DICTIONNAIRE

de

LA LANGUE FRANÇOISE,

abrégé

du Dictionnaire de l'Académie

Par Philippon la Madelaine

de l'Académie de Lyon

quatrième édition

Revue, corrigée et augmentée d'environ deux mille mots usuels
Omis dans les dictionnaires les plus modernes, et de vocabulaires
Orthographiques, 1° de géographie, 2° de mythologie, 3° des
Noms des personnages célèbres cités dans l'histoire :

Publiée par J.-A. Boiste

A PARIS

chez Boiste fils aîné, Libraire,
Quai des Grands Augustins, n° 29

1823


AVERTISSEMENT

Nous avons beaucoup de dictionnaires de la langue françoise ; MM. Catineau et Wailly nous ont donné deux bons lexiques ; mais l'un est trop abrégé, l'autre trop diffus. Celui-ci sera peut-être plus heureux. J'ai cherché à y éviter également l'aridité et la profusion : il a fallu pour cela élaguer ce qui n'étoit que de convenance, afin de se borner à l'essentiel.

J'appelle de ce nom :

1° La signification principale et commune de chaque mot ;

2° Ses diverses acceptions, c'est-à-dire, les diverses applications que l'on en peut faire à des idées souvent très-disparates ;

3° Les nuances qu'il reçoit en passant du propre au figuré, ou du physique au moral.

Ce dernier article fait la grande difficulté des lexicographes. Une langue plus riche que la nôtre seroit plus facile à réduire ; c'est de sa pauvreté que naît l'embarras. Quand les expressions abondent, et qu'il n'est pas d'idée ou de sensation qui ne puisse se rendre par un mot spécial, alors un Dictionnaire est facile ; il n'est plus qu'un catalogue de termes dont la définition conventionnelle se lie à tel mouvement de l'âme ou à telle opération de l'esprit : le signe de la pensée devient l'interprète fidèle de la pensée même, et l'équivoque n'est plus un des écueils du langage.

Mais lorsque plusieurs perceptions ou plusieurs affections de l'âme se servent du même signe, il est nécessaire que l'on en explique les sens divers ; c'est là ce qui rend les Dictionnaires volumineux. La langue chinoise ne contient, suivant le père Duhalde, que trois cent trente mots, tous monosyllabes et indéclinables ; mais ils sont susceptibles de quatre-vingt mille nuances qui en altèrent le sens primitif, et qui demandent autant de traits, d'accens, de points, de caractères par lesquels on puisse reconnaître leur valeur de position. Aussi cette langue est-elle, pour l'étranger et pour le Chinois lui-même, l'idiome dont l'étude fatigue le plus et satisfait le moins. " On a un Dictionnaire fait par les ordres du feu empereur. Il ne comprenoit pas toute la langue, puisqu'on a été obligé d'y ajouter un supplément en vingt-quatre volumes ; et cependant il y avoit déjà quatre-vingt quinze volumes de compte fait, la plupart fort épais et d'une écriture fort menue. " (Hist. De la Chine, édit. in-fol., t. II, p. 229)

Notre langue est bien éloignée de cette stérile abondance ; néanmoins elle a beaucoup d'expressions, determes qui ont besoin d'exemples propres à en déterminer la vraie application locale ; et ce sont, comme je l'ai dit, ces exemples trop réitérés qui grossissent les Dictionnaires. Il m'a cependant fallu recourir à ce moyen dans les occurrences douteuses ; mais ce n'a été que dans ces cas-là ; et même alors j'ai été obligé de choisir entre les citations.

Le Vocabulaire est destiné à contenir tous les mots d'une langue écrite ou parlée, soit qu'on en fasse usage dans les cercles ou dans les cabinets scientifiques et littéraires, soit qu'ils tiennent au style soutenu ou au langage familier, au style burlesque ou au genre poissard, à l'atelier ou au comptoir. On a vainement tenté de réaliser ce plan en nous donnant un Vocabulaire françois de trente-six à quarante volumes in-4 : il ne comprend pas à beaucoup près la totalité des mots de la langue.

Elle n'a besoin que d'un Dictionnaire général, sans être universel, c'est-à-dire, d'un Répertoire de mots qui s'emploient dans le cours ordinaire de la société, et non du ramas de tous ces termes qui forment ce qu'on nomme le bas langage, et dont la nomenclature, n'ayant qu'une existence orale et arbitraire, ne peut recevoir dans les dictionnaires une fixité dont elle n'est pas susceptible.

Je le dis encore plus des expressions que crée chaque jour cette divinité babillarde et mobile qu'on appelle la Mode : qui voudroit nommer tous les mots qu'elle a fabriqués, et que sans cesse elle invente, en coiffures, en voitures, en meubles, en habillemens, etc., auroit plus tôt fait de compter les grains de sable que promènent les vents.

