GRAMMAIRE

GÉNÉRALE

DES GRAMMAIRES FRANÇAISES

Présentant la solution

Analytique, raisonnée et logique

de toutes les questions grammaticales anciennes et modernes

Par

Napoléon Landais

 

Cette grammaire contient

Des notions de grammaire générale ;
La Grammaire française proprement dite ; -- l’histoire des lettres et des sons de l’alphabet ;
La définition des dix parties du discours, considérées comme des mots pris isolément ;
La syntaxe, donnant et expliquant, dans ses plus grands détails, l’analyse de la phrase, ou les mots construits ;
Un traité complet et spécial des Participes,
Dans lequel tous les problèmes possibles sont résolus par des exemples ;
La conjugaison de tous les verbes réguliers, irréguliers et défectifs, accompagnés des observations
qui y sont relatives ;
l’indication du complément ou régime des mots, soit verbes ou participes, qui réclament ou ne réclament pas après eux
de préposition ;
la désignation des verbes qui se conjuguent avec l’auxiliaire être ou avoir ;
des solutions raisonnées de toutes les difficultés qui partagent encore les grammairiens ; -- un tableau des homonymes ;
la nomenclature complète des mots dont le genre est douteux ;
des règles précises sur la prononciation, l’orthographe et la ponctuation ;
l’examen de l’opinion de ceux qui veulent conformer d’une manière absolue l’orthographe à la prononciation ;
des leçons de lecture et de déclamation ;
un traité du style, de la prosodie et de la versification ;
l’examen impartial de la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie ;
enfin une table des matières en forme de dictionnaire,
dans laquelle chaque mot dont il aura pu être question dans la Grammaire sera nomenclaturé.

 

 

 

Cinquième Édition

Revue et corrigée

 

 

 

Didier, Libraire-Éditeur, Quai des Augustins, 35

Et chez tous les libraires de la France et de l’Étranger

1834


LISTE ALPHABÉTIQUE

DES AUTEURS ET DES OUVRAGES

CONSULTÉS POUR LA GRAMMAIRE.

 

 

Académie française. – Son Dictionnaire, éditions de 1762 et de 1798. – Extraits de ses registres de 1679, dans les Opuscules de la langue française. – Son opinion sur le Cid. – Ses Observations su les remarques de Vaugelas. – Son journal et ses Opuscules sur la langue française. – Ses décisions, recueillies en 1698.

Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Ses Mémoires.

Académie grammaticale fondée par le savant Domergue en 1807.

Alembert (D’). Encyclopédie, aux mots Dictionnaire, Élision.

Alstedii scientiarum omnium Encyclopaedia.

Aristote. La Rhétorique, traduite par Cassandre.

Auger, Commentaire sur Molière.

Auli Gellii, Noctes atticae

Ballin (A.-G.). Ses ouvrages de Grammaire.

Batteux (l’abbé). 1° Cours de belles-lettres, ou Principes de la littérature. 2° De la Cnstuction oratoire.

Beauzée. Grammaire générale et raisonnée du langage.

Bertrand. Raison de la syntaxe des participes dans la langue française.

Bescher. Théorie des participes français.

Bèze (Théodore de). De franciscae linguae recta pronuntiatione Tractatus.

Biscarrat. Extrait d’un ouvrage de Collin d’Ambly sur les prépositions.

Bletterie (l’abbé de la). Novae grammaticae argumenta ac vindiciae.

Boindin. Sons de la langue française.

Boinvilliers. Grammaire raisonnée.

Boiste. Difficultés de la langue française.

Boniface. Tous ses ouvrages sur la Grammaire et sur l’orthographe.

Borel (Pierre). Dictionnaire des termes du vieux français, ou Trésor des recherches et antiquités gauloises et françaises.

Bouhours (le P. Dominique). 1° Doutes sur la langue française, proposés à Messieurs de l’Académie française par un gentilhomme de province. – 2° Remarques nouvelles sur la langue française, avec la suite.

Bouillette (l’abbé). Traité des sons de la langue française et des caractères qui les représentent.

Boulay (Maillet du). Rapport analysé des Remarques de M. Duclos sur la Grammaire générale de P. R., et du Supplément de l’abbé Fromant.

Bourson. Des participes français.

Brosses (le président de). – Différents Mémoires sur les étymologies, lus à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Buffier (jésuite). Grammaire française sur un plan nouveau. – Son cours de science sur des principes nouveaux et simples, pour former le langage, l’esprit et le cœur dans l’usage ordinaire de la vie.

Butet. Ses livres de Grammaire et d’idéologie.

Calepini. Dictionarium.

Capelli. 1° Arcanum punctationis revelatum ; sive de punctorum vocalium apud Haebros vera et germana antiquitate. – 2° Critica sacra.

Cauch (Antonii). Grammatica gallica.

Chapsal. Son Dictionnaire et sa Grammaire.

Charisii (Sosipatri). Institutiones grammaticae.

Charpentier. Défense de la langue française pour l’inscription de l’arc de triomphe.

Chiflet (jésuite). Nouvelle et parfaite Grammaire française, 1722.

Chompré. Introduction à la langue latine par la voie de la traduction.

Collin d’Ambly. De l’usage des prépositions.

Condillac (l’abbé de). Essai sur l’origine des connaissances humaines.

Corneille (Thomas). Notes sur les remarques de Vaugelas.

Dangeau (l’abbé de). Essais de Grammaire.

Daru (Pierre). Dissertation sur les participes.

Demandre. Dictionnaire de l’élocution française, édition de 1802, revue et corrigée par Fontenai, rédacteur du Journal général de France.

Denis d’Halicarnasse. De Structurâ orationis.

Diderot. 1° Lettres sur les sourds-muets. – 2° Encyclopédie, au mot Encyclopédie.

Domergue. Grammaire. – Grammaire. – Journal de la langue française. – Manuel des étrangers.

Duclos. 1° Remarques sur la Grammaire générale et raisonnée de P. R. – 2° Encyclopédie, à l’article Déclamation des anciens.

Dumairon [sic.]. Principes généraux de belles-lettres.

Éloi Johanneau. Ses Étymologies et ses Commentaires sur Montaigne et sur Rabelais.

Encyclopédie méthodique. Grammaire et littérature

Estarac. Grammaire générale et grammaire française.

Estienne (Henri). 1° Projet du livre intitulé : De la precellence du langage français. – Hypomneses de gallica linguâ, peregrinis eam discentibus necessariae, quaedam vero ipsis etiam Gallis multùm profuturae.

Estienne (Robert). Traité de la Grammaire française.

Fabre. Syntaxe française, ou nouvelle Grammaire simplifiée.

Féraud. Dictionnaire critique de la langue française.

Fontaines (des). 1° Racine vengé. – 2° Observations sur les écrits modernes, tome xxx. – 3° Jugements sur quelques ouvrages nouveaux, tome ix.

Fréron. Année littéraire, 1754.

Frey (A.) Principes de ponctuation.

Fromant (l’abbé). Réflexions sur les fondements de l’art de parler, pour servir d’éclaircissements et de supplément à la Grammaire générale et raisonnée.

Gattel. Son excellent dictionnaire.

Girard (l’abbé). 1° Les vrais Principes de la langue française ; ou de l’usage de la parole réduite en méthode, conformément aux lois de l’usage. – 2° Les Synonymes français.

Girault-Duvivier. Grammaire des Grammaires ; éditions de 1832 et de 1834.

Goujet (l’abbé). Dictionnaire portatif de la langue française, extrait du grand Dictionnaire de Richelet.

Guéroult. Grammaire.

Guyot. Vocabulaire français.

Harduin. 1° Remarques diverses sur la prononciation et sur l’orthographe. – 2° Dissertation sur les voyelles et les consonnes. – Une lettre manuscrite à M. Bauvin.

Harris. Hermès, ou Recherches philosophiques sur la grammaire universelle, ouvrage traduit avec des remarques et des additions, par François Thurot.

Horatii (Q. Flacci). 1° ii Epistola. – 2° I. Satyra. – 3° De Arte poética.

Jacquemard. Eléments de la Grammaire française.

Journal Grammatical, Littéraire et Philosophique de la Langue française et des Langues en général, rédigé par G. Redler, directeur-gérant, et MM. Appert ; Auguis, député ; Bescher ; Bssières ; Boniface ; Bonvalot ; Boussi ; Bruandet ; Charles Nodier, de l’Institut ; Dessiaux ; Fellens ; de Gérando, de l’Institut ; l’abbé Guillon de Montléon, conservateur à la bibliothèque Mazarine ; Éloi Johanneau ; Johnson ; Laromiguière, de l’Institut ; le docteur Ledain ; Lemare ; Lévi ; Lourmand ; Michel ; Marrast ; Michelot ; du Théâtre français ; Palla ; Quitard ; Radiguel ; J.-M. Ragon ; Sabatier ; Serreau ; Touvenel ; Vanier ; Velay, etc. (Ce Journal se publie à Paris, quai Saint-Michel, n° 15. Prix : 12 francs.)

Lancelot (D.-Claude). Grammaire générale et raisonnée (Voyez Port-Royal)

Launay (de). Méthode pour apprendre à lire le français et le latin.

Laveaux (J.-Ch.). Dictionnaire de la langue française, et Dictionnaire des difficultés de la langue française.

Lemare. Cours théorique et pratique de la langue française, éditions de 1807 et 1819. – Cours de langue française, fin 1833.

Levizac. L’art de parler et d’écrire correctement la langue française ; ou Grammaire philosophique et littéraire de cette langue.

Malherbe. La langue française expliquée dans un ordre nouveau, 1725.

Malebranche (Nicolas). Recherche de la vérité.

Marmontel. Leçons sur la langue française.

Marsais (Charles du) [sic.]. 1° Des Tropes, ou des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. – 2° Exposition d’une méthode raisonnée pour apprendre la langue latine. – 3° Différents articles de Grammaire qu’il a fournis dans les sept premiers volumes de l’Encyclopédie.

Maugard. Cour de langue française et de langue latine comparées ; ouvrage publié par livraisons et en forme de journal.

Mauger (Claude) et Festau (Paul). Nouvelle double Grammaire française-anglaise et anglaise-française.

Ménages (Gilles). Dictionnaire étymologique de la langue française.

