E

E. substantif.

1° Expression abrégée du mot Éminence.

2° Expression abrégée du mot Excellence.

3° Expression abrégée du mot Est.

Acception omises.

E muet final. Voltaire prétend qu’il se prononce dans la déclamation et dans le chant comme la prétendue diphtongue eu, et que l’on dit gloir-eu et victoir eu, comme glorieux et victorieux. Ce qu’il y a de vrai, c’est que l’eu est le son fort de l’e muet, qui n’est pas une voyelle bien caractérisée; de sorte que, quand on est forcé de le soutenir, on est exposé à parvenir de degré en degré au dernier terme de la gradation vocale. Mais les déclamateurs et les chanteurs, qui se sont formés une bonne méthode de prononciation, évitent très-bien cet inconvénient, sur lequel Voltaire a eu tort de tromper les étrangers. La prononciation chantée ne feroit d’ailleurs ici qu’une exception, car elle affectionne essentiellement les voyelles pleines et emphatiques. Il ne seroit donc pas étonnant qu’elle substituât quelquefois au son terne et fugitif de l’e muet des sons plus favorables à la mélopée. Si Voltaire avoit vécu de notre temps, rien n’auroit empêché qu’il avançât que l’e muet se confond avec l’o dans le chant. L’o est une voyelle d’un degré plus grave et plus ferme que l’eu.

ÉBÈNE. s. f. –– Voltaire l’a fait masculin.

Je vis Martin Fréron, à la mordre attaché,
Consumer de ses dents tout l’ébène ébréché.

S’il est vrai que l’Académie ait adopté l’orthographe de Voltaire, elle ne peut guère refuser ses licences, qui sont généralement plus heureuses. Je ne suis pas éloigné de prévoir le cas où le perfectionnement progressif de nos lumières exigeroit impérieusement que le mot ébène prît le masculin, puisque Voltaire l’a trouvé bon. Il est vrai que les Latins appeloient l’ébène ebenus, et c’est ce qui a trompé Voltaire, qui n’a pas remarqué que presque tous les noms d’arbres de cette terminaison sont féminins.

ÉCOUTOIR. Nom reçu du cornet acoustique, omis par les Dictionnaires, mais consacré par un poète :

Déjà pour secourir son oreille peu sûre,
Orgon vers lui tourne son écoutoir.

DELILLE.

ÉCUMER. De rage. –– Et écumer la rage.

Au point qu’il écuma sa rage.

MALHERBE.

Mais à la fin les flots en écumant leur rage…..

RACAN.

Le Pô quand hors de ses bornes
Il écume sa fureur…..

MAYNARD.

Ce tour a été poétique : il est devenu populaire; mais il est françois.

EFFENDI. Homme de loi chez les Turcs. –– C’est comme si on disoit que signor est le titre d’un avocat italien. Effendi est d’ailleurs un mot de relation qui ne doit point avoir de place dans notre Dictionnaire. Bon pour le Dictionnaire turc.

ÉGAYER. Il est difficile de ne pas avoir beaucoup d’homonymes dans une langue; mais il faut y éviter scrupuleusement les homographes, surtout quand l’étymologie même l’exige. Ainsi l’on écrit quelquefois, mais très-mal, égayer du linge, c’est-à-dire imbiber ou tremper, au lieu d’aiguayer, qui vient d’aqua, aigua, ou aigue.

ÉGOÏSME, ÉGOÏSTE. Ces deux mots ont étrangement changé d’acception depuis la confection de nos Dictionnaires. L’égoïsme étoit alors la manie de parler exclusivement de soi. C’est un défaut ridicule et insupportable, mais qui n’a rien d’odieux. Maintenant l’égoïsme est le vice d’un homme qui rapporte tout à lui-même, c’est-à-dire qui est capable de tout ce qui peut nuire aux autres, s’il a quelque avantage à en tirer. Dans ce nouveau sens, l’égoïste est un monstre.

Comment se fait-il que les anciens n’aient pas eu de mot pour rendre cette idée ainsi que nous la concevons ? C’est le résultat des institutions. Liez le bonheur de l’individu à celui de l’espèce, et l'égoïsme deviendra une vertu.

ÉLISION. Dans les vers latins l’élision se fait non-seulement sur les voyelles et diphthongues, mais encore sur la lettre M. GATTEL –– L’élision ne se fait sur la lettre m, en latin, que parceque la lettre m indique une voyelle, nasale à la vérité, mais qui ne s’en élidoit pas moins. Les Latins prononçoient monstron horrendon, etc., et supprimoient la voyelle en versification. L’hémistiche connu, le jour est loin encore, leur auroit paru le plus barbare des hiatus.

