteurs de notices. Larousse, lui-même grand pourfendeur de tous les mythes idéalistes, n'a aucun mal à démontrer l'inanité d'une telle position. Il lui suffit pour cela d'aligner la liste des collaborateurs pour faire immédiatement sourdre de leurs disparités l'incohérence et les prétentions d'un verbe plus rhétorique que pragmatique qui ne saurait plus dès lors que produire des discours de circonstance, conformes aux besoins et aux attentes de la bourgeoisie en quête de connaissances culturelles, artistiques, historiques, philosophiques ou scientifiques, et de reconnaissance sociale :

Entre personnalités encore connues de nos jours et celles qui sont rapidement tombées dans l'oubli le plus noir, l'observation rétrospective de cette liste augmente pour nous les effets de l'incohérence ; et comme chacun des rédacteurs ne s'exprime jamais qu'au nom des idées dont il s'est fait le champion, Larousse n'a aucun mal à stigmatiser les limites d'une entreprise qui se présente plutôt sous les couleurs de la diffusion d'un prêt à penser et d'un prêt à parler facile à endosser que sous celles de la divulgation et de la synthèse de savoirs encyclopédiques soumis à examen critique :

C'est donc en somme l'hétérogénéité qui est ici le facteur dirimant contrevenant à la réussite d'une entreprise dont l'épistémologie n'a pas été suffisamment réfléchie et longuement mûrie. Une entreprise, qui, pour le dire dans les termes de Larousse, ne peut cacher sa soumission aux circonstances les plus instantes de la conjoncture politique, mercantile et gnoséologique de la monarchie de Louis-Philippe, puis du second Empire de Napoléon III :

Au-delà des critiques formelles de dictionnairique formulées dans le dernier paragraphe, avec le terme de moralité, nous touchons au critère suprême de qualification des ouvrages de cette époque, que les dictionnaires, pour leur part, en tant que recueils de dictions dispensateurs de leçons ne peuvent esquiver… Larousse a bien perçu que cette revendication ne peut être tenue en dehors d'un cadre qui assure à la parole une cohérence de pensée. Et c'est pourtant la thèse que Jules Janin, dans le DCL s.v. Conversation, s'acharnait à soutenir au motif d'une nécessité de variété ayant pour fonction finale de conjuguer instruction et divertissement sous l'autorité de la parole érigée en guide supérieur :

Il est particulièrement significatif que Janin utilise ici le terme de trésor, dont on sait depuis les origines du genre quel fut son succès et son importance en lexicographie [5], et qu'il lui accommode une représentation particulière de la conversation comme forme supérieure d'échange des connaissances qui rassemble les avantages de la causerie et ceux de la dissertation en infusant le savant dans le familier et inversement… On mesure ici quel doit donc être le statut de la parole dans ce dispositif qui, en conformité avec les nouvelles données de la linguistique naissante, reconnaît enfin au langage et à la langue la capacité de médiatiser le rapport de l'homme au savoir.

Je m'attacherai en conséquence, dans ce qui suit, à synthétiser et placer sous un jour critique ce que le DCL délivre comme information relative au secteur de l'activité humaine qu'est la production de discours, en tant que cette activité délivre des informations non seulement sur le monde qu'elle représente mais sur sa propre configuration sémio-?culturelle.

1° Préambule historique

Quelques dates en forme de rappel de l'évolution générale de la pensée du langage à l'époque des deux éditions du DCL :

Le branle initial remonte à l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ainsi qu'aux 186 volumes de l'Encyclopédie méthodique qui lui font suite, publiés sous la férule de Panckoucke père (Charles-Joseph) et fils (Charles-Louis Fleury). Avec des collaborateurs tels que Dumarsais et Beauzée, Jaucourt, Marmontel ou Maupertuis, l'attention était alors rapidement portée aux questions de sémiologie générale et de langue, non seulement par l'intermédiaire de réflexions concernant l'origine du langage, mais aussi par l'application directe d'une analyse de type sensualiste menant directement aux spéculations des Idéologues.

