OUVRAGES LEXICOGRAPHIQUES, ENCYCLOPÉDIQUES, BIOGRAPHIQUES

CHEZ LES NATIONS ÉTRANGÈRES

Il nous reste à jeter un coup d'œil sur les travaux encyclopédiques qui ont été entrepris chez les différents peuples du globe : les Anglais, les Allemands, les Italiens, les Espagnols, les Arabes, etc. Ici, nous avons un choix à faire, car les matériaux sont considérables. Dans cette course rapide, nous ne pouvons guère que mentionner sommairement ; toutefois, nous nous arrêterons plus longuement sur le Dictionnaire anglais de Johnson, et sur celui de la Crusca, qui jouissent d'une réputation européenne méritée.

ENCYCLOPÉDIE (the Cyclopedia), par Chambers, publiée en 1728, en 2 volumes in-folio. C'est le premier dictionnaire ou répertoire encyclopédique qui ait paru en Grande-Bretagne. L'auteur, qui avait exercé dans sa jeunesse la profession de fabricant de globes, était un homme laborieux et fort honnête ; mais ce n'était pas un savant. Quoiqu'il en soit, l'idée qu'il avait conçue et qu'il mit courageusement à exécution était féconde, et il lui reste l'honneur d'avoir mis, le premier, la pioche dans un champ vaste et jusqu'à lui inexploré. Son plan fut celui-ci : considérer les diverses matières, non seulement en elles-mêmes, mais analogiquement, dans leurs rapports avec les autres branches. Pour atteindre ce résultat, il imagina un système fort ingénieux de renvois, au moyen duquel les détails accessoires se trouvaient rattachés aux parties principales. Son ouvrage eut cinq éditions en moins de dix-huit années. L'auteur étant mort en 1740, l'Encyclopédie fut revue et augmentée. Le dernier remaniement a été opéré sous la direction du savant docteur Abraham Rees, qui en a publié une édition en 45 vol. in-4°, à laquelle les plus grands écrivains de l'Angleterre se sont empressés d'offrir leur collaboration. Aujourd'hui, en Angleterre, l'Encyclopédie de Chambers est dépassée de bien loin, et son plus beau fleuron est d'avoir suggéré à Diderot l'idée de l'Encyclopédie du XVIIIe siècle. C'est ici le cas de dire, en retournant le beau vers d'Hippolyte :

Et moi, père inconnu d'un si glorieux fils.

DICTIONNAIRE DE LA LANGUE ANGLAISE, par Samuel Johnson, regardé comme le meilleur, peut-être, qui existe dans aucune langue. En 1740, deux libraires de Londres s'associèrent pour l'entreprise d'un dictionnaire qui répondît plus complètement aux besoins de la langue que les ouvrages qui existaient déjà en ce genre, et, sur la recommandation de Warburton, ils chargèrent Johnson de la rédaction de ce vaste travail, qui fut publié en 1755. C'est une œuvre d'un mérite incontestable, et l'on a droit de s'étonner qu'elle soit celle d'un seul homme, quand on pense que, pour l'accomplir, il fallait d'abord se livrer à tant d'études, de lectures, de recherches et de réflexions. Johnson excelle dans l'art si difficile de fixer le sens d'une expression ; ses définitions, nettes, précises, exactes, portent le cachet d'un sens droit, d'une grande sagacité et d'une clarté lumineuse. On admire aussi l'heureux choix de ses exemples, tous empruntés aux poëtes, aux écrivains, aux philosophes et aux théologiens les plus éminents de l'Angleterre. Lui-même avait eu le soin de les choisir et de les souligner dans ces divers auteurs, où ses copistes les transcrivaient ensuite. Tous ces fragments, détachés du corps qui leur donnait le mouvement et la vie, sont néanmoins choisis avec un tel art, un tel goût, que la lecture en est encore attrayante, au point que l'historien Robertson assure qu'il a lu le dictionnaire de Johnson d'un bout à l'autre. Souvent le lexicographe anglais allie l'humour à la gravité de ses définitions, et on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'il le fait avec un rare bonheur. Johnson qui, en sa qualité de tory, détestait Walpole et l'acte de l'excise, dû aux wighs, définit ainsi ce mot : " Excise, taxe odieuse levée sur notre bien-être et décidée, non par les juges naturels de la propriété, mais par des misérables aux gages de ceux à qui elle doit être payée. " Pour lui, une pension est une " redevance payée à qui l'on ne doit rien ; " l'avoine est " une graine qui sert à nourrir les chevaux en Angleterre, et les hommes en Écosse. " Beaucoup d'autres définitions sont empreintes de cet esprit satirique si original chez les Anglais, que Swift et Sterne ont porté à sa dernière perfection. Nous n'en blâmons certes pas Johnson ; il en a usé d'une manière discrète et spirituelle ; mais nous devons faire observer que ces excentricités sont dangereuses à imiter. Quand on se permet d'introduire la plaisanterie dans un sujet sérieux, on est tenu de le faire avec réserve et surtout avec esprit. Malheureusement, il s'est trouvé parmi les lexicographes français des imitateurs maladroits, qui ont justifié une fois de plus l'exclamation d'Horace : O imitatores, servum pecus ! Nous regrettons de rencontrer M. La Châtre au nombre de ceux qui ont voulu marcher sur les traces de l'auteur anglais ; ils croient rire et ils font la grimace. On les a comparés très justement à des éléphants qui essayeraient de danser sur la corde. Nous préférons de beaucoup à toutes ces rapsodies les Pensées d'un emballeur, du Tintamarre.

Une juste place, une place largement méritée, accordée à l'éloge, il nous reste à faire la part de la critique. Le côté faible du dictionnaire de Johnson est la pauvreté des recherches et des études sur la question des étymologies. On reproche avec raison à l'auteur son entière ignorance de la langue anglo-saxonne et des idiomes teutoniques collatéraux. Ne pouvant puiser dans son propre fonds, Johnson en a été réduit à copier dans Skinner et Junius tout ce qui touche à l'origine et à la filiation des mots ; la science philologique fait complètement défaut à son ouvrage. On remarque aussi des erreurs dans la manière dont il a tracé les significations successives de certains mots, et l'on constate l'absence perpétuelle de méthode et de vues philosophiques. Sous ce dernier rapport, M. Todd n'a pas enrichi le dictionnaire de Johnson, bien qu'il l'ait grossi d'additions utiles, jusqu'à en former six volumes in-4°. Le docteur Latham, philologue exercé, a donné une édition plus correcte et plus riche de l'ouvrage du célèbre lexicographe anglais.

Un travail si remarquable et si éminemment utile ne fit pas la fortune de Johnson. Les libraires s'étaient engagés à lui payer une somme de treize cent soixante-quinze livres sterling, sur laquelle il devait indemniser ses collaborateurs ; mais Johnson, qui s'était flatté d'avoir terminé son dictionnaire à la fin de 1750, fut débordé par sa tâche, et ce n'est qu'en 1755, comme nous l'avons dit, qu'il put livrer son travail à l'imprimeur, de sorte qu'il n'en recueillit aucun bénéfice matériel. Mais il en fut amplement dédommagé par la plus flatteuse récompense que puisse ambitionner le véritable homme de lettres, l'illustration et la popularité qui s'attachèrent à son nom. Il put alors, sans être taxé d'orgueil, exprimer les sentiments de légitime fierté qu'il avait dans le cœur, en dépit de ses dehors communs, pour ne pas dire plus, et donner une leçon de dignité à l'un des plus nobles personnages de son temps. Il avait annoncé, dans le prospectus de son dictionnaire, que son œuvre allait paraître sous le patronage de lord Chesterfield, qu'il avait invoqué, mais qui lui fut ensuite poliment refusé. Lorsque Johnson eut attiré sur son ouvrage les regards de toute l'Angleterre, lord Chesterfield voulut revendiquer un honneur qu'il avait dédaigné, et il écrivit lui même dans un journal anglais (le Monde) plusieurs articles excessivement élogieux sur le dictionnaire de Johnson. L'auteur y répondit poliment ; mais sur le temps de la dignité blessée : " Milord, j'ai lu dernièrement dans le Monde deux articles qui recommandent mon dictionnaire au public, et qui sont l'ouvrage de Votre Seigneurie. Très-peu accoutumé aux faveurs des grands, je ne sais ni comment recevoir, ni de quelle manière reconnaître une si honorable distinction. Lorsque de faibles encouragements me décidèrent à aller rendre visite à Votre Seigneurie, je fus maîtrisé, comme tous ceux qui ont l'honneur de vous approcher, par le charme de vos discours. Je conçus, malgré moi, le désir présomptueux de pouvoir me nommer le vainqueur des vainqueurs de la terre. J'espérais obtenir de vous cet intérêt dont je voyais le monde jaloux ; mais mes avances furent accueillies d'une manière si glaciale, que ni la fierté, ni la modestie ne me permirent de les continuer. L'attention que vous avez la bonté d'accorder maintenant à mes travaux, si elle avait été moins tardive, m'eût touché comme une preuve de sympathie ; mais vous avez trop attendu. Sept ans se sont écoulés, milord, depuis le jour où j'ai été repoussé de votre porte ; durant cet intervalle, j'ai poursuivi mon travail à travers des difficultés dont il est superflu de me plaindre, et je l'ai conduit enfin jusqu'à son achèvement sans qu'un seul témoignage de bienveillance ou un sourire de faveur soit venu m'encourager…

