Dictionnaire s. m. (di-ksi-o-nè-re -- lat. dictionarium ; de dictio, locution). Recueil des mots ou d'une catégorie des mots d'une langue, rangés soit par ordre alphabétique, soit par ordre de matières, soit par analogies, et expliqués dans la même langue ou traduits dans une autre : Le DICTIONNAIRE de l'Académie. Un DICTIONNAIRE latin-français, français-espagnol. Un DICTIONNAIRE polyglotte. Le DICTIONNAIRE du vieux langage. Un DICTIONNAIRE d'argot. Le DICTIONNAIRE poissard. Il serait à désirer, ce me semble, qu'on joignît au DICTIONNAIRE une grammaire française ; elle soulagerait beaucoup les étrangers, que nos phrases irrégulières embarrassent souvent (Fén.). Recueillir, définir les mots d'une langue et en fournir des exemples tirés du bon usage, c'est le propre d'un DICTIONNAIRE (Racine). Un DICTIONNAIRE sans citations est un squelette (Volt.). Les DICTIONNAIRE ne fixent point les langues ; ils constatent le dernier état d'une langue morte ; ils enregistrent les changements d'une langue vivante, et en cela ils favorisent la mobilité des langues plutôt qu'ils ne l'empêchent (de Bonald). La grammaire, le DICTIONNAIRE sont à la littérature d'une nation ce que le fondement, avec ses fortes assises, est à l'édifice (Dupanloup). Il est de la nature des ouvrages des hommes, et des DICTIONNAIRE en particulier, de ne pas atteindre à la perfection (Boissonade). Voltaire raconte qu'il ne pouvait pas écrire une page sans ouvrir trois ou quatre fois un DICTIONNAIRE (Boitard). | Ouvrage dans lequel on traite, par ordre alphabétique, les matières relatives à une science, à un art, à un objet quelconque, ou même à toutes les connaissances humaines : DICTIONNAIRE encyclopédique. DICTIONNAIRE de médecine, d'histoire naturelle, de peinture, de musique, de technologie. DICTIONNAIRE d'anecdotes, de bons mots. Les DICTIONNAIRES donnent à l'esprit une nourriture abondante, sous une forme dense et rapide (Moniteur). Si quelque société de gens de lettres veut entreprendre le DICTIONNAIRE des contradictions, je souscris pour vingt volumes in-folio (Volt.). On doit en partie aux DICTIONNAIRES les lumières générales qui se sont répandues dans la société (D'Alembert)
-- Nomenclature des termes dont une ou plusieurs personnes se servent habituellement : Le DICTIONNAIRE du peuple n'est pas moins riche que celui de l'Académie. Chaque auteur a son DICTIONNAIRE et sa manière ; il s'affectionne à des mots d'un certain son, d'une certaine couleur, d'une certaine forme, et à des tournures de style, à des coupes de phrase où l'on reconnaît sa main (J. Joubert)
-- Fam. Un dictionnaire vivant, Personne dont les connaissances sont fort étendues, qui connaît tout et sait tout expliquer.
-- Traduire à coups de dictionnaire, Se servir fréquemment du dictionnaire pour traduire les mots d'une langue que l'on étudie ou que l'on ne sait qu'imparfaitement.
-- Syn. Dictionnaire, glossaire, lexique, vocabulaire. Un dictionnaire est un ouvrage où beaucoup de mots, souvent tous les mots d'une langue, sont rangés suivant un certain ordre ; tout livre ainsi composé est un dictionnaire, quel qu'en soit d'ailleurs le but, et quels que soient les moyens d'exécution. Le glossaire est un dictionnaire consacré spécialement à l'explication des mots obscurs, inusités ou mal connus. Le vocabulaire est un dictionnaire où chaque mot ne reçoit qu'une explication très-courte, ou bien c'est un dictionnaire où l'on ne fait entrer que les mots propres à un art, à une certaine classe de personnes. Enfin le mot lexique ne s'est dit d'abord que des dictionnaires grecs classiques ; mais, par extension, il arrive souvent qu'on l'emploie dans toutes les acceptions du mot dictionnaire.
-- Encycl. A côté des dictionnaires spécialement composés pour l'étude des langues, et que nous désignerons par le titre de dictionnaires philologiques, il en est un grand nombre d'autres sur toutes sortes de matières : dictionnaires scientifiques, dictionnaires littéraires, dictionnaires artistiques, dictionnaires biographiques, dictionnaires bibliographiques, etc., tantôt embrassant l'ensemble des sciences, ou des lettres, ou des arts, ou de la biographie, ou de la bibliographie ; tantôt se bornant à quelque point particulier d'une des branches des connaissances humaines. La philosophie, les mathématiques, les sciences politiques et sociales, la physique, la chimie, la chronologie, la mythologie, la géographie, la musique, l'architecture, la médecine, l'histoire naturelle, l'agriculture, le commerce, l'art nautique, l'équitation, etc. ont leurs dictionnaires spéciaux. Il serait superflu de faire ressortir l'utilité de ces livres qui, non-seulement pour les érudits, les savants et les lettrés, mais aussi pour les gens du monde, suppléent à de nombreux ouvrages et sont devenus les fondements obligés de toute bibliothèque. On n'a jamais mieux senti leur utilité qu'à notre époque, où les connaissances tendent à se répandre dans toutes les couches de la société, où des études nouvelles sans cesse ajoutées aux études antérieures, où les sciences constamment développés rendent plus que jamais précieuses l'économie du temps et la facilité des recherches. Pour concourir plus puissamment à ce but, on a entrepris un dictionnaire général qui embrassât tous les dictionnaires particuliers et pût en tenir lieu ; on a conçu le dessein d'un ouvrage unique, qui formât à lui seul une bibliothèque : c'est la pensée même qui a présidé à la naissance et à l'exécution du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle.
Sans entrer ici dans le détail des règles auxquelles est soumise la composition des divers genres de dictionnaires, et qui trouveront leur place naturelle aux mots LEXIQUE, GLOSSAIRE, VOCABULAIRE, ENCYCLOPÉDIE, etc., qui sont indispensables pour la bonne exécution de ces recueils. La première est d'avoir un plan méthodique et de s'y conformer du début à la fin, sans développer avec trop de complaisance certaines parties au détriment de l'ensemble. La seconde est une clarté lumineuse qui ne laisse rien d'obscur dans l'esprit du lecteur, qui , sans embarras de style, fasse saillir la pensée par la justesse de l'expression. Les définitions seront nettes, embrassant dans le contour d'une phrase toutes les faces de l'objet. L'exposition sera concise et présentera, pour ainsi dire, autant d'idées que de mots. Les déductions se lieront étroitement comme s'unissent les anneaux d'une chaîne solide. Les exemples de bon langage seront puisés aux sources pures et les exemples de singularités se tireront d'auteurs vraiment originaux ; les uns et les autres s'adapteront au sujet de telle sorte qu'ils s'incrustent dans la mémoire. Les citations ne seront pas des hors d'œuvre inutiles ; mais, choisies avec une critique judicieuse et un goût sévère, elles ajouteront aux explications données par le texte l'éclat de nouvelles lumières. Si, à ces qualités, le dictionnaire peut réunir l'agrément et l'intérêt, en exposant des particularités curieuses, des anecdotes, des détails historiques, il aura résolu un problème toujours difficile, celui de plaire en instruisant, et il instruira d'autant mieux la majorité des lecteurs qu'il aura, sans sacrifier le côté instructif et essentiel, su plaire davantage.
L'histoire des dictionnaires remonte à une haute antiquité. Dès le IIIe siècle avant J.-C., le grammairien grec Callimaque écrivait, sous le titre de Musée, un ouvrage en cent-vingt livres, où les auteurs connus à cette époque étaient mentionnés, et leurs productions critiquées. Cet ouvrage est entièrement perdu. Au temps d'Auguste, Verrius Flaccus composa un traité considérable, intitulé : De significatione verborum, qui est également perdu, mais dont Pompéius Festus donna bientôt un abrégé, en y faisant toutefois des changements considérables. Le De significatione verborum de Pompeius Festus a été édité avec beaucoup de soin par M. Egger (Paris, 1838, in-16), et par K. O. Müller (Leipzig, 1839, in-4°). Erotien, qui vivait probablement sous Néron, fit un Recueil des mots qui se trouvent chez Hippocrate ; il a été inséré par Henri Estienne dans son Dictionarium medicum (Paris, 1554, in-8°), et publié séparément par F. Franz (Leipzig, 1770, in-8°). Julius Pollux, professeur de rhétorique à Athènes sous l'empereur Commode fut l'auteur d'un Onomasticon, ou Dictionnaire des principaux mots grecs, rangés par ordre de matières. Ce dictionnaire, précieux par les explications qu'il donne sur les acceptions diverses des mots, par les citations nombreuses d'auteurs anciens, par d'intéressants détails sur les mœurs, les institutions, la religion, a été imprimé dès 1502 et reproduit plusieurs fois, notamment par Dindorf (Leipzig, 1824), et par Bekker (Berlin, 1846). Nous possédons aussi l'abrégé d'un glossaire fait à la même époque par Phrynichus, et contenant les locutions propres aux écrivains attiques de la période classique, depuis Eschyle jusqu'à Démosthène. Platon, Démosthène et Eschine le Socratique, Eschyle, Sophocle, Euripide et Aristophane y sont présentés comme les modèles du dialecte attique ; les écrivains de la nouvelle comédie, Ménandre, lui-même, en sont exclus. Cet abrégé (Epitome, Ecloga) a été imprimé pour la première fois en 1517 ; Lobeck en a donné une excellente édition (Leipzig, 1820, in-8°). Il faut citer aussi le Lexique des mots de Platon, du sophiste Timée, qui a été édité par Koch (Leipzig, 1828-1833, in-8°) ; le lexique d'Harpocration, Sur les mots employés par les dix orateurs attiques, lexique très important, non-seulement au point de vue de la langue, mais relativement à l'histoire et à la législation (Leipzig, 1824, 2 vol. in-8°) ; le Lexique alphabétique d'Helladius, et surtout le Lexique d'Hésychius, qui contient un grand nombre de renseignements philosophiques et historiques empruntés à d'anciens grammairiens dont les ouvrages sont aujourd'hui perdus (Leyde, 1746-1766), 2 vol. in-fol.).
Dans la période qui sépare l'invasion des Barbares du moyen-âge proprement dit, nous signalerons, chez les Grecs, le Lexicon de Suidas ; chez les Latins, le Vocabularium de Papias. L'ouvrage de Suidas, qui date du XIe siècle, est à la fois un dictionnaire de mots, de choses et d'hommes, un lexique, une encyclopédie et une biographie ; mais chacune de ces parties n'est qu'ébauchée. La méthode en est défectueuse ; les citations, souvent mal choisies, semblent prises au hasard ; les détails sont souvent erronés. Toutefois cette compilation est précieuse, parce que la plupart des auteurs d'où elle est tirée n'existent plus. D'après les critiques les plus autorisés, Suidas ne fit que reproduire, en l'augmentant un ouvrage plus ancien. Son Lexicon, imprimé pour la première fois par Démétrius Chalcondyle (Milan, 1499, in-fol.) a été reproduit en dernier lieu par Bekker (Berlin, 1854, in-8°). Le Vocabularium de Papias, qui remonte aussi au XIe siècle, présente d'utiles renseignements tirés des lexicographes anciens, et, malgré de nombreuses erreurs, il est fort curieux, en tant qu'il reste comme un témoignage des dernières manifestations d'une langue qui achève de mourir. On l'a imprimé en 1476 et en 1496 (in-fol.).
Nous pourrions noter, chez les savants arabes, et chez les rabbins juifs, plusieurs ouvrages qui par le fond ou par la forme, tiennent du dictionnaire ; mais, par la langue qu'ils parlent ou la matière qu'ils traitent, ils ne sont accessibles qu'à un petit nombre d'érudits. Passons donc au grand mouvement intellectuel de la Renaissance.
Dès que les maîtres grecs eurent réveillé dans l'Europe occidentale le goût des lettres antiques, on y sentit le besoin d'expliquer dans des répertoires commodes les difficultés des langues. Ambrogio Calepino publia, en 1502, à Reggio, son Dictionarium, comprenant l'explication des mots latins. Ce fut l'instrument de travail au XVIe siècle, et il s'en fit un grand nombre d'éditions dans lesquelles on ajouta successivement les mots correspondants de l'italien, de l'allemand, du grec, et jusqu'aux mots de onze langues différentes. Peu de temps après, Mario Nizzoli donna sous le titre de Observationes in M. Tullium Ciceronem (1535), un lexique de phrases employées par Cicéron ; il fut réimprimé par Alde Manuce, sous le titre de Thesaurus Ciceroniamus (1570, in-fol.). Mais les grands lexicographes de la Renaissance furent Robert et Henri Estienne ; nés l'un et l'autre à Paris, le premier en 1503, le second en 1528. Robert Estienne composa le Thesaurus linguæ latinæ (1532 et 1543, 3 vol. in-fol.), immense travail où les exemples sont rangés par ordre alphabétique, ce qui rend les recherches plus faciles et permet de passer en revue toute la latinité. Le succès en fut tel, que le nom de Robert Estienne subsista, comme le nom du véritable auteur, sur les grands dictionnaires latins qui furent publiés ensuite, avec des additions, par Nizzoli (Venise, 15551), par Tinghius (Lyon, 1673), par Law, Taylor, etc. (Londres, 1735) ; par Birrius (Bâle, 1740), par Gesner (Leipzig, 1749). Henri Estienne, fils de Robert, mit au jour, en 1572, le Thesaurus græcæ latinæ, qui avait été préparé par son père ; il sacrifia sa fortune à l'impression de ces cinq volumes in-fol., riche trésor où ont puisé les philologues de tous les pays. D'après la volonté expresse de Robert, l'ordre étymologique y fut suivi. Quoique ce système soit plus logique, il présente trop de difficultés pour les recherches, et, dans la belle édition que MM. Firmin Didot ont donné récemment du Thesaurus græcæ latinæ, ils ont suivi l'ordre alphabétique, prenant soin de ne rien omettre, portant à leur place les suppléments ajoutés par l'auteur dans son Index alphabétique, et faisant les additions que fournissaient les progrès de la philologie, les découvertes d'inscriptions et de papyrus.
Nous ne pouvons nous arrêter ici à donner les titres des dictionnaires latins ou grecs qui ont suivi ceux des Estienne. Il nous suffira de citer les plus importants : le Lexicon græco-latinum de Robert Constantin (1562) et celui de Scapula (1579) ; le Janua linguarum de Comenius (1631), relatif surtout au latin, mais comprenant aussi plusieurs langues modernes ; le Lexicon manuale græco-latinum et latino-græcum de Schrevelius (1654) ; l'Etymologicon linguæ latinæ de Vossius (1662), où il y a plus de conjectures hasardées que d'opinions solides ; le Glossarium ad scriptores mediæ et infimæ latinatis de Ducange (1678), ouvrage vraiment nouveau et d'une prodigieuse érudition sur le latin écrit au moyen âge ; le Glossarium ad scriptores mediæ et infimæ græcitatis du même érudit (1688) ; le Græcum lexicon manuale de Helderich (1722) ; le savant répertoire de Forcellini, intitulé : Totius latinatatis lexicon, et imprimé d'abord en 1771, sous le nom de Facciolati, mais restitué plus tard à son véritable auteur.
Toutes les langues, anciennes et modernes, de l'Orient et de l'Occident, du nord et du Midi, ont eu leurs dictionnaires, les uns largement développés, à l'usage des érudits ; les autres resserrés dans de plus étroites mesures, pour l'instruction de la jeunesse ; d'autres plus abrégés encore et qui ne sont que des mémentos. La nomenclature seule des titres de ces livres occuperait un volume. Parmi les langues modernes, la langue italienne, formée avant toutes les autres et dès le XIIIe siècle, eut aussi avant la première un bon dictionnaire, celui de la Crusca, publié en 1612 (6 vol. in-fol.). Chaque nation, à son tour, eut son dictionnaire classique ; le Portugal, celui de Raphaël Bluteau (1712-1721), remplacé par celui que l'Académie de Lisbonne commença en 1793 ; l'Espagne, celui de l'Académie de Madrid (1726 et suiv.) ; l'Angleterre, celui de Johnson (1755) ; l'Allemagne, celui d'Adelung (1774-1786) ; la Russie, les dictionnaires publiés par l'Académie de Saint-Petersbourg (1816-1822), l'un suivant l'ordre étymologique, l'autre suivant l'ordre alphabétique.
C'est en 1638 que l'Académie française commença à s'occuper de faire un dictionnaire, " qui devait porter la langue à sa dernière perfection, en traçant un chemin pour parvenir à la plus haute éloquence. " Vaugelas et Chapelain furent chargés de présenter chacun un projet : celui de Chapelain eut la préférence. On choisit les auteurs que l'on citerait en exemples. En voici la liste. Pour la poésie : Marot, Saint-Gelais, Ronsard, du Bellay, du Bartas, Desportes, Bertrand, du Perron, Garnier, Régnier, Malherbe, de Lingendes, Motin, Touvant, Montfuron, Théophile, Passerat, Rapin, Sainte-Marthe. Pour la prose : Amyot, Montaigne, du Vair, Desportes, Charron, Bertaud, Marion, de La Guesle, Pibrac, d'Espeisses, Arnaud, la reine Marguerite, Coëffeteau, du Perron, François de Sales, d'Urfé, de Molières, Malherbe, Duplessis-Mornay, d'Ossat, de La Nouë, de Dammartin, de Refuge, d'Aubignier, Bardin, du Chastelet. On nomma Vaugelas rédacteur du dictionnaire, avec une pension de 2000 livres payées par l'État. La lenteur du travail valut à la compagnie bien des traits satiriques. Boisrobert, quoique académicien, dit dans une de ses épîtres :
Une prudence excessive présidait au choix des mots : on y rejetait systématiquement les locutions des vieux auteurs, sans accorder même le droit de cité à celles que La Fontaine rajeunissait dans ses fables. Cette étrange rigidité fut raillée par Ménage dans sa Requête des dictionnaires à Messieurs de l'Académie française :
Le projet de l'Académie française avait donné l'éveil aux érudits, et la lenteur qu'elle mit à l'exécuter donna lieu à des tentatives particulières, dont elle regarda les auteurs comme coupables de lèse-majesté. V. notre préface.
