REMARQUES

MORALES, PHILOSOPHIQUES

ET GRAMMATICALES

SUR

LE DICTIONNAIRE

DE L'ACADEMIE FRANÇOISE

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A PARIS

CHEZ ANTOINE-AUGUSTIN RENOUARD

RUE SAINT-ANDRE-DES-ARCS, N°55.

M DCCC VII

 


 

PRÉFACE.

 

 

Le Dictionnaire de l'Académie Françoise, dédié A l'immortalité, sera sans doute immortel, avec les fautes qui peuvent en rendre la lecture dangereuse, si on ne les corrige pas; mais honoré des respects de l'Europe, si elles sont corrigées.

Ce n'est ni la fantaisie de présenter au public un vain sujet d'amusement, ni le désir, peut-être louable, de se faire apercevoir entre les philosophes, qui a dicté les observations qu'on a sous les yeux. Il paroîtroit plutôt que l'auteur ou les auteurs de ces observations, sont persuadés que la jeunesse studieuse pourra trouver à s'y instruire, et même que les amis des sciences et des bonnes lettres, ne les dédaigneront point.

Quant à nous, éditeurs, nous croyons, en publiant les Remarques morales, philosophiques et grammaticales, sur le Dictionnaire de l'Académie Françoise, pouvoir mettre ici, sans conséquence, les paroles qui nous ont été dites, par la personne de qui nous tenons le manuscrit.

L'histoire de la langue françoise est longue à étudier, difficile à savoir, inutile à écrire, mais importante à connoître dans le sein d'une docte compagnie. Si MM. Desmarêts, Mirabaud, Duclos, D'Alembert, et les autres auteurs du Dictionnaire de l'Académie, eussent fait attention à cette grande vérité, l'édition de 1778, n'auroit laissé rien à désirer à la République des Lettres. Car, avec toutes les négligences qui déparent le Dictionnaire de l'Académie, cet ouvrage est encore le mieux fait de tous les dictionnaires de langues vivantes.


 

REMARQUES

MORALES, PHILOSOPHIQUES

ET GRAMMATICALES

SUR

LE DICTIONNAIRE

DE L'ACADEMIE FRANÇOISE

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Abaisse. Substantif féminin. Pâte qui fait le fonds de toute espèce de pâtisserie. (Dictionnaire de l'Académie Françoise)

Remarque. C'est une chose très remarquable, que l'Académie françoise ait commencé son Dictionnaire par la définition d'un barbarisme, et qu'elle l'ait mal défini. Ce barbarisme remplace, dans la bouche de quelques garçons pâtissiers de Paris, l'expression Basse-pâte, dont se servent leurs vieux-maîtres. La basse-pâte est la pâte aplatie au rouleau, sans distinction de qualité ni d'emploi.

Abattage. Substantif masculin. Signifie entre marchands de bois… (Dict. de l'Acad. Franç.)

Remarque. Ce barbarisme ne se dit point entre marchands de bois. Il se dit entre huissiers-priseurs et marchands-ventiers; c'est-à-dire, acheteurs de bois vif.

Abatteur. Substantif masculin. Qui abât. Ce bûcheron est un grand abbatteur de bois… (Dict. de l'Acad.)

Remarque Le mot Abbatteur ne se dit point d'un bûcheron. Ce mot fait partie de deux expressions proverbiales, hors desquelles on ne l'emploie jamais. La première a son origine dans la chevalerie. On disoit d'un chevalier accoutumé à vaincre : C'est un grand abbatteur de bois; comme on disoit de celui qui portoit sa lance avec grace et fermeté : Il porte bien son bois. La seconde expression est un parodie de la première. On appelle Grand abbatteur de quilles, un homme connu pour se mêler ordinairement dans les jeux des fillettes.

Abattures. Substantif féminin pluriel. Terme de chasse. Foulures qu'un cerf laisse dans les broussailles où il a paassé. (Dict. de l'Acad.).

Remarque. Expliquer Abbatures, terme de venerie, par Foulures, terme de venerie, c'est s'écarter à la fois des convenances grammaticales et du langage des veneurs. Dans ce langage, Abbatures se dit de toutes les marques des voies de la bête, soit dans des broussailles soit dans un taillis, à l'exception des fumées et des marques ou traces des pieds; Foulures, au contraire, se dit des traces des pieds uniquement.