Mercier. Le Manuel des Grammairiens, divisé en trois parties.

Michelet. Dictionnaire de la langue française ancienne et moderne.

Morel. Traité des voix de la langue française et des participes.

Mourcin (de). Dissertation sur quelques expressions.

Nicolle (Pierre). La Logique ou l’Art de penser.

Noël. Ses Dictionnaires et sa Grammaire.

Olivet (l’abbé d’). 1° Traité de la prosodie française. – 2° Traité des participes passifs. – 3° Remarques de Grammaire sur Racine.

Perreau. Grammaire raisonnée.

Pluche (l’abbé). La Mécanique des langues, et l’art de les enseigner.

Port-Royal. Grammaire d’Arnault et de Claude Lancelot.

Quintilien. Tous ses ouvrages.

Regnier Desmarais. Grammaire française.

Restaut. Principes généraux et raisonnés de la Grammaire française.

Rollin. Traité des Études.

Rousseau (Jean-Jacques). Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.

Roussel de Berville. Essai sur les convenances grammaticales.

Roy. Sa Grammaire sur la question des sciences et des arts.

Sacy (Sylvestre de). Principes de Grammaire générale, 1822.

Sauger. Connaissance de la langue française.

Sicard (l’abbé). Éléments de Grammaire générale, appliqués à la langue française.

Touche (de la). L’Art de bien parler français.

Trévoux. Dictionnaire et Journal.

Tuet (l’abbé). Les Matinées senonaises.

Valart (Joseph). 1° Grammaire latine, avec des éclaircissements sur les principales difficultés e la syntaxe, et une préface où l’on examine les principes de Sanctius, etc. 2° L’Art d’apprendre à lire en très peu de temps en français et en latin.

Vallant. Lettres académiques sur la langue française.

Vauvilliers (Mademoiselle). Nouvelle méthode pour enseigner le français aux demoiselles.

Voltaire. Notes et Commentaires sur Corneille.

Wailly (de). Principes généraux et particuliers de la langue française, 1821.

 


 

PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION

 

 

En mettant au jour cette Grammaire, nous ne venons pas seulement éclaircir et développer les principes fondamentaux de la science grammaticale, mais présenter une foule d’enseignements nouveaux, et critiquer ou confirmer ceux qui ont pu être proposés par tous les Grammairiens qui nous ont devancés.

C’est en nous attachant à faire connaître notre belle langue dans ses principes et dans son génie ; c’est en nous conformant aux variations que le progrès des lumières et le laps du temps ont nécessairement introduites, et en ne le faisant jamais sans en montrer la raison et l’esprit ; c’est en indiquant les lois ordinairement imposées par l’usage ; c’est enfin en donnant à tous le moyen de parler notre langue comme on la parle dans un monde éclairé et poli, que nous parviendrons à prouver qu’elle est et qu’elle doit être, par sa perfection, la plus riche de toutes les langues.

« Bien des personnes, disait Levizac, non moins connues par leur goût pour les lettres que par le rang qu’elles occupent dans la société, nous ont souvent parlé de l’insuffisance de l’enseignement dans cette branche de l’éducation publique. Nos enfants, nous ont-elles dit, passent plusieurs années dans des écoles où on leur enseigne la langue française ; et toute la connaissance qu’ils en apportent se réduit à balbutier des phrases communes ou plutôt à chamarrer de mots français des phrases purement latines. Ils n’y puisent que du dégoût et une aversion presque insurmontable pour tout ce qui tient à notre langue. Ils n’y voient pour la plupart qu’un misérable jargon peu digne de les occuper. Et néanmoins si l’état auquel nous le destinons, ou si les places auxquelles leur fortune les appelle, exigent qu’ils la connaissent, nous sommes forcés de leur donner de nouveaux maîtres, et de les occuper à des mots, dans le temps de la vie où l’esprit, plein d’ardeur et de feu, est le plus propre à la connaissance des choses. »

Rien n’est changé depuis Lévizac ; ce qu’on lui disait, on nous le répète : c’est donc le besoin de suppléer en peu de temps à l’imperfection des premières études, qui nous fait un devoir de publier cette nouvelle Grammaire.

Le succès inespéré de notre Dictionnaire général et grammatical des Dictionnaires français nous imposait d’ailleurs l’obligation rigoureuse de compléter notre tâche par la publication que nous faisons aujourd’hui.

Nous ne devions pas uniquement chercher, comme l’ont fait quelques-uns, à réunir dans un corps d’ouvrage toutes les difficultés de notre idiome ; nous devions, en suivant le progrès des langues, indiquer le redressements qui rendront la nôtre non seulement la plus riche et la plus belle, mais encore la plus facile et la plus simple ;

Qu’on ne nous croie pas de ceux qui accusent notre langue de faiblesse et de pauvreté. Nous sommes las d’entendre dire que des Français, même ceux qui ont fait de longues études, ne peuvent parvenir à bien savoir l’orthographe, tant les règles de la Grammaire sont semées de difficultés insurmontables. Nous espérons réussir à prouver le contraire.

Jusqu’ici, les écrivains qui se sont occupés de Grammaire se sont en général contentés de puiser dans les ouvrages de leurs prédécesseurs, de présenter et d’analyser leurs opinions, et de livrer ainsi au public une compilation instructive et savante, mais sans apporter eux-mêmes le tribut de leurs propres études, et sans oser se prononcer sur les questions soulevées et débattues depuis long-temps.

C’est ainsi que Girault-Duvivier dit dans sa préface :

« Je me suis rarement permis d’émettre mon avis : j’ai dû me contenter de rapporter, ou textuellement, ou par extrait, celui des grands maîtres ; et j’ai pris dans les meilleurs écrivains des deux derniers siècles et de nos jours, les exemples qui consacrent leurs opinions…. J’ai mis en parallèle les sentiments des divers auteurs, mais j’ai laissé aux lecteurs le droit de se ranger à tel ou tel avis, lorsque la question restait indécise….»

Notre plan est tout autre : nous aurions cru faire une œuvre inutile si nous avions suivi sous ce rapport les errements de ceux qui nous ont précédés.

Après avoir discuté à fond les thèses grammaticales qui offrent des difficultés, nous ne nous sommes fait aucun scrupule d’éclairer le goût et le jugement du public en tranchant la question. Car n’est-il pas ridicule d’abandonner à l’esprit peu exercé des lecteurs une solution grammaticale devant laquelle un écrivain spécial en la matière croit devoir se récuser ? N’est-ce pas déclarer que la solution est impossible ?

A l’exemple des principaux Grammairiens, nous invoquons l’autorité de nos auteurs les plus célèbres ; mais nous ne manquons jamais de résoudre la difficulté en donnant toujours les raisons et les motifs de notre solution ; car ces discussions, qui doit les éclairer ? ces questions, qui peut y répondre, si ce n’est un Grammairien ? Qui consulter ? L’Académie ! Mais l’Académie n’a pas fait de Grammaire.

Une langue vivante est sans cesse entraînée vers des accroissements, des changements, des modifications, qui deviennent par la suite la source de sa perfection et de sa décadence.

N’appartient-il point alors au Grammairien, et au Grammairien seul, témoin de ces mouvements naturels, de les approuver ou d’en prononcer absolument la condamnation ? En un mot, n’est-ce pas à lui de régler ces accroissements, ces changements, ces modifications ? C’est à quoi nous nous sommes particulièrement appliqués.

Notre ouvrage est un résumé de toutes les Grammaires : nous n’avons pas manqué de puiser partout ce qui nous a semblé bon et profitable ; mais nous n’avons pas hésité non plus à écarter tout ce qui nous a paru fautif ou suranné.

Nous devons expliquer ici pourquoi nous avons religieusement conservé les expressions techniques et élémentaires consacrées par l’usage ; pourquoi nous n’avons pas appelé l’indicatif, affirmatif ; la préposition, déterminatif ; la conjonction, conjonctif ; l’interjection, exclamatif : c’est que notre opinion est que ces mots n’expriment guère plus que ceux par lesquels on a prétendu les remplacer ; ensuite, nous avons voulu que ceux qui auraient déjà étudié des principes de Grammaire pussent profiter des connaissances classiques acquises par eux dans l’étude des langues. L’inconvénient des dénominations nouvelles, c’est de n’être pas toutes à la portée du public : notre livre étant fait pour tous, doit être compris par tous.

En général, les Grammairiens confondent les éléments du discours avec la syntaxe. Une grande différence existe cependant entre les mots isolés et les mots construits. Sans connaître les premiers, on ne saurait réussir dans l’analyse, qui est le seul moyen d’arriver à la théorie des principes : car nous aurons l’occasion de le prouver au chapitre des participes : toutes les difficultés sont insolubles pour celui qui ne s’est pas occupé de l’analyse de la phrase.

Nous ne nous sommes pas contentés de peser le règles des Participes, si simples, et en même temps si difficultueuses pour ceux qui les ignorent ; nous les avons rendues faciles par un multitude d’exemples que nous avons tous décomposés.

Dans notre Dictionnaire, nous avons nomenclaturé tous les verbes irréguliers à leur ordre alphabétique ; dans la Grammaire, nous donnons en tableaux leurs conjugaisons diverses.

Plusieurs personnes, sachant d’ailleurs leur langue, sont embarrassées pour connaître les différents régimes ou compléments de certains mots ; par exemple, il y a des adjectifs qui veulent après eux à ou de ; des verbes qui exigent un régime ou complément direct, d’autres qui réclament à, de, ou par. Quelques lexicographes ont essayé d’introduire ce travail dans leurs Dictionnaires ; Gattel, lui-même, qui a le plus fait en cette matière, n’a pu y réussir parfaitement : c’est qu’aucun d’eux n’avait pensé qu’un travail de ce genre n’est que du ressort de la syntaxe, et par conséquent d’une Grammaire. Il en est de même pour les verbes qui se conjuguent à la fois avec être et avoir, ou seulement l’un ou l’autre de ces auxiliaires.

Notre Grammaire sera surtout consacrée à rendre plus facile et plus rationnelle l’étude de l’orthographe.

Nous ne sommes pas de ceux qui repoussent opiniâtrement une sage et judicieuse réforme orthographique, mais nous voulons qu’elle soit toujours basée sur l’étymologie, toutes les fois qu’il y a étymologie ; et, dans le cas contraire, sur le raisonnement et l’usage général.