Les travaux de la dernière édition du dictionnaire de l'Académie (1835) furent dirigés par les secrétaires perpétuels Morellet, Suard, Raynouard, Auger, Andrieux, Arnault et M. Villemain ; une commission spéciale les assista, et on revit, on discuta en séances générales, article par article, ce qui avait été adopté par le secrétaire et la commission. Les membres les plus distingués dans une spécialité s'appliquèrent à cette spécialité d'une façon particulière : Pastoret, Royer-Collard, Dupin, aux matières de jurisprudence et d'administration ; Raynouard, à l'érudition étymologique ; Cuvier, aux sciences ; Cousin, à la philosophie, etc. On consulta aussi des hommes étrangers à l'Académie, artistes et industriels. De cette longue élaboration naquit enfin cette édition de 1835, précédée d'une belle préface par M. Villemain, et bien supérieure aux éditions précédentes. Cependant on reproche à ses auteurs de ne s'être pas placés à un point de vue assez élevé et assez large, d'avoir négligé la partie étymologique et surtout la partie historique du langage, de n'être pas remontés par des suites d'exemples jusqu'à l'époque où le mot apparaît pour la première fois, de n'avoir pas exposé les nuances des synonymes, d'avoir négligé un grand nombre de termes scientifiques ou de mots venus de langues étrangères et passés dans l'usage. On signale aussi de déplorables définitions, que le progrès des connaissances humaines aurait dû sévèrement proscrire. Il suffira d'en citer deux qui ont été relevées par François Arago : TIRER DE BUT EN BLANC, Tirer en ligne droite, sans que le projectile parcoure une ligne courbe ou fasse de ricochets. " D'après cette définition, dit Arago, l'Académie a trouvé le moyen d'empêcher un boulet de jamais tomber à terre. " ECLIPSE : Disparition apparente d'un astre, causée par l'interposition d'un autre corps céleste entre cet astre et l'observateur. " Il y a trois mille ans, dit encore Arago, que l'on observe des éclipses de lune sans qu'il y ait un corps céleste interposé entre la lune et l'observateur. " Ces définitions rendraient presque probable la définition de l'écrevisse, attribuée, sans doute par un mauvais plaisant, à un académicien qui l'aurait proposée sérieusement pour le dictionnaire : " Petit poisson rouge qui marche à reculons. " Un autre académicien aurait fait observer que l'écrevisse n'est pas un poisson, que cet animal n'est rouge que lorsqu'il est cuit, et qu'il ne marche pas à reculons ; mais, qu'à cela près, la définition était parfaitement exacte. L'anecdote suivante nous paraît plus authentique. Un jour, par une chaleur sénégalienne, tous les membres du bureau étaient à leur poste ; il s'agissait d'établir une distinction entre de suite et tout de suite. Des avis différents partageaient la commission :
" Messieurs, s'écria Boisrobert, je propose une motion. La journée est superbe, nous passons notre temps à disputer comme des moines de Byzance ; allons manger une douzaine d'huitres aux Vendanges de Bourgogne ; nous traiterons la question au dessert. -- Bien dit, répond Chapelain ; les huîtres éclaircissent les idées. Partons tout de suite. " Et il ouvre la marche. Boisrobert, l'orateur ordinaire de la troupe, s'adressant à l'écaillère : " Veuillez, lui dit-il, nous ouvrir de suite six douzaines d'huitres. -- Oui, ajoute Conrart, et servez-les nous tout de suite. -- Mais, messieurs, répond l'écaillère, si vous voulez que j'ouvre vos huitres de suite, il m'est impossible de vous les servir tout de suite. " Ce fut un trait de lumière pour nos académiciens. Le problème était résolu, et par qui ? par une écaillère.
L'Académie, sentant elle-même les défauts de son dictionnaire et la nécessité de le mettre au niveau de la philologie moderne, a résolu de faire une œuvre nouvelle qui ne fût pas une simple nomenclature de mots, souvent incomplète, et qui remontât aux sources de la langue ; elle en a même publié un fascicule. Mais que d'épigrammes, Boisrobert pourrait composer encore jusqu'à la complète exécution de ce travail !
Nous allons compléter cet article par une énumération des dictionnaires de tous genres qui ont été publiés depuis 1550 ; quant à ceux qui exigent un compte rendu spécial, le lecteur les trouvera à la suite.
Dictionnaire des huict langaiges : grec, latin, flamang, françois, espagnol, italien, anglois et aleman, fort utile et nécessaire pour tous studieux (Paris, 1550, in-16°). Rare et assez curieux.
Dictionarium historico-geographico-poeticum, de Charles Stephens (Genève, 1566, in-4°). Cet ouvrage peut être regardé comme le premier des dictionnaires biographiques généraux.
Dictionnaire latin-portugais-japonais, composé et imprimé par le collège des jésuites d'Amacusa (1595, petit in-4°). Ce livre, fort rare, est imprimé sur papier du Japon.
Dictionnaire de onze langues, savoir : anglaise, galloise, allemande, hollandaise, française, italienne, espagnole, portugaise, latine, grecque et hébraïque, par Minsheu (Londres, 1617, in-fol.)
Dictionarium historicum, geographicum, poeticum, gentium, hominum, etc., de N. Lloyd (Oxford, 1670, 1ère édit. in-fol. ; Londres, 1686, 2e édit., fort augmentée)
Dictionnaire anglais, d'E. Cole (Londres, 1677, in-8°), expliquant les termes de théologie, d'économie domestique, de physique, de philosophie, de droit, de navigation, de mathématiques et autres arts et sciences.
Grand Dictionnaire historique, géographique, généalogique et poétique (Londres, 1694 ; 1727, 3e édit. refondue, 4 vol. in-fol.), fondé sur le plan du dictionnaire de Moréri, paru en 1673.
Dictionnaire topographique, de Sharp (îles Britanniques et adjacentes, 2 vol. in-8°)
Dictionnaire trilingue ou Thesaurus slavon, grec et latin, disposé selon l'alphabet slavon, par Théodore Polycarpe (Moscou, 1704, in-4°)
Dictionnaire des arts et des sciences, de Owen (1754, 4 vol. in-8°)
Dictionnaire de la langue anglaise, par Latham, d'après celui de S. Johnson, revu par Todd (2 vol. in-4°, en cours de publication).
Dictionnaire biographique général anglais, par Heathcote et Nichols (1762, 1ère édit., 11 vol. in-8°) ; 1784, 2e édit., 12 vol. ; 1798, 3e édit., 15 vol.). C'est le même dictionnaire, sans goût et sans autorité, que celui de Chalmers, qui donna son nom à la 4e édition (1812-1817, 32 vol., in-8°)
Dictionnaire complet des arts et des sciences, par Croker, Williams et Clark (1766, 3 vol. in-fol.)
Dictionnaire roman, wallon, celtique et tudesque, par un religieux bénédictin, D. François (Bouillon, 1777, in-4°)
Dictionarium polygraphicum ou Corps entier des arts régulièrement traités, en anglais (Londres, 1735, 2 vol. in-8°)
Dictionarium malabare-anglais, par les missionnaires anglais de Madras, Fabricius et Breithaupt (Wepery, près de Madras, 1779, in-4°), complété par le Dictionnaire anglais-malabare (1786)
Dictionnaire anglais technologique et scientifique, par Ogilvie (Londres et Edimbourg, 2 vol. illustrés gr. in-8°), ouvrage adapté à l'état présent de la littérature, de la science et des arts, avec supplément (1 vol. gr. in-8°)
Dictionnaire polyglotte (Saint-Petersbourg, 1785, 3 vol. in-4°). Les mots et les phrases y sont donnés en français, en allemand, en russe, en latin.
Dictionnaire des cérémonies religieuses des nations orientales, avec des observations historiques et critiques, etc., par Gladwin (Mackay, 1787, in-4°)
Dictionnaire de l'Académie russe (Saint-Pétersbourg, 1789-1794, 1ère édit., 6 vol. in-4° ; 1806-1823, 2e édit., 6 vol. in-4°). L'ouvrage entier, en langue russe, contient 8.000 pages. Dans la première édition, les mots sont rangés par ordre étymologique ; l'ordre alphabétique a été suivi dans la seconde.
Dictionnaire de géographie, de statistique et d'histoire, par Mac-Culloch (nouv. Édit. avec supplém., 2 vol. in-8°). Cet ouvrage est fort répandu.
Dictionnaire biographique général de Alkin et Enfield (1799-1815, 10 vol. in-4°). Mince valeur.
Dictionnaire géographique-historique de l'Espagne, par l'Académie royale d'histoire (Madrid, 1802, 2 vol. gr. in-4°). Première section, contenant la Navarre, la Biscaye et les provinces d'Alava et de Guipuzcoa. La suite n'a pas paru.
Dictionnaire des arts et des sciences, de Hall (1802, 3 vol. in-fol.).
Dictionnaire bibliographique des livres les plus curieux et les plus utiles, latins, grecs, hébreux, arabes et orientaux, par le docteur Adam Clarke (1803, 6 vol. in-12) ; plus un supplément contenant le compte rendu des traductions anglaises des auteurs classiques et des théologiens, publié sous le titre de Mélanges bibliographiques (1806, 2 vol. in-12).
Dictionnaire bibliographique choisi du XVe siècle, par S. Santander (1805, 3 vol. in-8°)
Dictionnaire étymologique de la langue écossaise, par Jamieson (Edimbourg, 1808, 2 vol. in-4°)
Dictionnaire des sciences médicales, par une société de médecins et de chirurgiens, publiés par Chauneton et Mérat (Paris, 1812-1822, 60 vol. in-8°)
Dictionnaire technologique, de Crabb (1823, 2 vol. in-4°; 1859, nouv. Édit.)
Dictionnaire complet françois et russe-françois, composé d'après celui de l'Académie française (Saint-Pétersbourg, 1824, 3e édit., 4 vol. in-8°)
Dictionnaire nautique, par Young (1 gr. vol. in-8°)
Dictionnaire persan, interprété en arménien (Constantinople, 1826, in-fol.)
Dictionnaire arabe-turc, par Achteri Kebir (Constantinople, 1827, in-fol.). Imprimé pendant le Ramadan de l'année de l'hégire 1242, sous la direction d'Ibrahim Saïd, ce dictionnaire contient près de 60.000 articles (Journal de la littérature étrangère).
Dictionnaire scot-celtique ou de la langue gaélique, par la Société d'Écosse (Edimbourg, 1828, 2 vol., in-4°). Il y a des listes de mots gaéliques traduits en latin et en anglais, et réciproquement.
Dictionnaire des sciences naturelles, traduit du français, avec additions et corrections (Florence, 1830-1851, 26 vol. in-8°)
Dictionnaire d'architecture et d'archéologie, par Britton (Londres, 1838, 1 vol. in-8°).
Dictionnaire français-italien et italien-français, par Barberi, continué et terminé par Basti et Cirati (Paris, 1838-1839, 2 vol. gr. in-4°)
Dictionnaire géographique universel, par une société de géographes (Bruxelles, 1839, 13 vol. in-8°)
Dictionnaire des arts, des manufactures et des mines, de Ure ; 5e édit., refondue et augmentée par R. Hunt, archiviste de l'École des mines et autres (3 vol. in-8°)
Dictionnaire de chimie et des sciences accessoires, d'après celui de Ure, par Watts (3 vol., en cours de publication). Ouvrage de mérite.
Dictionnaire bibliographique, de Rose (1848, 2e édit., 12 vol. in-8°). Utile et quelquefois cité.
Dictionnaire phraséologique, en français et en anglais, par Tarves (1850)
Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, par Smith ; ouvrage auquel font suite deux autres livres du même auteur : Dictionnaire de biographie et de mythologie grecque et romaine, Dictionnaire de géographie grecque et romaine ; en tout, 6 gros volumes in-8°, illustrés d'après les monuments grecs et romains (Londres, 1850-1857). Ces trois grands ouvrages ont été réduits dans un Dictionnaire classique de mythologie, de biographie et de géographie (Londres, 1858, 1 vol. gr. in-8°)
Dictionnaire pratique, théorique et historique du commerce et de la navigation, par Mac-Culloch (1854 ; 1956, nouv. édit.). Cet ouvrage est fort répandu.
Dictionnaire des dates et d'information universelle, quant à toutes les époques et toutes les nations ; événements remarquables anciens et modernes, législation et gouvernement, progrès des arts et des inventions, etc. depuis l'ère la plus reculée jusqu'au temps actuel (Londres, 1855, 1 vol. in-8°)
Dictionnaire général des peintres, de Pilkington (Londres, 1857). Il donne la biographie et la mention des œuvres des maîtres les plus éminents de la peinture, depuis la renaissance de cet art et Cimabue (1520) jusqu'à l'époque présente. Une introduction de M. A. Cunningham précède cet ouvrage.
Dictionnaire biographique et critique des peintres et des graveurs, par Bryan (Londres, 1858, 1 vol. gr. in-8°).
Dictionnaire de la photographie, par Sutton (1858, 1 vol. in-8°).
Dictionnaire critique de la littérature anglaise et des auteurs anglais et américains vivants et décédés, par Allibone (1859, t. 1er). Il n'est bibliographique qu'en partie, puisqu'il contient plus de 30.000 notices biographiques ou critiques. Il est complété par 40 index de matières, utiles pour les bibliographes. Ouvrage d'un mérite réel.
Dictionnaire d'architecture, de l'Institut royal des architectes (Londres, 1859 et suiv. in-fol.)
Dictionnaire arabe-français, par M. Kazimirski de Biberstein (Paris, 1861, 2 vol. in-8°). Ce dictionnaire est fondé sur le Kamous, avec addition de termes tirés des lectures de l'auteur et d'un certain nombre de significations plus modernes empruntées aux Mille et une nuits. C'est un travail fait avec beaucoup de soin, qui a occupé M. Kazimirski pendant un grand nombre d'années.
Dictionnaire arménien-français, par Ambroise Calfa (Paris, 1861, 1 fort Vol. in-12). En publiant cet ouvrage, M. Ambroise Calfa a voulu doter sa nation et les orientalistes d'un dictionnaire complet arménien-français, qui pût mettre tout le monde à portée d'étudier sans trop de difficultés les termes de l'idiome arménien. Un lexique bien incomplet, celui du P. Aucher, était le seul secours que les arménistes eussent à leur disposition, car beaucoup d'entre eux n'étaient pas à même de se servir du grand dictionnaire en langue arménienne publié par les Pères mékhitaristes de Venise. C'est donc un service immense que M. Calfa a rendu à l'orientalisme en publiant son dictionnaire ; il a pu grouper dans un volume de format commode tous les mots de la langue arménienne littérale et vulgaire, les arménismes et même les gallicismes, et offrir ainsi un livre où il a, pour ainsi dire, atteint la perfection. Les termes qui exigent des développements ont été étudiés et analysés avec soin, et de nombreux exemples ont été cités à l'appui des interprétations différentes de chacune des expressions usitées dans le langage.
Dictionnaire de métallurgie, de Percy (Londres, 1862, 1 vol. in-8°; traduit en français)
Dictionnaire de Géographie, par A. K. Johnston (1863, 2e édit., in-8°). Ouvrage descriptif, physique, statistique et historique.
Dictionnaire des termes d'art, ouvrage rédigé et illustré par Fairholt (1864, 1 vol. in-8°)
Dictionnaire de science, de littérature et d'art, par W. T. Brande (1864, 4e édit.., in-8°). Il comprend l'histoire, la description et les principes scientifiques de chaque branche des connaissances humaines. L'auteur est un des savants les plus distingués de l'Angleterre.
Dictionnaire de médecine pratique, par le docteur Copland (4 vol. in-8°). Cet ouvrage, récemment terminé, comprend la pathologie générale et le traitement des maladies, ainsi que des affections spéciales qui résultent du climat, du sexe, de l'âge. Ce dictionnaire a été contrefait en Amérique.
Dictionnaire des antiquités romaines et grecques, par Antony Rich (1 vol. in-8°) ; ouvrage illustré, traduit en français et publié par MM. Firmin Didot.
Dictionnaire analytique de la langue anglaise, par Booth. C'est l'exemple le plus heureux de la manière d'expliquer les mots suivant leurs étymologies ou leurs affinités. Ce dictionnaire peut se lire d'un bout à l'autre, l'agréable y étant uni à l'utile.
Dictionnaire languedocien-français, par l'abbé de Sauvages. Cet ouvrage est un des meilleurs dictionnaires que possèdent nos patois. Il fut publié d'abord en un seul volume in-8° et parut à Nîmes en 1753 ; la seconde édition, formant deux volumes in-8°, parut en 1785, et depuis la mort de l'auteur une troisième édition fut publiée à Alais, en 1820 et 1821, sous la direction de son neveu, M. Dhombre-Firmas, qui y a inséré des additions et des corrections utiles et importantes.
Le Dictionnaire languedocien de l'abbé de Sauvages, suivi d'un recueil de proverbes, de maximes, et de dictons, est enrichi, et c'est ce qui en fait le mérite, de notes critiques, historiques, grammaticales et d'observations d'histoire naturelle ; il est aussi accompagné d'une excellente dissertation sur la prononciation et la prosodie languedociennes. Ce n'est point, à proprement parler, un dictionnaire complet de tous les termes languedociens, qui changent souvent à l'infini d'un village à l'autre ; l'abbé de Sauvages s'est surtout appliqué à y rassembler les termes qui n'ont que peu ou point d'analogie avec les mots français correspondants et qui en diffèrent autrement que par l'orthographe ou la terminaison ; l'abbé de Sauvages y a joint un grand nombre de termes du vieux languedocien qu'on trouve dans d'anciens titres ou qui ne sont en usage que chez l'habitant des campagnes éloignées des villes. " Le vieux langage, dit-il dans son discours préliminaire, s'y est mieux conservé dans sa pureté, et il est moins mêlé de mots français déguisés ou corrompus. "
Cet ouvrage témoigne de longues et laborieuse recherches ; l'abbé de Sauvages n'a réellement rien négligé pour étudier à fond les patois de son pays ; il poussait la précaution jusqu'à choisir toujours ses servante dans les villages des Cévennes où la tradition du vieux langage s'était le mieux conservée ; aussi aurait-on pu appliquer à l'auteur du Dictionnaire languedocien c e vers si connu :
Dictionnaire de la noblesse, par Aubert de la Chesnaye des Bois. Malgré les erreurs dont il fourmille, cet ouvrage est tellement recherché aujourd'hui et a si longtemps joui d'un crédit immérité, que nous ne pouvons nous dispenser d'y consacrer quelques lignes. Il se compose de quinze volumes in-4° et parut à Paris de 1770 à 1786. " La plupart des généalogies composant cette lourde et volumineuse compilation ont été produites par les intéressés, dit M. Joannis-Guigard, et il en est bien peu que La Chesnaye des Bois ait rédigées lui-même. Dénué de critique et de scrupule, ce capucin besoigneux prenait tout ce qui pouvait grossir la matière de son livre." C'est ainsi que l'on y voit figurer la généalogie d'Haudicquier de Blancourt, dont la famille fut déclarée roturière lors du procès de cet indigne faussaire, qui, non content de vendre des titres faux qu'il fabriquait, s'était fait à lui-même une généalogie de fantaisie. Aujourd'hui le prix du Dictionnaire de la noblesse est fort élevé. A la vente de la bibliothèque de M. Solar, un exemplaire a été vendu 1,815 fr, preuve évidente de sa rareté.
