Grammairien français. Fils d'un avoué, Girault-Duvivier fut admis très jeune au barreau. Mais la Révolution le força à se tourner vers les finances et la banque. Son intérêt pour la grammaire naquit avec la nécessité de donner des leçons à sa propre fille. Conscient des bénéfices qu'il pouvait retirer de l'entreprise à condition d'élargir le cadre de son projet, il publia la première édition de la Grammaire des grammaires, qui recèle quantité de références flattant le personnage de Napoléon, lesquelles furent retirées des éditions postérieures à la Restauration des Bourbons. A la fin de sa vie Girault-Duvivier avait commencé à rédiger un Dictionnaire de la Langue Française, qui aurait dû donner systématiquement la prononciation de tous les mots recensés. Seule la lettre A put être achevée.
Titre : Grammaire des Grammaires ou Analyse Raisonnée des meilleurs traités sur la langue française par Ch. P. Girault-Duvivier, ouvrage adopté pour la Maison Royale de Saint-Denis. Des variations du sous-titre sont à mentionner à partir de la quatrième édition: Ouvrage mis par l'Université au nombre des Livres à donner en prix dans les Collèges, Et reconnu par l'Académie française comme indispensable à ses travaux et utile à la littérature en général.
Descriptif :
Grammaire normative fondée sur la compilation cumulative des grammaires prescriptives et métaphysiques précédentes.
1ère éd., 1811, Paris, Porthmann, 2 vol.
9e éd., 3e tirage, 1840, Paris; A. Cotelle, Libraire-Éditeur, rue Saint-Honoré, n° 140; Imprimerie d'Amédée Gratiot et Cie, rue de la Monnaie, n° 11. Format in-12, 2 volumes: tome premier, 744 p.; tome second, 315 p. + Remarques détachées sur un grand nombre de mots et sur l'emploi vicieux de certaines locutions, 301 p. Soit, 1160 p. + 301 p., ensemble 1461 p. Les Remarques détachées... sont indiquées comme étant de l'Imprimerie de Pihan-Delaforest (Morinval), Rue des Bons-Enfans, n° 34; 2200 signes par page; 2 planches dans le tome second. Environ 3.214.200 signes.
La première édition - 1811 - de l'ouvrage ne figure pas au catalogue de la Bibliothèque Nationale. La seconde éd., accessible à la Bibliothèque Municipale de Grenoble [J. 4801], et - aux États-Unis - à la Yuma Public Library, Yuma, Colorado [80759], à la Tenessee State Library and Archives de Nashville [37219], et à la Library Company of Philadelphia de Philadelphie [13107], la suit immédiatement - 1812 - et inaugure une longue série de rééditions qui s'achève - en 1886 - avec une 21e éd. 2e éd., 1812, Paris, l'Auteur, rue de Grammont, n° 11, et Janet et Cotelle, Libraires, rue Neuve des Petits-Champs, n° 17; 3e éd., 1818, Paris, revue et augmentée par Chapsal; A partir de la 3e éd. - 1818 - figurent les noms de Charles Chapsal (1788-1858), puis de Pierre-Auguste Lemaire, réviseurs successifs de l'ouvrage.; 5e éd., Paris 1822; 7e éd., 1830, Paris; 9e éd., 3e tirage, 1840, Paris, A. Cotelle, Libraire-Éditeur, rue Saint-Honoré, n° 140; 11e éd., Paris, 1842, revue par Pierre-Auguste Lemaire; 15e éd., Paris, 1853; 21e éd., Paris, 1886. Éditions de contrebande en Belgique: 12e éd., 1835, Bruxelles, Scribe, Teenen et Cie. La partition du volume en deux tomes procède de l'accroissement des remarques ponctuelles, à partir de la 3e éd. en 1818. Le succès de l'ouvrage fut considérable puisque 40000 exemplaires de la Grammaire des Grammaires furent vendus dans les 7 premières éd. de l'ouvrage.