" Ce n'est pas un protecteur, milord, celui qui voit avec insouciance un homme se débattre dans les flots, en danger de perdre la vie, et qui, lorsqu'il a atteint le rivage, l'embarrasse d'un secours inutile… J'espère qu'il n'y a point une cynique ingratitude à ne pas reconnaître l'obligation quand on n'a pas reçu le bienfait, ou à ne pas vouloir que le public me considère comme redevable à un protecteur de ce que la Providence m'a rendu capable de faire moi-même. "

Cette lettre était fière et digne, et lord Chesterfield crut rendre malice pour malice à son protégé, en traçant de lui le portrait suivant, qui n'est peut-être pas tout à fait imaginaire, car Johnson, comme beaucoup de savants, d'ailleurs très-estimables, négligeait trop les bienséances sociales, et, par ses manières gauches et maladroites, donnait trop de prise sur lui chez une nation où la respectability joue un rôle si éminent : " Il est un homme, écrit le noble lord, dont je reconnais, j'estime et j'admire le caractère moral, les profondes connaissances et le talent supérieur ; mais il m'est si impossible de l'aimer, que j'ai presque la fièvre quand je le rencontre dans une société. Sa figure, sans être difforme, semble faite pour jeter de la disgrâce et du ridicule sur la forme humaine. Sans égard à aucune des bienséances de la vie sociale, il prend tout, il fait tout à contretemps. Il dispute avec chaleur, sans aucune considération pour le rang, l'état et le caractère de ceux avec qui il dispute. Ignorant absolument toutes les nuances du respect et de la familiarité, il a le même ton et les mêmes manières avec ses supérieurs, ses égaux et ses inférieurs ; et il est, par conséquent, absurde avec au moins deux de ces trois classes de personnes. Serait-il possible d'aimer un tel homme ? Non ; car tout ce que je puis faire est de le regarder comme un respectable hottentot. "

Dans sa biographie de Johnson, Macaulay nous dévoile le secret de la conduite de Chesterfield, si vanté néanmoins pour la politesse des ses manières, à l'égard de l'Aristarque de la langue anglaise. Chesterfield n'eût pas demandé mieux que de recevoir, en patron généreux et délicat, l'auteur de ce dictionnaire que sa plume habile fit mousser en termes irréprochables dans deux articles consécutifs… " Mais c'était lui ouvrir à deux battants les portes de son hôtel, et il ne se souciait pas de voir tous ses tapis souillés de la crotte de Londres, ni ses potages et ses vins répandus à droite et à gauche sur les robes des belles dames et les gilets des beaux messieurs, ses convives, par un savant gauche et distrait, qui avait d'étranges soubresauts et poussait de singuliers grognements, par un malotru qui s'habillait comme ces mannequins destinés à effrayer les corbeaux, par un glouton qui mangeait comme un cormoran. " Ainsi l'humoriste populaire, ce pauvre auteur qui avait dépensé en frais de copistes toutes les guinées octroyées par les libraires, ce dictateur littéraire, que son ami Robertson avait tiré deux fois de la prison pour dettes, ne pouvait être admis dans les salons aristocratiques d'un patron libéral ! Si l'Angleterre meurt un jour de quelque excès, ne succombera-t-elle pas par l'abus du cant et de la respectability.

Le dictionnaire de Johnson avait paru sans dédicace, mais avec une préface où l'auteur déclare franchement qu'il ne doit rien aux grands ; il y raconte les difficultés contre lesquelles on l'avait laissé lutter seul, en termes si nobles et si touchants à la fois, que le plus habile et le plus malveillant des ennemis de sa renommée, Horne Tooke, ne pouvait jamais lire ce morceau sans verser des larmes. " En cette occasion, dit Macaulay, le public rendit pleine justice à Johnson, et quelque chose de plus que la justice. Le meilleur lexicographe peut s'estimer heureux lorsque ses travaux sont accueillis avec une froide estime ; mais le dictionnaire de Johnson fut salué avec un enthousiasme comme jamais pareil ouvrage n'en a excité. C'était, il est vrai, le premier dictionnaire qu'on pût lire avec plaisir. " Les défauts, les travers personnels de l'homme sont passés, il y a longtemps qu'on n'y songe plus ; mais son œuvre n'a pas cessé d'être le meilleur code de la lange anglaise.

Johnson était d'une excessive modestie, et il ne faisait nulle difficulté d'avouer qu'un lexicographe ne peut pas tout savoir, et que, sur bien des points, il est obligé de s'en rapporter à des autorités qu'il croit dignes de toute confiance, mais qui, comme lui, ne sont pas infaillibles. Une dame lui demandait un jour, sans doute à propos d'un détail de pot-au-feu, comment il avait pu donner une définition des plus erronées : " Par pure ignorance, madame, par pure ignorance. " A notre vis, il n'y a que les hommes supérieurs qui soient capables d'un aveu empreint d'une semblable franchise. "

NOUVEAU DICTIONNAIRE UNIVERSEL DES ARTS ET DES SCIENCES, de Barrow. Cet ouvrage, publié de 1751 à 1754 simultanément avec la grande Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, fut mis largement à contribution par les encyclopédistes français. C'est égal, c'était la mise en pratique du vieux proverbe retourné : le riche empruntait au pauvre.

ENCYCLOPÉDIE BRITANNIQUE, publiée à Edimbourg, en 1771, par William Smellie, 4 vol. in-4°. L'imprimeur-éditeur, homme très-habile et très-lettré, annonçait dans son prospectus que les arts et les différentes sciences seraient exposés dans ses traités particuliers. Cette idée n'était pas nouvelle, car elle avait déjà été mise en pratique par Coetlogon. C'était l'idée mère de Un million de faits et de Patria, venus soixante-dix ans après, mais bien inférieurs à leur modèle. On dit que les Français inventent et que les Anglais perfectionnent. Ici, malheureusement, nous n'avons été ni inventeurs ni perfectionneurs, car les malheureux avortons dont nous venons de parler n'ont aucune valeur scientifique. La seconde édition de l'Encyclopédie britannique, commencée en 1776, fut augmentée de 10 vol., et l'on y fit entrer la biographie et l'histoire. La troisième édition, terminée en 1797, compta 18 vol. enrichis de traités spéciaux de grammaire et de métaphysique dus au révérend docteur Gleig, ainsi que d'importants articles sur la mythologie, les mystères et la philologie, par le docteur Doig, et sur les sciences physiques, par le savant professeur Robinson. Cependant, grâce à la faveur méritée dont jouissait cette encyclopédie, une quatrième édition, jugée nécessaire, fut publiée sous la direction du docteur James Miller (1810). Cette dernière édition contenait d'admirables traités scientifiques dus à la plume savante du professeur Wallace. Enfin, le libraire Constable conçut l'idée d'un important supplément, dont il confia l'exécution au professeur Macvey Napier. Les hommes les plus éminent de France et d'Angleterre contribuèrent à ce supplément, parmi lesquels nous mentionnerons : Dugald-Stewart, Playfair, Jameson, Leslie Mackintosh, le docteur Thomas Thompson, Walter Scott, Jeffrey, Ricardo, Malthus, Mill, Wallace, Thomas Young, Biot, Arago, etc. Ce supplément, comprenant 6 forts vol., fut complété en 1824. Six années plus tard, la propriété de l'Encyclopédie ayant passé aux mains de MM. Adam et Charles Black, une refonte générale de l'ouvrage fut décidée, dans laquelle devaient entrer les articles du supplément et les principaux traités de la dernière édition, revus, corrigés et mis au courant de la science. M. Napier, choisi pour diriger cette nouvelle édition, s'adjoignit dans ce travail le docteur James Browne et de nombreux et importants articles furent demandés à des savants tels que sir David Brewster, M. Galloway, le docteur Traill, le docteur Roget, le docteur John Thomson, M. Tytler, le professeur Spalding, M. Moir, etc. Cette œuvre nationale, comme on l'a justement surnommée, fut complétée en 1842. Elle comptait alors 21 vol. En 1859, une dernière édition a été entreprise sous la direction du professeur Traill ; elle est aujourd'hui achevée et renferme des articles fort remarquables, sortis de la plume des premiers écrivains anglais, entre autres de Macaulay et de M. de Quincey. L'ordre alphabétique a été adopté dans cette édition, qui, on le comprend, n'a plus aucun rapport avec l'Encyclopédie de Smellie. Elle ressemble au couteau de saint Hubert, aux pantoufles d'Abou-Cassem et au fameux navire Argo. Saint Hubert, Cassem, Jason et Smellie reviendraient en ce monde, qu'ils ne reconnaîtraient certainement plus leur propriété. En sera-t-il ainsi du Grand Dictionnaire en l'an 2000, quand il sera allé où va toute chose,

Où va la feuille de rose
Et la feuille de laurier ?

