B

B. Première consonne.

Je dirai une fois pour toutes sur cette consonne, et je prie mon lecteur de faire lui-même à toutes les autres l’application de mon principe, que l’ancien mode d’épellation, qui fait suivre de voyelles diverses les lettres consonnantes de la langue, ou qui les précède au hasard, tient de près à la barbarie. Une consonne ne peut réellement se prononcer sans être soutenue par l’émission d’un son vocal; mais, comme cette addition est de pure nécessité, elle doit être aussi peu sensible qu’il est possible de le faire. La prononciation des consonnes ne doit donc être appuyée que sur l’e muet. Les petites écoles où cette innovation philosophique a été introduite jusqu’ici en ont recueilli le plus grand avantage; et il est facile de concevoir combien elle ôte de vague à la valeur des signes que les créateurs de notre alphabet ont si improprement dénommés.

BABAU. Ce vieux mot veut dire fantôme. Il est de la langue puérile, c’est à dire composé des premières articulations de l’enfance. Si nous retrouvions la langue primitive, nous n’y retrouverions guère de mots abstraits sur lesquels on ne pût faire le même remarque, parmi ceux qui expriment les superstitions de la société. Les erreurs de l’enfance sont devenues dans tous les pays celles du genre humain.

BAGUE. Anneau d’or ou d’argent. GATTEL. –– De platine, de vermeil, de bronze, d’acier, de plomb, de laiton. Jusqu’à Marius, les bagues des Romains furent en fer.

Où il y a quelque pierre ou diamant enchâssé. GATTEL. –– Où le plus souvent il n’y en a point.

Quelque pierre ou diamant. –– Quelque perle, insecte, fleur, miniature, relique, cheveux, etc. Et, s’il n’y avoit rien de tout cela, et que la bague fût un sceau, comme celle dont Jezabel marqua l’empreinte sur l’ordre qu’elle envoyoit de tuer Naboth, ce n’en seroit pas moins une bague.

BAGUENAUDE. Petit fruit enveloppé dans des gousses pleines de vent que les enfants font craquer, etc. GATTEL. –– Silique large, enflée, semblable à une vessie, que tout le monde peut faire craquer comme les enfants.

Baguenaude pâroit venir en ce sens de bacca nuda, une semence mise à nu.

Baguenauder ne s’est pas dit pour l’action de faire éclater des siliques de baguenaudier, mais pour celle de s’occuper à un jeu qui consiste à faire et défaire successivement une espèce de nœud de bagues de fer. Il faudroit donc écrire en ce sens baguenoder et baguenodier.

BAH!. Exclamation très-fréquente dans les comiques, très-dédaignée dans les lexiques. C’est l’onomatopée d’une mimologie vulgaire, le bruit que fait la bouche d’un homme ébahi.

BAIE. Graine ou fruit de certains arbres.

En terme de maçon, ouverture qu’on laisse dans la muraille lorsqu’on bâtit, pour mettre une porte ou une croisée.

En terme de marine, enfoncement de la mer dans la terre, beaucoup plus large dans le dedans que par l’entrée.

Tromperie qu’on fait à quelqu’un pour se divertir. GATTEL. –– Quatre acceptions qui appartiennent si peu au même mot qu’il faut pour les rendre au moins trois orthographes différentes. Celle de la première est la seule exacte. En terme de maçonnerie, et non pas en terme de maçon, ce mot s’écrit bée et se prononce de même. C’est abusivement que tous les dictionnaires, sur la foi de l’Académie, ont fait du substantif la bée le barbarisme l’abée, par une syncope vicieuse de l’article.

Dans la troisième acception, qui vient de notre ancien verbe bayer, ce mot s’écrit baye, orthographe caractéristique que les anglais lui ont laissée.

Dans la dernière, qui est probablement figurée du même verbe, parce qu’un homme à qui on donne des bayes est un homme sujet à s’ébahir de peu de chose, il faut également l’écrire comme je le fais, tant qu’une orthographe sagement réformée n’exigera pas que nous l’écrivions autrement. C’est l’écriture étymologique.