ELZEVIER, ELZEVIR. Livre imprimé par Elzevir. BOISTE –– Il falloit dire par les Elzevirs, car ce livre, fût-il d’Isaac, de Jean, de Daniel, d’Abraham ou de Bonaventure, ou de tous ensemble, n’en seroit pas moins un Elzevir. Au reste, les amateurs de livres disent également un Lavagnia, un Étienne, un Plantin, un Barbou, un Didot, un Bodoni, et cette ellipse ne constitue pas un substantif.

On dit aussi un variorum, pour un volume de cette collection, et non pas pour la collection même, comme définissent Restaut et le Dictionnaire de Trévoux. Dans ce dernier cas, le substantif est toujours pluriel.

EMBRASEMENT. Grand incendie. ACADÉMIE. –– INCENDIE. Grand embrasement. ACADÉMIE.

ÉMERVEILLABLE. Qui excite l’admiration.

Et d’un émerveillable change…..
Comme un objet émerveillable…..

MALHERBE.

Omis.

ENGEIGNER :

Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,
Qui souvent s’eengeigne soimême.

J’ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd’hui,
Il m’a toujours paru d’une énergie extrême.

La FONTAINE.

D’ingenium ou d'ingannare. Ménage écrit enganner.

Le verbe s’ingénier, qui a du rapport avec celui-ci, est un néologisme sans autorité, si ce n’est celle des lexicographes, qui l’ont mal à propos accueilli.

ENIVRÉ. Cette expression est trop usitée maintenant. On en fait, particulièrement dans la métaphore, un abus que l’autorité des livres saints ne justifie pas. Je me souviens d’avoir entendu dire à La Harpe ces vers tirés d’un grand poème sur la révolution de France, qu’il a eu le bonheur de ne pas achever :

Tout ce peuple enivré du vin de ma colère
Va parler aux humains une langue étrangère,
Un langage inouï crée pour ses forfaits,
Et le monde verra ce qu’il ne vit jamais.

C’étoit là un langage inouï, et des vers comme le monde n’en avoit jamais entendu.

ENLIZER. Mot d’un usage heureusement rare, car il exprime un accident phénomène dont on cite peu d’exemples. Il y a sur les côtes de l’Océan de certaines grèves mobiles qui, à la retraite des marées, présentent au voyageur une apparence trompeuse de solidité. Si son pied s’engage dans le sable sur lequel il croyoit pouvoir s’appuyer, et qu’aucun secours immédiat ne le délivre, il est perdu à jamais. Tous ses efforts pour se défendre de la voracité de l’abyme ne font que hâter sa perte. Il descend irrésistiblement jusqu’à ce qu’il soit englouti. C’est ce qu’on appelle s’enlizer, du moins sur les côtes du Mont-Saint-Michel, où quelques évènements de ce genre ont laissé de cruels souvenirs. Ce genre de catastrophe n’est pas non plus inconnu en Écosse, puisque S. Walter Scott s’en est servi pour le dénouement de la Fiancée de Lammermoor; c’est ce qui m’avoit porté à chercher l’étymologie de ce mot enlizer dans l’anglois leash, lien, attache, ou dans leasing, mensonges, expressions qui seroient également propres à exprimer figurément cette horrible déception de la nature, et la manière dont elle saisit ses victimes. Il n’y auroit rien d’extraordinaire d’ailleurs à trouver des mots d’origine angloise au Mont-Saint-Michel; mais depuis, le bourguignon lizeu, glissoire, m’est revenu en mémoire, et j’ai pensé que du patois lizer, avec une préposition très-bien appropriée au sens, on avoit dû faire le verbe enlizer, glisser en. Lizer n’est lui-même que glisser, moins son initiale, retranchée par apocope.

ENRAGER. Verbe neutre. ACADÉMIE. –– Oui, dans cette acception : j’enrage, qui est très figurée; mais non dans celle-ci : je suis enragé, ou atteint de la rage, qui n’est jamais que passive.

ENTREPRENDRE. Peut-on l’employer sans régime, comme Corneille l’a fait dans Cinna ?

Si c’est la liberté qui vous fait entreprendre, etc;

et dans Héraclius :

Et lorsque contre vous il m’a fait entreprendre, etc

Il a usé de la même liberté pour le verbe prétendre, qui ne la permet pas d’avantage, vers. 50, sc. II. act. I. de la dernière de ces tragédies :

Mais connois Pulchérie et cesse de prétendre.

ÉPHORES. s. m. pl. BOISTE. –– Lisez Éphores. s. m.

Juges, à Sparte, qui réprimoient l’autorité royale. BOISTE. –– Lisez, qui contenoient. On ne réprime pas une autorité légitime.

