SOUVENIRS
DE LA
LANGUE D'AUVERGNE
ESSAI SUR LES IDIOTISMES
DU
DÉPARTEMENT DU PUY-DE-DOME
PAR FRANCISQUE MEGE
A.A.
PARIS
AUGUSTE AUBRY, LIBRAIRE-EDITEUR
RUE DAUPHINE, 16
1861
Tiré à cinq cents exemplaires.
INTRODUCTION.
I
Vers le XIe siècle, deux langues ou plutôt deux dialectes de la même langue se trouvèrent en présence sur le territoire de l'ancienne Gaule : la langue romane wallonne, appelée aussi déjà Langue française, et la langue romane provençale, à laquelle on attribua plus tard exclusivement le nom de Langue romane.
Et notons bien qu'entre les peuples séparés ainsi par leur manière de s'exprimer, il y avait plus qu'une différence de langage : mœurs, caractères, usages, législation, aptitudes, etc. tout différait. Rudes et sauvages comme les Francs et les Germains, leurs ancêtres, les Français du Nord ne comprenaient pas et méprisaient les Gallo-Romains qui, derniers gardiens de l'antique civilisation romaine, formaient le fonds de la population de la France méridionale.
Réunies un moment par Charlemagne, qui avait voulu relever à son profit l'empire d'Occident, toutes les parties de l'ancien territoire gaulois s'étaient disloquées et séparées après la chute de la dynastie carolingienne. Chacune d'elles s'était fait une existence à part, et, cantonnée dans les limites naturelles, était revenue à ses mœurs, à ses traditions propres. Sous l'influence de ces traditions, empreintes du caractère particulier à chaque race, le langage s'était modifié; la souche première, jusqu'alors une, quoique d'une unité encore informe, s'était dédoublée. Sur l'arbre primitif avaient surgi, ramifiées elles-mêmes, deux branches, deux idiômes d'égale vigueur tout d'abord, et, pour les distinguer, l'usage s'était établi de les appeler du mot qui dans chacun d'eux désignait l'affirmation oui. La langue du nord de la Loire s'appela Langue d'Oïl et celle du midi, Langue d'Oc. La langue d'oc comprenait ainsi presque toutes les provinces situées entre la Loire et la Sèvre Niortaise, l'Océan, la Méditerranée et les Alpes.
Telle était, en peu de mots, au XIe siècle, relativement au langage, la situation respective des deux grandes fractions de la France.
Par sa position aussi bien que par ses mœurs et ses usages traditionnels, l'Auvergne appartenait au pays de la langue d'Oc. Elle fut même une des provinces de ce pays où la littérature romane fut cultivée avec le plus de succès, surtout au XIIIe siècle. C'est à cette époque, en effet, que le dauphin d'Auvergne, Robert, avait fondé à Vodable, sa ville capitale, une sorte d'Académie poétique qu'il présidait lui-même.
Mais si l'Auvergne appartenait à la langue d'Oc, il est utile de remarquer que, parmi les provinces où cette langue était parlée, elle était une des plus avancées vers le Nord, et se trouvait limitrophe des pays de langue d'Oyl. C'était en Auvergne que les deux idiômes se trouvaient en contact, c'était là que les deux civilisations, gallo-franke et gallo-romaine, s'étaient heurtées, ou tout au moins, arrêtées face à face, et avaient en quelque sorte tracé leur ligne de séparation et de démarcation.
Et ne serait-elle pas accusée par la topographie, cette position mitoyenne ressortirait suffisamment des faits.
Vicissitudes politiques, administration, mœurs, langage, législation, tout dans cette province a subi l'influence de cette situation intermédiaire et tout trahit cette influence et la laisse entrevoir.
Sous le rapport politique. — Une des premières parmi les provinces méridionales, l'Auvergne fut réunie à la couronne de France.