NOUVEAU DICTIONNAIRE UNIVERSEL DES ARTS ET DES SCIENCES, dirigé par Rees ; 45 vol.-in-4°, dont 6 de planches, 1802-1819. Cet ouvrage est surtout remarquable par son exécution typographique. Rees avait achevé l'Encyclopédie de Chambers de 1743 à 1825 ; cet apprentissage lui fut d'un grand secours dans sa nouvelle entreprise.

ENCYCLOPÉDIE MÉTROPOLITAINE, publiée à Londres de 1815 à 1846. Cet ouvrage qui fut annoncé comme édifié sur un plan nouveau, embrasse le cercle entier des connaissances humaines, et allie très-heureusement l'ordre philosophique au classement alphabétique. Il comprend cinq divisions : 1° sciences pures ; 2° sciences mixtes et appliquées ; 3° biographie et histoire ; 4° lexicographie ; 5° articles divers. Coleridge a enrichi cet ouvrage d'ingénieux articles philologiques, et Arnold, de recherches historiques remarquables.

DICTIONNAIRE DE LA LANGUE ANGLAISE de Webster. Entrepris en 1807, cet ouvrage ne fut livré à l'impression qu'en 1828. C'est un travail considérable, où l'on trouve quarante-deux mille mots environ, qui manquent aux autres dictionnaires anglais. L'édition de Londres, 1830-1832, reçut de notables améliorations. On peut faire au Dictionnaire de Webster le même reproche qu'au Lexique de Johnson : exact pour l'explication des mots, il laisse beaucoup à désirer pour la partie étymologique.

ENCYCLOPÉDIE D'EDIMBOURG, publiée par sir David Brewster et terminée en 1830. Elle comprend 18 vol. in-4°, et contient des articles très-remarquables. Elle a obtenu un grand succès, grâce à l'intelligente activité de son savant éditeur.

ENCYCLOPÉDIE de Lardner, en 132 vol. in-8°, publiée à Londres de 1829 à 1846. C'est une collection de soixante-deux ouvrages divers sur la physiologie, les arts et manufactures, la philosophie, la biographie, l'histoire, rédigés par les écrivains et les savants les plus illustres de l'époque. Chaque sujet spécial est traité en un ou plusieurs volumes. Cette encyclopédie est une bibliothèque, mais non un dictionnaire. Les parties les plus remarquées sont : L'Histoire populaire d'Angleterre par sir James Mackintosh, l'Histoire d'Ecosse et d'Irlande par Walter Scott et Moore, et celle des Républiques italiennes par Sismondi. Sir John Herschell a rédigé pour cette Encyclopédie un discours sur la physiologie et un traité d'astronomie, et sir David Brewster une histoire de l'optique. Quelques parties des sciences naturelles sont bien traitées, mais l'ensemble de cette science est assez défectueux et dépare l'ouvrage.

Enfin, nous ne devons pas oublier, malgré ses modestes prétentions, la Penny Cyclopedia (Encyclopédie à deux sous), ainsi nommée parce que chaque livraison se vend un penny, ce qui a permis à cette publication estimable de pénétrer jusqu'au sein des classes les moins favorisées et d'y répandre l'instruction et la moralisation. Les publicistes anglais l'ont nommée la meilleure des sociétés de tempérance. En effet, l'homme qui cherche à s'élever au-dessus de sa condition par le travail intellectuel n'a pas besoin de prédicateur ; la misère ne saurait l'atteindre, et souvent il arrive à la fortune. Pourra-t-on en dire autant de cette publication de pacotille que l'on voit s'étaler en ce moment, chez nous, à la devanture de tous les petits libraires interlopes, publication à 10 centimes où pullulent à chaque page les erreurs les plus grossières, où les fils naissent avant leurs pères, où certains personnages sont nommés sénateurs cinq ans après leur mort, et où le style, les caractères, les vignettes et le papier le disputent aux magnificences typographiques du Messager boiteux de Strasbourg ? A cette question, Jean Journet eût pu répondre hardiment : Non, sans craindre cette fois de passer pour un faux prophète.

En Allemagne, nous ne trouvons pas de dictionnaire purement lexicographique qui fasse véritablement autorité, qui se soit élevé à la hauteur d'une langue nationale, comme le Dictionnaire de l'Académie en France, celui de la Crusca en Italie, celui de Johnson en Angleterre. On croirait volontiers que le génie allemand se serait senti mal à l'aise dans un genre de travail où il faut avant tout de l'ordre, de la méthode, de la clarté et de la précision ; mais, en revanche, le pays où les philosophes et les érudits semblent pousser en plein vent a donné naissance à une foule d'ouvrages encyclopédiques. Là, l'écrivain a les allures plus franches ; il peut donner plus facilement carrière à sa plume, et se lancer avec plus d'assurance dans la théorie et les systèmes si chers à la savante Allemagne ; mais il y a place pour tout dans les encyclopédies d'outre-Rhin, et à côté du développement des idées spéculatives, se déroule une immense série de connaissances usuelles et positives, dont l'exposition est parfaitement adaptée aux besoins des lecteurs auxquels chaque ouvrage s'adresse plus spécialement.

La première encyclopédie allemande remonte au milieu du dix-huitième siècle. De 1732 à 1750, Zedler publia d'abord à Halle, puis à Leipzig, un Lexicon en 64 volumes, intitulé Grosses vollständiges universal Lexicon aller Wissenschaften und Künste (Grand Dictionnaire universel et complet de toutes les sciences et tous les arts). Un supplément de 4 volumes parut de 1751 à 1754. Au reste, ce travail n'avait qu'une valeur médiocre, excepté toutefois ce qui se rapporte à la partie généalogique, que l'on peut encore aujourd'hui consulter avec fruit.

Ce premier essai ne tarda pas à être suivi de plusieurs autres ouvrages du même genre, aux quels il servit de modèle, mais qui n'occupent qu'un rang très secondaire dans l'histoire de la littérature allemande. Nous citerons, entre autres, l'Allgemeines Lexikon der Künste und Wissenschaften (Lexique universel des arts et des sciences de Jablonsky, qui fut terminé à Koenigsberg, en 1767, par Schwabe, qui y introduisit un grand nombre de changements ; l'Oekonomisch und technologische Encyklopädie (Encyclopédie économique et technologique) de Krünitz, Berlin, 1773, travail qui fut achevé par Fréd. Jack et Gast. Flörke, et, enfin l'ouvrage de Köster, dont 23 volumes seulement parurent sous ce titre : Deutsche Encyklopädie oder allgemeines Wörterbuch aller Künste und Wissenschaften (Encyclopédie allemande ou Dictionnaire universel des arts et des sciences), Francfort, 1778-1804. Hübner avait également fait paraître un Zeitungs und Conversations Lexicon, ouvrage qui paraît avoir assez bien répondu aux principaux besoins de l'époque, mais ce n'est qu'en 1796 que le docteur Loebel comprit qu'une foule de détails appartenant aux différentes sciences étaient passés dans le domaine public et devaient être résumés de manière à satisfaire la tendance universelle des esprits ; le goût de la conversation s'était propagé partout, et la femme comme l'homme, l'ignorant comme le savant, voulaient prendre leur part au banquet intellectuel et demandaient des matières générales sur tous les sujets. Hübner rédigea donc sur un plan entièrement nouveau son lexicon, qu'il intitula : Conversations-Lexicon mit vorzüglicher Rücksicht auf die Gegenwärtigen ). L'auteur choisit, parmi toutes les connaissances d'alors, celles qui présentaient un intérêt générale et qui paraissaient suffire aux besoins ordinaires de la conversation. Un tel plan était encore bien restreint, et le niveau des esprits, qui s'élevait chaque jour, ne tarda pas à en faire ressortir l'insuffisance ; les appétits intellectuels ne trouvèrent plus des aliments assez abondants dans l'œuvre de Hübner. C'est alors, en 1818, que le libraire Enoch Richter à Leipzig, et les professeurs Ersch et Gruber à Halle, entreprirent la première grande encyclopédie allemande, en 38 volumes ; leur exemple fut bientôt suivi, et l'éditeur Brockhaus publia la première édition de ses Conversations-Lexicon. Citons encore le grand et magnifique ouvrage de Hegel : Encyclopédie des sciences philosophiques, et le travail de Kaltschmidt : Dictionnaire étymologique et synonymique de la langue allemande et des mots étrangers qu'elle contient. Le titre seul de ces deux ouvrages en indique suffisamment la nature.