Parmi ces derniers, on sait que Antoine-Louis Claude, comte de Destut de Tracy (1754-1836), joua un rôle éminent. Pair de France, membre de l'Institut, membre du Comité de l'Instruction publique sous le Directoire, et Académicien à partir de 1808, Destutt est l'auteur d'Éléments d'idéologie ou science des idées (1801°, d'une Grammaire générale (1803), d'une Logique (1805) et d'un Traité sur la volonté (1815). Récusant l'idée d'une langue universelle, Destutt met en évidence l'importance de ce que le langage et les langues peuvent dire d'eux-mêmes dans leurs propres systèmes de signes, et expose en conséquence une représentation de la métalangue qui lui permet d'esquisser une analyse pré-comparative des systèmes verbaux des principales langues européennes.

Proche de Cabanis (1757-1808), médecin et professeur d'hygiène, Destutt sut attirer à lui Wilhelm von Humboldt, lors du séjour de ce dernier à Paris en 1801. A partir de là, il est aisé de suivre le détail d'un développement au terme duquel s'institue la linguistique comme seule et unique science des langues. Réédition de Court de Gébelin en 1816 (cf. infra n. 8) ; enquêtes historiques et bibliologiques permettant d'asseoir les base d'une philologie française romantique qui réévalue et revalorise le moyen? âge ; standardisation d'une langue de référence désormais consciente de son ancrage historique par la langue, etc. En 1861, enfin, Max Müller accrédite officiellement l'équivalence synonymique entre science des langues et linguistique. Entre ces deux repères, et sur le versant non exactement scientifique au regard des critères épistémologiques d'aujourd'hui, Charles Nodier, collaborateur de Duckett, aura livré ses Notions élémentaires de linguistique (1834) dans lesquelles ce dernier terme est soumis à de curieuses distorsions.

Un tel parcours non exactement linéaire, comme on peut le remarquer, se lit dans le DCL qui, en raison de la disparité de ses collaborateurs, ne peut toujours trancher fermement dans les question complexes ayant trait entre autres au langage et opter pour une position régulièrement maintenue tout au long de l'ouvrage. L'organisation de l'article anonyme Parole révèle sans ambiguïté cet éclectisme intenable. Dans une première section de nature plutôt encyclopédique, la genèse de la parole se voit rapportée aux modèles traditionnels du sensualisme par la théorie de l'imitation que soutiennent les potentialités d'une physiologie adaptée :

Rien jusque là qui déroge des conditions habituelles de définition d'une phylogénèse du langage. On retrouve les éléments principaux de la tradition condillacienne. Mais, d'attestation effective d'emplois en ce sens du terme parole, point… Et pour cause ! La définition donnée ici n'explique pas le contenu de la notion, elle tente seulement d'en justifier l'existence comme terme d'un système de pensée et constitue plus de la sorte une métadonnée théorique qu'un objet linguistique proprement dit. Il faut attendre la seconde section de la notice pour trouver l'ensemble des synonymies, périphrases et collocations à l'intérieur duquel parole fait sens et prend valeur comme signe. L'usage de l'italique souligne là qu'on est passé de l'encyclopédique au linguistique et du métathéorique à l'instanciation discursive de l'item lexical :

Le glissement est d'importance puisque l'on trouve là, en quelque sorte, toutes les formules d'utilisation du signe parole en situation de lieu commun, de cliché ou de stéréotype, par lesquels la conversation et le discours peuvent se définir comme lieu social d'échange d'informations… à l'entropie nulle ! Cette considération porte immédiatement préjudice à la représentation du langage que l'on voudrait dégager des notices du DCL. C'est ce que nous allons désormais observer grâce à certaines notices de cet ouvrage.

