Bescherelle, Frères

Bescherelle, Henri-Honoré (1804-1887), dit Bescherelle jeune, employé au Conseil d'État.

Bescherelle, Louis-Nicolas (1802-1884), dit Bescherelle aîné. Lexicographe français. Ancien bibliothécaire du Louvre. L.-N. Bescherelle -- qui ne fut en aucune manière pédagogue -- a publié de nombreux ouvrages de grammaire normative et des dictionnaires; ces travaux présentent la caractéristique de solidariser les dimensions historiques et géographiques de la langue française, dans le souci de promouvoir une conception " nationale " de sa représentation. En effet, après avoir fait des études de droit, L.-N. B. cède comme beaucoup d'autres de sa génération à son goût pour les lettres. Mais celui-ci ne s'épanche pas en littérature proprement dite; il s'épanouit dans la production et la compilation d'ouvrages portant sur la langue française, qui est conjoncturellement alors en voie de stabilisation par les effets de la volonté d'un roi illégitime, Louis-Philippe d'Orléans. En effet, celui-ci n'étant plus comme un Bourbon lieutenant de Dieu sur la terre, mais simple Roi des Français, doit asseoir son autorité et son prestige sur une langue parvenant enfin à une véritable dimension nationale ; une langue qui permette la cristallisation d'un sentiment d'identité nationale et d'une culture ancrée en tradition historique. Cette ambition va se concrétiser au moyen de deux entreprises politiques : la loi Guizot de 1833 sur la scolarisation, d'une part, aux effets limités, mais qui fixe le français comme langue de l'école primaire, et qui donne du poids à la mesure de 1832 voulant que les emplois publics ne fussent désormais occupés que par des citoyens maîtrisant parfaitement les normes du français ; et, d'autre part, le vaste mouvement de la première philologie française, que Salvandy et Guizot lancent à la demande du Roi, en dépêchant dans les bibliothèques de France et de l'étranger tous les érudits en mesure de rapporter à Paris les premiers monuments littéraires de la langue française : Francisque Michel, Paulin Paris, qui restitueront à la France la Chanson de Roland, la chronique de Jordan Fantosme, etc. On saisit mieux dans ce cadre l'hyperactivité grammaticalo-linguistique de ces années, et l'intérêt idéologique des travaux des Bescherelle, qui présentent tous la caractéristique de solidariser les dimensions historique et géographique de la langue française, afin de promouvoir une conception nationale de sa représentation.

Membre de la Société Grammaticale de Paris, L.-N. B. rédige en 1829 un opuscule, Le Participe passé ramené à sa véritable origine et soumis à un seul et unique principe, ou Application de l'analyse à cette importante partie du discours, qui inaugure sa carrière de grammatiste, ultérieurement poursuivie en collaboration avec son frère cadet, H.-H. B. ou avec d'autres. L.-N. B. s'engage alors dans la fondation de la Société de propagation de l'enseignement de la grammaire; il entre ensuite comme membre correspondant à l'Athénée d'Anvers, et participe à la vie de multiples sociétés philomathiques, dont la Société de Statistique Universelle, ainsi qu'à la rédaction de la Revue Encyclopédique. En parfaite adéquation avec les urgences politiques de l'heure, L.-N. B. publie alors la Grammaire Nationale (1834), dont le titre complet est tout un programme. L'ouvrage est préfacé par Philarète Chasles [De la Grammaire en France, et principalement de la Grammaire Nationale, avec quelques observations philosophiques et littéraires sur le Génie, les Progrès et les Vicissitudes de la langue française], et qui se développe sur près de 900 pages.