De nos jours, une encyclopédie fort en vogue est celle de Pierer ; publiée à Altenburg. Elle est entièrement achevée, et se distingue surtout par la partie scientifique, qui a été traitée avec beaucoup de soin. Celle de Meyer, qui est en cours de publication à Hildburghausen, ne manifeste aucune tendance particulière, ne porte aucun cachet d'originalité ; c'est une pure entreprise commerciale. Elle cherche du reste, à être aussi complète que possible, et s'assimile toutes les parties dominantes des œuvres antérieures ; elle est arrivée aujourd'hui à la lettre M. Nous mentionnerons enfin, pour mémoire, un ouvrage encyclopédique publié en ce moment à Ratisbonne par une société de savants ; il n'en a paru que quelques livraisons, qui laissent entrevoir une tendance catholique très-accusée.

Dans cette revue à vol d'oiseau des œuvres enfantées par la docte et laborieuse Allemagne, il en est deux surtout qui méritent de fixer l'attention. Nous n'avons fait que les signaler en passant, pour ne point interrompre l'ordre chronologique ; mais nous allons revenir un instant sur nos pas, pour leur accorder un examen plus proportionné à leur importance ; nous voulons parler de l'Encyclopédie de Ersch et Gruber, et du Conversations-Lexikon de Brockhaus.

ENCYCLOPÉDIE UNIVERSELLE DES SCIENCES ET DES ARTS (Allgemeine Encyklopädie der Wissenschaften und Künste), commencée par Ersch et continuée par Gruber (Leipzig, 1818, in-4°). Cette encyclopédie, dont les 38 volumes sont accompagnés de planches explicatives, est l'oeuvre la plus considérable en ce genre qui ait vu le jour en Allemagne. Respirant enfin après les longues guerres qui ensanglantèrent la fin du XVIIIe et le commencement du XIXe siècle, la patrie de tant d'hommes dont la mémoire est chère aux amis des arts et des sciences voulut utiliser noblement les loisirs de la paix continentale pour produire un ouvrage analogue au travail de d'Alembert et de Diderot en France, aux compilations de Chambers et de Rees en Angleterre, émulation généreuse dont n'eurent qu'à se glorifier la civilisation et le progrès. Embrasser dans un vaste ensemble l'immense domaine de nos connaissances, en coordonner les diverses parties, les distribuer suivant l'ordre alphabétique et dans leur état actuel, confier à chaque branche à des écrivains d'une compétence incontestée, donner plus de développement à la partie biographique, et surtout se placer à un point de vue élevé et indépendant qui dominât tout l'ouvrage : telle fut la tâche difficile que s'imposèrent les éditeurs. Le dictionnaire de Zedler avait vieilli, et son cadre, restreint à un choix d'articles de pur amusement et de distraction, était loin de répondre aux exigences d'une véritable encyclopédie. Ensuite était venue la guerre, qui avait empêché les savants allemands de se recueillir et de mettre en commun leurs patientes investigations.

L'Encyclopédie de Ersch et de Gruber devait renfermer tous les objets de connaissance, tous les sujets sur lesquels s'exerce l'intelligence humaine ; elle devait expliquer sommairement les termes techniques, traiter à fond, et dans une mesure satisfaisante, tous les points importants, et au besoin, renvoyer aux sources pour une plus ample information. Conformément à un vœu unanime, la place réservée aux sciences spéculatives se rétrécit, afin de laisser une marge plus étendue aux sciences et aux arts susceptibles d'une étude plus générale et plus fréquente, par ce qu'ils présentent une utilité plus incontestable, et qu'ils ont dans le cours de la vie une plus grande portée pratique. Les directeurs de l'Encyclopédie accordèrent une place d'honneur aux articles d'histoire pour cette raison, que l'histoire intéresse et instruit par elle-même, et qu'elle éclaire souvent le domaine des sciences spéculatives. Ils s'attachèrent, eux et leurs auxiliaires, à traiter succinctement la matière de leur travail, en prenant pour base les principes et les éléments de chaque ordre de connaissances.

Toutefois, il faut bien reconnaître que leur zèle a été maintes fois trahi en fait de clarté, et personne ne s'étonnera en France, si des érudits et des philosophes allemands sont restés obscurs et énigmatiques. Si le sphinx de la Fable se cache encore aujourd'hui quelque part, c'est bien dans cette détestable phraséologie que le fiat lux de la Genèse suffirait à peine à illuminer.

Pour les sciences naturelles, les auteur de l'Encyclopédie ont adopté la classification de Linné, mais en se limitant aux espèces les plus remarquables. Quant aux sciences spéculatives, dont le terrain mouvant prêtait à une grande divergence de vues, on a conjuré le danger, autant que possible, en les traitant de préférence au point de vue historique. Sans cette précaution, l'encyclopédie allemande n'était qu'un chaos.

Le discours préliminaire, qui ouvre le deuxième volume, est dû à la plume de M. Gruber. C'est une introduction savante, présentant un tableau synthétique et historique des connaissances humaines, et qui forme le fronton imposant d'un majestueux édifice. Aujourd'hui l'Encyclopédie de Ersch et de Gruber présente un défaut capital, c'est de n'être plus à la hauteur de la science actuelle.

DICTIONNAIRE DE LA CONVERSATION (Conversations-Lexikon), de Brockhaus. Cet ouvrage, dont la onzième édition, récemment publiée, comprend quinze volumes, est devenu le type de tous les répertoires des connaissances humaines, cataloguées et exposées par ordre alphabétique. On l'a reproduit ou contrefait aux Etats-Unis ; en France, on l'a imité, en lui empruntant jusqu'à son titre. Le Dictionnaire de la Conversation, de Brockhaus, occupe incontestablement la première place parmi les recueils élémentaires et substantiels qui ont pour but la diffusion des connaissances usuelles et leur application, dans une sphère plus étendue, à tous les états et à toutes les classes de la société. Ce grand ouvrage, quoique imparfait encore, a acquis une haute valeur dans la littérature allemande, parce que chaque génération l'a rajeuni, et que des éditions successives l'ont mis au niveau du progrès historique et du développement scientifique du siècle.

Cette méthode, qui est la seule rationnelle, a permis d'ajouter correction sur correction, sans préjudice des changements importants qu'imposent et la marche du temps et le besoin d'une culture intellectuelle plus élevée. Toute encyclopédie doit compter avec deux ordres d'éléments qu'elle s'assimile : le fait accompli et le fait en évolution, la notion acquise et la conjecture. Quand l'avenir est devenu le passé ou le présent, et que l'hypothèse et même le paradoxe sont inscrits au compte courant des vérités réelles, la perspective se prolonge, l'horizon s'agrandit, et la tâche est à recommencer. D'ailleurs, une génération nouvelle est là, qu'il faut satisfaire.

C'est ce qu'a parfaitement compris le savant et judicieux éditeur allemand, en faisant subir à son immense travail une transformation conforme aux besoins actuels de la science, qui tend à se démocratiser, ou, pour mieux dire, à se généraliser.

Chacun des départements scientifiques constituant l'enseignement positif et réel y est traité avec l'attention qu'il réclame ; tout cet ensemble a reçu des améliorations notables portant sur chaque branche. La partie qui embrasse le terrain de la vie idéale, c'est-à-dire la religion, la théologie, le culte, les sciences philosophiques, les beaux-arts, la littérature, y forme un domaine des plus riches. Les écrivains les plus remarquables ont payé leur tribut à l'exécution de ce travail, et la direction a exercé un contrôle sévère tant sur l'admission des articles nouveaux que sur le complément des anciens.

Le Lexique de la Conversation se trouve répandu à près de 250,000 exemplaires, tant en Allemagne que dans les autres contrée de l'Europe et du reste du monde. Un succès de cette importance, sans égal dans les fastes de la littérature est un témoignage irrécusable en faveur du mérite intrinsèque de l'œuvre, comme aussi en faveur de la civilisation. Les imitateurs étrangers qui ont cherché à substituer à cette encyclopédie des plagiats patents ou dissimulés, auraient dû comprendre que le moyen de la supplanter n'était autre que celui de la surpasser. Le plus juste éloge que l'on puisse faire du Lexique de la Conversation, c'est de l'appeler la Bibliothèque de la famille et le Trésor littéraire des gens du monde. Malheureusement la langue allemande n'est pas un idiome universel.

Ici se termine notre revue des travaux encyclopédiques en Allemagne, où les idées théologico-philosophiques poussent comme l'herbe sur un sol généreux ; malheureusement il n'en est pas ainsi pour la spécialité qui nous occupe ; nos investigations restent sans objet,

Et le combat finit faute de combattants.