Abcès. Substantif masculin. Apostème… (Dict. de l'Acad.)

Remarque. C'est expliquer le connu par l'inconnu.

Abdalas. Substantif masculin pluriel. Nom général que les persans donnent aux religieux; ce que les turcs appellent Derviches, et les chrétiens moines. (Dictionn. de l'Acad.)

Remarque. 1°. On dit au singulier, Un derviche, Un moine; et la définition qu'on vient de lire donneroit implicitement à entendre, que les deux substantifs Moine et Derviche n'ont point de singulier : ce qui est une faute contre l'exactitude.

Abd'al Elah, ou Abd'allah, ou Abdalla et non Abdalas, est une antique expression arabe, qui signifie, dans tous les idiômes orientaux, Serviteur de Dieu.

3° Que Chardin le voyageur, ou tout autre écrivain, ait désigné dans son livre, par ce mot, des moines persans, ce n'étoit pas un motif plausible, pour le placer dans le dictionnaire de l'Académie, au nombre des termes de notre langue. Abdalla est un terme de relation étrangère, que l'Académie françoise auroit dû réserver avec beaucoup d'autres termes, pour les expliquer dans un glossaire particulier, afin de ne pas faire dégénérer en un jargon la langue nationale.

Abdomen. Substantif masculin. Mot purement latin, que les anatomistes ont transporté dans notre langue, pour signifier le bas-ventre. Les muscles de l'abdomen (Dict. de l'Acad.)

Remarque. Ce mot latin est étranger au bon langage françois, même en anatomie; et d'ailleurs il avoit chez les anciens une signification purement morale. La draperie d'un Christ est un Abdomen.

Abée. Substantif féminin. Ouverture par laquelle coule l'eau qui fait moudre un moulin. (Dict. de l'Acad.)

Bée. Adjectif. Ce mot ne s'emploie qu'en cette phrase, Gueule bée, qui se dit des tonneaux défoncés par un de leurs bouts. Des tonneaux, des futailles à gueule bée (Dict. de l'Acad.)

Remarque. Par une négligence difficile à excuser, les secrétaires de l'Académie ont, en plusieurs endroits du Dictionnaire, défini le même terme, sous deux orthographes différentes. Je doute qu'il y ait un vocabuliste à qui on ne puisse légitimement faire un reproche pareil : mais le Dictionnaire de l'Académie étant devenu le guide général de l'Europe, pour l'intelligence de notre langue, les fautes de cette nature m'ont semblé devoir être indiquées de façon que tout étranger qui n'est pas à portée de consulter un François, puisse remarquer facilement les doubles emplois du dictionnaire, à la seule inspection de mon travail.

Abée, substantif féminin, est un barbarisme. Les meuniers ne disent pas à leurs garçons, Ouvrez cette abée, Fermez cette abée; ils disent, Ouvrez cette bée, Fermez cette bée. On dit : Une bée de moulin. On dit aussi, mais en termes de maçonnerie seulement : Une bée de cheminée; une bée de porte, &c. Hors de ces exemples, le mot Bée est un adjectif, comme le marque le Dictionnaire.

Abétir. Verbe actif. Rendre stupide. Vous abétirez cet enfant. Il est aussi neutre. Il abétit tous les jours…. (Dict. de l'Acad.)

Abrutir. Verbe actif. Rendre comme une bête brute… (Dict. de l'Acad.)

Rabêtir. Verbe actif. Rendre bête. Vous rabêtissez ce garçon-là à force de le maltraiter. Il est populaire… (Dict. de l'Académie.)

Remarque. Le verbe Abrutir est un terme du bon langage. L'ancien verbe Abestir, tombé depuis long-tems en désuétude, est demeuré un terme patois, qu'il n'auroit point fallu classer dans le Dictionnaire de l'Académie, et qui au surplus ne signifioit pas ce que marque le Dictionnaire. Quant à son synonyme Rabêtir, ce barbarisme fait allusion à l'état de brute où le peuple suppose que sont les enfans, avant d'avoir été baptisés.

Suite de l'article, Abrutir. + Le vin pris avec excès abrutit les hommes, abrutit l'esprit… (Dict. de l'Acad.)