2° De la langue, des langues et de leurs types

Ainsi l'article Langue, au milieu d'une profusion de détails, offre-t-il une réadaptation de la seconde partie de la définition précédente :

L'opposition voulue dans ces lignes dessine déjà une ligne de fracture nette entre l'oralisation contingente de chaque langue et le système intérieur qui permet à chaque individu de s'en approprier les formes sémiologiques afin de les ployer à l'expression individuelle de ses besoins ou nécessités. Parole ne peut plus renvoyer seulement à la vocalisation du langage, mais emporte déjà avec sa dénomination une part de représentation du monde expressive du système culturel et idéologique sous-jacent à chaque langue :

On en arrive par là à une conception idéaliste de la parole dans laquelle se trouve résolue l'antinomie scolastique de la forme et du fond, de la substance et de l'expression... L'économie du système sémiologique veut que la parole soit la forme d'expression la plus appropriée aux multiples détours et involutions d'une pensée constamment mobile fondée sur l'expérimentation du sensible. Développée dans le premier quart du XIXe siècle, cette conception aurait encore eu son actualité. De nombreux articles du Journal de la Langue française, entre 1826 et 1840 [6], tentent d'en prolonger les effets. Mais, sous l'influence de Humboldt, se substitue vite au binarisme dialectique qui oppose la pensée et la langue un ternarisme beaucoup plus souple fécond qui permet d'envisager une relation plus souple de ces deux fonctifs, fondée sur la prise en considération de modalités d'essence rhétorique, mais que l'on pourrait presque dire déjà énonciatives dans ce contexte historique de transition : qui parle, à qui l'on parle, de quoi l'on parle… puisque l'enjeu n'est plus désormais la qualité esthétique de l'expression mais sa cohésion sémiologique :

Notons bien ici la présence d'une référence au son, c'est-à-dire à la vocalité matérielle des langues, perçues comme indice distinctif de ces dernières et première manifestation de la spécificité de chacune. La parole devient dès lors -- en chaque langue particulière -- forme et médiation par excellence de l'activité de communication qui périme l'hypothèse de l'existence d'une langue universelle. Chaque langue, en tant que combinatoire, renferme une virtualité de paroles indéfinies qui en assurent la stabilité formelle et l'homogénéité culturelle :

Passons sur le détail de la typologie envisagée à la suite de Humboldt et Schleicher par le rédacteur de la notice [7], pour nous intéresser désormais à l'article Grammaire, rédigé par Champagnac, lequel constitue, en dépit de la fragmentation inhérente à la lexicographie, une sorte de prolongement de la notice précédente…

3° De la grammaire et des principes de normalisation de la parole

Immédiatement, et en conformité avec la tradition issue du courant des Métaphysiciens, cet objet est d'ailleurs mis en relation avec l'activité de parole. Tout se passe comme si le corps de doctrine grammatical n'avait pour dessein que de standardiser et stimuler cette activité :

On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, que l'évocation succincte d'une histoire de la grammaire s'achève sur la mention de Court de Gébelin et de son Histoire naturelle de la Parole et du Monde primitif

Ce sont là avec Changeux, l'auteur de la Bibliothèque grammaticale abrégée ou nouveaux mémoires sur la parole et l'écriture (Paris : 1773), les témoins d'une évolution qui condamne à terme l'hypothèse d'une grammaire générale susceptible de s'appliquer à toutes les langues et à toutes les paroles, à l'issue de laquelle se trouve le comte Lanjuinais, introducteur en 1816 de la dénomination de linguistique et de méthodes d'analyse fondées sur l'observation scrupuleuse des données… de la parole [8] :

Rapportées aux productions ambiantes de la grammaticographie française de la période, les remarques de cette notice sont immédiatement frappées d'une inadaptation foncière. En faisant porter l'accent sur les subsistances de la grammaire générale, Champagnac déséquilibre sciemment la présentation d'un objet qui subit alors de grandes et profondes modifications. En effet, si, en 1803, la réédition de la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal atteste encore la rémanence d'un certain courant de pensée, il ne faut pas oublier que l'éditeur du volume, Petitot, fait précéder le texte même d'Arnauld et Lancelot d'un Avis préliminaire qui stigmatise les progrès et la décadence de la langue française à la fin du siècle précédent et sous la Révolution, ce qui lui permet d'adjoindre à la grammaire des Messieurs un Essai sur l'origine et la formation de la langue françoise qui en double plus que le volume, et insère la réflexion grammaticale dans le courant historique dominant qui définira le cadre dans lequel trouveront désormais place les travaux grammaticaux. L'impulsion avait été donnée dès la seconde moitié du XVIIIe siècle dans des ouvrages qui ne relevaient pas strictement et nécessairement de la grammaticographie. On pense ici au Dictionnaire Grammatical et au Dictionaire critique de Jean-François Féraud, en 1761 et 1787, qui marquaient bien déjà l'importance d'un relativisme historique dans l'évaluation et l'appréciation des faits de nature lexicale et grammaticale.