Langue cible: français; métalangue: français.
Contenu :
Tome premier: De la Grammaire en général [p. 1]. Première partie: Des mots considérés comme sons. I. Des Voyelles pures et simples [5-21]. Des Diphtongues [22-26]. II. Des Consonnes [27-74]. III. De la Prosodie [75-92]. Seconde partie Des Mots considérés comme moyens de rendre nos pensées, dans la langue parlée et dans la langue écrite. I. Du Substantif [93-212]. II. De l'Article [213-238]. III. De l'Adjectif [239-333]. IV. Des Pronoms proprement dits et des Adjectifs pronominaux [335-485]. V. Du Verbe en général [487-506]. Des Conjugaison [507-529]. Paradigmes ou modèles des différentes espèces de Conjugaisons [530-580]. De l'Accord du Verbe avec son sujet [648-742].
Tome Second: V. [Suite] Des Temps, des Modes et de leur Emploi [745-777]. De la Concordance entre les Temps [778-787]. 1er tableau synoptique [808]. Du Participe en général [788-807]. Du Participe passé [809-831]. 2e tableau synoptique [832]. Solution de plusieurs difficultés que présente l'emploi du Participe passé [833-858]. 3e tableau synoptique [858 bis]. VI. De la Préposition [859-900]. VII. De l'Adverbe [902-987]. VIII. De la Conjonction [989-1020]. IX. De l'Interjection [1021]. X. De l'Orthographe [1022-1084]. XI. De la Ponctuation. XII. De la construction grammaticale et de la construction figurée [1104-1129]. XIII. Des Qualités qui contribuent à la perfection du langage et du style [1134-1148]. XIV. De la Phrase, de la Période, des Membres qui entrent dans la composition d'une phrase et de la Manière de l'analyser [1149-1160]. Remarques détachées sur un grand nombre de mots et l'emploi vicieux de certaines locutions [1-220]. Table analytique des Matières [221-300].
Objectif de l'auteur: Girault-Duvivier a souhaité "réunir en un seul corps d'ouvrage tout ce qui a été dit par les meilleurs Grammairiens et par l'Académie, sur les questions les plus délicates de la langue française". Il reconnaît ne s'être que "rarement permis d'émettre [son] avis, ayant préféré se "contenter de rapporter, ou textuellement, ou par extrait, celui des grands maîtres" et s'appuyant pour cela sur les exemples des "meilleurs écrivains des deux derniers siècles" et ceux de quelques-uns de ses contemporains. Le dessein général est donc celui de l'édification d'un code régulateur de l'usage.
Intérêt général: La Grammaire des Grammaires atteste, au 19e s., de l'irréversible glissement des grammaires philosophiques et générales vers les grammaires pratiques dans lesquelles la littérature est érigée en repère de la valeur des emplois. Elle participe de la sorte au déplacement de la théorisation linguistique vers la validation stylistique de l'usage. En ce sens, elle anticipe sur toute la série des grammaires scolaires de la seconde moitié du 19e s. et du début du 20e s.; sa descendance la plus illustre -- via la Grammaire Nationale de Bescherelle -- sera le Bon Usage de Grevisse.
Intérêts spécifiques:
Le traitement des parties du discours est conforme à la tradition issue des grammaires latines et transmise par Lhomond, ordonnant la classification et la description à partir du substantif.
Les innovations terminologiques de Girault-Duvivier sont inexistantes en termes de création morpho-lexicale; mais le laxisme avec lequel il fait usage des notions qu'il emprunte à ses prédécesseurs suscite parfois - et paradoxalement - des modifications de sens inattendues. Ainsi du terme "Construction", qui en vient à désigner chez lui l'expression de l'ordre du génie intrinsèque de la langue et non de "l'usage long et constant" qu'invoquait, par exemple, Dumarsais dans l'Encyclopédie.