Ancienne dépendance de la province romaine d'Aquitaine, elle participa aux destinées de ce pays sous le deux premières races, puis, quand les rois de France tendirent à mettre sous leur souveraineté immédiate toutes les parties du territoire entre la Manche et la Méditerranée, l'Auvergne, pays riche et fertile, semée de places fortes qui en rendaient la défense facile, attira leur attention, d'autant plus qu'elle pouvait servir tout à la fois de point d'appui et de passage pour étendre et assurer leur domination dans les contrées plus méridionales; aussi ne laissèrent-ils pas échapper les occasions d'y intervenir. Tour à tour, Louis le Gros, Louis le Jeune et Philippe Auguste y portèrent leurs armes sous prétexte de médiation. Philippe Auguste, enfin, à propos d'une querelle survenue entre l'évêque de Clermont et le comte d'Auvergne, s'empara d'une partie de la province qu'il confisqua à son profit, et se fit reconnaître suzerain immédiat de la totalité. De là, plus tard, des discussions avec le roi d'Angleterre qui, du chef d'Eléonore de Guienne, se prétendait suzerain de l'Auvergne; de là aussi des guerres qui ensanglantèrent la province. — Dès cette époque, néanmoins, l'Auvergne releva du roi de France.
Sous le rapport administratif. — Quoique réunie à la France septentrionale, l'Auvergne, avec une incertitude que sa position seule peut expliquer, fut appelée, dans le principe, à députer tantôt aux Etats de la Langue d'Oc, tantôt à ceux de la Langue d'Oyl. Ainsi, après avoir, en 1303, accordé au roi Philippe-le-Bel un subside pour la guerre de Flandre, conjointement avec les sénéchaussées de Toulouse, Querci, Périgord, Rouergue, Carcassonne et Beaucaire, les deux bailliages d'Auvergne, en mars 1356, envoyaient des députés aux Etats de la Langue d'Oyl, à Paris. Quelques années plus tard, en 1359 et en 1362, ils contribuaient à des subsides imposés sur les pays de Langue d'Oc, pour l'expulsion des compagnies de routiers; ce qui ne les empêcha pas, postérieurement, de déléguer de nouveau des députés aux Etats de la Langue d'Oyl.
Sous le rapport judiciaire — Est-il besoin de signaler encore une situation si connue? Placée sur la limite des pays de droit écrit et des pays coutumiers, admettant tout à la fois le régime dotal le plus rigoureux et la communauté la plus étendue, l'Auvergne était bien encore une sorte de pays de transition où l'on voyait à chaque pas les traditions romaines coudoyées par des éléments germaniques, et les institutions féodales marcher côte à côte avec les lois de Justinien.
Et, si nous voulions descendre aux détails, nous pourrions encore montrer ce caractère de mitoyenneté dans les mœurs, dans les jeux des habitants : nous pourrions le retrouver aussi dans l'existence simultanée, sur le sol de la Basse-Auvergne, des toitures aiguës du Nord avec leurs tuiles plates et leurs bardeaux, à côté des toitures aplaties de la zone méridionale, recouvertes de leurs tuiles creuses et recourbées.
Mais, sans pousser plus loin notre démonstration, et pour revenir à la question qui fait l'objet principal de cette étude, disons que la position frontière de l'Auvergne a surtout influé considérablement sur les formes de la langue romane auvergnate vaincue par la langue française et flétrie du nom de Patois.
II.
Dans le nord de la France, les patois sont comme une langue primitive d'un idiôme dont la dernière édition revue et perfectionnée est la langue française actuelle. C'est la ressemblance, inévitable malgré les perfectionnements, entre l'édition ancienne et la nouvelle, qui fait dire à beaucoup de gens que dans le nord la langue populaire n'est pas un patois, mais seulement un français corrompu.
Dans le midi, il n'en est pas de même; le patois diffère complètement du français. C'est une langue qui s'est abâtardie et effacée devant le triomphe d'une langue rivale; c'est la langue romane, qui brilla d'un si vif éclat au XIIIe siècle; c'est en un mot la langue d'Oc, dont nous avons déjà parlé.
De même que l'Auvergne a, une des premières dans le Midi, subi la domination des rois de France; de même une des premières aussi elle a été en butte à l'invasion et aux envahissements de la langue française. C'est cette antériorité, cette ancienneté de sujétion qui explique pourquoi le patois, de la Basse-Auvergne surtout, est si corrompu et si différents de ce qu'il était à l'origine.