Cette grammaire, également diffusée à l'étranger, connaîtra 15 éditions successives, la dernière étant publiée en 1877 par la Librairie Garnier frères, qui avait repris en 1869 le fond incendié de l'Abbé Jacques-Paul Migne. Les frères Bescherelle ont souhaité rédiger dans cet ouvrage une grammaire reflétant le génie de la langue française à travers la pratique des plus grands écrivains classiques et de quelques inoffensifs romantiques. Ce faisant, ils exposent naïvement un raisonnement analytique et explicatif écartelé entre l'impératif rationnel du XVIIIe s. et les pressions esthético-moralisantes du XIXe siècle. Le traitement des parties du discours s'y révèle conforme à la tradition inaugurée par Lhomond avec -- cependant -- un infléchissement sensible vers la valorisation stylistique des phénomènes d'expression. Une insistance particulière est accordée au système verbal, notamment dans ses aspects normatifs, ce qui ne surprendra pas compte tenu de la part prise dans l'entreprise par Litais de Gaux, auteur en collaboration avec P. Verlac, d'un Dictionnaire Synoptique de tous les Verbes de la langue française, tant réguliers qu'irréguliers, entièrement conjugués [Paris, Didier, 1850], dont les résultats seront pour longtemps récupérés et commercialisés d'ailleurs sous la dénomination de Bescherelle des verbes français. Les innovations terminologiques de l'ouvrage sont inexistantes. Le corpus illustratif des frères Bescherelle se partage équitablement entre les témoignages des littérateurs -- prose et poésie versifiée confondues -- et ceux de leurs prédécesseurs grammairiens. Voisinent ainsi dans une même page les témoignages de Domergue, J.-J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Buffon et Voltaire [p. 259]; ou Delille, Michaud, Boileau, J.-J. Rousseau, Collin d'Harleville, Thomas Corneille, Chateaubriand, Marmontel, Campistron, Racine, De Wailly, et Girault-Duvivier [p. 565]. Quoiqu'ils fussent tous censurés pour une raison ou pour une autre, les ouvrages de référence auxquels renvoient les frères Bescherelle s'inscrivent dans la tradition de Restaut, de Lhomond [pourtant vivement critiqué], Lemare, Blondin et Boniface. Tenant un discours moralisateur sur la norme grammaticale, et exposant les lois de l'usage orthographique, morphosyntaxique [la conjugaison des verbes] et lexical, les Bescherelle, qui ne sont pourtant grammairiens ni de formation, ni de profession, poursuivent la tâche édificatrice de Girault-Duvivier et de sa Grammaire des Grammaires [1811]. Ils donnent de la langue une représentation ordonnée et revendiquent d'exercer un magistère esthétique et social, incluant sans surprise une dimension nettement éthique: "Aujourd'hui que l'on commence à rougir tout à la fois des écarts de la pensée et des erreurs du style; que les livres qu'enfantait l'esprit déréglé de quelques écrivains ont passé de mode; qu'on en est revenu à la nature, à la vérité, au bon goût, cet ouvrage, destiné à ramener la langue dans les limites raisonnables que nos grands écrivains ont su respecter sans rien perdre de leur essor et de leurs prodigieux avantages, ne peut manquer d'obtenir les suffrages universels, et il restera, nous en avons l'espoir, comme le monument le plus imposant qu'on ait jamais élevé à la gloire de notre langue" [p. VIII].

En 1838, L.-N. B. affiche plus nettement son zèle didactique et prescriptif en publiant une revue : la France Grammaticale, qui n'aura toutefois que trois publications. Il est vrai que cette date, qui est aussi celle de la mort définitive du courant de la grammaire métaphysique ou générale issue du XVIIIe siècle, signe le début d'une re-grammatisation scolaire de la langue française, soutenue par les récents acquis de la grammaire historique et comparée que les frères Grimm, Diez et Bopp développaient outre-Rhin depuis 1810. Or le discours didactique de L.-N. B. se résume en trois idées essentielles. 1° Apprendre à lire n'est pas apprendre à déchiffrer : l'enseignement de la grammaire est lié à un projet d'enseignement de la lecture de textes et d'analyse logique des phrases complexes. 2° La démarche générale d'apprentissage doit ainsi être progressive et analytique : il faut partir d'exemples, et s'appuyer sur des textes lisibles par des enfants, évoquant leur expérience quotidienne. 3° Il convient enfin de faciliter l'enseignement de la grammaire, non par des simplifications abusives, mais par recours à des contenus authentifiés par de grands textes littéraires ou empruntés à des situations réelles. L.-N. B. défend là une conception logique, esthétique et morale de la langue inscrite au fond dans une tradition classique bien connue. En France même, il ne peut toutefois s'opposer durablement, après Humboldt, à l'expansion d'une pensée du langage inédite qui dépasse le cadre des règles d'un système achevé et postule une énergie de la langue propice à l'exercice de sa fonction de représentation du monde [Weltanschauung], qu'illustrent les plus grands écrivains romantiques et que théorisent les nouveaux linguistes à partir de 1839 [Wey, Fallot].