Enfin je remarque là-dessus que ce mot baye pour tromperie a donné le verbe bayer, très-ignoré en ce sens des lexicographes, et très-usité encore dans la phrase familière : Vous nous la bayez belle, dont il a plu à l’usage de faire honneur à cet autre verbe bailler, qui n’est plus employé que dans la pratique.

BALAI. s. m. Il est absurde d’écrire balai par un i, balayer par un y grec, comme tous les lexicographes, et baleyeur par un e, comme M. de Wailly. Notre orthographe est ridicule; il faut au moins qu’elle soit uniforme.

BANIANS. Idolâtres des Indes-Orientales, qui croient à la métempsycose. GATTEL.

–– Littéralement : hommes dont la singulière organisation concilie la plus stupide des erreurs, l’idolâtrie, avec le plus beau système de psychologie connu, la métempsycose. Il n’y a point d’idolâtres, et surtout parmi les gens qui croient la métempsycose; mais il a chez toutes les nations des superstitions populaires.

BANNI. Qui a encouru le bannissement. WAILLY. –– C’est comme si l’on disoit : pendu, qui a encouru la peine capitale. Cela n’est pas toujours synonyme, témoin Henri Étienne qui n’eut jamais plus froid que le jour où il étoit brûlé en effigie à Paris.

Littéralement, un banni, c’est un homme qui subit la peine du bannissement, qu’il l’ait encourue ou non.

BARBACOLE. Les Dictionnaires le donnent pour jeu de hasard. L’Académie devoit au moins se rappeler que La Fontaine (liv. VIII, fab. XII) l’a fait synonyme de pédant :

On vous devroit à soixante ans.
Renvoyer chez les Barbacoles.

C’est un néologisme emprunté des Italiens, qui appellent ainsi ces faux savants dont le mérite est presque tout entier dans une barbe touffue. (Barbam colit.)

BARBARE. Phrase d’exemple : Les Iroquois parlent une langue fort barbare. GATTEL. –– Les Iroquois n’ont encore ni académie, ni Dictionnaire; mais ils ont des orateurs, des poètes, et une langue qu’on s’accorde à trouver forte et harmonieuse. La nôtre leur paroît fort barbare.

BARRAULT. Les Dictionnaire françois sont par trop parisiens. Avant les nouvelles dénominations des poids et mesures, barrault indiquoit une grande mesure de liquides en Bourgogne, en Franche Comté, enTouraine : La douzième, ung barrault d'or terny couvert d’une vignette de grosses perles indicques. Pantagruel, liv. IV, c. I. Ceci prouve que lespropriétaires de vignobles ont grand tort de dire un barral, au singulier; mais ils ne seroient pas moins coupables de dire plus long-temps un barrault. L'unité des noms qui garantit celle des valeurs est un des bienfaits dont le commerce est redevable aux sciences. Il est vrai qu’hectolitre vient du grec! Eh, mon Dieu! d'où vient barrault, s'il n'en vient pas aussi?

BARTHÉLEMI. Nom d’homme. GATTEL. — Cette classe de mots grossiroit considérablement les Dictionnaires.

BARYTONER. Quelques auteurs anciens écrivent mal à propos baritoner, et M. Boiste les suit. Ce mot, qu'il définit danser, n'a jamais signifié que chanter d'un ton grave, à moins qu'on n'en trouve hors de Rabelais des exemples que j'ai inutilement cherchés. Voyez ce qui concerne l'enfance de Gargantua : et luymesme se berssoit en dodelinant de la teste, monochordisantdes doigtz et barytonnant du cul.

BASSIN. Outre toutes les acceptions connues de ce mot, il signifie encore un certain meuble creux et arrondi, armé d’un manche assez long, qui sert à puiser de l'eau dans les seaux, et qui est ordinairement de fer ou de cuivre battu. Cette acception n’est pas dans les Dictionnaires, pour une très-bonne raison, c'est qu’on ne se sert pas de bassins à Paris, et que le Dictionnaire de l'Académie est celui de Paris.