Si l'on considère, en second lieu, que notre province, fermée au midi par de hautes montagnes presque toujours couvertes de neige, ne pouvait entretenir de relations commerciales qu'avec le nord, dont aucune barrière naturelle ne lui interdisait l'accès, et qu'elle se trouvait ensuite, à raison de sa proximité, en contacts continuels avec le Bourbonnais, pays de langue d'Oyl, on comprendra aisément comment ces diverses circonstances durent aggraver et précipiter la déchéance de la langue romane et son abaissement devant la langue française. Alors, tandis que graduellement la langue victorieuse dominait dans les classes élevées de la société, la langue vaincue se réfugia dans les faubourgs des villes et dans les campagnes, où, pendant longtemps, elle fut religieusement conservée par le peuple qui, comme le dit Génin [], ne court pas à la mode, mais y vient le dernier.
A la longue, pourtant, la position respective des deux idiômes se modifia; il est impossible, en effet, que deux langages se trouvant en une sorte d'accointance continuelle, ne finissent pas par s'influencer, se pénétrer mutuellement et se fondre en un alliage plus ou moins pur. Les nécessités de la vie, le besoin qu’ont les hommes de se rapprocher les uns des autres, le contact journalier des classes populaires parlant patois avec les classes supérieures parlant français, l’instinct d’imitation inné chez le peuple, toutes ces causes donnèrent naissance à une langue ou plutôt à un amalgame de mots qui est par rapport au patois et au français ce que sont les métis ou mulâtres entre les nègres et les blancs : un composé mixte participant de deux origines.
Ce n’est pas une langue, à proprement parler ; c’est un assemblage de mots, une sorte de jargon. C’est un réceptacle d’épaves de toute espèce : mots romans ou patois francisés au moyen de terminaisons modernes ; mots de vieux français conservés, quoique quelquefois un peu tronqués, défigurés ou travestis ; locutions indigènes nées de quelque fait, de quelques circonstances particulières au pays ; mots français, mais de ceux qui ont été admis comme à la sourdine dans le Dictionnaire de l’Académie où ils sont stigmatisés par les épithète malsonnantes de bas, trivial, peu usité ; locutions françaises estropiées et patoisées, ou accommodées de manière à contracter comme un goût de terroir ; tout s’y trouve mêlé, sans aucune règle, sans aucun ordre. C’est, en un mot, pour le langage, une sorte de Cour des miracles.
Toutefois, malgré la coexistence, dans ce jargon, de mots des deux langues, il est utile de constater que l’influence romane s’y fait plus spécialement sentir. Et cela ne peut étonner dans une province qui, comme nous l’avons indiqué et comme l’a dit dans un réent ouvrage un professeur de la Faculté de Clermont, fut en partie le berceau de la littérature romane et produisit nombre de renommés troubadours.
Et qu’on ne croie pas que cette langue bâtarde soit l’apanage exclusif des paysans, des artisans, des basses classes de la société! Les classes supérieures, les classes lettrées, les familles qui ont leurs racines et leurs habitudes dans le pays, la connaissent et l’emploient même très-souvent ; et la plupart, en s’en servant, ne s’imaginent nullement pêcher contre la langue française orthodoxe, tellement l’usage est enraciné profondément.
Cet usage, toutefois, a reçu et reçoit à chaque instant de graves atteintes. Chaque jour, chaque heure, enlèvent quelque chose à notre idiôme métis. Les institutions, le recrutement, les agglomérations industrielles, et surtout les chemins de fer, en multipliant les relations sociales, en rapprochant, pour des temps même très-limités, des hommes de contrées et d’éducations différentes, battent rudement en brèche tout ce qui reste de spécial et de local dans la manière d’être et dans les mœurs de chaque partie de la France, et on peut déjà prévoir l’époque où, malgré la résistance d’habitudes invétérées, les provincialismes, les idiotismes de langage disparaîtront comme ont déjà disparu les costumes de nos campagnes.
III
Beaucoup de glossaires locaux qualifient de vicieuses les locutions qu’ils enregistrent, et mettent, en regard de ce qu’on dit, de qu’il faudrait dire grammaticalement pour parler français. Nous ne voulons pas procéder de la même manière. Les mots que nous avons recueillis sont vicieux, il est vrai, si on les considère d'une manière abstraite et comparativement aux grammaires et aux dictionnaires de la langue actuelle. Mais, si on veut se donner la peine de remonter à leur origine, si on considère l'époque de leur formation, le mérite des auteurs qui les ont employés, la place qu'ils ont occupée; si enfin l’utilité de leur existence se comprend et se fait sentir, on n’appellera plus ces mots : vicieux. Le seul nom qui leur convienne c’est celui de Locutions arriérées.