Le Dictionnaire National, projeté en 1843 comme le complément de la grammaire de 1834, voit le jour en 1846 sous la forme de deux volumes grand in 4°, format des ouvrages analogues de l'Académie française, de Landais, et de Laveaux [1820]. Comme la majeure partie des dictionnaires universels, la nomenclature répertoriée est abondante : environ 130 000 entrées. Elle est introduite par une préface, une table des abréviations utilisées, et une liste des auteurs cités : 472 noms, en réalité beaucoup plus. Par comparaison avec les dictionnaires antérieurs ou contemporains, la présentation typographique des notices, et le classement des sens enregistrés, dénotent un net souci d'amélioration de la lisibilité. 381 marques de domaines, plus du double de celles utilisées par les concurrents, témoignent de cette volonté de classification. Entre le purisme frileux de l'Académie et le laxisme non contrôlé des autres dictionnaires universels, les Bescherelle suivent alors une voie moyenne : leur dictionnaire veut être le dictionnaire de "tout le monde "et non d'une "coterie", nonobstant il n'intègrera pas le langage populaire [d'Hautel, Desgranges] ou vicieux [Platt]. Les Bescherelle revendiquent la mesure dans le choix des mots, par le recours à la loi de l'usage, le souci de la vérification, la méfiance à l'égard des néologismes, des archaïsmes, et surtout des provincialismes. Le soin à apporter aux acceptions, et aux classement des sens des mots est certes devenu un lieu commun depuis l'article dictionnaire de d'Alembert dans l'Encyclopédie, mais les Bescherelle soulignent déjà la place fondamentale de la syntaxe dans les mécanismes du sens, ainsi que la nécessité d'appuyer les définitions sur des analyses grammaticales d'exemples. Moderne, le Dictionnaire National veut l'être par le choix des auteurs d'exemples. Non seulement les écrivains des XVIIIe et XIXe siècles représentent les trois quarts de l'ensemble, mais surtout les auteurs postérieurs à 1820 constituent à eux seuls plus du quart des auteurs cités. Bien sûr les Bescherelle restent traditionnels, Bossuet, Fléchier, Massillon, Racine, Voltaire, Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre demeurent les références de prédilection, ainsi que Chateaubriand. Mais à leurs côtés, on note les présences récurrentes de Louis-Sébastien Mercier, Casimir Delavigne, Alcide de Beauchêne, et Andrieux, de journalistes, d'hommes politiques, d'essayistes contemporains, et de scientifiques. Si l'objectif de la Grammaire Nationale trouvait sa réalisation dans des exercices pragmatiques de phraséologie, le Dictionnaire National propose des modèles idéologiques d'emploi des mots assortis de considérations d'usages nettement hiérarchisantes.

Les Bescherelle s'accommodent fort bien de l'opposition d'une science logique du langage, héritée de la grammaire générale, et d'une pratique normative de la langue enregistrée, et triée, par le dictionnaire. En langue, tout doit pour eux être explicable : le Dictionnaire National, à la différence des "vocabulaires" et des innombrables dictionnaires généraux publiés entre 1825 et 1845, ambitionne de rendre compte de ces emplois, et veut justifier les variations sémantiques, établir au-dessus de ces dernières une continuité reflétant une irénique homogénéité du monde réel. La fixation de la France dans et par sa langue.