Remarque. 1° Dans un livre didactique, Prendre du vin, n'est pas synonyme de Boire du vin. 2° Ce n'est pas de s'enivrer qui abrutit; mais c'est de s'enivrer habituellement.

Abigeat. Substantif masculin. Vol de troupeaux (Dict. de l'Acad.)

Remarque. Beaucoup de termes de jurisprudence ont des articles trop longs dans le dictionnaire de l'Académie. Cet article-ci est bref, et n'en est pas plus exact. D'habiles écrivains ont pu s'égarer en voulant déterminer la signification du mot Abigeat; il eût été sage à l'Académie françoise, de les ramener, par une bonne définition, au véritable sens de ce mot. Parmi les jurisconsultes romains, les Ulpien, les Paul, les Claude et les Apulée, ont jugé le crime d'abigeat plus rigoureusement punissable que le vol proprement dit. Ce ne fut point sur des motifs douteux, que ces illustres logiciens se déterminèrent. Une particularité que leurs commentateurs auroient dû ne pas perdre de vue, c'est que d'après leur opinion, un vol de troupeaux, commis dans une écurie, sur un grand chemin, dans un marché public, ne paroît pas être un abigeat, et que le vol de quelques brebis, paissant le long d'un ruisseau, en est un.

Abolissement. Subst. Masc. Anéantissement. Il n’a d’usage qu’en parlant de lois et de coutumes. L’abolissement des cérémonies de la loi. (Dict. de l’Ac.)

Abolition. Substantif fém. Anéantissement, extinction. Il se dit principalement en parlant des lois et des coutumes… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Le second de ces deux mots est françois ; le premier est un barbarisme, qui fut hasardé, je crois, par un écrivain de Port-Royal. Il y avoit dans cette école, du bon et du médiocre ; vérité dont il semble que l’Académie françoise ne s’est pas toujours souvenue.

Suite de l’article, Abolition. + L’abolition des cérémonies de la loi… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. De quelle loi ? De celle des Juifs, apparemment : car cette phrase, employée par quelques théologiens au sujet des cérémonies judaïques, ne l’a jamais été par des jurisconsultes, au sujet des lois civiles. Mais les cérémonies judaïques sont pratiquées dans les quatre parties du monde ; donc elles ne sont pas abolies. Dira-t-on qu’elles le sont de droit, sinon de fait ? En ce cas, il ne fallait pas traduire Abolition par Anéantissement.

Fin de l’article, Abolition. + L’entière abolition de l’Ordre des Templiers. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. L’Ordre militaire du Christ, dit vulgairement des Templiers, n’a pas subi une entière abolition.

Abraxas. Substantif masculin. Mot auquel la superstition attachoit de grands mystères… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Le mot Abraxa n’est pas un terme de notre langue ; c’est un mot de cabale, dont il n’auroit point fallu embarrasser le Dictionnaire de l’Académie. La superstition est de tous les temps.

Fin de l’article, Abraxas. + L’Abraxa est une amulette. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. 1° Ni plus ni moins qu’Homere, que Pythagore, Philippe, Alexandre, Hercule même, sont des camées, ou que Memnon étoit une statue.

2° Si un abraxa est une amulette, la superstition attache des mystères à un abraxa. C’est donc à tort qu’on a employé l’imparfait du mode indicatif au lieu du présent, dans la définition.

Acabit. Substantif masculin. Qualité bonne ou mauvaise de certaines choses. Il ne se dit guère que des fruits. Des poires d’un bon acabit. Des légumes d’un bon, d’un mauvais acabit. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Le mot Acabit est un terme d’économie rurale, exclusivement affecté à une espèce d’animal, qui est le porc ; et encore ne se dit-il que d’un porc vivant. Ce terme très ancien, et dont la signification n’a jamais varié dans l’économie rurale, a occupé, au dix-septieme siecle, la curiosité des étymologistes. L’abbé Ménage, le plus renommé d’entre eux, s’imagina que le mot Acabit étoit formé du mot Achat, ou le mot Achat du mot Acabit. L’Académie a réglé sa définition sur cette conjecture, non pas seulement hasardée, mais entièrement fausse. C’est ainsi que les langues se dénaturent.