L’essai que nous soumettons au public n’est ni une Grammaire ni même un Dictionnaire complet. Nous avons déjà dit qu’il n’y a pas de réglementation possible pour le jargon franco-auvergnat. Un Glossaire de locutions locales ne peut être qu'incomplet. Quelles que soient les recherches, quelle que soit l'étendue des travaux accomplis, pourra-t-on jamais dire que tous les mots connus ont été catalogués? Cela n’est pas croyable. Comme il n’y a pas de règles, beaucoup de locutions sont modifiées suivant le caprice et la fantaisie de ceux qui en font usage. Dans une ville, par exemple, on emploie un mot en augmentant le nombre de ses syllabes, en lui donnant l’aspect d’un diminutif, tandis qu’ailleurs on scinde et on abrège le même mot. Et, d’autre part, chaque année voit entrer dans la circulation quelque expression nouvelle souvent sans origine connue. Un glossaire de locutions locales ne peut pas avoir la prétention de renfermer toutes les expressions ayant cours.
Nous prions donc nos lecteurs de ne pas s’attendre à trouver ici un Recueil Complet de tous les idiotismes de la Basse-Auvergne. Notre but est plus modeste et plus facile à atteindre. Former, quand il en est temps encore, pour les mots et les expressions du cru, une sorte de cabinet, comme d’autres le font pour les monnaies, les plantes et les insectes ; signaler et constater l’existence des principales parmi ces locutions, en quelque sorte fossiles, encore usitées dans notre département ; en montrer, s’il se peut, l’antiquité ; réclamer une réhabilitation pour celles qui paraîtront le mériter ; et, par ce moyen, sinon disculper ceux qui les emploient, du moins faire admettre en leur faveur des circonstance atténuantes, voilà l’objet de cet essai.
Disons maintenant quelle est la marche que nous avons suivie.
Pour recevoir un mot dans notre collection, nous avons exigé de lui plusieurs conditions :
D’abord, qu’il ne fût pas nationalisé français. Comme il nous fallait une base fixe pour vérifier si cette condition était ou non remplie, nous avons admis en principe, que l’Académie seule avait eu le droit de délivrer des lettres ou brevets de francisation. Le Dictionnaire de l’Académie (édition de 1835) nous a donc servi de point de départ : et nous avons donné asile à toutes les locutions locales qui n’ont pu trouver accès dans ce sanctuaire, ou qui n’y ont été admises que comme à regret, comme gens suspects et de mauvaise aloi ; ou enfin qui n’y sont connues que sous une acception autre que celle usitée chez nous.
En second lieu, nous n’avons consigné que les mots dont l’existence dans la Basse-Auvergne était pour nous indubitable. Tous ont été recueillis par nous dans des colloques ou des conversations que nous avons nous-même entendus.
Nous aurions bien, pu augmenter notre glossaire, mais il aurait fallu s’en rapporter à des correspondants, à des intermédiaires plus ou moins minutieux, plus ou moins véridiques. Nous n’aurions pas pu présenter la même garantie d’exactitude. Nous avons préféré la pauvreté, à une richesse que nous n’aurions pas su bien acquise.
Mais, si nous tenons à ce que le mot soit auvergnat, nous n’exigeons pas qu’il soit uniquement auvergnat : nous ne pouvions pas repousser ceux qui ont cours ailleurs que chez nous. Le nombre des mots exclusivement auvergnats doit être nécessairement fort restreint ; et pour les connaître, quelles études ne faudrait-il pas faire ?. Une telle besogne serait non pas difficile, mais impossible, à moins de pouvoir s’occuper, comme Pic de la Mirandole, de omni re scibili.