Initiateurs et comparses, y compris sous des pseudonymes [Dr Sévérus Syntaxe], de nombreuses querelles propices à la floraison d'incessants libelles, les frères Bescherelle sont parfaitement représentatifs de ces "polygraphes" prescriptivistes de la langue -- dont le XIXe siècle a regorgé -- qui fixèrent dans leurs écrits les conceptions épilinguistiques socialement discriminantes d'une bourgeoisie triomphante, que le siècle devait confirmer dans ses certitudes axiologiques par tous les gouvernements et tous les régimes politiques qui le traversèrent.

La liste des ouvrages majeurs publiés par les Bescherelle peut s'établir de la manière suivante :

1829 : Le Participe passé ramené à sa véritable origine et soumis à un seul et unique principe, ou Application de l'analyse à cette importante partie du discours, Paris, l'auteur, in 12° 42 p.

1829 : Revue grammaticale ou Réfutation des principales erreurs des grammairiens, Paris, chez l'auteur, 64 p.

1834 : Grammaire Nationale ou Grammaire de Voltaire, de Racine, de Bossuet, de Fénelon, de J.-J. Rousseau, de Buffon, de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand, de Casimir Delavigne, et de tous les écrivains les plus distingués de la France [...]

1834 : Théorie et exercices de la Grammaire Nationale, Paris, Bourgeois-Maze, libraire, Dubois-Voilquin, Frères, Leipsick, Léopold Michelsen, in-8°, 624 p.

1838 : La Petite grammaire de l'école pratique, ou Grammaire du premier degré, Paris, Delloye, 166 p.

1838 : La France Grammaticale, Journal des écoles primaires, des collèges, des pensions, des gens du monde et de l'instruction publique en général principalement destiné à : 1° guider les jeunes maîtres dans l'art difficile d'enseigner, à éclairer leurs doutes, et à les fixer dans les choix des meilleurs livres élémentaires. 2° à examiner, sous le rapport du style, tous les ouvrages nouveaux ; 3° à favoriser les progrès de la langue et le perfectionnement des méthodes ; publié par L.-N. Bescherelle, avec le concours et sous le patronage de MM. Guizot, Villemain, Casimir Delavigne, Bescherelle Jeune, Durazzo, avocat, Gillet-Damitte, bachelier ès-lettres instituteur supérieur, Perron, professeur à la faculté de Besançon, Guinepolle, professeur d'art et de littérature.

1838 : Réfutation complète de la grammaire de MM. Noël et Chapsal, appuyée sur plus de cinq mille exemples tirés de nos grands écrivains, ouvrage indispensable aux instituteurs et institutrices, nouvelle édition augmentée de l'examen critique de la Grammaire populaire de M. Ch. Martin et des ouvrages de M. Vanier, Paris, Bourgeois-Maze, 226 p.

1838 : Étrennes grammaticales, ou les "Parce que" de la langue française pour l'année 1838, Paris, Saintin, 320 p.

1838 : En collaboration avec É. Braconnier et plusieurs membres de la Société grammaticale de Paris, Réfutation complète de la grammaire de MM. Noël et Chapsal, appuyée sur plus de 3000 exemples tirés de nos grands écrivains ou Grammaire des écoles primaires supérieures, des pensions, des collèges et des gens du monde, Paris, Librairie de la société d'émulation pour le perfectionnement de l'instruction primaire en France, VII-208 p.

1838 : Almanach des instituteurs et des institutrices pour l'année 1838 ou Étrennes pédagogiques grammaticales, Gillet-Damitte… Paris, A. Saintain et Thomine, in 12° iv- 320 p.

1839 : La Grammaire de l'Académie ou Galerie critique de la plupart des barbarismes, solécismes, fautes d'orthographe, définitions fausses… dont fourmille la sixième et la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie Française, par le Dr Sévérus Syntaxe (L.-N B.), Paris Bourgeois-Maze, in 12°, 120 p.

