Tresor (lou) dou felibrige ou Dictionnaire provençal-français, embrassant les divers dialectes de la langue d'oc moderne, par Frédéric Mistral (Aix-en-Provence, 1879-1866, 2 vol. gr. in-4°). L'illustre poète de la Provence contemporaine, Frédéric Mistral, non content d'être le Lamartine ou le Victor Hugo de cette renaissance littéraire qui a pour nom le Félibrige, voulut en être aussi le Littré. Plus ambitieux même que son devancier, Mistral prétendit -- nous exposons ici son programme -- faire entrer dans son Dictionnaire tous les mots usités dans le midi de la France, avec leur signification française, les acceptions au propre et au figuré, les augmentations et diminutifs, et un grand nombre d'exemples et de citations d'auteurs ; les variétés dialectales et archaïques de chaque mot, avec les similaires des diverses langues romanes ; les radicaux, les formes bas-latines et les étymologies ; la synonymie de tous les mots dans leurs divers sens ; le tableau comparatif des verbes auxiliaires dans les principaux dialectes ; les paradigmes de beaucoup de verbes irréguliers et les emplois grammaticaux de chaque vocable ; les expressions techniques de l'agriculture, de la marine et de tous les arts et métiers ; les termes populaires de l'histoire naturelle, avec leur tradition scientifique ; la nomenclature géographique des villes, villages, quartiers, rivières et montagnes du Midi, avec les diverses formes anciennes et modernes ; les dénominations et sobriquets particuliers aux habitants de chaque localité ; les noms propres historiques et les noms de famille méridionaux ; la collection complète des proverbes, dictons, énigmes, idiotismes, locutions et formules populaires ; des explications sur les coutumes, usages, mœurs, institutions, traditions et croyances des provinces méridionales ; des notions biographiques, bibliographiques et historiques sur la plupart des célébrités, des livres ou des faits appartenant au Midi. Le programme, on le voit, était vaste. L'auteur, cependant, a tenu toutes ses promesses.
Trésor de la langue française, par Jean Nicot, ambassadeur de François II et de Charles IX en Portugal et introducteur du tabac en France (1606, in-fol.). Cet ouvrage plein d'érudition et estimé encore aujourd'hui est, par ordre de date, le second dictionnaire de la langue française. Il n'avait été précédé que par les diverses éditions de celui de Robert Estienne, auquel du reste avait collaboré Jean Nicot, comme en témoigne le titre même de l'édition de 1564. Jean Nicot fut sans doute un de ces doctes hommes que Robert Estienne adjurait, lors de l'apparition de son ouvrage, de lui communiquer les expressions qu'il n'avait pu trouver " ès rommans ou ès bons autheurs " ou qu'il avait omises. Le caractère particulier de ces premiers dictionnaires, qui sont comme les bégayements de la lexicographie française, c'est qu'ils expliquent le français par le latin.
Nicot faisait beaucoup de cas d'un dictionnaire français composé et laissé manuscrit par Aimar de Rançonnet, président du Parlement de Paris ; il l'appelait " le baume de la langue françoise. " Prié par un libraire de le disposer pour l'impression, il l'enrichit de ses propres études, si bien que le livre primitif ne servit plus que de canevas au nouveau, qui parut six ans après sa mort sous ce titre : Thrésor de la langue françoise, tant ancienne que moderne, auquel entre autres choses sont les noms propres de marine, vénerie t faulconnerie, cy devant ramassez par Aimar Rançonnet, vivant conseiller et président des enquêtes au parlement revu et augmenté en ceste dernière impression de plus de la moitié par Jehan Nicot, vivant conseiller du roy et maistre des requêtes extraordinaires de son hôtel, avec une grammaire françoise et latine, et le recueil des vieux proverbes de la France ; ensemble le Nomenclator de Junius mis par ordre alphabétique et creu (augmenté) d'une table particulière de toutes les dictions (Paris, David Douceur, 1606, in-fol.).