Cependant, nous éprouvons le besoin de revenir un peu sur nos pas. Au début de cette revue germanique, nous avons déploré l'absence d'un dictionnaire de la langue, d'un dictionnaire vraiment national. Eh bien, une œuvre de ce genre est en train de naître à Leipzig, c'est le Dictionnaire des frères Grimm, commencé en 1850, continué par les docteurs Rudolf Hildebrand et Carl Weigand, et dont le cinquième volume est aujourd'hui en cours de publication. Ces savants laborieux ont voulu couronner leur carrière par un grand travail lexicographique, et doter leur patrie d'un dictionnaire qui fût, en quelque sorte, le résumé des recherches de leur vie entière. Dans un pays comme l'Allemagne, où pas une Académie, quels que soient ses titres, n'a pu imposer ses décisions au langage ; où personne ne veut se soumettre, nous ne dirons pas au joug, mais à la direction d'un corps savant, quelque illustre qu'il puisse être ; où aucune règle générale ne peut prévaloir sur la forme individuelle que chacun veut donner à sa pensée ; où, en matière de style et de littérature, le seul mérite personnel des écrivains réussit à constituer une autorité ; où Leipzig ne le cède pas volontiers à Francfort, Francfort à Heidelberg, Heidelberg à Iéna, Iena à Berlin, etc. ; il n'y avait peut-être qu'un seul moyen de composer un dictionnaire dans le sens rigoureux de ce mot, un Thesaurus linguae germanicae, c'était d'invoquer, à l'appui de chaque mot, de chaque expression, tous les écrivains connus, acceptés, incontestés, à partir du moment où la langue se trouve définitivement fixée, c'est-à-dire depuis la Réforme. En effet, c'est à Luther, c'est à sa traduction de la Bible que revient l'honneur d'avoir fixé une langue jusque-là flottante, incertaine, divisée de province à province. C'est lui qui a commencé à la régulariser, en donnant une prééminence manifeste au dialecte qu'il avait choisi, et qu'il devait élever à un degré de pureté inconnu jusqu'à lui. Luther a créé ainsi le haut allemand, qui est resté la langue littéraire, la langue des auteurs ; c'est Luther qui se place à la tête de cette longue suite d'écrivains en tout genre, théologiens, poëtes, philosophes, naturalistes, historiens, romanciers, dont les œuvres demandaient à être fouillées pour fournir les matériaux propres à l'édification d'un dictionnaire national allemand. C'est ce qu'ont entrepris les frères Grimm, avec le concours empressé et unanime de leurs nombreux amis. Dans cet ouvrage, le XVIe, le XIIe, le XVIIIe et le XIXe siècle sont également mis à contribution. Chaque mot est présenté sous ses diverses acceptions et ses différentes formes, depuis l'époque où il a été introduit dans la langue écrite jusqu'à nos jours. Chacune de ces acceptions est déterminée par la synonymie et par le terme correspondant de la langue latine, ou même, au besoin, de tout autre idiome plus propre à préciser exactement la nuance ; à la suite viennent, par ordre chronologique, les nombreux exemples en vers ou en prose, qui établissent et justifient cette acception. Les patois, ou pour mieux dire les dialectes provinciaux, sont également cités, lorsqu'ils ont été introduits dans la langue littéraire par un poëte, comme Uhland, ou élucidés par un travail philologique, comme le Dictionnaire bavarois de Schmeller. Exécuté à ce point de vue, avec le soin scrupuleux qu'y apportent les auteurs, et qui, dans une pareille œuvre, est la qualité supérieure, essentielle, un semblable dictionnaire est appelé à réunir tous les avantages des dictionnaires renommés de la Crusca, de l'Académie française et de l'Académie royale de Madrid.

C'est déjà beaucoup que de donner un dictionnaire complet de cette langue allemande, si riche en mots composés, et que sa constitution même entraîne incessamment à la création de termes nouveaux. La justification de chacune des expressions, comme nous venons de le dire, par des citations empruntées aux meilleurs écrivains depuis le XVIe siècle, atteste une immense lecture, une prodigieuse érudition ; et cependant, ces parties si remarquables du travail des frères Grimm n'en sont pas les plus intéressantes. Ce qui est incontestablement plus neuf et plus curieux, au point de vue philologique, c'est d'abord la comparaison de tous les mots, soit radicaux, soit composés anciens, avec les formes qu'ils ont revêtues dans les divers idiomes germaniques et scandinaves, le gothique, l'ancien et le moyen haut allemand, l'anglo-saxon, le hollandais, le flamand, le frison, le danois, le suédois, l'islandais, etc. Parfois même les radicaux sont ramenés à un type primitif, le sanscrit, ou comparés à leurs analogies dans la famille slave, qui se rapproche plus des idiomes germaniques que de la branche celtique. En second lieu, c'est la recherche des analogies d'idées, qui, chez les peuples de la race indo-germanique ou plutôt indo-européenne, ont créé des expressions semblables dans les idiomes différents ; recherche qui, en montrant la marche de l'esprit humain dans la formation des langues, éclaire une des phases les plus curieuses de l'histoire du langage. Nous pouvons en citer ici un exemple assez frappant. En recherchant l'origine du mot bei (apud), MM. Grimm ont été amenés à un radical qui doit être bau, représentant l'idée de culture et d'habitation. Ce mot bei a pour équivalent dans les langues scandinaves le mot hos, dérivé de haus, maison, et, en français, le mot chez, dérivé de casa. Nous pouvons justifier cette assertion en ajoutant que, dans la plus grande partie du Poitou, on désigne les fermes, les métairies, et en général les habitations isolées, par le mot chais, auquel on ajoute le nom du propriétaire primitif, le chais Pierre, etc. Ce fait se reproduit aussi en Bretagne et dans le Bordelais, où ce mot chais exprime l'idée d'un bâtiment en général. - En résumé, si le dictionnaire des frères Grimm est un ouvrage indispensable aux Allemands, il est en outre destiné à rendre un immense service aux philologues qui étudient les origines germaniques de la langue française. Jusqu'à ce jour, en effet, ils sont allés puiser leurs étymologies dans les glossaires surannés de Wachter, Schiller, Haltaüs, Scherz, etc., ouvrages arriérés qui fourmillent d'erreurs et ne sont guère plus estimés à l'étranger que celui de Bullet en France, pour les origines celtiques. Le nouveau dictionnaire leur fournira un guide sûr pour ces recherches délicates où il est d'autant plus facile de faire fausse route, que souvent une ressemblance de sons tout à fait trompeuse conduit à une étymologie erronée et fait rejeter la véritable. Ce ne sera p as là un des moindres services rendus par les frères Grimm à la philologie comparée, qui leur est déjà redevable de tant de travaux justement estimé.

Ces réflexions sont en partie empruntées à un article de M. Michelant, publié en 1854 dans une revue alsacienne. Aujourd'hui (1865), le Dictionnaire de la langue allemande en est arrivé à la première moitié de la lettre K ; ainsi, voilà un dictionnaire qui ne présente aucune des nombreuses parties neuves qui se trouvent dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, et trente années suffiront à peine à sa complète édification. N'y a-t-il pas là de quoi donner à réfléchir aux impatients qui nous harcèlent de leurs réclamations, et qui, trop pressés de jouir, ressemblent à cet enfant qui tirait chaque matin le brin d'herbe croissant trop lentement à son gré ? Laissons à la jeune plante le temps de grandir, si nous voulons la contempler plus tard dans toute sa vigueur et toute sa beauté.

Disons en terminant que le Dictionnaire de la langue allemande offre une innovation des plus heureuses : le caractère gothique bâtard qui présentait une sis singulière anomalie au XIXe siècle, est remplacé, pour la première fois, par le caractère romain, presque universellement usité aujourd'hui. C'est un acheminement vers cette langue universelle, que rêvent à notre époque, toutes les intelligences élevées, tous les esprits généreux.