Dictionnaire latin-italien [Totius latinitatis Lexicon], par Facciolati et Forcellini (1771, 4 vol. in-fol.). Ce vaste et beau monument jouit encore d'une réputation méritée. Chasue mot latin est rendu en italien et accompagné du mot grec qui y correspond. Le sens et les diverses acceptions de tous les mots, au propre et au figuré, sont démontrés par de nombreux exemples qui supposent dans l'auteur, remarque Ginguené, non-seulement une vaste lecture, une notion suffisante de tous les arts et de toutes les sciences sur lesquels les Latins ont écrit, une connaissance parfaite de leur religion, de leurs usages, de leurs lois, de leur géographie, de leur histoire, mais encore une critique sûre et l'art difficile d'expliquer et de résoudre en peu de mots les obscurités, les contradictions, les difficultés de toute espèce que présentent les auteurs, les médailles antiques et les inscriptions. Cet immense travail a absorbé presque toute la vie de Forcellini.
Dictionnaire de théologie, par l'abbé Bergier (3 vol., in-4 ; réimprimé en 8 vol. in-8°). Ce dictionnaire, publié en 1788, faisait primitivement partie de l'Encyclopédie. Il a été composé avec les livres les plus estimés, sur des documents authentiques. Il a été soigneusement revu, quant à l'orthodoxie catholique, avant d'être publié à part. L'introduction qui le précède examine le dessein de la Providence dans l'établissement de la religion, dans l'origine et les progrès de l'incrédulité. Vient ensuite un plan de la théologie, des aperçus sur la morale chrétienne, sur le culte, sur la discipline du christianisme. Ce livre est devenu classique pour les élèves de théologie.
Dictionnaire des termes de la Révolution, ouvrage de l'abbé Buée, publié sous le voile de l'anonymat en 1792. Ce livre n'est pas, comme le titre pourrait le faire croire, un catalogue détaillé des termes mis en usage par la Révolution : c'est la réunion arbitraire et fantaisiste d'un nombre très-restreint de mots que l'auteur a choisis dans le but d'attaquer le nouvel ordre de choses. Il ne s'en cache pas, du reste, dans sa préface : " Ce dictionnaire, dit-il, est une attaque contre la constitution de 1791. Définir des termes, éclaircir des idées, et surtout prouver que, point de mœurs, point de liberté, et point de religion, point de mœurs : tel est le dessein de l'auteur. Comme un tel dessein ne pouvait manquer d'être pris pour un projet formel de contre-révolution, l'auteur a cru qu'il était prudent de garder l'anonyme. " Débarrassé ainsi de toute crainte personnelle, l'abbé Buée peut à son aise se moquer, insulter, se récrier contre les idées qui blessent ses opinions, et il ne s'en fait pas faute dans le cours de son ouvrage. Il sera plus facile d'apprécier l'esprit de ce dictionnaire par quelques citations.
" Aristocratie. Arrangement de syllabes qui (ô prodige de l'art cabalistique !) produit les plus étranges effets sur l'animal appelé démocrate. Je ne croyais pas à la cabale ; mais, depuis la Révolution, je ne sais plus qu'en penser. En effet, qu'est-ce qui l'a produite, cette Révolution ? Ne sont-ce pas les arrangements de syllabes qu'offrent les mots aristocrate, liberté, égalité ?
Démocrate ou démagogue. Je dirais bien ce que c'est ; mais je prie qu'on ne me le demande pas. Comme dans le nouveau régime, chacun a la liberté de me pendre ; que je n'ai pour m'en défendre que les phrases des pouvoirs constitués ; que le secours sur lequel je puis compter ne pourrait venir que quand je serai pendu, je ne veux pas, si je viens à être connu , servir de passe-temps à un démocrate et être pendu pour une définition.
Patriote. Animal bipède qui fait peur aux honnêtes gens timides, et qui a peur des honnête gens courageux.
Quelques critiques ont prétendu que, si l'abbé Buée avait écrit son dictionnaire en 1792, le courage lui avait manqué pour le publier pendant la Révolution , et qu'il ne s'était décidé à le livrer au public qu'à l'époque de la Restauration, en 1821. On est tenté de se ranger à cette opinion en voyant la persistance que l'auteur met , dans a préface de 1821, à prouver que son ouvrage avait déjà paru. " Ce dictionnaire, dit-il, semble si bien fait pour les circonstances actuelles que la première idée qui viendra au lecteur sera de regarder la date de janvier 1792 comme une fiction ; mais il m'en reste encore un exemplaire, et M. Chapellier, notaire, qui en a vu un semblable dans le temps de sa publication, est prêt à certifier l'authenticité de cette date. " Quoi qu'il en soit de la date de sa publication, ce livre est un pamphlet rempli de grossières injures. Il n'a été tiré qu'à un petit nombre d'exemplaires, et on le trouve difficilement.
Dictionnaire de Nysten, dont le titre complet est Nouveau dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, des sciences accessoires et de l'art vétérinaire. Publié pour la première fois en 1806 par Capuron, puis en 1810 par Capuron et Nysten, ce dictionnaire fut refondu entièrement en 1814 par Nysten seul, et il a conservé depuis cette époque le nom du savant qui avait imprimé à ce livre le cachet de sa profonde et laborieuse érudition. Les éditions suivantes, publiées en 1824, 1833, 1835, 1839, 1841, et 1845, ont été constamment tenues au courant du progrès des sciences médicales par Bricheteau, O. Henry, J. Briand et Jourdan, J.-B. Baillère en fut constamment éditeur ;
En 1855, MM. Littré et Robin publièrent une édition complètement refondue et dans la préface de laquelle on lit ces lignes : " Indépendamment de la refonte générale à laquelle MM. Littré et Robin ont soumis l'œuvre de leurs devanciers, trois points ont appelé leur attention : la lexicographie, le système scientifique et les notions nouvelles.
" La langue médicale, qui, dans sa composition première est presque toute grecque, n'a cessé, suivant les besoins d'un néologismes inévitable, de recourir à cette source. Mais, en bien des circonstances, ce néologisme s'est fourvoyé, tantôt formant des mots qui violent les lois de l'analogie, tantôt adoptant une orthographe incorrecte. Tout corriger serait impossible, surtout en une première tentative, car l'usage, même vicieux, par cela seul qu'il est usage, impose de grands ménagements. Toutefois des corrections ont été introduites, des analogies étymologiques ou grammaticales ont été rétablies, et cet essai, s'il a quelque succès, pourra servir à aller plus loin dans cette voie. Le bon langage et l'orthographe correcte sont en tout état de cause d'utiles auxiliaires de la pensée.
" Sans un dictionnaire qui, assujetti à l'ordre alphabétique, ne procède que par fragments isolés, il est difficile, mais fort important, d'avoir une philosophie qui , par un lien secret, réunisse les parties éparses. Grâce à la notion qui, de la pathologie, fait un cas particulier de la biologie ; grâce à la notion d'un ordre encore plus élevé qui, rangeant les sciences abstraites suivant une hiérarchie ascendante de complications (mathématiques, mécanique, astronomie, physique, chimie, biologie et histoire ou science sociale), donne l'ensemble du savoir humain, il a été possible d'établir une unité réelle et profonde de l'œuvre entière et d'éviter le double écueil, soit d'admettre implicitement des principes qui émanent de systèmes différents et se contredisent, soit de renoncer misérablement à toute idée générale, à toute doctrine supérieure.
" L'anatomie générale, normale et morbide, la physiologie générale et la pathologie générale se sont enrichies dans ces dernières années de notions nombreuses et importantes qui, en raison de leur nouveauté, sont encore peu répandues. C'est pour cela qu'une place considérable leur a été accordée. C'est pour cela aussi qu'on n'a pas oublié dans cette révision le microscope et ses applications fécondes, et pourtant controversées. Elles ont dû être l'objet d'une critique judicieuse.
" L'ouvrage est suivi de six glossaires, latin, grec, allemand, anglais, italien et espagnol. Ils contiennent les mots principaux de la langue médicale dans chacun de ces idiomes. "
Cet ouvrage eut un succès considérable du jour où les additions et remaniements de Littré et Robin en eurent fait le résumé substantiel, exact et lumineux des connaissances biologiques. Il devint le manuel des étudiants en médecine, des médecins, et souvent aussi des gens du monde soucieux d'acquérir une notion satisfaisante des choses de la santé et de la maladie. La philosophie qu'y introduisirent Littré et Robin fut la philosophie d'Auguste Comte, c'est-à-dire la philosophie positive qui coordonne et systématise les faits démontrés, rejeté toute métaphysique comme toute théologie, et voit la réalité telle qu'elle est. Capuron et Nysten avaient fait un livre plus ou moins d'accord avec les systèmes spiritualiste de l'Université. Robin et Littré en firent un livre conforme à la science la plus austère et la plus émancipée. Il n'en fallut pas davantage pour susciter à cet ouvrage populaire des embarras de toute sorte. L'évêque Dupanloup, des médecins catholiques, etc., le dénoncèrent comme un livre impie et immoral. Il fut représenté en plein sénat comme un code d'athéisme et de matérialisme. La veuve de Nysten obtint même de la justice que le nom de son mari disparaîtrait du titre, ne voulant pas déshonorer sa mémoire en le laissant subsister dans la compagnie de deux noms comme ceux de MM. Littré et Robin. Et nunc erudimini.
Dictionnaire critique, etc., des principaux livres condamnés au feu, supprimés ou censurés, par Gabriel Peignot (1806, 2 vol. in-8°). C'est l'histoire de la pensée humaine et des arrêts de l'intolérance et du fanatisme cassés par la postérité. Peignot donne aussi à son livre le titre de Bûcher bibliographique. Cet ouvrage curieux obtint le succès qu'il méritait. Il y a, à la fin du second volume, une table générale des noms propres, des ouvrages et des matières contenus dans le dictionnaire. On y voit les noms de Fénelon, de Galilée, de Pasquier, de Grégoire, etc. On a publié, en 1827, un petit volume qui peut faire suite à celui de Peignot : Catalogue des ouvrages condamnés depuis 1814 jusqu'à ce jour (1er septembre 1827), suivi du texte des arrêts et jugements insérés au Moniteur.
Dictionnaire de la langue polonaise (titre en polonais : Slownik jesika polskiego), par Samuel-Théophile Linde (Varsovie, 1807-1814, 6 vol. in-4°; nouvelle édition, Lemberg, 1854-1861). Cet ouvrage est un des travaux lexicographiques les plus remarquables de notre siècle ; il remplit environ cinq mille pages in-4°, imprimées en caractères très-fins ; chaque mot est accompagné d'une explication, en polonais et en allemand, des mots dérivés de la même racine dans les autres langues slaves, et d'exemples empruntés aux meilleurs écrivains polonais. Pour réunir ces exemples, l'auteur, qui travailla vingt-deux ans à son livre, lut six ou sept cents des ouvrages les plus remarquables de la littérature polonaise, ouvrages dont il a donné la liste après sa préface.
Le dictionnaire de Linde peut être regardé comme le monument de la lexicographie slave ; il a servi de base à tous ceux qui ont été faits depuis, et, quoiqu'il ne soit pas exempt des défauts inhérents à une œuvre aussi colossale, il n'a encore été surpassé par aucun autre. Il fut imprimé dans la maison même de l'auteur, et, quoiqu'on traversât alors la période la plus agitée des guerres de l'Empire, l'imprimerie fut toujours respectée par les différentes armées qui passèrent à Varsovie. Linde reçut même des subventions des gouvernements prussien, autrichien et russe, et plusieurs seigneurs polonais voulurent contribuer de leurs deniers à l'édification de cette œuvre, qui intéressait tous les peuples slaves. Un jour même, où tout travail était suspendu, à cause du manque absolu d'argent, le comte Zamoyski vendit son cheval favori et en envoya le prix à l'éditeur désespéré.
Dictionnaire sanscrit et anglais, par Wilson (Calcutta, 1812 ; 2e édit., Calcutta, 1832, 1 vol. gr. in-4°). Lord Wellesley, gouverneur général de l'Inde anglaise, avait fait entreprendre par les brahmanes du collège de Fort-William une compilation où devaient être fondus tous les lexiques sanscrits. Quoique le savant Colebrooke eût en partie dirigé les recherches, ce travail était insuffisant à bien des égards, car il était conçu suivant les principes de grammaire sanscrite adoptés par l'école bengalaise, qui s'en tenait uniquement à l'ouvrage de Panini, grammairien très-ancien dont le livre forme la base des recherches grammaticales et la règle du langage, même au temps actuel, et jouit au Bengale d'une grande célébrité. Wilson, après avoir traduit en anglais l'œuvre de Colebrooke pour son usage personnel, résolut de le refaire entièrement. Il y employa six années, et, en 1819, il publia à Calcutta la première édition de son dictionnaire, qui devait faire époque dans l'histoire des lettres indiennes. C'était le premier travail de ce genre, et il faudra toujours reconnaître à Wilson l'honneur d'avoir ouvert la voie et d'avoir rendu les études sanscrites accessibles à tous. Il venait de mettre aux mains des savants un instrument admirable, bien qu'il fût encore assez défectueux. La première édition, en effet, était basée sur les vocabulaires indigènes, et participait des avantages et des inconvénients des matériaux de ce genre. La deuxième édition contient une proportion de mots tirés directement de la littérature sanscrite, et en bien plus grand nombre que dans la première édition. Depuis quarante ans, l'étude du sanscrit s'est singulièrement développée, et des matériaux considérables sont réunis pour augmenter les richesses du dictionnaire de Wilson. On en préparait un troisième et radical remaniement sous les yeux mêmes de Wilson, quand la mort surprit le savant orientaliste, le 8 mai 1860. Cette troisième édition, confiée aux soins du savant Goldslücker, n'a pas encore paru, que nous sachions.
Dictionnaire de la langue chinoise, par R. Morrison (A dictionary of the chinese language, Macao, 1815-1823, 6 vol. in-4°). Ce dictionnaire est divisé en trois parties qui parurent de 1815 à 1823 (6 vol. d'environ 900 pages chacun). La première renferme les mots chinois et anglais par clefs; la seconde, les mots chinois et anglais par ordre alphabétique; la troisième forme un dictionnaire anglo-chinois. Cet ouvrage capital et jusqu'ici sans rival a été exécuté aux dépens de la Compagnie des Indes, qui n'y a pas dépensé moins de 3000.000 fr. Plus d'une fois elle menaça d'abandonner l'entreprise, dédiée par Morrison à ses directeurs; cependant elle termina cette publication considérable et, suivant son habitude, elle ne prit pour elle que cent exemplaires, abandonnant le reste des volumes à l'auteur, qui put les donner ou les vendre à son profit.
L'ouvrage est précédé d'une introduction où M. Morrison expose d'abord les principes et les singularités de l'écriture chinoise; il y trace aussi d'une manière succincte l'histoire des différentes écritures qui ont été en usage en Chine et la manière dont les caractères se sont formés. Il a également rassemblé dans cette intéressante préface des notions curieuses sur la prononciation et les divisions que les grammairiens ont établies, sur les quatre tons, les trente-six consonnes auxquelles il reconnaît une origine indienne, qu'il veut tirer aussi du sanscrit. M. Morrison, continuant d'esquisser rapidement l'histoire de la langue, fait en peu d mot celle des ouvrages où elle est exposée, c'est-à-dire qu'il nomme les principaux auteurs des dictionnaires, car, en ce qui concerne les grammairiens, les Chinois n'en ont aucun; il fait connaître aussi par une simple mention l'époque des principales inventions qui ont pu influer en Chine sur l'art d'écrire : le papier, l'imprimerie, etc.
La première partie devait, dans le plan primitif, avoir pour base le grand dictionnaire impérial, publié sous le nom de Khang-Hi; les quarante mille caractères environ que contient cet excellent ouvrage devaient y trouver place, avec l'indication de toutes leurs acceptions, des expressions composées qu'on en forme, et des principales autorités qu'on peut invoquer à l'appui des unes et des autres. Non content de prendre pour base de son travail un des recueils les plus considérables que les Chinois aient rédigé sur leur propre littérature, le zélé traducteur voulait encore dépouiller un grand nombre d'autres lexiques originaux ou composés par nos missionnaires catholiques, et enrichir le vaste fonds d'expressions du style littéraire qu'il y aurait trouvées, d'une foule d'additions utiles pour la connaissance de la langue commune et du style vulgaire. C'est d'après ce système que fut rédigée, en effet, l'explication des dérivés des quarante premières clefs qui composent le premier volume, et, bien qu'un grand nombre d'omissions s'y fissent remarquer, surtout en ce qui concernait la langue oratoire et poétique, le style familier, les expressions proverbiales et les nomenclatures techniques ou scientifiques, M. Morrison paraissait si peu disposé à restreindre son plan, qu'on l'aurait cru plutôt porté à l'étendre outre mesure. Effectivement, les dernières clefs de son premier volume offraient un si grand nombre d'articles d'une étendue considérable, tant de citations textuelles en vers et en prose, tant d'extraits curieux pour l'histoire et la connaissance des moeurs, mais étrangers à la littérature, qu'on était tenté de supposer qu'au lieu d'un simple dictionnaire de la langue, c'était un trésor un trésor ou un magasin d'anecdotes biographiques, de morceaux de poésie et de traits d'histoire, que l'auteur avait l'intention de publier. Mais cette surabondance disparut complètement dans les deux derniers volumes, où elle fit place à un excès tout contraire. Ces deux volumes, en effet, contiennent chacun deux fois autant de clefs que le premier, et , d'après la supputation approximative de leurs dérivés, quatre ou cinq fois autant de caractères. Mais pour les y faire entrer, il a fallu renoncer à suivre dans les explications le dictionnaire de Khang-Hi, supprimer toute définition, toute citation textuelle, tout développement. On n'y trouve nulle explication d'usages, d'allusions; nul renseignement littéraire, scientifique, philosophique. Un mot ou deux, quelquefois une ligne, rarement quatre ou cinq, d'explication anglaise, voilà ce qu'on lit à côté de la grande majorité des caractères; tous les dérivés des différents radicaux, même des plus importants, sont réduits à une sèche et stérile nomenclature privée de tout intérêt et presque entièrement dépourvue d'utilité, car, ainsi que le remarque M. Abel Rémusat, qui a vivement critiqué ce changement de plan, sans doute imposé à Morrison par la nécessité de mesurer les dimensions de son travail aux ressources allouées par la Compagnie des Indes, la difficulté de la langue chinoise consiste beaucoup moins dans ces milliers de caractères, la plupart synonymes les uns des autres ou à peu près inusités, dont le moindre écolier peut trouver le sens isolé en s'aidant d'un dictionnaire tout chinois, que dans ces acceptions modifiées et ces sens de composition qu'un petit nombre de caractères peuvent prendre en s'unissant les uns avec les autres, et dont bien souvent on ne saurait deviner la valeur d'après celle des monosyllabes qui les constituent. Aussi, c'est dans la multiplicité des expressions de cette nature qui y sont interprétées que réside la valeur d'un dictionnaire chinois, et non dans le nombre plus ou moins considérable des caractères qu'on y a rassemblés.
