Journal grammatical, littéraire et philosophique de la langue française

Dans la longue et très complexe histoire du Journal de la Langue Francaise, lointain successeur du Journal Grammatical d'Urbain Domergue, et publication aujourd'hui difficile d'accès sous forme de série homogène et continue, nous avons choisi de commencer à reproduire quelques articles marquants des années 1835 et 1837, lesquels ont marqué certains tournants dans le développement de cette revue. Ces extraits constituent les premiers linéaments d'une base destinée à se développer et à s'élargir, grâce à laquelle nous espérons rendre plus compréhensible l'évolution en France de certaines des représentations du langage, de la langue et des langues au cours de cette période de transition qui voit peu à peu la grammaire générale tomber en desuétude et deshérence au profit d'une philologie française destinée à fournir ultérieurement les bases d'une véritable linguistique française.

JOURNAL GRAMMATICAL,

LITTÉRAIRE ET PHILOSOPHIQUE

DE LA

LANGUE FRANÇAISE,

et des langues en général

Rédigé par

G. REDLER, Directeur-Gérant

Membre de la Société Grammaticale et Littéraire de Paris, de l'Institut Historique,

De l'Athénée des Arts, etc.

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
Boileau

2e Série. Tome II

1835

PARIS

Au Bureau du Journal,

Quai Saint-Michel, n° 15


QUESTIONS ADRESSÉES AU JOURNAL

Château de Villequier, 17 octobre 1834

A Monsieur le Rédacteur en chef du Journal Grammatical

Monsieur,

Je viens, à mon tour, mettre votre complaisance à contribution et vous prie de vouloir bien répondre aux questions suivantes :

1° Comment prononce-t-on Knout, Craon, et Quiétude ?

2° Comment se prononce gui de chêne et Guy nom propre ?

Je serais charmé de connaître la liste complète des mots dans lesquels l'u se fait entendre comme dans guise.

3° Comment se prononce le gn des mots ligneux, igné, régnicole ?

4° Fait-on sonner l's dans tiers-état ?

5° Dans Israël l's a-t-elle le son du z ?

6° Les deux l de scintiller ne sont-elles pas mouillées ?

Quels sont les mots dans lesquels les deux l, bien que précédées d'un i, ne sont pas mouillées ?

7° Ecrit-on quatorze cents millions, en mettant une s à cent (1)?

8° Doit-on écrire les Tudors, les Plantagenets, les Lancastres, les Yorks, comme les Bourbons, les Condés, en mettant une s au pluriel (2)?

9° Si l'on écrit Gâteau d'amandes en mettant une s à amandes, ne doit-on pas aussi écrire pâte d'amandes, huile d'amandes (3)?

10° Les phrases suivantes sont-elles correctes ?

Chaque ministre écrit de son côté aux fonctionnaires qui ressortent de son département pour les engager à se concerter avec vous.

(Discours de M. d'Argout)

Mais qu'on chasse aussi les sujets d'autres états qui y vivent tranquilles sous la protection des lois qu'ils respectent, sans qu'il s'élève contre eux la moindre plainte de la part des gouvernants dont ils ressortent…. (4)

(Journal de Genève)

Un des salons est entièrement orné de têtes d'études d'après l'antique, toutes dessinées par la princesse royale, feue reine de Wurtemberg.

(Gazette de Normandie)

Un capitaine avec cinquante hommes, qui étaient venus pour prendre Élie, sont consumés par le feu du ciel.

(Traduction de la Bible)

A mesure que ses plaies intérieures se fermaient, sa beauté et sa grâce refleurissaient sur son visage,

(Victor Hugo)

15° Je soumets les questions suivantes à M. Quitard.

Quelle est l'origine de : ferrer la mule

De chat échaudé craint l'eau froide ?

De : il ne se mouche pas du pied ?

De prendre les jambes à son cou ?

Enfin quelle est l'origine de Carnaval

Veuillez agréer, etc.

BOURLET
Un de vos abonnés.
J.L.F. 1835, pp. 12-14.


GRAMMAIRE NATIONALE

Deuxième article (Voyez tome 1, p. 474)

Il n'est pas de pays où l'on s'occupe moins que dans le nôtre, de l'étude de la langue maternelle. Sur ce point, nous sommes doués d'une suffisance peu commune ; on dirait que nous avons la science infuse. Qu'avons-nous besoin vraiment de lire les grammaires et d'écouter les grammairiens ? Il ferait beau voir qu'en France on ne sût pas le français en naissant !

Il n'en faut pas davantage pour expliquer le secret de ce patois qu'on nous fait journellement entendre au barreau, à la tribune, et jusque dans les cours publics des Facultés.

Il est bien vrai que le pédantisme des maîtres est de moitié en ce malheur avec l'indifférence présomptueuse du public. Cette science importante, ils l'ont hérissée de tant de difficultés oiseuses ! Ils l'ont tellement torturée, méconnue, surchargée, rétrécie ! Rien de complet et rien de simple ; rien de clair et rien de profond.

Une réconciliation semble cependant sur le point de s'opérer entre ceux qui enseignent et ceux qui ont besoin d'étudier. Les premiers se montrent moins exigeants, et les seconds moins récalcitrants. De part et d'autre on se tend la main, l'on s'encourage à mieux faire. Tout le monde y gagnera.

Quand la Grammaire nationale n'aurait d'autre mérite que de rendre la science du langage plus accessible à notre paresse naturelle, ce serait déjà un grand service qu'elle aurait rendu. Ce n'est pas le seul, et la juste sévérité avec laquelle je me suis expliqué sur le charlatanisme de son entrée dans le monde, est une garantie de la sincérité de mes éloges.

J'en pourrais donner en grand nombre, non pour satisfaire l'amour-propre des auteurs qui, sous plus d'un rapport, n'en ont nul besoin, mais dans le seul intérêt de la science et de la vérité. L'embarras pour moi est de savoir les motiver. Je me borne à les résumer en ce peu de mots : J'ai déjà parcouru près de 250 pages de ce livre, et je puis le déclarer en toute conscience, je n'ai guère fait de lecture en cette matière, qui m'ait plus attaché, et dont j'aie mieux profité.

Est-ce donc une œuvre de haute philosophie, soutenue par des vues nouvelles et fécondes ? Non : tout son charme se trouve dans l'heureux choix des citations empruntées à ce que notre littérature offre de mieux pensé et de plus purement écrit.

Cet avantage n'est pas exclusif de beaucoup d'autres. Les auteurs ne se bornent pas à exposer des faits ; ils prennent position, après leurs conclusions, et les dissertations auxquelles ils se livrent, sont, le plus souvent, judicieusement et fort clairement présentées. Ce n'est pas sans plaisir qu'on les voit se déclarer, à toute occasion, les ennemis du préjugé grammatical, combattant, tour à tour, avec ardeur les fausses doctrines des pléonasmes et des gallicismes, qui ne sont au fond que des aveux d'impuissance ; interrogeant l'analyse avec constance, et y puisant des solutions satisfaisantes. Ils se sont mis à la culture d'un sol fertile, et ils en reviennent presque toujours chargés de richesses.

Voilà mon tribut payé ; qu'il me soit permis de l'assaisonner de quelques indispensables critiques.

Ce travail a exigé d'immenses lectures, et, pour employer les propres expressions des auteurs, ils ont dévoré toute notre littérature. Cela n'empêche pas qu'ils ne soient parfois tombés dans de fâcheuses méprises, qui pourraient faire supposer qu'ils n'ont pas toujours puisé aux sources mêmes. A qui croirait-on, par exemple, qu'ils attribuent les deux vers suivants (p. 101) :

Ô mes amis, vivons en bons chrétiens :
C'est le parti, croyez-moi, qu'il faut prendre ?.

Il n'est personne qui n'en ait déjà nommé l'auteur. C'est… -- Eh bien ! pas du tout : C'est… c'est M. Lemare, bien éloigné, sans doute, de revendiquer cette paternité.

Un inconvénient assez grave me semble aussi attaché à la méthode adoptée dans cet ouvrage, laquelle consiste à induire les règles des exemples choisis dans les auteurs classiques, et à admettre comme correct tout ce qu'ils ont écrit. Se soumettre si complètement à leur infaillibilité, c'est aussi s'exposer à des chances par trop périlleuses.

C'est ainsi que (p. 142) la phrase suivante est citée comme fort régulière, et sert d'appui à une opinion que j'oserai déclarer erronée.

" Licinius étant venu à Antioche, et se doutant de l'imposture, IL fit mettre à la torture les prophètes de ce nouveau Jupiter. "

Le mot IL se trouve, sans aucune raison, sujet réduplicatif du verbe FIT.

Par suite du même système, cette phrase de J.-J. Rousseau (p. 149), est également approuvée :

" Pourquoi les riches sont-ils si durs envers les pauvres ? C'est qu'ils n'ont pas peur de LE devenir. Devenir Quoi ? LES PAUVRES ? Le devrait ne reproduire que le mot pauvres (devenir pauvres) ; mais ce mot étant employé comme substantif, ne peut être séparé de son article, et la plus simple vérification analytique met l'incorrection à nu.

Je ne hasarderai plus qu'un reproche de cette nature : poussée trop loin, la sévérité dégénère en injustice, et je suis de l'opinion du poète cité : Ô mes amis, vivons en bons chrétiens.

Les auteurs ont trouvé dans Racine :

Qu'on hait un ennemi, quand il est près de nous !

Dans Destouches :

Quand le bonheur vous guide, on doit suivre ses pas.

Et très conséquents à leurs principes, voilà qu'ils en concluent (p. 164) que les noms personnels nous, vous, peuvent être mis en relation avec on, quand ils sont employés dans un sens général.

Ils poussent même en cela la bonne foi, jusqu'à se conformer eux-mêmes à la règle, et ils écrivent (p. 110) :

ON peut tutoyer :

1° Les personnes avec lesquelles NOUS avons la plus grande familiarité, etc.

SES inférieurs, s'ils sont beaucoup au-dessous de soi. "

Eux qui parlent des grammatistes avec un dédain si magnanime, il est douteux qu'ils trouvent beaucoup de grammairiens de leur avis.

Je me hâte de le dire : ces tâches légères et ces erreurs de détail, sont rachetées par une foule d'aperçus nouveaux et importants. Ce livre serait mauvais, qu'il n'en devrait pas moins se trouver entre les mains de tous ceux qui s'occupent de grammaire, comme mine épuisable d'exemples bons à consulter.

Je n'en puis assez affirmer l'utilité, et quand j'en dis tout le bien que j'en pense, j'ai bien acquis, par ma franchise, le droit d'être cru. Quant à la méthode suivie par les auteurs, depuis qu'ils ont déclaré qu'ils n'entendaient point s'en proclamer les premiers applicateurs (Journal grammatical, tome 1, p. 527), il me paraît inopportun de les attaquer sur ce point. Une autre occasion se présentera de l'apprécier, et ils demeureront alors de plein droit tout-à-fait étrangers au débat.

N. Boussi

J.L.F., 1835, pp. 129-133.


RECHERCHES HISTORIQUES

SUR

LES LANGUES FRANCIQUE ET FRANÇAISE

Par M. P. R. AUGUIS

Chapitre II

Recherches historiques sur la langue française.

(Suite.)

Mots français qui peuvent venir d'une langue étrangère, ou qui ressemblent à ceux d'une autre langue, ou enfin leur origine.

On n'a mis ici que les mots dont l'origine ne se trouve point dans le dictionnaire de Trévoux et dans le dictionnaire étymologique de Ménage, ou dont on donne une origine différente, ou sur lesquels on a cru devoir ajouter quelque chose.

Arracher : Trévoux dit qu'on le fait venir d'auffreissein, qui signifie la même chose en allemand. Ne viendrait-il pas plutôt d'erreichen, atteindre à quelque chose pour le prendre ?

Analogie. Ce mot, qui vient du grec, n'était guère connu du temps de Henri-Étienne, puisqu'il dit :

Si les oreilles françoises peuvent porter ce mot.

Acre, mot normand, champ, vient de aker, allemand, en latin ager, en grec, agros, du phénicien akkar.

Bourreau. Les Lettres sur le parlement, tome I, page 378, en donnent une étymologie singulière. Elles disent que ce mot vient d'un ecclésiastique, Richard Borel, qui, en 1261, possédait un fief, à la charge de pendre les voleurs du canton : cela est tiré, dit-on, des Olim, qui est le titre d'un ancien registre du parlement.

Comment toutes les provinces de France se sont-elles accordées à recevoir ce mot sur un fait particulier ?

Bâtonnier. Les avocats et procureurs avaient établi une confrérie commune en la chapelle de Saint-Nicolas, grande salle du palais. Le bâtonnier était le chef de cette confrérie ; et le nom de bâtonnier vient de ce qu'il portait autrefois le bâton de la confrérie, où est l'image de Saint-Nicolas.

Bienfaisance : Je crois que c'est l'abbé de Saint-Pierre qui, le premier, s'est servi de ce mot qu'on trouve à tout moment dans ses ouvrages. Il étonna, en 1756, les comédiens français qui ne savaient pas ce que voulait dire ce même mot dans une pièce de La Chaussée, qu'on leur lisait. Ce fut le sieur de La Torillère qui, le premier, se récria avec vivacité contre ce mot. Je me souviens, à ce propos, que la demoiselle Silvia voulait qu'on supprimât d'une pièce du même La Chaussée le mot de vétusté, comme n'étant pas français. Et voilà les juges de qui dépendent les auteurs !

Coucou : ce mot dont se servent les enfants, dont l'un se cache, et, quand il croit être bien caché, crie à l'autre : coucou, pour lui dire : cherchez-moi ; ce mot, dis-je, ne vient-il pas de l'allemand ? Les enfants de ce pays disent de même kuckcuk, regardez ; kucken, en allemand, signifie regarder.

Notez que l'u se prononce en ou.

Cérémonie : Le dictionnaire de Ménage donne plusieurs étymologies de ce mot. Celui de Trévoux l'a copié mot à mot. En voici d'autres ; sont-elles plus sûres ? Je n'en sais rien. Ou de Cerésès, ville d'Etrurie, ou du mot grec kairé, qui est une salutation ; d'autres le font dériver de cera, cire, parce qu'on en brulait en l'honneur des dieux.

Contre-danse : Danse figurée à quatre et au-delà. Nous le tenons des Anglais, qui disent country-dances, danses ou branles de la campagne. Country, signifie pays ou campagne. Nous avons contrée.

Ex-ministre : Je crois que ce n'est que dans le dix-huitième siècle qu'on a employé ce terme. Ainsi, il serait nouveau. Cependant on trouve chez Grégoire de Tours, ex-duc dans le même sens.

Enfer, rue d'Enfer : On dit la rue d'Enfer et la Porte Saint-Michel. Cette porte s'appelait autrefois Porta de Ferto. Elle fut appelée Saint-Michel, du nom de Michelle, fille de Charles VI, et le chemin au-delà, qu'on nommait déjà rue d'Enfer, avait été appelé auparavant de Ferto, dont le peuple avait fait d'Enfer. On demandera d'où vient ce mot de Ferto ou Fertum, qui est de la basse latinité. Ducange nous apprend que c'était la quatrième partie d'un marc, ou la valeur de cinq sous. Il nous apprend encore que c'était une sorte de pain, et qu'il signifiait aussi une foire, mundinae. Ainsi la porte et la rue d'Enfer se pouvaient appeler de Ferto, ou par un péage, ou parce qu'on débitait là cette sorte de pain, ou parce qu'il y avait là une foire établie. On pourrait dire aussi que la rue d'Enfer vient de via inferior, parce qu'elle est plus basse que la rue du faubourg Saint-Jacques qui lui est parallèle.

Flageolet doit venir de flagiolos des Grecs, sorte de flûte dont le son était aigu.

Fabuliste : Le dictionnaire de Trévoux se trompe quand il dit que Lafontaine a fait ce mot ; il se trouve dans Naudé, Apologie des grands Hommes, chap. XXI.

Frivolité : Ce mot a surpris dans l'École des Mères. Il n'était point dans le dictionnaire de l'Académie, ni dans Trévoux. Cependant La Chaussée n'en était point l'inventeur. L'abbé Régnier-Desmarais l'avait employé dans sa traduction des Vrais Biens et des Vrais Maux de Cicéron.