Partout où il ne se rencontre pas de raison étymologique, nous nous sommes efforcés de démontrer l’art d’écrire les mots de la langue conformément à l’usage reçu et adopté par les plus purs écrivains et par les Grammairiens le plus en crédit. Car, quelque vicieux que soit l’usage en fait d’orthographe, c’est cependant à lui qu’il faut se soumettre le plus ordinairement ; c’est de lui qu’il faut apprendre comment on est convenu de peindre les mots qui composent le langage. Un réforme totale de l’orthographe, qui aurait pour but de rendre l’écriture rigoureusement et absolument conforme à la prononciation, doit être regardée, pour la plupart des peuples, comme un chimère philosophique, à laquelle l’usage ne cédera jamais ; et une réforme partielle qui, en corrigeant sur certains points la discordance qui existe entre la prononciation et l’écriture, laisserait subsister une partie des abus, consacrerait en quelque sorte ceux qu’elle aurait épargnés, et ne serait pas encore sans de grands inconvénients, particulièrement pour l’étymologie.

Cette dernière science étant le plus grand des moyens de reconnaître la vraie valeur des mots, nous avons dû y apporter le plus grand soin : ce qui est accrédité par un long usage mérite sas doute des égards ; et ces égards exigent qu’on n’abandonne pas une opinion, qu’on ne renonce pas à un système, à une méthode, sans justifier l’innovation par des raisons plus fortes que celles qui étayaient les principes anciens. Mais aussi faut-il convenir qu’il y aurait de l’excès à vouloir consacrer en quelque sorte les opinions anciennes sur le seul titre de leur ancienneté, et à rejeter toutes les nouvelles par la seule raison de leur nouveauté ! « Tout ce que nous avons aujourd’hui de plus excellent, dit Quintilien, n’a pas toujours été. Quidquid est optimum, antè non fuerat. »(Instit. Orat. X. 2)

Presque toutes nos solutions orthographiques ont déjà reçu leur sanction dans notre Dictionnaire des Dictionnaires ; mais nous devions les développer. L’orthographe ne saurait être arbitraire, s’il existe une raison étymologique : quant aux mots qui n’ont point d’étymologie, des règles ont dû les former. On voit que nous ne sommes pas tout-à-fait d’accord avec les Grammairiens qui prétendent que l’usage a tout fait. Nous nous trompons ; nous conviendrons avec eux que l’usage a trop souvent tout fait ; mais a-t-il dû tout faire. D’après ce raisonnement, nous devrions parler encore le langage des premiers siècles.

Enfin nous promettons un examen approfondi et critique de la sixième édition de l’Académie.

Nous n’avons pas besoin de dire que cet examen sera fait avec conscience et avec la plus entière impartialité : aucune rivalité n’existe, ni même ne peut exister entre le Dictionnaire de l’Académie et le nôtre ; l’un est le livre authentique, l’évangile de la langue ; c’est l’œuvre mûrie d’un aréopage qui ne sanctionne que les lois bien consacrées par le temps. Notre Dictionnaire au contraire, sentinelle avancée de la langue française, a pour mission principale de protéger toutes les innovations heureuses, de leur ouvrir un asile, de leur offrir le droit de cité. Notre tâche sous ce rapport a donc été et devait être de préparer la septième édition de l’Académie.

D’ailleurs notre Dictionnaire, outre le travail des verbes irréguliers qui nous est propre, offre aux lecteurs la prononciation et l’étymologie, choses trop souvent hypothétiques pour qu’elles aient pu être abordées dans un livre académique qui ne peut prononcer qu’avec science certaine.

Quant à ce qui caractérise spécialement notre Grammaire, nous en aurons dit assez en annonçant qu’elle est à la fois élémentaire et transcendante, et qu’il ne s’y mêle aucune espèce de système.

Nus sommes convaincus que le purisme est la superstition des Grammaires ; c’est donc toujours la raison, et la raison motivée, qui, développant les règles, et les épurant au creuset de l’analyse, doit consacrer et réformer l’usage, lorsque l’usage s’est égaré..

Ceux qui chercheront dans notre ouvrage une étude suivie, trouveront de quoi satisfaire leur goût ; et ceux qui ne voudront que consulter au besoin, lorsqu’ils auront quelques doutes à éclaircir, ou quelques doutes à lever, rencontreront chez nous les questions et les solutions qu’aucun traité semblable ne leur a présenté jusqu’à ce jour.

 

Napoléon Landais.

 


AVERTISSEMENT

De l’Auteur

 

SUR CETTE NOUVELLE ÉDITION.

 

 

Nous venons de relire encore une fois consciencieusement toute notre Grammaire. Quelques fautes typographiques s’étaient glissées dans la deuxième édition ; nous avons dû les faire entièrement disparaître : elles n’existent plus.

De nombreuses critiques nous avaient été adressées par des lettres particulières et par la voie de la presse ; nous avons fait droit à toutes celles dont l’appréciation était et bien raisonnée et judicieusement motivée ; quant à celles que l’esprit de système ou de chicane seul avait inspirées et dictées, nous nous sommes permis de passer outre, après en avoir toutefois approfondi la dénonciation et mesuré la portée.

Personne n’a attaqué notre travail sur le fond ni sur la forme ; nous sommes heureux d’avoir à nous en applaudir.

Maintenant, notre Grammaire est-elle parfaite ? Hélas ! non ; nous laisserons à d’autres la folle présomption de prétendre être parfaits en matière de grammaire. La raison de cette désespérante solution, pour ce qui nous regarde, la voici : il n’y aura jamais de grammaire raisonnablement possible, tant que l’autorité académique n’aura pas fait la sienne. Ce jour-là seulement, les grammairiens, qui tous contredisent à cœur-joie toute espèce de grammaire, de quelque main qu’elle sorte, seront une bonne fois tous forcés de s’entendre ; il en sera de même des auteurs, quelque grand nom qu’ils portent, à quelque époque qu’ils appartiennent.

Quant à nous, nous n’avons nullement eu la prétention de faire une grammaire extraordinaire, pas même une grammaire dite des auteurs : parce que les auteurs en général ne se montrent pas eux-mêmes assez corrects et assez sages dans leurs innovations ; nous avons recherché partout les règles du bon usage, et nous en avons composé un ouvrage qu’on pourrait intituler l’histoire des grammaires et des grammairiens, convenable aux savants comme aux gens du monde. Tout ce qui a été dit sur la grammaire, nous l’avons rassemblé dans notre recueil, ayant le soin toutefois de tout coordonner d’une façon qui en absorbât, autant que possible, la difficulté ; tel était notre but : nous aurons assez réussi, si nous l’avons rigoureusement atteint.

Nous pensons que ces quelques mots suffisent pour prouver de nouveau notre zèle. Nous aurions pu, à l’exemple des autres, nous faire représenter ici par une pompeuse Préface enrichie de la signature d’un nom tout à la fois académique, scientifique et lettré ; mais le public éclairé sait ce que valent ces sortes de préfaces : nous avons cru de notre dignité, de notre devoir, de ne point attirer sur nous le trop juste reproche de n’avoir pas agi par nous-même loyalement et franchement dans une tâche qu’il n’est permis de confier à personne.

Napoléon Landais

Mars 1841.


Notions

De

GRAMMAIRE GÉNÉRALE

 

 

La Grammaire, qui a pour objet l’énonciation de la pensée par le secours de la parole prononcée ou écrite, admet deux sortes de principes. Les uns sont d’une vérité immuable et d’un usage universel : ils tiennent à la nature de la pensée même ; il en suivent l’analyse ; ils n’en sont que le résultat : les autres n’ont qu’une vérité hypothétique, et dépendante des conventions fortuites, arbitraires et muables, qui ont donné naissance aux différents idiomes.

Les premiers contiennent la Grammaire générale ; les autres sont l’objet des diverses Grammaires particulières.

LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE est donc la science raisonnée des principes immuables et généraux du langage prononcé ou écrit dans quelque langue que ce soit.

Une GRAMMAIRE PARTICULIÈRE est l’art d’appliquer aux principes immuables et généraux du langage prononcé ou écrit les institutions arbitraires ou usuelles d’une langue particulière.

La grammaire générale est une science, parce qu’elle n’a pour objet que la spéculation raisonnée des principes immuables et généraux du langage.

Une grammaire particulière est un art, parce qu’elle envisage l’application pratique des institutions arbitraires et usuelles d’une langue particulière aux principes généraux du langage : telle est la définition que donne Beauzée de la Grammaire générale, et que Girault-Duvivier a donnée aussi d’après lui.. En d’autres termes, une Grammaire qui donnerait des règles et des principes communs à toutes les langues, et qui seraient d’ailleurs suffisants, serait une Grammaire générale ; celle qui ne donne de principes et de règles que pour une langue particulière, n’est que la Grammaire de cette langue ; et telle est celle dont nous traitons particulièrement dans cet ouvrage, qui n’a pour objet que l’élocution française. Nous sommes cependant obligés de toucher à bien des principes généraux. La conformation des organes est la même chez tous les hommes de tous les pays et de tous les temps : ce sont ces organes qui décident des langues, puisque ce sont eux qui exécutent les sons : d’ailleurs les hommes ont tous une même nature, des facultés et des besoins semblables ; ainsi il est aisé de sentir combien de traits de ressemblance on doit trouver entre toutes les langues. Une Grammaire particulière dont les principes ne seraient applicables qu’à une seule langue, serait donc nécessairement une Grammaire défectueuse.

Passons en revue, dans un rapide examen, les plus importants principes de la Grammaire générale.

L’objet de la parole est d’exprimer nos pensées ; mais pour analyser la parole, il faut savoir analyser la pensée, opération de l’esprit qui se fait le plus souvent sans qu’on s’en aperçoive. Cette analyse de la pensée est le principe fondamental, commun à toutes les langues, à tous les hommes. Cependant tous les hommes ne parlent pas la même langue ; cela s’explique naturellement. La formation des langues, influencée par la diversité des climats, par l’organisation de la parole, par l’état des arts, des sciences, du commerce, par mille causes enfin, a donné naissance aux différents idiomes.