Mais le passage au XIXe siècle accentue le trait, même dans des ouvrages au dessein nettement pratique : Grammaire des grammaires de Giraul-Duvivier, en 1811, Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue française de Laveaux, en 1816, Nouvelle Grammaire Française sur un plan très-méthodique de Noël et Chapsal, en 1823, Grammaire générale des grammaires françaises de Napoléon Landais en 1834, et, la même année, la très célèbre Grammaire Nationale ou Grammaire de Voltaire, de Racine, de Bossuet, de Fénélon, de J.-J. Rousseau, de Buffon, de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand, etc… que les frères Bescherelle font précéder d'un abondant Essai sur la grammaire en France, et de Considérations philosophiques et littéraires sur la langue française par Philarète Chasles…. Citons encore, en 1836, le Dictionnaire grammatical, critique et philosophique de la langue française que donne Victor-Augustin Vanier. Tous ces ouvrages prennent en considération, d'une manière ou d'une autre, la dimension de l'histoire de la langue et, à ce titre, périment progressivement la validité des arguments de la grammaire métaphysique et générale. Quelques lignes de Philarète Chasles, à cet égard, s'avèrent parfaitement représentatives de ce nouveau mouvement, qui soulignent le renouvellement constant de la langue par l'apport des discours et des innovations assignables aux hommes de génie et aux grands écrivains qui sont « les vrais grammairiens, les seuls grammairiens » :

Ce texte expose avec la flamme et la fougue du romantique, mais aussi avec clarté le paradoxe de la permanence d'un système d'expression qui ne peut s'assurer que dans le renouvellement permanent de ses modèles auquel procèdent les grands écrivains. On rejoint ici le texte de l'épigraphe de Tissot que les grammairiens donnaient à leur ouvrage :

Grammaire, standardisation des paroles, conditions préalables à la définition d'un statut social…. Nous sommes là au cœur d'un ensemble de faits et de contraintes qui modèlent la pensée du langage et la représentation de la langue dans les consciences contemporaines, mais que la notice du DCL occulte pudiquement, car il n'est pas bon d'être simultanément un compendium de connaissances permettant d'accéder aux emplois et aux fonctions les plus rémunérateurs de la société bourgeoise, et l'exposé des principes sélectifs et discriminants assurant cette promotion de quelques uns aux dépens de tous.

4° Les dictionnaires et la taxonomie des opinions

Si nous nous tournons maintenant du côté de la notion éponyme à laquelle le DCL fait référence, celle même de Dictionnaire, les enseignements sont à la fois comparables et différents. La notice se présente sous la forme d'un développement de nature encyclopédique :

Qui relie explicitement autour de la parole, comme on l'a vu ci-dessus, grammaire et dictionnaire. Ce développement est suivi d'une première expansion de nature historiographique :

Et l'on appréciera dans ces paragraphes un louable effort de définition de l'évolution d'un genre, qui amène à une seconde expansion de nature plus méthodologique et typologique :

On trouve tout à la fois dans ces lignes une analyse critique des principes de la rédaction lexicographique, une physiologie ainsi qu'une étiologie de la langue rapportées aux conditions d'utilisation de la grammaire et du lexique telles que l'Académie française les envisage sous l'aspect sélectif et normatif . En période de mutation, rien de surprenant en conséquence à ce que le Dictionnaire de l'Académie française soit bien évidemment révéré mais aussi escorté d'un choix d'ouvrages dissemblables aux mérites divers, sur lesquels la notice se fait critique dans une sorte de dépréciation récurrente de ces ouvrages souvent justifiés par le seul esprit concurrentiel du lucre :