Les divers traités joints à l'ouvrage et notés dans ce titre sont : 1° l'Exact et très-facile acheminement à la langue françoise, par Jean Masset, mis en latin par le même auteur pour le soulagement des étrangers (32 p.) ; 2° Joannis Egidii Nucerensis adagiorum Gallis vulgarium in lepidos et emunctos latinae linguae versiculos traductit (24 p.) ; 3° Nomenclator octilinguis omnium rerum propria nomina continens ab Adriano Junio (Adrien dit Jon) antehac collectus (190 p.) ; 4° Index rerum et verborum (38 p.). Brunet raconte qu'aussitôt l'apparition de ce dictionnaire, bien plus complet que tout ce qui avait paru jusqu'alors, les libraires s'emparèrent des parties neuves et les ajoutèrent à de nouvelles éditions qu'ils firent de l'ouvrage de Robert Estienne. Cette contrefaçon nuisit si bien au Trésor de Nicot que la première édition ne put se vendre entièrement.
Le Trésor de la langue françoise est un dictionnaire alphabétique, mais non pas rigoureusement alphabétique. D'ordinaire Nicot donne le mot capital et à la suite il indique les mots dérivés, qu'il répète parfois, mais alors sans autre détail, à leur place. Tous les mots sont accompagnés de leurs divers sens propres ou figurés, et un certain nombre d'articles importants sont assez riches en nuances. Généralement les exemples sont courts et sans noms d'auteurs ; cependant il y a quelques exceptions en faveur de Marot, Ronsard, Du Bellay et autres grands écrivains du XVIIe siècle. Après avoir cité une phrase ou une locution, Nicot ajoute souvent ses propres réflexions, et il en fait parfois d'une naïveté amusante, comme dans cet article : " Fosselu : ce qui a des fossettes ; fossulatus, si les Latins disoient ainsi. Ronsard a dit menton fosselu (v. fossette). Aucuns disent mammelles fosselues, mammae fossulatae, mais sans rime ni raison, parce que la mammelle de la femme est naturellement pleine et ronde, ou besaceant et ridée et point fosselue."
La nomenclature du Trésor contient des mots très-anciens, quelques-uns même déjà tombés en désuétude au moment où l'auteur les recueillait : tels sont coétirer pour échauffer et entretenir la chaleur, focillare, fovere ; séri pour serein, serenus, et Nicot donne ces exemples : temps doux et séri, la mer tranquille et série ; il se tient coi et séri. C'est par là que ce livre a surtout de la valeur aujourd'hui ; il n'est pas seulement précieux pour l'intelligence de nos vieux auteurs : on y trouve encore les renseignements les plus utiles sur l'âge et l'histoire des mots. Quand il parut, Malherbe avait déjà écrit quelques-unes de ses plus belles odes, le XVIIe siècle commençait, et cependant c'était la langue du XVIe siècle qui dominait. Nicot donne les termes en usage, les mots vieillis et même les locutions patoises passées un moment dans la langue, le tout expliqué par un latin très-pur, emprunté soit aux meilleurs écrivains latins de la Renaissance, Budé, Erasme, etc. Il est curieux de voir combien de termes, de formes, de significations ont changé, au cours du XVIIe siècle. Ainsi ce dictionnaire nous apprend que, dans les premières années de ce siècle, on disait soïer ou sejer, par j consonne, pour scier qui n'était pas encore français ; oroëre, pour oratoire ; flèbe, pour faible, de flebilis ; surpelis, pour surplis ; syringue et syringuer, pour seringue et seringuer ; tect, pour toit, le tect d'une maison ; linseul et linseuil, pour drap de lit ; pouldroyer, pour réduire en poudre, quoique déjà pulvériser fût connu ; raser avait le sens de couper tout ras et à net, mais ne signifiait pas encore faire la barbe ; pour désigner cette opération, on employait le vieux mot raire. Le grand nombre de mots de cette sorte montre quels progrès fit la langue, de 1606, date du Trésor, à 1636, date du Cid. Quelques-unes de ces locutions ont à peine trouvé place dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie, en 1694, et dans les ouvrages de Richelet et de Furetière.
[G.D.U., 2e Supplément, 1890, p. 1946 a-b]