Ainsi les Orientaux ont appelé le soleil bal ou baal, parce qu’il est haut ; et les Latins sol, parce qu’il est unique dans notre système planétaire ; d’autres ont tiré son nom de sa forme, et d’autres de la chaleur qu’il répand.

Il est facile de concevoir pourquoi divers peuples expriment une même idée, un même objet, par des mots divers ; aucun mot n’est réellement le signe d’une idée ; il n’en est le signe par une pure convention de l’usage. Ce sont les besoins qui ont fait créer les mots.

Mais ces mots ne sont, dans aucune langue, le signe d’une idée, que par un effet de convention ; et quoiqu’il faille se soumettre à l’usage une fois établi et adopté, rien n’empêche que l’autorité qui l’a établi ne puisse y déroger dans la suite, pour substituer un mot à un autre mot ou plus expressif, ou plus conforme aux lois de l’analogie, ou plus harmonieux, ou plus simple. C’est sur cette faculté incontestable, sur les progrès de la civilisation, et sur le mouvement successif des idées développées par l’accroissement des besoins, qu’est fondé le perfectionnement des langues.

Examinons maintenant les principes qui tiennent à la nature même de la pensée.

Le mot pensée comprend tout ce que nous entendons par les opérations de l’âme. Toutes les impressions que produisent sur nous les objets extérieurs, se nomment sensations : qui dit sensation, dit sentiment de plaisir ou de douleur. Cinq organes que nous appelons sens, constituent diverses manières d’éprouver les sensations, par rapport à notre corps ; ce sont : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le tact. Mais l’ame [sic] a aussi ses sensations ; ce sont les impressions qu’elle reçoit des sens internes. Ces impressions lui donnent l’entendement qui profite de toutes nos perceptions. Point de doute que toutes nos appréciations ne viennent des sens. Un homme aveugle-né ne saurait voir la connaissance des couleurs ; un sourd de naissance n’aurait pas plus l’idée des sons. Au contraire, la perfection de ces organes augmente et étend la variété de nos connaissances.

Lorsque nous avons éprouvé une perception vive, assez vive pour qu’il nous semble n’en avoir pas d’autre au même moment, c’est l’attention qui se manifeste : son effet est de nous faire souvenir long-temps de l’avoir ressentie ; cette opération est ce que nous appelons réminiscence, laquelle réminiscence devient la source de la mémoire, qui elle –même est le moyen de se rappeler les objets absents ; de là l’imagination, qui ajoute à l’idée d’une perception reçue autrefois. Chacune de ces facultés demanderait de longs détails, une plus ample définition ; mais ce travail est du ressort essentiel de la Grammaire générale proprement dite ; nous ne pouvons leur donner ici plus de développement.

L’attention, si elle porte sur deux objets à la fois, nous conduit naturellement à la comparaison de ces deux objets ; en effet cette dernière n’est qu’une double attention. De la comparaison découlent le jugement, le raisonnement, la réflexion.

On appelle jugement l’acte par lequel, après avoir comparé exactement deux choses, on se prononce sur la convenance ou sur la disconvenance, sur l’identité, en un mot, de ces deux choses.

Le raisonnement compare deux jugements pour en tirer un troisième. Il déduit un jugement d’autres jugements déjà connus. Donnons un exemple de raisonnement : toutes les vertus sont louables ; or la pudeur est une vertu ; donc la pudeur est louable.

Avec du jugement et du raisonnement, nous sommes amenés à pouvoir apprécier sainement les choses que nous désirons connaître ; cette opération n’est autre que celle de la réflexion, par laquelle l’attention est dirigée sur l’objet ou sur les objets que nous observons et que nous nous efforçons de comparer. La réflexion ne saurait avoir lieu, si notre mémoire n’était pas formée, si nous ne pouvions maîtriser notre imagination ; or la mémoire, l’imagination et la réflexion concourent à former les langues ; et si les signes ont une influence positive sur la mémoire et sur l’imagination, ils l’ont également sur la réflexion.

Parlons de l’abstraction.

Le mot abstraction, en latin abstractio, qui signifie séparation, est formé du verbe abstrahere, en français séparer de. Nous définirons l’abstraction, le pouvoir de considérer les objets séparément, c’est-à-dire en dehors d’autres objets. On distingue deux sortes d’abstractions : l’une physique, et l’autre métaphysique. Un corps peut être à la fois noir, carré, froid, sans saveur, et être en repos ; nous recevrons à la fois, en le considérant, la sensation de sa froideur, de sa non-saveur et de son immobilité ; en séparant chacune de ces sensations les unes des autres, nous faisons une abstraction physique. Mais si nous considérons par le mot blanc la sensation qu’il exprime, cette perception a été excitée par du papier, par du lait, de la neige : nous nous arrêtons à cette unique perception, l’isolant de ce qui l’accompagne, et nous nous en faisons une idée à part, l’idée de la blancheur, que nous reconnaîtrons dans tous les objets sur lesquels elle sera excitée.

Que nomme-t-on substantif abstrait ? qu’est ce que le mot blancheur ? Ce mot n’existe réellement nulle part dans la nature ; ce mot n’est point, comme tous les autres objets existants, un substantif physique ; mais nous l’avons formé par abstraction, par analogie, comme devant représenter cette qualité de blancheur, partout où se rencontrera un objet qui puisse nous donner cette perception. Rien n’influe plus sur la richesse des langues en général que cette abstraction physique qui donne des idées si distinctes des choses.

Définissons maintenant certains termes généraux dont la connaissance est de la plus absolue nécessité en matière de langues.

Nous apercevons dans les corps des qualités, ou une manière d’être, enfin certaines modifications. On entend par qualités les choses par lesquelles les corps sont qualifiés, sont distingués les uns des autres ; la manière d’être est la manière dont ils existent ; les modifications ne sont qu’une qualité en plus ou en moins dans un corps, laquelle produit quelque changement dans sa manière d’être habituelle. On nomme propriétés, des qualités tellement propres à un objet qu’elles ne sauraient convenir à d’autres : par exemple, la propriété d’un triangle est d’être déterminé par trois côtés ; il ne saurait l’être par quatre.

Nous ne terminerons pas sans parler des idiotismes ; c’est un avertissement que l’on doit à ses lecteurs, et dont on ne peut faire mention qu’en traitant des principes généraux. Nous avons prévenu que nous dépouillions tout amour-propre malentendu ; on ne sera donc pas surpris que nous donnions tout ce que nous avons reconnu de mieux sur cette matière ; et ce mieux, nous le trouvons dans Estarac, l’auteur profond et simple par excellence tout à la fois :

On appelle idiotisme une façon de parler éloignée des usages ordinaires ou des lois générales du langage, et adaptée au génie propre d’une langue particulière. C’est un effet marqué du génie caractéristique d’une langue ; il en est une véritable émanation ; et, si l’on fait passer un idiotisme d’une langue dans une langue différente, ou par le moyen de la traduction, ou par imitation, cette locution peut bien quelquefois conserver un air étranger, mais elle n’est pas toujours contraire aux principes fondamentaux de la Grammaire, ni aux principes particuliers de la langue dans laquelle elle est introduite.

On peut distinguer deux sortes d’idiotismes ; les idiotismes réguliers et les idiotismes irréguliers.

Les idiotismes réguliers, sans être contraires aux principes fondamentaux de la Grammaire, sans violer les règles immuables de la parole, s’écartent seulement des usages ordinaires ou des institutions arbitraires. Tel est entre autres ce latinisme : videre erat, videre est, videre erit, mot à mot, voir était, voir est, voir sera, pour dire : il fallait voir, il faut voir, il faudra voir. Tel est le germanisme : ces hommes sont savamment, locution qui n’est pas contraire aux lois immuables de la parole, mais seulement à l’usage adopté par les autres idiomes, qui, en pareil cas, emploient le modificatif particulier, et non pas l’adverbe pour former l’attribut de la proposition.

Les idiotismes irréguliers, au contraire, sont opposés aux principes immuables de la parole. Tel est notre gallicisme : mon opinion, ton épée, son amie, etc., au lieu de ma opinion, etc., qu’exigeraient les lois de la concordance fondées sur le rapport d’identité. Ce gallicisme n’est fondé que sur l’euphonie. Nos anciens auteurs, pour éviter tout à la fois et cette contradiction manifeste avec les principes, et l’hiatus désagréable que forment ma amie, ta amie, sa amie, élidaient la voyelle a du modificatif possessif, et ils écrivaient m’amie, t’amie, s’amie. De là est venu notre mot familier mie pour dire amie ; parce que, par corruption, on sépare ces mots en deux syllabes, et l’on dit ma mie, ta mie, sa mie.

Chaque langue peut donc avoir ses idiotismes particuliers, soit réguliers, soit irréguliers. Ceux de l’hébreu s’appellent hébraïsmes ; ceux du grec, hellénismes, ou grécismes ; ceux du latin, latinismes ; ceux du français, gallicismes ; ceux de l’allemand, germanismes ; ceux de l’anglais, anglicismes ; ceux des autres langues n’ont pas de noms particuliers, et l’on est obligé de dire un idiotisme espagnol, portugais, turc, etc., parce que l’usage n’a pas adopté les mots hispanisme, ou espagnolisme, turquisme, etc.

Le mot idiotisme exprime donc le genre ; les autres noms expriment des espèces subordonnées.

Les idiotismes, transportés d’une langue dans une autre, sont une preuve de l’affinité qu’il y a entre ces deux langues, ou des relations qui ont existé entre les peuples qui ont parlé ou qui parlent ces eux langues. Ainsi le long séjour des Arabes en Espagne a fait passer beaucoup d’arabismes dans la langue espagnole ; ainsi les meilleurs auteurs latins sont pleins d’hellénismes ; et comme le génie de notre langue approche plus de celui de la langue grecque que de celui de la langue latine, notre langage est presque un hellénisme perpétuel.

Le gallicisme est donc un idiotisme, ou un écart du langage, exclusivement propre à la langue française. En voici des exemples :

« Il est incroyable le nombre de soldats qui périrent dans cette fatale journée. » Le gallicisme est fondé sur une inversion. La construction directe serait : Le nombre de soldats qui périrent dans cette fatale journée est incroyable.