La seconde partie comprend les caractères du grand dictionnaire de Khang-Hi, rangés suivant l'ordre alphabétique des prononciations. La nature de la langue chinoise rend en effet indispensable l'usage de ce second dictionnaire; car, s'il faut qu'on puisse trouver à volonté la prononciation et la signification qui sont attachées à un signe inconnu qu'on rencontre dans un livre, et si, pour cet objet, les caractères doivent être disposés dans l'ordre des radicaux qu'ils renferment, il faut aussi qu'on puisse retrouver, quand cela est nécessaire, le signe écrit qui correspond à tel mot chinois qu'on se rappelle et c'est à quoi servent les dictionnaires où les caractères sont classés suivant les prononciations. Ils sont surtout utiles aux Chinois qui savent parler leur langue, et qui ont plus souvent besoin de chercher les signes des mots que les mots qui sont l'expression des signes. Dans ce second dictionnaire, M. Morrison a également adopté un système de rédaction plus concis que celui qu'il avait suivi dans le premier volume de son dictionnaire analytique. Au lieu de prendre pour guides les rédacteurs du dictionnaire de Khang-Hi dans les nombreux emprunts qu'ils font aux auteurs classiques, et de rassembler comme eux de longs passages de prose et de vers pour mieux faire ressortir le sens d'une expression, il se borne ici à réunir les différentes formes dont chaque caractère est susceptible, et les différentes acceptions qu'il peut prendre, soit quand on l'emploie isolément, soit quand on le fait entrer dans les expressions composées. M. Morrison a pris pour base de ce travail un dictionnaire chinois intitulé : Ou-tchhe-yun-fou, dont un écrivain nommé Tchhin avait passé toute sa vie à recueillir les matériaux. Cet ouvrage, perfectionné et complété par un disciple de Tchhin, servit plus tard de base au dictionnaire spécial de Khang-Hi. M. Morrison accompagne son dictionnaire chinois alphabétique d'une table des caractères qui y sont expliqués, arrangés suivant l'ordre des clefs, et il y a joint trois autres tables, dont la dernière est intitulée : Table synoptique des formes variées des caractères chinois. L'auteur y a réuni les formes communes, cursives et antiques des principaux caractères expliqués dans son dictionnaire. M. Morrison a publié aussi dans cette partie un catalogue des noms chinois des étoiles et des constellations, composé par M. Reeves.
La troisième partie, qui a paru en un volume, contient un dictionnaire anglo-chinois; on y trouve six ou sept mille mots anglais, sans compter les expressions composées qui se trouvent rangées dans les articles principaux. Un morceau assez curieux a été mis par M. Morrison à la tête de son volume; c'est une explication en chinois du système alphabétique des Européens sous ce titre : Petite introduction à la connaissance des lettres du royaume d'Angleterre.
Les six volumes qui composent l'ouvrage de Morrison, qui, malgré ses défauts, n'en a pas moins une importance capitale, sont tous imprimés avec un grand luxe et une grande élégance.
Dictionnaire celto-breton ou breton-français, par Le Gonidec (Angoulême, 1821, 1 vol. in-4°; 2e édit., Saint-Brieuc, 1850, 1 vol. in-4°). On peut regarder ce dictionnaire comme un chef d'oeuvre de méthode; c'est un triage complet des précédents vocabulaires et glossaires, exécuté avec la critique la plus prudente et la plus sûre. " Ce livre, dit M. Hersart de la Villemarqué, est un répertoire des mots de la langue bretonne telle qu'elle se révèle dans les auteurs anciens et modernes, et telle que la parlent aujourd'hui les paysans armoricains; on les y trouve rangés par ordre alphabétique avec leur véritable orthographe, à la fois nationale et logique, qui peint pour ainsi dire aux yeux la manière de les prononcer; avec le genre qui leur convient, avec leurs différentes significations, leurs acceptions différentes, une riche moisson d'explications et d'exemples, et souvent des remarques très-judicieuses.... Comme le dialecte léonnais est pour les Bretons la langue générale ou commune, de même que l'attique l'était pour les Grecs, que le saxon l'est en Allemagne, et le toscan en Italie, et qu'il a l'avantage d'être entendu dans toute la basse Bretagne, Le Gonidec s'y est arrêté de préférence; toutefois, lorsque le même mot se présente avec quelques modifications, ou qu'il est différent dans les autres dialectes, il le donne aussi d'après eux; il a soin encore, lorsqu'une expression qui n'existe pas en Léon est usitée ailleurs, d'indiquer à quel dialecte elle appartient plus particulièrement. Quant aux mots sans famille dans la langue bretonne, et empruntés aux idiomes étrangers, il n'a pas cru devoir les exclure du vocabulaire s'ils manquent d'équivalents bretons, et s'ils sont absolument nécessaires pour exprimer les idées qu'ils représentent. Les uns sont d'ailleurs d'un usage tellement ordinaire, et les autres ont été tellement modifiés par le génie breton, qu'ils se sont naturalisés en quelque sorte en Bretagne. Les bannir n'eût pas été sage; les conserver sans les distinguer eût été peu prudent; il a donc admis les intrus, mais en marquant les plus nouveaux d'un astérisque, afin que l'on ne pût les confondre avec les mots indigènes. Qu'on se garde à l'avenir d'en admettre d'autres semblables, et qu'on cherche aux idées nouvelles, à l'exemple des Gallois, des expressions dans la langue nationale. Défendre les avenues du langage, retenir les mots fugitifs, repousser les étrangers, ne jamais les recevoir au mépris des indigènes, ou ne les admettre qu'avec discernement, après une longue épreuve, lorsqu'ils suppléent une disette réelle et que le breton se les est incorporés, tel a été le but de Le Gonidec, en faisant l'inventaire des mots de la langue bretonne; il a entouré comme d'une haie vive, si j'ose ainsi parler, le jardin ouvert trop longtemps, de l'idiome de ses pères, et désormais l'entrée en est interdite aux profanes qui ne savent toucher aux fruits sans les gâter. " M. Hersart de la Villemarqué a publié lui même la seconde édition du Dictionnaire celto-breton de Le Gonidec, qu'il a revue, enrichie d'additions et de mots gallois et gaëls correspondant au breton. Les mots dont il a augmenté cette seconde édition, anciens pour la plupart, facilitent l'intelligence des vieux auteurs, et ont été recueillis par lui dans livres bretons-armoricains composés depuis le Xe siècle jusqu'à nos jours.
Dictionnaire historique et critique des monuments religieux, civils et militaires de Paris, où l'on trouve l'indication des objets d'art qu'il renferme, par Roquefort (1826, in-8°). Ce livre sort des travaux ordinaires de Roquefort, qui s'est presque toujours occupé de philologie. On y reconnaît néanmoins la science profonde de l'homme qui a édité et annoté l'Histoire privée des Français, de Legrand d'Aussy, et d'autres ouvrages historiques. C'est l'œuvre d'un antiquaire éclairé, pour l'époque à laquelle il écrivait, mais qui a été de beaucoup distancé dans ces derniers temps.
Dictionnaire infernal ou Bibliothèque universelle sur les êtres, les personnes, les livres, les faits, les choses qui tiennent aux apparitions, à la magie, au commerce de l'enfer, aux divinations, aux sciences secrètes, aux grimoires, aux prodiges, aux erreurs et aux préjugés, aux traditions et aux contes populaires, aux superstitions diverses, et généralement à toutes les croyances merveilleuses, surprenantes et surnaturelles, etc., etc., par Collin de Plancy. Ce sous-titre suffit presque pour indiquer les principales matières contenues dans ce curieux livre ; elles sont très-nombreuses, et peuvent se diviser en diverses catégories bien tranchées. La première comprend les anges, les démons, les génies et autres esprits qui ont figuré dans toutes les mythologies ou qui sont nées de l'imagination des auteurs, depuis l'ange Gabriel et Lucifer jusqu'à la reine Mab. Et qu'on ne croie pas que ce soit une nomenclature sèche et sans commentaires ; non, chacun de ce personnages a sa biographie, son histoire, ses attributions, son rang ; car, dans les enfers, tout est réglé comme ici-bas ; la cour des démons a son étiquette et ses grands seigneurs. Ainsi Astaroth est un grand-duc très-puissant dans cette cour. Il a la figure d'un ange fort laid, et se montre chevauchant sur un dragon infernal, une vipère dans la main droite. C'est lui qui préside à l'occident et qui procure l'amitié des grands seigneurs ; mais on ne peut l'évoquer que le mercredi. C'est le grand trésorier des enfers, et il donne de très-bons conseils quand on établit des lois nouvelles. Il commande quarante légions, et n'a contre lui que son insupportable puanteur, contre laquelle on ne saurait se prémunir qu'en se bouchant le nez avec un anneau magique. Sa femme est Astarté, reine de l'élégance dans le sombre royaume. Tous les autres démons ont également leurs noms, leurs attributs et leur spécialité ; c'est le démon barbu qui fait trouver la pierre philosophale, c'est Haborim qui préside aux incendies, c'est Haagenti qui enseigne l'art de transmuter les métaux en or. Et qu'on ne croie pas ces qualités données arbitrairement ou au gré de la fantaisie ; tous ces détails sont extraits des commentaires des théologiens ou des talmudistes, des ouvrages sur la magie et la sorcellerie ou des déclarations faites par les sorciers et consignées dans leurs interrogatoires, sources qui se valent et prouvent également l'infirmité et la misère de l'esprit humain. Dans la seconde catégorie rentrent tous les personnages historiques un peu célèbres, qui presque tous touchent au surnaturel par quelque côté, et auxquels la légende a prêté des aventures merveilleuses, quand la réalité ne s'y prêtait pas ; tels sont, entre autres, Charlemagne, Charles VI, Charles le Téméraire, Sylvestre II, Adam, Caïn, Noé, et une foule d'autres personnages sur le compte desquels la crédulité populaire et la sottise pédantesque ont forgé mille contes qui ont longtemps passé pour des vérités. Une troisième catégorie comprend les principaux sorciers et ceux qui se sont rendus célèbres par leur art dans la magie comme Apollonius de Thyane ; ceux qui ont écrit sur ce sujet, comme Delaners, Delrio, Wiérien, et ceux enfin que leur science faisait passer pour sorciers, chose qui n'était pas difficile à une époque, où il suffisait de lire Virgile pour être accusé de magie ; dans ce cas étaient Gerbert, Jérôme, Cardan et Albert le Grand, dont le nom a été emprunté pour servir d'enseigne à de nombreux livres de magie. Une autre catégorie non moins intéressante est celle qui contient tous les procès faits pour sorcellerie, sortilèges et autres actes du même genre. Non seulement il y a les grands drames si connus des religieuses de Louviers, de Gofridi, d'Urbain Grandier, mais on en trouve une foule d'autres qui portent avec eux leur enseignement. Si l'on est étonné de la multitude de femmes qu'on voit s'accuser de sorcellerie, raconter en grands détails les relations qu'elles ont eues avec le diable, ce que celui-ci leur a dit, la poudre qu'il leur a donnée, les conventions conclues avec lui, et faire la description la plus complète, la plus circonstanciée de ce qui se passe au sabbat, on doit l'être encore bien davantage de voir des prêtres et des magistrats ajouter foi à de semblables absurdités et redoubler de questions captieuses et de tortures pour arracher de nouveaux aveux à ces malheureuses illuminées . Enfin la dernière partie contient tout ce qui à proprement rapport à la magie, ce qui regarde les charmes, les sortilèges, les maléfices, la divination, la manière d'évoquer les démons, de faire un pacte avec eux, la description du sabbat, et la façon de s'y prendre pour y être transporté ; elle s'occupe aussi d'une magie plus innocente, telle que l'astrologie, l'alchimie, la cabale, l'art de lire l'avenir dans les cartes, dans le marc de café ou dans les lignes de la main, moyens de divination qui trouvent encore de trop nombreux croyants. Telles sont les grandes divisions que l'on peut faire de cet ouvrage, malgré la forme de dictionnaire alphabétique qu'il conserve tout le temps. Nulle lecture ne montre mieux quelle large place le surnaturel et le merveilleux ont occupée si longtemps dans l'esprit humain, aussi bien à Athènes qu'à Paris, sur les bords du Tibre comme sur ceux de l'Indus, et combien il y a peu de temps que les préjugés sont remplacés par la science et la raison. En tout cas, si l'esprit humain commence à se débarrasser de ses préjugés, il ne saurait perdre l'inconstance qui lui est naturelle : l'auteur du Dictionnaire infernal, M. Collin de Plancy en est la preuve. Après avoir, dans cet ouvrage et dans plusieurs autres du même genre, combattu les sottises, les erreurs, les superstitions, il a comme Clovis, brûlé ce qu'il avait adoré, adoré ce qu'il avait brûlé, et fait succéder au Dictionnaire infernal des légendes et des vies de saints.
Dictionnaire grec-français, par Alexandre (1ère édit., Paris, 1830, 1 vol. in-8°). L'auteur de ce dictionnaire a pris surtout pour guides les travaux de Henri Estienne, Schneider et Passow ; on peut considérer son livre comme une analyse fidèle du grand Trésor grec, d'Estienne, rangé dans un ordre plus commode, complété avec le secours de M. Schneider, et mis au courant de la science moderne, tant par les propres études de l'auteur que par celles dont M. Passow a consigné les résultats dans son admirable dictionnaire.
M. Alexandre a augmenté d'environ quinze mille articles la nomenclature de tous les dictionnaires publiés en France avant le sien ; cependant il a omis les mots obscènes, par une pudeur que nous ne voulons certes pas lui reprocher et qui a son prix dans un livre destiné aux écoles, mais qui rend son œuvre incomplète pour les personnes instruites qui désirent y avoir recours. M. Alexandre a eu le mérite de distinguer soigneusement de la langue usuelle tout ce qui s'en écarte, et non-seulement les formes ou les mots dialectiques ou poétiques, ou tout à la fois poétiques et dialectiques, mais encore les mots d'un usage rare ou peu élégant, ceux qui sont entachés de néologisme, ou qui de bonne heure étaient tombés en désuétude, ou dont l'existence même est douteuse, enfin les mots tout à fait barbares, les termes d'origine étrangère qui n'ont jamais été bien naturalisés en Grèce, les formes insolites et les types imaginaires créés arbitrairement parles grammairiens pour les besoins de leurs systèmes. Cette classification est, comme on le voit, assez compliquée ; elle n'existait pas ou n'avait été que très faiblement ébauchée dans les lexiques, soit anciens soit modernes. Sans elle cependant on ne pouvait avoir de la langue grecque qu'une connaissance confuse et vague, et on ne saurait trop louer M. Alexandre d'avoir éclairé la question, au risque de tomber d'abord dans quelques erreurs. La fixation toute nouvelle de la langue poétique surtout offrait de grandes difficultés, et M. Alexandre s'est fort bien tiré de cette tâche délicate ; pour cela il a eu bien des ménagements à garder, non pour les formes qui sont en général certaines, mais plus particulièrement pour les mots. En effet, M. Alexandre ne croit pas que le seul caractère d'un mot poétique soit de n'être appuyé que d'exemples en vers. Un mot, selon lui, peut encore mériter cette qualification à d'autres titres, et ces titres, M. Alexandre les trouve dans les traditions d'anciens grammairiens, dans certaines règles d'analogie, enfin dans l'usage. Ici l'arbitraire était à craindre, mais, grâce aux précautions qu'il a prises pour l'éviter, on peut dire que, s'il a rasé de près cet écueil, c'est seulement dans la désignation de certains composés, régulièrement formés d'éléments usités en prose, et poétiques seulement par la hardiesse ou la singularité du rapport qu'ils expriment. Sans doute, il est difficile de déterminer avec précision le degré de hardiesse nécessaire pour rendre un mot poétique ; mais en cas de doute, M. Alexandre a eu soin de remonter aux sources, et il ne s'avance jamais alors qu'après avoir reconnu que ses conjectures étaient fondées, quand ces mots n'ont été employés que par des poëtes ou des écrivains habitués à les imiter.
Outre l'indication du caractère particulier de chaque mot en tête de son article, M. Alexandre a toujours eu soin de désigner par un astérisque, même dans le corps des articles, tout ce qui est poétique ou dialectique, comme par une croix tout ce qui est barbare et par un point d'interrogation tout ce qui est suspect. " Ainsi, dit M. Alexandre lui-même, dans la préface de sa première édition, achèvent de se démêler tant d'éléments divers, et la langue grecque va se montrer à mes lecteurs sous des traits plus distincts, dégagés des haillons dont l'ignorance et la barbarie l'avaient affublée, et aussi belle dans la nudité du langage vulgaire que sous le simple costume des dialectes, ou sous les élégantes parures de la poésie ".
Pour la distribution des sens et des exemples, dans certains articles extrêmement chargés d'idiotismes, et en général pour la rédaction de tous les articles importants, M. Alexandre a adopté un plan qui lui a été bien des fois emprunté depuis dans les ouvrages de ce genre, particulièrement dans les dictionnaires de M. Quicherat et dans le grand dictionnaire français de M. Littré. Considérant que l'œil et l'esprit se fatiguaient également à chercher dans un article de plusieurs colonnes l'acception dont on avait besoin et que les sens mêlés avec les phrases échappaient à l'attention, M. Alexandre a essayé de remédier à cet inconvénient en donnant au commencement de chaque article toutes les acceptions du mot, séparées par des chiffres qui renvoient aux exemples. De cette façon, on peut trouver tout de suite le sens que l'on cherche et ne recourir aux exemples que pour plus de sûreté ou de plus amples explications.