BASSISSIME. Trés-profond, très -bas. TRÉVOUX, WAILLY. — Barbarissime!

BASTE, de l'italien basta, il suffit.

Les Dictionnaires font de baster un verbe neutre impersonnel. Il ne s'agit pas de cette dénomination, mais de la définition dans ce sens même. Nous n'avons jamais eu le verbe baster dans son infinitif. Baste n'est pas, comme on le dit, un impératif; c'est une troisième personne du présent de l'indicatif avec l'ellipse du pronom. Baste a signifié d'abord, comme en italien : il suffit, et par extension : n'importe, qui est tout autre chose. C'est l'usage chez nous.

BASTERNE. Le char de nos rois de la première race.

De basterna, idiotisme latin que M. Noël fait dériver de . Il n'en auroit été fait qu'en construction hibride, puisqu'il y manque de son dernier élément.

C'est de bos trinus, mot soldatesque ou de relation pour indiquer une voiture gauloise traînée par trois bœufs. Il est vrai que Boileau a dit :

Quatre bœufs attelés d'un pas tranquille et lent
Promenoient dans Paris le monarque indolent.

Mais trois n'a qu'une syllabe, et un poète sacrifie l'archéologie à la mesure.

BATTANT. Le battant d'une cloche.

Tous les Dictionnaires disent battant, hors celui de Trevoux qui dit batail.

M. Boiste dit batail, mais comme un simple terme de blason.

Le blason est une langue fort ancienne qui a puisé presque toutes ses expressions dans la langue commune. On a dit batail jusqu'à l'Académie : le batail de la cloche des frères Fredons étoit d'une queue de regnard, dit Rabelais.

BATTOLOGIE. Superfluité de paroles, répétition inutile de la même chose. GATTEL

Exemple : répétition inutile de la même chose.

BÉAT. Terme de jeu, pour désigner un témoin qui participe au bénéfice de la partie sans être exposé à la perte. L'ACADÉMIE, BOISTE. – On m’assure que ce mot, qui n'est pas de bonne compagnie, n'est pas même un mot de joueur. On dit toujours beatus, qui ne seroit pas françois et qui ne mérite pas de l'être.

BEAUCOUP. Les étymologistes, qui veulent tout devoir à la Grèce, font dériver ce mot du grec; c’est tout simplement du mauvais latin bella copia, grande abondance.

BEC. Partie dure et ordinairement pointue, qui sert à l'oiseau à manger et à se défendre. GATTEL. — Les serres d'un oiseau de proie sont aussi une partie dure et ordinairement pointue, qui lui sert à manger et à se défendre, et on pourroit définir de la même manière, avec ni plus ni moins d'exactitude, les dents du lion et du chien.

BEDON. Homme gros et gras. Tambour de basque. BOISTE. — Il se prend aussi pour l'expression d'une familiarité amicale. Frère Jean, mon bedon. RABELAIS.

BÉHÉMOTH. L'hippopotame ou le rhinocéros. BOISTE. — C'est ce qu'il est très-difficile de déterminer. Le béhémoth est un grand quadrupède biblique dont Bochart fait à la vérité un hippopotame, et dont les rabbins ne font qu'un grand bœuf. Je suis porté à croire, d'après la conformité de touche, que ce béhémoth n'est autre que le mamouth qui passe pour une espèce perdue, mais qui se retrouvera nécessairement à la fin du monde, où il doit servir au banquet des justes, suivant les docteurs talmudistes.

BELETTE. Petit animal.... qui fait la guerre aux pigeons. GATTEL. — Malheur à qui, sur la foi du Dictionnaire, ne craindra pas la belette pour ses poules!

BELINER, BISCOTTER, BRICOLER. v. a. BOISTE.