Acajou. Substantif masculin. Arbre d’Amérique… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. D’Asie et d’Amérique.

Suite de l’article, Acajou. + Son fruit est une noix en forme de rein… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Comparaison très intelligible pour les peuples anthropophages.

Acatalepsie. Substantif féminin. Impossibilité de savoir une chose. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Ce n’est point là un mot françois ; et le sens du mot grec et latin Acatalepsia, n’étoit point celui que présente cette définition. Ce mot signifioit : Situation d’esprit du philosophe qui n’a pas encore compris la doctrine de son maître. Les auditeurs des Thalès, des Bias, des Pittacus, des Xénophon, des Aristote, des Xénocrate, et des autres philosophes transcendans de l’antiquité devoient commencer par être Acataleptiques. Ce terme-ci, oublié par les rédacteurs du Dictionnaire, est cependant un mot de notre langue.

Accouer. Verbe actif. Terme de chasse. Donner le coup à un cerf au défaut de l’épaule, ou lui couper le jarret. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Explication étrangement fausse. Accouer un cerf, c’est l’atteindre à la course ; et tout cerf accoué par son veneur, n’est pas nécessairement destiné à être mis à mort.

Achit. Substantif masculin. Espèce de vigne qui croît dans l’île de Madagascar. Elle porte beaucoup de grappes. (Dict. de l’Acad.)

Lambruche ou Lambrusque. Substantif féminin. Espèce de vigne sauvage qui donne de gros raisins et d’assez bon goût, mais dont la peau est fort coriace. La lambruche croît en quelques contrées de l’Amérique septentrionale. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. 1° Le nom par lequel une nation étrangere, civilisee ou sauvage, désigne la plante nommée en France, Lambruche, est indifférent à la langue françoise.

2° Il n’y a point de choix à faire entre Lambruche et Lambrusque : le premier de ces mots est françois ; le second est patois.

3° Il y a des milliers de sortes de lambruches ; il n’y en a pas de deux espèces.

4° Nos forêts, nos montagnes sont garnies de lambruches : un jésuite a vu des lambruches dans l’Amérique septentrionale ; il ne falloit pas occuper exclusivement le public des lambruches du jésuite ; il ne falloit pas même l’en occuper.

Achoppement. Subst. Masc. Il ne se dit guère que dans cette phrase, Pierre d’achoppement, pour dire, Occasion de faillir, de tomber dans l’erreur… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Le substantif Achoppement ne se dit plus qu’au sens figuré ; mais le verbe neutre et réciproque s’Achopper, oublié ou négligé par les rédacteurs du Dictionnaire, se dit toujours au sens propre. Il signifie, se heurter le pied contre une pierre, ou contre un autre obstacle.

Acolyte. Subst. Masc. Clerc promu à l’un des quatre ordres mineurs, et dont l’office est de porter les cierges, de préparer le feu, l’encensoir, le vin et l’eau, et de servir à l’Autel le Prêtre, le diacre et le Soudiacre. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Hors du Temple, l’Acolyte a des fonctions non moins importantes et discrètes, qu’au dedans du Temple ; fonctions dont la première est d’être continuellement à la suite de son évêque, s’il en a un ; de son curé ou ministre, s’il est dans une hiérarchie presbyterienne ; de porter les eulogies, les mandemens, &c. Ainsi l’article est trop court, ou ne l’est pas assez.

Acousmate. Substantif masculin. Bruit de voix humaines ou d’instrumens qu’on s’imagine entendre dans l’air. (Dictionn. de l’Acad.)

Incantation. Substantif fém. nom qu’on donne aux cérémonies absurdes des fourbes qui se donnent pour magiciens (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Des biographes ont écrit que sainte Cécile, prête à recevoir le martyre, entendoit au dedans d’elle-même des chants angéliques ; d’où lui est venu le titre de patronne des musiciens. Si ce trait d’histoire est exact, sainte Cécile étoit alors dans un état d’Acousmate ou d’Incantation ; car ces deux substantifs, dans le langage des doctes métaphysiciens, sont essentiellement synonymes. L’un et l’autre désignent une affection mentale, que peu de physiologistes savent distinguer ; affection rarement morbifique, parfois endémique, mais dont ceux qui en souffroient, quand ils n’étoient pas des saints, ont souvent imputé la cause à sorcellerie.

