DICTIONNAIRE

DE

L'ANCIENNE LANGUE FRANÇAISE

ET DE TOUS SES DIALECTES

DU IXe AU XVe SIÈCLE

COMPOSÉ D'APRÈS LE DÉPOUILLEMENT DE TOUS LES PLUS IMPORTANTS DOCUMENTS MANUSCRITS OU IMPRIMÉS

QUI SE TROUVENT DANS LES GRANDES BIBLIOTHÈQUES DE LA FRANCE ET DE L'EUROPE

ET DANS LES PRINCIPALES ARCHIVES DÉPARTEMENTALES

MUNICIPALES, HOSPITALIÈRES OU PRIVÉES

PAR

FRÉDÉRIC GODEFROY

PUBLIÉ SOUS LES AUSPICES DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

TOME SIXIEME

Nouveau tirage

PARIS

LIBRAIRIE DES SCIENCES ET DES ARTS

106 bis, Rue de Rennes

1938

 


 

PRÉFACE

Au moment où parait le sixième volume du Dictionnaire de l'ancienne langue française, l'intérêt de mes lecteurs et aussi la satisfaction que je dois aux personnes dévouées qui m'ont prêté un affectueux concours, me commandent de ne pas laisser plus longtemps sans réponse des attaques passionnées qui ont pu égarer le jugement de plusieurs. C'est d'abord le factum intitulé Études lexicographiques sur l'ancienne langue française que M. Millet, docteur en médecine à Beaucaire, jouissant de quelque notoriété dans un groupe d'érudits de Paris, a trouvé moyen de répandre un peu partout, et a eu le plaisir de voir reproduire, plus ou moins littéralement, dans un ou deux périodiques. C'est, en second lieu, une série d'articles publiés sous le voile du pseudonyme dans la Revue critique.

I

Commençant par les Études lexicographiques, je crois devoir faire connaître préalablement les rapports que j'ai eus à leur sujet avec l'auteur.

Averti de cette publication par un ami, je m'empressai de me la procurer, afin de voir s'il y avait là quelque profit à retirer pour le Dictionnaire. Le ton de l'avertissement me parut convenable, et j'éprouvai de la satisfaction à lire ce début :

Dans le dessein d'exécuter son entreprise, M. Godefroy s'est préparé, pendant de longues années, avec une ardeur pour la recherche et une puissance de travail dignes de tous les éloges. Non content de dépouiller les livres et les manuscrits qui sont à la portée de tout le monde, il a porté ses investigations dans le domaine inexploré des documents enfouis dans les dépôts publics et les archives privées : cartulaires, computs, coutumiers, censiers, capitulaires, inventaires, terriers, ordonnances royales, actes notariés, règlements des corporations de métiers, statuts relatifs au commerce et à l'industrie.

" L'esprit s'effraie à l'idée du temps et de la peine qu'il a fallu pour compulser, déchiffrer et élaborer la masse de documents qui a passé sous ses yeux...

" Cet immense dépouillement a mis au jour des mots depuis longtemps disparus, principalement des composés et des dérivés, dont le nombre atteste la fécondité de la langue à l'époque de ses origines.

" À prendre dans son ensemble cette vaste collection, on y remarque un trait spécial qui fait son originalité. On y trouve tout ce qui touche au peuple et à la bourgeoisie : les institutions communales, les magistratures bourgeoises, l'agriculture, le commerce (la marcheandise, selon le langage du temps), les métiers, la navigation ; on y rencontre les noms des instruments d'agriculture, des outils de l'artisan, des bateaux, des engins de pêche, des monnaies, des mesures, des poids, les termes de pratique, d'astronomie, d'astrologie, de magie, de médecine populaire. On y remarquera particulièrement la richesse avec laquelle est traité le droit féodal : l'état des personnes, la constitution de la propriété, le partage et la transmission des biens et ces innombrables redevances seigneuriales qui pesaient sur la population. Sous ces vocables, on retrouve la vie quotidienne, les moeurs, les coutumes, les croyances, les préjugés des classes populaires : c'est l'histoire de ceux qui n'ont pas d'histoire. "

Parcourant la brochure, je découvris ou crus découvrir, à côté d'extrêmes rigueurs, des critiques fondées, des remarques perspicaces, et, hâtivement, j'écrivis à l'auteur, à la date du 7 août 1888, que, bien qu'il ne m'eût pas ménagé, j'aimais à rendre franchement hommage à certains de ses aperçus. Dans la pensée qu'il habitait Paris, j'ajoutais :

" Je désirerais vivement vous connaître, vous entretenir, vous consulter sur bien des points, vous donner diverses explications et vous montrer le vaste appareil lexicographique qui me reste à utiliser, et qui me fournira matière à des suppléments d'une importance plus grande que vous ne pouvez peut-être le croire [1]

" Serais-je indiscret en vous demandant de me faire l'honneur et le plaisir de venir me visiter dans mon "atelier" le jour et à l'heure qu'il vous conviendrait de m'indiquer à l'avance ?

M. Millet me répondit:

" Beaucaire, le 10 août 1888.

" Monsieur,

" Je regrette vivement que mes critiques aient pu vous faire de la peine. Ce qui m'en console un peu, c'est la manière philosophique et spirituelle avec laquelle vous avez pris cela; à cet égard, votre lettre m'a causé une grande satisfaction et m'a soulagé d'un certain remords. L'éloge le plus flatteur qu'on peut faire de mon travail et sa meilleure récompense est de me dire qu'il a pu vous être utile en quelque chose. Du reste, c'était là mon but principal et je suis heureux de l'avoir atteint. Croyez bien, Monsieur, que je ne méconnais pas le caractère sérieux de vos travaux; veuillez relire mon introduction où je leur rends pleine justice. Quant à la forme de ma rédaction que vous avez le droit de trouver en certains endroits acerbe et même agressive, maintenant que je connais votre droiture et votre loyauté, je la regrette sincèrement et vous prie de l'excuser; je vous dois là-dessus des explications propres à atténuer mes torts."

L'auteur des Études lexicographiques me racontait qu'ayant envoyé son travail à la Revue des langues romanes qui se publie à Montpellier, il avait subi un refus d'insertion, et qu'ayant soupçonné que les membres du comité de lecture rejetaient son article par crainte de me déplaire, il en avait conçu une violente indignation non seulement contre ces messieurs, mais aussi et surtout contre moi qui, selon ce qui lui avait été affirmé, aurais menacé la Société, dans le cas où son article paraîtrait, de lui faire supprimer une allocation que lui accordait le ministère de l'Instruction publique. Il terminait par ces mots :

«  Je remaniai mon article sous le coup du ressentiment et je le publiai tel que vous l'avez lu. »

A l'irascible docteur, qui ne me parlait point d'autres Revues plus importantes qui avaient également refusé son manuscrit, je répondis:

«  Paris, le 17 août 1888.

«  Monsieur,

«  Les explications que vous m'avez données me causent une surprise que je ne saurais vous exprimer. Jamais je n'ai eu le moindre rapport avec la Revue des langues romanes.

Je serais curieux de connaître les personnes qui vous ont si étrangement renseigné, et dont l'action sur vous a été assez fâcheuse pour vous faire croire qu'un travailleur qui, depuis longtemps, a de diverses manières fait ses preuves, pouvait être capable d'une action malhonnête, assez fâcheuse aussi pour porter un homme comme vous au fait, anti-philosophique et anti-philologique d'écrire un grand article de critique sous l'impression du ressentiment.

«  Je comprends, Monsieur, que vous ayez éprouvé des regrets et des remords. "

J'ajoutais :

«  Puisque vous reconnaissez franchement vos torts, je n'insisterai pas, mais je vous mettrai à même, si vous le permettez, de les réparer honorablement, et non pas seulement à mon profit personnel, mais au profit de la lexicographie. "

Et je demandais au rigoureux justicier de vouloir bien me fournir quelques exemples qui me permissent de contrôler ses définitions et d'en faire profiter mon Dictionnaire, et aussi mon Répertoire universel dont je lui communiquais le plan.

M. Millet ne répondit pas.

Cependant je m'étais mis à lire attentivement sa brochure et à contrôler ses critiques et ses assertions. Plus j'avançais dans cette étude, plus ma surprise augmentait; et, quand j'eus tout lu, je ressentis une vraie douleur à voir que dans ce travail, qui m'avait d'abord paru sérieux, la malveillance égalait l'ignorance.

Répliquer me répugnait extraordinairement, et le temps me manquait pour cette désagréable besogne.

Enfin, aujourd'hui, quand un nouveau volume met le public mieux à même d'apprécier mon oeuvre, je me résigne, et, en déchiquetant la matière comme l'a fait M. Millet, je livre à tous ceux que la lexicographie intéresse le résultat d'un examen dont les conclusions seront souvent appuyées par le jugement de philologues tels que MM. G. Paris, Tobler, Wilmotte.

Légèreté de M. Millet pour ce qui regarde les définitions

L'auteur des Études lexicographiques reproche à nombre de mots de manquer de définition, quand ces mots sont définis au Dictionnaire.

Aissele, p. 38 de la brochure, défini au Dictionnaire, t. 1, p. 199, est inscrit par M. Millet dans sa liste des mots énigmatifs (sic) dont il croit avoir trouvé la clé.

Ductible, p. 40, est dans le même cas.

Enheudissement (p. 41) est exactement défini au Dictionnaire. M. Millet en donne une explication par à peu près.

Hever (p. 44) est défini par M. Millet comme il l'est déjà au Dictionnaire, sinon dans le texte, du moins aux Errata.

Espic (p. 46) est rangé parmi les. mots que " le Dictionnaire définit d'une manière vague et indéterminée ", et que M. Millet " traduit à son tour en termes précis ". Aussi donne-t-il comme définition du Dictionnaire " sorte d'épice " et propose-t-il : aspic, grande lavande. Or le Dictionnaire, t. 111, p. 528, col. 1, porte : Espic, spic, s. m., sorte d'épice, le spicnard ou nard indique (spica nardi), plante qui porte un épi de la grosseur du doigt ". De deux choses l'une : ou M. Millet a poussé la négligence jusqu'à ne pas lire la définition, ou bien il a voulu faire preuve d'érudition à bon marché, puisque spic, espic et aspic [2] désignent la même plante.