Ces mots sont tirés d'un Dictionnaire universel, et universel est le mot.

Si ce Dictionnaire est fait pour les savants, rien de mieux que de tout dire; mais il ne faut pas tout dire à tout le monde, surtout quand on annonce par son titre même qu'on a travaillé pour des enfants.

BESTION. La Fontaine et d'autres auteurs l'ont employé pour insecte, petit animal. On ne lui trouve pas cette acception dans les Dictionnaires.

BIBLIUGUIANCIE. Art de restaurer les livres : mot composé du grec, sans égard pour l'analogie françoise, et auquel un savant helléniste qui a rédigé d'excellents articles dans le Journal de l'Empire (M. Boissonnade) a judicieusement proposé de substituer bibliatrique.

Il est d'autant plus important d'attribuer un nom fixe à cet art utile et curieux, qu'il ne peut manquer d’augmenter de crédit tous les jours, à mesure que les productions de la typographie subiront les outrages du temps. L'imprimerie a multiplié à l'infini les ouvrages de l'esprit, mais sur des matières beaucoup moins durables que celles qui nous ont transmis les chefs-d'œuvre des anciens. Il est presque impossible qu'un de nos livres se conserve matériellement pendant des milliers d'années; et, pour le grand nombre, il n’y a pas de mal.

BIENFAISANCE. On sait que mot est de l'abbé de Saint-Pierre. C'est dans le mémoire pour diminuer le nombre des procès, p. 37.

BIGAILLE. Nom générique des insectes volatiles. GATTEL, WAILLY. — Les naturalistes ont à se féliciter de cette expression qui a échappé à tous leurs lexicographes et à tous leurs méthodistes; mais j’ai peur qu'elle ne soit pas propre à tous les insectes volatiles, si elle vient, comme je le pense, de bis-ailés, qui se sera corrompu dans quelque patois. On conçoit que les tétraptères ne seront pas classés sous ce mot d'argot, et c'est une petite imperfection, car ils l'emportent de beaucoup en nombre sur les autres.

BIGAMIE.

Mariage avec deux personnes en même temps. ACADÉMIE.

État de ceux qui ont épousé successivement deux femmes. GATTEL.

Phrase d'exemple : La bigamie dans le premier sens est un crime; dans le second elle ne l'est pas. GATTEL. – Il faudroit, elle n'en est pas un, pour parler correctement; pour parler raisonna-lement, il ne faudroit rien de tout cela.

Ces deux espèces de bigamie sont des crimes suivant les temps et suivant les lieux. La tétragamie est permise en Turquie; la polygamie indéfinie étoit permise aux rois d'Orient, témoin le sage Salomon : à l'inverse, la bigamie des secondes noces, qu'il faudroit appeler deutérogamie ou néogamie, a été défendue chez des peuples scrupuleux. On promet à la langue françoise de devenir universelle : il ne faut pas restreindre la partie morale de ses définitions à ce qui est reçu dans la coutume d’un bailliage.

BIGOT. Pourquoi n'avons-nous jamais écrit bygot, par égard pour l'étymologie angloise bygod, ou l’étymologie allemande bey-gott ?

BILBOQUET. De Bambin, bimbeloterie, bimbeloquet ou bibloquet. Bilboquet est une faute d'impression consacrée par l'usage et qui ne tire pas du tout à conséquence.

M. Gattel dit que c'est un morceau de bois creusé en rond par les deux bouts. Le mien, dont je me souviens très-bien, avoit une extrémité pointue. M. Gattel ajoute : avec une corde au milieu de laquelle il y a une balle. Je lui garantis que la balle est au bout de la corde et non au milieu. Il ne faut pas laisser d'équivoque à la postérité sur des matières de cette importance.

N. B. Je remarque au reste, par manière d'addition, que l'étymologie que j'ai avancée pourroit bien être fausse. Il y a dans les jeux de Rabelais un jeu de billeboc dont le nôtre est probablement renouvelé. On choisira.