Flibustier : Voltaire, dans ses Questions sur l'Encyclopédie, dit qu'on ne sait pas d'où vient ce terme. Il paraît s'en embarrasser peu, et il a raison. Cependant je dirai qu'il vient du flamand vliboot ; la lettre u est ici consonne, et fait l'effet de l'f. Or, le vliboot est une sorte de petit navire ancien en Hollande. Comme les forbans ou pirates, qui formèrent une espèce de société dans le siècle passé pour aller écumer les mers de l'Amérique, ne se servirent, dans les commencements, que de ces flibots que leur fournissaient les Hollandais, on s'accoutuma à leur donner le nom du petit bâtiment qu'ils montaient. Ainsi les flibustiers étaient des forbans qui montaient de petits flibots.

Gala est un mot espagnol qui veut dire parure, habit de fête. Comme ce mot était principalement en usage à Vienne et à Bruxelles, il est à croire que c'est la cour de Charles-Quint qui l'y avait porté.

Gens du roi : Ces mots ne sont point expliqués dans le dictionnaire de Trévoux. Il fallait ajouter : ils viennent d'agentes. C'étaient des officiers choisis par le roi ou par les comtes pour présider à la justice dans leur territoire. Les rois les appelaient des agentes nostri

Gentilhomme vient du latin gentis homo. C'est le nom que Tacite, dans ses Mœurs des Germains, donne à ceux qui accompagnaient le prince à la guerre et servaient l'état.

Huissier à verge : Ils sont ainsi nommés, parce que, suivant leur institut, ils devaient porter une verge ou un bâton, et en toucher ceux à qui ils adressaient des exploits.

Jupon ne viendrait-il point du turc, qui l'aurait pris de l'arabe al jubba ? Les femmes turques, dit Thévenot, portent par-dessus leur caleçon et leur chemise une petite chemisette piquée qu'elles appellent guipon. Les Italiens disent giubbone.

Lune, lunus, luna : L'Hébreu avait leuanah, qui est le nom de la lune dans son décours.

Pagode : On appelle ainsi, dans les Indes, un temple ou lieu destiné aux idoles. Il tire sa dénomination du mot persan pout, qui signifie idole, et gheda un temple. De ces deux mots pout, gheda, s'est formé celui de pagode. Nous lui donnons en français une signification un peu différente. On appelle encore pagode, une petite monnaie d'or qui a cours dans les Indes.

Papauté : Du temps de Charles VI, on disait papalité.

Patriote : Ce mot était déjà employé du temps de Henri IV. Dans les lettres de Canaye, ambassadeur à Venise, en 1606, il y a : A Venise et à Bresse, il s'est trouvé, dans la maison des Jésuites, des mémoires plus appartenants à la monarchie du monde qu'au royaume des cieux. Je ne vois point qu'aucune compagnie religieuse ait donné cette opinion de soi ; c'est aux princes et aux bons patriotes à ouvrir les yeux. "

Probole vient du grec proboleus, productor ; ainsi il signifie émanation. Ce terme était connu des premiers hérétiques, qui entendaient par-là les êtres inférieurs qui émanaient de la divinité. Quelques Pères de l'église grecque l'ont employé comme saint Grégoire.

Renom, renommée : Ce mot vient de l'usage où l'on était de répéter à grands cris, le nom du vainqueur dans les tournois.

Sergents, quoiqu'on en dise, ne peut venir de servientes ; il est bien plus naturel de le dériver de serre gens, parce qu'ils étaient préposés pour faire serrer les files des bandes, soit du ban ou arrière ban, soit des autres troupes que commandaient les baillis et sénéchaux ; et ces sergents étaient plus militaires que patriciens. Quand ils furent préposés au service de l'auditoire, ils préférèrent le nom d'huissiers, qui gardaient l'huis ou la porte.

Scène vient du grec eknon, tabernaculum, tente, dont les latins ont fait scena. Ce lieu signifiait proprement un lieu couvert de branchages, fait par artifice ; et comme les premières bouffonneries furent faites sous la ramée, le nom de scène fut donné ensuite à tous les lieux où l'on représentait la comédie.

Saucisson, en matière de guerre et de siège, pourrait avoir été imaginé au siège d'Ostende, où on inventa de nouvelles machines.

Stratagème : Henri Étienne dit que ce mot grec a trouvé lieu en France depuis quelque temps.

Sigle est la lettre initiale qui représente tout le mot, comme S.P.Q.R., Senatus PopulusQue Romanus. Il vint de sigloe, mot de la basse latinité : Sigloe, litteroe singularioe, litterae lapidariae.

Tartuffe : Le dictionnaire de Trévoux dit que Molière a enrichi la langue de ce mot. Est-il bien vrai qu'il soit de lui ?

Trufator est un mot de la basse latinité. Théodoric de Nem s'en sert. Il vivait en 1400. Ducange cite un synode de Tréguier, de l'an 1455, où on trouve abusores et trufatores. De trufator, on aura fait tortufa, et ensuite tartuffe. Il ne faut pas rire de cette idée. On a nombre d'exemples de ces mots retournés, en passant d'une langue dans une autre. Je ne donnerai que celui-ci pour preuve. De morphé ou morpha, mot grec, les latins ont fait forma.

Tombeau : Ce mot vient du grec tumbos. On le trouve dans Licophron. Les tumbos ou tumboi étaient des temples où les peuples honoraient, après leur mort, leurs rois ou leurs libérateurs.

Tabac : Les habitants de l'île de Saint-Domingue se servaient d'un tuyau en forme d'Y, dont ils se mettaient les deux branches dans les narines, et tiraient, par le nez, la fumée d'une plante qu'on étendait sur des brasiers demi-allumés. Cet instrument se nommait tabaco. C'est apparemment de là qu'est venu le nom de tabac, que les Européens auront donné à la plante même. Trévoux marque une autre origine. On peut choisir.

Vengeance peut venir de vendication par l'espagnol qui, de vendication, aura fait vengança, le français aura fait vengeance.

Couleur est ancien au figuré. On trouve dans un acte du quinzième siècle :

Renuniamus omnibus cautelis, coloribus, modisque, quibus, etc.

Juvénal avait dit auparavant :

Die aliquem, sodes, die, Quintiliane, colorem.

Suffisance, dans le Roman de la Rose, signifie ce qui suffit : Suffisance fait richesse. Sous Louis XIII, il signifiait science, connaissance, capacité. Exemple ; La Peyrère avait dit : " M. Gassendi, dont la suffisance est connue de tous ceux qui font profession d'aimer les belles lettres. " Il était alors pris en bonne part. Quoique nos dictionnaires modernes disent qu'il se prend tantôt en bonne et tantôt en mauvaise part, il est pourtant certain maintenant que suffisance et suffisant se prennent en mauvais part.

Girofle, et non gérofle, comme prétendent ceux qui font les beaux parleurs. Tous les dictionnaires, à commencer par Nicot, sous Henri IV, jusqu'à présent, ont écrit girofle. Les dictionnaires des différentes langues de l'Europe ont mis girofle ; mais il ajoute : quelques-uns disent gérofle. Ce mot de quelques-uns ne doit pas faire loi contre tous les dictionnaires ensemble. Allons plus loin. Les voyageurs aux Indes écrivent tous girofle, entre autres, Le Carpentier dans sa traduction de l'ambassade des Hollandais à la Chine, celui de Gemelli et celui de la conquête des Moluques. Ce n'est pas tout, s'il faut dire gérofle ; il faut dire géroflée ; car c'est le même mot. Girofle, en latin, s'appelle cariophilum, et giroflée, floscariophileus. Les livres de géographie écrivent tous girofle, et les Hollandais, dans leur langue, disent girofel.

Persiffler : Ordinairement on invente un mot pour exprimer une chose. Celui-ci a été en vogue, et on a discuté long-temps pour savoir ce qu'il signifiait. L'académie, dans son dictionnaire de 1740, n'a pas voulu le mettre, voyant qu'il n'avait pas de signification fixe. 1° En disant cet homme, pendant tout le temps qu'il a été avec nous, n'a fait que nous persiffler ; il n'a dit que des choses sans suite, sans raison, sans liaison, avec autant de sang-froid que s'il avait dit quelque chose de raisonnable. 2° Ou bien (ceci est une supposition) : Molière a persifflé Cottin pendant une heure entière, sans qu'il s'en soit aperçu. -- Cottin, vous avez fait un bon sonnet ; vous devriez faire une tragédie ; et qui a pu dire à une personne qui avait la fièvre,

Faites-la sortir, quoiqu'on die,
De votre riche appartement.

est capable de faire le qu'il mourût de Corneille. Je serais assez d'avis de donner cette dernière signification. Bien des mots qui nous viennent des langues étrangères ne passent pas souvent avec la même signification.

Apprehendre, comprendre. Nos anciens le rendaient par appréhender ; maintenant il a deux significations. En justice, appréhender au corps, pour saisir, et dans l'usage commun, il veut dire craindre.

Recéler, cacher un larcin, en français, pendant qu'en latin recellere signifie abaisser et recellar, en espagnol, veut dire craindre, soupçonner.

Lubricus, glissant. Lubrique est tout autre chose en français.

Inhumain, qui vient d'inhumanis, a bien changé dans la route. Du temps de Cicéron, il marquait un homme qui ne savait pas vivre, qui n'observait pas les bienséances.

Large, vient de largus. Cependant largus signifie libéral en latin ; et quand les Latins voulaient exprimer ce que nous entendons par large en français, ils disaient latus.

Fleurs pour menstrues, se dit mal. On devrait dire, comme dans le seizième siècle, flueurs, qui vient de fluor, écoulement. Bodin se sert toujours du terme de flueurs, qu'il joint à menstrues ; et Nicot l'exprime ainsi dans son dictionnaire. Il ajoute cependant : vulgo fleurs, preuve que ce dernier mot avait gagné de son temps.

Monopole, chez nos anciens, voulait dire irrésolution. Ensuite il a été pris pour complot. Maintenant il est revenu à sa véritable signification ; car il vient du grec, qui veut dire vendre seul, pour vendre à sa fantaisie.

Que de mots, chez nous, ont changé de sexe depuis Amyot et Montaigne…

Autrefois, art, mensonge, poison, etc., étaient féminins.

Au contraire, affaire, étude, erreur, épithète, œuvre, étaient masculins.

Rencontre était encore masculin du temps de Bussy-Rabutin.

Il faut compter que tous les mots commençant ou finissant par une voyelle, deviendront féminins un jour. Les femmes disent déjà une belle éventail.

De plein saut : Les Dictionnaires n'ont pas remarqué que c'est une dégradation du mot ancien primsault, du premier saut.

Ancien : Nos poètes modernes le font au besoin de deux ou de trois syllabes ; il était anciennement de trois. On lit dans Henri Étienne :

En ensuivant les pas de nos anciens pères,
Desquels la vie était chaste et sans vitupères.

Voyez quelle bisarrerie dans la prononciation. Pendant ce temps-là, ils faisaient meurtrier et sanglier de deux syllabes.

Indigne : capucin indigne. Ce terme d'humilité est ancien chez nous. Gerson, qui vivait sous Charles VI, finit ainsi une lettre : " Gerson, chancelier de Paris indigne.

La lettre K : nos anciens s'en servaient très fréquemment à la place du ch ou du q. Borel croit que c'était un reste du langage que Pharamond apporta de la Germanie. En effet, nous avons beaucoup de mots empruntés des Allemands. Cela n'étonnera pas quand on remontera à la source. Les Francs, nos vainqueurs, étaient Germains. Ils en ont pris aussi beaucoup de nous dans les incursions que nous avons faites dans leur pays.

Pasquier nous donne un exemple du changement de la langue jusqu'à son temps. On disait avant lui, comme encore à présent, tenir et venir ; mais au parfait, on disait : il tenit, il venit, qui, comme il dit, étaient plus selon les règles de la grammaire. L'usage fit dire tiensit, viensit, et enfin on dit il tient, il vient. On voit par là que l'usage n'a pas toujours suivi les règles

Il y a des mots qui ont percé par toute la terre, comme stan ou tan, terme scythique, qui veut dire pays ; il s'est conservé dans l'Asie, où presque toutes les terminaisons de contrées sont en tant ou en stan : Gurgistan, Indostant, Turkestan, Sablestan, etc. Ils ont pénétré même jusqu'aux extrémités de l'Europe, où l'on a dit : Aquitania, Britania, Lusitania.

On sait que le mot sac est dans presque toutes les langues. "

Mots hors d'usage maintenant, qui pourraient nous être nécessaires, et autres qui nous manquent.

Assagir : Vieux mot, rendre sage.

Déshabitude : nous avons le verbe déshabituer ; pourquoi ne pas adopter le substantif déshabitude, pour l'opposer à habitude ?

On dit : unir, désunir ; on dit : assembler ; pourquoi ne dit-on pas dessembler ? nos anciens l'ont dit : Roman de la Rose, vers 850 :

Oncques amour et seigneurie
Ne s'entrefirent compagnie,
Ne ne demouraient ensemble ;
Cil qui maistrise les dessemble.

Il me semble qu'il pourrait être employé en poésie, pendant que disjoindre n'y peut être admis.

Dépolluer : Je cois qu'on pourrait admettre ce verbe en faveur de notre bon roi Henri IV qui , je crois, en est l'inventeur. Dans une lettre à une de ses maîtresses, il écrit : " J'ai reçu un plaisant tour à l'église : une vieille femme ; âgée de quatre-vingts ans, m'est venue prendre par la tête et m'a baisé ; je n'en ai pas ri le premier. Demain, vous dépolluerez ma bouche. "

Débâtir doit être autre que détruire. On détruit une maison, une forteresse, souvent pour ne les pas rétablir. Débâtir serait abattre pour rebâtir.

Défaveur : L'Académie et Trévoux le donnent comme synonyme à disgrâce. La défaveur n'est-elle pas plutôt un acheminement à la disgrâce ?

Désamour : Pour signifier l'ennui, la lassitude qui commence à s'emparer de deux amants. Ce mot ne nous manque-t-il pas ?

Espérable : Désirer et espérer ne sont point synonimes. Nous disons désirable. Montaigne dit espérable. Pourquoi n'en userions-nous pas ?

S'enjalouser : Les Cent Nouvelles Nouvelles se servent de ce terme pour dire devenir jaloux.

S'enamourer, dont se servaient les anciens, n'est-il pas plus doux que notre mot s'emmouracher.

Étrangeté : Nous avons l'adjectif étrange. Charron s'en sert.

Infondre dit plus qu'inspirer. Nous avons confondre, refondre. Ne pourrions-nous pas recevoir ce premier mot employé par Montaigne ?

Simplette : Nos anciens s'en servaient pour dire une fille simple. Nous ne dirons pas la simple, il nous faut une circonlocution. Il en est de même du mot pauvrette ; nous disons la pauvre fille.

Tendresse, tendreté, tendreur : Il me semble que les deux derniers pourraient être nécessaires, et signifier tous trois choses différentes : la tendresse est la sensibilité de l'âme qui se voit dans l'amour, dans l'amitié, dans la compassion. La tendreté serait pour les fruits, les viandes, les pierres, les bois ; car on dit une chair tendre, un bois tendre, une pierre tendre. Nicot l'avait hasardé, aussi bien que plusieurs dictionnaires des langues étrangères ; cependant il n'a pas encore fait fortune. Pour tendreur, Montaigne l'applique à un ton de voix affecté, doucereux et même hypocrite : " La tendreur du ton cérémonieux des paroles. " Charon a employé ce mot après lui. " Cette tendreur et douceur craintive et cérémonieuse est pour les femmes. "

Combien de mots surannés Voltaire ne regrette-t-il pas dans son commentaire sur Corneille ?

J.L.F., t. 2, 1835, n° 7, pp. 289-302.


Dictionnaire

GÉNERAL ET GRAMMATICAL DES DICTIONNAIRES

FRANÇAIS,

EXTRAIT ET COMPLÉMENT DE TOUS LES DICTIONNAIRES

LES PLUS CÉLÈBRES

PAR NAPOLÉON LANDAIS

Nous étions en possession de la Grammaire des Grammaires, de ce résumé éclectique des doctrines grammaticales, sensées ou erronées, sur la prononciation, la syntaxe et l'orthographe de notre langue. Il n'était pas présumable qu'un grand nombre d'années se passeraient sans qu'un laborieux compilateur, faisant main basse sur tous les lexiques français, conçût l'idée de nous doter également du Dictionnaire des Dictionnaires. Cette idée est venue à M. Napoléon Landais qui, il faut l'avouer, l'a exploitée avec bonheur et conscience. Nous attendions que son ouvrage fût achevé pour le mieux juger.