Gauge (p. 48) est rangé dans la même catégorie qu'espic. Il est cependant défini au Dictionnaire d'une façon exacte et complète. Et la définition, justifiée par les exemples, est corroborée par les patois. M. Millet n'a pas lu cet article. Il nous présente bien comme un ex. : noix gauge, noix muscade, nux Jovis, mais il ne nous dit pas d'où il tire cet exemple qui d'ailleurs prouverait simplement qu'on a pu désigner une muscade sous le nom de gauge.

Laschez (p. 48) n'a pas été défini d'une façon précise au Dict. Il aurait pu l'être par: sorte de sardine ou d'anchois. En disant : loche, M. Millet commet un contre-sens véritable, puisque laschez, traduisant aphyoe species, est dans l'exemple même synonyme de callique, harenguade et celerin. Ce dernier, est au Dictionnaire avec la définition: sorte de sardine ; harenquade (mot de Marseille) est un hareng blanc salé, un petit hareng saur, une grosse sardine salée, selon la définition de Mistral. Dans tout cela rien qui ait du rapport avec la loche qui, au surplus, est un poisson de rivière, tandis que le laschez est un poisson de mer.

Boutoner (p. 16), que M. Millet traduit par " garnir de boutons ", est donné par le Dictionnaire avec ce même sens et justifié par un choix d'exemples des XIIe, XIIIe et XIVe siècles.

Curvité [3] (p. 54) est traduit au Dictionnaire par 10pt">courbure, traduction que M. Millet ne fait que répéter.

Cornille, Oreille du coeur (p. 57). Ce terme, employé par Descartes, n'est-il plus synonyme de valvule du coeur ?

Bacuel (p. 59). M. Millet a probablement voulu dire bacul, puisque bacuel n'est pas au Dictionnaire. Il le définit par croupière, sens que nous donnons également. N'y a-t-il pas plus que de la légèreté dans le fait de M. Millet affirmant que la définition du Dictionnaire est : bride ?

Bandir (p. 59) est traduit au Dict. par se mettre en bande, définition que M. Millet s'approprie comme s'il l'inventait.

Emprenant (p. 67). Définition de M. Millet : " entreprenant ". Définition du Dictionnaire : " entreprenant ". Ici M. Millet affirme que la définition du Dict. est : assaillant, et qu'elle a été déterminée par le " mot précédent : assaillant ". Or, " assaillant " ne figure au Dictionnaire ni dans la définition, ni dans aucun des dix exemples de l'article.

Escorcier 2 (p. 67). Définition de M. Millet : " raccourcir ". Définition du Dictionnaire : " raccourcir ". Cependant M. Millet, ayant confondu escorchier et escorcier 2, déclare que nous avons traduit escorcier par percer.

Esponsion (p. 67). Si le Dictionnaire a expliqué par le mot précédent, M. Millet explique par le mot suivant.

Nous pouvons ranger ici le mot Desracener (lisez desraciner, p. 15) que M. Millet a vu au Dictionnaire avec le sens d'enraciner, tandis que la définition, lisible pour tous, est : " déraciner, et fig., démolir de fond en comble ".

Dans sa 2e partie, chapitre III, p. 45, M. Millet s'est proposé de traduire en termes précis nos définitions. Dans quelques cas il a réussi à trouver, dans d'autres, beaucoup plus nombreux, son assurance l'a conduit à d'énormes contre-sens, et plusieurs de ses assertions permettraient de mettre en doute sa bonne foi. Ainsi :

Agripaume ne serait, d'après lui, défini au Dictionnaire que par : sorte de plante, tandis que nous avons écrit en toutes lettres : sorte de plante, en lat. cardiaca passio.

Acue serait défini par : sorte de maladie; et le Dictionnaire porte : maladie aiguë.

Epilence serait défini par : sorte de maladie. M. Millet, à la périphrase inventée par lui, oppose épilepsie. Or, le Dictionnaire porte : Epilence, s. f., épilepsie.

Ajoutons encore :

Angele, s. m., qui n'est pas au dictionnaire [4] et que M. Millet déclare être une forme d'ange. Ce qui figure au Dictionnaire, c'est angelle, s. f., dans un exemple de Molinet, qui voulait expressément employer un substantif féminin, et qui d'ailleurs ne connaissait certainement pas la forme archaïque d'ange. La différence des genres n'aurait-elle pas dû avertir M. Millet de son erreur ? Mais pour lui, masculin, féminin, qu'importe ! Il n'y regarde pas de si près.

Gentilet, qui serait un diminutif de gentil et dont M. Millet rectifie la définition, n'est pas au Dictionnaire. Nous n'avons que gentelet, qui est bien, comme nous l'avons dit, un diminutif de gent, gente.

Mots ne figurant pas au Dictionnaire.

M. Millet a la passion de définir. C'est probablement pour contenter ce besoin immodéré qu'il a donné les significations des mots suivants, qui ne figurent pas au Dictionnaire de l'ancienne langue française:

aisse [5] (p. 38) encheri (p. 17)
appetissement (p. 38) engabement (p. 66)
ardier (p. 62) entesure (p. 47)
avalancement (p. 63) Espelement (p. 54)
bafreure (p. 63) escandel (p. 47)
bulle (p. 63) eschaussement (p. 41)
carcavel (p. 64) escorier (p. 55)
cerane (p. 46) escouviller (p. 67)
clore (p.15) espuison (p. 55)
corroyerie (p. 54) essauter [6] (p. 67)
costel [7] (p. 64) estançon (p. 58)
debarreur (p. 40) fastidieux (p. 17)
deschavigner (p. 40) foragement (p. 55)
diguier (p. 54) foragier (p. 55)
eguie (p. 41) forculaire (p. 42)
embranchier (p. 54) greger (p. 43)
empoivré (p. 54) lazèine (p. 45)
enchain (p. 41)

Voilà 35 mots qu'il nous a été impossible de retrouver dans notre travail, non seulement sous la forme que donne le critique, mais même en supposant toutes les fautes typographiques, toutes les formes possibles ou impossibles. Cependant M. Millet nous reproche, pour plusieurs de ces mots, de les avoir définis par le mot suivant ou par le mot précédent, ou bien, comme pour empoivré, de ne pas les avoir traduits par le mot moderne correspondant. Et même, pour que la fantaisie soit complète, il fait des rapprochements et propose des étymologies sur lesquelles nous reviendrons.

M. Millet a-t-il forgé ces mots de toutes pièces ? Non, évidemment. Comme il manque absolument d'ordre, nous supposons qu'il a confondu les matériaux de futurs travaux avec les éléments du Dictionnaire qu'il examinait.

Mots mal écrits.

Nous venons de constater que M. Millet a défini, bien ou mal, nombre de mots qui ne sont pas dans le Dictionnaire. Ajoutons en passant qu'il a défiguré une quantité de ceux qui y sont insérés. C'est ainsi qu'il cite:

alcacite

amuce

aprocher

arcer

blanc

braieu

bulle

cœcorum

calanc

capitel

carcavel

caarmelin

carpent

cingle

clamour

comparer

corbeus

coupe gole

crestienté

crolle

cubitain

cueumere

cuiller

curveté

datile

decriement

dedaignant

definissement

degratigner

dehers

delicativité

descente

descention

descussu

desespauler

desgentir

desgousser

deslaiance

desroygne

detraieur pour

diguier

embelsement

embelser

pour alcatique

ameuche

approchier

arcier

pour blancq.

braieau.

bule.

cacorum.

calane.

chapitel [8].

carquavel.

carmesin.

carpant.

cengle.

clamor.

comperer

corbeul [9].

copegoule.

chrestienté

crole.

cubitin.

cucumere.

cuiller.

curvvité.

datil.

descriement.

desdaignant.

defenissement.

degratiner

deshers.

delicativeté

descende.

descension.

descusu.

desepauler.

degentir.

desgoucier.

delaiance.

desroyne.

detraieor.

dicquier.

embeseillement.

embeseiller.

arelle

areptaice

bacuel

bascelage

embraudure pour

encaïné

endemeigne

ensoubter

envernisser

eschalasser

escharnille

escorcier

esfrontable

eslaissier

estancel

esteuleur

estremper

faie

faussenerie

favorin

festuc

fermeor

flamboyens

forslachure

frangipierre

fressonniere

gager

gamaut

gantele

gasteveau

grapon

gulation

hasmodite

horarie

houillier

hissier,hycer

laseré

lenier

liron

luffre

marpiorame

moraille

pour arele 1.

Arreptice.

bacul ou bacuz.

bachelage.

embraude.

escainé.

endemengne.

essoubter.

envernissier.

eschalacier.

eascnie [10].

escorchier.

effrontable.

eslaisier [11].

estacenel.

esteulleur.

estramper.

faye.

faussonerie.

favonin.

festue.

fermeul.

flamboyeux.

fourlachure.

frainpierre.

fressonnere.

gagier.

gamauz 2.

gantelle.

gasteveaux.

grappon.

gulucion.

hasmedite.

hoirarie.

houilleur.

hysser.

lazeré.

lenir.

livon.

lafre.

mapiorame.

moraile.

Ces continuelles inexactitudes de M. Millet et son peu de souci de l'ordre alphabétique rendent les recherches et les vérifications longues et fatigantes. Plus d'un lecteur n'a pas pu retrouver les articles sous le déguisement dont M. Millet les avait affublés. Et dans quelques cas, comme favorin, gasteveau, escorcier, escanie, ne serait-il pas permis de voir autre chose que de simples légèretés ou de pures fautes typographiques ?

La phonétique de M. Millet.

Dans son chapitre VII, p. 28, M. Millet nous reproche d'avoir séparé des mots « qu'il fallait réunir dans le même article afin qu'on pût voir sous leurs différences accidentelles leur identité fondamentale ». Cela signifie que nous avons arbitrairement séparé des formes qui phonétiquement et étymologiquement appartiennent au même mot. En outre, M. Millet affirme, sans avoir égard au caractère long ou bref, tonique ou atone des voyelles, non plus qu'à la position forte ou faible, initiale, finale on médiale des consonnes, ou bien au genre des mots, que : E = A, E = I, I = 0, L = R, R = S, L= N, D = G, V = G, D = V, M = N [12], W = H, F = N, etc.

Sans insister sur ces énormités, voyons les exemples donnés à l'appui.