BILLARD. Jeu qui se joue sur table à rebords, recouverte d'un tapis vert. WAILLY. — Presque toutes les tables de jeu sont des tables à rebords, recouvertes d'un tapis vert.

Secondement, il y a des tables de billard en marbre et sans tapis.

On croit même qu'un billard à tapis noir n'en seroit pas moins un billard.

BIMACULE. Insecte. BOISTE. — Il y a beaucoup d'insectes bimaculés. Il n’y en a point qui s’appelle bimacule génériquement; et, si l'on vouloit recueillir tous les barbarismes spécifiques des méthodistes de tout genre, le Dictionnaire ne finiroit pas.

BIQUE. Il ne se dit tout au plus que dans quelques départements éloignés de la capitale. GATTEL. — Il se dit dans le département de l’Aisne, qui est trés-voisin de la capitale; et ce vers :

La Bique allant remplir sa traînante mamelle,

est d’un poète de Château-Thierry. (L. IV, F. XV.)

BISE. Nom commun du vent du nord, dont l'étymologie a embarrassé les savants.

Le peuple, toujours énergique dans son expression, le peuple, qui saisit si facilement l'aspect pittoresque des choses, et qui n'a besoin que de la nomenclature d'une sensation pour les rendre toutes, n'auroit-il pas étendu l'acception du mot bise, considéré comme nom de couleur, à un sentiment très-analogue, celui que fait naître un vent froid, triste, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, privé d'éclat et de couleur? Les cultivateurs et les matelots ont donné des épithètes fort semblables, et composées du moins d'après le même procédé, aux vents qu'ils appellent, noirs, gris ou blancs. Celui-ci est de la même famille, s’il n'est pas une onomatopée.

BLANCHE. Nom propre.

Deux reines de ce nom, la mère de Saint-Louis et la veuve de Philippe de Valois, lui ont donné une grande célébrité; mais on tomberoit dans d'étranges erreurs, si on cherchoit à rapporter toujours à l'une ou à l'autre les faits et les monuments qui les rappellent. Le deuil des rois se portant en blanc, les reines s'appeloient blanches du jour où elles étoient veuves, et les chroniques latines ne laissent aucun doute sur ce point. On y trouve souvent une princesse, dont le nom historique est d'ailleurs bien connu, désignée sous le nom de Regina alba.

BLONDISSANT. (Poét.) Les campagnes blondissantes. GATTEL.

Chenu. (Poét.) Les A1pes chenues. GATTEL. — Cela seroit très-vrai dans le Dictionnaire de Nicod, car cela étoit incontestable au temps de Baïf et de Du Bellay. Tout ce qu'on peut dire maintenant pour l'instruction des étrangers qui nous font 1'honneur d'écrire des vers dans notre langue c'est que ces mots sont fort bons à rajeunir.

BOGARMITES. Hérétiques qui se confient à la miséricorde de Dieu. BOISTE. — Ces abominables gens qui se confient à la miséricorde de Dieu ne s'appeloient point bogarmites, mais bogarmiles, et plus communément bongomiles, des mots bulgares bog et milvi, Deum implorare.

On trouvera les griefs qui ont fait brûler leur chef et proscrire leur secte, dans Baronius, sur l'an 1118. Et il est facile de s'en assurer quand on a le courage de lire Baronius.

BOHÉMIEN. Le sens propre de ce mot, c'est habitant de la Bohême, et les Dictionnaires l'oublient.

Le sens figuré, c'est vagabond et voleur, sens injurieux et dénué de tout motif historique.

Nous ne sommes pas plus réservés à l'égard des Arabes, du nom desquels nous affublons les usuriers, quoique les Arabes n'aient jamais fait 1'usure. Ils volent plus franchement.

Nous traitons encore plus mal les Juifs, quoique tous les saints personnages de l'Ancien Testament aient été juifs. Nous trouvons mauvais que les Romains aient traité de barbare tout ce qui n’étoit pas Romain : cela est absurde en effet; mais nous ne sommes guère plus sages.