Il en est de même de ces mots d'argot, de commérage, que chacun prononce à son gré, et qui varient souvent d'une rue à l'autre.

Mais, comme il n'est aucune des classes de la société que les circonstances ou les besoins ne rapprochent l'une de l'autre, il est important que le langage des artisans et des journaliers ne soit pas totalement inconnu à la classe qui les emploie, et qui consulte les Dictionnaires. Il faut seulement que le lexicographe se garde de tout dire ; il doit choisir, parmi les mots des arts et métiers, ceux qui sont faits pour sortir de la boutique et circuler dans la société.

J'ajoute que l'usage trop fréquent de ces mots d'arts ne seroit que l'étalage d'une érudition ridicule. N'est-ce pas assez, par exemple, de savoir les noms de serrure, clef, péne et gâche, sans afficher, comme M. de Clainville dans la Gageure imprévue, l'orgueil puéril de connoître et de nommer les plus petits élémens de la composition d'une serrure ? " Celui qui parleroit de tout en termes techniques, disoit fort bien Rivarol(1), seroit un homme à fuir. Le public, continue-t-il, n'exige dans un Dictionnaire de la langue que la quantité de noms et de termes techniques qui sufisent aux besoins de la vie… Il ne lui faut qu'un recueil des noms de toutes les choses dont la vie humaine se compose, c'est-à-dire, des principales productions et des premiers procédés de la nature et de l'art. Ce cercle n'est pas aussi grand qu'on le pense ; l'homme social en est le centre. "

Gardons-nous d'en étendre la circonférence, et n'envions même pas à certaines connoissances plus ou moins libérales les termes qui leur sont propres. Il dorment une sorte de barrière entre elles et les profanes ; cette nomenclature même fait partie de leur mérite aux yeux du vulgaire ; et notre langue n'a déjà que trop éprouvé combien le goût avait eu à souffrir de cette manie, qui s'est un moment répandue, de hérisser de termes d'arts et de sciences des écrits qui leur étoient absolument étrangers.

Autre grande raison : la plupart des sciences ont leur lexique particulier ; chercher à les réunir tous en un seul Dictionnaire, ce seroit vouloir l'impossible.

Essayez, pour vous en convaincre, essayez seulement de rassembler les termes anciens de la chimie, et joignez-y ceux de son nouvel idiome, vous ne parviendrez jamais à n'en former qu'un seul volume ; son Dictionnaire le plus récent en a déjà quatre. Mais, comme elle s'échappe assez souvent de son laboratoire pour paroître dans les salons, il ma paru important d'offrir à ceux qui les fréquentent les expressions les plus communes de sa doctrine, et de donner par aperçu l'explication des mots gaz, alcali, oxygène, muriate, sulfate, etc.

La médecine et la chirurgie ont aussi leur langue secrète qui voile en quelque sorte leurs mystères ; et le charlatanisme n'abuse que trop de ce langage peu familier à nos oreilles. Il est donc à propos de suivre l'exemple de l'Académie, et de mettre à la portée de tous les termes dont les sciences usent le plus fréquemment.

Que sert en effet à ceux qui ne sont ni géomètres, ni ménéralogistes, ni botanistes, ni chirurgiens, ni marins, etc. de trouver dans le dictionnaire de la langue tous les termes des connoissances qui les occupent ou qu'ils affectionnent ? Ce n'est pas là qu'ils viendront en chercher le catalogue et la définition.

Il suffit au grand nombre de ceux qui consultent le Dictionnaire de la langue d'y apprendre que tel ou tel mot appartient à tel ou tel genre de savoir. Ils n'ont besoin que des expressions usuelles de ce genre, sans vouloir en connoître tous les mots techniques ou scientifiques. Eh bien ! ces expressions communes et de société, ils les trouveront dans ce recueil.

Je voulois en exclure le blason, dont l'étude est si ingrate et le jargon si bizarre ; mais le rétablissement de la noblesse ressuscitant en quelque sorte l'art héraldique, il m'a semblé convenable d'insérer dans ce Dictionnaire les mots de l'étude des armoiries que l'Académie a consacrés dans le sien.

A l'égard de la géographie, de la mythologie, et des noms des hommes célèbres, j'en ai fait des nomenclatures abrégées que j'ai placées séparément à la fin de ce volume. Ces additions ne sont pas sans intérêt pour beaucoup de personnes qui désirent avoir une connoissance superficielle de ces objets, sans recourir aux Dictionnaires particuliers qui les concernent.

