Godefroy, Frédéric-Eugène, philologue, né à Paris, le 13 février 1826 et mort à Lestelle-Betharram, Pyrénées-Atlantiques, le 30 septembre 1897.

Second fils d’une famille de la moyenne bourgeoisie parisienne, GODEFROY reçut son éducation première de sa mère et de son père, et les bases de son instruction sous l’autorité de l’abbé Dupanloup, au petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, à Paris, où il était de trois ans le cadet d’Ernest Renan. Il reçut là une formation littéraire très classique ; son intérêt pour les langues classiques et modernes ainsi que pour le sanscrit ne s’affirma qu’autour de sa vingtième année, alors qu’il lui fallait envisager une carrière d’enseignant . Au lieu du système de l’instruction publique d’État, GODEFROY choisit de rejoindre l’enseignement confessionnel de l’église catholique et y trouva un emploi de professeur de littérature qui lui laissait assez de temps pour qu’il consacre ses loisirs, d’une part, à des tâches de journalisme dans les cercles catholiques conservateurs, et, d’autre part à des recherches personnelles sur le français dans les bibliothèques et les archives nationales et étrangères. GODEFROY put ainsi commencer à se faire connaître en publiant à partir de 1859-60 les premiers volumes de sa monumentale Histoire de la littérature française. Ce renom acquis dans les milieux conservateurs le fit distinguer par Victor Duruy, à l’instigation de qui, en 1870, peu avant la défaite de Sedan, lui fut confiée par le gouvernement impérial la responsabilité de fouiller les bibliothèques de Rome, Florence, Milan, et Naples pour y trouver des traces de documents concernant les débuts de la langue littéraire française.

Le gouvernement de la troisième République, en 1888, missionna également GODEFROY pour des recherches similaires à Modène et Venise, puis dans les plus grandes bibliothèques du Royaume-Uni, d’Allemagne et de Suisse. GODEFROY renouvelait ainsi, dans un tout autre contexte historique, scientifique et social, le geste fondateur des philologues de la première génération des années 1830-1840, autour de Gabriel Peignot, Paulin Paris, Georges-Adrien Crapelet, Francisque Michel, Xavier Marmier, Gustave Fallot, etc. Et l’on peut donc envisager l’œuvre de GODEFROY comme une tentative de refondation de la philologie française médiévale, classique, moderne et contemporaine, sur les bases des acquis de la linguistique historique et comparée développée depuis le milieu du XIXe siècle. Ce qui implique rétrospection, réflexion et diffraction des objets, des méthodes et de l’épistémologie de la science du langage.

Dans le cas précis, ce travail n’allait pas sans un certain éclectisme de méthodes et de protocoles d’analyses probablement imputable aux présupposés philosophiques, sociologiques et politiques de sa recherche, qui permit à GODEFROY d’établir des contacts entre des personnalités aussi diverses et souvent contradictoires que Louis Veuillot, Émile Littré, Émile Egger, Prosper Mérimée, Abel-François Villemain ou Sainte-Beuve… Des personnalités, qui, en grande partie regardaient plutôt vers le passé de la société et de la science. Toutefois Littré encouragea généreusement GODEFROY à publier à partir de 1881 les trois premiers volumes de son Dictionnaire de l’ancienne langue française. Salué encore de nos jours comme un instrument irremplaçable, cet ouvrage laisse néanmoins très vite percevoir aujourd’hui le caractère fruste de sa technique lexicographique, que rédime seulement un évident amour du travail de documentation philologique.

En dépit de l’appui paradoxal de Littré, puisque ce dernier était le chef de file du rationalisme positiviste en matière de science linguistique, GODEFROY resta néanmoins toujours un marginal au regard des institutions officielles de la recherche et de l’enseignement supérieur. Il est symptomatique à cet égard que, malgré l’additif du soutien très actif du Duc d’Aumale, et les missions officielles qui lui furent confiées par ce dernier, GODEFROY ne fut jamais élu à l’Institut de France, devant se contenter de voir son Histoire de la littérature française couronnée par l’Académie française, juste avant d’obtenir la seconde nomination du prix Gobert, en 1882, puis le premier, de 10.000 fr., en 1883, et de le recevoir une nouvelle fois, mais posthume, en 1898 !…

Il est vrai que l’époque, dominée par le passage de la science du langage d’un marché civil à un marché étatique, était alors à l’institutionnalisation de la philologie et de la linguistique par le biais de sociétés savantes et de grands établissements d’enseignement — Société de Linguistique de Paris, Société de l’Enseignement supérieur, École Pratique des Hautes Études, Sorbonne — ainsi que de la création de revues spécialisées — Revue critique d’Histoire et de Littérature, Revue des Langues Romanes, Romania, Revue des patois, Revue des patois gallo-romans, Bulletin de la Société des parlers de France, etc… Et, de fait, les nouveaux hérauts du savoir, Paul Meyer, Gaston Paris, Gaston Clédat, y compris Michel Bréal et même leurs propres adversaires, tels que Jules Boucherie ou Georges Chabaneau, refusèrent toujours d’accorder quelque reconnaissance de valeur aux travaux de GODEFROY On peut penser que cet ostracisme est imputable aux idées politiques développées par GODEFROY dans quelques-uns des articles qu’il publiait simultanément à ses recherches de philologue dans les journaux catholiques de l’époque : la Patrie, l’Univers, le Correspondant, la Revue du monde catholique, etc.

Œuvres :

(1859-63): Histoire de la littérature française, depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours, 3 vol. suivis de 12 autres volumes jusqu’en 1882.

(1862): Lexique comparée de la langue de Corneille et de la langue du XVIIe siècle en général, Paris.

(1872): L’Instrument de la revanche. Études sur les principaux collèges chrétiens, 3 vol. in-8°

(1872): Morceaux choisis des prosateurs et poètes français des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles.

(1865-1876): Nombreuses éditions de Boileau, Corneille, Fénelon, La Bruyère, La Fontaine, Massillon, etc.

(1878): La Mission de Jeanne d’Arc.

(1881-1902): Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes, du IXe au XVe siècles, avec une préface: De l'étude méthodique des langues anciennes et des langues vivantes, Meulan, De Belcourt.

(1885): Grammaire française.

(1890): Réponse à quelques attaques concernant le Dictionnaire de l'ancienne langue française.

(1901, posth.): Lexique de l'ancien français, Paris, Bertrand.

Sources :

ROMAN d'AMAT (1955): Dictionnaire de biographie française, vol. XIV, B.N. 4° Ln1 192.

TAVERNIER, R.(1898): Notice nécrologique de F.GODEFROY in La Revue du Monde Catholique, 27, p. 197.

J.-Ph. SAINT-GÉRAND