Nous entendons par Bohémiens de certains aventuriers basanés, que l'opinion la plus commune a fait venir de la Basse-Égypte, et dont le nombre est singulièrement diminué depuis quelques temps. C'étoient des charlatans forts laids, fort sales, fort superstitieux, fripons par-dessus toutes choses, et qui ne différent presque en rien des ambubaies d’Horace, dont ils étoient probablement descendus. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, et c'est la chose la plus orthodoxe qu'on lise dans cet article : elle est tirée de Salomon.

BON-CHRÉTIEN. C'est le nom d'une poire, et peut-être celui du jardinier qui l'a le premier cultivée.

Cette étymologie ne conviendroit pas un étymologiste de profession. Ménage auroit dérivé le mot à sa manière, du latin pyrum changé en kirum par aphistême, de celui-ci changé en crium par métathèse, de crium en christianum par épithèse, et de christianum en chrétien par métaphrase. Les étymologistes de notre temps, qui cherchent toutes les origines dans le celtique, ne sont guère plus raisonnables.

Rabelais, qui a eut le bon esprit de se moquer de tout, s'est sagement moqué des étymologies ridicules qu'on commençoit à hasarder alors, au chap. LIV du liv. IV de Pantagruel : Enfin de table, Homenaz nous donna grand nombre de grosses et belles poires, disant : Tenez, amis, ces poires sont singulières, lesquelles ailleurs ne trouverez.... Vrayement, dist Pantagruel, quand je seray en mon mesnaige (ce sera, si Dieu plaist, bien toust), j'en affieray et enteray en mon jardin de Tourraine, sur la rive de Loire, et seront dictes poires de bon christian; car oncques ne veids christians meilleurs que sont ces bons Papimanes.

Voilà une autorité irréfragable et qui dispense de toute autre recherche. C'est même une des bonnes étymologies que je connoisse.

BOQUILLON. Vieux mot qui signifie bûcheron, et qui a encore été agréablement employé, par La Fontaine. On a dit aussi bosquillon, qui est tiré plus immédiatement de boscus. Ce dernier mot fut d'abord traduit en françois par bos, qui se lit dans le roman de la Rose, d'où boccage, boquet et bosquet.

Bouquet s'est dit par une extension très-élégante pour une touffe de fleurs groupées comme, les arbres d'un bosquet; et ce qui prouve l'authenticité de cette dérivation métaphorique, c'est qu’on dit encore communément un bouquet de bois pour un groupe d'arbres isolés, comme il s’en voit quelques-uns à la lisière des forêts. On ne sait pourquoi cette dernière acception n'a pas été recueillie.

BORBORYGME. On dit aussi borborysme, qui est plus voisin de l'indicatif ; mais je préfèrerois borborygme, ne fût-ce que pour éviter le fâcheux inconvénient de ce pauvre prote dont j’emprunte l'histoire à un de nos lexicographes, et qui, dans un article de Mirabeau, consigné au Journal Helvétique, imprima barbarisme pour borborisme. Mirabeau rit beaucoup du barbarisme de son prote, mais il eût été bon de le prévoir.

M. Gattel a grand tort d'écrire borborigme, qui est un vrai barbarisme.

BORNE. Dans son acception figurée, ce mot ne se prend ordinairement qu'au pluriel. L'abbé Houteville fut blâmé pour avoir écrit : La multitude croit reculer la borne de ses conceptions. Ce reproche n'étoit fondé que sur l'usage d'une époque. Il ne se renouvelleroit plus.

BOUCON. Donner le boucon; il ne se dit qu’en parlant du poison.

Exécrable expression de l’argot des empoisonneurs. Il faut rendre à César ce qui appartient à César, à la Voisin ce qui appartient à la Voisin, et purger le Dictionnaire.