Donc, nous avons séparé abusivement :

Apiteer d'apitier. Le premier, qui doit sa terminaison à une forme vulgaire en -izare (cf festoyer, verdoyer, etc.) et qui n'est autre qu'apitoyer, a quatre syllabes, le second n'en a que trois. Qu'importe à M. Millet ?

Arsin d'arson. M. Millet n'a pas remarqué. 1° que les suffixes sont différents ; 2°, qu'arsin est un s. m. et arson, un s. f.

Atir d'ator. Le premier est le substantif post-verbal d'atirer, et le second procède d'atorner par une formation analogue.

Avir d'avis. L'un rime en ir (avec vestir, bastir, etc.), l'autre en is (avec dis, devis, mis, etc.). Avis est le substantif verbal d'aviser. Avir (pour arvir) représente le latin arbritrium (en prov. albir, même sens).

Braiel de braier. M, Millet aurait pu ajouter braieul, puisqu'il ignore la différence qui existe entre les suffixes de ces trois mots.

Datele de datile (lisez datil). Le premier est un mot féminin, le second un masculin.

Loisir de loisor. L'un est masc., l'autre fém. ; de plus loisir est le verbe loisir = licère pris substantivement.

Descombler de descombrer. Comble et ses dérivés doivent être séparés de combre, bas-latin combrus, qui a été de bonne heure un mot à part. Cependant nous avons établi un Cf. de descombler à descombrer. Mais nous aurons encore plus d'une occasion de constater que M. Millet ne voit pas les Cf.

Aisil d'aisin, CONNIL [13] de Connin, LETRIL de letrin, MELIF de melin [14], ACCIDE (-ia atone) d'accidie (-ia accentué) [15], CONSONANCE de consonancie, DETARDER de detargier, ESTARDER d'estargier, FORNICEOR, s. m., de fornicaire, adj. des 2 g., DES de dis, ENVIAL d'enviail, LIGNEL de ligneul, ALEOR de aloir, CIDRER de cidrier, LARMER de larmier, etc. Il. suffit de jeter un coup d'oeil sur cette liste pour voir que M. Millet ne sait absolument pas ce que c'est qu'un suffixe. Nous ne pouvons donc nous étonner qu'il confonde : -alem et -aculum, -atorem et -atorium, -ellum (-illum) et -olum, -are et -izare (ou -iare), -arium et -atorem, etc. Mais, en vérité, sa phonétique est bien divertissante, pour employer une expression qu'il affectionne.

Nous aurions eu encore tort de séparer :

Agarder d'agarer. Mais ce sont deux mots bien différents : garder = v. h. all. warten ; garer = v. h. all. Warôn. Pourquoi les Dictionnaires de la langue moderne séparent-ils garder de garer ?

Alevier d'alegier. Le premier est un mot savant ; le second est le continuateur régulier d'alleviare [16]. De plus, dans alevier, i forme une syllabe.

Avaignier d'ahaner. De plus en plus fort. Avaignier vient de a et gagner (v. h. all. weidanjan) et ahaner de ahan (orig. inconnue).

Barbeor, de barbieor. Barbieor est un dérivé du verbe, barbieri forme syllabe.

Berseler de berseillier. Berseler est fait sur bersel, et berseillier sur un mot berseil hypothétique.

Blanderie de blangerie. Blanderie dérive de blander qui vient du verbe en -are, tandis que blangerie et blange sont formés sur blangier dérivé d'un verbe en -iare ou -izare.

Boade de boage. Mais boade est un subst. fém. représentant un dérivé en -ata, et boage est un s. m. représentant un dérivé en -aticum. De plus boade est une forme dialectale du Limousin et de l'Auvergne, différant des mots proprement français par la conservation qe l'a, que le fr. change en e, et par l'affaiblissement en d du t latin qui disparait complètement en français entre deux voyelles.

Contribuler de contribler. Mais, ce sont là deux mots savants de dates différentes.

Desaloser de desalouer. Nous renverrons le critique au Dictionnaire étymologique de Diez. Il y verra que louer vient de laudare et loser de los.

Descamper de deschapper. Si M. Millet avait consulté Scheler, Dict. étym., vis décamper et échapper, il aurait évité une lourde faute.

Despaisable de despaiable. Le premier est formé sur paisier, dérivé de paix (comme paisible) et le second sur paiable = *pacabilem.

Enhiter d'enhicier. Le premier est un verbe en -are, le second un verbe en -iare.

Esnetier d'esneier. Esnetier a quatre syllabes et esineier est trissyllabique.

Guieor de guideor. La date si tardive des exemples de guideor ne permet absolument pas de le considérer comme une l'orme plus ancienne de guieor.

Nous sommes loin d'avoir relevé toutes les erreurs que M. Millet a accumulées dans ce chapitre VII [17]. Nous en avons cependant mis sous les yeux du lecteur un nombre suffisant pour démontrer que l'auteur des Études lexicographiques est singulièrement étranger aux règles qu'il nous reproche de méconnaître.

Comme complément à notre démonstration, qu'on nous permette de rappeler le passage (p. 13) ou M. Millet donne gravement é, ef (apem) comme une forme d'abeille (apiculam, *apiclam), et é (ætatem) comme une forme d'âge (ætaticum), ceaule dissyllabique (desous la ciaule u cil manoit, D'un saint hermitte, Ars. 3527, f° 36b..) comme une forme de cellule trissyllabique, cucumere [18] (mot savant) comme une forme de concombre (représentation régulière de cucumerem).

M. Millet ne sait pas davantage, quoi qu'il en dise à la page 10 de sa brochure, distinguer les mots savants et mi-savants des mots populaires qui ont toujours été dans la bouche des Gallo-Romans, ce que M. Groeber appelle Erbwörter.

Ainsi, après avoir affirmé que nous avons fait fléchir la rigueur de notre système d'exclusion de plusieurs catégories de mots en faveur de certaines formes tourmentées devenues méconnaissables (é, eé, ceaule, carfou, cucumere ! ! !), il déclare que nous en avons " admis beaucoup d'autres si légèrement modifiées qu'il est facile de les reconnaître". Ces formes, -- disons plus exactement, -- ces mots faciles à reconnaître sont : entencion [19], que M. Millet confond avec intention, aorer qu'il prend pour le même mot qu'adorer, establer qu'il estime le même qu'établir, etc.

Il nous reproche ensuite comme une faute très grave d'avoir substitué un mot refait à un mot populaire de première formation. C'est ainsi que nous aurions inséré caduceateur, t. d'histoire rencontré seulement dans le traducteur Bersuire et dans Fauchet, sans mettre également caduceor. Mais, si nous n'avons pas enregistré caduceor, c'est tout simplement parce que nous ne l'avons pas rencontré et que nous ne possédons pas le talent inventif de M. Millet. D'ailleurs caduceor ne pourrait être un mot populaire, s'il existe, et nous ne croirons à son existence que quand nous verrons un texte; caduceor ne pourrait être qu'un mot formé tardivement sur le mot savant caducée. Le second mot refait est causeur (celui qui est la cause de quelque chose), terme du XVe siècle, substitué à causeor que les textes ne nous ont pas offert.

M. Millet nous reproche également d'avoir exclu des verbes défectifs, tels que chaloir, clore, condouloir, qui avaient anciennement une conjugaison complète. " Nous soustrayons, dit-il, à nos lecteurs, des temps, des modes, des personnes qui faisaient exclusivement partie de l'ancienne langue. " Ce n'est pas dans un dictionnaire, mais dans une grammaire que l'on va chercher des formes de conjugaison, et cependant les lecteurs attentifs pourront voir quel soin nous avons mis à multiplier les citations de manière à ce que le plus grand nombre des formes de conjugaison comme de déclinaison fût représenté.

Page 15, M. Millet dit : " Dans l'intérêt de son système, l'auteur dissimule le sens conservé sous de prétendus équivalents ; mais si l'on consulte les exemples, il est facile de découvrir le mot propre sous ces déguisements. " Voilà bien des insinuations malveillantes ; à quoi bon y répondre ? Mais il n'est pas inutile d'examiner quelques-uns des exemples que produit le bouillant critique. Ce sont :

Amenestrer, qui, d'après M. Millet, est le même qu'administrer.

Aapter, dont nous n'avons qu'un seul exemple, avec un sens un peu différent de celui d'adapter, puisque ce sont des mots de date différente.

Clore, qui n'est pas au Dictionnaire.

Cueillette, dont nous n'avons donné que les sens sortis de l'usage.

Depurer, qui n'a plus que des emplois techniques, etc.

M. Millet semble croire (p. 31, 32) que le passage de c + a à ch (caitif, caitiveté, etc.) est postérieur à la Chanson de Roland. Cependant la graphie ch se trouve dans des textes plus anciens, le fragment de Valenciennes par ex., et on fait remonter au VIIIe siècle au plus tard ce changement dans la prononciation française du c + a. Le c des ex. cités est donc purement dialectal.

En voilà suffisamment, pensons-nous, pour prouver, comme l'a dit M. Tobler, que " M. Millet laisse voir qu'il a l'esprit rempli des plus singulières erreurs ".

La Romania, t. XVII, p. 639, condamne également les théories étranges de M. Millet qui, remarque l'éminent auteur du substantiel article, " montre qu'il est étranger à la phonétique par sa manière de concevoir les mots populaires et surtout par sa liste de mots soi-disant identiques ".

M. Wilmotte (le Moyen Age, II, 14) déclare de son côté qu'il " trace des règles de phonétique très fantaisistes ".

Les étymologies de M. Millet.

Nous avons résisté à la tentation de donner des étymologies, parce que nous en connaissions tous les dangers ; mais nous ne l'avons jamais écartée de notre préoccupation et de notre étude, quand nous avons eu à définir des mots difficiles. Jusqu'à présent les critiques autorisés, notamment MM. G. Paris et A. Darmesteter, nous avaient félicité de notre prudente réserve. M. Millet professe une opinion différente. Il affirme carrément que : " pour avoir exclu de son ouvrage l'étymologie, M. Godefroy l'a exposé à des lacunes, à des inexactitudes et à des erreurs qu'elle aurait pu lui éviter. " (Pour parler français, il aurait fallu dire : lui faire éviter, ou lui épargner.) Mais M. Tobler fait une remarque importante :

" Que l'étymologie, dit-il, ait à nous éclairer sur le sens, on ne saurait l'accorder en théorie que là où il n'y a aucun doute relativement aux moyens employés à la formation d'un mot, c'est-à-dire là où des préfixes et des suffixes français se combinent avec des radicaux français. Dans tous les autres cas la signification doit être conclue de l'emploi, et une dérivation certaine du mot n'est possible que lorsqu'on en a reconnu le sens [20]."