M. Alexandre a généralement essayé de ranger les diverses significations dans leur ordre généalogique, depuis le sens primitif ou le plus voisin de la racine, jusqu'au plus éloigné, en rétablissant la chaîne des intermédiaires. Mais, comme les sens primitifs ne sont pas toujours les plus usités, il s'efforce d'attirer l'attention de préférence sur les acceptions le plus en usage ; il a indiqué aussi avec une grande fidélité les divers régimes de chaque mot dans chaque sens, et toutes les constructions dont il est susceptible. Dans les verbes, il a attaché la plus grande importance à bien distinguer les voix, et l'on peut dire qu'aucun dictionnaire, même en Allemagne, n'avait jeté autant de lumière sur cette partie si compliquée et si difficile de la grammaire grecque. Pour la conjugaison, qui offrait aussi de nombreuses difficultés, M. Alexandre donne toujours les verbes irréguliers avec tous leurs temps primitifs usités en prose ; il supprime les formes insolites ; quant aux formes dialectiques ou poétiques, il les donne à leur rang alphabétique. De plus, dans les verbes composés, il a soin de marquer fidèlement la place de l'augment, ce que personne n'avait fait avant lui. Il indique aussi la contraction dans tous les verbes et, en général, dans tous les mots qui en sont susceptibles, et marque la quantité toutes les fois qu'elle sert à différencier deux mots de même orthographe. M. Alexandre donne toujours autant que possible la valeur propre des termes techniques de sciences, d'art, d'histoire naturelle, et, en même temps, il évite avec soin l'appareil scientifique, préfère toujours l'interprétation claire pour tout le monde à celle qui n'a de sens que pour les gens du métier, rejette ainsi tout vain étalage d'érudition, sacrifie sans cesse l'amour-propre d'auteur au désir d'être simple et clair, prévoit tout ce qui peut arrêter ou embarrasser le lecteur, particulièrement les jeunes étudiants, et prend sur lui toute la peine qu'il peut leur épargner. Pour tout dire, en un mot, il n'a rien négligé pour que son dictionnaire pût également servir à ceux qui lisent ou traduisent du grec et à ceux qui veulent s'exercer à écrire dans cette langue, et on peut dire que ses efforts ont été couronnés de succès. M. Alexandre a donné quelque attention aux étymologies, et il a rectifié un grand nombre de celles que l'on avait données avant lui ; il se contente de renvoyer chaque mot, non à sa racine primitive, mais au mot qui le précède immédiatement dans l'ordre étymologique. Cette méthode est bonne assurément, car on peut toujours, avec un peu de soin, recomposer la chaîne entière des dérivés, et ceux qui veulent se donner cette peine s'aperçoivent bientôt qu'il n'est point de travail plus propre à leur donner une connaissance exacte et approfondie du matériel de la langue. Cependant cette partie du Dictionnaire grec d'Alexandre, bien qu'elle renferme beaucoup d'indications utiles et surtout qu'elle soit un progrès considérable sur les autres lexiques classiques, renferme beaucoup d'omissions et d'erreurs, et elle n'a peut-être pas été revue avec assez de soin dans les nouvelles éditions.
" L'ouvrage que je publie, disait l'auteur, au commencement de la préface de sa première édition, est encore loin du degré de perfection où j'espère le porter un jour ". Et, en effet, il a depuis revu avec un soin minutieux toute la partie homérique et donné de nombreux compléments à la partie biblique. Les Pères ont aussi obtenu une plus grande place. M. Alexandre s'est aidé pour cette révision du concours d'un savant helléniste, M. Fix, dont les doctes et judicieuses observations ont été fondues à chaque page, dans ses propres articles, et qui lui a indiqué un nombre considérable d'additions, dont plusieurs manquaient même aux grandes éditions du Thesaurus. Quelques personnes, très compétentes en ces matières, pensent que l'auteur pourrait encore perfectionner son œuvre en présentant les diverses acceptions des mots dans un ordre qui fît mieux comprendre le lien qui les unit entre elles.
Dictionnaire d'Etat (Staatslexicon) par Charles de Rolteck et Welcker (1834-1844, 15 vol. ; 2e édit., 1846-1848), œuvre encyclopédique dans laquelle toutes les questions politiques sont traitées à un point de vue libéral et avec une connaissance très approfondie de l'histoire. Le principal auteur, M. de Rolteck, député du grand-duché de Bade, et professeur, a joué un grand rôle dans la politique allemande jusqu'en 1840, époque où il mourut. Welcker, son collaborateur, a pris part aux événements de 1848 dans un sens modéré. On comprend qu'un livre composé par des hommes aussi compétents en théorie qu'en pratique soit une œuvre excellente et qui fait autorité.
Dictionnaire de la langue latine (GRAND) par Guill. Freund (Gesammtwoertebuch der lateinischen Sprache, Leipzig 1834-1845, 4 vol. in-4°, traduit en français par Theil ; Paris, 1855-1865, 3 vol. in-4°). Ce grand ouvrage est aujourd'hui en possession d'une vogue européenne; nous allons essayer d'en faire connaître le plan et l'économie, et de mettre ainsi le public à même d'apprécier la nature et l'étendue des services qu'il est appelé à rendre aux études classiques.
Ce dictionnaire traite exclusivement de la langue latine comme langue nationale des Romains; il ne donne par conséquent l'histoire que des mots qui se trouvent dans les monuments écrits de la littérature romaine, depuis les temps les plus anciens jusqu'à la chute de l'empire romain d'Occident. Tout ouvrage écrit en latin pendant ce long intervalle de temps, que son auteur soit Romain ou non, païen ou chrétien, est considéré par Freund comme une propriété de la littérature latine, et, à ce titre, examiné avec un soin proportionné à son importance comme document de l'histoire du langage; mais il établit une ligne de démarcation extrêmement précieuse, pour la certitude de l'histoire, entre les mots qui se trouvent encore aujourd'hui dans les ouvrages existants des classiques latins et ceux dont l'existence aux époques antérieures ne nous est attestée que par les anciens grammairiens et les lexicographes; aussi a-t-il soin d'imprimer en lettres majuscules, pour les rendre saisissables au premier coup d'oeil, tous les mots, toutes les formes dont la connaissance ne nous vient que du témoignage des grammairiens et des glossateurs. Il en a fait autant pour les mots et les formes qui ne sont connus que par des inscriptions.
Considérant que l'introduction d'un mot étranger dans une langue suppose nécessairement le manque réel ou présumé d'un terme national, qui rende aussi bien l'idée à exprimer, et que, du moment qu'un terme étranger remplit la fonction d'un mot national parfaitement correspondant, mais qui n'existe pas, il devient le signe d'une idée qui lui est propre et cesse, quant à l'usage, d'être un mot étranger, bien qu'il le soit réellement par son origine, Freund n'a pas cru devoir exclure de l'histoire des mots ceux qui, empruntés aux langues étrangères, ont reçu la consécration de l'usage, et en quelque sorte, par l'écriture latine, le droit de bourgeoisie romaine; mais, comme il est nécessaire d'établir une distinction entre les mots qu'un peuple a trouvés dans sa propre langue pour exprimer ses idées, et ceux qu'il a dû emprunter pour le même objet à une langue étrangère, Freund a eu soin de marquer d'une croix tous les mots qui ne sont pas d'origine latine; il distingue même les mots tirés du grec de ceux qui sont tirés d'autres langues, et se sert d'une simple croix pour les premiers, tandis qu'il en emploie une double pour les seconds.
Chaque article du dictionnaire de Freund forme une monographie du mot auquel il est consacré : cette monographie embrasse sept éléments :
1° L'élément grammatical. Après avoir indiqué la formation grammaticale, la construction, etc., Freund a toujours soin de noter entre parenthèses, aussi complètement que possible, les irrégularités connues; souvent, pour un mot à prendre pour base de l'article et à placer en tête, plusieurs formes se présentent; Freund tranche toujours la question par l'usage dominant; souvent aussi l'analogie de la langue se trouve en conflit avec les données historiques; Freund donne toujours alors la préférence à l'histoire, et avec raison, car c'est le devoir du monographe de n'admettre dans son exposition que les faits constatés.
2° L'élément étymologique. Freund indique toujours d'où viennent des mots tels que accipio, concipio, excipio; toutefois il n'aborde pas l'étymologie savante et ne recherche jamais l'étymologie des mots tels que capio lui-même.
3° L'élément exégétique. Freund admet en principe que parmi les diverses significations d'un mot, celle qu'on obtient par l'étymologie doit être regardée comme la première. Ce principe, si simple et si lumineux, n'avait jamais été rigoureusement observé dans les dictionnaires publiés jusqu'à ce jour. Et cela pour deux raison d'abord : on s'y proposait en général un but tout pédagogique, faciliter l'intelligence des classiques, et l'on y faisait par conséquent prévaloir les significations dominantes, qui sont rarement les premières; et ensuite, par cela même qu'on s'occupait principalement des habitudes de langage des classiques connus et beaucoup lus, on ne donnait presque aucune attention aux plus anciens fragments de la langue latine, aux leges regiae, aux fragments des Douze Tables, à ceux d'Ennius, à ceux de Pacuvius, de Caton, etc. jusqu'à Attius et Sisenna; on ne prenait qu'une connaissance extrêmement imparfaite de la latinité de Plaute, de Térence, de Lucrèce, et de Varron, de sorte que les textes négligés étaient précisément ceux où la plupart des mots paraissent encore dans leurs acceptions primitives. Freund s'est particulièrement occupé de remédier à ce défaut, et il s'est avant tout imposé la tâche de faire entrer dans le cadre de son travail tous les fragments authentiques de l'ancienne latinité, depuis les lois royales jusqu'à Lucrèce et Varron, et de leur assigner, en raison même de leur ancienneté, la première place dans son dictionnaire; de cette façon, il fait remonter l'histoire des mots jusqu'à la plus ancienne période , retrouve les significations primitives d'un grand nombre de mots et enfin signale l'origine d'une foule de particularités qui se remarquaient dans les âges postérieurs, de telle sorte que ce qu'on avait considéré jusque-là comme des innovations de Virgile ou d'Ovide se trouve n'être que de simples imitations d'Ennius, de Naevius, ou de Lucrèce. Quand le sens indiqué par l'étymologie ne s'appuie sur aucun exemple existant, Freund a toujours soin de l'indiquer; il veille aussi attentivement à ce que, dans la série des significations, le sens propre, comme primitif, précède le sens figuré, nécessairement dérivé, et il va même jusqu'à établir plusieurs sous-divisions pour le sens figuré dont la généralité lui paraît dessiner avec trop peu de netteté la sphère de la signification. Pour déterminer plus nettement les sens dérivés, il indique les idées accessoires qui, venant se joindre aux significations primitives, ont donné naissance à ces acceptions nouvelles, et quand le lien de filiation entre le sens modifié et le sens primitif ne se laisse pas nettement apercevoir, il s'attache à le faire ressortir en indiquant l'idée intermédiaire qui forme la transition. Quelquefois, pour rendre plus saisissables d'un seul coup d'oeil les significations trop nombreuses et trop séparées d'un mot, il réunit sommairement en tête de l'article les significations principales et traite le reste comme la partie spéciale de l'exégèse; c'est ce qu'il fait notamment pour les particules, dont les sens sont généralement si nombreux. Quant à l'interprétation proprement dite du mot latin dans toutes ses divisions et subdivisions, Freund cherche surtout à donner une traduction parfaitement correspondante, qui fasse connaître sous toutes ses faces l'idée originale. Par suite de ce désir d'embrasser dans l'exégèse toute la signification des mots latins, les articles qui ont trait aux antiquités romaines dans la plus large acception du mot, et en y comprenant l'art, sont développés dans son dictionnaire d'une manière plus complète qu'on ne l'avait fait jusqu'à ce jour. Quant aux passages extraits des auteurs latins et cités comme exemples, Freund les range toujours dans l'ordre chronologique, afin que les imitations faites par les écrivains postérieurs soient aisément reconnues; pour les mots et significations prosaïques, il fait passer les exemples tirés des poëtes après ceux qui sont empruntés aux prosateurs, tandis qu'il suit le procédé inverse pour les mots et les significations purement poétiques; et enfin il s'abstient le plus possible d'exemples puisés dans les écrits notoirement apocryphes; dans le cas contraire, il les place au dernier rang des citations. Pour rendre plus sensible la filiation de certaines significations, Freund compare souvent l'usage d'autres langues; bien des fois, par exemple, il cite des passages entiers d'auteurs grecs dont le texte se trouve littéralement traduit, ou du moins la pensée fidèlement reproduite, dans les passages latins donnés en exemple. Mais il ne s'adresse pas seulement aux langues de même famille que le latin, et il appelle l'hébreu à son secours partout où se présentent des analogies; plus d'une fois cette comparaison donne la clef de locutions mal interprétées, surtout dans les Pères de l'Eglise.
4° L'élément synonymique. Freund s'attache à indiquer clairement le point précis où deux idées qui se touchent par un côté différent pourtant par un autre, et quand il trouve dans les anciens d'excellentes distinctions de ce genre, comme dans les écrits de Cicéron sur la philosophie et la rhétorique, il a soin de joindre ces définitions, comme loci classici à sa propre explication.
5° L'élément historique spécial ou chronologique. L'époque pendant laquelle un mot ou un sens a été en usage se reconnaît déjà par les exemples des classiques cités ; mais, comme ces passages, distribués dans l'article d'après les exigences de l'exégèse, ne s'y trouvent pas toujours rangés dans l'ordre chronologique, Freund y a joint de courtes indications, qu'il met soit à la suite de chaque mot, soit à la suite de chaque signification, quand plusieurs significations d'un mot appartiennent à des époques différentes ; il a toujours soin aussi de distinguer si l'écrivain dans lequel il rencontre un mot, une signification, en fait usage lui-même, ou s'il les emprunte à un auteur antérieur dans un dessein quelconque, soin qu'on avait souvent négligé dans les lexiques publiés jusqu'à ce jour.
6° L'élément rhétorique. Le soin de déterminer le genre de style dans lequel un mot ou une signification domine n'a pas, plus que la détermination de l'âge, été abandonné aux exemples seuls ; et Freund ajoute partout les indications nécessaires ; il ne s'en dispense que quand le sens fait supposer de lui-même un usage général dans tous les genres de style. Freund a donné une attention particulière aux termes techniques.
7° L'élément statistique. Comme l'emploi fréquent ou rare d'un mot ou d'un sens ne peut guère, faute d'une concordance latine, être évalué en chiffres précis, Freund se contente d'une indication approximative ; il désigne d'une façon particulière les mots employés une seule fois.
Les articles sont classés dans l'ordre alphabétique. Nous ne parlerons pas des dispositions typographiques adoptées pour la confection matérielle de ce dictionnaire, et nous dirons seulement que l'auteur s'est proposé pour but de mettre de la clarté dans les détails et de rendre l'ensemble facile à saisir d'un coup d'œil.
Tel est le grand et savant ouvrage dont M. Theil a enrichi notre littérature classique ; sa traduction est digne de l'œuvre originale. Le savant professeur a corrigé nombre d'erreurs et de méprises échappées à Freund par inadvertance ; il a fondu en outre dans sa traduction un travail supplémentaire assez considérable, rédigé par M. Freund lui-même, à la demande des éditeurs, MM. Didot, et d'importantes rectifications ou additions émanées de l'auteur donnent un nouveau prix à cette publication.
A la nomenclature de Freund, considérablement augmentée par ses propres recherches et comprenant tous les mots qui se rencontrent dans les monuments de la langue latine depuis les temps les plus reculés jusqu'à la chute de l'empire d'Occident, M. Theil a joint les mots les plus importants de la langue latine du moyen âge et des temps modernes, notamment ceux qui ont passé dans les langues aujourd'hui parlées en Europe, ainsi que les termes techniques latins ou latinisés de médecine, de chirurgie, d'anatomie, de chimie, de zoologie, de botanique, etc., etc. ces additions si utiles sont elles-mêmes l'œuvre de M. Freund qui, dans l'abrégé qu'il a composé lui-même de son grand dictionnaire, avait fait entrer cet élément nouveau. Mais l'addition la plus importante, celle qui donne à l'édition française du dictionnaire de Freund une utilité qu'on chercherait vainement dans tout autre dictionnaire latin publié soit en France, soit à l'étranger, c'est celle d'un dictionnaire de géographie ancienne, du moyen âge et moderne, comparée. C'est encore à l'Allemagne que M. Theil a fait cet emprunt ; la base de son travail est le Dictionnaire géographique universel, commencé par Bischof et terminé par Moeller. Seulement cet ouvrage qui date de plus d'un quart de siècle, devait être mis à la hauteur des connaissances actuelles, et, pour accomplir cette tâche souvent difficile, M. Theil s'est entouré d'une foule de travaux spéciaux d'une date plus récente : il s'est particulièrement servi du Dictionnaire de géographie grecque et romaine, publié à Londres par William Smith. Toute cette partie a été revue et améliorée par M. Fr. Moeller.
Dictionnaire géographique et statistique de la Suisse, par Marc Lutz. Cet ouvrage parut à Lausanne pour la première fois en 1836, en français. Une édition allemande fut publiée à Aarau en 1856, par M. de Sprecher de Coire. Enfin une seconde édition française, la seule dont on se serve aujourd'hui, due aux soins de M. Moratel, qui a considérablement perfectionné l'œuvre de Lutz, a paru en 1859 à Lausanne. Ce dictionnaire est le plus complet et le plus méthodique qui existe en français, tant pour la géographie que pour la statistique de la Suisse, du moins de la Suisse romande. On y trouve avec les noms de toutes les localités de quelque importance, de précieux et intéressants détails sur le commerce, l'industrie, l'agriculture de la Suisse et sur les beautés naturelles de ce pays. Sans être aussi détaillé à cet égard que les Guides, ce dictionnaire offre un résumé très-commode à consulter ; les renseignements statistiques sont donnés d'après le recensement fédéral de 1850.
Dictionnaire de l'histoire de France, par Ph. Lebas ( 12 vol. in-8°). Cet ouvrage fait partie de l'Univers pittoresque publié par la librairie Firmin Didot. Commencé en 1840, il a été terminé en 1845. Ph. Lebas s'est adjoint plusieurs collaborateurs distingués, notamment MM. Félix Bourquelot, Ludovic Lalanne, Louandre, Rapetti, Charles et Léon Renier, Léon Waïsse et Yanoski. Le Dictionnaire de l'histoire de France est consulté avec fruit par les historiens, surtout pour les articles contenus dans les six premiers volumes. Malheureusement les articles des tomes XI et XII semblent écourtés, et l'on n'y trouve que des renseignements insuffisants. On y a omis, disons-le, bien des mots qui eussent offert un véritable intérêt.