Lorsque Sganarelle, de bûcheron devenu médecin, menace un paysan de lui donner la fievre, il se vante d’un pouvoir dont le paysan appréhende la réalité, et auquel les académies ne croient heureusement pas. Mais des académiciens dont le devoir est de ne point croire qu’un homme puisse donner la fievre à un autre en le regardant de travers, ont néanmoins un tort inexcusable, s’ils nient l’existence de la fièvre. C’est ce qu’a fait implicitement l’Académie françoise par la manière dont elle a rédigé son article sur l’incantation.

Adagio. Adverbe. Terme de Musique, qui se met à la tête d’un air, pour marquer que cet air doit être joue d’un mouvement lent… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Le mot Adagio est une expression de la langue italienne, laquelle expression est formée d’une préposition et de son régime, et qui signifie, dans notre langue : A l’aise, ou A votre aise. Les forgerons italiens et d’autres artisans, emploient cette expression en parlant à leurs compagnons, ainsi que les musiciens en parlant à leurs écoliers ; mais ce n’est pas pour recommander un mouvement lent, car la lenteur d’exécution, ils la recommandent par le mot Lento

Fin de l’article, Adagio. + … mais moins lent cependant que le mouvement indiqué par Largo (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Cet autre mot italien n’est pas le superlatif de Lento, comme la définition pourroit le faire penser. Le superlatif du mot italien Lento, parmi les musiciens, ainsi que parmi les autres hommes, c’est Lentissimo.

Ainsi l’expression italienne Adagio, est déplacée dans le Dictionnaire de l’Académie françoise ; et, de plus, elle y est mal expliquée.

Affable. Adjectif de tout genre. Qui a de l’affabilité. C’est un homme extrêmement affable. Il est d’un caractère doux et affable. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Affable ne se dit que d’un prince, ou d’un homme élevé à une dignité éminente ; et on ne peut employer ce mot avec justesse, que lorsqu’on parle de la manière dont cet homme ou ce prince reçoit ses inférieurs.

Affablement. Adverbe. Avec affabilité. Il est de peu d’usage. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Le mot Affable, qui précède celui-ci, est de peu d’usage, par la raison que les occasions de l’employer ne se présentent pas souvent. Ce n’en est pas moins un très bon terme. Quant à cet adverbe Affablement, on ne s’en sert jamais. C’est un barbarisme.

Afféager. Verbe actif. Terme de coutume. Donner une partie de son fief à tenir en fief ou en roture. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Fief ou non fief, parti ou le tout, Afféager, c’est amodier sans contrat écrit, sans témoin nécessaire ; en un mot, de confiance, de bonne foi, sans la présence d’aucun magistrat, et sans autre intervention admissible que celle des bonnes mœurs.

Affiquet. Subst. Masc. Parure, ajustement. Il ne se dit guère qu’en raillerie, et au pluriel… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Des Affiquets sont deux petits morceaux de bois, de corne, d’écaille ou d’ivoire, travaillés au tour-en-l’air, dans lesquels les dames qui tricotent des bas, et qui veulent passer à un autre ouvrage ou se reposer, chaussent leurs aiguilles, afin de prévenir tout accident.

Afforage. Subst. Masc. Droit qui se paie à un seigneur pour la vente du vin. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. C’est définir un terme en commis au fisc, au lieu de le définir en grammairien. L’Affoillage, mal écrit Afforage, est l’action de celui qui attache à sa maison, une enseigne d’auberge ou de cabaret. L’Affoillage autorise le magistrat à faire à tout heure du jour et de la nuit, des visites, pour la sûreté des voyageurs.

Affre. Subst. Fém. Grande peur, extrême frayeur. Il n’est guère en usage qu’au pluriel. Les affres de la mort (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Le mot Affre ne signifie ni peur, ni frayeur ; il signifie Percussion. Les affres de la mort sont l’agonie.

Agio. Subst. Masc. Terme de change et de banque, qui se dit de l’excédent qu’on prend sur une certaine somme, pour se dédommager de la perte qu’il pourroit y avoir à faire. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. L’Agio est, de même que l’escompte, une remise d’argent que fait au débiteur, le créancier qui veut être payé avant l’échéance de la dette. Et c’est à cause de l’avantage que le consentement du débiteur procure au créancier, que cette remise a été nommée Agio, d’un terme du midi, qui est la traduction du mot Aise. Mais il y a cette différence entre le mot Agio et le mot Escompte, que le premier ne s’emploie guère qu’en mauvaise part, dans le public.