Pour prouver combien il lui aurait été facile de trouver mieux que nous, M. Millet s'est complu, dans son factum, à faire étalage d'étymologie, ou, -- pour parler plus exactement, -- de devinettes étymologiques. Voyons un peu quels résultats il a obtenus. Quelques-unes de ses découvertes permettront de juger de sa science en cette matière si difficile.

Dareson. Si bizarre que soit cette forme placée sous desraison, le sens : chose contraire à la raison, au droit, n'est pas douteux. D'ailleurs dareson ne saurait venir de l'hypothétique anglo-saxon darran, défier, proposé par M. Millet.

Destor. Si c'était le substantif verbal de destorber, on aurait destorb, destorp. Et le sens d'obstacle, empêchement, se déduit naturellement de celui de : lieu détourné, puisque destorner signifie aussi : empêcher. Nous convenons que pour la troisième acception, "combat, comme estor", M. Millet a raison et qu'il eût fallu en faire un article à part.

Deluer. M. Millet dit qu'au sens de confondre deluer vient de delere !

Engregier, d'ingravare au sens d'aggraver, et d'ingrandire (!) au sens de se rendre plus grand. Non; dans les deux cas, engregier vient d'un type * ingreviare.

Eslaisier (écrit dans la brochure eslaissier). Si M. Millet avait bien écrit ce mot avec la forme que nous avons choisie comme type, c'est-à-dire eslaisier, et s'il avait lu attentivement notre article, il aurait vu que la graphie avec s simple domine; alors il aurait dû conclure avec nous que les formes avec ss sont le résultat d'une confusion, et que, par suite, ex+ laxare, qui ne convient pas comme sens, ne convient pas mieux comme étymologie. Il aurait donc proposé non pas exlaxare, mais *exlatiare qui seul convient comme sens et comme étymologie. Dans l'exemple de Maizières, " le vin qui elaisse (lisez elaise) le cuer," c'est bien le vin qui dilate le coeur. Dans la Nuit de Mai, Musset dit :

" Ce n'est pas un concert à dilater le coeur. "

Et dilater la rate, pour signifier réjouir, est une locution usuelle.

Eure, d'auguritim. Auguritim a donné eür, s. m. Pour en tirer eüre, il faudrait admettre un pluriel neutre auguria devenu subst. fém. A la vérité, ce ne serait pas impossible, mais en tous cas, on n'aurait pas eure dissyllabique, mais eüre trissyllabique. Or, dans l'exemple de Berte, eure est indubitablement de deux syllabes. Au sujet du même mot, M. Millet ajoute : " Dans les autres exemples, il a le sens de : heure, moment (hora). " Nous ne l'avons jamais nié, et pour réparer autant qu'il était possible une erreur dans la distribution de nos matériaux, dont nous ne nous sommes aperçu qu'au dernier moment, nous avons ajouté cette note : Lire ici l'article heure. Cela nous amène à constater une fois de plus : 1° que M. Millet n'a lu que très superficiellement le Dictionnaire dont il entreprenait la critique; 2° qu'il n'a pas une préoccupation suffisante de la métrique.

Fillage aurait deux sources d'après M. Millet: filum (?) et filia. Nous ne pouvons, nous, y voir qu'un mot unique formé sur filium avec le suffixe aticum.

Arguier viendrait d'agrarius !

Achancele, dérivé de archant, cimetière + cele, cellule; offre, comme le disait M. Ch. d'Héricault [21] à propos d'une étymologie de même valeur proposée par Tarbé, " un douloureux exemple des difficultés de la science étymologique."

Bay, de baubelari ?

Belier, de be + legere !! Un verbe de la troisième conjugaison passant à la première ! Mais legere a donné lire et il ne peut donner autre chose.

Une foule d'étymologies proposées par M. Millet sont tellement fantaisistes qu'il suffit de les énumérer pour en démontrer l'inanité :

Cloche, de cochlear !!

Coureure, de Cursura !

Coussiege, de culcita + sedes !

Cureson, verrou, de currere !

Deflaté, de de priv. + angl. flat, surface plane !

Desereter, (de dis + heredare. M. Millet suppose probablement que le d de heredare, au lieu de tomber, s'est transformé en t ; jusqu'à maintenant on avait cru qu'heriter venait d'hereditare.

Deschavigner (qui n'est pas au Dictionnaire) de de + ex + caput + are !

Descusu, de discussus ! Cette étymologie viole la règle la plus élémentaire de la phonétique romane, celle de la persistance de l'accent.

Desliture, de delictum !

Desfauceler, de de + ex + fasciolus + are ! Comment fas serait-il devenu fau ?

Desgentir (pour degentir), de dis + gentilis + ire ! Si le sens proposé par M. Millet était exact, le type latin serait dis + genitus + ire.

Devens, s. m., de defensio, s. f. !

Duge, de ductile !

Enquigne, d'inquinatus !

Enuidemmer, d'enjus, part. péjor. + v. fr.damner ! Cet enjus, part. péjor., nous est complètement inconnu.

Enurer, de in + usum + are, " r = s comme dans avir, avis ". Le changement de s en r ne se produit que dans des conditions tout à fait particulières, quand s est suivie d'une consonne, spirante ou liquide (varlet, harle, etc.).

Escalipe, du v. h. all. scalja !

Esgardee, de warta ! Il était pourtant bien simple de voir dans ce mot un substantif participial d'esgarder.

Esnual, d'inguinalis !

Espave, d'expavere !

Frasier, de frigium !

Freolé, de frivolus !

Gaaille, de gab avec syncope de b !

Foc, de falx !

Gargassane, de  !

Hemille, s. f., de hamulus, s. m. !

Langemain, papier, mot formé sur parchemin !

Lazeine, (qui n'est pas au Dict.), tiré de lucerna !

Maerisme, de materiamen !

Malecherie, (pour malescherie), de male-excadere !

Remarquons à ce propos que M. Millet n'a pas lu les errata publiés à la fin de chaque volume. Il faut en effet supprimer l'art. malescherie et lire male lescherie. Pour d'autres mots (montebanque [lis. montenbanque), etc.) nous avons constaté également que M. Millet rectifiait ce que nous-même avions corrigé dans l'erratum.

Pour clore cette trop longue liste d'étymologies inimaginables, citons :

Mesquerance, qui viendrait de male + quaerere !

Esteme, d'un stira que nous ignorons absolument.

Enfin Dieusar, de Dei ara !

Concluons avec M. Gaston Paris, dans l'article déjà cité de la Romania (XVII, 639), que " les étymologies données par M. Millet montrent combien l'auteur du Dictionnaire a été sage de n'en pas proposer " [22].

Les définitions de M. Millet.

M. Millet attaque longuement nos définitions :

Nous n'avons pas la prétention d'avoir toujours réussi à donner une interprétation exacte de textes très souvent fort obscurs, presque incompréhensibles, et sur un grand nombre desquels personne ne s'était jamais exercé; et nous sommes reconnaissant à M. Millet de quelques rectifications que ses Études lexicographiques nous ont permis d'apporter à notre Dictionnaire ; mais le sévère censeur est lui-même tombé -- on l'a vu déjà -- dans de graves erreurs contre lesquelles nous devons prémunir ses lecteurs et les nôtres [23].

Adveiz, -- céréales pendantes par la racine. -- Le lecteur serait curieux de savoir dans quel autre texte M. Millet a rencontré ce mot et pour quelle raison il lui donne un sens si déterminé. Puisque notre critique trouve si facilement des étymologies, c'eût bien été le cas d'en proposer une.

Anchie, --cuve.-- Si M. Millet avait lu soigneusement l'exemple, il aurait certainement renoncé à cette explication. Une cuve qui siet derier une maison et que l'en peut tenir a tous jourz, qu'est-ce que cela signifie ? Le contexte d'ailleurs n'éclaircit rien, et il faut probablement lire ouche, étudié sous le type osche.

Anradie (et non auradie) -- injure. -- L'ex. avait été corrigé à l'art. Enresdie, t. III, p. 220, col. 1, et un erratum avertissait de la correction.

Anquoy, -- parure. -- Si M. Millet avait lu la note finale (cf. Admenez), et s'il s'était reporté au mot admenez, il se serait moins pressé de donner une définition d'un mot aussi douteux que arquoy.

Arsoné, --brûlé. -- Voilà une définition plus que hasardée. L'exemple, qui est de Gace de la Bigne, porte :

" Et dit qu'il n'est pas bien soupé
S'il (l'ostrucier) n'a d'un hairon arsonné
Mais qu'il soit mengé verdelel. "

M. Millet aurait-il voulu donner brûlé comme synonyme de rôti? Ce serait peu admissible. Ce qu'il eût été raisonnable de faire remarquer, c'est que arsonné est peut-être une faute du manuscrit pour reciné, dîné, goûté, ou même, une forme de reciné.

Balanste, Balanstie, -- châtaigne, marron. -- Il faut lire balauste, balaustie, fleur desséchée du grenadier. Déjà la rectification existait à notre Supplément, et les ingrédients employés dans les remèdes dont il s'agit n'auraient pas dû tromper un docteur en médecine.

Belier. -- regarder de côté, de travers. -- Cette traduction ne peut en aucune façon s'appliquer au premier exemple, puisque les Normands -- n'avoient mieesgardé -- le fossé qu'ils ont passé en beliant. Elle ne convient pas mieux au second exemple :

Quant li dame s'en vait offrir
De la teste vait coliant,
Apres reswarde en beliant.

(Poët. fr. avant 1300, IV, 1324, Ars.)

Belier signifie probablement aller de biais, marcher en se retournant. Cf. Besliver.

Bibeloux, traduit aventureusement par ivrogne, est probablement une faute pour bubeloux, couvert de bubons.

Calamiton. -- scribe. -- Si, avec l'exemple, M. Millet avait lu la note qui le suit, il se serait dispensé de sa définition. Il faut lire, en ajoutant une virgule : clerez, calamitous, et définir par : probablemeni enfant de la charité.