Ces lignes rappellent opportunément l'étroite relation qui associe nécessairement le lexique aux usages, ses valeurs aux principes idéologiques contemporains, et la lexicographie aux doxas ambiantes. C'est là ce qui me conduit à envisager le troisième constituant du dispositif gnoséologique envisagé par le DCL, à savoir cet objet de convoitise sociale et individuelle, en qui se réconcilient ou s'affrontent -- selon ! -- les aspects les plus contrastés de l'idéologie, de la culture et de la politique : la langue française, dont, depuis le décret de 1832, il est important de maîtriser tous les aspects formels et sémantiques, normatifs et expressifs, si l'on veut occuper un emploi dans l'administration publique….

Cette langue française, qui vient de recevoir en 1834 la description grammaticale officielle des frères Bescherelle, comme on l'a vu plus haut, et qui peut dès lors valoir langue de référence et de révérence. Dans sa première édition, le DCL confie la rédaction de cette notice à Charles Nodier dont l'activité , dans le domaine de la science de la langue, est déjà notoire à cette époque : auteur d'un Dictionnaire des onomatopées (1808), collaborateur régulier de Boiste pour la révision du Dictionnaire Universel de ce dernier (depuis 1818), éditeur et réviseur de Gattel, auteur d'un Examen critique des dictionnaires françois (1828-1829), de Notions élémentaires de linguistique (1834) et de nombreux articles de critique dictionnairique dans le Journal des Débats. Comme pour affirmer immédiatement la portée polémique et politique du propos, c'est d'ailleurs sous l'entrée France qu'il faut rechercher le contenu de la notice.

Avec cet article de littérateur, nous reconnaissons ainsi une des spécificités du DCL qui est d'échapper aux règles formelles strictes de la lexicographie. Polémique et politique, l'apport de Nodier se veut aussi immédiatement poétique au sens étymologique du terme, et s'inscrit à cet égard dans le prolongement de ses productions antérieures :

Nodier ne se prive d'ailleurs pas, comme l'a établi Jacques-Remi Dahan, de reprendre ici des bribes et morceaux d'articles ou de contributions destinés à diverses publications des années 1830-35. Ainsi des « Recherches sur le style et particulièrement sur celui des chroniques », contemporain des travaux préparatoires aux approches philologiques de Peignot [9], qui paraissent en 1831 dans un Album littéraire. Recueil de morceaux choisis de littérature contemporaine, Paris, Louis Janet, 1831… Dans ces rhapsodies que les linguistes de profession auront vite fait de caractériser comme étant d'aimables fantaisies de lexicomane, on peut cependant discerner un fil conducteur non dénué au reste de vérité et d'importance : la place reconnue à l'activité de parole qui permet de figurer les grands traits caractéristiques des peuples :

Ces derniers termes posent nettement l'objet et les enjeux des débats, même si le pathétique de l'expression contrevient quelque peu à l'efficacité de l'argumentation. Mais on se situe bien dans le cadre d'une palingénésie du langage et des langues, une paléo-linguistique qui serait au fond une pansémiotique de la vie avant la lettre. Nodier excelle dans la démonstration de cette usure de la langue française à laquelle a concouru le passage du temps, qui a progressivement érodé la valeur de la parole. Et ce sont trois langues françaises successives, jusqu'au temps de la rédaction de cet article qui se sont succédées. Le discours se fait ici d'une exubérance asiatique, mais sa portée critique en est d'autant accentuée que le propos mime ici le procès qu'il énonce, décrit et caractérise :

C'est dans ce contexte que Nodier, lexicomane et lexicographe, en vient à poser une distinction que l'on pourrait supposer héritée de Louis-Sébastien Mercier, le néologue, entre la parole vive et le parlage, forme dévaluée des langages et discours de convention :

Le 1er février 1791, dans La Bouche de Fer, Mercier revendiquait déjà pour sa part une part inaliénable et essentielle de la parole qui échappait à ces formes de convention :