1839 : La Grammaire des épiciers, ou Recueil de toutes les fautes qu'on peut commettre spécialement en matière d'épicerie, par le Dr Sévérus Syntaxe, 2e éd., Paris, Bourgeois-Maze, 200 p.

1840 : Abrégé de la grammaire nationale, Paris, Bourgeois-Maze, 337 p.

1840 :La Grammaire des communes, ou le Petit catéchisme de la langue française, Paris, Bourgeois-Maze, 120 p.

1840 : Le Livre de toutes les écoles, ou Leçons préparatoires à l'étude de la grammaire française, Paris, Maire-Nyon, 95 p.

1840 : La Grammaire de toutes les écoles et de tous les degrés, Paris, Delloye, 236 p.

1841 : Plus de grammaire. Barème usuel et populaire de la langue française, Paris, Royer, 408 p. Devient en 1851 : Plus de grammaire, ou Simples règles d'orthographe, de grammaire, Tours, Royer, 572 p.

1842 : Dictionnaire grammatical et usuel des participes français Paris, chez l'auteur, rue du Roule, in 4°, 198 p.

1843 : , Dictionnaire Critique ou Dictionnaire Universel de la langue française. Paris, Simon, in 4°. (premier projet du Dictionnaire National), 768 p.

1843 : Dictionnaire usuel de tous les verbes français. Paris, 2 vol. in 8°. Paris, Breteau et Pichery, in-12, 298 p.

1844 : Dictionnaire classique et élémentaire de la langue française. Paris, E. Teter, in 12°, 353p.

1846 : Dictionnaire National ou Dictionnaire Universel de la langue française ; Plus exact et plus complet que tous les dictionnaires qui existent, et dans lequel toutes les définitions, toutes les acceptions des mots et les nuances infinies qu'ils ont reçues du bon goût et de l'usage, sont justifiées par plus de quinze cent mille exemples choisis, fidèlement extraits de tous les écrivains, moralistes et poètes, philosophes et historiens, politiques et savants, conteurs et romanciers, dont l'autorité est généralement reconnue ; le seul qui présente l'examen critique des Dictionnaires les plus estimés, et principalement de ceux de l'Académie, de Laveaux, de Boiste et de Napoléon Landais, Paris, Garnier frères, 2 vol. grand in 4°, 1329 p. + 1691 p.

1850-1852 : Cours complet de langue française, 7 vol., Paris, chez l'auteur.

1852 : Véritable manuel des participes, ou dictionnaire grammatical et usuel des participes. Paris édité par l'auteur, in 8°.148 p.

1861 : Nouveau traité du subjonctif et de la concordance, Paris, Dupont, 72 p.

1862 : Petite grammaire nationale, ou Grammaire de toutes les écoles de France et de l'étranger, Paris, Gauguet, 269 p.

1866 : Grammaire pour tous, Paris, Le Chevalier, 2 vol.

1866 : Nouveau manuel d'analyse logique et grammaticale, Paris, Dupont, 175 p.

1880 : Dictionnaire classique de la langue française... suivi d'un dictionnaire géographique, Paris. Bloud et Barral, in 8°, 2 vol., IV + 995 et 224 p.

Titre :

Grammaire Nationale ou Grammaire de Voltaire, de Racine, de Bossuet, de Fénelon, de J.-J. Rousseau, de Buffon, de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand, de Casimir Delavigne, et de tous les écrivains les plus distingués de la France ; Renfermant plus de cent mille exemples qui servent à fonder les règles, et forment comme une espèce de panorama où se déroule notre langue, telle que la nation l'a faite, telle que la nation doit la parler. Ouvrage éminemment classique, qui, indépendamment de son but spécial, doit être considéré comme un Cours pratique de littérature française, et une introduction à toutes les branches des connaissances humaines; publié avec le concours de MM. Casimir Delavigne, de Jouy, Villemain, Tissot, Nodier, de Gérando, É. Johanneau, Deshoulières, Lévi, Litais de Gaux, etc… Et précédée d'un Essai sur la Grammaire en France et de quelques considérations philosophiques et littéraires sur la langue française par M. Philarète Chasles, Paris, Bourgeois-Maze, libraire, Dubois-Voilquin, Frères, Leipsick, Léopold Michelsen, in-8°, 878 p.