Dictionnaire des noms propres grecs, par Pape (Woerterbuch der griechischen Eigennhmen, etc. Brunswick, 1842, 1 vol. in-8°). Ce dictionnaire réunit au moins vingt-sept mille noms propres, dont plus des trois quarts sont des noms propres d'hommes. Les autres sont des noms géographiques. Cet immense catalogue est d'une grande utilité aux philologues et aux antiquaires, surtout pour la lecture des inscriptions et des légendes de médailles, car il fournit les points de comparaison nécessaires et épargne une multitude de recherches que peu de personnes sont en position de faire. On possédait déjà le Dictionnaire des noms propres de M. Crusius, rédigé avec beaucoup d'exactitude et de critique. Mais ce dictionnaire ne renferme guère que les noms fournis par les textes, et ces noms ne forment qu'une partie de ceux qui sont à présent connus par les monuments. La nomenclature de Pape est beaucoup plus étendue ; ce savant a fait un relevé exact dans les Index de tous les auteurs grecs ; les noms en ont été extraits et accompagnés de la citation du passage d'où ils ont été tirés, ce qui permet e vérifier les noms sur le texte original. L'auteur a, de plus, fait un dépouillement complet de tous les noms contenus dans les Tables de Mionnet . Son attention semble s'être moins portée sur les vases grecs et les pierres gravées, et plusieurs des noms qu'on lit sur ces monuments seraient en vain cherchés dans son lexique ; mais ils sont en petit nombre. M. Pape néglige aussi entièrement les noms propres grecs écrits dans des auteurs latins ou figurant dans des inscriptions latines, quoiqu'ils n'en soient pas moins purement grecs. Plaute, Térence, Tite-Live, Cicéron, Vitruve, Pline, etc. offrent une foule de ces noms, qui devraient trouver place dans le lexique de M. Pape. Ajoutons que cet ouvrage est précédé d'un savant aperçu sur la formation des noms propres grecs et sur leur classification. Quoi qu'il en soit des légères lacunes que nous avons signalées, le dictionnaire de Pape est aussi exact et aussi complet que pouvait l'être la première édition d'un livre de ce genre.
Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française, par Quitard (Paris, 1843). La langue proverbiale ainsi que l'observe l'auteur de ce dictionnaire, est à peu près aujourd'hui une langue morte, et il est certain que la lecture de nos vieux auteurs, qui ont fait un si fréquent usage des proverbes, exige, pour être complètement fructueuse, une sorte de commentaire. C'est ce commentaire que M. Quitard a essayé de nous donner, et son ouvrage, même après les travaux de la Mésangère et de M. Méry, peut certainement être consulté avec fruit. Il a éclairci par de patientes recherches le sens de beaucoup de ces adages d'origine obscure qui rappellent des traditions pleines d'intérêt et à ce titre se rattachent essentiellement à l'histoire nationale. Un certain nombre de ses explications, souvent neuves et ingénieuses, ont été adoptées par les philologues. Cependant plusieurs sont fort hasardées. Pour donner plus de variété et d'intérêt à son livre. M. Quitard a fréquemment comparé les expressions proverbiales des différents peuples, et, par des citations puisées dans nos classiques, il a montré tout le parti que nos grands écrivains ont su tirer des locutions les plus vulgaires. Tous ces rapprochements ajoutent beaucoup au mérite de ce travail recommandable.
Dictionnaire latin-français, par MM. Quicherat et Daveluy (1ère édit., 1844, 18e édit., Paris, 1869, 1 vol. gr. in-8°). Cet ouvrage est un des meilleurs vocabulaires classiques de la langue latine. " Après tant de lexiques du même genre, a dit M. Patin, publiés depuis le temps de Danet, œuvres de spéculation hâtive, trop souvent, plutôt qu'oeuvres de savoir consciencieux et de travail patient, il manquait aux écoles, et il n'est pas destiné à s'y renfermer. Il offre, en effet, des mérites supérieurs à cette destination modeste, et par lesquels se révèle, avec une connaissance étendue des lettres latines, de leurs monuments de toutes sortes, de leur histoire, de leur génie, l'intelligence philosophique des procédés que suit l'esprit humain dans la formation et l'emploi des mots. Une place lui est assurée, non-seulement parmi les livres de classe de l'écolier, mais sur la table de l'homme du monde, encore en commerce avec quelques auteurs choisis de l'antiquité latine, qu'il l'aidera mieux que bien des commentaires à comprendre et à sentir; dans la bibliothèque même des érudits, auprès des grands recueils lexicographiques, dont il reproduit, sous une forme abrégée, la substance, et que bien souvent il rectifie et complète . "
MM. Quicherat et Daveluy ont transporté dans leur Dictionnaire latin-français une disposition fort heureuse dont M. Alexandre a le premier donné l'exemple dans son Dictionnaire grec-français. Elle consiste à rassembler d'abord, comme dans une sorte de résumé, au commencement des articles de quelque importance, et à classer dans l'ordre de leur génération, toutes les acceptions du mot, en renvoyant par un chiffre aux exemples qui les confirment. " L'avantage, observe encore M. Patin, fort sensible dans les études du collège, où il faut économiser le temps, de faire trouver tout d'abord et le sens dont on a besoin et l'autorité qui l'établit, sans que les yeux et l'esprit se fatiguent à les chercher parmi des explications et des citations qui remplissent quelquefois plusieurs colonnes, n'est pas le seul ni le plus grand que présente une telle disposition. Elle permet d'embrasser d'un seul coup d'oeil tout le chemin parcouru par un seul mot, depuis le sens le plus voisin de son origine jusqu'au plus éloigné, de comprendre en un instant ce qu'en ont fait, par extension, par figure, par abus même, la logique naturelle de l'esprit humain, le goût des diverses époques littéraires, le génie ou le caprice des écrivains. Ce n'est pas encore tout : la vue rapide et distincte de toute l'histoire, ou, si l'on veut, de toute la biographie d'un mot, provoque le lecteur à la recherche et au contrôle, fort profitables, des raisons qui ont conduit l'auteur à l'ordre généalogique préféré par lui. Une des louanges les plus générales que méritent MM. Quicherat et Daveluy, c'est d'avoir fourni perpétuellement, non seulement au jeune humaniste, mais à tout homme instruit, la matière d'un tel exercice de l'esprit, par l'attention qu'ils ont donnée à ce qu'on peut appeler la partie philosophique et historique de leur tâche. Sans doute, dans un sujet de nature si subtile, où le jugement individuel s'exerce si librement et qui, par conséquent, prête tant à la controverses, il ne se peut pas qu'on soit toujours de leur avis, mais on doit leur savoir gré même des doutes instructifs qu'il leur arrive d'éveiller. " Le fin et savant critique fait plus que douter pour sa part, et il conteste quelques-unes des classifications de MM. Quicherat et Daveluy.
Une portion très-considérable et très-importante de la tâche entreprise par les deux auteurs, c'était le choix et la traduction des exemples. Ici, M. Patin leur accorde tous les éloges : " Pour qu'une phrase, citée dans un lexique, mérite ce nom d'exemple, deux conditions sont indispensables : il faut qu'on la puisse rapporter avec certitude à un auteur faisant autorité; il faut, en outre, que par la connaissance du passage d'où elle est extraite on soit bien sûr de lui donner son véritable sens. Or, que de citations, en passant par voie de transcription d'un dictionnaire à un autre, avaient depuis longtemps, comme des monnaies dont l'usage efface à la longue l'empreinte, perdu leur authenticité et leur valeur! Que d'expressions, que de phrases suspectes et mal comprises étaient reçues, sans défiance et sans contrôle, dans cette espèce de circulation lexicographique! MM. Quicherat et Daveluy n'ont pas voulu en perpétuer l'abus. Ils se sont imposé le devoir, non seulement de réviser avec sévérité les exemples qu'ils empruntaient à d'autres, mais encore d'en renouveler le fond par un nouveau dépouillement des textes latins dans l'état d'épuration de correction auquel les a portés la critique. Pour l'accomplissement d'un tel devoir, ils avaient besoin de courage et de persévérance. Mais à ce prix seulement étaient la nouveauté, l'originalité permises à leur travail et qui ne lui ont pas manqué. Tandis qu'ils fixaient avec plus d'exactitude et d'une manière plus complète les divers sens des mots et les appuyaient sur des autorités plus irrécusables, ils sont, en effet, parvenus à modifier d'une manière importante ce que les recherches des grands collecteurs de la latinité ne permettaient guère d'espérer, le vocabulaire lui-même. Ils en ont retranché certains mots qui n'avaient pour titres d'admission que des leçons longtemps regardées comme douteuses et à la fin reconnues fausses. Il y ont, au contraire, maintenu d'autres mots, tombés mal à propos en état de suspicion. Plusieurs ont été rectifiés t ainsi renouvelés par eux. Un grand nombre, ils n'en annoncent pas moins de quinze cents dans leur titre, leur doit d'avoir enfin trouvé place dans le répertoire encore incomplet, après tant d'investigations, de la langue latine. "
Un dernier mérite de ce dictionnaire et qui n'est pas le moins précieux, c'est l'exactitude, quelquefois rare ailleurs, avec laquelle y sont notés, pour les substantifs, toutes leurs irrégularités; pour les adjectifs, les adverbes, leurs comparatif, leurs superlatifs, quand ils existent; pour les verbes, leurs prétérits et leurs participes, le passage de certains du sens actif au sens neutre; enfin les archaïsmes, les néologismes, les mots de latinité douteuse.
Dictionnaire français-latin, par M. Quicherat. Le plus célèbre et le mieux fait de nos dictionnaires français-latin. Le premier soin de M. Quicherat a été de chercher et de trouver ce qui, dans le latin réel des auteurs et des inscriptions, correspond au français écrit ou parlé, et de ne donner jamais pour équivalent d'un texte français qu'un texte latin autorisé. Il a compulsé Salluste, César, Tite-Live, Tacite, Virgile, tous les écrivains classiques, les écrits techniques où l'on parle de médecine, d'agriculture, d'architecture, d'arpentage, les textes officiels des inscriptions où se trouvent des décrets, des offrandes, des dédicaces, des épîtres ; il a retourné tout ce la du côté du français et il a recueilli ainsi une vaste provision de phrases françaises, toutes prêtes à recevoir le vêtement latin, et de phrases latines qui furent réellement dans la bouche ou sous la plume d'écrivains corrects. Il ne s'est pas contenté de puiser dans ce qu'on nomme l'époque classique ; outre la latinité romaine, il a consulté avec fruit la latinité chrétienne, qui fleurit après elle, trop peu de temps malheureusement : Lactance, Tertullien, saint Augustin, Salvien, et tant d'autres qui attaquèrent les vieilles croyances et prêchèrent des dogmes inconnus, si bien qu'un néologisme impérieux inclina le langage classique vers d'autres formes. "Là seulement, comme l'observe avec raison M. Littré, on trouve rendues par un vrai latin, puisque c'est celui d'hommes latins qui se virent obligés de parler de choses chrétiennes dans la langue de Cicéron, toutes ces idées qui sont aussi la propriété moderne, en tant que monde chrétien. " Le premier, M. Quicherat a puisé abondamment à cette source précieuse que ses devanciers avaient complètement négligée. Pour en donner quelques exemples, ils rendaient hostie par orbiculus ex pane, tandis qu'on a dans saint Augustin corpus Dei ; pour évangéliser, ils disaient verbum Dei praedicare, tandis que Jérôme et Arnobe ont dit evangelizare.
M. Quicherat a été plus loin : il a pensé que tant qu'on parle encore latin, lors même que l'on parlerait mal, il y a pour l'érudit de quoi noter et recueillir, et il s'est adressé à ce troisième degré de la latinité compris entre la chute de l'empire romain et l'extinction définitive de sa langue. Ce degré n'est pas sans importance pour le lexicographe, car il lui fournit le seul moyen de traduire exactement certains termes qui se rencontrent dans les langues modernes. C'est seulement quand l'idiome latin n'est plus qu'une lettre écrite, une langue de cabinet, qu'il est défendu au lexicographe de lui demander des autorités et des exemples.
" A quiconque voudra écrire en latin, a dit M. Littré, le dictionnaire de M. Quicherat sera un répertoire rempli de textes assurés et d'exemples excellents, et, pour me servir d'un mot souvent employé et ici dûment appliqué, un véritable trésor de tout ce qui peut servir à rendre du français en latin. Si l'on traduit, on y trouvera les principales locutions de notre langue rendues en vraies locutions latines ; les articles y sont très-riches, le français et le latin y abondent, le français pour ses acceptions de mots et de phrases, le latin pour se manières variées d'y correspondre ; quand le cas le permet (et cela arrive souvent), on a à choisir entre les expressions de Cicéron, de Tite-Live, de Sénèque, de Pline, entre le langage de la prose et celui de la poésie, et un esprit qui étudie ne tarde pas à profiter de ce qui lui est offert à profusion. Si, au contraire, on compose, bien que l'habitude se prenne vite de penser en latin, pourtant il est bon d'avoir sous la main un livre qui vous avertisse si votre mémoire est sûre, si votre style ne s'égare pas, si votre inspiration ne se hasarde pas à des constructions illégitimes : tout cela vous est donné par M. Quicherat qui, sur chaque cas, a recueilli la fleur des expressions latines mises en regard de la fleur des expressions françaises… Pour plus d'un mot, rappelant tout ce que j'avais dans la mémoire, j'ai cherché si je trouverais le nouveau dictionnaire en défaut et quelque chose à ajouter à l'article ; et chaque fois, battu dans cette joute, j'ai aperçu que ce que j'apportais n'était qu'une parcelle de ce que le livre m'offrait "
C'est le plus bel éloge que l'on puisse faire du Dictionnaire de M. Quicherat, qui, du reste, a obtenu partout un si beau et si légitime succès.
Dictionnaire français-breton, de Le Gonidec (Saint-Brieuc, 1847, 1 vol. in-4°). Ce dictionnaire a été fait sur le même plan que le Dictionnaire celto-breton. Il a été publié par M. de Villemarqué qui l'a enrichi de nombreuses addition ; ces additions sont en général des locutions qui appartiennent à la langue usuelle ; un petit nombre sont des termes abstraits et métaphysiques, parfois empruntés au dialecte breton-gallois, très riche en ce genre, le plus souvent formés par les Bretons d'Armorique, d'après le génie de leur langue, de radicaux celtiques et ayant cours depuis un demi-siècle. M. Hersart de la Villemarqué les a recueillis tantôt de la bouche des paysans de Tréguier, de Vannes, et surtout des montagnards cornouaillais, qui sont, selon dom Le Pelletier, les dépositaires du plus pur breton, tantôt dans les chants populaires et dans ses conversations avec de Bretons de Galles voyageant en Armorique.
Dictionnaire raisonné de droit et de jurisprudence en matière civile ecclésiastique, par l'abbé J.-H.-R. Prompsault (Paris, 1849, 3 forts vol. in-4°). Le dessein que l'auteur s'est proposé, en composant ce dictionnaire, a été de mettre sous les yeux de chacun les droits que le gouvernement français lui reconnaît ou lui accorde en matière ecclésiastique, et d'indiquer la manière dont il faut s'y prendre pour les faire valoir. Pour cela, l'auteur a analysé les actes législatifs anciens et modernes qui sont encore en vigueur, ou dont il importe de signaler l'abrogation. Personne n'avait encore envisagé ce sujet sous un point de vue aussi étendu, et ne l'avait traité avec autant de développement.
Ce dictionnaire renferme de 9 à 10,000 articles, qui font bien connaître quelles étaient avant 1789, quelles ont été depuis 1789 jusqu'au concordat, et depuis le concordat jusqu'à ce jour, les dispositions législatives concernant les matières ecclésiastiques.
Dictionnaire comparé de la langue gothique, par le docteur Diefenbach (Vergleichendes Woerterbuch der gothischen Sprache, Francfort-sur-le-Mein, 1851, 2 vol. in-8°). Dans ce travail, qui a été jugé digne par l'Institut d'une mention très-honorable au concours pour le prix Volney de 1851, M. Diefenbach a essayé de grouper autour de la langue gothique tout le système lexicographique des dialectes germaniques, en le comparant à celui des langues romanes, slaves et celtiques, et même à celui des langues finnoises, dans lesquelles M. Diefenbach voit beaucoup d'analogies avec les langues germaniques. Son livre est moins un dictionnaire qu'une série de dissertations étymologiques dans le genre de celles dont Pott a donné le modèle. On peut trouver que dans certains cas, M. Diefenbach a poussé la hardiesse des rapprochements au-delà de ce que permet la saine méthode en philologie comparée, mais personne ne lui contestera une vaste connaissance des diverses langues qui composent la famille indo-européenne et une ardeur infatigable pour accroître tous les jours ces connaissances.
Dictionnaire sanscrit (Sanscrit Woerterbuch, etc. par Boehtlingk et Roth, Saint-Petersbourg, 1852-1869, 3 vol. in-4°). Les auteurs de ce grand et magnifique ouvrage ont mis à contribution tout ce qui a été publié jusqu'à ce jour dans le riche domaine de la langue et de la littérature sanscrites. Le dictionnaire de Wilson, publié en 1819, et dont la seconde édition avait paru en 1832, était un service signalé rendu aux études indiennes. Mais, depuis lors, elles avaient fait bien des progrès. Le dictionnaire de MM. Boehtlingk et Roth, qui est souvent désigné sous le nom de Dictionnaire de Saint-Petersbourg, est au niveau de toutes les études actuelles, et les auteurs ont donné une attention toute particulière à la langue des Védas. Elle est, comme ils le disent fort bien, par rapport au reste de la langue sanscrite, ce que les poëmes d'Homère sont à la langue grecque. Oublier les Védas dans un dictionnaire sanscrit, ce serait une lacune très-regrettable. Ce qui donne une utilité particulière à ce nouveau dictionnaire, c'est que chaque mot y est accompagné de nombreux exemples qui en éclaircissent et en justifient les diverses acceptions. En attendant la fin, malheureusement encore éloignée, de ce vaste travail, on ne peut que rendre justice à la science et au courage des auteurs. Ils élèvent un monument qui dépassera de beaucoup tout ce qu'on a fait avant eux et qui fera certainement la gloire de leur savante carrière.
