Commentaire lexicologique servant de piste indicative d'explorations individuelles
Remarques lexicologiques sur: Balzac, Le Réquisitionnaire, 1831
Russon Wooldridge
La liste des fréquences, après les habituels mots outils (de, la, le, les, et, etc.), sert à indiquer les mots thématiques par leur fréquence anormale. Ainsi, madame (fréq. 40, rang 22), comtesse (f 25, r 31), brigitte (f 19, r 36), mots de la thématique spécifique des personnages de l'histoire (madame de Dey = la comtesse; une vieille femme de charge, nommée Brigitte).
Regardons ce qu'on peut appeler les mots thématiques secondaires, plus intéressants du point de vue lexical, et retenons-en deux: accusateur (f 12, r 43) et maîtresse (f 6, r 49). Il s'agit surtout d'une part d'un personnage secondaire, l'accusateur public, et d'autre part d'un qualificatif de la comtesse: elle est la maîtresse de Brigitte et maîtresse du logis.
Accusateur
Les 12 occurrences d'accusateur sont les suivantes:
accusateur (12)
maire, le président du district, l'accusateur public, et même les
en lui offrant leur protection. L'accusateur public, ancien
forçait de se compromettre ainsi. L'accusateur public imaginait
pouvaient conduire à l'échafaud. L'accusateur public disait
et son aplomb imperturbable. L'accusateur public et l'un des
petites villes. - Il paraît que l'accusateur veut rester, dit une
étonnée. - Ah ! madame, s'écria l'accusateur en s'asseyant auprès
et l'oeil implacable de l'accusateur public ne perdit
! - Oui, sauvons-le ! reprit l'accusateur public, en lui
s'écria-t-elle pendant que l'accusateur la relevait avec
maîtresse seule. A l'aspect de l'accusateur public, la vieille
le billet. - C'est vrai, dit l'accusateur après avoir lu le
On pourrait naïvement s'attendre à trouver le terme accusateur public dans la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie française. Tout ce que donne le DAF de 1835 est:
ACCUSATEUR, TRICE. s. Celui, celle qui accuse quelqu'un en justice. Se rendre accusateur. Se porter, se constituer accusateur. Elle s'est rendue accusatrice. Dans le droit
criminel actuel, le procureur du roi a seul qualité pour se porter accusateur; les particuliers ne peuvent que se porter dénonciateurs, ou parties plaignantes.
Plus, s.v. RAPPORTEUR:
Officier rapporteur, ou simplement, Rapporteur,
Celui qui fait les fonctions de juge d'instruction et d'accusateur public, dans
un conseil de guerre ou de discipline.
Si l'article RAPPORTEUR évoque le passé, l'article ACCUSATEUR situe le mot dans le présent: "Dans le droit
criminel actuel..." En 1835, la fonction d'accusateur public n'existe plus. C'est un terme de la Révolution et c'est dans la cinquième édition du DAF (1798) qu'il faut aller en chercher le sens.
Dans l'appendice "SUPPLÉMENT, CONTENANT LES MOTS NOUVEAUX EN USAGE DEPUIS LA RÉVOLUTION", on lit:
ACCUSATEUR PUBLIC. s. mas. Officier de Justice chargé de poursuivre devant les Tribunaux les personnes prévenues de crime. Il est nommé par l'Assemblée électorale. (C. de 1795.)
+ s.v. ASSEMBLÉE ÉLECTORALE:
Réunion des Électeurs nommés dans les Assemblées primaires, pour élire les Membres du Corps Législatif, ceux du Tribunal de Cassation, les Hauts-Jurés, les
Administrateurs de Département, les Président, Accusateur Public et Greffier du Tribunal Crminel, et les Juges des Tribunaux Civils.
s.v. TRIBUNAL CRIMINEL:
Il est composé d'un Président, d'un Accusateur public, de quatre Juges, pris tour-à-tour et pour six mois dans le Tribunal civil, du Commissaire du Pouvoir exécutif près le même Tribunal ou de son Substitut et d'un Greffier. Le Président, l'Accusateur public et le Greffier, sont nommés par l'Assemblée électorale.
L'histoire racontée par le narrateur du texte de Balzac a lieu sous la Révolution. On trouve dans le corpus lexovien une autre occurrence d'accusateur public chez Méry (Rayon littéraire) dont l'histoire de La chasse au chastre se passe en 1811-1812.
Maîtresse
Sur les six occurrences de maîtresse, cinq concernent madame de Dey: sa maîtresse (f 4), la maîtresse du logis (f 1). La sixième occurrence est lexicalement beaucoup plus intéressante pour les oppositions et associations contenues dans son contexte:
Elle ne l'aimait pas seulement avec le pur et
profond dévouement d'une mère, mais avec la coquetterie d'une
maîtresse, avec la jalousie d'une épouse.
Les oppositions et associations relèvent davantage du discours que de la langue. Si le DAF de 1835 répertorie les deux sens du mot, il n'indique pas ses cooccurrents non lexicalisés, même dans les exemples.
C'est cette fois-ci dans d'autres oeuvres de prose qu'il faut chercher des connexions. Une interrogation de deux bases a) la base des sélections du mois de Lisieux et b) la base ARTFL pour la période 1800-1835 rend une poignée de résultats pour les associations et oppositions du contexte de Balzac. En dehors de banalités du genre "l'épouse qu'il hait, la maîtresse qu'il aime" (ARTFL: Legouve, 1806), qui trouve un écho dans "conquérir une maîtresse ou se défaire d'une épouse" (Lisieux: Baudelaire, 1846), deux occurrences peuvent retenir notre attention:
dernier séjour d'une femme adorée, modèle de vertus, d'amour, de dévouement! épouse, fille, soeur ou mère (ARTFL: Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, 1811)
qui énumère les personnes dignes de marques de dévouement. Et:
Ces couplets,
dans le principe, avaient été faits pour un amant
qui les adressait à sa maîtresse; la petite
fille les destinait à sa mère; mais en y substituant
le mot de bonté à celui de beauté, la
sensibilité à la volupté, en amenant à la
fin la joie et la reconnaissance, au lieu de
l'amour et la jouissance, la chanson fut mise en
état de produire le plus grand effet à la fête de la
bonnetière. (Id., ibid.)
Pour l'opposition mère / maîtresse, Balzac et Jouy se complètent bien.
© 2000 Russon Wooldridge