DICTIONNAIRE DU BAS-LANGAGE
OU DES MANIÈRES DE PARLER USITÉES PARMI LE PEUPLE ;
OUVRAGE DANS LEQUEL ON A RÉUNI
LES EXPRESSIONS PROVERBIALES, FIGURÉES ET TRIVIALES ;
LES SOBRIQUETS, TERMES IRONIQUES ET FACÉTIEUX ;
LES BARBARISMES, SOLÉCISMES ;
ET GÉNÉRALEMENT LES LOCUTIONS BASSES ET VICIEUSES
QUE L'ON DOIT REJETER DE LA BONNE CONVERSATION.
.

« In populi quandoque juvat descendere turbas »

Tome premier

De l’imprimerie de L. Haussmann, Paris,
D’Hautel, rue du Bac, n° 122, près les Missions.
F. Schoell, rue des Fossés S.-G.-l’Auxerrois, n° 29

1808


 

Préface

« La langue française se propage de jour en jour avec tant de rapidité que l’on peut espérer de la voir bientôt universellement adoptée en Europe : chacun veut lire ces chefs-d’œuvres originaux que l’on chercheroit vainement dans la littérature moderne des autres peuples ; chacun veut parler une langue que Boileau, Racine, Bossuet, et tant d’autres auteurs célèbres, ont rendue si majestueuse par les sublimes conceptions de leur génie.

Le plus bel apanage d’une langue est sans contredit l’élégance et la pureté ; et où doit-on le plus s’efforcer de faire briller ces précieux avantages, si ce n’est dans l’intimité et l’abandon de la conversation ?

L’ouvrage que l’on publie, est loin, assurément, d’offrir un recueil de ces pensées nobles et pures qui élèvent l’ame et l’imagination, de donner un choix de ces mots dont le son doux et harmonieux flatte si agréablement l’oreille ; la langue, dépouillée de tout ornement, ne s’y laisse apercevoir que sous des formes burlesques ou triviales. Des peintures hardies, mais grossières, des termes ignobles ou barbares, y remplacent continuellement ces nuances fines et délicates, ces métaphores ingénieuses qui concordent si bien avec la politesse et l’urbanité françaises.

Néanmoins, en considérant ce Dictionnaire sous le point de vue qui lui est propre, on se pénétrera insensiblement de l’utilité qu’il présente. En effet, n’est-ce pas en en quelque sorte initier à la perfection du langage, que de signaler avec sévérité ces locutions basses et vicieuses, ces barbarismes nombreux, qui, sous le titre d’expressions familières, se glissent journellement dans la conversation, et de livrer au ridicule ces néologismes bizarres et de mauvais goût, ces termes impropres dont un usge pernicieux semble depuis quelque temps tolérer l’abus.

C’est au milieu du peuple même, ou pour mieux dire dans les différentes classes de la société, que l’on a recueilli les matériaux de cet ouvrage ; et pour le rendre aussi complet que possible, on s’est aidé de tout ce que les dictionnaires français, tant anciens que modernes, pouvoient fournir sur ce sujet.

Le Dictionnaire du Bas-Langage [M. Leroux a traité complètement cette matière, dans son Dictionnaire comique, satirique, critique, etc.] n’ayant aucun but comique on n’a pas cru devoir s’astreindre à y insérer les expressions que l’on trouve dans les auteurs qui se sont adonnés au genre bouffon ou burlesque ; outre que ces expressions travaillées péniblement et avec art, n’ont ni l’énergie, ni l’originalité de celles qui sortent sans effort de la bouche du vulgaire, la plupart d’ailleurs ne sont point parvenues jusqu’à lui ; on s’est également abstenu d’y faire mention de ces innombrables inepties qu’un des théâtres les plus fréquentés de la capitale voit continuellement naître et mourir presque au même moment ; car, on le répète, le but du Dictionnaire du Bas-Langage n’est point de perpétuer ces dangereuses licences, mais, au contraire d’en interdire rigoureusement l’usage, et de conserver à la langue française une célébrité qui lui est si justement acquise.

Enfin, quoique le titre de cet ouvrage semble d’abord justifier tous les excès, toutes les impuretés, on s’est appliqué cependant à en bannir ces termes libres et obscènes qui portent de si cruelles atteintes à la pudeur et à la vertu, et l’on a pensé que l’on ne pouvoit trop fidèlement observer ici, cette belle maxime d’Horace :

….. virtus populumque falsis,
dedocet uti
Vocibus………….

Ode 2, lib. II.


 

Choix de quelques notices :

 

1-412 : Abasourdir - Futé

Tome second

1-398 : Gabatine - Zut

 

ABASOURDIR. Étourdir quelqu’un de plaintes sans fondement ; l’importuner, l’obséder ; le jeter dans la consternation et l’abattement.
Cet homme est abasourdissant. Pour, est ennuyeux, fatigant ; ses discours sont d’une insipidité accablante.