« Nous venons d’arriver ; ils vont partir, » est une manière propre à la langue française de former un prétérit relatif à une époque peu éloignée, et un futur très-prochain.

« Il ne laisse pas de se bien porter ; on ne laisse pas de s’abandonner au vice, tout en louant la vertu. » Ces gallicismes, et autres semblables, ne sont peut-être que des constructions elliptiques, que l’on préfère à une locution pleine. Il semble que le sens est celui-ci : Il ne laisse pas l’avantage de se bien porter ; on ne laisse pas la coupable faiblesse de s’abandonner au vice, tout en louant la vertu. »

« Vous avez beau dire et beau faire, vous ne réussirez pas, » pour tout ce que vous dites, tout ce que vous faites est beau, mais voilà tout, ; vous ne réussirez pas.

« Se bien porter, comment vous portez-vous ? » sont des phrases de notre langue ; les phrases correspondantes en latin, en anglais, en espagnol, sont bien différentes 1

L’emploi des verbes avoir et être, dans les formes composées des verbes, est commun au français, à l’espagnol et à l’italien, mais avec cette différence que, dans les trois premières langues on dit également j’ai été ; au lieu qu’en italien, on dit je suis été ; ainsi un Italien qui, dans sa langue, dirait : j’ai été, ferait un gallicisme.

« A qui en voulez-vous ? où veut-il en venir ? en vouloir à quelqu’un ; en user mal ; en agir mal à l’égard de quelqu’un ; on en vint aux mains, etc., » sont autant de gallicismes.

Nous aurons l’occasion de revenir sur cette matière ; aussi ne donnons-nous nos idées que sommairement, sans les développer.

Un mot encore de l’auteur que nous venons de citer, sur le néologisme.

Le néologisme, dit-il, contribue à enrichir une langue ou tend à la corrompre, selon qu’il a pour principe une hardiesse sage, mesurée, utile, ou une affectation puérile et ridicule.

Le mot néologisme, dérivé du grec, signifie nouveau discours. Conséquemment toute expression nouvelle, toute figure inusitée est néologique. Mais si le terme nouveau que l’on hasarde est nécessaire ou utile ; si le ton extraordinaire que l’on veut introduire est plus naïf, ou plus doux, ou plus énergique ; si cette association de termes dont on n’avait pas fait usage jusque là est plus heureuse, ou plus expressive, ou plus figurée ; si toutes ces nouveautés sont fondées sur un principe de nécessité ou très-réel, ou du moins très apparent, et si elles sont conformes à l’analogie de la langue, alors le néologisme, loin d’être un vice d’élocution, est une vraie figure de construction qui contribue à enrichir la langue.

Mais affecter de ne se servir que d’expressions nouvelles et toujours éloignées de celles que l’usage a autorisées ; créer des mots inutiles ; employer un tour extraordinaire dans la construction de ses phrases ; associer ensemble des termes qui, comme dit Rousseau, hurlent d’effroi de se voir accouplés ; préférer les figures les plus bizarres aux plus simples, les constructions les plus entortillées aux plus naturelles ; c’est là un vice d’élocution qui tend à dégrader les langues ; c’est un néologisme blâmable, qui met à découvert le faux goût et les prétentions ridicules du néologue, et l’expose de la part des personnes éclairées, à tout le mépris et à toute la pitié qu’inspirent des prétentions absurdes jointes à la nullité du talent 2.

Il y a donc deux espèces de néologisme ; l’un, utile, hardi avec modération, et se présentant toujours sans orgueil et sans ostentation ; l’autre condamnable, dangereux, fondé sur l’orgueil et sur la médiocrité des talents, enfant du mauvais goût et du désir de briller. Il est à regretter que des choses aussi contraires n’aient qu’un seul et même nom. Usez de l’un avec tant de précaution, avec tant de modération, que vous ne tombiez pas dans l’autre, qui n’est que l’abus ou l’excès du premier 3.

Desfontaines publia en 1726 un Dictionnaire néologique. Il serait infiniment utile d’en publier un semblable de temps en temps ; on y verrait les efforts continuels, et quelquefois imperceptibles que fait le néologisme pour corrompre le langage ; on y remarquerait les révolutions successives qu’a subies la langue ; on y reconnaîtrait les expressions adoptées par l’usage ; on pourrait comparer, au moyen de plusieurs de ces dictionnaires, l’état d’une langue à telles époques déterminées ; et par comparaison, on s’assurerait si elle s’embellit, ou si elle dégénère ; si elle s’enrichit, ou si elle perd. Ces tableaux successifs de la langue seraient piquants pour la curiosité, et-très intéressants pour l’observateur philosophe qui chercherait à de viner par le ton général de la langue, quel était l’état des mœurs à telle époque. L’attention publique, périodiquement fixée sur cet objet important, rendrait les écrivains plus réservés, plus circonspects, plus châtiés ; et l’usage, devenu plus sévère à mesure que la langue se corromprait, et plus éclairé par tous ces différents tableaux de comparaison, proscrirait impitoyablement tout ce qui tendrait à énerver ou à appauvrir la langue.

Ces notions nous ont paru nécessaires avant d’entre dans la Grammaire particulière, notre but principal et presque unique. Cependant nous aurons souvent besoin de développer des idées de Grammaire générale, et c’est pour cela que nous avons voulu, au frontispice de notre ouvrage, en donner un résumé succinct, et qui servît d’introduction naturelle à l’étude de la langue la plus répandue en Europe.

 


GRAMMAIRE FRANÇAISE

 

 

Nous avons dit qu’une Grammaire particulière a pour objet d’appliquer les conventions, ou les institutions, en vertu desquelles a été formée une langue particulière, aux principes généraux et immuables de toutes les langues.

La Grammaire française doit donc se borner à comparer les lois positives établies par l’usage, relativement à notre langue, avec les principes universels établis dans la Grammaire générale ; à rechercher en quoi les principes communs à toutes les langues, en quoi ils en diffèrent, et à nous faciliter l’art d’écrire et de parler parfaitement le français.

La Grammaire 4 française est l’art d’exprimer correctement ses pensées en français, par le moyen de la parole ou de l’écriture.

Comme dans toutes les langues, les règles du français sont fondées et sur la raison et sur l’usage. Nous l’avons dit dans notre introduction ; la raison, en maîtresse souveraine, a toujours le droit de réclamer contre l’infraction des lois qu’elle a dû fixer ; tandis que souvent l’usage aveugle n’obéit qu’aux caprices de la mode et à ses bizarreries ridicules : il en résulte qu’il ne peut exercer légitimement son empire que sur ce qui n’est pas rigoureusement soumis à l’appréciation de la raison.

Ordinairement, tous les hommes d’un même pays parlent le même langage ; tous se comprennent entre eux ; mais cela suffit-il ? Non. Il ne faut pas seulement parler pour se faire entendre : il faut bien parler ; il faut bien écrire, et de manière à être parfaitement compris de tous ceux qui parlent et qui écrivent le plus correctement.

La parole peut être envisagée sous deux rapports, celui de la prononciation et celui de l’écriture.

La Grammaire doit donc traiter de la parole qui est la science des sons et des mots ; de l’orthographe qui apprend à les écrire.

Écrire, c’est se servir de caractères ou signes qui représentent les sons qui représentent les mots.

Les mots doivent être considérés ou comme des sons, ou comme des signes de nos pensées.

Si nous les considérons comme des sons, nous les trouvons composés de lettres 5, dont les signes sont arbitrairement choisis par chaque peuple : seules ou assemblées entre elles, elles peuvent produire des syllabes.

On appelle syllabe, la lettre ou les lettres qui, dans un mot, se prononcent par une seule émission de voix : a est syllabe dans avoir ; voir qui achève le même mot est une autre syllabe. Nous appelons monosyllabe, du grec , seul, et , syllabe, le mot formé d’une seule syllabe ; et généralement polysyllabe, du grec , plusieurs et , syllabe, celui qui est composé de plusieurs syllabes ; vous est un monosyllabe ; empire est un polysyllabe 6.

Si les lettres représentent des sons simples, on les nomme voyelles, du mot voix, en latin vox ; parce qu’elles expriment proprement le son de la voix : et celles qui représentent des articulations s’appellent consonnes, des deux mots latins, cum, sonans, sonnant avec, ensemble ; parce que ces articulations ont besoin nécessairement pour former un son d’être réunies à des voyelles. Les lettres composent donc les syllabes, et les syllabes composent les mots qui sont les signes de nos idées, comme la phrase est le tableau de nos pensées.

Si nous considérons les mots comme des signes de nos pensées, les mots ont des rapports naturels qui les lient et les unissent entre eux ; de ce principe découlent les règles de la syntaxe et de la construction, et les lois qui servent à faire accorder ensemble tous les mots d’une phrase. Nous avons donc à définir chaque mot pris isolément hors de la proposition, et ensuite nous aurons à l’analyser dans la proposition, pour indiquer la place qu’il doit y occuper, en démontrant l’ordre des mots, et développant toutes les règles de leur union.

C’est le lieu de transcrire une dissertation fort savante que nous trouvons dans le traité de l’orthographe du grammairien Maugard, qui la donne lui-même comme l’ayant extraite de Beauzée.

Les éléments de la voix, dit-il, sont de deux sortes, les sons et les articulations. Le son est une simple émission de la voix, dont la forme constitutive dépend de celle du passage que lui prête la bouche. L’articulation est une explosion que reçoit le soin, par le mouvement subit et instantané de quelqu’une des parties mobiles de l’organe. Il est donc de l’essence de l’articulation de précéder le son qu’elle modifie ; parce que le son une fois échappé n’est plus en la disposition de celui qui parle pour en recevoir quelque modification que ce puisse être : et l’articulation doit précéder immédiatement le son qu’elle modifie, parce qu’il n’est pas possible que l’expression d’un son soit séparée du son, puisque l’articulation n’est au fond rien autre chose que le son lui-même, sortant avec tel degré de vitesse acquis par telle ou telle cause.

