AVERTISSEMENT

 

Le Complément, c’est-à-dire l’historique, offrira de notables différences avec le Dictionnaire. J’indiquerai brièvement les principales:

Les sources ne seront pas indiquées avec les détails que donne le Dictionnaire. Elles seront les mêmes que pour la première partie : mêmes manuscrits, mêmes éditions critiques qu’on m’aura vu citer mille et mille fois. Ni M. Littré, dans son Dictionnaire de la langue française, ni MM. Arsène Darmesteter, Hatzfeld et Thomas, dans le Dictionnaire général, n'ont indiqué avec détail les sources des exemples de la vieille langue, et personne jusqu’à maintenant ne leur a reproché cette omission. J’ose espérer qu’on ne trouvera pas mauvais que, pour mon Complément, je suive des exemples si autorisés.

2° Le mot est étudié sous la forme ancienne et populaire. Ex.: AIGLANTIER, correspondant à aiglant de la première partie et non pas EGLANTIER. CENGLER, ou CINGLER, et non pas SANGLER ; FORSBOURG, mod. FAUBOURG ; SOUCICLE, souci, fleur.

3° Les graphies des mots, quelquefois si nombreuses, seront supprimées à l’en-tête pour économiser de la place, mais des appels seront établis pour toutes celles qui offrent un véritable intérêt philologique ou qui pourraient embarrasser le gros des lecteurs.

4° Richel. y sera remplacé par B. N., Arch. par A. N.

A la fin du dernier volume j’indiquerai mes sources alphabétiquement, comme l’a fait M. Littré.

Ce que j’ai fourni de citations très anciennes au Dictionnaire général fera deviner l’extrême richesse de textes de sortes que j’ai recueillis depuis l’origine du Dictionnaire, c’est-à-dire depuis ma vingt-quatrième année. Pour cet historique, que je suis obligé de condenser en deux volumes et demi, il me faudra synthétiser, abréger, élaguer rigoureusement et ainsi gagner de la place.

Ce qu’on remarquera peut-être principalement dans mon Complément, c’est que j’y introduis une grande partie de la langue du XVIe siècle, celle qui se rapporte à des familles de mots bien établis, dont la signification est bien française et bien claire. Les mots éphémères, employés par un petit nombre d’auteurs, plus ou moins hasardés ou fantaisistes, seront étudiés dans un lexique à part, que je donnerai à la suite du Supplément.

Quelques semaines après avoir arrêté dans ses grandes lignes le p1an de mon Dictionnaire de l'ancienne langue française, je fus invité par des amis à faire une allocution qui exposât mes idées, mes projets, mes espérances. facilement à ce désir, et je conservai de ce discours des notes abondantes, suivant une habitude contractée dès ma première jeunesse et que je gardai toujours, ayant eu de fréquentes occasions de parler en public.

Parmi les auditeurs de l’étudiant improvisé orateur se trouvaient des personnages attirés par le bruit qu’avait déjà fait la hardiesse de mon entreprise, et dont plusieurs devaient en devenir les patrons les plus puissants et les plus zélés, M. le comte, depuis marquis de Laborde, directeur des Archives nationales, M. Egger, M. Huillard-Breholles, protégé de M. le duc de Luynes, M. le duc de Luynes qui voudra être le plus généreux protecteur de mon oeuvre déjà presque l’impression, M. le comte Jaubert, qui aura la bonté de m’apporter lui-même la première édition de son Centre de ta France. Ils dirent à M. Littré ce qu’ils avaient entendu. M. Littré, à qui plus tard je fus si heureux de dédier mon Dictionnaire, daigna m’exprimer son contentement. Il conçut de favorables augures de ce début, invita l’auteur à le venir voir, enflamma l’ardeur déjà brûlante du jeune travailleur par ses paternels encouragements, et à partir de ce se fit le porte-voix d'un travail dont personne plus que lui n’avait désiré l’apparition.

Que mes lecteurs m’excusent d’avoir rappelé ces souvenirs. Me les remémorer souvent a soutenu mes forces et mon courage jusqu’au commencement de la publication devenue possible par un décret que rendit M. Waddington, à qui je fais un devoir d’offrir l’hommage public de ma profonde reconnaissance, au moment où la première partie de l'oeuvre vient d’être terminée.

Les principaux membres de l’institut avaient demandé à M. le Ministre de l’instruction publique de vouloir bien accorder à l’oeuvre dont ils disaient l’importance une allocation suffisante pour un Dictionnaire qui devait avoir au moins dix volumes.