VOCABULAIRE DE LA CRUSCA, publié à Florence en 1612. Plusieurs essais de lexicographie avaient précédé, en Italie, cette remarquable publication : en 1536, le Napolitain F. Luna avait donné le Vocabulaire de cinq mille mots toscans, tirés de Pétrarque, Dante, Boccace et du Roland furieux ; mais les définitions étaient si étranges, qu'un autre vocabulaire n'eût pas été inutile pour les expliquer. En 1543, Albert Accarisio fit oublier cette ébauche informe par un lexique qui ne tarda pas à être effacé à son tour par le grammairien ferrarais Alunno, qui publia son Dictionnaire des Richesses de la langue vulgaire. En 1549, Corso fit paraître ses Fondements de la langue toscane, ouvrage tout théorique, il est vrai, mais le meilleur qui eût paru jusqu'alors. Enfin, Pergamini de Fossombrone composa son Mémorial de la langue italienne. Mais un véritable dictionnaire de la langue vulgaire manquait encore, et ce qui le fit naître ne fut ni un besoin d'unité politique, ni une nécessité littéraire, mais une rivalité municipale et l'esprit de parti qui divisait les diverses provinces italiennes. Le sentiment de beaucoup de Florentins était qu'on ne pouvait ni parler ni écrire la langue italienne avec élégance, à moins d'être né en Toscane, où les abeilles portaient le miel sur les lèvres des enfants comme jadis sur celles de Platon. A cette époque, on déterra par hasard dans une bibliothèque de Padoue le livre de Dante sur l'Éloquence vulgaire. La découverte de ce livre, où Dante paraissait soutenir que l'italien pur était commun à toutes les parties de la péninsule, raviva cette ancienne question : si, en dehors de l'idiome toscan, n'avait pas existé une langue dont cet idiome avait seul conservé la bonne tradition, et que Dante distinguait de la langue populaire, affirmant que cette ancienne langue appartenait à toutes les cités et qu'elle n'était le privilège exclusif d'aucune. Les Toscans soutinrent avec ardeur l'hypothèse favorable à leurs prétentions, et, pour légitimer leur dictature, l'Académie de la Crusca, de Florence, conçut le dessein de publier un dictionnaire. Fondée à Florence en 1582, cette Académie avait pris son nom du mot italien crusca, son, partie grossière du grain qui reste sur le tamis quand la farine est blutée ; sa devise était un blutoir surmonté de ces mots : Il piu bel fior ne coglie (Il en recueille la plus fine fleur). On ne pouvait indiquer plus clairement la fin qu'on se proposait : épurer la langue toscane, en séparer la fleur du son. Les académiciens saisirent aux cheveux l'occasion que leur présentaient ces rivalités municipales ; le dictionnaire fut entrepris, et la première édition parut en 1612. Mais une œuvre exécutée au milieu de telles luttes devait soulever contre elle beaucoup de mécontentement. Les académiciens de la Crusca avaient prétendu rédiger le code de la langue italienne ; les mots accueillis par eux devaient être les seuls légitimes ; ceux qu'ils n'avaient point admis devaient être proscrits. En conséquence, un grand nombre d'esprits jaloux et scrutateurs s'étudièrent à éplucher le nouveau vocabulaire : on nota les définitions peu exactes, on découvrit des erreurs, on remarqua des omissions ; enfin, on avait à cœur de donner un démenti à la devise ambitieuse : Il en recueille la plus fine fleur. Parmi les mécontents figurèrent Cittadini, Fioretti, J.-B. Doni, Jules Ottonelli et Alexandre Tassoni. Mais le plus violent fut Paul Bem, qui publia l'Anti-Crusca. C'était le romantique de cette époque, et il cherchait à démontrer que le Dictionnaire de la Crusca dédaignait de s'approprier les richesses de la langue italienne du XVIe siècle. Les académiciens ne répondirent ostensiblement à aucune critique. Ils firent mieux : ils profitèrent de toutes et entreprirent une seconde édition, qui parut en 1623. Une nouvelle statistique de leurs erreurs fut immédiatement dressée ; les courageux bluteurs reprirent leur toile de Pénélope, et une troisième édition, beaucoup plus complète, fut publiée en 1691, cette fois en 3 vol. au lieu d'un tome unique. C'est seulement dans cette troisième édition que le Dictionnaire de la Crusca admit, pour la première fois, au nombre des auteurs classiques italiens le Tasse, dont la Jérusalem délivrée avait été qualifiée par lui de lourde et froide compilation, écrite d'un style inégal et barbare, et ne rachetant par aucune beauté ses innombrables défauts. Ajoutons, pour expliquer cette sentence presque sacrilège, que le Tasse était napolitain, et qu'il avait passé la plus grande partie de sa vie à Ferrare.

De nouvelles critiques surgirent, et il en naquit une quatrième édition en 6 vol., qui parut de 1729 à 1738. Cependant l'œuvre restait encore imparfaite : il y avait des erreurs ; des vocables exprimant soit des idées nouvelles, soit des découvertes de la science, n'y figuraient pas, et le Dictionnaire de la Crusca n'était point encore ce répertoire de toutes les richesses de la langue italienne, que les savants académiciens avaient eu la prétention de léguer à leur pays. Toutes ces lacunes furent courageusement signalées par l'illustre poëte Monti, qui, avec son gendre Perticari de Pesaro, composa un ouvrage intitulé : Projet de diverses corrections et additions au Vocabulaire de la Crusca, livre qui dénote de profondes connaissances en philologie et en grammaire. Dans une lettre au marquis Trivulzio, qui sert d'introduction au Projet, Monti relève les nombreux défauts du dictionnaire et montre la nécessité de le corriger d'une foule d'erreurs, de l'enrichir d'un grand nombre de mots et d'en faire disparaître une multitude d'idiotismes, de proverbes vulgaires et de termes altérés. Il expose ses principes sur la nécessité d'un langage commun à tous les peuples de l'Italie, et sur une distinction nette à établir entre la langue parlée et la langue écrite. Monti base ses arguments sur l'ouvrage de son gendre Perticari, intitulé : Des Écrivains du XIVe siècle, où l'auteur cherche à concilier les deux écoles, celle des libertini et celle des puristi, qui divisaient l'Italie au commencement de ce siècle. La dernière édition du dictionnaire des académiciens della Crusca a été publiée à Venise en 1763.

Quoi qu'il en soit de ces querelles, le mérite le plus remarquable du Dictionnaire de la Crusca, c'est sa grande richesse en exemples choisis avec une rare sagacité et puisés aux sources les plus pures ; et, aujourd'hui encore, ce lexique jouit de la réputation méritée d'être le répertoire par excellence de la langue italienne. Malgré ce succès, quelques provinciaux endurcis -- il en est aussi en Italie -- reprochent au Dictionnaire de la Crusca ce qu'ils appellent son péché originel, l'omission de cette foule de mots lombards, romagnols, vénitiens, piémontais, napolitains, siciliens, etc., qui font retentir les échos des innombrables vallées formées par l'Apennin. Autant vaudrait reprocher au Dictionnaire de l'Académie française de nous avoir privés du charabia de Saint-Flour et du celto-breton de Quimper-Corentin.

L'extrait suivant de la préface d'une des bonnes éditions de ce célèbre dictionnaire donnera une idée de la méthode suivant laquelle il a été rédigé : " Après la définition ou explication du mot, nous avons ajouté les expressions équivalentes en grec et en latin. Outre les corrections jugées utiles, nous avons fait dans cette édition de nombreuses additions que rendait nécessaire la trop grande réserve de nos prédécesseurs relativement aux néologismes. Et ce n'est pas seulement aux mots primitifs que nous avons accolé leurs équivalents grecs et latins, mais encore aux expressions et locutions verbales, autant que leur nature le comportait. Il en est, en effet, qui n'ont pas d'équivalent dans les langues anciennes, ce qui vient de ce que les auteurs grecs ou latins, à cause de la différence des temps, des mœurs, des coutumes, etc., ne peuvent, dans certains cas, avoir des expressions qui correspondent parfaitement à celles qui représentent aujourd'hui des choses dont ils ne pouvaient avoir l'idée. Aussi lorsque nous n'avons pas pu prendre des équivalents dans les belles époques littéraires de l'antiquité, nous n'avons pas craint de recourir à la basse latinité et même aux auteurs qui ont écrit après l'entière disparition de la langue latine (auquel cas nous avons nommé nos sources et marqué le mot d'un astérisque). C'est ce qui est le plus souvent arrivé pour les expressions théologiques et scientifiques, philosophiques, géométriques, etc. Cependant certains mots, certains tours, qui sont tout à fait italiens et qui appartiennent en propre à nos usages ou à notre vie domestique, ont dû rester sans équivalents grecs ou latins, parce que, même en épluchant les glossaires de basse latinité et de grec moderne, il eût été impossible de les trouver, et qu'il eût fallu les remplacer par une périphrase, ce qui eût été un pire moyen que de les laisser sans équivalents ; tels sont les mots AFFETTATORE, AFFRICOGNO, etc. Nous devons aussi avertir le lecteur que, pour les mots qui ont des synonymes, lorsque nous avons omis le correspondant grec ou latin, c'est qu'il se trouvait déjà à ce synonyme, et que nous avons jugé superflu de le répéter ; tels sont les mots ARRANGOLARE, BIETA, etc.