Enfin, nous avons rejeté de notre catalogue certains mots qui ne sont que des fautes de langage, de véritables vices de prononciation ou de grammaire. Citons par exemple, dans ce nombre, les mots Tomber, échapper, que l’on emploie activement tandis qu’ils sont neutres ; ainsi on dit presque toujours : j’ai tombé mon mouchoir, pour : j’ai laissé tomber. — J’ai échappé mon livre. — Citons encore les mots corrompus : Parepluie, Puresie, colidor, caneçon, dimi-heure, etc., qui sont des expressions sans originalité, des incorrections flagrantes, des locutions rendues vicieuses par une mauvaise prononciation. On comprend facilement que des mots de ce genre ne puissent trouver place parmi les derniers restes de notre vieille langue, restes arriérés, si l’on veut, mais non vicieux.
Pour les origines, nous avons puisé les preuves et les exemples dans la dernière édition du Glossaire de Ducange et Carpentier, ainsi que dans le Lexique roman de Raynouard. Nous nous sommes servis souvent aussi, pour ne citer que les principaux auteurs, du Glossaire de la langue romane de Roquefort et des œuvres de Rabelais, Montaigne, Coquillart, Despériers, Villon, Molière, etc. Nous avons aussi fait des études comparatives à l’aide du Glossaire du centre de la France, par le comte Jaubert ; et à l’aide aussi du Vocabulaire du Haut-Maine, par M. de Montesson.
Enfin, pour rendre à chacun la justice qui lui est due, il est certains mots, ceux surtout qui se rapportent à la botanique et à la géologie, pour lesquels nous avons eu recours à l’obligeante assistance de notre ami Edouard Vimont, de la Société botanique de France. Ce jeune naturaliste, qui s’est déjà fait connaître par quelques travaux sur la géologie des environs de Clermont, a bien voulu mettre à notre disposition les connaissances variées qu’il possède en fait de sciences naturelles. Nous lui en témoignons ici toute notre gratitude.
Qu’on nous permette, en terminant, d’émettre un vœu. Aujourd’hui que l’Académie française a commencé la publication d’un Dictionnaire historique de la langue française, pourquoi l’Académie de Clermont, suivant en cela l’exemple de biens d’autres sociétés savantes, ne chercherait-elle pas à apporter sa pierre à l’édifice central en mettant elle-même la main à l’œuvre ? Pourquoi ne provoquerait-elle pas la formation d’un catalogue général, d’un relevé exact des idiotismes et des locutions locales de tous les cantons, non seulement de notre département, mais de toute l’Auvergne ? Tel mot inexpliqué jusqu’à présent, peut trouver sa justification dans quelque locution qui végète, oubliée au fond d’une obscure bourgade.
Pour notre part, nous avons fait ce que nos forces isolées nous permettaient de faire. Nous avons glané partout où nous avons pu le faire avec fruit ; mais surtout à Clermont ou dans les environs. Notre travail est donc tout à fait incomplet, nous l’avons déjà dit. Les autres villes, les autres parties de la Basse-Auvergne offrent aussi de riches mines encore inexplorées. Pour en exploiter les filons, l’Académie n’a pas besoin de concession spéciale, l’exploitation est tout naturellement dans son domaine. Qu’elle se pénètre donc de sa mission ! qu’elle stimule par son propre exemple, non pas seulement les savants, les érudits ou ceux qui se croient tels, mais bien tous les gens intelligents, observateurs, qui s’intéressent, sans parti pris, au curieux passé de notre pays ! qu’elle constitue dans son sein un Comité spécial et central pour la rédaction d’un glossaire des idiotismes encore existant en Auvergne, et même s’il est possible, d’un dictionnaire du patois auvergnat ! Et, tout en coopérant au monument gigantesque qu’on veut élever à la langue française, elle aura l’honneur d’avoir bien mérité de notre antique province qui lui saura gré de cet utile travail.
Seulement, il faut se hâter. Beaucoup de mots, nous en avons fait nous-même l’expérience, ne se retrouvent plus que dans la mémoire affaiblie et la conversation des personnes âgées ; encore une génération et il ne sera plus temps. Toutes ces expressions souvent pittoresques, qui impriment à notre jargon populaire un certain cachet d’originalité, tous les idiotismes auront disparu et seront allés rejoindre nos vieilles danses nationales, comme la Bourrée, qui déjà cède le pas dans beaucoup de villages, aux polkas et aux mazurkas.
Francisque
MEGE15 mai 1861