Descriptif :

Grammaire descriptive et prescriptive.

1834, Paris, Bourgeois-Maze, 2 vol. in-8°.

3e édition, entièrement revue, augmentée de nombreuses citations, et précédée d'un Essai sur la grammaire en France, et de quelques considérations philosophiques et littéraires sur la langue française par M. Philarète Chasles", 1841, Paris, L. Bourgeois-Maze, libraire, Quai Voltaire, 21, Dubois-Voilquin Frères, rue du Roule, 11, Leipsieck, Leopold Michelsen. VIII + 878 p. in-8°; seuls les exemples allégués dans le corps principal sont répartis sur deux colonnes. Environ 3680 signes par page, soit 3.231.040 signes.

15 éditions successives, la dernière étant publiée en 1877 par la Librairie Garnier frères, qui avait repris en 1869 le fond incendié de l'Abbé Jacques-Paul Migne.

Langue cible: français; métalangue: français.

Contenu : De la Grammaire en France, et principalement de la Grammaire Nationale, avec quelques observations philosophiques et littéraires sur le Génie, les Progrès et les Vicissitudes de la langue française, par M. Philarète Chasles [p. 5-13]; Petit vocabulaire grammatical [14-16]; Introduction: Origine et Progrès du langage [17-26]; Du substantif [27-59]; Syntaxe du Substantif [60-94]; Syntaxe du Nombre [95-155]; De l'Article [156-164]; Syntaxe de l'Article [165-186]; De l'Adjectif [187-204]; Syntaxe des Adjectifs qualificatifs [205-240]; Des Adjectifs déterminatifs [241-244]; Emploi et Syntaxe des Adjectifs déterminatifs [245-247]; Des Adjectifs numéraux [248-260]; Des Adjectifs possessifs [261-272]; Des Adjectifs indéfinis [273-312]; Du Pronom [313-315]; Des Pronoms personnels [316-394]; Des Pronoms démonstratifs [395-421]; Des Pronoms possessifs [421-445]; Des Pronoms indéfinis [446-488]; Du Verbe [489-493]; Modifications des verbes [494-513]; Modèle de conjugaison des verbes auxiliaires [513-514]; Modèle des différentes conjugaisons [515-554]; Modèle de conjugaison des verbes unipersonnels [555-556]; Modèle des verbes conjugués interrogativement [557-558]; Syntaxe des Verbes [559-618]; Emploi des Modes et des Temps. Indicatif [619-621]; Imparfait [622-626]; Prétérit défini et prétérit indéfini [626-630]; Futur et Conditionnel [631-635]; Impératif [635- 637]; Subjonctif [637-659]; Infinitif [660-662]; concordance des temps et des modes des verbes [663-666]; Des Participes [667-668]; Du Participe présent et du Gérondif [669-685]; Du Participe passé [685-709]; De l'Adverbe [710-772]; De la Préposition [773-814]; De la Conjonction [815-846]; De l'Interjection [847-864]; Table Alphabétique des Matières [865-878].

Objectif des auteurs: Les frères Bescherelle ont principalement souhaité rédiger une grammaire reflétant le génie problématique de la langue française à travers la pratique des plus grands écrivains classiques et romantiques, de Racine et Boileau à Lamartine par Voltaire, du Belloy, Castel, Chénier, Crébillon, Chénier et Fabre d'Églantine.

Intérêt général: Pour l'histoire de la linguistique, la Grammaire Nationale constitue un excellent exemple de la situation de transition dans laquelle se trouve le raisonnement analytique et explicatif écartelé entre l'impératif rationnel du 18e s. et les pressions esthético-moralisantes du 19e s.