Canabasseur -- qui demeure dans une baraque, de canaba, avec changement de n en b, -- et alors de b en n !! car nous ne connaissons que cabana ou plutôt capanna. Le sens exact figure au Supplément ; c'est : tisserand de toile de chanvre (cannabis).

Capitel [24] d'après M. Millet " au lieu d'être un -- diminutif " de chapitre -- en est un doublet, sans changement de l " étymologique en r (capitulum). " D'abord chapitel, auj. chapiteau, est une forme mi-savante dérivée de capitellum et non de capitulum. Ensuite, si l'on avait pris la peine de consulter un liturgiste, ou simplement de lire l'art. chapitre dans Littré, on aurait appris que chapitre est quelquefois synonyme de capitule, et notre définition, qui s'applique à un verset de l'Écriture plus court que le chapitre, n'aurait pas choqué.

Cloche de merlu, -- cuillerée de morue. -- Une cuillerée de quatre doigts !

Coussiège, -- siège rembourré. -- Il suffit de lire l'exemple pour se convaincre que cette définition par analogie de son est absolument erronée.

Cuidable. -- que l'on peut concevoir. -- Non, mais : en quoi l'on peut avoir confiance, par opposition à decevable.

Délacerer, déchirer, -- dilacérer. -- M. Millet me fournit les termes les plus propres à caractériser sa traduction : ces prétendus mots correspondants " ont souvent des nuances de signification différentes de celle du mot à traduire et donnent des sens impropres. "

Descatillier, -- dépouiller quelqu'un de son capital. -- Cette traduction ne tient pas à la lecture de l'exemple.

Descroiage, -- action de blanchir, de nettoyer au moyen de la craie. -- Essayez l'usage de la craie sur un parchemin, vous n'arriverez qu'à le salir.

Desereter, -- se ruiner. -- Une rivière qui se ruine !

Desroyne, blessure ? -- opération du trépan. -- Il s'agit dans l'exemple unique. tiré des Anciennes coutumes de Bretagne, d'amendes prononcées contre celui qui aurait frappé un homme ou une femme à la tête, et plus il y a de desroynes, plus l'amende est forte. M. Millet a donc traduit ici " avec une inexactitude et une impropriété de termes qui frisent le contre-sens. " Mais, fait plus grave encore, il nous attribue une définition -- action de rogner -- que nous n'avons pas donnée.

Desse (haulte). -- haute lisse. -- Cette définition remplaçant dais, proposé par nous interrogativement, n'a aucun sens.

Empuré. qui n'a que sa chemise. La définition bornée à : qui n'a que, serait incomplète et elle n'aurait pas permis de comprendre cette locution si fréquente : en pure sa chemise, étudiée dans l'art. pur auquel un Cf. renvoie.

Engraigne, -- syn. de engaigne, engin de guerre, arme de trait, r est parasite. -- Mais il y a une variante englaigne. Il faudrait donc aussi supposer une l parasite. Cette explication par des lettres parasites n'est guère scientifique, et, dans le cas actuel, il attrait fallu prouver l'existence du mot engaigne, engin de guerre.

Engros, -- grossier. -- Engros est un terme de coutume qui n'a aucun rapport avec grossier.

Enquigné. -- fourbu -- Pourquoi ? la note qui termine notre article a du moins l'avantage de rappeler l'étymologie du mot.

Eschaillon n'est pas un -- diminutif, -- mais un dérivé d'échelle.

Estipot, -- esquipot. -- La consonance a amené cette définition :

" Ne com Hersens fit l'estipot."

Donc la femme de Renard fit la tirelire. A quoi cela rime-t-il ?

Fenereus. -- usurier. -- Que l'on prenne la peine de lire la longue phrase de la Coutume de Bourges ou le mot se rencontre, et l'on verra que le contexte ne se prête nullement au sens d'usurier.

Foc, -- serpe munie d'un long manche, destinée à couper les herbes d'un fossé. -- J'admire comment M. Millet peut en savoir si long sur un mot dont il n'y a qu'un seul exemple, dans une énumération. D'ailleurs il ne fait que donner une mauvaise définition de faux.

Gallehaudise, -- maison de débauche. -- M. Millet paraît voir dans gallehaudise un composé de galer, s'amuser, dont notre Dictionnaire offre toute une famille, et de l'allemand haus, maison. C'est supposer un type de composé qui n'existe pas en français ; et haus formant haudise nous étonnerait beaucoup.

Geute, -- vue, perspective, étendue de la vue. Définition par le mot précédent.

Graverin, graverauche, -- arbrisseau qui croit sur la grève d'une rivière, particulièrement l'osier. -- Je me demande ce qui peut justifier cette définition véritablement " empirique et fantaisiste ". L'exemple de graverauche porte : " graverauche d'ouzier ". Graverin, graverauche et osier ne peuvent donc être synonymes. M. Millet a défini par le mot suivant.

Guimart, -- nom propre. -- Il n'y a pas de personnage de ce nom dans le Mystère de la nativité. Traduction par divination. Les paroles citées sont dites par Riflart, dont l'interlocuteur s'appelle Gobelin.

Indigabunde, -- indigent, -- n'a aucun sens dans cette liste de défauts. L'exemple porte .

Inconstante, mobile, vagabonde,
Improbe, vaine, avare, indigabunde.

(De la Femme, Rec. de Poés., ms. Soissons 187, f° 1°)

L'indigence est un état pénible, mais non un vice. Indigabunde est peut-être une faute du manuscrit pour indignabunde, facile à s'irriter.

Jullerie, -- joaillerie ; -- Jullier, joaillier. -- C'est impossible. Les julliers, d'après l'exemple, " vendent draps d'or et d'argent, velours, satins, damas et autres draps de soyes ". Il ne s'agit donc pas de joaillerie. Traduction par rapprochement de forme et par divination.

Langemain, -- papier. -- Le M. S. est " parchemin".

Langre, -- plateau d'une balance. -- Non, mais peut-être aiguille de la balance (lingula). En langre formerait une locution dont le sens précis est encore à trouver.

Nous n'avons relevé qu'un très petit nombre des explications inadmissibles de M. Millet. Les autres erreurs, évidentes par elles-mêmes, ne méritent pas de nous arrêter.

Quand M. Millet a voulu " traduire à son tour en termes précis nos définitions vagues ", il a quelquefois rencontré juste. Mais souvent la signification qu'il préfère est tout à fait arbitraire. En voici quelques preuves parmi beaucoup d'autres que nous pourrions produire [25]:

Apointon, arme pointue, probablement une sorte de poignard, -- esponton. -- Remarquons tout d'abord que l'esponton ne fut guère d'usage avant le règne de Louis XIV; or notre premier exemple est du XIIIe s., notre dernier du XIVe. M. Millet n'est donc pas autorisé à nous reprocher (p. 57) d'appliquer l'anachronisme au langage. D'autre part, une ordonnance du 10 mai 1690 fixait à 7 pieds et demi, environ 2 mètres 45 cent., la longueur de l'esponton. Or, dans les exemples d'apointon, il est question d'une arme de dimension beaucoup moindre :

Une espee et un apointon
Sont si pou long que escremier
Ne peut loing .....

(Dist de la fleur de lys.)

....L'appointon muchoit
Derriere li.

(Deguilleville.)

(Le jugleur) jeue ... d'apointon

(J. de Salisbury.)

N'est-ce pas encore l'identité des sons, apointon, esponton, qui a suggéré une rectification si singulière ? Donc, d'une part, anachronisme, de l'autre, irréflexion.

Arele (lisez arele), partie de la charrue, la charrue elle-même [26], -- soc. -- Dans trois exemples c'est la charrue ; dans deux autres, il est impossible de déterminer exactement la partie de l'instrument ; dans le sixième, est-ce la charrue ou une partie de la charrue ?

Aride, cri de guerre, -- à cheval. -- M. Millet explique par l'anglais, et le sens qu'il propose ne serait admissible que dans un texte écrit en Angleterre.

Armeri, plante odoriférante, -- oeillet. -- Si M. Millet avait lu le : Cf. armerie, qui termine l'article, il n'aurait pas tranché avec autant d'assurance une question fort douteuse.

Berge, sorte d'oiseau, -- bergeronnette. -- Voit-on un aubergiste donner des bergeronnettes à ses hôtes pour leur souper, et surtout un aubergiste qui veut bien traiter ses clients ? Définition par analogie fantaisiste.

Canel, terme de tisserand, -- bobine de navette. -- Toujours d'après le même procédé d'assimilation de forme, M. Millet a confondu canette avec canel, qui, dans l'exemple, est synonyme de trame.

Crovisie, sorte de poisson, -- écrevisse. -- L'exemple porte : rouges crovisiez !! M. Millet veut-il rivaliser avec Zola qui parle de crevettes roses au fond de la mer, ou avec J. Janin qui appelait le homard le cardinal des mers ? L'ordonnance citée ne s'occupe d'ailleurs en aucune façon des écrevisses.

Cruzelin, sorte de pot, -- cruchon. -- Prouver cette assertion n'eût pas été superflu.

Desculer, renverser, -- acculer. -- Traduction inadmissible, puisque desculer fait antithèse avec acculer qui est le M. S.

Desraier, arracher, -- déraciner. -- Cette rectification repose sur une fausse étymologie. C'est arracher qui dérive de radicare, non desraier.

Encarreler, garnir de carreaux, -- carreler. Il s'agit de carreaux d'arbalète. Les exemples n'ont pas été compris.

Escarlet, sorte d'étoffe, -- écarlate, drap rouge. -- M. Millet n'a pas lu cet article. Un exemple, celui de Foulques Fitz Warin, porte: " e se vestirent de un escarlet vert ". Ceci suffit à prouver que l'escarlet n'est pas du drap rouge. Un autre exemple, celui du Journal d'Aubrion, porte: " rouge escalret ». Si la couleur de cette étoffe avait été uniforme, on n'aurait pas été obligé de dire rouge escarlet. Enfin le Cf. Escarlate aurait fait réfléchir un lecteur attentif.

Escrevelle, sorte de bateau, -- caravelle. -- Il n'y a là qu'un rapprochement de sons.

Espointon, arme pointue, -- esponton. -- Voy. apointon. Si nous avions défini par esponton, on n'aurait pas manqué de dire que nous commettions un anachronisme.

Fumeraille, partie de la cheminée, -- manteau de la cheminée. -- C'est à l'intérieur de la cheminée et non sur le manteau qu'on suspend les viandes à fumer. L'exemple disant sur la fumeraille, l'explication proposée est inadmissible.