Dictionnaire étymologique des langues romanes, Lexicon etymologicum linguarum romanarum, italicae, hispanicae, gallicae, par Friedrich Diez, Bonn, 1853, 1 vol. in-8°. Ce travail important, où M. Diez a déposé le résultat de sa longue expérience des textes et des formes, n'est pas à proprement parler un glossaire étymologique de tous les mots des langues romanes ; M. Diez a particulièrement tourné son attention, ainsi que l'observe M. Littré : 1° sur les mots les plus usuels, sur ceux qui reviennent le plus souvent dans le discours et dans les écrits, excepté toutefois ceux qui s'expliquent sans peine par le latin ; 2° sur des mots moins usuels, mais importants au point de vue étymologique ; des particules, des verbes simples, des adjectifs simples, en somme bon nombre de mots plus d'une fois traités par les linguistes et arrivés à un certain renom. De ce choix de mots il a fait deux parties : la première comprend, d'une manière assez complète, du moins pour ce qui est encore usité, le fonds commun aux langues romanes, c'est-à-dire celui qui appartient à la fois à l'italien, à l'hispano-portugais et au franco-provençal. Dans chacun des articles, l'auteur a placé en tête la langue italienne, à cause de son affinité plus grande avec le latin, et cela, alors même qu'elle s'écarte plus que les langues ses sœurs de la forme primitive. Dans la seconde partie, il a mis trois glossaires contenant respectivement le fonds propre à l'italien, à l'hispano-portugais, au franco-provençal. Il n'a donné de place particulière ni à la langue valaque, ni à la langue du pays de Coire, et il s'est contenté de les citer pour la comparaison. Il a partout consulté les patois, dont les excellents matériaux éclaircissent souvent les rapports des lettres et le développement de l'idée pour la dérivation immédiate. Tel est l'ordre général suivi par M. Diez, sauf quelques infractions particulières, auxquelles d'ailleurs un lexique des mots expliqués sert de remède.
Nous employions tout à l'heure une expression qui a peut-être étonné le lecteur, celle de dérivation immédiate, et cependant cette expression est la seule qui puisse rendre notre pensée, car M. Diez ne donne jamais l'étymologie entière du mot, il remonte jusqu'à la langue qui a produit immédiatement la forme romane ; mais il ne s'occupe jamais de savoir d'où cette langue a tiré le mot indiqué par lui comme souche, et ce qu'il a signifié primitivement.
Dans beaucoup de cas, à la vérité, les mots romans ne dérivent que médiatement du latin, en ce sens qu'il a existé un mot qu'on peut appeler bas latin et qui sert d'intermédiaire. " M. Diez, dit Littré, distingue avec beaucoup de raison deux sortes de bas latin, l'un qui appartient aux premiers siècles, alors que les langues populaires étaient plus voisines de la source latine ; celui-là est une mine féconde pour l'exploration, attendu qu'il donne des formes non altérées ; l'autre, dû aux notaires et aux moines, alors que les langues nouvelles commençaient à s'écrire, est dénué d'importance, et souvent égarerait plutôt qu'il ne guiderait ; car ces gens qui latinisaient n'avaient pas la connaissance de la formation du mot. A côté de ces deux bas latins on peut en placer un troisième, c'est celui qui se refait à l'aide des formes romanes. Age dérive certainement de aetas, mais il n'en vient point directement, et âge est contracté de l'ancienne forme eage, aage, edage, qui, vu les lois de la permutation des lettres, mène à une forme aetaticum, qui a dû exister au moins virtuellement…. " M. Diez, pour sa part, est pénétré, et avec raison, de la nécessité de reconstruire les formes du bas latin pour découvrir la souche des mots romans, et il n'a pas manqué d'en montrer la voie et d'y recourir en maintes circonstances. Après lui, MM. Scheler et Littré, ce dernier surtout, les ont également reconstruites d'une façon plus complète et plus générale. Le Grand Dictionnaire indique à chaque pas les résultats de ce grand travail ; seulement, il remonte plus haut que MM. Scheler et Littré, et surtout que M. Diez ; celui-ci s'arrête toujours, pour l'étymologie, au mot générateur de la forme romane, du moins au mot générateur du bas latin ; le Grand Dictionnaire va beaucoup plus loin, il ne s'arrête pas au milieu de la tâche, et, non content d'expliquer la forme romane, il cherche le plus souvent à retracer l'histoire du mot générateur lui-même, qu'il soit latin, grec, celtique ou germanique ; ce second travail lui semble tout au moins aussi important que le premier, dont nous ne songeons pas d'ailleurs à nier l'importance ; car si l'on s'égare dès le premier pas, le chemin parcouru ensuite est complètement inutile, et l'édifice tout entier branle par la base. Pour éviter ce danger, ce n 'est pas trop d'une étude sérieuse et approfondie comme celle de M. Diez. " Celui-là seul, a dit judicieusement ce savant philologue, se fraye un chemin à un jugement établi scientifiquement, qui embrasse tout le lexique des langues romanes, n'examinant qu'un fait isolé, et à un point de vue tout particulier, sans connaître l'histoire entière et les relations du mot dont il s'agit. L'étymologie romane n'a pas moins de parties obscures que toute autre ; même les matériaux latins ne sont pas en plusieurs cas plus aisés à reconnaître que les matériaux étrangers . Après avoir épuisé tous les moyens qui sont à notre disposition, il se trouve dans chacune des langues romanes un reste considérable de mots réfractaires à l'analyse. A la vérité, plusieurs langues où les Romans puisèrent n'ont pas encore été soumises à une énumération suffisante. Et, certainement, des efforts judicieux parviendront encore à résoudre bien des énigmes qui jusqu'à présent demeurent insolubles. "
Nous donnerons avec M. Littré un plein assentiment à ces judicieuses paroles de M. Diez. La base de l'étymologie est désormais placée dans l'induction historique, et induire historiquement, c'est rassembler et conférer toutes les formes collatérales d'un même mot, soit dans les différentes régions où il s'est produit, soit dans les différents temps où il a existé.
En mettant ainsi rigoureusement sur le terrain de la mutation des lettres et des formes de l'étymologie des langues romanes, si arbitrairement et si capricieusement traitée par ses devanciers, M. Diez a certainement travaillé pour sa part à augmenter la précision des recherches et des résultats, et, bien que l'on puisse souvent discuter ses conclusions, comme le lecteur du Grand Dictionnaire a déjà dû s'en apercevoir, et comme il s'en apercevra plus encore dans la suite, le savant philologue allemand a rendu à la science étymologique un service dont on ne saurait trop le remercier.
Dictionnaire étymologique de la langue wallone, par Ch. Grandgagnage (Liège, 1856, 2 vol. in-8°). Comme ce titre l'indique cet ouvrage s'occupe des mots du patois wallon, qui est, du côté du nord, à l'extrême limite de la langue d'oil et touche aux idiomes germaniques. " M. Grandgagnage, a dit M. Littré au sujet de ce dictionnaire, est un habile étymologiste ; il se rend compte des permutations de lettres, il reconnaît les parties analogues, il sait les conditions qui font qu'une étymologie est possible ou impossible ; il ne prend pas des conjectures pour des certitudes. Bref, il s'attache étroitement à la forme et au sens du mot, ces deux lumières de toute recherche. Aussi, guidé par lui, on pénètre sans peine dans la structure du patois wallon, quelque difficile que d'abord elle puisse paraître… Ce qui rend véritablement utiles à l'étude les glossaires patois, c'est une comparaison étendue qui mette le lecteur sur un terrain solide ; c'est une analyse de caractères dialectiques sur laquelle il puisse compter, c'est une investigation étymologique qui aille droit aux difficultés. Tout cela se trouve dans le Glossaire wallon, et, sans autre préparation, j'ai pu m'en servir pour ce qui fait présentement l'objet particulier de mes recherches, la connaissance détaillée et intime de notre vieille langue. "
Dictionnaire de sigillographie pratique, par Chassant et Delbarre (Paris, 1860, in-12, avec planches). Ce petit ouvrage, bien conçu et écrit avec méthode, réunit, dans un format portatif, toutes les notions essentielles à la connaissance des sceaux du moyen âge et dispense, dans la plupart des cas, de consulter les grands traités spéciaux. Il est d'un grand secours pour les archéologues, les archivistes et les collectionneurs, auxquels il offre dans l'ordre alphabétique la définition des expressions, des formules latines ou françaises, la solution des difficultés d'abréviation, l'interprétation des légendes et les explications diverses que soulève l'examen des sceaux. Les auteurs ont placé à la fin du volume une bibliographie sigillographique qui indique les grands ouvrages publiés sur la matière et les livres historiques ou généalogiques contenant des gravures de sceaux. Enfin, le volume est enrichi de 16 planches contenant : 1° les alphabets et les différentes formes d'abréviations ; 2° la reproduction des principaux types de sceaux.
Dictionnaire de la Bible (Dictionary of the Bible, etc.), par Smith (Londres, 1861, 2 vol. in-8°). M. Smith a publié une série de dictionnaires historiques qui ont pris rapidement leur rang parmi les meilleurs ouvrages de notre temps sur l'antiquité, et le Dictionnaire de la Bible est tout à fait digne de ses prédécesseurs. Le but dans lequel il est composé est entièrement historique et nullement théologique, bien que naturellement les opinions des auteurs des différents articles exercent une certaine influence sur leur manière de traiter les sujets qu'ils ont choisis. Un article est consacré à chaque nom propre qui se trouve dans l'Ancien et le Nouveau Testament, et dans les livres apocryphes, ainsi qu'à chaque coutume et à chaque objet qui y sont mentionnés et qui ont besoin d'une élucidation historique. La longueur des articles varie naturellement avec l'importance des sujets, et quelques-uns forment, par leur étendue et leur importance, de véritables monographies, comme, par exemple, le curieux article de M. Ferguson sur la topographie de Jérusalem, qui a donné lieu à une controverse très-intéressante. Caque article est suivi, autant que possible, de la liste des ouvrages où l'on trouve des détails plus amples sur le sujet, et ces indications sont généralement très-bien choisies et très-impartiales. Cet ouvrage est certainement un des guides les plus sûrs et les plus riches en matériaux pour tout ce qui regarde l'étude archéologique, historique et littéraire de la Bible.
Dictionnaire des termes techniques arabes (A Dictionary of the technical terms), publié sous la direction de M. Sprenger (Calcutta, 1862, 2 vol. in-4°). M. Sprenger s'est proposé, dans cet ouvrage, de venir en aide aux élèves des écoles musulmanes dans l'Inde, en leur donnant un moyen facile de se rendre compte des termes techniques arabes qu'ils rencontrent à chaque pas dans leurs études de langues, de médecine, de mathématiques, de théologie et de jurisprudence. " Il n'est pas douteux, dit M. Mohl, que ce ne soit un des plus grands services qu'on ait pu rendre aux écoles musulmanes, mais les savants d'Europe en profiteront aussi ; ils y trouveront les difinitions d'un très-grand nombre de termes dont on ne rencontrait l'explication que dans des ouvrages arabes sur les différentes sciences. L'ouvrage de M. Sprenger peut donc être considéré comme un des éléments d'un dictionnaire qui serait le complément et la contre-partie de celui que nous adonné M. Lane (v. Lexique arabe-anglais, par M. Lane), complément dont il demande lui-même et provoque l'exécution, et qui contiendrait ce que les siècles postérieurs ont ajouté à l'arabe classique. C'est un sujet immense qui semble dépasser les forces d'un seul homme, mais qui certainement de viendra abordable dans quelque temps, à mesure que les matériaux qu'on ne cesse d'apporter formeront un ensemble plus complet. " Le Dictionnaire des termes techniques arabes a été compilé sous la direction de M. Sprenger par des savants indigènes.
Dictionnaire d'étymologie française, par Aug. Scheler (Bruxelles, 1862, 1 vol. in-8°). La publication de cet ouvrage, en 1862, n'était pas seulement une œuvre utile ; elle comblait une grave lacune dans la littérature philologique française. En présence de la multiplicité des livres qui traitent d'étymologie française, soit d'une manière générale ou théorique, soit sous forme de recueils embrassant les faits en détail, il était certainement fort désirable d'en voir surgir un qui, réunissant en un faisceau les résultats partiels de ces investigations diverses, les résumant, pour la facilité de l'usage, sous la forme d'un dictionnaire alphabétique, permît de saisir d'un coup d'œil l'état de la science moderne en ce qui concerne chaque vocable de la langue. Scheler est le premier qui ait tenté cette tâche pour notre langue ; car, malgré leur valeur relative, les dictionnaires de Ménage et de Roquefort ne pouvaient certainement remplir ce but, et le Dictionnaire étymologique de Diez, outre qu'il s'appliquait en général aux langues romanes, avait été publié en allemand, et n'était, par conséquent, abordable que pour les savants, assez peu nombreux qui possèdent cette langue. Aussi peut-on dire en toute vérité que ce grand ouvrage n'est pas encore naturalisé en France.
Le but que M. Scheler a poursuivi n'est pas de fournir un simple relevé des solutions variées émises successivement sur des questions d'étymologie française, ni de remettre en circulation une foule d'erreurs évidentes et d'accorder l'honneur d'une nouvelle publication à des bévues trop longtemps accréditées ; mais il s'est particulièrement efforcé de présenter au public lettré, d'une manière substantielle et concise, les faits nouvellement acquis à la science, et de le familiariser avec les enquêtes récentes de la linguistique française, qui a laissé bien loin derrière elle les travaux qu'il ne dédaigne pas cependant à l'occasion et dont il proclame tout le premier l'incontestable mérite.
Mais, proclamant avec raison que la divination a fait son temps et que l'étymologie est enfin parvenue au rôle d'une science positive, nous dirons même d'une science exacte, Scheler relègue dans le domaine du caprice et de la fantaisie tout ce qui ne peut être scientifiquement démontré par des preuves soit historiques, soit physiologiques.
M. Scheler se rattache à l'école de Diez, dont il adopte complètement la méthode, et, comme ce dernier, il ne va jamais plus loin pour l'étymologie qu'au terme d'où vient immédiatement le mot français ; il s'arrête là et ne cherche jamais à expliquer le primitif latin, grec, celtique ou germanique. Nous ne croyons pas nécessaire de répéter, au sujet de cette méthode, les observations que nous avons faites en parlant du Dictionnaire de Diez.
En exposant par ordre alphabétique l'origine des vocables français, Scheler ne se borne pas au rôle de simple compilateur et enregistreur des opinions d'autrui ; souvent il émet ses conjectures personnelles, mais s'il aborde parfois la controverse, il n'allonge pas indéfiniment son texte. " L'objet essentiel de chacun de ces articles, dit M. Scheler lui-même, c'est d'établir le type immédiat d'où procède le mot français en question ; nous nous sommes fait une règle de ne donner des développements, de ne discuter ou raisonner que lorsque ce type était contesté ou que le rapport de forme ou de sens entre le primitif proposé et le vocable en question présentait quelque obscurité ou soulevait des doutes… En général, on remarquera que nous avons visé à être aussi bref dans la rédaction de nos articles que le permettait la clarté, renonçant à tout ce qui ne concourt pas, directement ou indirectement, à établir ou à confirmer une étymologie proposée. Nous nous sommes abstenu ainsi de reproduire les diverses applications passées ou actuelles d'un mot, quand des considérations tenant à notre sujet ne nous y encourageaient pas. " M. Scheler se borne ainsi à ce qui est absolument essentiel ; il retranche impitoyablement tout ce qui ne concourt pas au but immédiat qu'il se propose, et l'ouvrage y gagne en netteté et n'en est que plus agréable à parcourir.
Le cadre de son dictionnaire ne comprend en principe que les vocables de la langue actuelle entrés dans la circulation commune ; il exclut, par conséquent, sauf de rares exceptions, les mots appartenant à la terminologie des sciences spéciales, des arts et métiers.
Malgré quelques imperfections et quelques taches, on ne saurait trop rendre justice au mérite de l'œuvre de M. Scheler ; ses explications sont quelquefois hasardées, mais elles sont presque toujours ingénieuses et intéressantes, et bien des fois, disons-le en terminant, cette étude, bien des fois, c'est à lui que nous avons eu recours pour trouver l'origine d'un terme obscur et difficile ; nous en exprimons ici notre reconnaissance au savant linguiste belge.
Dictionnaire des communes de France, par Adolphe Joanne (Paris, Hachette et Cie, 1863 et 1869). Sous ce titre, M. Adolphe Joanne, dont les excellents Guides sont aujourd'hui dans la plupart des bibliothèques et entre les mains de tous les touristes, a réuni le plus grand nombre possible de renseignements géographiques, administratifs, postaux, statistiques et archéologiques sur les 89 départements de la France, ses 37,548 communes, ses principaux centres de population, sur l'Algérie et nos colonies. Le plan de l'ouvrage excluait les détails historiques ; mais, en revanche, les renseignements pratiques abondent dans ce volumineux dictionnaire de 2,551 pages à deux colonnes, car il indique pour chaque commune de la France, de l'Algérie et des colonies : la condition administrative, la population, la situation géographique, l'altitude, la superficie ; la distance aux chefs lieux de canton, d'arrondissement et de département ; les bureaux de poste et de télégraphe électrique, les stations et correspondances des chemins de fer ; la cure ou succursale ; les établissements d'utilité publique ou de bienfaisance. Le Dictionnaire des communes donne, en outre, tous les renseignements administratifs, judiciaires, ecclésiastiques, militaires, maritimes, commerciaux, industriels et agricoles ; il énumère les richesses minérales, les curiosités naturelles et archéologiques, les collections d'objets d'art et de science. Une deuxième édition, considérablement augmentée, a été mise en vente en 1869.
Dictionnaire chaldéen, par le docteur Levy (Chaldaeisches Woerterbuch, etc., Leipzig, 1865). Le docteur Levy a fait entrer dans ce dictionnaire tous les mots chaldéens des Targoumim et ceux d'une partie des livres rabbiniques des premiers siècles de notre ère, généralement écrits dans un dialecte corrompu dont la base est cette même langue. Ce système serait très-bon s'il était appliqué avec persévérance, mais malheureusement l'auteur ne s'est pas astreint à suivre son propre système, et, outre que le choix des livres qu'il a dépouillés est à peu près arbitraire, le dépouillement même de ces livres n'a pas été fait d'une manière complète.
Dictionnaire classique sanscrit-français, par Em. Burnouf et Leupol (Nancy et Paris, 1865, in-8°). Cet ouvrage est jusqu'à présent le seul dictionnaire sanscrit qui ait été publié en France et en français. Les auteurs se sont proposé de faciliter l'étude du sanscrit par un travail qui pût de venir classique, et ils se sont attachés à le rendre assez complet pour qu'il puisse tenir lieu jusqu'à un certain point du grand dictionnaire de Wilson et de celui de Saint-Petersbourg. On y trouve même un certain nombre de termes védiques et bouddhiques, de noms de plantes et d'animaux et d'expressions usuelles qui manquent dans ces derniers. Les caractères dévanagaris ont été employés pour la plupart des mots ; ils sont accompagnés de la transcription adoptée par l'école de Nancy. Ce dictionnaire se termine par une nomenclature des suffixes et une liste des racines classées d'après leurs lettres finales et leurs principales analogies. Cet ouvrage rend de grands services aux études orientales et aux recherches qui s'y rattachent.