Intérêts spécifiques:

Le traitement des parties du discours s'y révèle conforme à la tradition inaugurée par Lhomond avec - toutefois - un infléchissement assez sensible vers la valorisation stylistique des phénomènes d'expression. Une insistance particulière est accordée au système verbal, notamment dans ses aspects normatifs, ce qui ne surprendra pas compte tenu de la part prise dans l'entreprise par Litais de Gaux, auteur en collaboration avec P. Verlac, d'un Dictionnaire Synoptique de tous les Verbes de la langue française, tant réguliers qu'irréguliers, entièrement conjugués [Paris, Didier, 1850]

Les innovations terminologiques de l'ouvrage sont restreintes et résultent la plupart du temps d'une conception encore ancienne de la logique du langage, assez tautologique: "neutralement: se dit des verbes actifs employés d'une manière neutre"; "supplément: se dit des mots que, pour compléter le sens, on doit ajouter à ceux qui composent la phrase usuelle et elliptique".

Le corpus illustratif des frères Bescherelle se partage équitablement entre les témoignages des littérateurs - prose et poésie versifiée confondues - et ceux de leurs prédécesseurs grammairiens; c'est ainsi que peuvent voisiner dans une même page Domergue, J.-J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Buffon et Voltaire [p. 259]; ou Delille, Michaud, Boileau, J.-J. Rousseau, Collin d'Harleville, Thomas Corneille, Chateaubriand, Marmontel, Campistron, Racine, De Wailly, et Girault-Duvivier [p. 565], etc.

Influence subie: Quoiqu'ils fussent tous censurés pour une raison ou pour une autre, les ouvrages de référence auxquels renvoient les frères Bescherelle s'inscrivent dans la tradition de Restaut, Lhomond, Lemare, Blondin et Boniface. L'influence implicite de Girault-Duvivier, et le besoin de se démarquer des publications de Landais, déterminent pour une part le conformisme du modèle descriptif et explicatif élaboré par les Bescherelle.

Influence revendiquée: L'influence que les auteurs souhaitaient exercer est prioritairement d'ordre esthétique et sociale, incluant donc une dimension nettement éthique: "Aujourd'hui que l'on commence à rougir tout à la fois des écarts de la pensée et des erreurs du style; que les livres qu'enfantait l'esprit déréglé de quelques écrivains ont passé de mode; qu'on en est revenu à la nature, à la vérité, au bon goût, cet ouvrage, destiné à ramener la langue dans les limites raisonnables que nos grands écrivains ont su respecter sans rien perdre de leur essor et de leurs prodigieux avantages, ne peut manquer d'obtenir les suffrages universels, et il restera, nous en avons l'espoir, comme le monument le plus imposant qu'on ait jamais élevé à la gloire de notre langue" [p. VIII].

Influence exercée: A l'heure où la France est passée de la monarchie bourbonienne -- un Roi de France -- à la monarchie constitutionnelle orléaniste -- le Roi des Français -- afficher le prédicat " National " dans son titre désigne immédiatement une ambition de solidarisation politique du corps des sujets parlants et écrivants. Le dictionnaire également " national " des mêmes auteurs achèvera ce dessein, qui ne saurait se réaliser que par une normalisation stricte des exubérances de la langue réalisée au moyen du corset des règles d'une grammaire moins rigidement prescriptive que subtilement distinctive des niveaux culturels et des " mérites " sociaux des locuteurs. Bescherelle est ainsi devenu jusqu'à nos jours mêmes l'exemple de la codification absolue d'une langue permettant d'opérer la diacritique répartition des usagers instruits, éduqués, formés et de ceux qui -- ne l'étant pas -- doivent rester aux marges de la société.

Références : Brunot 1968, t. 12, p. 490-494; Bourquin 1980, p. 292-300; Chervel 1977, p. 138; Tell 1874, p. 324-325; Saint-Gérand 1996a.

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