Cette double conséquence, suite nécessaire de la nature des éléments de la voix, nous semble démontrer sans réplique :

1° Que toute articulation est réellement suivie d’un son qu’elle modifie, et auquel elle appartient en propre, sans pouvoir appartenir à aucun son précédent ; et par conséquent que toute consonne est ou suivie ou censée suivie d’une voyelle qu’elle modifie, sans aucun rapport à la voyelle précédente : ainsi les mots or, fer, qui passent pour n’être que d’une syllabe sont réellement de deux : parce que les sons o et e, une fois échappés, ne peuvent plus être modifiés par l’articulation r ; et qu’il faut supposer ensuite le moins sensible des sons que nous appelons e muet, comme s’il y avait ore, fère.

2° Que si l’on trouve de suite deux ou trois articulations dans un même mot, il n’y a que la dernière qui puisse tomber sur la voyelle suivante, parce qu’elle est la seule qui la précède immédiatement ; et les autres ne peuvent être regardées à la rigueur que comme des explosions d’autant d’e muets, inutiles à écrire, parce qu’il est impossible de ne pas les exprimer ; mais aussi réels que toutes les autres voyelles écrites : ainsi le mot français scribe, qui passe dans l’usage ordinaire pour un mot de deux syllabes, a réellement quatre sons parce que les deux premières articulations s et c qui a le son du k, supposent chacune un e muet à leur suite, comme s’il y avait seke-ribe : il y a pareillement quatre sons physiques dans le mot sphinx, qui passe pour n’être que d’une syllabe, parce que la lettre finale x est double, qu’elle équivaut à ks, et que chacune de ces articulations suppose après elle l’e muet, comme s’il y avait sephin-kese.

3° Que ces e muets ne sont supprimés dans l’orthographe que parce qu’il est impossible de ne pas les faire sentir, quoique non écrits : nous en trouvons la preuve non-seulement dans la rapidité excessive avec laquelle on les prononce, mais encore dans des faits orthographiques : 1° nous avons plusieurs mots terminés en ment, et cette finale était autrefois précédée d’un e muet pur, lequel n’était sensible que par l’allongement de la voyelle dont il était lui-même précédé, comme ralliement, éternuement, enrouement, etc. Aujourd’hui on supprime ces e muets dans l’orthographe ; et l’on se contente, afin d’éviter l’équivoque de marquer la voyelle longue d’un accent circonflexe : rallîment, éternûment, enroûment. 2° Cela n’est pas seulement arrivé après les voyelles ; on l’a fait encore entre deux consonnes : et le mot que nous écrivons aujourd’hui soupçon, est écrit souspeçon avec l’e muet dans le livre de la précellence du langage françois 7, par H. Estienne (édition de 1579). Or il est évident que c’est la même chose pour la prononciation, d’écrire soupeçon, ou soupçon, pourvu qu’on passe sur l’e muet écrit avec autant de rapidité que sur celui que l’organe met naturellement entre p et ç, quoiqu’il n’y soit point écrit.


 

DE L’USAGE.

 

Avant de traiter de l’orthographe, nous avons si souvent occasion de parler de l’usage, qu’il nous semble naturel de donner une idée précise de ce qu’on doit entendre par ce mot. Pour cela, nous avons besoin de remonter à la source de l’influence qu’il a sur les langues, et de reconnaître, pour les déterminer, les bases et les limites de son autorité.

Nous l’avons dit, les signes adoptés dans chaque langue pour représenter les sons et les articulations, la formation des syllabes, et tout ce qui concerne le matériel des mots, est purement arbitraire. Un peuple tout entier n’ayant pu s’assembler pour délibérer là-dessus, et pour adopter telle combinaison de lettres plutôt que telle autre, il est évident que l’adoption des mots ne s’est faite que successivement et à la longue, par l’usage donc, qui n’est autre chose que le consentement tacite d’individus qui parlent et comprennent le même langage.

On peut définir une langue, dit Estarac : la totalité des usages propres à une nation pour exprimer la pensée par la parole.

Mais cet usage, ajoute-t-il, qui exerce une autorité si étendue si vaste, si absolue sur les langues, à quoi le reconnaîtrons-nous? Faut-il adopter sans discernement les termes employés par tous les hommes d’une nation pour exprimer telle ou telle idée? Il est à peu près impossible de recueillir l’universalité des suffrages. Faut-il se contenter de la majorité? Mais, outre la difficulté de s’assurer de cette majorité, il y a, chez toutes les nations, un très-grand nombre d’hommes qui n’attachent pas les mêmes idées aux mêmes mots, qui ne les prononcent pas de la même manière, qui en altèrent et le matériel et la valeur, et qui souvent en font un emploi contraire; et c’est en général le cas de toutes les personnes dont l’éducation a été peu soignée, ou qui n’ont pas fait une étude particulière de leur langue. Faut-il donner la préférence à l’usage reçu dans tel département, dans telle province, dans telle ville? Mais nous éprouverons le même embarras pour recueillir soit l’universalité, soit la majorité des suffrages; et nous trouverons encore dans une ville, comme dans un département, comme chez un peuple entier, des hommes dont le suffrage ne doit pas être compté. Quel moyen nous reste-t-il donc pour constater le bon usage? Il n’y en a pas d’autre que l’exemple et l’autorité du plus grand nombre des écrivains reconnus pour les plus distingués par chaque nation, Ce sont eux qui, analysant leurs pensées avec la plus grande précision; qui, étant guidés par un goût plus éclairé, plus sûr, plus exercé, expriment chacune de leurs idées par le terme propre, afin que leur langage soit l’image exacte et fidèle de leurs pensées; et l’approbation de leurs contemporains, confirmée ensuite par celle de la postérité, est presque toujours uniquement due à cette précision et à cette pureté de langage.

Les langues varient; le bon usage de tel siècle ne peut donc pas toujours être celui de tel autre. Pour fixer l’usage, relativement aux langues mortes, il faut s’en rapporter aux bons livres qui nous restent du siècle dont nous voulons reconnaître le bon usage. D’après cette méthode, le plus beau siècle de la langue latine, celui du meilleur usage, est celui qui a produit Virgile et Horace.

Quant aux langues vivantes, il y a deux causes de mobilité toujours subsistantes: la curiosité, qui, en perfectionnant les arts, en reculant les bornes des connaissances, en approfondissant les sciences, en faisant de nouvelles découvertes, fait naître ou découvre sans cesse de nouvelles idées qui exigent la formation de nouveaux mots ; et la cupidité, qui, combinant en mille manières les passions, cherchant à varier les jouissances, multipliant les objets de luxe, diversifiant ou perfectionnant les produits de l’industrie, occasionne sans cesse de nouvelles combinaisons de mots, force à en créer de nouveaux , ou du moins à donner une acception nouvelle à des mots déjà adoptés par l’usage. Mais la création de ces mots ou de ces phrases nouvelles doit toujours être assujétie aux lois de l’analogie; et ces locutions hasardées, proposées par quelque écrivain, ne sont censées appartenir véritablement à la langue que lorsqu’elles ont reçu le sceau de l’usage.

C’est lui qui est le vrai, le seul législateur en fait de langage. En remontant à la source de son autorité, nous l’avons reconnue tout à la fois utile et légitime. Elle est aussi le plus souvent à l’abri du caprice, et fondée sur une métaphysique lumineuse: mille façons de parler, qu’on est d’abord tenté d’attribuer au hasard, ou à un pur caprice, sont souvent le résultat d’une analyse exacte qui paraît avoir conduit. les peuples, comme par instinct et à leur insu, dans la formation des langues. C’est ce dont nous avons eu occasion de nous convaincre; et nous présumons que celui qui aurait une connaissance suffisamment étendue des langues et un esprit vraiment analytique, viendrait à bout de démontrer que la plupart de ces locutions extraordinaires, dans toutes les langues, ont un fondement solide et un motif raisonnable. Ce seraient des spéculations aussi dignes d’un vrai philosophe, qu’elles seraient utiles au perfectionnement des langues. Du moins, les irrégularités que l’usage a adoptées, consacrées, et fait passer en lois, n’ont été introduites que pour donner à l’expression plus de vivacité, ou de grace, ou d’énergie, ou d’harmonie, et de pareils motifs méritent bien qu’on se soumette à l’usage, lorsqu’il ne se montre pas absurde.

Car, néanmoins, ce législateur suprême, dont l’autorité sur les langues est absolue, dont les décisions souffrent à peine des réclamations même motivées, est sujet à des vicissitudes continuelles, comme tout ce qui dépend des hommes. Il n’est plus aujourd’hui tel qu’il était du temps de Baïf, de Ronsard et de Dubartas, qui avaient déjà eux-mêmes un autre usage que celui de leurs aïeux; et la génération qui viendra après nous altérera encore celui que nous lui aurons transmis, lequel, à son tour, sera remplacé par un autre 8. Au milieu de ces changements continuels, la langue se perfectionne jusqu’à un certain degré; après quoi, elle se corrompt, et elle perd au lieu d’acquérir. Tel a été le sort de toutes les langues; tel est celui de toutes les institutions humaines. Il semble que l’homme, après avoir acquis un certain degré de perfection, ne puisse ni aller au-delà, ni même se maintenir long-temps dans le même état.

Pour empêcher cette corruption funeste, faisons encore quelques réflexions sur l’usage, afin que tous les bons esprits, tous les amis de la gloire littéraire de leur patrie, puissent se réunir contre les efforts d’un néologisme fougueux que proscrit la langue des Fénélon et des Racine; marquons du sceau de la réprobation ces expressions ampoulées et gigantesques, ces phrases entortillées, ces mignardises, ces afféteries, ces locutions barbares, indignes de la langue qui fait depuis long-temps les délices de l’Europe savante.

Dans les langues vivantes, l’usage est quelquefois douteux, et quelquefois évident. Il est douteux lorsqu’on ignore quelle est ou quelle doit être la pratique de ceux dont l’autorité serait prépondérante dans le cas dont il s’agit. Alors il faut consulter l’analogie, c’est-à-dire comparer le cas en question avec les cas semblables sur lesquels l’usage est bien prononcé, et se conduire en conséquence; car l’analogie n’est que l’extension de l’usage à tous les cas semblables à ceux qu’il a décidés par le fait.

L’usage est évident, quand on connaît positivement. la pratique de ceux dont l’autorité est prépondérante en pareil cas.

Mais le bon usage, tout évident qu’il est, n’est pas toujours général; il peut être partagé. Il est général, lorsque tous ceux dont l’autorité fait poids s’accordent à parler, à prononcer et à écrire de la même manière. Quiconque respecte sa langue ne doit jamais se permettre de parler ou d’écrire d’une manière contraire à l’usage évident , c’est-à-dire général.