BOUE. M. Philipon de La Madeleine dit que ce mot n'est pas admis dans la poésie noble. Quand le grand Corneille a écrit dans Pompée :

Ces ames que le ciel ne forma que de boue,

Il est probable qu’il croyoit écrire de la poésie noble. L. Racine, si sévère sur les convenances du style élevé, qu'il a trouvé des taches dans les ouvrages de son père, n'a-t-il pas dit, et fort bien dit selon moi, dans le poème de la Religion :

La terre sur son sein ne voit que potentats
Qui partagent sa boue en superbes états.

Fénelon lui a sans doute fourni cette expression dans cet admirable passage du liv. IX de Télémaque, où il semble avoir défié la difficulté avec une intention un peu affectée de la vaincre. Ils voient (les dieux) le globe de la terre comme un petit amas de boue. Les mers immenses ne leur paroissent que comme des gouttes d'eau dont ce morceau de boue est un peu détrempé. Les plus grands royaumes ne sont à leurs yeux qu’un peu de sable qui couvre la surface de cette boue. Les peuples innombrables et les plus puissantes armées ne sont que comme des fourmis qui se disputent les unes aux autre un brin d'herbe sur ce monceau de boue. Il est difficile de récuser dans la poésie noble un mot que Fénelon a fait entrer quatre fois dans dix lignes de Télémaque.

BOUGER. On dit familièrement, mais très-bien : Je ne bouge, je n'ose, je ne sais.

Ne faut-il pas apprendre aux étrangers dans quels cas la première négative n’en exige pas une seconde ?

BOUILLANT, BOUILLONS. Dubos a écrit : le feu bouillant de I'âge. Peut-on dire, le feu bouillant ?

La Fontaine a dit : les bouillons de l'âge. Passe pour cela.

Ce mot bouillons, qui n’a point alors de singulier, est beau dans son emploi figuré. Mirabeau a dit : les bouillons du patriotisme, non sans exciter la dérision des journaux de l'opposition, ce qui ne prouve rien.

BOUQUIN. Un livre relié en boue ou en basane. — Je ne crois pas cela.

Bouquin ne se disoit en vieux langage que d’un livre allemand. C'est donc du saxon ou du vieux allemand book, prononcé bouk, qui a passé dans l’anglois et dans beaucoup de langues septentrionales, et qui signifioit généralement un livre; nous en avons fait bouquin, pour un mauvais livre, comme rosse, de son homonyme, pour un mauvais cheval; et cela n'est pas si vrai pour les bouquins que pour les rosses.

BOUSTROPHÉDON. Écriture qui va alternativement de droite à gauche et de gauche à droite, sans discontinuer la ligne. WAILLY. — Ce dernier mot est de trop. Une écriture ne peut aller sans discontinuer la ligne, pour peu que la phrase soit. longue. On entend par ligne d'écriture une suite de mots rangés, soit verticalement soit horizontalement, sur la hauteur ou sur la largeur du parchemin, de l'écorce, de l'étoffe, ou du papier dont on se sert.

Dans le boustrophédon, on discontinuoit la ligne en la reprenant à l'inverse, de la manière dont les bœufs tracent leurs sillons, et c'est ce que ce mot signifie.

BRAVE (paré). Il est du style familier. ACADÉMIE. — Il est aussi du style poétique, au moins chez Malherbe.

Que sa façon est brave et sa mine assurée…..

Tantôt nos livres braves
De la dépouille d’Alger…….

Il faut songer que le lexicographe n’a pas le droit de négliger une seule expression dans Malherbe, sans tromper l'attente des étrangers et sans décliner témérairement l'autorité de Boileau.

Par ce sage écrivain la langue réparée
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée.

Art Poétique.

BRAVER. Verbe actif. BOISTE. — Il est neutre dans ce vers de Corneille :

C'est peu pour lui de vaincre; il veut encor braver.. …

BRESSE. Terme généralement usité, en opposition à celui de montagne, dans tous les pays mis-partis de montagnes et de plaines, comme le Bressan ou Brescian d'Italie, relativement aux montagnes des Grisons; la Bresse, province de France, relativement aux montagnes du Bugey; la Bresse, canton de Franche-Comté, relativement aux montagnes du Jura.