Sur plusieurs points, nous ne partageons pas le sentiment de la savante Académie. A quoi peuvent servir, dans un dictionnaire italien, les équivalents grecs et latins ? A égarer les esprits. Quand une langue est parvenue à un certain degré de maturité, on peut dire qu'elle est émancipée et qu'elle n'a plus d'ancêtres ; les transformations successives que ses vocables ont subies sont si complètes, qu'elles semblent nées de sa propre essence ; c'est un tronc vigoureux qui se soutient de lui-même par son propre poids, et qui s'est complètement détaché de ses racines. Remonter à son principe, c'est s'exposer sciemment à une foule d'erreurs : une langue morte, c'est la statue immobilisée, pétrifiée ; une langue parlée, c'est le corps vivant dans lequel vibrent les nerfs, battent les artères, circule le sang;  le mouvement est partout, la transformation est incessante ; la moelle devient os, l'os de vient chair, bientôt la chair n'est plus qu'un épiderme, et autant en emporte le ventre, mais la moelle, les os, la chair et la peau sont aussitôt remplacés qu'anéantis. La métamorphose est de tous les instants et elle n'a point de sommeil ; ce qui était vieux redevient jeune, jusqu'à ce que sonne l'heure de la décadence et de la caducité. Par exemple, demandez à Ménage ce que c'est qu'un homme insolent, il vous répondra : " Un homme insolent, c'est l'abbé X…, qui, soupant hier chez madame Cornuel, attacha sa serviette à un bouton de sa soutane au lieu de la déployer sur ses genoux, demanda de la soupe au lieu de potage, du bouilli au lieu de bœuf, coupa son pain en menus morceaux au lieu de le rompre comme tout le monde, versa son café dans la soucoupe au lieu de le boire dans la tasse, etc., etc. " En effet, suivant Ménage, insolent (de in solens, non habituel, contraire à l'usage) était la seule signification qui pouvait s'appliquer au pauvre abbé.

Nous adressions un jour la question suivante à un très-savant professeur de rhétorique : " Qu'est-ce qu'un mélodrame ? " Il nous répondit sans broncher : " C'est une action mêlée de chants. " Notre homme, qui savait par cœur les racines de Lancelot, fut très-étonné et presque scandalisé quand nous lui apprîmes qu'un mélodrame est un drame très-noir, très-lugubre, dont tous les personnages disparaissent par le poison, par le poignard, dans des chausse-trapes, des souterrains, des puits sans fond, jusqu'au souffleur. Conclusion  il faut surtout étudier une langue en elle-même. Des génies comme Dante, Pétrarque, Boccace, l'Arioste, avaient trouvé des mots pour exprimer toutes leurs idées, ainsi que leurs nuances les plus délicates, et ce vocabulaire aurait dû suffire aux académiciens de la Crusca.

Pour mitiger par quelques lignes d'éloge cette critique d'un livre justement célèbre, nous allons donner le jugement que Ginguené a formulé sur le Dictionnaire de la Crusca. Toutefois, cet éloge nous paraît empreint de quelque exagération. Dans son Histoire littéraire de l'Italie, Ginguené s'est peut-être montré trop italien : il a cédé à cet entraînement qui fait que tout historien s'enthousiasme pour le sujet qu'il traite. Et cela est si vrai, que l'esprit si net et si juste de Voltaire n'a pu s'affranchir entièrement de ce défaut : dans son Histoire de Charles XII, le vainqueur de Narva est bien supérieur à Pierre le Grand et c'est le contraire qui a lieu dans l'histoire du vainqueur de Pultawa. Suivant Ginguené, le Dictionnaire de la Crusca est un code d'une autorité irréfragable, à laquelle, depuis qu'il a paru, tous les écrivains se sont soumis ; une barrière forte et solide contre laquelle se sont heureusement brisés tous les efforts du néologisme moderne ; modèle enfin si parfait de ce que doit être un ouvrage de cette nature, qu'il a fallu que toutes les nations lettrées qui ont voulu avoir des dictionnaires de leur propre langue se réglassent sur celui de l'Académie de la Crusca, ou se condamnassent elles-mêmes à une inévitable infériorité.

DICTIONNAIRE DE LA LANGUE CASTILLANE, par l'Académie Royale espagnole ; 6 vol. in-fol., Madrid, 1726-1739. Ce dictionnaire est très-recherché. On trouve, au commencement du premier volume, une préface relative à la composition de ce grand ouvrage, ainsi que trois discours sur l'origine de la langue castillane, sur les étymologies et sur l'orthographe, avec une liste des auteurs choisis par l'Académie pour servir d'autorité à ses décisions. L'Académie espagnole publia un abrégé de son dictionnaire en 1780. Ce vocabulaire, assez considérable comme volume, a été souvent réimprimé, même en France ; il est très répandu et supplée en quelque sorte au grand dictionnaire dont il est extrait. Dans la 5e édition, 1817, l'Académie espagnole admit des changements si considérables pour l'orthographe des mots, que son dictionnaire ne s'accorde plus avec les livres espagnols imprimés antérieurement à cette réforme.

ENCYCLOPÉDIES, BIOGRAPHIES ET DICTIONNAIRES HOLLANDAIS. - La Hollande ne nous apparaît que derrière un vaste comptoir, où, courbée sur un grand livre, elle établit perpétuellement la balance de ses profits et pertes. Au-delà des grands souvenirs de son histoire maritime, de son commerce immense, des hardies explorations de ses navigateurs, nous ne voyons plus rien, nous ne découvrons plus rien ; là se borne pour nous notre horizon ; à peigne daignons-nous nous rappeler qu'elle a produit d'inimitables artistes qui lui assurent une des places les plus brillantes dans le domaine de l'intelligence et de l'imagination. C'est une erreur et une injustice ; la Hollande est aussi la patrie de littérateurs distingués, de philosophes profonds, d'érudits qui ont fouillé avec succès tous les recoins de la science historique. Les auteurs hollandais se sont exercés dans toutes les branches de la littérature et y ont excellé : romans, contes, poésies, voyages, théâtres, ils ont abordé tous les genres et les ont traités supérieurement ; la patrie des Grotius, des Heinsius, des Boerhaave, des Swammerdam, a été aussi celle des romanciers et des poëtes, comme elle a été celle des hommes d'Etat les plus illustres. Il est cependant un côté de la richesse littéraire que les Hollandais semblent avoir sciemment délaissé, soit qu'il répugne à la nature de leur génie tour à tour positif et rêveur, comme on le remarque si souvent chez les peuples du Nord, soit qu'ils n'en aient pas compris l'utilité pratique, soit encore qu'ils dédaignent tout ce qui ne porte pas un sévère cachet d'originalité, nous voulons dire les œuvres encyclopédiques, celles que nous passons en revue en ce moment. La littérature hollandaise est très-pauvre en ouvrages de ce genre. Bien loin de nous offrir un trésor comparable à l'Encyclopédie du dix-huitième siècle elle ne pourrait pas même, du moins sous le rapport de l'universalité, fournir un travail qu'on pût mettre en parallèle avec notre Encyclopédie des gens du monde ou l'Encyclopédie moderne. Elle ne possède aucun répertoire général de connaissances usuelles ; son inventaire, en un mot, reste encore à établir. Toutefois, sans posséder d'œuvre encyclopédique à proprement dire, elle compte néanmoins au nombre de ses productions littéraires les plus estimées certains ouvrages qui, en se restreignant, il est vrai, à une branche spéciale, affectent la forme de nos encyclopédies et dictionnaires. La plupart ont trait à l'histoire nationale ; mais ceux de cette catégorie, malgré le mérite incontestable qu'on a dû leur reconnaître autrefois, paraissent aujourd'hui surannés ; car, remontant au dix-septième ou au dix-huitième siècle, ils ont été bien dépassés depuis par les travaux de la science moderne. Nous citerons entre autres : Het groot Tooneel der Nederlanden (Grand Théâtre des Pays-Bas), par François Halma, deux forts volumes in folio à deux colonnes avec planches, portraits et cartes, édité à Leeuwarde vers la fin du dix-huitième siècle ; et le Algemeen Vaderlandsch Woordenboek (Dictionnaire universel de l'histoire de la patrie), 35 volumes in-8° avec planches, cartes et portraits par Jacobus Kok, édité à Amsterdam par Johannes Allart ; le dernier volume a paru en 1795. Une publication qui se rapproche beaucoup plus de nos encyclopédies est le Algemeen Woordenboek der Kunster en Wetenschappen (Dictionnaire universel des sciences et des arts), par Nieuwenhuis ; mais cet ouvrage date du premier quart de ce siècle, et, après avoir joui, lors de son apparition, d'une réputation méritée, il a cessé depuis longtemps de répondre aux exigences toujours croissantes de la science. La Hollande possède également une foule d'ouvrages rédigés en forme de dictionnaires ou de lexiques ; tel est le Handboek voor Ingenieurs (Manuel des Ingénieurs), par D.-J. Pasteur, Devender, 3 volumes grand in-8°. Nous pourrions en citer plusieurs autres de ce genre ; mais, comme nous l'avons dit, ils n'embrassent qu'un étroit secteur du cercle des connaissances humaines.