Nous avons cependant trouvé des gens prêts à chicaner M. Landais sur le titre de son livre ; il disaient que, d'après la valeur et l'exacte définition des termes, si l'on comprend bien ici ce que c'est qu'un Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français, d'un livre qui est en même temps l'extrait et le complément des ouvrages du même genre. Mais laissons de côté cette critique pointilleuse, et occupons-nous de choses plus importantes.

Quand l'Académie résolut de publier le dictionnaire de la langue française, elle abandonna ce travail à ses membres les moins illustres, à ceux qui, n'ayant guère éprouvé les inspirations du génie, ne sentaient point la nécessité de multiplier ses ressources, en lui offrant des signes d'idées plus nombreux. Remplis des préjugés nobiliaires, infatués des habitudes courtisanesques, la plupart des Académiciens affectaient le langage précieux et quintescencié des grands, partageant leurs dédains pour les professions industrielles et commerciales. La Commission du Dictionnaire n'avait pénétré ni dans les laboratoires des chimistes et des physiciens, ni dans l'atelier des artisans, ni dans les manufactures, ni dans les boutiques, ni dans les forges, pour y puiser les termes innombrables, indispensables, des arts et métiers ; de cette manière, elle n'offrit au public qu'une nomenclature très-incomplète, bornée aux mots les plus usités du langage de la conversation, de la littérature telle qu'elle existait alors, mêlé à celui de la populace et des halles. Ces Académiciens, opérant sur un plan mesquin, en explorant les écrits du petit nombre d'auteurs distingués qui avaient paru jusqu'alors, avaient rejeté impitoyablement une foule d'expressions frappées au coin de l'analogie, nécessaires, irréprochables, mais dont les gens du bel air eussent peut-être été blessés. En récompense, l'art héraldique ou blason, la fauconnerie, l'équitation, etc., toutes ces connaissances futiles dont l'aristocratie repaissait sa vanité, furent étudiées avec un soin scrupuleux. Ce n'était point ainsi qu'avait procédé l'Académie de la Crusca qui, embrassant une pareille entreprise dans un esprit vraiment national, avait élevé un monument insigne à la gloire de la langue italienne ; en faisant l'inventaire exact de ses richesses, elle n'avait rien dédaigné de ce qui pouvait les augmenter. Aussi notre langue, malgré ses importantes acquisitions, paraît-elle encore pauvre aux yeux des Italiens.

Le dictionnaire de l'Académie française, qui n'indiquait ni la prononciation, ni l'étymologie, ni la synonymie, était si plein d'imperfections de toute espèce, qu'au témoignage de Racine, celui d'un simple particulier (5), de Furetière, avait un plus grand nombre de partisans. La pensée étroite qui avait présidé à sa confection influa sur la plume des écrivains, et cet ouvrage, qui aurait dû accélérer les progrès et le développement du langage, les retarda d'une manière étonnante. On n'osa point employer un mot du discours familier dans le haut style, on craignit d'être taxé de barbarisme en créant, pour rendre sa pensée, une expression nouvelle, quelque juste, quelque nécessaire qu'elle fût. Les académiciens eux-mêmes ne purent se borner au cercle étroit où leur dictionnaire voulait enfermer le génie, il ne tarda pas à être franchi dans tous les points de sa circonférence. Les sciences exactes ou spéculatives, la littérature, les arts d'agréments ou de nécessité, toutes les branches de l'arbre de la science prirent des accroissements rapides et prodigieux ; de nombreuses et importantes découvertes, les progrès de la civilisation, les révolutions de l'état social réclamèrent des mots nouveaux pour exprimer des idées nouvelles ; la nomenclature s'est étendue, les acceptions se sont multipliées, et le dictionnaire de l'académie, qui aurait dû enregistrer avec empressement, sanctionner avec reconnaissance les expressions dont s'enrichissait notre idiôme, restait stationnaire au milieu des progrès universels ; seulement, à chaque édition, pour satisfaire aux exigences, aux réclamations, on clouait un supplément qui contenait quelques-uns des mots nouveaux les plus généralement adoptés ; en agissant autrement, on eût ravi à ce dictionnaire le peu de confiance littéraire qu'il conserve encore, et que la sixième édition ranimera peut-être un peu.

Les dictionnaires de Trévoux, de Richelet, de Ferand (sic), de Gallet ; les synonymes de Girard, de Roubaud, de Beauzée suppléèrent à l'ouvrage de l'académie ; mais il manquait à la France un dictionnaire qui réunît tous les avantages épars dans cette foule de livres, un dictionnaire vraiment universel de la langue française ; et, ce qu'une société instituée pour le perfectionnement de cette langue refusait d'entreprendre, un homme laborieux, consciencieux, éclairé, ennemi même du néologisme téméraire, Boiste enfin l'exécuta. Il travailla vingt-cinq ans à lire les bons auteurs, recueillit une grande quantité de mots, cita les écrivains qui les avaient employés, donna son avis sur leur valeur, compléta aussi ou augmenta les acceptions, corrigea les définitions ; et son ouvrage, malgré ses imperfections était infiniment supérieur à tout ce qui existait alors en ce genre. Aussi M. Ch. Nodier, l'homme le plus capable de juger un pareil travail, l'appelle un ouvrage inappréciable, un des ouvrages les plus utiles qu'on ait jamais publié en Français [Journal des Débats, 10 avril 1819]. Cependant on a remarqué avec justesse que ce vocabulaire contient beaucoup d'erreurs, que l'auteur, trompé par la plume infidèle des copistes, a recueilli des mots inconnus à lui-même, de véritables barbarismes, qu'il avait eu tort de séparer du corps de son ouvrage les difficultés et les synonymes, ce qui obligeait le lecteur de recourir successivement à ces diverses parties, et d'interrompre la chaîne de ses idées. D'un autre côté, Boiste n'avait pas, selon nous, assez médité sur les difficultés de syntaxe dont il donne la solution ; il jure souvent sur la parole du maître, et n'est pas toujours heureux quand il donne son opinion personnelle ; du reste, son dictionnaire des difficultés n'embrasse qu'une bien faible partie de son objet. Enfin, la partie de l'étymologie et de la prononciation nous paraît essentiellement défectueuse, quelquefois on cherche en vain ces éclaircissements, ils manquent à beaucoup de termes.

Laveaux, qui s'était fait éditeur du dictionnaire de l'Académie, résolut aussi de donner un lexique de sa façon. Doué d'une grande perspicacité, ayant une vaste érudition grammaticale, il voulut faire de son ouvrage un traité de l'art d'écrire : il embrassa plus largement les difficultés que présente l'emploi des mots et des phrases controversées, puisa ses exemples dans la saine littérature, et son livre, quoique moins complet que celui de Boiste sous le rapport de la nomenclature, partagea cependant avec celui-ci la confiance des gens instruits ou désireux de s'instruire.

Depuis plusieurs années les grammairiens et les littérateurs attendent avec impatience la sixième édition du dictionnaire de l'académie, revu, augmenté, entièrement refondu, et annoncé pour le mois d'août 1835. M. Landais s'est hâté de prévenir cette publication qui aurait nécessairement diminué ses chances de succès. Avant d'apprécier à sa juste valeur l'ouvrage de M. N. Landais, il est nécessaire de s'entendre sur la définition du mot dictionnaire : c'est un livre qui contient les mots d'une langue. Mais où se trouvent les mots d'une langue ? dans la conversation du peuple qui parle cette langue, et dans les ouvrages qui embrassent la généralité des usages, des lois et des connaissances de ce peuple. La littérature, la philosophie, la jurisprudence, la marine, la médecine, l'architecture, toutes les sciences ont chacune leur langue. Il a donc fallu que M. Landais s'entourât de tous les dictionnaires encyclopédiques, collationnât tous les vocabulaires, comparât tous les lexiques et notât successivement dans l'ordre alphabétique tous les mots signes d'idées, noms, adjectifs, verbes, usités par ceux qui cultivent les différentes parties du domaine de la science : hâtons-nous de le dire, M. N. Landais a exécuté avec zèle, jugement et persévérance cette œuvre remarquable autant que difficile, et son dictionnaire se place sans contredit au premier rang. Mais la tâche de M. Landais ne se bornait pas à copier les ouvrages d'autrui, il nous dit lui-même que le sien renfermera tous les mots, sans exception, généralement et authentiquement usités (6). Nous lui demanderons ce qu'il entend par mots authentiquement usités. En attendant sa réponse, voici comment nous nous expliquons sa pensée : un mot est authentiquement usité, quand il a été employé par un écrivain recommandable, qu'il n'est point le fruit d'un caprice novateur, mais du besoin ; quand il est conforme aux lois de l'analogie, de la dérivation étymologique ; qu'il ne peut être suppléé par aucun synonyme, et qu'il exprime une idée que la périphrase pourrait dénaturer, émousser ou abâtardir. Eh bien ! Nous croyons qu'il était du devoir de M. Landais de lire tous les auteurs qui font la gloire de notre littérature, d'y puiser les expressions négligées par ses devanciers, de les classer dans les familles auxquelles elles appartiennent, d'en apprécier le mérite avec impartialité, comme il l'a fait pour un grand nombre de mots, notamment pour le substantif caterve, et de citer la phrase ou les phrases de l'auteur ou des auteurs qui s'en sont servis.

De cette manière, M. Landais eût exploité une mine plus féconde, il eût découvert de nouvelles richesses dans notre bel idiôme, et eût étalé dans son livre déjà si précieux ces richesses inconnues à l'immense majorité de ceux qui lisent, parlent et écrivent le français. Boiste, qui a l'honneur d'avoir conçu un pareil projet, ne l'a exécuté qu'imparfaitement ; il était digne de M. N. Landais de faire encore mieux que Boiste sous ce rapport. Mais nous l'avouons sans ménagement, nous ne croyons pas que M. Landais ait tiré de cette idée tout le fruit qu'il avait droit d'en espérer, et que les philologues pouvaient en attendre. Nous lui demanderons par exemple si les mots suivants ne méritaient pas aussi bien que tant d'autres de trouver place dans son important recueil :

Adulatoire, adj. Qui tient de l'adulation. Complaisances adulatoires (La Harpe, Cours de Litt., t. 7, p. 352]. Plus d'épitre adulatoire (Marmontel, Mélanges, Vous avez tort) [Nous citons avec détail les auteurs et les ouvrages, afin que M. Landais vérifie nos citations s'il le juge convenable.)

Agromane, subst. masc., homme qui a la manie de l'agriculture. Ce mot se trouve dans beaucoup de recueils concernant l'agriculture, et dans beaucoup de journaux. Mercier l'a employé dans le Tableau de Paris, tome 2, page 291, 1ère édition [Le Tableau de Paris est plein de néologismes souvent hasardés, quelquefois heureux. Puisque l'on dit alambiquer ses phrases, pourquoi ne dirait-on pas comme Mercier, un alambiqueur de phrases. t. 2, p. 150]

Allusif, adj., qui fait allusion. Ils conviennent donc tous que cette ode est allusive (Galliani, Comment. sur Horace, Ode 1ère, liv. 2)

Anarchiser, v. act., jeter dans l'anarchie. En anarchisant toutes les parties de l'empire. (Mirabeau, Discours, 28 février 1791). Anarchie, anarchiser sont dans l'analogie de tyrannie, tyranniser.

Apaisement, subst. masc., action d'apaiser. Je sens, en entrant dans cette église, un certain apaisement des troubles du cœur (Chateaubriant, Lettre à de Fontanes).

Antipoétique, adj. Oppposé à la poésie. Lamotte, l'un des esprits les plus antipoétiques (La Harpe, Cours de Litt., t. 7, p. 352, in-8°)

Selon nous, il faut prévenir, en parlant de la particule anti, qu'elle peut s'unir à beaucoup de mots, suivant le besoin de celui qui veut l'employer.

Bastidane, subst. fém., habitante d'une bastide. De belles bastidanes qui, en passant, firent de grands éclats de rire. (Lettres de Mme de Simiane.) Le masculin serait bastidan.

Balayage, subst. masc., action de balayer. Ce mot, usité dans toute la France, se trouve dans les lois ou ordonnances concernant l police des villes. On le lit aussi dans le Tableau de Paris, t. 6, p. 105. Le balayage des rues.

Bruisser, v. n. Chateaubriant a dit dans Atala : Les serpents à sonnetes bruissaient de toutes parts, c'est-à-dire faisaient entendre un bruissement. Nous pensons que le verbe bruisser est nécessaire ; bruire n'a pas la même valeur. Boiste, au mot bruire de son vocabulaire, dit : le feuillage, l'insecte, les vents, les flots bruissent ; et au verbe bruire, des difficultés, il dit : ce verbe n'est en usage qu'à l'infinitif et aux troisièmes personnes de l'imparfait : bruire, il bruyait, ils bruyaient. Ainsi dans sa phrase inconséquente : le feuillage, les insectes, etc., bruissent, nous croyons que ce dernier mot est la 3e personne plur. du verbe bruisser.

Bucoliaste, subst. masc., auteur de pastorales, de bucoliques, etc. Bernardin de Saint-Pierre nous semble avoir surpassé tous les bucoliastes de l'Italie et de la Grèce. (Chateaubriant, Gén. du Christ., 3e partie, ch. 6)

Cachotter, v. act., faire mystère de choses peu importantes. Je lui contai tout naïvement mes petites prospérités, ne voulant point les cachotter. (Mme de Sévigné, Let. 657, 21 fév. 1689). Ce verbe vient naturellement se réunir aux substantifscachottier, cachotterie.

Censorial, adj., qui concerne la censure, ou le censeur. De quel dénonciateur le crayon censorial enregistrera-t-il le nom ? (Mirabeau, Plaidoyer)

Conglober, v. act. Réunir en un globe. La matière du soleil long-temps épandue et écartée dans l'espace, s'est conglobée et a fait l'astre qui nous éclaire (Voltaire, Dialogue de Lucrèce et Possidonius).

Courteresse, subst. fém. Ce mot a été hasardé par Mercier : (Tabl. de Paris, t. 12, p. 187). La courteresse ridicule de la queue des chevaux. Les adjectifs grand, long, petit, large, etc., ont leurs substantifs, grandeur, longueur, petitesse, largeur ; l'adj. court en est privé.

Débotté, subst. masc., moment où l'on quitte ses bottes à son arrivée. Il vous rencontra à votre débotté. (Delille, La Conversation, ch. 1)

Décompliquer, v. act. En décompliquant ces phrases [Il y a, dans les ouvrages du profond et célèbre grammairien Lemare, beaucoup de mots nouveaux, nécessaires à la langue grammaticale ; nous citerons : langue casuée, finales déclinatives, étendue inclusive et exclusive, parties divisibles et évaluables, etc., etc.] (Lemare, Cours de Lang. Lat., p. 415, 3e édit.)

Désenchanteur, adj., qui désenchante.

« Aux yeux désenchanteurs de la réalité »

(Delille, Dithyrambe sur l'immortalité de l'âme.)

Digéreur, subst. masc. Un riche gourmand, mécontent de son estomac, se plaignait qu'on ne pût pas payer un bon digéreur. (Cours de Litt. de La Harpe, t. 7, p. 149.)

Duodécimal, adj. Calcul duodécimal, c'est-à-dire qui s'opère sur le nombre douze. Ce mot se trouve dans vingt ouvrages de mathématiques et dans le Cours latin de M. Lemare, ch. Des Initiatifs.

Écoutoir, subst. masc. Instrument en forme d'entonnoir dont les sourds se servent pour entendre.

Orgon vers lui tourne son écoutoir

(Delille, La Convers., ch. I)

Écriveur, euse, adj., qui écrit beaucoup, qui aime à écrire. Mme de Coulanges a dit : la Maréchale de Villeroi n'est pas écriveuse de son naturel (Lettres choisies faisant suite à celles de Mme de Sévigné).

Ce mot nous paraît nécessaire.

Enthymématique, adj., qui concerne l'enthymème : sentence enthymématique (Marmontel, Logique).

Nous nous arrêtons à la lettre E, qui termine le premier volume du dictionnaire de M. N. Landais. Nous avons recueilli d'autres mots qui mériteraient aussi une place dans le second volume, et cependant nous n'avons jamais eu l'intention de faire un dictionnaire universel de la langue française. Ce n'est que depuis l'annonce de celui de M. N. Landais, que nous nous sommes occupés d'extraire des livres que nous avons lus, les mots que nous avons cités et ceux qui nous restent encore à citer. Qu'on juge par là quelles richesses pourrait découvrir en ce genre un homme laborieux et attentif qui passerait dix ans à de pareilles recherches.