Pour resserrer autant que possible le cadre de notre tableau lexique, il a été nécessaire de multiplier les abréviations : des tables spéciales les indiquent ; et s'il en est quelques-unes d'oubliées, elles sont de nature à être facilement suppléées par le lecteur.

Une autre économie concerne les participes ; ceux du présent, qu'on peut regarder comme des adjectifs verbaux, se trouvent énoncés dans l'ordre alphabétique auquel ils appartiennent.

Quant aux participes passifs, on sait en général de quelle manière ils se forment de leur infinitif.

Voici ce qu'en dit Restaut dans sa Grammaire par demandes et par réponses :

D. Comment sont terminés tous les participes passifs ?

R. Ils sont terminés

En é, dans tous les verbes de la première conjugaison : aimer, aimé ; donner, donné ; estimer, estimé.

En ert, dans les verbes dont l'infinitif est en frir ou en vrir : offrir, offert ; ouvrir, ouvert ; excepté appauvrir, qui fait appauvri.

En int, dans les verbes qui ont l'infinitif en indre : contraindre, contraint ; peindre, peint ; joindre, joint.

En it, dans les verbes dont l'infinitif est en ire : conduire, conduit ; dire, dit ; écrire, écrit ; excepté lire, qui fait lu ; luire, nuire, et suffire, qui font lui, nui, suffi ;

Acquérir, conquérir, enquérir, requérir, font acquis, conquis, enquis, requis ; mourir fait mort.

En u, dans les verbes dont l'infinitif est en oir : recevoir, reçu ; devoir,  ;, etc. ; cependant asseoir fait assis ; surseoir, sursis.

Absoudre fait absous ; dissoudre, dissous ; résoudre, résous ou résolu.

Clore et ses composés ont ce même participe terminé en os : clore, clos ; éclore, éclos ; enclore, enclos.

Exclure fait exclus.

Faire, traire, et leurs composés, l'ont en ait : faire, fait ; traire, trait ; défaire, défait ; extraire, extrait ; soustraire, soustrait.

Mettre et ses composés l'ont en mis : mettre, mis ; permettre, permis ; promettre, promis.

Naître fait .

Prendre et ses composés l'ont en pris : prendre, pris ; surprendre, surpris ; comprendre, compris.

Les participes passifs de tous les autres verbes sont généralement terminés en i ou en u ; finir, fini ; servir, servi ; fuir, fui ; rire, ri ; valoir, valu ; retenir, retenu ; étendre, étendu ; connoître, connu ; déplaire, déplu, etc.

Les féminins de ces participes se portent suivant la règle générale, en ajoutant seulement un e muet au masculin : ainsi, aimé fait aimée au féminin ; offert fait offerte ; contraint fait contrainte ; écrit fait écrite ; acquis fait acquise ; mort fait morte ; finie fait finie ; connue fait connue, etc.

Il faut en excepter absous et dissous, qui font absoute et dissoute : résous n'a pas de féminin : exclu fait exclue ; et exclus fait excluses.

C'en est bien assez pour justifier mon omission des participes passifs de tous les verbes : d'ailleurs, cette connoissance tient plus aux Grammaires qu'aux Dictionnaires ; et voilà sans doute pour quoi MM. de Wailly, dans leur Vocabulaire, ne les ont pas placés à la suite du verbe. J'ai suivi leur exemple ; et mon attention, relativement aux participes, s'est bornée à désigner, 1° ceux dont la formation se rapproche moins de la méthode générale ; 2° ceux qui, étant pris quelquefois adjectivement ou substantivement, diffèrent plus ou moins de la signification principale du verbe.

Le même motif d'économiser l'espace m'a décidé à n'indiquer que les temps difficiles des verbes irréguliers. J'ai imité encore en cela MM. de Wailly, et je ne pouvois pas prendre de meilleurs guides.

En ce qui concerne le genre des mots, leurs acceptions et leur orthographe, j'ai suivi le Dictionnaire de l'Académie de 1762, le seul qui ait son aveu. Tous les termes qu'il contient se retrouveront ici avec ceux que l'usage et les auteurs les plus célèbres ont consacré depuis cette époque, et ils sont très-nombreux : plusieurs même sont oubliés dans nos derniers lexiques. Cherchant le bon et l'utile partout où j'ai pu le trouver, j'ai feuilleté avec soin le nouveau Dictionnaire de l'Académie, imprimé par Smith, celui de Moutardier, celui de Trévoux, et généralement tous ceux qui m'offroient des éclaircissemens sur les expressions dont le sens paroissoit avoir quelque chose d'incertain.

En un mot, je n'ai négligé aucun des moyens qui ont pu contribuer à rendre ce Dictionnaire intéressant.


1. Prospectus d'un Nouveau Dictionnaire de la Langue françoise.