Lafre, sorte de maladie, -- lèpre. -- Dans le second exemple lèpre se trouve à côté de lafre. Il ne s'agit donc pas de la même maladie.

Larderele, espèce d'oiseau, p.-ê. la mésange, -- alouette. -- C'est le mot précédent. Et larderelle est en opposition avec aloes ! Ajoutons que Littré donne larderon, petite mésange bleue.

Limonne, sorte de fruit, -- citron. -- Cette explication est absolument erronée, puisque dans le premier membre de la phrase on énumère le citron, le limon, et d'autres fruits qui sont mis en opposition avec la limonne.

Livon, sorte d'animal, -- rat des Alpes. -- Se figure-t-on un rat des Alpes, une marmotte emportant un enfant avec son berceau ? Nous rappellerons que notre censeur a écrit liron pour livon.

Concluons avec M. Tobler [27] que, " si ce que M. Millet met à la place des définitions de M. Godefroy mérite quelquefois d'être admis, très souvent aussi la signification qu'il préfère est moins bien fondée que celle qu'il rejette ".

Il est inutile d'examiner en détail les chapitres V à VIII. Nous y trouverions les mêmes critiques sous des formes peu variées. Tout en reconnaissant que certaines observations sont plus ou moins exactes, nous aurions encore à montrer que dans la plupart des cas ces critiques sont peu fondées ou même ne le sont nullement. Chemin ferrin, défini par chemin ferré, fait beaucoup rire M. Millet. Pourquoi pas, s'écrie-t-il, un chemin de fer, une strada ferrata, comme disent les Italiens? Puisque M. Millet ignore ce que c'est qu'un chemin ferré, nous le renvoyons à Littré, verbo Ferré, ée, part. passé, n°4.

Escamelle, traduit par petit banc, rend fort joyeux notre censeur à qui cette expression semble " prise au vocabulaire des ouvreuses de loges ". Faut-il croire que les ménagères de Beaucaire ne connaissent pas les petits bancs ?

M. Millet a trouvé dans le Dictionnaire "des définitions si drôlatiques qu'on ne comprend pas d'où l'autour a pu les tirer". Parmi ces définitions, il range Entasselure (tas, amas) et Entasselé (disposé par tas, en marqueterie) qu'il définit à son tour par garniture de tassels et garni de tassels, ajoutant qu'en notre qualité de lexicographe, nous aurions dû savoir que tassel signifie, gland. Eh bien, en sa qualité de critique de lexicographie, il devrait savoir que tassel signifie, non pas gland, mais agrafe, fermoir, mors de chape. Il en verra de nombreux exemples du XIIe et du XIIIe s. dans notre Dictionnaire, quand cette partie sera publiée. En attendant, il peut consulter avec fruit Ducange, et Laborde, Glossaire de la notice des émaux.

Citons encore :

Favonin (d'occident) que M. Millet écrit favorin et traduit par favorable. Or favonin est tout simplement un dérivé savant du latin favonius.

Aguyon, que nous avons traduit par vent doux, est rectifié en : vent du Nord, aquilon, par M. Millet qui ne se préoccupe pas plus de l'exemple que de la note de l'édition Jacob [28].

Croche a été défini par crochet. D'après M. Millet, -- qui donne croke, c'est-à-dire la forme picarde, comme la vraie forme du mot -- c'est une cruche, un pot de terre. Alors (voy. la second ex.), un fauchet (c'est-à-dire une faucille) serait une cruche servant à faucher les blés ! !

Enhouldré, mis à la broche. M. Millet estime qu'il faut y voir un dérivé de heut (!) et remplace notre définition par celle-ci : transpercé d'une épée jusqu'à la garde. Il s'agit d'un chapon rôti ! !

Estreille signifie couverture. Un mauvais rapprochement avec esteule amène M. Millet à le traduire par paillasse. Or, l'exemple dit : " estreille en lieu de drap ". Il n'est donc pas question de paillasse. L'art. se termine par un Cf. Estrel, que M. Millet n'a pas voulu apercevoir.

Habillier est défini par : préparer, apprêter, équiper, armer, soigner. M. Millet le traduit par rhabiller, rebouter. D'abord rhabiller est le réitératif d'habillier. Il ne peut donc convenir.

Ensuite, voyez-vous rebouter une anguille qu'on fait cuire, rebouter le pont de Clareaul, etc. ?

Nous avons négligé plusieurs des reproches de l'auteur des Études lexicographiques. Le reproche, par exemple, de n'avoir pas mis en tête de chaque article absolument toutes les graphies du mot et d'avoir omis quelques appels, lorsque d'autres trouvent que nous les avons trop multipliés. Nous dirons quelques mots seulement d'une chicane sur laquelle le pointilleux critique aime à insister.

Nous avons, déclare-t-il, multiplié les exemples avec profusion en leur faisant occuper une place qui aurait pu être mieux employée. Un philologue très sagace répondra pour nous : " M Godefroy, dit M. Wilmotte [29], a une excuse prête pour donner tous les exemples : on ne peut autrement se faire une idée de la diffusion d'un terme ou d'une locution, et c'est là un point de syntaxe et même de lexicologie qui n'est pas quantité négligeable. "

Pour en finir avec toutes les justifications auxquelles nous avons été condamné, nous citerons encore un passage de l'article de M. Tobler sur les Études lexicographiques :

" A bien des égards, dit le savant philologue, l'auteur de cette critique est injuste. Sans doute il serait très agréable, par exemple, que les noms des personnes, des peuples, des localités qu'on rencontre dans la littérature poétique fussent catalogués quelque part, avec des renvois aux textes; mais ils n'ont pas lieu de figurer au dictionnaire de l'ancienne langue française : on pourrait souhaiter plutôt encore d'y voir accueillis les noms portés réellement par les Français d'autrefois et leurs habitations. Exclure les mots de provenance savante, qui remontent bien plus haut que l'auteur ne paraît l'admettre, ne convient pas davantage ; beaucoup d'entre eux sont naturalisés de très bonne heure dans la langue commune. On fera mieux de ne pas demander au dictionnaire toutes les formes dialectales, encore moins toute la richesse des figures diverses qu'un mot ne prend que pour les yeux seulement : nous ne serons pas en état, de bien longtemps encore, d'assigner chaque forme dialectale à un territoire déterminé; la phonétique "-- et il n'en est pas autrement de la morphologie -- ne doit pas se confondre avec la lexicographie. "

Disons en passant que le travail sur les noms propres dont M. Tobler propose le plan a été conçu et exécuté par nous depuis de longues années : il formera l'un des Suppléments de notre Dictionnaire, et ce vaste catalogue onomatologique ne se contentera pas de renvoyer aux sources, il offrira, comme le Lexique lui-même, d'abondants textes de toute sorte.

Lorsqu'un critique peut, dans quelques pages, commettre tant de fautes et brouiller tant de choses, ne devrait-il pas avoir de l'indulgence pour les erreurs et les inadvertances échappées à l'auteur d'une des oeuvres les plus vastes comme les plus difficiles qui aient jamais été entreprises ? Et, pour peu qu'on soit capable de penser à la patience presque surhumaine dont il a fallu faire preuve, aux fatigues et aux sacrifices de toute nature qu'il a fallu subir pendant près de quarante ans pour préparer et mener à terme ce travail colossal, nécessairement manié et remanié à plusieurs fois, tout en restant défectueux, enfin lorsqu'on sait que le galérien de la lexicographie a encore une tâche terrible à accomplir, pour le service de tous, comment peut-on se complaire contre lui à l'ironie, aux tours dédaigneux, aux expressions décourageantes ? M. Millet nous a sincèrement avoué ses remords : ils devront, pensons-nous, être augmentés par cette réponse, dont il sera forcé de reconnaître et la justesse et la modération. Quant aux anonymes qui, dans des comptes rendus de son libelle, se sont contentés de le copier ou de le démarquer, en supprimant ou en écourtant les éloges qu'il nous décernait et en ajoutant encore à l'âcreté de ses reproches même les moins mérités, nous plaignons leur légèreté.

Dans la conclusion de ce qu'il appelle sa « longue dissertation », bien longue en effet pour ce qu'elle offre d'idées neuves ou vraies, M. Millet affirme que notre volumineux ouvrage " n'est pas le dictionnaire classique et portatif qu'il faut aux études et à l'enseignement ". La déclaration est naïve. Le livre classique à l'usage des maîtres comme des élèves, nous l'avons annoncé il y a bien longtemps déjà ; nous n'avons cessé, quotidiennement, d'y donner nos soins les plus attentifs et les plus laborieux; c'est notre travail privilégié, notre plus cher espoir, la consolation de toutes nos amertumes. Rien, rien absolument, ni temps, ni peine, ni argent n'aura été épargné pour que, malgré notre insuffisance, il réponde aux légitimes exigences de la philologie. Cet abrégé -- qui par un côté, l'admission des mots conservés, sera plus complet que le grand Dictionnaire et contiendra déjà l'essentiel de nos futurs suppléments -- cet abrégé renfermant toute la langue -- de la littérature, des sciences, du droit, des arts, des métiers -- depuis les origines jusqu'à la fin du XIVe -- siècle, ne paraîtra qu'après la révision de philologues sérieux, pour le plan et pour tous les détails de l'oeuvre. Toutes les éditions autorisées auront été dépouillées à fond afin que leurs textes soient substitués à des textes moins sûrs ou moins abordables, et afin que leurs interprétations remplacent les nôtres quand elles seront plus exactes. Enfin, toutes les revues, toutes les thèses, toutes les dissertations, toutes les publications françaises ou étrangères traitant de l'ancien français, auront été mises à contribution. L'on peut continuer de nous critiquer, avec courtoisie ou avec âpreté. Nous ferons notre profit de toutes les remarques utiles.

Malgré l'abrégé, le livre classique en deux volumes, qui ne tardera pas à s'imprimer, les dix tomes du grand ouvrage, que M. Wilmotte [30], en raison de la grandeur de l'effort et de l'immensité des recherches ", a proclamé " un monument élevé à notre ancienne langue française ", ces dix tomes, avec leurs divers compléments et suppléments et leurs errata définitifs, garderont toute leur utilité pour les élèves, pour les maîtres, pour tous les travailleurs.