Dictionnaire sanscrit-anglais (A sanskrit-english Dictionary), par M. Th. Benfey (Londres, 1866, 1 vol. in-8°). En publiant ce dictionnaire, M. Th. Benfey, professeur de sanscrit à l'université de Goettingue, a rendu un service signalé aux études sanscrites ; elles ont peu d'instruments de ce genre, et celui-ci leur est de la plus grande utilité. C'est un manuel à la fois commode et complet pour les commençants ; ils y trouvent tous les mots qui se rencontrent dans la plupart des ouvrages dont ils se servent. La science consommée de M. Th. Benfey répond de l'exactitude de toutes les citations et de tous les exemples qu'il a réunis. Cet ouvrage est dédié au savant et illustre Bopp, dont M. Th. Benfey est un des élèves les plus distingués.
Dictionnaire français-latin-chinois de la langue mandarine parlée, par Paul Perny (Paris, 1869). Cet ouvrage, le premier dictionnaire français-latin-chinois qui ait été publié, est, tant par lui-même que par ses annexes, un des plus importants qu'on ait fait paraître jusqu'ici pour l'étude de la langue chinoise et la connaissance des mœurs et des institutions du Céleste-Empire. Les travaux de ce genre entrepris autrefois en Chine par plusieurs missionnaires ont été détruits au milieu des persécutions ou par suite d'accidents divers, et il n'en restait rien dont pussent profiter les sinologues. La perte regrettable de ces travaux, qui d'ailleurs étaient tous inédits, est aujourd'hui réparée. Un séjour de vingt-cinq ans en Chine comme missionnaire a permis à l'abbé Perny de rassembler les éléments de l'ouvrage considérable dont nous avons indiqué le titre en tête de cet article, et, de retour en France, il a mis tous ses soins à en préparer la publication. Chaque mot, dans ce dictionnaire, est traduit en latin d'abord, puis dans la langue universellement parlée dans tout l'empire du Milieu, et improprement désignée par l'expression, aujourd'hui consacrée, de mandarine. La prononciation et le ton des caractères chinois sont toujours indiqués au moyen de lettres françaises et de signes convenus. Les mots de quelque importance sont accompagnés sont accompagnés de nombreux exemples traduits en latin et en chinois. Outre la grande utilité pratique qu'il présente pour rendre les idées françaises par les expressions chinoises les plus usitées, ce dictionnaire donne sur le Céleste-Empire une foule de notions utiles à connaître, de façon à former en quelque sorte une petite encyclopédie chinoise. Nous citerons, entre autres, les tableaux des mots numériques chinois, des poids et mesures, des dynasties, des fêtes, des anciens royaumes de la Chine, celui des divinités, des genres, la liste des instruments de musique, enfin une statistique instructive des provinces. On y trouve aussi un grand nombre de proverbes que les Chinois citent souvent dans la conversation.
Le deuxième volume de cette œuvre importante n'est pas encore publié.
Dictionnaire d'Architecture, par Quatremère de Quincy. Cet ouvrage, dont le premier volume a paru en 1788, fait partie de l'Encyclopédie méthodique. Il l'emporte à la fois par l'étendue et par la science sur tous les recueils du même genre qui ont été publiés antérieurement, tant à l'étranger qu'en France. Et aujourd'hui encore, bien que beaucoup de parties en aient vieilli et que plusieurs des théories qui y sont émises y soient trop exclusives, on ne peut méconnaître que ce ne soit une source abondante de renseignements précieux. L'auteur a fait entrer dans le cadre de son travail la plupart des questions qui se rattachent de près ou de loin à l'art de bâtir. " Nous avons voulu, a-t-il dit lui-même, que rien de ce qui constitue l'ensemble de l'architecture, rien de ce qui peut intéresser l'artiste, le philosophe et le curieux ne pût échapper à notre plan. Nous avons cru de voir envisager l'architecture sous toutes ses faces et sous tous ses rapports dans tous les temps et chez tous les peuples dont nous pouvons avoir des notions positives. Ce projet nous a conduit à reconnaître dans l'architecture cinq parties très-distinctes, qui forment les cinq points de vue généraux de cet ouvrage, et qui n'ont jamais été considérés qu'imparfaitement, ou du moins ne l'ont jamais été d'un seul coup d'œil. Ces cinq parties sont : la partie historique et descriptive, la partie métaphysique, la partie théorique, la partie élémentaire ou didactique , et la partie pratique. C'est donc une réunion de cinq ouvrages que nous présentons au public dans un seul. " Indiquons, en quelques mots, l'importance assignée par l'auteur à chacune des cinq parties et les principaux sujets qui y sont développés.
La partie historique embrasse l'étude des divers systèmes d'architecture qui ont été en usage chez les principales nations de l'antiquité et des temps modernes : la biographie des architectes les plus célèbres, la description des monuments les plus fameux… L'auteur a particulièrement insisté sur l'architecture grecque, dont il proclame, presque à chaque page, la supériorité, dans laquelle il puise les exemples destinés à appuyer ses démonstrations théoriques ou didactiques, et qui lui sert pour ainsi dire de critérium pour juger toutes les autres architectures. Dans on admiration bien légitime pour les magnifiques conceptions où, suivant ses propres expressions, " le génie des Grecs a pour jamais renfermé l'art, " il en est arrivé à méconnaître ce principe fondamental d'après lequel toute forme architectonique doit être appropriée avant tout aux besoins, aux mœurs, aux traditions des peuples au milieu desquels elle prend naissance. Il n'a pas compris que les Egyptiens, par exemple, avaient eu pour édifier des constructions sombres, massives, colossales, d'aussi bonnes raisons que celles qui portèrent les Grecs à rechercher avant tout la simplicité, la pureté, l'élégance des lignes. Il n'a pas assez tenu compte des lois inspirées par les usages, par le climat, par la nature des matériaux ; il s'est passionné pour une des expressions les plus parfaites du génie artistique et a condamné sans pitié tout ce qui s'écartait de ce type de prédilection. C'est ainsi qu'il a traité avec le plus profond dédain les splendides productions de l'art ogival ; il n'a voulu voir en elles que des œuvres de mauvais goût , n'offrant pas la moindre trace du grand style gréco-romain. " Ce qui distingue l'architecture gothique, dit-il, c'est l'absence d'entablements, de lignes droites et de modinature dans l'ensemble et dans les parties de toutes les compositions. Dès qu'on eut commencé à réunir les colonnes par des arcs, tout le système de l'architecture grecque fut détruit ; il n'y eut plus de rapport nécessaire entre les colonnes et ce qu'elles supportaient ; plus d'architrave, plus de frise, plus de corniche, plus de fronton, etc. Les membres de toutes ces parties, ornements indicatifs de leur origine, devinrent de purs objets de caprice, et n'entrèrent plus dans l'architecture que par manière de décoration. Voilà ce que nous présente l'architecture gothique, héritière de tous les abus, de tous les mélanges, de toutes les confusions, nées dans la décadence des arts. " Pour tout dire, Quatremère ne pardonne pas à l'architecture gothique de n'être pas… grecque ; il lui refuse, d'ailleurs, toute originalité ; il n'y voit qu'une grossière et inintelligente reproduction des modèles les plus divers. " L'art gothique, selon lui, ne fut qu'un produit de la corruption du goût, de l'ignorance de toutes les règles, de l'absence de tout sentiment original ; ce fut une sorte de monstre engendré dans le chaos de toutes les idées, dans la nuit de la barbarie, mélange incohérent de souvenirs confus, de traditions oblitérées, de modèles disparates. Loin qu'on puisse y reconnaître les premiers pas d'un goût naissant et nouveau, tout y dénote l'impuissance d'un goût vieilli qui se traîne dans les ténèbres, sur les traces effacées d'un modèle qui a disparu. " Cette théorie sur l'architecture ogivale n'était pas particulière à Quatremère ; elle a prévalu pendant plusieurs siècles, elle a eu cours dans les Académies jusqu'au jour où MM. De Caumont, Vitet, V. Hugo, Mérimée, Lassus, Viollet-le-Duc, etc., sont venus remettre en honneur notre art national.
Ce n'est pas seulement dans la partie historique de son dictionnaire que Quatremère manifeste son amour exclusif de l'art grec : c'est encore, c'est surtout dans la partie métaphysique, et dans la partie théorique. La partie métaphysique est celle où l'auteur raisonne sur l'essence de l'architecture, la nature de ses moyens, ses rapports avec les sens, l'entendement et le goût, les ressorts qu'elle peut employer pour nous émouvoir et pour nous plaire, etc. Ces observations sont présentées notamment aux mots beau, caractère, convenance, harmonie, invention, goût, hardiesses, génie, caprice, ordre, symétrie, variété, imitation, etc. Dans la partie théorique sont développées les règles que l'art a reçues de la nature ou qu'il s'est données volontairement : règles de l'optique, lois des proportions, maximes de goût déterminées par la connaissance des rapports métaphysiques et fixées par les beaux ouvrages de l'art, principes relatifs à la construction, à la disposition, à la décoration des édifices.
La partie didactique ou élémentaire, qui occupe la place la plus large dans l'ouvrage, comprend la définition de tous les mots techniques, l'explication de toutes les parties constitutives des édifices. La partie pratique, enfin, embrasse tout ce qui concerne l'art de bâtir considéré dans ses procédés d'exécution, dans l'emploi qu'il fait des diverses sortes de matériaux, et dans ses rapports avec les sciences mathématiques : cette partie, où sont décrites et comparées les méthodes de l'antiquité et les inventions modernes, est due à Rondelet, le savant auteur de l'Art de bâtir (V. Art). Un recueil de planches complète le Dictionnaire d'architecture.
Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, par Viollet-le-Duc. Ce recueil est moins un dictionnaire suivant l'acception ordinaire du mot, qu'une description historique , technique et philosophique des diverses transformations que l'art de bâtir a subies en France au moyen âge ; c'est une apologie des hardis constructeurs qui ont doté la chrétienté de types architectoniques si merveilleusement appropriés à l'essor de la pensée religieuse. Nul n'était plus apte à accomplir cette tâche que le savant architecte auquel nous devons la restauration intelligente de quelques-uns de nos plus beaux monuments du moyen âge. Ce ne sont pas seulement les créations de l'architecture religieuse, durant cette période, que M. Viollet-le-Duc a entrepris de réhabiliter : il a cherché à montrer que la même science, la même habileté avaient présidé aux constructions civiles et militaires de cette époque ; il a voulu prouver, en un mot, que l'art de bâtir était alors un art indépendant, national, qui savait se plier à tous les besoins et élevait une église, un château, une maison, en employant des formes et des procédés appropriés à chacun de ces édifices. Il ne s'est pas borné, d'ailleurs, à décrire scientifiquement les modifications survenues dans les diverses parties de la construction ; il s'est efforcé, comme il l'a dit lui-même dans le passage suivant, de pénétrer les causes de ces modifications : " Dans l'ouvrage que nous livrons aujourd'hui au public, nous avons essayé non-seulement de donner de nombreux exemples des formes diverses adoptées par l'architecture du moyen âge, suivant un ordre chronologique, mais surtout et avant tout de faire connaître les raisons d'être de ces formes, les principes qui les ont fait admettre, les mœurs et les idées au milieu desquelles elles ont pris naissance. Il nous a paru difficile de rendre compte des transformations successives des arts de l'architecture sans donner en même temps un aperçu de la civilisation dont cette architecture est comme l'enveloppe, et, si la tâche s'est trouvée au-dessus de nos forces, nous aurons au moins ouvert une voie nouvelle à parcourir, car nous ne saurions admettre l'étude du vêtement indépendamment de l'étude de l'homme qui le porte. Or, toute sympathie pour telle ou telle forme de l'art mise de côté, nous avons été frappé de l'harmonie complète qui existe entre les arts du moyen âge et l'esprit des peuples au milieu desquels ils se sont développés. Du moment où la civilisation du moyen âge se sent vivre, elle tend à progresser rapidement, elle procède par une suite d'essais sans s'arrêter un instant ; à peine a-t-elle entrevu un principe qu'elle en déduit les conséquences et arrive promptement à l'abus sans se donner le temps de développer son thème ; c'est là le côté faible mais aussi le côté instructif des arts du XIIe au XVIe siècle. Les arts compris dans cete période de trois siècles ne peuvent, pour ainsi dire, être saisis sur un point ; c'est une chaîne non interrompue dont tous les anneaux sont rivés à la hâte par les lois impérieuses de la logique. Vouloir écrire une histoire de l'architecture du moyen âge , ce serait peut-être tenter l'impossible, car il faudrait embrasser à la fois et faire marcher parallèlement l'histoire religieuse, politique, féodale et civile de plusieurs peuples ; il faudrait constater les influences diverses qui ont apporté leurs éléments à des degrés différents dans telle ou telle contrée, trouver le lien de ces influences, analyser leurs mélanges et définir leurs résultats ; tenir compte des traditions locales, des goûts et des mœurs, des populations, des lois imposées par l'emploi des matériaux, des relations commerciales, du génie particulier des hommes qui ont exercé une action sur les événements, soit en hâtant leur marche naturelle, soit en la faisant dévier ; ne pas perdre de vue les recherches incessantes d'une civilisation qui se forme et se pénétrer de l'esprit encyclopédique, religieux et philosophique du moyen âge. " Cette étude si complexe, si considérable, M. Viollet-le-Duc l'a abordée résolûment et l'a approfondie sur beaucoup de points avec une pénétration, une clairvoyance, une sûreté d'appréciation tout à fait remarquables. Il a montré que le moyen âge, où l'on s'est obstiné si longtemps à ne voir que le désordre, le chaos, avait présenté, pour tout ce qui touche à l'art, le développement le plus rationnel, le plus logique et en même temps le plus fécond. Afin de mieux suivre ce développement dans toutes ses phases et de signaler avec plus de clarté les innombrables changements introduits dans l'art de bâtir par les constructeurs de cette époque, M. Viollet-le-Duc a cru devoir donner à son ouvrage la forme d'un dictionnaire. " Cette forme, en facilitant les recherches au lecteur, nous permet, a-t-il dit, de présenter une masse considérable de renseignements et d'exemples qui n'eussent pu trouver leur place dans une histoire, sans rendre le discours confus et presque inintelligible. Elle nous a paru, précisément à cause de la multiplicité des exemples donnés, devoir être plus favorable aux études, mieux faire connaître les diverses parties compliquées, mais rigoureusement déduites des besoins, qui entrent dans la composition de nos monuments du moyen âge, puisqu'elle nous oblige pour ainsi dire à les disséquer séparément, tout en décrivant les fonctions, le but de ces diverses parties et les modifications qu'elles ont subies ".
Dictionnaire de la Crusca. V. notre préface, page lix.
Dictionnaire étymologique, ou Origines de la langue française, par Ménage. V. notre préface, p. xii
Dictionnaire historique de Moréri. V. notre préface, page xlvii.
Dictionnaire français de Richelet. V. notre préface, page xiii.
Dictionnaire de Furetière. V. notre préface, page xii.
Dictionnaire historique et critique de Bayle. V. notre préface, page xviii.
Dictionnaire de Trévoux. V. notre préface, page xiv.
Dictionnaire chinois, Paï-Wen-Yun-Pou (Le). V. notre préface, page lxiii.
Dictionnaire de la langue castillane. V. notre préface, page lxi.
Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par Diderot et d'Alembert. V. notre préface, page xxiii.
Dictionnaire de la langue anglaise, par Johnson. V. notre préface, page lii.
Dictionnaire philosophique, par Voltaire. V. notre préface, page xxxiii.
Dictionnaire historique portatif, par dom Chaudon. V. notre préface, page xlviiii.
Dictionnaire historique du P. Feller. V. notre préface, page xlviii.
Dictionnaire de la langue française, par Boiste. V. notre préface, page xiv.
Dictionnaire des onomatopées françaises, par Ch. Nodier. V. Onomatopée.
Dictionnaire des homonymes français, par Philippon de la Madelaine. V. Homonyme.
Dictionnaire universel de la langue française, par Gattel. V. notre préface, page xv.
Dictionnaire de la langue française (Nouveau), par Laveaux. V. notre préface, page xv.
Dictionnaire abrégé des sciences, des lettres, des arts, etc., par Courtin. V. notre préface, page xxxvi.
Dictionnaire de la conversation et de la lecture, publié sous la direction de M. Duckett. V. notre préface, page xxxvii.
Dictionnaire bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France, etc., par M. Quérard. V. notre préface, page xxxv.
Dictionnaire étymologique de la langue française, par Roquefort. V. notre préface, page xvi.
Dictionnaire philosophique, scientifique, littéraire et industriel, etc., par P. Leroux et G. Reynaud. V. notre préface, page xxxviii.
Dictionnaire historique des hommes vivants, par Rabbe, etc. V. notre préface, page l.
Dictionnaire de la conversation de Brockhaus. V. notre préface, page lvii.
Dictionnaire universel d'histoire naturelle, par d'Orbigny. V. notre préface, page xl ;
Dictionnaire des sciences philosophiques, publié sous la direction de M. Franck. V. notre préface, page xli.
Dictionnaire universel d'histoire et de géographie, par M. Bouillet. V. notre préface, page xliii.
Dictionnaire français, par M. Dupiney de Vorepierre. V. notre préface, page xlv.
Dictionnaire de la langue allemande, par les frères Grimm. V. notre préface, page lviii.
Dictionnaire des arts et manufactures, par M. Ch. Laboulaye. V. notre préface, page xl.
Dictionnaire général de biographie et d'histoire, etc., par MM. Dézobry et Bachelet. V. notre préface, page xliv.
Dictionnaire des synonymes français, par Lafaye. V. Synonyme.
Dictionnaire universel des contemporains, par M. Vapereau. V. notre préface, page li.
Dictionnaire de la langue française (Nouveau), par Dochez. V. notre préface, page xvi.
Dictionnaire de la langue française, par M. Littré. V. notre préface, page xvi.
Dictionnaire analogique de la langue française, par M. P. Boissière. V. Analogique.
Dictionnaire général de la politique, par M. M. Block. V. notre préface, page xlvi.
Dictionnaire des pseudonymes et des anonymes. V. Pseudonyme.
[G.D.U., t. VI, pp. 755 a - 762 b]