Les membres de la Commission des publications, MM. Alfred Maury, de Longpériers, Léon Regnier, après examiné quatre feuilles imprimées aux frais du ministère de l’Instruction publique, par les soins obligeants de M. de Watteville, autre patron du Dictionnaire, dont je n’ai jamais oublié le zèle et la bonté, présentèrent un rapport favorable à M. Waddington qui rendit le décret sauveur.

J’ai voulu ici, par l’occasion qui se présentait naturellement, esquisser quelques traits de l’histoire de mon Dictionnaire, suivant le conseil qui m’a été donné plusieurs fois, et récemment encore par un très bienveillant ministre de l'Instruction publique. C’est pourquoi je citerai, absolument tels que je les ai retrouvés et sans les relier entre eux, quelques passages de ce discours, que les jeunes érudits, formés et excités à de vaillants efforts par des maîtres tels que MM. Gaston Paris et Paul Meyer, ne liront peut-être pas sans intérêt.

"S’il prend quelquefois à notre travailleur une juste défiance de ses forces, il sera ranimé non seulement par la misère ou l’insuffisance de ce qu’il veut remplacer, mais encore par de glorieux exemples, tels que ceux d’Henri de Ducange, et, dans un autre ordre de travaux, de Forcellini, de Facciolati, de Johnson, de Webster.

"Souvent il serait tenté de rejeter, ou de glisser, ou de feuilleter du pouce, voyant la mince récolte que lui offrent pour prix de tant de peine ces auteurs secondaires ou inférieurs ; il persévère cependant, et, au bout de quelques mois, parvient à glaner, même dans cet aride champ, de riches épis.

"Crainte de faiblir, il faut que notre intrépide oseur se redise souvent à lui-même la grandeur de l’oeuvre entreprise, que cette pensée fréquemment renouvelée fasse que non seulement il écarte l’obstacle, mais qu’il s’appuie sur l'obstacle même pour s’élancer plus loin, selon la pensée d’un grand poète [1]; que son travail devienne une passion qui résiste à tout, qui console de tout, mécomptes inévitables, sacrifices continus et de toute sorte. Une résolution comme la sienne, prise avec transport, dans toute la maturité de l’esprit, soutenue avec une persévérance raisonnée, communique à la volonté une indéfectible énergie.

 

AVERTISSEMENT

Je terminerai cet avertissement en rappelant les voyages dans tous les pays de l’Europe que j’ai faits à la recherche des devaient enrichir et autoriser le Dictionnaire de l’ancienne langue française. Pendant près de vingt ans, absorbé dans le travail et dans l’accomplissement de grands devoirs, j’avais mené la vie la plus sédentaire ; à partir de 1868 je devins grand voyageur. J’allai deux fois à Rome, Naples, le Mont-Cassin, Milan, Florence ; deux fois à Londres ; une fois Oxford et Cambridge ; quatre fois en Suisse, Berne, Zurich, Fribourg, Neuchâtel, Lucerne, Lausanne ; sept fois dans la Belgique parcourue en tous sens, Mons, Charleroy, Tournai, Dinant, Louvain, Liège, Spa ; deux fois en Allemagne, Cologne, Bonn, Mayence ; trois fois à Metz, avant et après la fatale annexion; nombre de fois, près de Paris, aux riches archives de Versailles, de Melun, aux archives hospitalières de Meaux, à Chantilly, pour consulter les incomparables manuscrits si gracieusement mis à ma disposition par le Duc d’Aumale, qui m’ont tant fourni pour la première partie et qui n’enrichiront pas moins le complément et le Supplément, si j’en puis continuer le dépouillement ; deux fois à Eu pour y dépouiller à fond le très important Cartulaire rouge qui m’avait été signalé, en 1869, par M. Littré. En 1883, ayant mis en réserve quelques fonds sur le grand prix Gobert, que l’Académie des inscriptions m'avait décerné, j’allais partir pour consulter les manuscrits de la Bibliothèque des tzars, quand les plus importants me furent envoyés diplomatiquement.

C’est ainsi que mon Dictionnaire est devenu ce qu’il est, très imparfait, très incomplet, mais déjà très riche, et qui le paraîtra bien davantage quand j’aurai pu donner, dans une publication à part. le gros volume de Suppléments que j’ai réunis jour par jour.


Notes

1. Lamartine, Harmon., liv. II, VII.