ABATAGE. Avoir de l’abatage. Locution figurée et populaire, qui signifie être d’une haute statue ; être fort, vigoureux, taillé en Hercule.
En terme de police, ce mot signifie l’action de tuer les chiens errans : c’est aussi un terme reçu parmi les acheteurs de bois vif. [p. 1]

CHAFOUIN. Sobriquet injurieux que l’on donne à un homme maigre et chétif ; qui a la mine sournoise, laide et renfrognée. [p. 166]

CHIER. Il a chié dans ma malle jusqu’au cadenas. Se dit d’une personne dont on a sujet de se plaindre, et à laquelle on garde rancune.
On dit bassement d’une personne grossière et mal élevée, qui est sujette à lâcher des vents, qu’elle ne fait que chier.
Bientôt, s’il n’y prend garde, on lui chiera sur le nez. Locution grossière et exagérée qui signifie qu’un homme est d’une foiblesse impardonnable ; qu’il laisse trop abuser de sa patience et de son autorité.
On dit bassement d’une personne pour laquelle on a le plus grand mépris, que l’on chie sur elle.
Chier sur la besogne. Dédaigner l’ouvrage dont on est chargé ; le laisser là. [p. 201-201]

CLAVIOT. Terme bas et populaire qui équivaut à expectoration, crachat ; flegme qui s’arrête dans la gorge.
Un gros claviot. Pour dire un crachat très-épais. [t. 1, p. 211]

GENRE. Avoir le genre ; prendre le genre ; être dans le bon genre. Ces locutions signifient, en termes de petit-maître, avoir la tournure à la mode, les airs musqués ; faire l’important.
Pour parvenir à ce que l’on nomme le bon genre ou le suprême bon ton, il faut d’abord maniérer son langage et grasseyer en parlant ; prendre un air hautain, délibéré, et suffisant ; occuper continuellement la conversation de sa personne, de ses qualités, de son savoir, de ses goûts, de ses fantaisies ; parler tantôt de son coiffeur, de son tailleur, de son bottier ; puis de ses maîtresses, de chevaux ; des spectacles, de Brunet, de Forioso, et de mille autres objets de cette importance : un homme du bon genre doit en outre avoir en main une badine, avec laquelle, lorsqu’il ne la porte pas à sa bouche, il frappe à tort et à travers sur tous les meubles qui sont autour de lui ; et s’il n’est vautré sur un sopha, en présence de toutes les femmes, debout devant une glace, sur laquelle ses yeux sont constamment fixés, il s’enthousiasme des charmes de sa personne ; et, tout en fredonnant quelque air fade et langoureux, il s’occupe négligemment à réparer les désordres d’une Titus ébouriffée ; enfin tout ce qui est ridicule, outré, insipide et féminin, doit se trouver réuni dans ce qu’on appelle un homme du bon genre.
On ne sait de quel genre il est, s’il est mâle ou femelle. Se dit d’un homme sournois et qui mène une vie très-retirée. [t. 2, p. 11]

JAMBE. Jouer des jambes. S’esquiver, se sauver à toutes jambes. Jeter le chat aux jambes de quelqu’un. Rejeter sur lui tout le blâme d’une affaire.
Cela ne lui rendra pas la jambe mieux faite. Se dit de quelqu’un qui se propose de se venger, ou de faire par dépit une chose dont il ne tirera aucun avantage.
Prendre ses jambes à son cou. Pour s’enfuir précipitamment.
Renouveler de jambes. Pour dire, redoubler de zèle.
Avoir les jambes en manche de veste. Expression burlesque, tirée d’une chanson populaire, et qui signifie avoir les jambes torses et contrefaites ; être mal bâti.
Il a la jambe mollette. Pour, il est un peu gris ; il a une pointe de gaieté.
Faire jambe de vin. Boire deux ou trois coups pour avoir plus de force à marcher.
Il a les jambes en pieds de banc de guinguette. Pour, il est bancal et contrefait.
Donner un croc en jambe à quelqu’un. Le supplanter ; lui jouer quelque perfidie.
Il a la jambe tout d’une venue, comme celle d’un chien. Se dit par dérision de celui qui n’a point de mollets [t. 2, p. 59]

VACHE. C’est une vache. Se dit injurieusement d’une femme dont l’embonpoint et [sic] trop volumineux. C’est du mot vache que l’on a fait le verbe populaire Avachir, épaissir à la manière des vaches.
Bon homme garde ta vache. Pour dire, prends garde à tes intérêts, en ce qui te concerne.
Il a pris la vache et le veau. Se dit d’un homme qui s’est uni à une femme qui a anticipé sur le sacrement de mariage.
Vache à lait. Personne à l’appui de laquelle on obtient toute espèce de considération, qui fournit à toutes les dépenses, à tout ce dont on a besoin.
La vache a bon pied. Pour dire cette personne est capable de soutenir tous les frais de l’entreprise. [t. 2, p. 378]

YEUX. Il a les yeux percés avec une vrille. Se dit d’un homme qui a les yeux extrêmement petits, et très-renfoncés. Voyez Oeil.
Yeux tournés à la friandise. Pour dire des yeux fripons, enclins à la luxure.
Deux yeux valent mieux qu’un. Signifie qu’une chose est mieux soignée, quand elle est examinée par plusieurs personnes.
Avoir les yeux pochés au beurre noir, en compote. Voyez Beurre.
Il a plus grands yeux que grand ventre. Voyez Panse.
Se manger le blanc des yeux. Se quereller, se dire des injures, s’emporter l’un contre l’autre, se chamailler continuellement.
Faire les yeux doux, faire les yeux en coulisse. Voyez Coulisse.
Il a la mort dans les yeux. Se dit d’une personne qui est excessivement malade, qui est tombée en langueur.
Cela lui crêve les yeux. Se dit d’une chose visible, qu’une personne ne peut trouver quelque recherche qu’elle fasse.
Jeter de la poudre aux yeux. Voyez Poudre. [t. 2, p. 396-397]