Ahan. Subst. Masc. Peine de corps, grand effort, tel que celui que font ceux qui fendent du bois, ou qui lèvent quelque pesant fardeau. C’est un de ces mots qui se forment du son de la chose qu'ils signifient. Suer d'ahan. Il est bas. (Dict. de l'Acad.)

Remarque. Dans le langage antique de nos aïeux, les deux mots Chan et Achan signifioient, le premier, Houlette ; le second, Araire : et le second se prononçoit aussi Ahan. Affirmer qu’Ahan s’est formé du son de la chose qu’il signifie, c’est donner une conjecture erronnée, pour une vérité incontestable. Présenter pour exemple de diction, l’expression inusitée Suer d’ahan, c’est recourir à son imagination, lorsqu’il faudroit n’interroger que sa mémoire.

Ahaner. Verbe neutre. Avoir bien de la peine en faisant quelque chose. Il a bien ahané avant que de venir à bout de ce travail, de cette affaire. Il est bas (Dict. de l’Acad.)

Remarque. J’oserai soumettre à mes lecteurs la remarque qui va suivre. Faire péniblement un travail, et Faire un travail pénible, sont des phrases qui présentent deux idées différentes. L’Académie néanmoins semble confondre ces deux idées, en exprimant la dernière dans son exemple, après avoir exprimé la première dans sa définition.

Aide. Subst. Masc… en parlant des personnes… Aide à maçon, se dit d’un garçon qui sert sous un maçon… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Cette locution est du patois mal orthographié. En langage limousin, on dit, Aida-maçoun ; en bon langage françois on doit dire et on dit ; Aide-maçon. Ce sont les mêmes mots différemment prononcés ; et le premier de ces mots, savoir Aide ou Aida, n’est pas un substantif ; c’est le verbe aider, à la troisième personne du présent de l’indicatif, et employé comme le verbe Porter est employé dans Porte-feuille, Porte-voix, Porte-croix ; le verbe Gagner dans Gagne-petit, &c.

Aidoialogie. Subst. Fém. Partie de la Médecine qui traite des parties de la génération. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Ce n’est pas sans de sages raisons, que les médecins françois ont donné à telle ou telle partie de la médecine, des noms étrangers au langage habituel. Et c’est par inadvertance sans doute que l’Académie françoise a laissé mettre dans son dictionnaire un article sur l’aidoialogie ; car, pourquoi, si cet article y eût été mis avec réflexion, n’en liroit-on pas un sur l’aiadotomie ?

Aigre-doux, Aigre-douce. Adjectif. Il ne se dit guère au propre que des fruits… Un fruit aigre-doux (Dict. de l’Acad.)

Oxysaccarum. Subst. Masc. Mélange de sucre et de vinaigre, dont il résulte une sorte de sirop. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Le mot Aigre-doux est un substantif masculin qu’on emploie quelquefois adjectivement. Ce substantif signifie la même chose que le mot grec Oxysakcharon, latinisé Oxysaccharum, par les anciens Romains, et inusité dans la langue françoise. Mais ce mélange de vinaigre et de sucre qu’on nomme Aigre-doux, et que les grecs et les romains nommoient comme je viens de dire, n’a jamais eu ces diverses dénomination qu’après avoir long-temps bouilli sur le feu ; condition essentielle, que le rédacteur a omise dans la définition d’Oxysaccarum.

Aigrelet, Aigrelette. Adjectif diminutif. Un peu aigre. L’épine-vinette a un petit goût aigrelet. Une sauce aigrelette. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. L’épine-vinette a un goût aigre, et les confitures d’épine-vinette ont un goût aigrelet.

Aucun fruit, aucun sauce n’a un goût aigret ni aigrette ; à plus forte raison, un peu aigret ni un peu aigrette. Ces mots sont tout au plus du vocabulaire de la minauderie. Par conséquent, ils ne sont pas françois.