En assignant à la parole cette sincérité fondamentale qui répugne autant aux formes conventionnelles de la rhétorique qu'aux clichés et stéréotypes des lieux communs, Mercier avançait une représentation que Nodier saisit au vol, trente ans plus tard, pour tenter un essai que l'histoire des conceptions poétiques du langage va se charger de transformer au nom même de l'authenticité, et en condamnant les effets pervers de la standardisation et de la normalisation de l'expression que favorisent le journalisme et le mercantilisme littéraire. Faconde inanimée, galimatias redondants sont là des condamnations encore trop faibles :

L'épreuve de cette vacuité, dans les termes de Nodier, a conduit à la production d'une écriture qui revendique sa subjectivité que l'on dirait aujourd'hui énonciative, et qui l'assume dans ses desseins et ses modalités, en quelque discordance qu'elle se trouve à l'égard des modèles éthiques et des canons esthétiques. Une écriture qui se pare donc vite des attributs d'un style

Le texte de la première édition, qui mentionnait le terme de parlage pour évoquer cette appropriation du verbe, est substantiellement modifié dans la seconde édition de 1867, puisque -- erreur de typographe, correction ou inadvertance -- ce dernier terme se transforme en… partage de convention ! Nodier expose ainsi ses conceptions dans les termes d'une palingénésie généralisée qui, sous le masque du poétique, rend compte des tensions entre stéréotypie banale et hardie créativité auxquelles est soumise la langue française :

Cette représentation de la parole comme forme par excellence de l'énergie du langage constitue non seulement une sorte de résumé de la pensée romantique du langage en France ; mais elle en propose aussi un modèle génératif qui soumet par le style la parole aux aléas de la création littéraire, et aux contraintes d'un génie individuel. Parlage ou partage de convention, par nécessité, la parole du sujet renvoie à une dynamique du langage que la langue commune ne doit ni dissimuler, ni restreindre. Sous l'hypothèque renouvelée de la franchise ou de la naïveté qui marque les usagers consciencieux, c'est donc toute une philosophie énergétique du langage qui se développe ici et qui prend position en faveur du renouvellement constant de la langue sous condition que les dictionnaires et les grammaires gardent trace des étapes successives de ce processus :

Sans que la production lexicographique contemporaine soit explicitement citée, il est hors de doute que Nodier s'appuie ici sur les témoignages des diverses éditions du Dictionnaire universel de Boiste (15 éd. de 1800 à 1866) dont il assure la pérennité éditoriale, mais aussi sur Gattel, Bescherelle et surtout Napoléon Landais. En tant que critique de l'activité lexicographique, Nodier avait particulièrement conscience des défauts des dictionnaires, qu'il jugeait tous, chacun par un côté, imparfaits, et les dernières phrases de sa notice reprennent assez clairement ce leitmotiv obsidional. C'est en fonction des besoins de chacun que se déterminent les besoins et la nature de la parole :

C'est pourquoi, dans cette période où la science du langage s'établit sur la base du bouleversement des traditions épistémologiques d'ancien régime que suscitent la multiplicité des langues exotiques connues et la découverte des bases d'une philologie historique falsifiable, mieux vaut, pour conclure, en revenir à la notice que le DCL consacre à la science de la langue et à sa dénomination même.

5° Constellations du linguistique :

Charles Nodier n'est pas l'unique responsable de la notice du DCL consacrée à la linguistique ; mais, vivant ou posthume -- de 1836 à 1867 -- il en a inspiré les grandes lignes, ce qui est d'autant plus intéressant si l'on songe à l'étendue des transformations qui ont affecté cet objet dans cette période. En effet, la distinction exposée entre linguistique proprement dite et philologie recoupe assez largement ce que l'on connaît des opinions de Nodier à ce sujet, telles tout au moins qu'il les a exposées, dès 1834, dans ses Notions élémentaires de linguistique, ou histoire abrégée de la parole et de l'écriture pour servir d'introduction à l'alphabet, à la grammaire et au dictionnaire… C'est la dimension plus spécifiquement littéraire du matériau d'étude envisagé qui fait basculer l'objet soit du côté de la philologie, soit du côté de la linguistique. La ligne de partage est nette et renvoie à une première étape de la constitution de l'objet ; une étape partitive puis qu'il s'agit d'extraire un ensemble cohérent du tout du langage romantique que galvanise l'histoire :