Indépendamment de ces omissions, il serait important de remarquer, pour les mots déjà compris dans les vocabulaires, les acceptions nouvelles que les écrivains ont été obligés d leur abandonner ; cette investigation n'est pas moins utile que la première. Nous allons en rapporter quelques exemples, et nous y joindrons en même temps quelques observations particulières sur l'emploi de certaines expressions, en nous bornant toujours à la lettre E, ou au premier tome de l'ouvrage de M. N. Landais.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Aborder, v. act. Joindre un vaisseau. - Au figuré, accoster une personne, etc., v. neut., aller à bord, prendre terre. Il s'emploie ou sans régime ou avec la prép. à, dans, etc.

Observation :

Boiste dit à l'actif, ainsi que Gattel : aborder le rivage. Et ne trouve-t-on pas dans Boileau, Art. Poét., ch. 3 :

Le premier aborda les champs de Lavinie.

Et dans Delille (Enéide, liv. 3)

De rhétée abordant l'antique promontoire.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Avanceur, subst. masc. Ouvrier qui donne le quatrième tirage à l'or.

Observation :

On dit tous les jours un avanceur de fonds, et Mercier a employé cette expression dans le Tableau de Paris, tome 3, p. 50.

Extrait du Nouveau Dictionnaire .

Attache, subst. fém., lien, courroie, etc. - Application. - L'arbre vertical qui soutient tout un moulin. - Attache de diamans, assemblage de diamans mis en œuvre.

Observation :

Mais Boiste prévient que le mot attache signifie aussi affection, attachement ; mais Girard et Roubaud ont discuté la synonymie de ces deux mots ; mais Racine a dit (Athal., III, 3) :

D'ailleurs pour cet enfant leur attache est visible.

Geoffroy désire seulement que ce mot s'introduise en poésie.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Appellation, subst.fém., appel d'un jugement. - Action d'appeler les lettres.

Observation :

Voltaire a dit (Ess. sur les Mœurs, etc., xliv) :

Le nom d'empereur signifiait partout l'héritier des Césars… Il n'y a pas d'apparence que cette appellation pût être le titre distinctif d'un prince mal affermi qui gouvernait la quatrième partie de l'Espagne.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Aquilin, adj. masc. Il ne se dit que du nez, quand il est formé en forme de bec d'aigle : nez aquilin.

NOTA. Formé en forme est une inadvertance. Boiste a dit : courbé en forme.

Observation :

Il y a longtemps que le féminin d'aquilin a été employé. On le trouve dans le Jardin des Racines grecques, forme aquiline (n° xlii). Le grammairien Boniface trouve cette expression bonne, et le poète Barthélémy, dans une pièce de vers sur les troubles de juin dit, en parlant de certaines femmes de la populace, que ce sont des êtres à face aquiline

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Bonzelle, subst. fém., prêtresse chinoise cloîtrée, de la secte de Faou.

Observation :

On trouve aussi bonzesse, notamment dans Voltaire (Dialogue du Cu-Su et de Kou.)

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Bris, subst. masc., t. de palais, rupture d'un scellé, d'une porte avec violence. -- Bris de prison, de ban, évasion de prison. - t. de marine, naufrage, échouement, ou perte de vaisseau à la côte, etc.

Observation :

Condorcet a dit : aucune peine ne prononçait la peine de mort pour le bris d'images (Vie de Voltaire).

Je ne craindrai pas de dire le bris d'une table, d'un vase, des vîtres, etc.

Etrait du Nouveau Dictionnaire :

Citadins subs. et adj., bourgeois habitant d'une cité. Il n'est d'usage qu'en parlant des habitans de certaines villes d'Italie, pour signifier ceux qui ne sont pas du corps de la noblesse.

Observation :

Cependant La Fontaine a dit, en parlant du rat de ville : le citadin. On lit dans Delille :

Des rimeurs citadins la muse peu champêtre

(L'Homme des champs, c. 4)

Boiste accorde le même sens à ce mot.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Clairvoyant, adj. Qui a l'esprit fin et pénétrant, qui découvre les choses obscures et prévoit les futures.

Observation :

M. Landais ne donne ici que le sens figuré. Clairvoyant est usité au propre :

Plus clair-voyant je l'admirerais mieux, dit Delille, presque aveugle, dans un remerciement à Mlle Vaillant de Brule.

Voyez cette multitude d'yeux, ce diadème clairvoyant dont elle s'est plus à ceindre la tête de la mouche (Boufflers, Le Libre Arbitre).

Anquetil a aussi employé ce mot au propre dans son Hist. de France, tome 10, p. 5, in-12.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Constitutionnaire, subst., celui ou celle qui était soumis à la constitution unigenitus.

Observation :

Le nom de constitutionnaire a été donné par Mirabeau à tout individu appelé à former une constitution (Disc. sur la Régence. Mars 1791)

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Déplorer, v. act. Plaindre fort, avec pitié. Il ne se dit que des choses.

Au mot déplorable, M. Landais dit que cet adjectif ne devrait se dire que des choses puisqu'on ne dit pas déplorer quelqu'un.

Observation :

Presque tous les poètes et beaucoup de prosateurs ont employé l'adjectif déplorable en parlant des personnes. Racine a dit dans les Frères ennemis (v. 2) :

Infortunés tous deux dignes qu'on vous déplore.

Le verbe est moins usité que l'adjectif avec un nom de personne.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Désapprendre, v. neut. Oublier ce qu'on avait appris.

Observation :

On dit apprendre quelque chose à quelqu'un. Mirabeau a cru pouvoir employer désapprendre dans la même analogie : ces mots que vous avez désappris aux Français ! ORDRES PRIVILÉGIÉS (9 janvier 1790). N'est-ce pas là le mot propre ?

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Déhonté, adj., vieux mot qui signifiait honteux, confus ; nous lui faisons signifier qui est sans honte, sans pudeur. On dit plus communément éhonté, qui est vieux aussi ; effronté paraît être le mot le plus usité, mais il dit plus que déhonté, qu'éhonté, et il serait à désirer que ces deux derniers ne fussent point bannis du langage.

M. N. Landais dit au mot éhonté, après en avoir donné la définition que l'explication qui est la même que pour déhonté, ce mot qui dit plus qu'effronté, est vieux, et c'est dommage.

NOTA : Il y a contradiction entre ces deux articles. Dans le premier, on avance qu'effronté dit plus qu'éhonté ; dans le second, on avance qu'éhonté dit plus qu'effronté.

Observation :

Laveaux, dans son Dictionnaire des difficultés, rapporte que Marmontel dit que déhonté est un vieux mot qu'on devrait conserver. Boiste ne dit pas que ce mot soit inusité, au contraire, il cite des exemples pour en montrer l'emploi. Mais il prétend qu'éhonté est inusité. Roubaud, qui a exposé la synonymie des mots impudent, effronté, éhonté regarde avec raison ce dernier adjectif comme très-usité. Lequel croire de ces messieurs ? Roubaud. On trouve déhonté dans La Harpe : suivez le sophiste déhonté (C. de Litt., t. 4, p.369). Delille, Voltaire, Châteaubriant, cent auteurs modernes emploient déhonté ou éhonté sans scrupule.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Discord, subst. masc., discorde, il a vieilli.

Observation :

Voyez ce que dit le judicieux Roubaud sur discord et discorde (synonymes). Voltaire, dans son Commentaire sur Corneille (les Horaces) ; Marmontel, dans son Discours sur l'autorité de l'usage, regrettent ce mot. Les auteurs modernes l'emploient sans scrupule :

Oubliant leurs discords, et déposant leur haine.

(Ancelot, Louis XI, a, I, 3)

Mettez discorde au lieu de discords, et jugez.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Débris, subst. masc., Les restes d'un édifice, et surtout d'un vaisseau qui a fait naufrage. -- fig. Bien qui reste à un homme après un grand revers de fortune.

Observation :

Boiste donne avec raison un plus grand nombre d'acceptions à ce mot.

Nous avons publié un article sur l'emploi de ce mot, tant au singulier qu'au plurier, dans un des numéros du Journal Grammatical de l'année dernière (1834, p. 269). Nous y renvoyons le lecteur.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Exploration, s. f., terme de chirurgie, action de sonder une plaie, un ulcère.

Observation :

Selon Boiste et l'usage, on dit encore l'exploration des côtes, d'un désert, des lieux. D'un autre côté, Boiste dit qu'explorer est vieux, et M. Landais remarque judicieusement que ce mot a été rajeuni.

Extrait du Nouveau Dictionnaire :

Enfant, s. des deux genres. Jeune garçon ou jeune fille qui est dans l'enfance, etc.

Observation :

La Fontaine a dit, en parlant des petits chiens de la lice (La Lice et sa Compagne) :

Ses enfants étaient déjà forts.

Et Delille, en parlant de l'âne (Les Trois Règnes, ch. 8) :

Enfant, il a sa grâce et ses folâtres jeux.

Enfant peut donc se dire des animaux, mais avec réserve.

Quel que soit le déplaisir que nous éprouvions à dire la vérité, quand elle peut blesser la susceptibilité d'un homme de mérite ; l'amour de la science et l'honneur de notre langue nous sont plus chers que toute autre considération. Nous sommes mécontents de voir les étrangers accuser cette langue de pauvreté, parce que ses richesses ne brillent point au grand jour dans les dictionnaires ; nous croyons qu'il est du devoir d'un lexicographe qui a la prétention de nous donner un dictionnaire universel, de rassembler les mots épars dans les bons livres, lorsqu'ils ont toutes les conditions d'admissibilité que nous avons exposées. Des hommes à grandes pensées, tels que le cardinal Maury, auraient désiré que toutes les familles de mots fussent complètes ; c'est aux lexicographes à se pénétrer de cette idée, d'accomplir autant qu'il dépendra d'eux ce projet national, avec lumières, maturité, conscience, sans être arrêtés par des scrupules méticuleux. Le génie est en minorité sur la terre, et l'autorité d'un homme de génie doit avoir plus de poids à leurs yeux que l'opinion des anti-novateurs qui, déclamant contre le néologisme, voudraient arrêter les sages créations de la néologie.

L'ouvrage de M. Napoléon Landais, nous le répétons, se place au premier rang des ouvrages de ce genre, malgré ses imperfections. Il dépendra de lui d'ôter à qui que ce soit l'envie de tenter une pareille entreprise ; il n'a qu'à profiter des avertissements bénévoles et désintéressés de ses critiques et des conseils de ses amis.

Nous lui ferons remarquer encore que certains mots manquent d'explications suffisantes, exemple :

Extravagation, subst. fém., éruption.

Quelle espèce d'éruption ? Est-ce celle d'un volcan, ou d'une maladie cutanée ? Quel auteur a employé ce substantif qui ne se trouve ni dans l'Académie, ni dans Laveaux, ni dans Noël et Chapsal, ni dans Wailly où Boiste dit l'avoir puisé ?

Nous croyons qu'il y a au moins une grande erreur typographique dans l'art. suivant :

Abstème, adj., qui ne fait pas de vin. Il est aussi substantif (7) Abstème ne signifie pas celui qui ne fait pas de vin, mais celui qui ne boit pas de vin.

Il nous reste maintenant à considérer le travail de M. Napoléon Landais sous le rapport grammatical. Nous lui reprocherons de n'avoir point assez examiné par lui-même les décisions qu'il copie, de n'avoir point profité des discussions qui ont été publiées soit dans le Journal Grammatical, soit dans d'autres livres critiques.

L'opinion des grammairiens n'est rien, quand l'usage des grands écrivains, appuyé sur la logique et la raison, lui est contraire. Ce qui importe, ce n'est pas que Beauzée, Sicard, Girault-Duvivier avancent une assertion, posent un principe, établissent une règle, ce qui importe, c'est de reconnaître si cette assertion, ce principe ou cette règle est fondée sur la raison, et si elle a été sanctionne par les grands maîtres dans l'art d'écrire.

Examinons donc comment M. N. Landais s'exprime à l'égard de quelques mots dont la valeur a été discutée dans les grammaires modernes.

Couple, subst. masc., deux personnes unies ensemble par amour ou par mariage. -- On dit un couple de pigeons, etc.

Nous avons prouvé dans le Journal Grammatical (tome 4, p. 367) que le mot couple, au masculin, a une signification beaucoup plus étendue ; que La Fontaine, Boileau, Voltaire, J.-B. Rousseau, Delille, etc, l'ont employé pour désigner deux personnes, deux êtres animés unis par une cause quelconque qui les rend propres à agir de concert ou à produire un certain effet simultanément. On dit même un couple de vases, comme l'a remarqué M. Boniface. Les auteurs de la Grammaire nationale ont reconnu la justesse d nos observations qu'ils ont appuyées de nombreux exemples ; nous y renvoyons le lecteur impartial.

Deux…. Tous deux, toutes deux dans le discours familier ; tous les deux, toutes les deux, dans le discours soutenu. On dit : ils y sont allés tous deux, ils y sont allés ensemble en même temps ; ils y sont allés tous les deux, l'un et l'autre y sont allés, mais non pas de compagnie.

D'abord nous voyons une contradiction formelle entre les deux observations que nous venons de transcrire, car si tous deux n'est pas admis dans le style soutenu, comment pourra-t-on, dans ce style, observer la distinction établie dans la seconde observation. Mais nous soutenons que ces deux observations sont fausses, qu'elles ont été méconnues par les écrivains français les plus célèbres en prose ou en vers, par Boileau, Racine, Corneille, Thomas, Delille, voltaire, Montesquieu, Bossuet, Fénelon, La Harpe, d'Alembert, Châtaubriant, Cuvier et cent autres auteurs de ce siècle et des deux derniers siècles. Nous renvoyons encore le lecteur à la Grammaire nationale, où cette question est traitée dans tous les détails qu'elle comporte.

Émouvoir... Il n'est guère usité qu'à l'infinitif, au présent soit de l'indicatif, soit du subjonctif, et aux temps composés. Cette remarque, qui se trouve dans la Grammaire des Grammaires, a été répétée par Laveaux dans son Dictionnaire des Difficultés, mais il ne l'a point faite dans son grand dictionnaire; il en a sans doute reconnu le peu de solidité, aussi bien que Boiste qui n'en parle point.. En effet, on trouve :

Il s'émut une grande tempête.

(Académie, Diction.).

Entre deux bourgeois d'une ville S'émut jadis un différend.

(La Fontaine, Fables. L'Avant. de la Science)

Il s'émut une grande querelle.

(Montesquieu, Lettres pers.)

Ma chute, mon sang, mes larmes, celles de ma mère l'émurent.

(J.-J. Rousseau, Nouvel. Hél. I, 63.)

L'enfer même s'émut, les fières Euménides
Cessèrent d'irriter leurs couleuvres livides.

(Delille, Géorg. IV.)

Dira-t-on maintenant que le passé défini de ce verbe n'est guère usité? Si tous les temps d'un verbe ne sont pas aussi fréquemment employés les uns que les autres, doit-on pour cela en proscrire une partie. On lit encore dans Montesquieu (Esp. des Lois, liv. XI, ch. 15) : Le peuple romain, plus qu'un autre s'émouvait par les spectacles.

Nous ne pousserons pas plus loin ces remarques, mais comme nous voulons dire franchement notre opinion tout entière sur cet ouvrage, au succès, au perfectionnement duquel nous nous intéressons réellement, nous ajouterons que nous n'applaudissons point à l'idée d'inscrire alphabétiquement toutes les personnes des verbes irréguliers, que la première personne de chaque temps eût suffi, et que par là on eût épargné beaucoup d'espace qu'on aurait pu mieux utiliser. Nous ne croyons pas non plus que la manière de représenter la prononciation soit irréprochable; par exemple, les deux mots crier, verbe, et criée, substantif, sont représentés ainsi : kri-é; cependant l'é de criée est long par position, et celui de crier est bref; ie qui est long, est aussi représenté par i bref.