Aile. Substantif féminin. Ce qui sert aux oiseaux et à quelques insectes, à voler et à se soutenir en l’air… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Des milliards d’insectes, et non pas quelques insectes seulement, ont des ailes et s’en servent à voler.

Suite de l’article, Aile. + Aile se dit de diverses choses par analogie. Ainsi on dit, Les ailes d’un moulin à vent… d’une Eglise… d’une armée..

On appelle Aile, une espèce de bière qui se fait sans houblon… (Dict. de l’Acad.)

Remarque.Il n’y a aucune analogie entre les ailes d’un oiseau et la boisson nommée Biere. Aussi la biere d’aîle ou d’aële, ne tire-t-elle pas sa qualification, du mot qui désigne les membres supérieurs des oiseaux. Et puisque l’Académie vouloit faire mention de la biere d’aîle autre part qu’à son article Biere, elle auroit dû faire du mot Aîle, un chef d’article.

Fin de l’article, Aile. + Boire de l’aile (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Boire de l’aîle est une expression de cabaret. Boire de la biere d’aîle ou d’aële, est une expression de bonne compagnie.

Aillade. Subst. Fém. Sauce faite avec de l’ail. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Une aillade est du pain dont la croûte a été frottée avec de l’ail. Ce ragoût est le déjeuner de beaucoup d’artisans et de manœuvres.

[….]

Enthymème. Subst. Masc. Terme de logique. Argument qui ne consiste que dans l’antécédent et le conséquent. La raillerie fait des ennemis, donc il faut l’éviter, est un enthymème. Les orateurs se servent plus ordinairement de l’enthymème. (Dict. de l’Acad.)

Remarque. 1° Un enthymème est l’exposition d’un raisonnement où toutes les propositions sont sous-entendues, hormis deux, dont l’une est nommée Antécédent, substantif masculin ; et l’autre, Conséquence, substantif féminin. Il faut éviter de se faire des ennemis : or la raillerie fait des ennemis ; donc il faut éviter la raillerie : voilà un syllogisme. La raillerie fait des ennemis ; donc il faut l’éviter : voilà un enthymème.2° La phrase donnée en exemple, à la fin de l’article que nous examinons, présente une faute grave ; et cette faute se trouve répétée plusieurs fois dans le Dictionnaire. Le rédacteur de l’article a voulu dire que l’argument nommé Enthymème est celui dont les orateurs se servent le plus souvent : mais il ne l’a point dit ; et son adverbe de comparaison se trouve employé sans qu’il y ait comparaison exprimée ni sous-entendue. Il pouvoit éviter cette faute en ajoutant trois mots à sa phrase, qu’il falloit écrire ainsi. Les orateurs se servent plus ordinairement de l’enthymême que du syllogisme. [p. 196]

[….]

Par. Préposition……

Parce que. Conjonction…. D’autant que. A cause que. Je le veux bien, parce que cela est juste… (Dict. de l’Acad.)

Remarque. Les rédacteurs de l’article sur la préposition Par, auroient dû avertir les écrivains, qu’il faut toujours éviter de placer les mots ce et que, immédiatement après cette préposition. En cela ils auroient suivi une décision, longtemps méditée, de l’Académie elle-même, et imprimée par son ordre, au bas du chapitre des Remarques de Vaugelas, intitulé : Par ce que, en trois mots. Je rapporte cette décision.

« Pour écrire purement et sans équivoque, il ne faut jamais se servir de Par ce que, que dans le sens de A cause que…. Au lieu de dire, Je connois par ce que vous me mandez d’un tel, il faut dire, Je connois par les choses que vous me mandez d’un tel »

Je fais cette remarque à l’occasion d’une phrase que je viens de lire, au commencement d’une Notice sur la vie du Tasse, attribuée à l’une des meilleures plumes qui nous restent, et placée en tête d’une réimpression de la Jérusalem délivrée, traduite en 1774, par M. L.***, déjà célèbre à cette époque, entre les bons écrivains. Nous sommes trop disposés, dit l’auteur de la notice, à juger par ce que nous avons sous les yeux de ce qui s’est passé dans d’autres temps et en d’autres circonstances. La réputation non moins méritée qu’elle est brillante, des deux hommes de lettres, à qui cette négligence a échappé, autorise suffisamment ma remarque [312-313]