Le paramètre littéraire étant ainsi reconnu et isolé, qui assure l'édification de monuments culturels et la promotion du composant rhétorique révéré par les classiques, il reste à la linguistique tout le champ des activités de la parole individuelle qui double ou commente l'action ; de la parole qui assure les échanges des locuteurs appartenant par cela même à une communauté culturelle et partageant des formes identiques de représentation du monde ; cette parole non nommée en tant que telle, mais toujours opératoire, qui définit l'identité au sein de l'altérité et qui trouve dans la langue la permanence ou la stabilité lui permettant de se déployer. Le DCL peut, en conséquence, caractériser cette dimension anthropologique dans laquelle se lisent rétrospectivement les signatures de Humboldt et de Nodier. Ce tandem est certainement peu ordinaire, car l'anthropologue et linguiste allemand et le conteur et lexicomane français ne partent aucunement des mêmes présupposés à l'endroit de la langue et n'envisagent pas leurs analyses dans des perspectives comparables, mais il importe peu à un dictionnaire d'opinions communes de s'interroger sur la cohérence épistémique des arguments qu'il développe :

La question de l'origine du langage et des langues, qui était encore agitée entre 1830 et 1840, dans le sillage des conceptions du siècle précédent (Court de Gébelin) ou du début du XIXe siècle (Joseph de Maistre, Fabre d'Olivet) et dans le maelström des idées saint-simoniennes, est devenue, à l'époque de la seconde édition du DCL, objet de suspicion et même de révocation en tant que telle dans l'article premier des statuts de la 3e Société de Linguistique de Paris. C'est l'introduction de la dimension historique et comparative, issue non sans paradoxe de l'observation de faits philologiques, qui autorise cette conversion de la linguistique au réalisme empirique prôné dans la notice :

Science destinée à établir les principes de fonctionnement des langues, et permettant de comparer des objets que l'observateur constate différents dans leurs formes et voudrait cependant de substances semblables, la linguistique définie par le XIXe siècle se ressource dans les témoignages de l'écriture… pour mieux appréhender les mystères de la parole !

C'est en ce sens, qui est l'autre sens de cette dernière dénomination, que l'on cherche dès lors, comme l'indique le DCL, à établir et stabiliser les « lois vocales » présidant à la réalisation et aux évolutions des langues. Antérieure à l'écriture, l'oralité, que traquent les phonéticiens [10] et qui est la condition nécessaire de la transmission des représentations mentales [11], devient ainsi l'objet sur lequel se focalise désormais l'attention d'une discipline dont l'ambition est de définir une nouvelle grammaire du langage.

Les néo-?grammairiens s'autorisent de l'observation rétrospective des régularités phonétiques pour poser la prédictibilité des faits de nature linguistique et en dégager les principes généraux d'une science : la linguistique comparée. Par là, en conséquence, on assiste à un double déplacement :

-- La question de l'oralité antérieure à la littérature devient le substitut analogique mais autorisé de celle de l'origine du langage. Ainsi se justifient les développements qui seront les siens, tant du point de vue de la phonétique historique (Bourciez) que du côté de la phonétique physiologique et expérimentale (Rousselot), en passant par l'observations des variations articulatoires dialectales (Gilliéron et Edmont).

-- Quant à celle de la parole proprement dite, par le même transfert métaphorique, elle devient le substitut licite de l'éviction de l'ancienne rhétorique qui frappe alors la langue. Puisque l'exemple des tribuns politiques et militaires, que développe Cormenin, alias Timon d'Athènes, dans son Livre des Orateurs (1838), montre à l'évidence que la rhétorique d'ornementation est tombée en complète désuétude, et qu'elle a été remplacée par une rhétorique d'action, une rhétorique d'argumentation qui vise à la parole efficace, active et persuasive, il convient désormais de voir dans la parole un objet qui échappe aux catégories de la littérature et qui est susceptible d'étude rationnelle, rigoureuse, d'analyse scientifique.