Nous ferons, relativement à l'orthographe absolue, une remarque qui s'applique à tous les lexicographes. Si une saine philosophie les avait dirigés dans leurs travaux, auraient-ils propagé, perpétué, une foule d'inadvertances échappées à la commission académique qui fut chargée de rédiger un dictionnaire? N'était-il pas de leur devoir de les relever, de les anéantir en les critiquant? Suivez, suivez attentivement les familles des mots, vous y trouverez les analogies détruites, l'étymologie tantôt suivie avec une exactitude je dirai presque superstitieuse, et tantôt négligée d'une manière pitoyable. Quoi! vous écrirez abattage, abattement, abattre, abattoir, abatteur, abattant, abattures avec deux t, et vous n'en mettez qu'un dans abatis! Vous écrivez charretée, charretier, charrette, charriage, charrier, charroi, charron, charrue, etc., avec deux r et vous n'en mettez qu'un dans chariot : Quel chaos! Et l'on s'élèvera contre des citoyens éclairés qui réclameront une réforme rationnelle dans l'orthographe absolue de notre langue, et l'on nous criera que nous devons nous conformer au système de l'académie, quand elle restera sourde aux prières des grammairiens philosophes, des instituteurs, de tous les amis de l'instruction publique; et il faudra courber un front servile devant ses décisions, quand elle écrira misanthrope avec un h, et philantrope sans h! Non, le temps du respect et de la soumission aveugle est passé; au milieu du mouvement général qui entraîne tout au perfectionnement, notre langue ne demeurera point stationnaire, et la rouille de la barbarie qui en ternit encore l'éclat dans quelques parties, disparaîtra insensiblement sous les patients efforts de ceux qui l'aiment et qui l'admirent.

J. Dessiaux (d'Issoudun)

J.L.F., Août 1835, pp. 355-375.


Prospectus du Dictionnaire de l'Académie française

6e et dernière édition publiée en 1835.

Le nouveau dictionnaire de l'Académie est imprimé, et déjà son éclat aurait illuminé l'horizon littéraire, si son apparition n'était retardée par l'oeuvre encore inachevée d'un architecte habile qui s'est chargé du frontispice de ce monument lexique; c'est-à-dire, sans figure, que M. Villemain n'a pu terminer assez tôt le Discours préliminaire. Nommer ce littérateur distingué, c'est promettre au public un plaisir qui le dédommagera de l'aridité des définitions académiques. Mais si nous n'avons pas encore le livre, nous en possédons le Prospectus. Fidèle aux traditions des annonces de ce genre, il embouche complaisamment la trompette aux éloges, parmi lesquels on cite, comme phénomène, cette confiance implicite; ce respect si profond encore avec lequel sont écoutées les décisions grammaticales du premier corps littéraire de la France... Un prospectus qui distribue la louange et vante ce qu'il annonce ne fait que son métier; mais n'est-ce pas abuser un peu du privilège de flatter que de s'exprimer ainsi :.... La prééminence incontestée qu'elle (L'Académie) a toujours obtenue sur cette foule de lexicographes ambitieux, dont quelques succès récompensèrent les utiles travaux, mais qui tous ont échoué dans la prétention bien étrange et naïvement proclamée de faire oublier le Dictionnaire de l'Académie, .... Mais si, de nos jours, les travaux des Boiste, des Laveaux, des Raymond, des Landais ont été récompensés, s'ils ont eu et s'ils ont encore des succès, parce qu'ils sont utiles, pourquoi donc appeler leurs auteurs une foule de lexiCOgraphes ambitieux? (8)

Ne doit-on pas douter de la bonne foi d'un éloge, quand la panégyriste croit devoir prendre l'insulte pour appui? Encore ici la vérité n'est pas du côté du prospectus; car, pour ne citer qu'un auteur, que l'oeuvre académique ne parviendra pas à faire oublier, nous lui rappèlerons que le dictionnaire de Boiste, apparu seulement depuis quarante ans, est à sa huitième édition, tandis que, depuis soixante-treize ans, on attend une édition de celui de l'Académie, édition qui est loin d'être la sixième. Le prospectus transcrit un passage du Journal des Débats du mois de mars dernier qui établit que la dernière édition avouée par l'Académie est celle de 1762. Après cette déclaration, devait-il comparer des articles du nouveau dictionnaire aux analogues d'une édition de 1798 que l'Académie ne reconnaît pas? Ce travail comparatif est d'ailleurs par trop naïf : qui ne sait pas qu'après trente-sept années comme celles qui se sont écoulées, un édition nouvelle nécessite des changements dans les dictions et les définitions dont se composent ces sortes de recueils? Mais était-ce bien avec l'oeuvre morte de l'ancienne Académie que la comparaison de l'édition nouvelle devait se faire? Nous ne le pensons pas. Il fallait l'opposer aux dictionnaires vivants des auteurs déjà cités, et le public aurait jugé de quel côté se trouve la supériorité. Dans cette espèce de travail, c'est ordinairement le dernier qui l'emporte, puisqu'il peut profiter des lumières de ses devanciers; mais, par une fatalité qui se renouvèle à chaque édition, nous allons reconnaître que c'est l'Académie qui a l'infériorité; c'est un malheur, sans doute, mais qui frappe ordinairement toute corporation qui persiste à être dictionnariste.

Examinons les sept articles cités comme supérieurs dans le spécimen du prospectus.

Charte ou chartre. Ce premier article dit que la grande charte d'Angleterre fut accordée par Henri III. Le dictionnaire de Boiste ne contient pas cette erreur. On sait que c'est le roi Jean qui a signé cette charte à Rusnimede, le 10 juin 1215. Boiste, Raymond, mieux inspirés, font, avec raison, deux et même trois articles de charte et chartre. Ils mentionnent, dans le premier, sous le nom de Charte, l'origine des libertés en Angleterre et récemment en France. Le second article figure sous le nom de Chartre (du latin carcer ou castrum, prison, forteresse). Cela doit être ainsi, puisque l'étymologie et la signification de ce mot diffèrent de celles du premier. Ils intitulent le troisième article Chartre ou Charte. Le premier mot vient de chartrier, dérivé de chartarius, conservateur des chartes; le second vient du latin charta fait du grec chartés, papier. Cette division est logique, et l'on remarquera que, dans ce dernier article, le mot ou est à sa place, tandis qu'il est fort déplacé dans l'article de l'Académie, où le même sens paraît être donné indifféremment à deux mots d'origine, d'orthographie et de signification différentes. Il est donc évident que cet article est à refaire dans le dictionnaire de l'Académie.

Debout. Cet article est fort incomplet. On ne rencontre pas cet inconvénient dans les dictionnaires des auteurs ambitieux.

Omissions :

-- T. de vénerie : Mettre une bête debout, la lancer.

-- T. de blason : se dit des animaux dressés sur leurs pieds de derrière. Passer debout ne se dit, suivant l'Académie, que des marchandises qui traversent une ville, un pays, sans être déchargées. Cependant Madame Necker a dit figurément : La lecture est inutile à certaines personnes; les idées passent debout dans leur tête.

Debout s'emploie souvent en terme de marine (Académie); puisque s'emploie est écrit avec un i simple, pourquoi, dans cette phrase : Les marchandises qui passent debout paient moins de droits que les autres, l'Académie écrit-elle payent avec un y, dit i grec? La règle orthographique doit être la même pour les deux verbes employer et payer (9).

Dans les locutions de marine indiquées par l'Académie, on ne trouve pas celle-ci : aborder, donner debout à... : Un vaisseau donne debout à la terre, quand il court droit à terre. Aborder un vaisseau debout au corps, c'est mettre l'éperon d'un vaisseau dans le flanc de celui qu'on veut aborder. Un vaisseau navigue debout à la rame, lorsque la rame le prend par avant, et le coupe en croix pour avancer. (Voir les autres dictionnaires) Quelques-uns, disent les auteurs du nouveau lexique, écrivent de bout, en deux mots. Pourquoi vous bornez-vous à faire cette remarque? Puisque vous vous posez régulateurs du langage, ne soyez plus ambigus, indécis comme vos devanciers, dites si vous approuvez ou désapprouvez cette division qu'aucun autre dictionnaire n'autorise. Votre silence est une faute.

Pourquoi donc omettre aussi d'indiquer le sens qui distingue Debout de son synonime Droit. On est droit, disent les autres dictionnaires, lorsque l'on n'est ni courbé, ni penché; on est debout quoique penché, lorsqu'on est sur ses pieds; la bonne grâce veut qu'on se tienne droit; l'orgueil l'exige aussi; le respect fit tenir debout, quoiqu'on ne soit pas droit, mais modestement incliné.

Dramatique. Dans cet article, l'Académie continue à écrire, comme en 1762, poëme, poëte, avec le tréma. Cette inadvertance qui, peut-être, n'appartient qu'au prospectus, ne nous fera pas croire que l'Académie ne connaît pas ses lettres; nous sommes, au contraire, plein de confiance dans le mérite des hautes illustrations scientifiques et littéraires qu'elle possède, et plein de respect pour leurs personnes; mais nous lui ferons observer qu'en bonne orthographie, le tréma qui sert à prévenir que la voyelle qu'il affecte forme seule une syllabe, ne doit jamais se placer sur un e ouvert, puisque, dans notre langue, ce caractère a plusieurs sons et que le tréma empêche d'indiquer l'accentuation que doit avoir ce signe, et, par conséquent, sa valeur. Ecrivez donc poème, poète, comme le font Boiste, Laveaux, Landais et autres, puisque dans, le même article, vous écrivez poésie et non pas poësie.

Électricité. Cet article est moins instructif, en conséquence, moins bon, dans le dictionnaire de l'Académie que dans ceux des auteurs nommés plus haut. Cette phrase : "On le dit également des fluides invisibles et inpondérables que l'on suppose exister combinés dans tous les corps... nous paraît moins exacte que celle analogue des lexigraphes où il est question de la puissance et de l'action d'un fluide particulier. Ces auteurs, en parlant des diverses sortes d'électricité, en donnent une courte application qui suffit souvent pour éviter de recourir à un livre de physique qu'on ne sait quelquefois où trouver.

L'Académie se contente de nommer six espèces d'électricité, série incomplète, où ne figure même pas l'électricité médicale qui est l'application de l'électricité à la médecine (Raymond).

L'Académie a omis l'emploi de ce mot au sens figuré : sympathie; électricité d'amour.

Électrique :

Omissions :

Aigrette électrique, bain, -, balance -, combustion -, conducteur -, danse -, force -, matière -, phénomène -, plateau -, principe -, poissons -, secousse -, sphère d'activité -, tension -, vertu électrique.

Le dictionnaire de Raymond donne, dans un article bien fait, comme devrait en faire l'Académie, l'explication de tous ces mots auxquels on peut ajouter polarité électrique.

On dit au figuré : La liberté est électrique; sens également omis par l'Académie.

Électriser. Sens figuré omis : On électrise les âmes, les esprits, les coeurs; on les anime, on les enflamme.

Gaz. Ce dernier article se trouve encore manqué dans le dictionnaire de l'Académie par son incomplément et son peu d'instruction. Nous renvoyons le lecteur à l'article Gaz des dictionnaires de Raymond et de Napoléon Landais. On y trouve l'explication des gaz que l'Académie se contente de nomenclaturer, et de plus, l'explication de ceux qu'a omis la docte société, tels que les gaz azotique, hépathique, méphitique, nitreux, pulmonaire, résineux, rutilant, etc., etc.

L'examen impartial du specimen prouve que, pour devenir meilleurs, les articles qu'il produit auraient besoin de l'aide des autres dictionnaires, tandis que ceux-ci ne pourraient que gagner à faire des emprunts au dictionnaire de l'Académie. Pourquoi le titre porte-t-il sixième et dernière édition? Le mot dernière a-t-il ici le sens de récent? -- Il est inutile, le millésime 1835 l'indique. Signifie-t-il que l'Académie renonce, dès aujourd'hui, à faire rééditer son dictionnaire? C'est ce que, sans doute, nous apprendra la préface que l'on attend.

J.-M. Ragon
Paris, 10 septembre 1835.

Nous nous proposons de consacrer plusieurs articles à l'examen du Dictionnaire de l'Académie.

J.L.F., Septembre 1835, pp. 413-419  


Prospectus 2e Article.

Le Dictionnaire de l'Académie ne paraîtra, dit-on, que vers la fin de novembre. Par compensation, le prospectus est à sa 2e édition. Plus modeste, en style et en format, que son prédécesseur, quoique orné d'une vignette représentant le palais de l'Institut; c'est sous les auspices de ce corps savant qu'a lieu son apparition. Cette fois il se borne à annoncer la 6e édition et ne dit plus qu'elle sera la dernière; la génération à venir pourra donc espérer de voir l'ouvrage annoncé prendre encore quelque amélioration.

Le nouveau prospectus débute ainsi : De tout temps, le Dictionnaire de l'Académie française fit autorité dans les discussions qui s'offrent sans cesse dans le cours de la vie. "En grammaire, il est le régulateur suprême, et en jurisprudence, il fait loi".

Comment le dictionnaire d'une assemblée qui n'a pas fait de grammaire et dont le travail lexique manque, par conséquent, de base uniforme et d'unité, peut-il être, en grammaire, un régulateur suprême? Si le prospectus dit oui, tous les grammairiens disent non. Un dictionnaire est d'abord un vocabulaire; sous ce rapport, il est le premier livre d'une nation; mais comme recueil de définitions et de dictions, d'où lui vient son nom, il cède à la grammaire la première place. C'est cette dernière, quand elle est bonne, qui doit être la régulatrice du lexique, et ce n'est pas à celui-ci de prétendre jamais régulariser la matière grammaticale. Avec quoi fait-on des définitions, compose-t-on des exemples? avec des locutions grammatisées, syntaxées, et non pas dictionnarisées; donc un dictionnaire, ne peut pas être un régulateur en grammaire. Nous aurons sans doute occasion de mieux faire ressortir cette vérité, en examinant, plus tard, comment la partie grammaticale est traitée dans l'oeuvre de nos lettrés. Nous verrons, dans cette matière intéressante, lequel des deux, dictionnaire ou grammaire,  jouera le rôle de régulateur suprême.

Le prospectus se termine, comme le précédent, par la reproduction de l'article du Journal des Débats de mars dernier, auquel il a été apporté diverses modifications, dans l'intérêt de la publication de l'ouvrage. Nous saisissons cette occasion pour terminer notre parallèle des articles cités dans le specimen programmatique de MM. Firmin Didot, avec les articles analogues des autres dictionnaires.

Il nous reste à examiner des deux mots Liberté et Restauration.

Liberté. De tous les mots déjà examinés, celui-ci nous paraît le mieux traité. Cependant il est loin d'être parfait, et nous allons reconnaître qu'à l'aide des autres dictionnaires, il était facile de le rendre beaucoup plus complet.

Omissions. La définition de Liberté est, dans le Dictionnaire de l'Académie, aussi stérile qu'elle est riche, variée, instructive dans celui de Boiste qui eut le bon esprit d'accompagner ce mot des définitions de penseurs tels que le grand Frédéric, de Bonald, Hobbes, La Bruyère, Locke, Montesquieu, et autres.

Exemples : Liberté, propriété de soi-même (Raynal, Vertot, Voltaire); dépendance des devoirs et non des hommes (d'Alembert, etc.).

Terme de théologie : Voyez l'exemple de Vanières dans Boiste.

Terme de droit : La définition s'en trouve dans Raymond, mis elle est nombreuse et satisfaisante dans Boiste.

Terme d'arts : outil de cannier, décrit dans Raymond et dans Napoléon Landais.

Liberté de cour : sorte de privilège  des anciennes villes anséatique dont le but est indiqué dans Laveaux, dans Raymond et se trouve omis dans l'Académie.

Prendre la liberté de... familier, usité, respecteux ou ironique, (Boiste). Au singulier, il se dit en bon, comme en mal. Au pluriel, il se prend en mauvaise part (Nap. Landais) et signifie trop grandes familiarités.

Arborer l'étendard de la liberté (Volt.). Lever l'étendard de la liberté (Barthélémi).

Liberté illimitée de la presse, droit de faire imprimer tout ce que l'on veut (Nap. Landais).

Liberté, divinité allégorique célèbre chez les anciens Grecs est (sic) chez les Romains (Raymond). La liberté a, de tout temps, été représentée par beaucoup d'emblêmes qui en ont rendu le nom vulgaire, sans rendre la chose plus commune.

L'Académie cite la liberté d'esprit; mais se tait sur l'esprit de liberté. Cependant Voltaire a dit : l'esprit de servitude paraît naturellement ampoulé, comme celui de la liberté est nerveux et celui de la vraie grandeur est simple.

Ce genre de lacune, qui rend le Dictionnaire de l'Académie très inférieur à tous les autres, provient de la retenue que s'est imposée cette société de ne citer, à l'appui de ses définitions, aucun exemple des auteurs; d'où il résulte qu'il faut avoir plusieurs lexiques. Cette vérité est malheureusement une des critiques les plus fortes du livre qui nous occupe.