Le corpus illustratif de Girault-Duvivier, du fait même de son dessein compilatoire, est impressionnant, tant du point de vue des auteurs littéraires allégués comme exemples (Malherbe, Marot, Racine, Corneille, Boileau, La Fontaine, Bossuet, Gresset, Montesquieu, Massillon, Guys, Marivaux, Roucher, Voltaire, Delille; mais il ne s'aventure pas au delà de la fin du 18e s.) que du point de vue des autorités grammaticales invoquées (L'Académie française, mais aussi - et dans une pseudo-savante mixité - Auger, Beauzée, Boinvilliers, Bouhours, Buffier, Butet de la Sarthe, Condillac, Demandre, Domergue, Dumarsais, Féraud, Gattel, Harris, Laveaux, Ménage, d'Olivet, Port-Royal, Régnier-Desmarais, Sicard, Sylvestre de Sacy, Vaugelas, et de Wailly!). Les exemples littéraires relèvent la plupart du temps des écrits en vers et sont référencés par le nom d'auteur, le titre de l'oeuvre et une localisation en acte et scène lorsqu'il s'agit d'un écrit dramatique. Les exemples et références grammaticales sont désignés par le nom du grammairien et, généralement, par l'indication d'une pagination renvoyant à l'édition donnée en tête d'ouvrage comme élément de bibliographie.
Girault-Duvivier, juriste de formation, a initialement conçu sa grammaire pour ses propres enfants; c'est ce qui donne à son ouvrage un intérêt pédagogique reflétant d'assez près les motivations de la bourgeoisie pour développer l'instruction publique: les exemples, comme l'indique l'auteur, sont choisis autant pour être des illustrations de la règle que pour être des attestations d'une morale sociale: "Bien convaincu que la religion et la morale sont les bases les plus essentielles de l'éducation; que les règles les plus abstraites sont mieux entendues lorsqu'elles sont développées par des exemples; et qu'à leur tour les exemples se gravent mieux dans la mémoire lorsqu'ils présentent une pensée saillante, un trait d'esprit ou de sentiment, un axiome de morale, ou une sentence de religion, je me suis attaché à choisir de préférence ceux qui offrent cet avantage" [p. VI].
Influence subie: La place de la Grammaire des Grammaires dans l'évolution française des conceptions des idées grammaticales témoigne de l'appétit de cumulation des connaissances qui saisit la bourgeoisie du début du 19e s., et qui, marquant le recul de l'esprit critique et des théories métaphysiques de la langue, précipite la recherche grammaticale et l'enseignement de la grammaire vers les hérésies du mercantilisme plagiaire. Chapsal, auteur prolifique en ce genre, a ainsi inauguré sa carrière de grammairien en étant le secrétaire particulier de Girault-Duvivier. Or l'on sait que ce dernier a - plus ou moins consciemment, et faute d'un arrière-plan philosophique suffisamment solide - détourné de leur application nombre de concepts dérivés de Port-Royal, de Du Marsais, de Beauzée et de Condillac, sous prétexte de leur donner une nouvelle actualité, malheureusement privée des fondements théoriques [art, science, raison, grammaire générale, grammaire particulière] qui les justifiaient.
Influence exercée: Malgré ses défauts, la Grammaire des Grammaires a exercé une influence considérable tout au long du 19e s. et au début du 19e s., puisque cet ouvrage était considéré comme le compendium de l'usage élégant, et qu'il était - à ce titre - l'instrument de consultation par excellence dont disposaient les grands écrivains et les détenteurs - politiques ou non - du pouvoir social.
Références : Bourquin 1980, p. 295-297; Brunot, HLF, t. 10/2, 1968, p. 717 sq.; Höfer1858, t. 12; Levitt 1968;. Saint-Gérand 1992b, p. 293-316; Seguin, 1993a, p. 92-106; Seguin 1993b, p. 202-203; 250, 326; Tell 1874, p. 233.
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