II

M. Ant. Thomas, aujourd'hui professeur à la faculté des lettres de Toulouse, chargé de cours à la Sorbonne, a publié dans la Revue critique, au mois d'août 1882, un article d'ensemble très favorable au Dictionnaire de l'ancienne langue. Après l'article de M. Thomas, demeuré invariablement notre ami, a paru, dans le même recueil, sous le pseudonyme A. Jacques, une série d'études de détail dont le dernier a paru le 30 septembre 1889 (XXVIII, 187, 2e semestre 1889).

Les premiers articles étaient conçus dans un esprit de bienveillance et inspirés par un véritable amour de la philologie.

Les tomes I et II du Dictionnaire n'étaient pas examinés. On commençait au tome III, avec la lettre E.

Dans son premier article (XVIII, 305, 2e semestre 1884) l'auteur disait :

" Ce dictionnaire de l'ancienne langue française laisse de bien loin derrière lui tous les travaux antérieurs du même genre et il serait souverainement injuste de ne pas admirer le courage, la ténacité de l'homme qui l'a entrepris. Un volume presque tout entier est consacré à la lettre E qui a environ 10.000 mots. Nous l'avons lu avec le plus vif intérêt, fascicule par fascicule, et nous le répétons, nous avons été émerveillé, C'est le mot juste, des découvertes qu'il renferme. C'est pourquoi, si nous signalons à l'auteur un certain nombre de mots absents, ce sera moins pour le critiquer que pour l'encourager à mieux faire encore, à s'efforcer d'être plus complet, puisque c'est possible. "

Il signalait l'omission d'un certain nombre de mots ou d'acceptions, et relevait trois fautes véritables.

A. Jacques regrette l'absence d'estrangleliepard, d'espessisseure, d'exceptivement, d'ensanglanterie, d'enjarteler, d'exornement. Si nous avions admis ces mots du XVIe s., l'insertion nous en eût probablement été reprochée.

A. Jacques est aussi bienveillant dans son second article (XX, 185) sur la lettre F que dans le premier :

" Ce qu'il y a de plus délicat et de plus difficile à faire dans un tel dictionnaire, dit-il, c'est de distinguer les significations multiples des mots, leurs emplois variés, les rôles divers qu'ils ont joués à travers les âges. M. G. y met toute son attention, y emploie toute son expérience, et beaucoup d'articles ne laissent rien à désirer, mais nécessairement quelques-uns sont incomplets. "

Dans la lettre F, comme dans la lettre E, A. Jacques ne relève que trois fautes véritables.

Parmi les mots omis il signale : flamusse, espèce de pâtisserie. C'est une forme de flamiche, mot inscrit au Dictionnaire et qui sera repris, avec toutes ses formes, dans l'historique.

A. Jacques termine sa critique par ces mots :

" Ces quelques erreurs et omissions que nous signalons à M. Godefroy ne nous empêchent, aucunement de reconnaître toute la valeur et toute l'importance de son travail. Il nous eût même été beaucoup plus facile de faire sur ce Dictionnaire un article tout admiratif ; mais il n'aurait profité ni à l'auteur ni au public. "

Même ton dans le troisième article, lettres G et H (XX, 426, 2e semestre, 1885). Cinq fautes y sont relevées. Sur grole 4, A. Jacques n'a pas compris que " exemples détruits " signifiait simplement que mes exemples avaient été détruits pendant la Commune. J'ai parlé plusieurs fois des ravages qu'ont subis, à cette époque néfaste, mes travaux lexicographiques et littéraires.

L'article suivant, lettres I, J (XXI, 271, ler semestre 1886), commence à être agressif. A. Jacques y dit :

" Il me semble qu'il y a des mots qui s'appellent pour ainsi dire les uns les autres, dont le lexicographe peut comme deviner l'existence, et qu'il doit s'acharner à poursuivre comme le chasseur le gibier. "

N'est-ce pas une étrange naïveté pour quelqu'un qui se pique de lexicographie, de prétendre que l'on peut chercher un mot ? Je n'ai rencontré dans cet article qu'une seule correction vraisemblable : juquet -- échalas.

L'article sur la lettre L (XXII, 10, 2e semestre 1886) est en somme bienveillant. Il commence ainsi :

" A mesure que paraît un fascicule du Dictionnaire de M. G., je le lis et relis avec la plus grande attention et avec un intérêt toujours croissant. Le courage, la persévérance de l'auteur, les immenses lectures qu'il a faites m'étonnent, mais l'admiration ne me ferme pas les yeux sur les défectuosités de son oeuvre. En les signalant, j'ai cru et je crois être utile à M. G., et surtout à ceux qui plus tard essaieront sans aucun doute de compléter son travail. "

Et il finit par des félicitations :

" In magnis voluisse sat est. "

Huit corrections m'ont paru justes et je me suis empressé d'en faire mon profit. Les remarques sur liot, lamage et lardier ne me semblent pas s'imposer.

Le sixième article, lettre M (XXIV, 54, 2e semestre 1887), tourne à l'aigre ; cependant A. J. reconnaît que " les définitions sont généralement exactes, sauf quelques-unes. " Il propose nombre de corrections dont six seulement nous ont paru exactes. Il note beaucoup de mots qui n'auraient pas dû être insérés, comme étant suffisamment justifiés par Littré.

Parmi ces mots se trouvent mortepaye : 1 ex. dans Littré (s. v. paye), 7 dans God. ; musaraigne, qui n'a pas d'historique dans Littré ; mineral, Littré XVI, God. XIII miraculeux, qui n'a pas d'hist., dans Littré ; myrtille, item ; malefice " qui ne se dirait plus au sens de méfait ; monopole, qui ne se dirait plus au sens de conspiration, conjuration ; malfaiteur, qui ne s'emploierait plus comme adj. (si cet emploi avait été omis, A. J. n'aurait pas manqué de le signaler) ; mandibule qui n'a pas d'hist. dans Littré, lequel ne cite qu'un ex. de mandible mere perle, qui n'a pas d'hist. dans Littré

L'article sur la lettre N (XXIV, 299, 2e semestre 1887) est moins sévère que le précédent. A. Jacques y dit:

" Ces quelques critiques ôtent peu de chose à la valeur et au mérite du Dictionnaire de M. G., qui laisse bien loin derrière lui le Glossaire de La Curne que M. Brunetière, dans un article sur le dictionnaire historique de l'Académie (Rev. des Deux Mondes, 1er avril 1887) a qualifié d'excellent, d'admirable, en oubliant la valeur des épithètes. "

Nous avons à remercier l'auteur de cinq corrections certaines dont nos errata ont immédiatement profité ; mais nous ne pouvons pas regarder comme inutile l'insertion d'un mot comme nettoieur, qui n'a pas d'historique dans Littré, et que nous justifions par des exemples et des formes multiples depuis le XIIIe s. jusqu'à la fin du XVIe.

L'article sur la lettre O (XXV, 327, ler semestre 1888) est amer, quoiqu'on y reconnaisse que le Dictionnaire est une oeuvre " très laborieuse, très méritante, admirable même ". Au milieu d'assertions plus que douteuses, j'y ai encore trouvé cinq corrections exactes.

A. Jacques propose de fondre achaison avec ochaison. Pourquoi n'y aurait-il pas eu un type latin accasionem à côté d'occasionem ? Cf. accident. Je ne comprends pas quel sens A. J. donne à ostiere 2, ni comment osterine peut être considéré comme un adjectif.

Ce huitième article s'ouvre par cette phrase :

" M. G., dans l'errata du IVe et du Ve vol. de son Dict., a rectifié quelques erreurs indiquées ici dans les articles précédents. Je l'en remercierais s'il avait cité mon nom, ou s'il avait au moins renvoyé à la Revue critique. "

Il est impossible d'indiquer d'où vient chaque erratum ; cela importe fort peu aux lecteurs du Dictionnaire et ne sert à rien. De plus si l'on indiquait d'où proviennent les corrections qu'on adopte, il faudrait discuter celles qu'on rejette.

Parmi les articles qu'il est " absolument inutile, selon A. J., de donner avec les exemples mêmes de Littré ", je remarque : onctuosité (l'ex. du Dict. n'est pas celui de Littré) ; oppilation (item); offreur, qui, quoique se trouvant dans Littré, est inusité ; opter, qui ne se dit plus au sens de souhaiter.

J'arrive à l'article sur la lettre P (XXVI, 445, ler semestre 1889), celui qui m'a surtout déterminé à entreprendre une réplique toujours désagréable. A. J. y est devenu acrimonieux et sarcastique, comme il avait commencé de se montrer dans son partial examen de la brochure de M. Millet, écrit quelques mois auparavant.

Il nous semblait, avec de bons juges, qu'au fur et à mesure de son développement notre oeuvre n'avait pas cessé de gagner et de s'améliorer. Tel n'est pas l'avis d'A. Jacques seconde manière.

Mais au moins donne-t-il de bonnes raisons de son changement d'avis ? Apporte-t-il de forts arguments contre cette pauvre lettre P qui a eu le malheur de lui déplaire ? On en jugera quand, rapidement et avec calme, nous aurons examiné quelques-unes de ses critiques.

A. J. nous reproche d'abord les omissions de mots. Cette critique nous touche peu. S'il nous avait fallu attendre d'avoir tous les mots, l'impression ne serait pas encore commencée. Mais, dit A. J., le nombre des mots omis est " incalculable ". Voyons, n'est-il pas bien évident qu'on ne peut pas calculer ce qu'on ne connait point ?

Un second reproche est relatif aux articles que l'on peut appeler inutiles parce qu'ils " sont empruntés sans beaucoup de gène à l'historique de Littré ". Surprenante affirmation ! Les mots que, d'après A. J., nous aurions pillés, -- car c'est ce qu'il veut dire -- dans Littré, sont au nombre de dix-neuf.

Or, voici, pour chacun de ces mots, les ressemblances et les différences :

Pacificateur, un ex.commun avec Littré, deux différents.

Pacification. L'ex. commun avec Littré porte en plus l'indication de la date et du lieu.

Papelarder, un ex. commun avec Littré, un différent.

Parlementer, pas d'ex. commun avec Littré.

Part 1. L'ex. commun avec Littré provient de Ducange et porte en plus l'indication de la date.

Passionner, 2 ex. communs, 20 différents.