Liberté naturelle : La définition de Laveaux l'emporte de beaucoup sur celle de l'Académie, voyez cet auteur.

Liberté morale : "pouvoir moral (dans Boiste) de se déterminer à faire ou ne pas faire. Faculté de parvenir à sa fin, à son état naturel; perfectibilité (de Bonald), etc. L'Académie a tout-à-fait oublié la liberté morale.

Liberté politique ou simplement Liberté : Selon l'Académie : "Jouissance des droits politiques que la constitution de certains pays accorde à chaque citoyen. Selon Laveaux et d'autres auteurs : " Par rapport au citoyen, celle qui consiste dans sa sûreté, ou du moins dans l'opinion qu'il a de sa sûreté. La liberté politique consiste à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir et à n'être point contraint de faire ce qu'on ne doit point vouloir (Montesq.). Voyez ce qu'ajoute Laveaux, d'après le même auteur, sur la liberté politique par apport à un peuple ou à une nation, et vous jugerez si le nouveau dictionnaire de l'Académie est capable. de remplacer les autres lexiques.

Liberté de langage ou simplement Liberté : franchise, hardiesse. Pourquoi ne pas donner à l'imitation de quelques lexigraphes, la synonymie de ces deux mots, qui jetterait dans ce travail aride et monotone de l'intérêt, du pittoresque et du savoir?

Les Libertés de l'Eglise Gallicane. Suivant l'Académie : "La conservation, par l'Église de France, de l'ancien droit commun de toutes les Églises," Comment cette définition, faite long-temps après celle de Lavaux [sic], peut-elle lui être inférieure? Suivant Laveaux et d'autres lexigraphes : "Observation d'un grand nombre de point de l'ancien droit commun et canonique, concernant la discipline ecclésiastique, que l'Eglise de France a conservés dans toute sa pureté, sans souffrir que l'on admît aucune des nouveautés qui se sont introduites, à cet égard, dans plusieurs autres Eglises."

Restauration.

Omissions : action de restaurer. Sens fig. restauration des moeurs. Rétablissement, dites-vous, d'une ancienne dynastie sur le trône. Cette définition nous paraît amphibologiquement exprimée; pourquoi ne pas dire comme Boiste : Sens fig. rétablissement d'une dynastie déchue. Vous ajoutez trop brièvement qu'il s'emploie particulièrement en parlant des Bourbons au XIXe siècle. Quelques mots de plus indiquant la 1ère et la 2ème restauration, en 1814 et 1815, eussent rendu ce fait historique plus complet et plus utile aux lecteurs.

On fait généralement usage de ce mot, dans le nord de la France et en Belgique, pour désigner la pension ou la maison du restaurateur qui donne à manger. Vous deviez condamner cet emploi, car restauration employé seul, ne peut pas signifier l'action de se restaurer et encore moins le lieu où l'on se restaure, qu'à Paris, faute de mieux, on nomme restaurant.

J.-M. Ragon
J.L.F., Octobre 1835, pp. 475-479.


Dictionnaire Critique et Raisonné du Langage vicieux

ou réputé vicieux

[Un vol. in-8°; de 463 pages, chez Aimé André,

rue Christine n° 1, prix 6 fr.]

par un ancien Professeur

L'apparition de ce livre est une bonne fortune pour les personnes qui s'occupent de grammaire ou qui veulent parler correctement la langue française. Il succède avec avantage au modeste recueil d'un de nos spirituels grammairiens : Les omnibus du langage, ou les deux mille fautes de français corrigées, ouvrage utile, épuisé, qui renferme plus de faits et de vérités que beaucoup de certains gros volumes, et qui, bien qu'il ne corrige que la moitié du nombre des fautes qu'il annonce, a obtenu un succès mérité que nous prédisons au Dictionnaire du Langage vicieux. Ce dernier ouvrage est fait avec talent, élégance et pureté. L'esprit, la finesse et le goût président à ses critiques, à ses réflexions, que n'affaiblit aucune expression choquante. L'auteur, ancien professeur, en faisant preuve de  science et de tact, démontre qu'il possède son sujet, et que ses connaissances en grammaire sont précises et étendues. Il a voulu produire un livre utile, il a réussi. Quoique cette sorte d'ouvrage, comme tout autre lexique, ne semble, à cause de l'aridité et de l'incontinuité du sujet, mis a jour que pour être consulté, nous avons trouvé que, par la manière habile dont l'auteur a traité une grande partie des locutions, il avait rendu la lecture de son œuvre, non seulement instructive, mais attrayante : on est surpris, après avoir lu l'article consulté, d'être entraîné à lire ceux qui le précèdent ou le suivent. C'est donc pour nous une tâche agréable que d'avoir à rendre compte d'un bon ouvrage de plus sur notre langue.

Nous approuvons beaucoup l'idée heureuse d'exposer, de temps à autre, un recueil de rectifications critiques et raisonnées de nos locutions vicieuses, malheureusement trop abondantes chez les personnes mêmes qui ont fait quelques études, chez les députés, les avocats, les hommes de loi, les journalistes et autres orateurs ou écrivains, tant l'habitude d'entendre mal dire influe sur l'oreille, vicie le goût, trompe le jugement et porte l'esprit à une imitation fautive.

Rollin et, après lui, Domergue pensaient que chaque province avait besoin d'un dictionnaire particulier des locutions vicieuses. Ils désiraient que les instituteurs du royaume exposassent, dans des tableaux, aux yeux de leurs élèves, toutes celles qui échapperaient à ces mêmes élèves, comme un des moyens d'abolir les patois. Un auteur (M. Sauger-Préneuf) a terminé son Dictionnaire des Locutions Vicieuses usitées dans le Midi de la France, par un tableau des mots tirés de la langue romance et comparés avec des expressions de la langue usuelle du Limosin. Ce parallèle a prouvé que, bien différents des langues vivantes qui se corrompent avec le temps, le patois, plus vivace et jouissant du privilège des langues mortes, a traversé l'espace de plus de 400 ans, sans éprouver la moindre altération ; il est donc nécessaire de le combattre avec persévérance pour le faire disparaître. Mais il ne suffit pas d'indiquer une rectification ; il faut, comme le fait presque toujours l'auteur du livre qui nous occupe, motiver la rectification et prouver l'erreur, pour qu'elle produise le bon effet qu'on en attend.

La rédaction d'un tel ouvrage ne devait pas être toute de l'auteur ; la compilation y entre, on le pense bien, pour un quart ; mais les citations produites avec discernement y jettent de l'intérêt et de la variété.

L'esprit de réforme anime aussi l'auteur, mais avec sagesse et circonspection, de manière seulement à prouver qu'il n'est pas stationnaire et moins encore rétrograde. "Nous affirmons (dit l'auteur, dans sa préface écrite avec esprit) que les fautes les plus graves que nous ayons signalées, ont été faites devant nous dans le cours de plusieurs années, consacrées aux observations dont nous publions aujourd'hui le résultat, sur des personnes passablement lettrées ou qui du moins paraissaient l'être. Nous avons eu lieu de faire, à ce sujet, une remarque qui ne sera pas, nous le pensons, dépourvue d'intérêt pour quelques-uns de nos lecteurs : C'est que presque toutes les fautes que faut aujourd'hui la partie la plus ignorante du peuple, et que les compilateurs de locutions vicieuses traitant dédaigneusement de barbarismes ou de solécismes, sont tout bonnement des archaïsmes; c'est-à-dire que cette partie du peuple qui se trouve, pour ainsi dure, hors la loi grammaticale, a fait subir à la langue beaucoup moins d'altérations que l'autre partie qui possède l'instruction.

Le bas langage est en effet plein de mots qui appartiennent au vieux français, et qui nous font rire lorsque nous les entendons prononcer parce que notre manque de lecture des anciens auteurs ne nous permet de voir dans ces expressions que des mutations ridicules, où, plus instruits, nous retrouverions des débris de notre vieil idiôme. Il arrive, par là, qu'en croyant rire de la bêtise de nos concitoyens illettrés, ce qui n'est pas fort généreux, nous ne faisons le plus souvent, que nous moquer de nos aïeux, ce qui n'est pas trop bienséant."

Nous citons ce passage qui contient une justesse d'observation dont devraient profiter les dictionnaristes et certaines grammairiens.

Parmi un aussi grand nombre de décisions, il n'est échappé à l'auteur que peu de contradictions. Nous pensons qu'il est utile de relever celles-ci :

Avant (p. 54)

Locut. vic. Nous soupâmes avant que de partir Avant que mon frère ne soit arrivé.

Locut. corr. Nous soupâmes avant de partir. Avant que mon frère soit arrivé

La conjonction que est aussi inutile dans la première de ces phrases que la particule négative l'est dans la seconde, aussi l'usage les supprime-t-il maintenant en pareil cas. Cette réforme est trop sensée pour qu'on puisse s'y opposer. Cette décision saine et logique se trouve bientôt contredite. On lit avec surprise, p. 99.

Locut. vic.: Marchez doucement crainte de tomber. Tenez-le crainte qu'il ne tombe.

Locut. corr. Marchez doucement de crainte de tomber. Tenez-le de crainte qu'il ne tombe (Pourquoi le tenir)

On emploie le conjonction de crainte de devant un verbe à l'infinitif, et la conjonction de crainte que, avec la particule ne, devant un verbe au subjonctif.

Et p. 103.

Locut. vic. Il en a davantage que vous ne croyez. Locut. corr. : Il en a plus que vous ne croyez.

Le corrigé de ces deux locutions est évidemment incomplet, car la présence de la négation ne y produit un contresens qui se renouvelle malheureusement chaque jour dans ce qu'on dit et dans ce qu'on écrit. Ce ne peut être, de la part de notre auteur, qu'une faute d'inattention; nous nous exprimons ainsi contrairement à sa prescription : "Une faute d'attention est, prétend-il, une faute commise par l'attention, c'est-à-dire une inattention; mais si vous dîtes : "Vous avez fait une faute d'inattention, c'est comme si vous disiez : Votre inattention a fait une faute, ou, en d'autres termes, vous avez eu de l'attention. Or, ce n'est pas là ce qu'on veut exprimer, cette manière de parler est donc défectueuse.

Vous êtes dans l'erreur, vous confondez les locutions faute d'attention et une faute d'attention. La première est adverbiale et reçue; la seconde est absurde. Il a fait cela faute d'attention veut dire : il a fait cela par défaut d'attention, par manque d'attention ou par inatention. Donner un exemple de la seconde locution serait impossible, car l'attention fait éviter les fautes, l'inattention seule les fait commettre. On peut se priver faute d'argent, que peut produire une faute d'argent? On dit faute d'expérience et jamais une faute d'expérience.

Ainsi la locut. dite vic. Ce n'est qu'une faute d'inattention est correcte.

Et la locut. dite corr. Ce n'est qu'une faute d'attention est vicieuse.

L'article Faute est donc à refaire. Poursuivons.

"Nature.

Locut. vic. Connaissez-vous rien de plus nature que cela?

Locut. corr. Connaissez-vous rien de plus naturel que cela?

Cette manière de parler est maintenant à la mode. On ne doit cependant pas s'attendre à en trouver des exemples dans nos bons auteurs. La mode partout, mais particulièrement en fait de langage, n'est qu'une absurdité, et n'influence que les sots.

Nous croyons qu'il serait fort difficile aux gens qui emploient nature comme adjectif, à la place de naturel, de nous démontrer les avantages que le sujet peut retirer de cette transposition de mots."

Nous approuvons cette décision et regrettons que l'auteur n'en ait pas fait l'application au mot Colère, qu'il traite, au contraire, d'une manière contradictoire.

Colère.

Locut. vic. Cet homme est naturellement coléreux.

Locut. corr. Cet homme est naturellement colère.

L'adjectif colère exprime toujours non un état passager, mais un état permanent de colère : Votre parent est brusque et colère. Coléreux que l'on emploie quelquefois dans ce sens est un barbarisme.

Nous ne connaissons rien de plus barbare que l'emploi d'un substantifs [sic] comme qualificatif dans une langue aussi riche que la nôtre en terminaisons. Ici le véritable barbarisme se trouve dans la locution dite correcte : Un homme colère peut-il mieux valoir qu'une chose nature? et le logicien qui frappe de réprobation cette dernière locution peut-il avec raison approuver l'autre?

L'auteur ajoute : "Il ne faut pas confondre colère avec colérique. Selon Laveaux (Dict. des diff.), le premier adjectif désigne proprement l'habitude, la fréquence des accès; le second, la disposition, la propension, la pente naturelle." Cette distinction est puérile : l'habitude, la fréquence des accès de colère ne proviennent-elles pas de la disposition, de la propension.(nous ne dirons pas de la pente naturelle à la colère?

Depuis l'invasion du choléra, colérique ou cholérique a reçu une signification nouvelle; si la terminaison de coléreux ne vous convient pas, proposez-en une autre plus orthodoxe, mais ne présentez pas colère comme devant être un adjectif correct. Autrefois paradoxe s'employait comme qualificatif, p. 284. On dit aujourd'hui paradoxal. Vous dites, p. 107, à l'occasion de la locution vic., je leur en défie, , "on doit dire :je les en défie, parce que défier est un verbe actif et réclame un régime direct, et qu'ensuite un verbe ne peut jamais avoir deux régimes de même espèce." Pourquoi contredire cette décision et donner comme correcte la locution vicieuse aidez lui à porter ce fardeau. Votre autorité André de Boisregard (sic), prétend à tort que aider à quelqu'un à bâtir sa maison, c'est partager sa peine. Notre langue, pour être claire, aurait-elle besoin d'un barbarisme? Nous pensons qu'un maçon qui en aide un autre manuellement, se fera comprendre en disant : je l'aide à bâtir sa maison; si l'assistance provient du crédit ou de la bourse, il dira : je l'aide à faire bâtir sa maison.

Vous faites prononcer fac-similé, qu'on écrit, dites-vous, sans accent, parce qu'en latin tous les e sont fermés. C'est une erreur; le trait d'union fait de ces deux mots latins un substantif français que Boiste, avec raison, écrit d'un seul mot. Ainsi on doit écrire de même l'adjectif facsimilaire et le verbe nouveau facsimiler.

Mal parler et parler mal.

Nous nous attendions à ce que le bon esprit de l'auteur ferait justice de la distinction non fondée de Beauzée qui pensait que mal parler était relatif aux choses que l'on dit, et parler mal à la manière de les dire.

La réfutation de cette opinion a déjà été faite avec trop de succès, même dans ce journal, par un de nos habiles grammairiens et collaborateurs, M. Dessiaux, pour qu'il soit nécessaire d'y rien ajouter. On doit facilement concevoir l'exacte synonimie des deux expressions verbales qui n'auraient de différence qu'à l'infinitif et dans les temps composés, si l'on examine que l'adverbe mal, soit qu'il précède ou suive les verbes dire, faire, agir, etc. n'en modifie en rien la signification; il en est de même du verbe parler.

Notre auteur cite, à l'appui de son approbation, 1° Roubaud (Synonimes), qui cependant ne voyait, dans ces deux manières de parlr, qu'une différence de construction, sans aucune difféence de sens. 2° Girault-Duvivier, dont l'inconséquence en applications grammaticales n'était pas le moindre défaut. Ce compilateur, tout en approvant [sic] la distinction de Beauzée, termine ainsi un paragraphe : C'est mal parler sa langue que de négliger [Grammaire des Grammaires, p. 1134].

Ces taches et quelques autres disparaîtront dans doute dans la seconde édition qui devra s'enrichir de nouveaux articles, car celle-ci présente des omissions.

J.-M. Ragon.
J.L.F., novembre 1835, pp. 500-507.


REVUE BIBLIOGRAPHIQUE

Dictionnaire de l'Académie française. Sixième édition, publiée en 1835, 2 vol. in-4°, ensemble de 239 feuilles 1/4. Imprimerie de F. Didot, à Paris. -- A Paris, chez F. Didot, rue Jacob, n° 24. -- Prix 36 francs.

Nota La première édition du Dictionnaire de l'Académie est de 1694; la deuxième, de 1718; la troisième, de 1740; la quatrième, de 1762; la cinquième (ou du moins ce qui a été donné pour tel) est de l'an VI ou 1798; c'est ce qui a été stéréotypé en 1811, réimprimé sous diverses dates, et même donné pour sixième édition. On doit donc apporter quelque attention dans l'acquisition de ce livre, et voir surtout quel est le nombre des feuilles. Le 1er vol., outre les faux-titre et titre, a xxxiv et 911 pages; le 2e, outre les faux-titre et titre, 961 pages.