Un ouvrage dans lequel l'auteur s'est plus particulièrement astreint à la forme du dictionnaire, c'est-à-dire à l'ordre alphabétique, mérite une mention spéciale ; il est intitulé : De Levens en Werken der Hollandsche en Vlaamsche Kunstmonogrammen, (Biographies et Œuvres des peintres, sculpteurs, graveurs et architectes hollandais et flamands, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Avec portraits et monogrammes), par Immerzeel ; 3 volumes grand in-8°. Ce travail estimable vient d'être refondu et complété par M. Christian Kramm, amateur et artiste distingué, qui, pendant sa longue carrière, avait ramassé une multitude de riches matériaux ; 6 volumes grand in-8° et un volume de supplément, édités en 1865 par MM. Diedrichs frères, à Amsterdam. Cet ouvrage est indispensable à tout amateur éclairé des beaux-arts qui veut avoir un guide sûr dans cette partie si attrayante, où l'on est continuellement exposé à se fourvoyer quand on n'a pas à son service une grande finesse de goût développée par l'étude ou par le talent. C'est aux mêmes éditeurs que la littérature hollandaise doit encore la publication du seul ouvrage que l'on puisse, peut-être, considérer dans les Pays-Bas comme une encyclopédie ; c'est le Algemeen noodwendig Woordenboek der Zamenleving Bekelzende beknopt en zakelgk : al het Wetenswaardige uit geschiedenis en ieder vak van menschelgke kennis ; de juiste beteekenis der Kumtbenamingen in alle wetenuhappen, beroepen en handwerken ; opgane der nivindingen en ontdekkingen ; plaatsclyke en historische byznderheden ; zeden, genroonten en gebruyken van alle volken der aarde ; vermaarde personen, en. (Dictionnaire universel de la Conversation, contenant succinctement : les faits les plus importants de l'histoire et de toutes les branches des sciences, arts et métiers, les découvertes et inventions, détails historiques, mœurs et coutumes de tous les peuples du monde, la biographie des personnages célèbres, les événements remarquables, etc.) ; 6 volumes in-folio à deux colonnes.

On doit enfin aux mêmes éditeurs : Nederlandsch Handelsmagazyn of algemmen Woordenboek voor Handel en Nyverheid (Magasin général du commerce, ou Dictionnaire universel du commerce et de l'industrie, etc.), deux volumes in-folio de 1440 pages ; et un ouvrage périodique intitulé : Onze Tyd. Merlewaardise gebeurtenisten onzer dagen, etc. (Notre temps. Événements remarquables de nos jours sur le terrain de la politique, de l'histoire, de la géographie, de l'ethnographie, des sciences, des arts, de l'industrie, etc., ainsi que les biographies et caractères des contemporains célèbres). Le 36e volume de cette grande publication a paru le 1er janvier 1866 ; chaque volume est orné de trois à six portraits, et il en paraît deux chaque année.

Nous avons épuisé la liste des ouvrages hollandais qui se rapprochent plus ou moins de la forme encyclopédique. Comme on a pu s'en convaincre, la littérature des Pays-Bas est loin d'offrir, sous ce rapport, les mêmes richesses que la France, l'Angleterre et l'Allemagne. Mais avec les excellents modèles que lui fournissent les nations voisines, et les éléments précieux qu'elle peut puiser dans son propre fonds, il est impossible que le Hollande reste longtemps étrangère au grand mouvement qui pousse de toutes parts à la vulgarisation de la science.

DICTIONNAIRE CHINOIS PAÏ-WEN-YUN-FOU (le). Les missionnaires de Pékin, dans leurs mémoires concernant les Chinois, ont signalé ce précieux monument linguistique, et cependant les sinologues européens semblent presque en ignorer l'existence. Cet oubli tient d'abord à la difficulté qu'éprouveraient à étudier ce dictionnaire, à juste titre nommé le Robert Estienne chinois, les personnes qui ne sont pas profondément versées dans la langue et la littérature de ce peuple ; ensuite à la rareté de cet ouvrage, qui fut imprimé aux frais de l'Etat et distribué gratis à quelques savants, sans entrer dans le domaine de la librairie.

Toutefois, à une époque d'études philologiques et historiques comme la nôtre, au moment où la civilisation européenne tend à se mettre en contact avec celle de ce peuple jusqu'ici presque inconnu, il n'est pas sans intérêt d'étudier ce vaste répertoire de ses connaissances. Dans cet ouvrage, en effet, on trouve non-seulement la langue et l'écriture des Chinois, mais encore leur histoire, la description de leur pays, leurs mœurs, leurs croyances philosophiques et religieuses, leurs sciences, leurs arts, leur industrie ; en un mot, tout ce qui les concerne dans l'ordre physique et moral.

C'est à Khangh-hi, le plus grand des empereurs et peut-être des savans que la Chine ait possédés, que l'on doit la publication de cet immense recueil. Frappé de l'utilité qui résulterait, pour la philologie chinoise, d'un monument qui contient toutes les richesses de cette langue dont il faisait ses délices, et dans laquelle il a écrit des ouvrages remarquables, il conçut le projet de remplir ce vide et d'illustrer ainsi son règne. A cet effet, il convoqua dans son palais tous les savants distingués de l'empire, et, ayant mis à leur disposition tous les ouvrages anciens et modernes que l'on put découvrir, il les chargea de recueillir avec soin tous les mots, toutes les locutions, les allusions, les figures dont la langue chinoise peut fournir des exemples dans les différents styles ; de classer les articles principaux d'après la prononciation des mots ; de consacrer un paragraphe distinct à chaque locution spéciale, et d'appuyer chaque paragraphe de plusieurs citations tirées des auteurs originaux. Soixante-seize lettrés se réunirent à Pékin, et, grâce à la collaboration et à la correspondance active des docteurs répandus dans toutes les provinces, l'ouvrage fut terminé au bout de huit ans (1711) et imprimé aux frais de l'Etat, en 127 gros volumes dont l'empereur revit tous les matériaux. Lui même composa la préface de cette vaste encyclopédie ; et nous croyons intéresser nos lecteurs en mettant sous leurs yeux la traduction d'un passage extrait de ce morceaux, où l'on observera une simplicité vraiment remarquable :

" Ceci m'a inspiré le désir de former un dictionnaire universel qui embrassât tous les ouvrages existants et ne présentât aucune erreur grave. A cette fin, ayant réuni dans le palais Han-lin tous les docteurs de l'Académie, je me suis livré avec eux à un examen profond des divers dictionnaires ; nous avons corrigé les fautes qu'on y avait commises, et y avons ajouté ce qu'on avait oublié. S'il y avait, dans tel ou tel livre classique ou historique, un caractère ou un fait que l'on n'eût pas relaté, j'étais toujours là pour le faire ajouter. Peu à peu on a fait un volume ; mais comme il n'était pas encore bien certain que notre travail fût complet, j'ai donné de nouveaux ordres aux grands mandarins de l'empire, afin que l'on multipliât les recherches et que l'on ne laissât plus rien à ajouter ni à retrancher. Quand on eut rassemblé les additions faites dans la capitale et celles que l'on nous avait envoyées des provinces, on en forma un tout qui fut appelé Paï-wen-yun-fou.

" Dans la quarante-troisième année de mon règne, à la douzième lune, j'ai fait ouvrir le palais U-im, et j'y ai réuni les docteurs de l'Académie pour entreprendre avec eux la révision de tout l'ouvrage. Ce que l'on faisait chaque jour m'était d'abord soumis, et était ensuite confié aux graveurs ; enfin, dans la cinquantième année de mon règne, à la dixième lune, l'ouvrage fut entièrement terminé, et se composa de 106 livres, contenant en tout 18,000 et quelques feuilles. Il embrasse tout ce que les anciens et les modernes ont écrit, soit grand, soit petit ; de telle sorte que de tous les dictionnaires, même les plus étendus, il n'en est aucun qui puisse égaler celui-ci.

" Quand l'ouvrage fut terminé, tout le corps des docteurs est venu me prier d'en écrire la préface. "

C'est donc, d'après l'empereur Khang lui-même, le dictionnaire le plus complet qui existe dans la littérature chinoise. On est étonné, en effet, d'y trouver dans un même article trois cents, quatre cents, souvent même jusqu'à six-cents combinaisons différentes du mot principal, combinaisons qui toutes modifient plus ou moins le sens de celui-ci, et qui, avec les exemples inscrits à la suite de chacune, forment, pour ainsi dure, la monographie complète du sujet.

En vérité, le Grand Dictionnaire ne s'attendait pas à trouver un tel concurrent dans l'Empire du Milieu, et surtout composé par un fils du ciel. Mais ce qui est de nature à nous consoler, c'est que probablement le Paï-Wen-Yun-Fou ne donne pas, comme nous, à ses lecteurs chinois une traduction de toutes les locutions latines, empruntées à Horace et à Virgile.

Aujourd'hui, ce dictionnaire est devenu très-rare, même en Chine, et l'on n'en connaît que deux ou trois exemplaires en Europe. Le seul que possède la France a figuré au catalogue des livres vendus en octobre 1860 par H. Labitte, et il n'a pu trouver d'acquéreur.

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