L’usage est partagé, lorsqu’il y a deux manières également autorisées de parler ou d’écrire. Dans ce cas, il faut encore consulter l’analogie, comme le seul guide qui puisse éclairer notre choix. Mais il faut s’assurer d’une analogie exacte, discuter les raisons opposées, alléguées par les uns et par les autres, et ne se décider pour l’un des deux partis que lorsque la lumière qui doit rejaillir de cette discussion aura montré quel est celui qui mérite la préférence.

L’usage était partagé, par exemple, entre je vais et je vas. Ménage donnait la préférence au premier, par la raison que faire et taire font aussi je fais, je tais; mais Thomas Corneille observa que faire et taire ne tirent point à conséquence pour le verbe aller, et que l’analogie ne peut pas conclure de ceux-là à celui-ci, puisque ces verbes ne sont pas de la même classe analogique.

Girard, au contraire, se décida pour je vas par une autre raison analogique. La première personne du singulier du présent de tous les verbes, dit-il, est semblable à la troisième, quand la terminaison est féminine: j’aime, il aime; je crie, il crie;je chante, il chante, etc.; et elle est semblable à la seconde tutoyante, quand la terminaison en est masculine : je lis, tu lis; je pars, tu pars; je sors, tu sors; je vois, tu vois, etc. (Vrais principes, tome 2). Cette analogie est exacte; et, d’après elle, il faut dire : je vas. Il est certain qu’il vaut mieux se décider pour l’expression analogique, parce que l’analogie diminue les difficultés d’une langue et qu’on ne saurait trop réduire les exceptions. La même analogie doit faire donner la préférence à je peux sur je puis. 9

Il faut donc recourir à l’analogie dans deux cas : lorsque l’usage est douteux, ou lorsqu’il est partagé. Dans toute autre circonstance, rien ne peut dispenser de se conformer à l’usage, quant à ce qu’il a prescrit d’une manière positive, lors même que ses décisions sont contraires à l’un des principes fondamentaux des langues, comme dans nos phrases: mon amie, ton opinion, son épée. Quelque défectueuses que puissent être ces lois positives, la langue est telle, le mal est fait; et ses irrégularités, quelles qu’elles soient, n’ont pas empêché que des hommes de génie ne l’aient rendue éloquente et, pleine de noblesse, de grace et de majesté, et qu’elle ne soit devenue la langue de tous les savants de l’Europe.

Quant aux lois négatives ou prohibitives de l’usage, elles n’exigent peut-être pas toujours une soumission aveugle ni entière; car si telle expression a eu autrefois de la grace, de l’énergie ou de la naïveté, pourquoi ne pas l’employer aujourd’hui, si elle n’est pas remplacée par une expression équivalente ou meilleure, et surtout si l’usage s’est contenté de la dédaigner ou de l’oublier, sans la proscrire formellement? Si telle expression est bonne en elle-même, si elle est utile, si elle est nécessaire, faut-il que personne n’ose la hasarder, parce qu’on ne l’a pas encore employée? Chaque âge d’une langue a eu son bon usage particulier; les meilleurs écrivains de chaque époque ne se sont pas toujours strictement conformés aux décisions prohibitives de l’usage de leur temps; ils ont même souvent hasardé une expression nouvelle; sans cela notre langue serait aujourd’hui aussi pauvre, aussi agreste, qu’elle était du temps du Roman de la Rose. Si Malherbe n’eût pas emprunté du latin : insidieux et sécurité, si Desportes n’eût pas naturalisé dans notre langue le mot pudeur, nous n’aurions pas ces trois expressions. Si La Fontaine s’en fût tenu à la décision de Vaugelas, qui regardait : sortir de la vie, comme un barbarisme, il n’aurait pas osé employer cette expression, qui fait une si belle image dans ces vers:

Je voudrais qu’à cet âge
On sortit de la vie ainsi que d’un banquet. 10

Il appartient donc aux écrivains d’un goût supérieur de hasarder, avec une hardiesse éclairée, ce qui, après avoir déplu peut-être quelques moments, finira par enrichir la langue et par plaire toujours.

Voici un tableau comparatif, que nous donne Marmontel, des progrès des différentes langues.

De toutes les langues, dit-il, celle qui a le plus donné à l’ornement et au luxe de l’expression, la langue grecque, a été peu sujette aux variations de l’usage : et la différence de ces dialectes une fois établie, on ne s’aperçoit plus qu’elle ait changé depuis Homère jusqu’à Platon. La langue d’Homère semblait douée, ainsi que ses divinités, d’une jeunesse inaltérable; on eût dit que l’heureux génie qui l’avait inventée eût pris conseil de la poésie, de l’éloquence, de la philosophie elle-même, pour la composer à leur gré. Vouée aux graces dès sa naissance, mais instruite et disciplinée à l’école de la raison; également propre à exprimer, et de grandes idées et de vives images, et des affections profondes, à rendre la vérité sensible ou le mensonge intéressant; jamais l’art de flatter l’oreille, de charmer l’imagination, de parler à l’esprit, de remuer le cœur et l’âme, n’eut un instrument si parfait. Pandore, embellie à l’envi des dons de tous les dieux, était le symbole de la langue des Grecs.

Il n’en fut pas de même de celle des Latins. D’abord rude et austère comme la discipline, comme les lois dont elle était l’organe, pauvre comme le peuple qui la parlait, simple et grave comme ses mœurs, inculte comme son génie, elle éprouva les mêmes changements que le caractère et les mœurs de Rome. De sa nature, elle eut sans peine la force et la vigueur tragique qu’il fallait à Pacuvius, la véhémence et la franchise que demandait l’éloquence des Gracques : mais lorsqu’une poésie séduisante, voluptueuse ou magnifique, voulut en faire usage; lorsqu’une éloquence insinuante, adulatrice et servilement suppliante, voulut l’accommoder à ses desseins, il fallut qu’elle prit de la mollesse, de l’élégance, de l’harmonie, de la couleur, et que, dans l’art de prêter au langage un charme intéressant et une douce majesté, Rome devînt l’écolière d’Athènes avant que d’en être l’émule, Ce qu’ont fait les Latins pour donner de la grace à une langue toute guerrière, est le chef-d’œuvre de l’industrie; et dans les vers de Tibulle et d’Ovide , elle semble réaliser l’allégorie de la massue d’Hercule, dont l’Amour, en la façonnant, se fait un arc souple et léger.

Celles de nos langues modernes qui se sont le plus tôt fixées sont l’espagnol et l’italien; l’une à cause de l’incurie des Castillans, et de cette fierté nationale qui , dans leur langue, comme eux-mêmes, fait gloire d’une noblesse pauvre, et dédaigne de l’enrichir; l’autre; à cause du respect trop timide que les Italiens conçurent pour leurs premiers grands écrivains, et de la loi prématurée qu’ils s’imposèrent à eux-mêmes de n’admettre dans le bon style et dans le langage épuré, que les expressions consignées dans les écrits de ces hommes célèbres. De telles lois ne conviennent aux arts qu’à cette époque de leur virilité où ils ont acquis toute leur force et pris tout leur accroissement ! Jusque-là rien ne doit contraindre cette intelligence inventive qui élève l’industrie au-dessus de l’instinct; et vouloir réduire les arts, comme on fait souvent, à leurs premières institutions, c’est perpétuer leur enfance. La langue italienne se dit la fille de la langue latine; mais elle n’a pas recueilli tout l’héritage de sa mère: l’Arioste et le Tasse même, à côté de Virgile, sont des successeurs appauvris.

Le même esprit de liberté et d’ambition qui animait la politique et le commerce de l’Angleterre, lui a fait enrichir sa langue de tout ce qu’elle a trouvé à sa bienséance dans les langues de ses voisins; et sans les vices indestructibles de sa formation primitive, elle serait devenue, par ses acquisitions, la plus belle langue du monde ; mais elle altère tout ce qu’elle emprunte en voulant se l’assimiler. Le son, l’accent, le nombre, l’articulation, tout y est changé; ces mots dépaysés ressemblent à des colons dégénérés dans leur nouveau climat, et devenus méconnaissables aux yeux même de leur patrie.

Nous avons mis moins de hardiesse, mais nous aurions su mettre plus de soin à perfectionner notre langue; et s’il n’a pas été permis de la refondre, au moins aurions-nous pu la polir; au moins aurions-nous dû lui donner des tours mieux arrondis, des mouvements plus doux, des articulations. plus faciles et plus liantes : car on même temps qu’elle a pris plus de souplesse et d’élégance, elle a de même acquis plus de noblesse et de dignité.

Cependant, quelque différente que soit la langue de Racine et de Fénelon, et celle de Baïf et de Dubartas, il est encore possible, sinon de la rendre plus douce et plus mélodieuse, au moins de l’enrichir; d’ajouter à son énergie, de la parer de nouvelles couleurs, d’en multiplier les nuances; et plus on en fait, son étude, mieux on sent qu’elle n’en est pas à ce point de perfection où une langue doit se fixer.

Nous n’avons pu résister au désir qui nous dominait de mettre sous les yeux de nos lecteurs une aussi belle dissertation sur l’usage, accompagnée de nos restrictions; et nous pensons bien que tous nous en sauront gré.

Nous n’avons plus qu’un mot à dire; et ce mot concerne les règles et la méthode. Les règles doivent être considérées comme les leçons de l’expérience, comme le résultat de toutes les observations. La méthode est l’art de bien disposer une suite de plusieurs pensées d’après les règles établies.

Sans la méthode, dit le Dictionnaire d’élocution française, que deviennent les principes les plus solides, les règles les plus justes, et les observations les plus utiles? Ce sont des membres épars qui manquent d’un point de réunion, ou qui, étant déplacés, ne peuvent faire un corps, ou n’en font qu’un dont le jeu est irrégulier, dont la marche est fausse, et dont les opérations se choquent, s’embarrassent et se nuisent mutuellement. Cette méthode consiste surtout dans l’ordre et dans la génération des branches de la Grammaire. Que chaque chose y paraisse à son rang, semble amenée par ce qui précède, et fasse naître ce qui doit suivre. On ne peut s’imaginer combien ce moyen met de facilité dans les choses les plus difficiles; mais il faut en même temps que les définitions soient exactes, que les règles soient justes. Combien de Grammairiens ont manqué à ce second point, et plus encore au premier!