De cette sixième édition, il se fait une publication par livraisons qui seront au nombre de 36, de semaine en semaine, et chacune du prix de 1 fr.

Le Journal Grammatical rendra un compte très-détaillé de cette nouvelle édition du Dictionnaire de l'Académie française.

Considérations sur la langue française, servant de préface à la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie. In-8° de 4 feuilles. A Paris, chez Didot.

J.L.F., Décembre 1835, pp. 574-575.


JOURNAL DE LA LANGUE FRANÇAISE

ET DES LANGUES EN GÉNÉRAL

Rédigé par M. MARY LAFON, Rédacteur en chef,

Et G.-N. Redler, Directeur-Gérant

Secrétaire perpétuel de l'Institut des Langues

Ce Journal publie les travaux les plus importants de l'Institut des Langues

3e Série

1ère année 1837

PARIS

Au Bureau du Journal

Quai Saint-Michel, n° 15


INTRODUCTION

La langue c'est le peuple

Charles Nodier

L'Académie Française, encore à l'état de réunion libre, écrivait, en 1634, au cardinal de Richelieu, " qu'elle voulait civiliser cette langue que nous parlons et que tous nos voisins parleraient bientôt. Or, que pour un si beau dessein il avait trouvé bon d'assembler un certain nombre de personnes capables de seconder ses intentions, et que des conférences étaient le plus sûr moyen pour en venir à bout. Que notre langue, plus parfaite déjà que pas une des autres vivantes, pourrait bien enfin succéder à la latine comme la latine à la grecque, si on prenait plus de soin qu'on n'avait fait jusqu'ici de l'élocution (10). "

De son côté le cardinal répondait à l'Académie, par la bouche du roi, " qu'il était vrai que la langue française, qui n'avait jusqu'alors que trop ressenti la négligence de ceux qui l'eussent pu rendre la plus parfaite des modernes, était plus que jamais capable de le devenir, vu le nombre de personnes qui avaient une connaissance particulière des avantages qu'elle possède et de ceux qui s'y peuvent encore ajouter (11) . "

Ces éclaircissements mutuels expriment une partie de notre pensée ; mais, comme il y a deux siècles qu'ils furent prononcés, et que le temps, en faisant tourner les grands faits qui régissaient la société française, en changeant même son assiette, a donné à tout une face nouvelle et modifié nécessairement la langue dans d'autres aptitudes, le programme qui suffisait aux savants académistes de 1635 ne suffit plus aux modestes écrivains qui poursuivent leur tâche en 1837.

L'œuvre rêvée par Richelieu s'est accomplie. Du creuset académique est sortie, noble, pure, harmonieuse autant qu'une langue peut l'être, la langue de Pascal, de Racine et de Bernardin de Saint-Pierre. Tant que le champ où les idées naissent a été labouré par les charrues de la monarchie et de la religion, elles ont mûri au même point : c'est-à-dire que, soumises au même principe d'ordre humain et de fixité divine, elles se sont toujours contentées de[s ?] mêmes formules, et par conséquent des mêmes expressions. Ce n'est que lorsque les secousses révolutionnaires et le mouvement tous les jours plus fort des esprits vers un autre état social ont entraîné notre nation hors de ses voies anciennes, que d'autres idées ont surgi, et qu'il a fallu trouver à mesure et de nouvelles formes et des mots nouveaux.

Par degrés la littérature, fille de la langue, a donc subi une transformation complète. Trois réformateurs au puissant génie, Mirabeau, Chateaubriand et Napoléon, trouvant le manteau classique que lui avait doré la vieille France trop étroit pour couvrir les passions impétueuses de la France nouvelle, le déclarèrent chacun de son côté. A peine l'empire eut-il disparu, que sous les plis du drapeau blanc se rallia une secte d'écrivains visant à continuer l'œuvre de révolution littéraire sous une bannière conservatrice, et tellement pressés par les besoins intellectuels du temps qu'à l'ombre du plus opiniâtre symbole du passé ils préparaient tous l'avenir et marchaient tous à l'avenir. Seulement ils avaient été forcés de prendre pour mythes les deux clefs de voûte du moyen âge, la couronne et la croix ; et dès lors, comme on le sent bien, ils étaient dans le faux : car, lorsqu'ils allaient en avant, rejetant bien loin derrière eux la langue et la littérature de la monarchie et de la religion, et entraînant néanmoins religion et monarchie dans leur marche, ils déplaçaient ces deux grands pivots du royaume, et les portaient de plus en plus sur un terrain où ils devaient tourner différemment ; tandis qu'au fond leur pensée, manquant de son point d'appui naturel, était condamnée à errer quelque temps au hasard et à mourir impuissante dans une impasse. C'est ce qui est arrivé. En faussant la langue et la littérature on a faussé les choses qu'elles exprimaient, et bâti, par suite, une Babel ridicule où chacun s'empresse aujourd'hui de renier sa part.

Tel est à peu près le côté historique des faits. Retournons maintenant, et voyons celui des idées. La littérature, par la double pente de son but, restauration du trône et de l'autel, a roulé vers le moyen âge, où ces deux choses s'élevaient grandes et pompeuses. Elle s'est heurtée d'abord aux cathédrales et aux châteaux : et nous avons encore les oreilles pleines du cliquetis de ces armures rouillées, du bruit de ces lances mal rompues, de ces carillons videment sonores qui sonnaient sur des ruines la victoire du romantisme. Qu'était-ce que tout cela ? Du bruit. La pensée humaine suit bien toujours le même courant dans ce monde, mais chaque flot pousse son flot : ceux que nous regardons aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier.

Aussi, par l'effet des deux nécessités fatales qu'elle portait en germe dans ses flancs, nécessité de marcher sur le faux, nécessité de périr sans avoir tracé une voie, la littérature contemporaine s'est trouvée enfermée dans un cercle de fer, dont 1820 et 1830, les deux points opposés de son diamètre, ont marqué irrévocablement le commencement et la fin.

Que faut-il conclure de sa chute ? Que toute langue et toute littérature n'étant que le faisceau des signes articulés ou muets à l'aide desquels un peuple rend sa pensée, sans une étude profonde des sentimens, des besoins, des espérances qui passionnent ce peuple, il y a impossibilité de lui créer une littérature, impossibilité d'embrasser complètement l'ensemble et le fond de sa langue.

C'est en dire assez pour montrer clairement de quel point de vue actuel nous envisageons la langue française et la littérature. Comme le cardinal de Richelieu et l'Académie de 1635 le voulaient faire, nous nous proposons bien (autant qu'il sera en nous) " de les nettoyer des ordures qu'elles ont contractées dans la foule du palais et dans les impuretés de la chicane, ou par les mauvais usages des courtisans ignorants, ou par l'abus de ceux qui les corrompent en écrivant… " : mais notre plan ne s'arrête pas à ces menus détails de grammairien et de rhéteur. Observer avec soin les faits, noter les idées qui les réfléchissent et signaler leur influence successive sur la langue et la littérature de notre pays, voilà la partie sérieuse de la tâche que nous nous imposons : l'histoire, la logique, la philologie, l'observation, la critique, voilà les moyens que nous prendrons pour la remplir.

Tout est confusion aujourd'hui dans l'ordre moral. Il n'existe plus d'autorité qui fasse loi ni dans la science, ni dans la littérature. La critique, écrivant au jour le jour, juge sans croyances et n'est plus crue. Et cependant là comme ailleurs on sent le besoin de se rallier à des principes généraux de jugement et de goût. Sans avoir la prétention de les indiquer d'une manière absolue, les hommes qui rédigeront ce journal vont s'efforcer de le définir avec toute la réflexion et la conscience dont ils sont capables ; n'attachant, du reste, aucun motif d'amour-propre à leur travail, ils font un appel aux controverses et au concours de tous.

De la langue française ils passeront aux langues de l'Europe moderne et à celles qui les ont précédées : toutes deviendront l'objet d'une étude aussi variée et aussi littéraire que le permettra le sujet. Dans leur plan la critique occupe forcément une grande place : elle se divisera en autant de spécialités isolées les unes des autres et traitées à part, quoique selon le même système. Examen approfondi et respectueux pour les ouvrages qui le mériteront, sévérité inflexible pour les réputations usurpées, justice égale pour tout le monde, telle est la devise que nous adoptons à nos risques et péril et à laquelle nous serons fidèles. "

Mary Lafon
J.L.F., 1837, 3e série, t. I, n° 1 pp. 1-5.


LACUNES

A REMPLIR DANS LA LANGUE FRANÇAISE

L'homme est un être essentiellement sociable. Il éprouve irrésistiblement le besoin de communiquer avec les hommes de tous les pays et de tous les âges. Aussi, que de fois n'a-t-on pas rêvé la langue universelle ! On l'a cherchée partout, dans les sources mêmes du langage, dans les jeux de l'imagination, et jusque dans des moyens mécaniques. On courait bien loin, et la chose était bien près. Cet heureux phénix qu'on allait chercher au bout du monde, ce trésor que l'on croyait relégué dans le ciel, il était dans nos mains. C'était la langue même que nous parlons, la langue française.

Que d'hommages, en effet, n'a-t-elle pas reçus, même des étrangers ! C'est la langue de la diplomatie européenne ; toutes les cours se font gloire de l'entendre et de la parler : " Tout ce qui est clair est français, et tout ce qui est obscur est allemand. " et c'est un allemand qui fait cet aveu !

Henri-Etienne ne craignait pas de donner la précellence au français sur les langues anciennes, comme Charles-Quint la lui donnait sur les modernes. Et alors elle était encore dans les langes de l'enfance.

Dans toute l'Europe, dans le monde entier, le langage français est appris et parlé. Notre belle langue doit devenir la langue universelle, parce qu'elle est éminemment claire et philosophique, et que le monde appartient à la raison et à l'intelligence.

Mais il faut qu'elle soit complète ; complète sous un double rapport : 1° sous le rapport de la nomenclature, c'est-à-dire qu'elle ait tous les mots nécessaires ; 2° sous le rapport de l'étendue de leur signification, c'est-à-dire que chaque mot présente tous les sens que l'on peut désirer : et ici l'exigence est grande, car les nuances de la pensée varient presque à l'infini.

Sous le premier rapport, la langue française se prête comme toute autre à la formation des mots nouveaux, dont les progrès toujours croissants de la civilisation peuvent faire sentir la nécessité : je n'en donnerai pour preuve que la belle et magnifique nomenclature que l'illustre Lavoisier a introduite dans la chimie, ou celle dont Linné avait doté avant lui la botanique. Ici donc, c'est l'ouvrage du temps. La langue ne sera complète que quand il n'y aura plus d'idées nouvelles à exprimer ; que la carrière des découvertes, des inventions, des procédés sera close. Mais comme nous ne faisons que d'entrer dans le champ, et qu'il n'appartiendra qu'au temps de découvrir les vérités nouvelles, laissons donc au temps de couronner l'œuvre. Il n'en est pas de même sous l'autre rapport : chaque jour, à chaque instant, nous éprouvons le besoin de nuancer nos idées, d'exprimer des points de vue particuliers, et comme les mots manquent, ou nous ne les rendons pas, ou nous ne les rendons qu'imparfaitement.

En effet, avons-nous dans notre langue un seul mot complet ? Je l'ignore ; mais j'en doute. Un mot complet est celui dont le radical offre le nom, l'attribut, le verbe, l'adverbe ou surattribut, puis le nom et l'attribut dans toutes leurs variations, avec toutes leurs désinences ou terminaisons et les nuances que ces terminaisons amènent. Mais que nous sommes en arrière ! que de lacunes à remplir ! et combien peu les esprits, même les plus éclairés, s'en occupent !

La civilisation a marché à pas de géant dans toutes les contrées du monde, s'écrie Napoléon Landais ; le progrès a, pour ainsi dire, tout renouvelé, tout recréée, et, le croira-t-on ? ce qui devait marcher et progresser avant tout, la science, la sublime science de la langue, restera foulée aux pieds ! On rira, on se moquera même du dévouement de ceux qui ont le courage de s'en occuper ! En deux mots, nous resterons stationnaires là seulement où la civilisation et le progrès eussent dû apparaître avant tout !

Mais cet abandon, cet oubli de la langue ne nous découragera point. Ce sera, au contraire, une raison de plus pour nous de signaler les lacunes, d'indiquer les sources où l'on doit puiser, de solliciter, de presser les tentatives, les créations que le temps appelle, demande, réclame à grands cris.

Toutefois, je le sens, et je l'avoue ici, nous marchons entre deux écueils : d'un côté, la pénurie et la pauvreté ; de l'autre un luxe, une surabondance, une superfétation qui, pires que la pauvreté même, étoufferaient nos richesses et feraient du champ que nous voulons enrichir un impénétrable et sauvage hallier, qu'il faudrait réduire en cendres pour le défricher. Mais le danger n'est qu'imaginaire ; voyez plutôt : l'expérience a été faite. Rousseau, avec toute l'autorité de son génie et l'ascendant d'une éloquence sans égale, avait proposé de rajeunir deux mots ; et à peine l'un d'eux, endolori, a-t-il repris quelque faveur…

Cette objection écartée, poursuivons et présentons ici l'exemple d'un des mots les moins incomplets.

Voilà le tableau d'une famille de l'un de nos mots les moins incomplets, car si l'attribut verd a ses augmentatifs et ses diminutifs, verdereau, verdâtre, verdelet, le nom, le verbe et le surattribut en manquent. Et cependant qui donne plus de force et de grâce au discours ? Forgez leur donc, créez leur donc et des augmentatifs et des diminutifs !

Et puis, ce n'est pas tout ; pour le nom en particulier, où sont les diverses terminaisons qui marquent des points de vue, des nuances si variées dans la pensée ? ces terminaisons telles que ment, ence, té : verdoyement, verdoyance, verteté.

Mais pour procéder avec ordre, occupons-nous en particulier de chacun de ces objets, de chacune de ces sources d'où doivent jaillir des expressions entières et nouvelles sinon de pensées, toujours si difficiles à saisir, et par là même si nécessaires à la clarté, à la limpidité du style.

Des terminaisons des noms.

Les terminaisons les plus usitées du nom sont : eur, té, esse, ance, é, our. La terminaison eur marque, en général, l'état, les mouvements, les sentiments de l'âme. Exemple : Froideur, tiédeur, candeur, fureur, etc., etc. La terminaison marque essentiellement la qualité ; elle semble être le résumé du latin qualitas, propriété.

Ainsi, facilité, faculté, seraient la qualité de faire, le pouvoir d'agir, de qualitas, qualité, et de facere, faire.

Et quand l'autre radical est un attribut, n'est-ce pas simplement la qualité d'être, par exemple, libre, dans liberté, égal, dans égalité, magnanime, dans magnanimité, débonnaire, dans débonnaireté, etc ?

Mais ici j'ai besoin de m'entourer d'appuis. Permettez donc que j'appelle à mon aide des écrivains, des philosophes qui pressent, comme nous, de leurs vœux et de leur exemple, les réformes ou plutôt les sages innovations que, depuis Montaigne et Rabelais jusqu'à nos jours, ont sollicitées ceux qui ont parlé la belle langue de France.

Écoutez d'abord ce que dit sur trois des plus fréquentes terminaisons de nos noms un philologue distingué, M. Auguis :

Tendresse, tendreté, tendreur. Il me semble que les deux derniers pourraient être nécessaires et signifier tous trois, trois choses différentes : la tendresse est la sensibilité de l'âme, qui se voit dans l'amour, dans l'amitié, dans la compassion. La tendreté est pour les fruits, les viandes, les pierres, les bois ; car on dit : une chair tendre, un bois tendre, une pierre tendre. Nicot l'avait hasardé, aussi bien que plusieurs dictionnaires de langues étrangères ; cependant il n'a pas encore fait fortune. Pour tendreur, Montaigne l'applique à un ton de voix affecté, doucereux, et même hypocrite : " La tendreur du ton cérémonieux des paroles. " Charron a employé ce mot après lui : " Cette tendreur et douceur craintive et cérémonieuse est pour les femmes. "

Combien de mots surannés, Voltaire ne regrette-t-il pas dans son Commentaire sur Corneille ?