Peccatile est un s. m. dont l'omission aurait certainement été relevée par A. J. si nous l'avions négligé. Un lexicographe ne peut pas omettre un mot par la simple raison qu'un de ses devanciers l'a inséré et qu'il n'en a pas rencontré d'autre exemple.

Pedagogisme, a été revu sur une éd. ancienne.

Perception, un ex. commun avec Littré, 1 différent.

Perissement, 1 ex, commun, 2 différents.

Perlé, 2 ex. communs, 3 différents.

Perpetualité, le même ex. que Littré, mais c'est Littré qui a eu tort d'inscrire un mot absolument inusité.

Philosopherie, dans Littré le mot seul, dans Godefroy phrase tirée d'une éd. ancienne.

Piot, un ex. commun avec Littré, quatre différents.

Pistole, 1 ex. commun, 2 différents.

Plateforme, 1 ex. commun. 1 différent.

Poissement, le même exemple que Littré. Littré cite la p. de l'éd. 1605, God. le livre et le chapitre de l'éd. 1805. Il y a donc eu rencontre, mais non pillage.

Poitrail. L'ex. cité dans Littré et dans God. a été emprunté par eux à Ste-Pal., comme ils l'indiquent tous deux.

Ponce, le même ex. Littré cite une édition, God. le ms.

Que le lecteur impartial prononce si nous sommes coupable de plagiat.

A la démonstration que nous venons de présenter nous ajoutons que, sans copier Littré, on peut tomber sur les mêmes exemples que lui, et que les exemples de Ducange, par exemple, n'appartiennent pas en propre à Littré par le fait qu'il les a reproduits.

A. J. propose de véritables corrections. Nous les avons examinées avec une attention scrupuleuse. Il y en a douze en tout. Il ne faut pas oublier qu'elles portent sur 580 pages ; et encore ne s'imposent-elles pas toutes. Ainsi, pourquoi platelier que A. J. traduit par gourmand -- déjà dans la phrase -- ne signifierait-il pas mendiant, quand on a plateler, demander l'aumône, et platelet, petit plat servant à quêter ?

Nous ne reviendrons pas sur les éternelles attaques relatives au plan et à la manière dont le plan a été suivi. Nous avons plusieurs fois répondu. Nous avons avoué, en les expliquant, nos fluctuations. Tout ce que nous pouvons faire maintenant, c'est de prier les vrais amis de la lexicographie française d'attendre la publication de notre abrégé en deux volumes, de nos compléments et suppléments, du volume qui contiendra la langue particulière à la dernière partie du XVe siècle, au XVIe siècle et au commencement du XVIIe, enfin de notre erratum général, qu'accompagnera un vaste relevé, approuvé par M. Arsène Darmesteter, des mauvaises lectures que présentent les principales publications d'anciens textes. Si les circonstances ne sont pas trop défavorables, un petit nombre d'années suffira pour la mise au jour de toutes ces parties de mon immense entreprise lexicographique. Quand j'aurai tout livré, peut-être A. J. ne s'étonnera-t-il plus que le long temps que j'ai dit avoir employé à la préparation du Dictionnaire; scindé pour des motifs connus de tous mes lecteurs, n'ait pas produit davantage.

A. J. a donné sur la lettre Q un dernier article, très court, moins acerbe que le précédent, dans lequel il n'instruit guère et où il prête lui-même grandement à la critique.

Quaterne, dit-il, est mal défini par " cahier, registre ". " C'est simplement, affirme-t-il, un cahier de quatre feuilles. " Ce ton tranchant étonne quand le texte porte: " ung quaterne de papier contenant 19 feuillets." Quaterne, mot savant, dont cahier est la forme populaire, s'employait donc comme cahier pour désigner un registre d'un nombre indéterminé de feuilles.

Il rivalise avec M. Millet en proposant une correction pour Quartel, qui ne se trouve point au Q, mais au C. Il signale parmi les mots absents Quacheul, médaille ou jeton : or le Dict. donne Quacuel, sorte de monnaie de cuivre.

A. Jacques s'élève contre l'admission de Quintaine ; mais le mot et la chose ne sont-ils pas essentiellement du moyen-âge ? Quant aux pronoms que et qui, aux conjonctions quand et que, c'est conformément à l'avis des philologues les plus sûrs qu'ils ont été introduits, ainsi que la plupart des pronoms, prépositions, adverbes et conjonctions. Et malgré l'assertion de A. J., le lecteur attentif trouvera dans ces articles un nombre respectable d'emplois qui ne sont pas dans Littré.

En somme le nouvel article d'A. J. n'apporte qu'une seule indication utile, quibibe = cubèbe.

Il y a quelques mois, un homme d'une autorité considérable, au courant de tout ce qui regarde la lexicographie, écrivait à un de mes plus dévoués zélateurs :

" M. Godefroy a de nombreux amis inconnus. Ils l'invitent à ne se laisser détourner ni décourager par rien... Qu'il poursuive, qu'il achève son oeuvre gigantesque, voilà ce qu'ils réclament. Les défauts et les erreurs disparaîtront dans la majesté, dans l'immensité de l'ensemble, et personne ne songera certes à lui en faire un crime. "

Que mes amis connus et inconnus soient remerciés.

Avec le concours persévérant de ceux que j'ai appelés mon bataillon sacré, MM. J. Bonnard, L. Taulier, C. Royer, A. Delboulle, P. Maquest, avec l'aide de beaucoup d'autres dévoués, Français et étrangers, que le caractère d'utilité générale de mon oeuvre m'a gagnés et attachés cordialement, rien ne me déconcertera et rien ne me sera impossible pour tâcher de justifier leurs sympathies et de répondre à leur attente flatteuse, et aussi pour mériter de plus en plus les éloges des maîtres de la philologie qui, dans leurs livres, dans leurs leçons, dans leurs entretiens se font un devoir de proclamer les services exceptionnels que le Dictionnaire de l'ancienne langue française, malgré ses défauts et ses lacunes, a rendus aux études romanes.

 


Notes

1. A la page 27 de ses Études lexicographiques, M. Millet nous apprend que, de la lettre A à la lettre M inclusivement, il a recueilli plus de deux mille mots omis au Dictionnaire. Le trop partial auteur de l'article inséré dans la Revue critique déclare qu'il connaît quelqu'un qui en a recueilli plus de dix mille. Ces chiffres ne sont pas effrayants, surtout si l'on songe à tout ce que, par système, nous avons momentanément exclu. Pour nos futurs suppléments, nous possédons à l'heure actuelle plus qe vingt mille mots, " mots populaires et de bon aloi, appartenant, à l'âge organique de la langue " ; et nous osons espérer que nos rivaux actuels n'auront guère de neuf à publier après nous. Peut-être ne connaissent-ils pas suffisamment notre patience et notre acharnement au travail. Qu'ils attendent, et ils verront.

2. Cf. Littré, aspic 2 et spic.

3. Et non curveté.

4. M. Millet revient deux fois sur ce mot, p. 24 et 36 de sa brochure. Étonnante récidive à nous faire dire ce que nous n'avons pas dit.

5. Les mots aisse 1 et aisse 2 que nous avons insérés ne sont évidemment, ni l'un ni l'autre, celui que M. Millet prétend n'être pas défini, et sa traduction serait un contre-sens.

6. Ici M. Millet a forgé : le mot lui-même, la définition du Dictionnaire, celle qu'il propose pour la remplacer et ce qu'il appelle le mot suivant.

7. Le costel qui est au Dictionnaire n'a pas le sens de brancard que M. Millet prétend avoir vu et qu'il rectifie en bras d'un brancard.

8. Les deux art. existent au Dictionnaire.

9. Ici l'exactitude était d'autant plus nécessaire qu'il y a un art. corbeus et un art. corbeul.

10. Si c'est escanie que M. Millet a eu en vue, il a fait double erreur : 1° " Pus " n'est pas au Dict. comme définition d'escanie; 2° escanie ne signifie pas escarre. Si c'est bien escharnille, ce mot n'est pas au Dict.

11. Les deux articles existent au Dictionnaire.

12. Entre deux voyelles ! !

13. M. Millet a donc retrouvé ce mot connil ? Page 13 de sa hrochure, il nous reproche d'avoir inséré le diminutif connillet sans le simple connil.

14. Nous supplions M. Millet de nous donner un exemple prouvant le changement de la spirante sourde f en la nasale n.

15. Voir Darmesteter, De la création actuelle de mots nouveaux dans la langue française, p. 186 et 235.

16. Voyez l'ex. d'Oresme qui distingue bien les deux mots «  Se leur tristesse est alegee ou aleviee. »

17. Ainsi M. Millet confond assens d'assenser avec assent d'assentir, consens de consenser (forme hypothét.) avec consent de consentir; despers (fém. desperse, adv. despersement) avec despert (fém. desperte, adv. despertement), le simple goffe avec le dérivé goffon, etc.

18. Ecrit cueumere dans la brochure.

19. Remarquez que le même article donne la forme tout à fait régulière entençon.

20. Zeitschrift für romanische Philologie, XII, 537.

21. Cité par M. G. Paris dans son article sur la locution avoir son olivier courant (Romanïa, XVIII, 133).

22. M. Wilmotte (le Moyen Age, II 14) dit de son côté, avec quelque indulgence, que " les étymologies de M. Millet sont loin d'avoir toujours l'exactitude voulue ".

23. Comme notre critique, nous désignerons par M. P. le mot précédent et par M. S. le mot suivant, et nous mettrons entre -- -- les définitions de M. Millet.

Nous ne nous occuperons pas des informations contenues dans les pages 16 à 23 des Études lexicographiques, parce que l'absence d'exemples leur ôte toute espèce de valeur scientifique.

24. Lisez chapitel. Capitel, qui figure aussi au Dictionnaire, est un mot savant.

25. Nous mettrons en italiques la définition du Dictionnaire et entre deux --celle du critique.

26. M. Millet supprime cette seconde partie, essentielle, de notre définition.

27. Zeitschrift fùr romanische Philologie, XII, 537.

28. Voici l'exemple: " Feut voille faicte au serain et delicieux aguyon, en grande allaigresse. " (Rabel., IV, 29) L'aquilon n'est pas un vent serein et délicieux. La briefve déclaration d'aucunes dictions, etc., citée par Jacob, dit : " Àquyon, entre les Bretons et les Normands mariniers, vent doux, serein et plaisant."

29. Le Moyen Age, II, 14.

30. Loco citato.