Nous avons lu tout ce qu’il y a de meilleur sur la langue française, et nous avons tâché de le lire sans prévention, sans préjugés. Quand nous trouvons quelque chose d’assez bon pour ne pouvoir espérer de faire mieux, nous ne sacrifions jamais l’utilité publique à la vanité de ne parler que d’après nous. Quand nous rencontrons des erreurs, nous tâchons de les corriger, et de leur substituer la vérité et la justesse. Du reste, on doit être clair, surtout dans un ouvrage dont l’objet est d’instruire, et dont les premiers éléments tiennent à ce que la métaphysique a de plus abstrait; et c’est pour cela que nous multiplierons les exemples qui rendent si sensibles les principes auxquels on les applique.

Mais ce n’est pas assez de cette méthode, de ces principes et de ces règles, dont un Grammairien doit faire tant de cas; il doit savoir que les langues, fruits de la nature et du caprice tout ensemble, ont, d’un côté, des exceptions aussi nombreuses que, de l’autre, les règles et les principes sont incontestables. Ces exceptions doivent avoir leur place ; elles sont quelquefois très-importantes. Il y en a même de si générales, qu’on pourrait presque les prendre pour des règles. Il ne faut omettre aucune de celles qui ont quelque étendue, ou qui sont, d’un usage fréquent, et il faut savoir les placer à côté des règles auxquelles elles dérogent.

Telle est la tâche que nous nous sommes imposée.


BARBARISMES A ÉVITER.

Ne dites pas Mais dites
Aides d’une maison Êtres d’une maison
Aigledon Édredon
Airé Aéré
Ajambée Enjambée
Ajamber Enjamber
Ambe d’un cheval Amble d’un cheval
Angencer Agencer
Angle (prendre l’) Langue (prendre)
Angola Angora
Angoise Angoisse
Apprentisse Apprentie
Aréchal (fil d’) Archal (fil d’)
Aréostier Aérostier
Argot (d’un coq) Ergot (d’un coq)
Arguillon Ardillon
Astérique Astérisque
Avalange Avalanche
Babouine Babine
Bailler aux corneilles Bayer aux corneilles
Baracan Bouracan
Belsamine Balsamine
Berlan Brelan
Bouilleau Bouleau
Boulin à grain Boulingrin
Boulvari Hourvari
Brouillasse (il) Bruine (il)
Brouine (il) Bruine (il)
Cacaphonie ou cocaphonie Cacophonie
Cacochisme Cacochyme
Calemberdaine Calembredaine
Calvi (pomme) Calville (pomme)
Caneçon Caleçon
Cassis de veau Quasi de veau
Casterolle Casserolle
Castonnade Cassonnade
Casuel Fragile
Centaure (voix de), Stentor (voix de)
Cersifis Salsifis
Chaircuitier Charcutier
Clanpinant Clopinant
Clincaillier Quincaillier
Clou à porte Cloporte
Cochlaria Cochléaria
Colophale Colophane
Collidor Corridor
Conséquente (affaire) Importante (affaire)
Consonne Console
Contrevention Contravention
Coquericot Coquelicot
Corporence Corpulence
Couane Couenne
Cou-de-pied Coude-pied
Cresson à la noix Cresson alénois
Crimisette Cligne-musette
Crudélité Cruauté
Cuirasseau Curaçao
Dégigandé Dégingandé
Dernier adieu Denier à Dieu
Désagrafer Dégrafer
Desserte (dur à la) Desserre (dure à la)
Dinde (un) Dinde (une)
Disgression Digression
Disparution Disparition
Échaffourée Échauffourée
Échanger du linge Essanger du linge
Écharpe Écharde
Écosse de pois Cosse de pois
Éduquer Élever
Effondreries Effondrilles
Élexir Élixir
Élogier Faire l’éloge
Embauchoirs Embouchoirs
Emberner Embrener
Emmeublement Ameublement
Empiffer Empiffrer
Enfilée (langue bien) Affilée (langue bien)
Épomoner Époumonner
Éprevier Épervier
Érésypèle Érysypèle
Errhes Arrhes
Eschilancie Esquinancie
Esclaboussure Éclaboussure
Estrapontin Strapontin
Exquinancie Esquinancie
Exquisse Esquisse
Falbana Falbala
Fanferluche Fanfreluche
Ferlater Frelater
Ferluquet Fraluquet
Fertin Fretin
Filagramme Filigrane
Fleume ou Flème Flegme
Fondrilles Effondrilles
Franchipane Frangipane
Galbanon Cabanon
Gaudron Goudron
Gazouiller quelque chose Gâter quelque chose
Géane Géante
Gégier ou Gigier Gésier
Gérandole Girandole
Géroflée Giroflée
Gravats Gravois
Guette Guet
Hâti Hâtif
Hémorragie de sang Hémorragie
Honchets d’enfants au maillot Hochets d’enfants au maillot
Honchets pour jouer Jonchets pour jouer
Ici (dans ce moment) Ci (dans ce moment-ci)
Inrassassiable Insatiable
Jeu d’eau Jet d’eau
Kérielle Kyrielle
Laidronne Laideron
Lévier Évier, conduit pour l’eau
Libambelle Ribambelle
Lierre (pierrede) Liais (pierre de)
Linceuil Linceul
Linteaux Liteaux
Maille à partie Maille à partir
Mairerie Mairie
Maline (fièvre) Maligne (fièvre)
Mareille (jeu) Mérelle (jeu)
Martre (animal) Marte
Matéraux Matériaux
Membré Membru
Mésentendu Malentendu
Mialer Miauler
Midi précise Midi précis
Missipipi Mississipi
Misserjean (poire) Messire-jean (poire)
Mitouche (sainte) Nitouche (sainte)
Moriginer Morigéner
Morne, où l’on expose les corps Morgue, où l’on expose les corps
Mouricaud Moricaud
Nine Naine
Noble-épine Aube-épine
Noirprun Nerprun
Nougat Nougat
Ombrette Ombrelle
Osseux (cet homme est) Ossu (cet homme est)
Ourgandi Organdi
Ouette Ouate
Palfernier Palefrenier
Panégérique Panégyrique
Pantomine Pantomime
Paralésie Paralysie
Passagère (rue) Passante (rue)
Pécunier Pécuniaire
Perclue Percluse
Pertintaille Pretintaille
Piaste (monnaie) Piastre (monnaie)
Pied droit, mesure géométrique Pied-de-roi
Pimpernelle Pimprenelle
Pipie, qui afflige les oiseaux Pépie
Pire (tant) Pis (tant)
Pleuralité Pluralité
Polisser Polir
Pomon Poumon
Pomonique Pulmonique
Poturon Potiron
Propet Propret
Quinconche Quinconce
Rachétique Rachitique
Raiguiser Aiguiser
Rancuneux Rancunier
Raucouler Roucouler
Rébarbaratif Rébarbatif
Rébiffade Rebuffade
Rebours (à la) Rebours (à ou au)
Renfrogné (visage) Réfrogné (visage)
Reine-glaude Reine-Claude
Resserre Serre
Revange Revanche
Rissoli Rissolé
Roulet Rôlet, petit rôle
Ruelle de veau Rouelle de veau
Sacrépan Sacripan
Sonneson Seneçon
Sans dessus dessous Sens dessus dessous
Serment de vigne Sarment de vigne
Siau Seau
Scourgeon Escourgeon
Secoupe Soucoupe
Semouille Semoule
Sens sus dessous Sens dessus dessous
Sibile Sébile
Soubriquet Sobriquet
Souguenille Souquenille
Soupoudrer Saupoudrer
Stringa Seringat
Sujestion Sujétion
Talandier Taillandier
Temple (partie de la tête) Tempe (partie de la tête)
Tendon de veau Tendron de veau
Tête d’oreiller Taie d’oreiller
Tonton Toton
Transvider Transvaser
Trayage Triage
Trayer Trier
Trémontade Tramontane
Trésoriser Thésauriser
Trichard Tricheur
Usée User
Vagabonner Vagabonder
Vagislas Vasistas
Vessicatoire Vésicatoire
Videchoura Vitchoura
Villevouste Virevolte
Viorme Viorne
Volte (faire la) Vole (faire la)


Notes

1. Quomodo vales ?… How do you do ?…. Come se halla v. m. ?

2. In dicendo vitium vel maximum esse à vulgari genere orationis, atque à consuetudine communi abhorrere. (Cic. lib. 1 , de Orat., n. 12.)

3. In vitium ducit culpae , si caret arte. (Horat., Art. poet.)

4. Le mot Grammaire est tiré du grec , qui signifie lettre.

5. Lettre vient du latin littera, qui a le même sens.

6. Les mots dissylabe et trissyllabe, admis par quelques Grammairiens, sont inutiles ; le mot polysyllabe les remplace.

7. Beauzée aurait pu trouver ce mot écrit des deux manières, en 1606, dans le Trésor de la langue française, par Nicot, où l'on voit que soupçon ne faisait que de s'établir, et que souspeçon était encore bien plus en usage. On écrivait aussi alors fiereté et fierté. Il aurait pu trouver aussi beaucoup d'autres exemples semblables, dont fourmillent nos vieux livres. On écrivait au commencement du treizième siècle gueredon (récompense) et gueredonnner (récompenser) ; et environ trois siècles après on écrivit constamment guerdon et guerdonner. Mais n'avons nous pas encore de mots où nous écrivons un e muet, qui ne se fait plus entendre que s'il n'était pas écrit ? Caleçon, hameçon, pelote, appeler, chanceler, amener, promener, acheter, haleter, etc. On n'entend pas plus l'e muet dans clairement que dans clarté, où il n'est pas écrit.

8. Omnia, quæ nunc vetustissima creduntur, nova fuêre… Inveterascet hoc quoque ; et quod hodiè exemplis tuemur, inter exempla erit. (Tacite, Annal. 11, 24).

9. Si l'analogie est pour je vas, je peux ; l'usage est pour je vais, je puis.

10. Cur non ut plenus vitæ conviva recedis ? (Lucretius)