Nous avons dit que la terminaison , résumé du latin qualitas, marque essentiellement la qualité, une propriété active. La voici appliquée aux noms des facultés de l'âme, aux noms de la propriété qu'ont les organes d'apprécier les objets, et destinés par l'auteur des choses à saisir les rapports qu'ils doivent avoir avec nous. Ainsi la première est la tactilité ou la faculté de toucher, et la tactibilité ou tangibilité dans les objets, la faculté d'être appréciés par le tact :

Et puis, pour le passif, ajoutons la terminaison bilité, puisqu'elle remplit ce rôle , comme dans possibilité, divisibilité, et disons : la tangibilité, la sonoribilité

Barbare ! Barbare ! crierez-vous… Un moment, répondrai-je ; point d'objet si étrange, si extraordinaire, avec lequel l'habitude ne nous apprivoise et ne nous réconcilie ; ainsi ajournons, s'il vous plaît, ajournons l'épithète que vous m'adressez jusqu'au jour où l'habitude aura produit son effet.

De nouvelles écoles, les Saint-simoniens et les architectes du Phalanstère, comme leurs prédécesseurs voulant reconstruire sur de nouvelles bases l'édifice social, ont été forcés de créer une foule de mots nouveaux, ou au moins de donner aux mots anciens des terminaisons nouvelles :

Mercantisme, mercantilisme, ou mercantalisme, comme vous voudrez : l'esprit du commerce ; en général, l'esprit d'une chose, d'une profession, d'une secte, d'une caste. Tel est le sens qu'offre cette terminaison, excepté toutefois pour le premier de ces mots : le paupérisme ne serait pas l'esprit, mais la lèpre, la plaie, le fléau, ou mieux encore, peut-être, comme l'a dit une femme aussi spirituelle que modeste, l'action de la pauvreté. Les sectateurs d'Owen, comme les Saint-Simoniens et les architectes du Phalanstère, ont créé une foule de mots qui, tout en se présentant, ont obtenu leur passeport, ou pour lesquels nous sollicitons hautement le droit de cité. Ils le méritent, car ceux qui en ont enrichi la langue, sentinelles avancées de l'espèce humaine, ont sondé les plaies sociales et lu de loin dans l'avenir.

Ces hommes-là, comme on l'a vu, réformateurs philanthropes, ne s'occupent pas à ratisser des syllabes ! Ils vont au fond des choses ; et de là surgit une langue nouvelle, un nouveau dictionnaire. Ici, ce n'est ni une critique, ni un éloge que je fais, c'est un fait, un fait immense que j'expose.

J'ai passé en revue les terminaisons eur, esse, té, tilité. J'aurais à présenter des observations analogues sur les terminaisons ence et our, mais je tremble de fatiguer par de trop longs détails : n'est-ce pas assez d'ailleurs de vous avoir mis à la main le fil de l'analogie ?. Les enfants même à l'aide de ce fil magique et léger ne créent-ils pas souvent des mots dont la gentillesse nous fait sourire et que nous regrettons de ne pas voir en usage, parce qu'ils sont réellement aussi précis que pittoresques ? Et ce que nous disons des enfants, qui sont de petits hommes, nous le dirons aussi du peuple, qui n'est guère, sous ce rapport au moins, qu'un grand enfant.

Guerry dans sa Statistique morale de la France, dit : " qu'un trente-troisième des attentats contre la vie se commet dans les mauvais lieux ; un quatorzième des crimes d'incendiarisme (esprit, fureur d'incendie), une grande partie des duels, la plupart des cas de folie, tous les infanticides et presque tous les suicides, parmi les jeunes femmes, prennent leur source dans l'immoralité des relations sexuelles. " Qui reprochera à l'auteur d'avoir hasardé ce mot nouveau ?

« Qu'est-ce que le bonheur ? demande un sage : c'est la possession du plaisir avec exemption de toute peine. Il est proportionné à la somme des plaisirs cueillis et des peines évitées. Et qu'est-ce que la vertu ? C'est ce qui contribue le plus au bonheur, ce qui maximise les plaisirs et minimise les peines. Le vice au contraire, c'est ce qui diminue la félicité et contribue au malheur… » Qu'en dites-vous ?… Pour moi, je remercie sincèrement Jérémie Bentham d'avoir essayé ces deux verbes : ils me sourient.

" Dans ces cloaques immenses appelés capitales, les hommes s'efféminent, et le femmes s'hommassent. Bernardin. S'hommasser est vigoureux.

Mais avides de montrer que ces innovations n'ont rien que de juste et de beau, et qu'elles ont été tentées avec autant de succès que de gloire, je me laisse entraîner, non loin du but, mais hors de la route que la logique me trace. Je reviens ; et après avoir parlé des terminaisons des noms et des attributs, parlons de celles des verbes….., et ensuite de leurs augmentatifs et de leurs diminutifs à tous. La terminaison ser imprime l'action verbale au nom.

Montaigne dit s'enjalouser, pour devenir jaloux ; d'autres, Bentham, maximiser, minimiser ; Bernardin, harmoniser. Mais il est d'autres exemples bien plus propres encore à nous enhardir, ce sont les verbes formés avec tant de bonheur sur certains noms d'hommes, tels que Pyndare, Philippe, Adonis, dont on a fait les verbes pyndariser, philippiser, adoniser. Courage ! Osons donc aussi !…

Augmentatifs et Diminutifs.

Il est encore d'autres terminaisons, d'autres désinences dont nous devons chercher à enrichir les mots de notre langue. Ce sont elles qui expriment si heureusement les diverses modifications de la pensée sous le rapport de l'étendue, ou, si l'on veut, les degrés de signification, comme l'annoncent les mots mêmes qui servent de titre à ce paragraphe, les augmentatifs et les diminutifs. Il est des langues qui sont sous ce rapport d'une richesse merveilleuse, et auxquelles ce don magique prête un charme ravissant, enchanteur.

La langue italienne par exemple : aussi est-ce, dit-on, la langue des femmes, c'est-à-dire, madrigal à part, celle des grâces. Mais pourquoi celle des hommes n'aurait-elle pas le même privilège ? Ouvrez nos anciens fabliaux, nos vieux trouvères et nos naïves chroniques, et vous verrez que la langue, dans ces premiers âges, n'était pas moins simple, moins féconde, moins riche en ornements. C'est, comme la fontaine de Jouvence, une source de jeunesse et de grâce, qui, par une raison sensible, tarit quand on la délaisse et augmente au contraire quand on y puise. Puisons y donc de nouveau, et nous la verrons renaître, croître avec abondance et nous prodiguer encore mille trésors.

Les particules, ou mieux les désinences, ces terminaisons qu'affectent en général les augmentatifs, sont : aille, ard, asse, eau, aque.

Et celles des diminutifs sont : et, elle, et, ette, in, ine, ot, otte.

Dans les attributs, les augmentatifs reçoivent ordinairement les terminaisons au, asse, âtre, et les diminutifs les terminaisons plus douces, plus gentilles, et, ette, in, ine, elle ; exemples :

Le verbe a aussi ses augmentatifs et ses diminutifs. Les premiers affectent particulièrement les terminaisons ailler, oyer, asser, par exemple : criailler, rimailler, guerroyer, verdoyer, avocasser, s'homasser, etc.

Les diminutifs, les terminaisons etter, otter : buvotter, tremblotter.

Il est des verbes qui n'ont que le diminutif :chuchotter, jaboter

Le surattribut (adverbe) a de même ses augmentatifs et ses diminutifs : doucement, doucettement.

Les anciens, et surtout Rabelais, ont sous ce rapport une foule d'expressions et de tours qu'une déplorable délicatesse a laissé tomber en désuétude, c'est à nous de les ressusciter, de les rajeunir…

Une désinence est comme une bannière sous laquelle se rassemblent les mots qui expriment un point de vue particulier et identique de l'esprit. Les mots groupés de la sorte sont comme les membres d'une même famille, d'une même tribu, qui aiment à se rapprocher, et à prendre, à porter une enseigne au moyen de laquelle on peut reconnaître d'abord leur alliance, leur parenté.

Ainsi, par exemple, des attributs ou modificatifs qui peignent à nos yeux les couleurs, on a fait autant de verbes, en ajoutant simplement la désinence ir ; l'on a eu tout d'un coup jaunir, pâlir, verdir, rougir, noircir, blanchir. Mais pourquoi s'arrêter là ? Et ce que l'on fait pour jaune, pâle, verd, rouge, blanc, pourquoi ne pas le faire pour bleu, blond,… etc… ?

Et à toute heure même désappointement, même contrariété ! Un champ s'offre à vos yeux, vous y entrez ; la pente est douce, fleurie : vous coulez, vous glissez sans peine ; puis tout-à-coup, heurt et choc ; la terre manque, ou un roc vous arrête. Qu'y a-t-il donc ? Le fil de l'analogie s'est rompu… C'est que le caprice bizarre semble avoir présidé à la formation des langues. Et de là tant de lacunes et de disparates. Mais les disparates on peut les ramener à l'analogie, et les lacunes, c'est du temps qu'il faut pour les remplir. Grande est la tâche, grand aussi est l'ouvrier !

Parmi les mots et les séries de mots qui nous manquent, nous trouvons, par exemple, ceux qui expriment le point de vue artistique : ainsi de jardin, on a fait jardinier, qui cultive les jardins, mais nous n'avons pas de nom pour désigner l'artiste qui, comme Lenôtre, trace le plan des jardins ; faisons donc jardiniste.

Il nous manque aussi une immense partie de ceux dans lesquels devraient entrer les prépositions de et in, deux initiales dont la force est de nier l'action, et d'exprimer un sens contraire à celui qu'exprime le radical. Cependant ici, pour les composés, le mécanisme, l'artifice est si simple que les enfants même composent ces mots : il faut que ce soit bien naturel : hommes, imitons donc leurs enfants.

Nous avons offense ; pourquoi ne ferions-nous pas inoffense, puisque nous avons inoffensif, ive ; et puis la qualité des âmes douces et bonnes, inoffensivité ?

Nous avons compâtir, compassion, compâtissant ; ajoutons compatissance, il est bien, et compâtibilité, qui est également dans l'analogie.

Quelqu'un a essayé le mot désamour, pour signifier l'ennui, la lassitude qui commence à s'emparer de deux amants.

Avec déshabituer, pourquoi n'a-t-on pas déshabitude ? qui empêche de la hasarder, comme débâtir, démurer, défaveur, et mille et mille autres, …. Tels que déboire, verbe si plaisamment appliqué par un petit enfant d'un amateur de la guinguette : Papa boit, et puis après il déboit.

Nous avons oiseau, d'où s'est formé oiseleur, qui chasse aux oiseaux ; oiselier, qui en vend… Mais où est le verbe ? où le surattribut ? Nous avons le joli diminutif oisillon, il faudrait l'augmentatif… Risquerait-on beaucoup si, à l'imitation de volaille, augmentatif de volatile, on proposait par exemple oisaille ?… Il me sourit ; d'autant mieux que oisailleur n'irait pas mal à un mauvais chasseur, à un mauvais marchand… Mais je m'arrête…

L'illustre auteur des Harmonies de la Nature a doté la langue de belles et pittoresques expressions ; il a naturalisé celles que nous avons déjà vues, puis celles-ci encore, odorer, moussu, sororal.

Delille a créé la roche buissonneuse ;

Montaigne : espérable, doux, fleurant, et combien d'autres !…

Osons suivre leur trace ! La carrière est ouverte, le champ fécond, immense, la moisson belle et riche, et le prix de tout cela magnifique ; c'est la royauté de l'intelligence, le sceptre de la monarchie universelle, assuré à jamais à la langue de notre beau pays de France.

BONVALOT
Professeur d'Université.
J.L.F., Novembre 1837, pp. 226-238.


Notes

1. Comme le mot million est un véritable substantif, l'adjectif cent doit prendre la marque du pluriel : on doit écrire quatorze cents millions, comme on écrirait quatorze cents douzaines, quatorze cents milliards, etc., etc.

2. Il faut éviter le plus possible de défigurer les noms propres ; on ne doit mettre la marque du pluriel à ces mots, que quand ils sont employés figurément. Ex.

Un Auguste peut aisément faire des Virgiles

Boileau

C'est-à-dire des hommes semblables à Virgile : de grands poètes.
Le musée de Paris possède beaucoup de Poussins, c'est-à-dire des tableaux peints par Poussin.
Ou quand ils indiquent une classe d'individus. Ex. : Les Bourbons, les Condés, les Césars, les Tudors, les Plantagenets, etc., car ici le nom de Bourbon, par exemple, n'est plus le nom propre d'un individu en particulier, il n'indique pas davantage Henri IV que Louis XIV ou tout autre Bourbon, mais bien toute la famille de ce nom : c'est le nom propre d'une classe d'individus.
Ainsi, à l'exception de ces deux cas, les noms propres doivent toujours rester invariables.
Nous savons, du reste, fort bien que quelques auteurs ont mis la marque du pluriel à des noms propres dans d'autres cas que ceux que nous avons indiqués ci-dessus, mais ils n'ont pas toujours été conséquents avec eux-mêmes ; la raison, d'ailleurs, les désapprouve, et là, où l'usage est flottant, il est permis au grammairien de fixer la route que l'on doit suivre.

(Note du Rédacteur en chef : i. e. G. N. Redler)

3. Il nous semble que, pour être conséquent, il faudrait écrire les trois expressions de la même manière, que l'on mette le s au mot amande ou qu'on ne le mette pas.
Ainsi, dans gâteau d'amandes, pâte, huile d'amandes, on voit de l'huile, de la pâte, des gâteaux faits avec des amandes, ou composés d'amandes ; et dans gâteau d'amande (sans s), pâte, huile d'amande, il y a un gâteau, de la pâte, de l'huile, que l'on a besoin de distinguer d'autres gâteaux, pâtes, huiles, et l'on ajoute le mot spécificatif amande pour faire cette distinction ; il est certain que les deux manières d'écrire peuvent se justifier. Mais l'usage n'a fixé ni l'une ni l'autre, ainsi que le dictionnaire de l'Académie (édition de 1814) et celui de Laveaux (édition de 1828) nous en fournissent la preuve. On y lit : pâte d'amande et d'amandes, huile d'amande et d'amandes, lait d'amande et d'amandes, etc.
Quant à nous, nous préférons le mot amande écrit au singulier, car il s'agit ici seulement de spécifier la sorte de gâteau, d'huile, de pâte ; c'est du reste l'avis de beaucoup de grammairiens.

(Note du Rédacteur en chef)

4. Quand le verbe ressortir signifie sortir de nouveau, il fait, au présent de l'indicatif : je ressors, tu ressors, il ressort, etc., et quand il indique une dépendance, je ressortis, tu ressortis, il ressortit, etc. Or, comme dans les phrases citées, ce verbe indique incontestablement une dépendance, il aurait fallu écrire ressortissent et non pas ressortent

(Note du Rédacteur en chef)

5. J'ai appris que Leers, libraire d'Amsterdam, avait aussi présenté au roi et aux ministres une nouvelle édition du dictionnaire de Furetière, qui a été très-bien reçue. Cela a paru un assez bizarre contre-temps pour le dictionnaire de l'académie qui me paraît n'avoir pas tant de partisans que l'autre. (Lettre de Racine à Boileau, 28 septembre 1694.)

6. M. Napoléon Landais ne met pas que les mots généralement usités : on en trouve une foule de tout-à-fait inusités, comme il a soin d'en prévenir le lecteur ; tels sont par exemple, accomparager, achoiser, boffumer, borderie, coercer, etc., etc.

7. Nous avons remarqué d'autres fautes d'impression moins importantes ; exemples : 1° Le mot couple est collectif ; mais au masculin il est en général…. Lisez il est général (au mot couple). 2° Quoiqu'on dise dans Racine… Lisez : quoiqu'on lise (au mot convaincre).

8. Lexicographe est un barbarisme. Il faut dire lexigraphe. Ka en sanscrit, con en grec, cus en latin et que en français sont de pures terminaisons, et une terminaison n'entre jamais dans la composition d'un mot.

9. Jamais, dit le prospectus, l'esprit de système ou le caprice d'un seul n'ont pu (n'a pu, ou n'est pas additif) prévaloir dans les jugements de l'Académie. -- Il faut cependant adopter un système pour suivre une marche régulière, uniforme. -- Il ajoute : et c'est là, sans aucun doute, ce qui a contribué à fonder et à perpétuer le crédit prodigieux qu'elle s'est acquis en matière de langage. -- Le raisonnement est aussi étrange que le style.

10. Histoire de l'Académie Française (Pélisson).

11. Lettres patentes du roi.