Entre esthétique et pragmatique, l'hétérogénéité de doctrine du DCL que l'on a pu constater ici dans nombre d'articles traitant de langue condamne donc la parole à se représenter sous des jours contradictoires qui exposent les limites de la linguistique en cours de définition entre le premier et le dernier tiers du XIXe siècle. Dans ses Notions élémentaires de linguistique, Nodier, qui rappelait que cette dernière ne pouvait qu'enregistrer l'incapacité de l'homme à exprimer clairement sa perception naturelle de la parole, s'exclamait : A quoi bon la Linguistique ? A montrer comment l'homme serrait parvenu au plus haut degré de perfectibilité sociale… s'il lui avait été donné d'y atteindre !…

On peut considérer sous cet aspect que le DCL, en tant que vecteur d'une doxa qui voudrait vulgariser la science contemporaine des langues, réussit pleinement à démontrer la validité de cette interrogation qui se voudrait pragmatique… mais qui demeure totalement rhétorique ! Quel curieux spectacle au XIXe siècle que celui de la parole en représentation active et théorique….


Notes

1. J'entends par là toutes les linguistiques structurélistes -- non forcément structurales au reste ! -- qui succédèrent à Saussure, soit directement dans sa lignée : Bally, Séchehaye, soit en marge, Guillaume, Hjelmslev, etc.

2. Alfred de Vigny, Les Oracles, v. 64.

3. Abréviation par laquelle nous désignerons désormais le Dictionnaire de la Conversation et de la Lecture.

4. A la place de cette dénomination, on peut substituer celles de : anglaises, 1817-1819, allemandes, 1827, italiennes, 1824-1825.

5. Rappelons ici l'usage du terme en grec chez Hésiode à propos de la langue, ou en latin chez Cicéron à propos de la mémoire définie comme « le trésor de toutes les connaissances », qui a conduit à la conception de thesaurus comme somme des connaissances relevant de domaines diversifiés en vertu du sens premier connu en grec, « magasin où l'on enferme provisions et objets précieux ». C'est ainsi que le dictionnaire de Nicot s'inscrit pour « la langue françoise, tant ancienne que moderne » dans la continuité des monuments lexicographiques que furent les thesauri des Estienne. Pour ceux-ci comme pour le Thresor de Nicot, la caractérisation du terme thresor par un syntagme nominal défini (« de la »), ouvert sur l'infini de la langue grecque, permet de synthétiser une visée sémiologique holistique.

6. Cf. J.-Ph. Saint-Gérand, « L'exemple d'une revue : le Journal grammatical et didactique de la langue française », in Travaux de Linguistique, Langue et linguistique : mouvements croisés et alternés (1790-1860), Duculot, 1997, pp. 91-114.

7. La classification est là particulièrement précise et rend compte d'un désr d'ordre qui, mutatis mutandis, expose les raisons pour lesquelles toute parole libre ou spontanée doit à cette époque en revenir aux modèles de la rhétorique et aux formes normatives de la grammaire et du dictionnaire.

8. Il s'agit du texte qu'il rédige pour servir de Préface à la réédition de l'Histoire naturelle de la parole de Court de Gébelin.

9. Essai analytique sur les origines de la langue française, Dijon, Lagier, 1835.

10. C'est en 1873 que Dufriche-Desgenettes introduit le terme de Phonème ; lui succèdent les travaux de Passy, l'établissement en 1886 de l'API, le développement des enquêtes dialectologiques avec Gilliéron et Edmont, l'approfondissement des méthodes et des résultats de la phonétique expérimentale de l'abbé Jean?-Pierre Rousselot…

11. Littré dit : Faculté qu'a l'espèce humaine d'exprimer ses idées par les sons de la voix.v (s.v. Parole, 7°)