Il est peut-être malheureux, et on ne sauroit trop le répéter, que le Dictionnaire de la langue françoise n'ait été jusqu'ici que le Dictionnaire de Paris.

BRODEQUIN. Espèce de torture ou de question qui consiste à serrer fortement les jambes d'un accusé entre des planches et avec des coins.

Il faut croire, pour l'honneur de nos neveux, que cette définition cruellement impassible, que cette description effroyable d'un supplice affreux infligé à un homme simplement accusé, ne leur paroîtront pas du Dictionnaire des hommes. Ils les croiront tombées par hasard dans notre lexique de la plume d'un des scribes du Pandæmonium.

BRONZER. Les lexicographes n'entendent par là que donner la couleur de bronze. Il peut signifier aussi, en donner la consistance. Chamfort a dit : Il arrive une époque de la vie où il faut que le cœur se brise ou se bronze.

BROUET. Espèce de bouillon au lait et au sucre. GATTEL. — Ou bien dans lequel il n'y a ni sucre ni lait.

Le brouet de l'épousée, de l'accouchée. Il ne se dit que dans ces deux phrases. GATTEL. — Il se dit encore dans cette phrase, le brouet noir des Spartiates, qui est aussi françoise et aussi élégante que les autres; mais qui n'est pas plus une phrase que les autres; car, dit M. Gattel, une phrase est une réunion de mots qui forment un sens complet.

BRUIRE. Le tonnerre bruyoit, les flots bruyoient. WAILLY. Tous, jusqu’aux insectes, bruissoient sous l’herbe. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. — Il est incontestable qu'il y a là un barbarisme; mais je le crois dans le Dictionnaire.

BRUISSEMENT. La Bruyère a écrit brouissement. Une femme entend-elle le brouissement d'un carrosse qui s’arrête à sa porte, elle prépare sa complaisance pour quiconque est dedans, sans le connoître.

Il me semble qu’on ne doit pas négliger, dans un Dictionnaire bien fait, des variantes d'orthographe aussi importantes, quand elles sont appuyées par de telles autorités.

BUPRESTE. Insecte ailé à aiguillon. WAILLY. — Les buprestes n'ont point d'aiguillons.

Coléoptères voraces, dangereux. BOISTE. Cela est vrai des carabes, auxquels Geoffroy avoit donné le nom de buprestes. Il est restreint depuis long-temps à de superbes insectes dont Geoffroy avoit fait des richards, et qui ne sont ni voraces ni dangereux. L'étymologie est ici en contradiction avec l'application du nom, ce qui est malheureusement trop commun en histoire naturelle.

BURBELIN, CARBALIN, CURBALIN, SURBALIN. Instrument de musique hébreu. BOISTE. — Cet instrument, qui étoit probablement une espèce de crécelle, et dont le vrai nom est crubelin, a été nommé par les Grecs. Étoit-ce chez eux un terme de relation, ou une analogie d’onomatopée ?

BUTIN. Il ne prend pas de pluriel. ACADÉMIE. — Il le prend dans ces vers de Malherbe, qui est le premier de nos classiques par ordre de date : et qu’est-ce que le vocabulaire d'une nation, si ce n'est celui de ses classiques?

A ce coup iront en fumée
Les vœux que faisoient nos mutins,
Et leur ame encore enflammée
De massacres et de butins......

BUTORDERIE. Action, propos de butor. VOLTAIRE. — Mot très-mal composé de butor, qui ne finit pas par un d. Mais un mot échappé à l'abandon du style épistolaire est-il françois parce que Voltaire l’a écrit?Voltaire lui-même ne se seroit jamais avisé de le croire. M. Boiste est tombé trop souvent dans cette méprise.