ÉPICURIEN. On sait quelle acception est donnée à ce mot dans le commun usage; mais on ne sauroit excuser les gens d’esprit qui en perpétuent l’erreur en l’employant comme le vulgaire. Un épicurien, dans l’acception juste du terme, seroit un véritable sage, et non pas un homme abandonné à toutes les voluptés.

Le nom de machiavéliste est encore plus improprement appliqué. Le machiavélisme proprement dit est la plus sanglante des ironies. Il faut donner un autre nom à celui des tyrans.

ÉPILEPSIE. Mal caduc, haut-mal. BOISTE. –– C’est expliquer un mot exact par deux battologies populaires.

Mal de saint, mal Saint-Jean. BOISTE. –– Pourquoi pas mal héroïque, mal d’Hercule, maladie des comices ? Singulier rapprochement des modernes qui ont appelé ce mal le mal de saint, et des anciens qui l’ont appelé le mal sacré. Il n’est ni saint ni sacré, mais il est extraordinaire, et cela se confond souvent.

ÉPISODIQUE. Le petit Poinsinet est le premier qui ait attaché cet attribut au titre d’une comédie. Une comédie ne peut pas être épisodique, puisqu’on entend par épisodique une petite composition intercalée dans une grande. S’il étoit possible que le plan d’une comédie admît en lui une autre comédie de très-peu d’étendue, celle-ci seroit vraiment épisodique; mais ce n’étoit pas le cas du Cercle.

ÉPOUSE. Qui a épousé un homme. BOISTE –– Une religieuse étoit l’épouse de Jésus-Christ. Il ne faut pas disputer sur les mots, mais il faut être précis.

ÉQUANIMITÉ. Évitons le néologisme superflu, mais ne rebutons pas celui qui nous enrichit. Nous avons magnanimité, pusillanimité, et même longanimité; car je le trouve dans des écrivains qui ont le privilège d’écrire hardiment comme ils sentent, sans crainte d’être soulignés par les journaux. Pourquoi ne pas admettre ce beau mot d’équanimité, qui a été employé par Sully, Tout-à-fait semblable aux autres pour la construction, il représente une nuance de pensée très-belle et très-importante, que nous ne pouvons exprimer sans de froides périphrases.

ÉQUIDIQUE. Vers de membres égaux dont le sens contraste, exemple :

Et par droit de conquête, et par droit de naissance.

Alba ligustra cadunt, vaccinia nigra leguntur.

Le vers équidique est devenu trop commun chez nos poètes, mais il n’est pas nommé dans nos Dictionnaires.

ÉRATÉ. Fin, rusé. WAILLY. On appelle dératé, un homme agile à la course, et, figurément, un homme difficile à attraper.

Ératé est un barbarisme.

ERMAILLI. Fabricant de fromage de Gruyère. Il faut peut-être écrire armailli, comme on le prononce en Suisse, d’armentarius, un bouvier. Dans la chanson du Rans-des-vaches, l’armailli n’est pas le chef de la fromagerie, ou, pour mieux dire, de la fruitière, qui est le mot consacré, mais oublié comme tant d’autres. C’est le pâtre qui conduit les troupeaux.

Les armaillis des Colombettes
De bon matin se sont levés.

ERRATA. Un auteur, qui n’avoit trouvé qu’une faute dans son livre, étoit fort embarrassé de savoir s’il devoit écrire erratum ou errata. Ménage prit l’engagement d’en trouver une autre.

Ménage coupoit le nœud gordien; M. Boiste le dénoue : il veut qu’on écrive erratum pour une seule faute. Je ne sais pas s’il seroit vrai, et Dieu me garde de le savoir, qu’Armide ou Renaud fût le meilleur opus de tous nos opéra; mais je sais que cela seroit barbare. Vous définissez vous-même errata, substantif masculin, sans ajouter qu’il n’a point de singulier; il peut donc s’employer dans ce nombre.

ERRE. D’errare. Ce substantif n’est presque jamais employé qu’au pluriel, et le plus souvent dans cette manière de parler, que la plupart des Dictionnaires ne donnent pas : reprendre ses erres; figure très-juste et très-heureuse pour exprimer l’action d’un homme qui cherche le point d’où il a commencé à s’égarer, en repassant dans les lieux qu’il a successivement parcourus depuis qu’il s’égare.

ÉRUDIT. Expression utile, agréable, long-temps repoussée, mais enfin admise dans l’usage universel. On la doit à l’abbé de Pons.

ÉRYTHROCÉPHALE. s. m. Insecte. TRÉVOUX. –– Il n’y a point d’insecte qui s’appelle génériquement érythrocéphale, mais on peut appeler ainsi tous ceux qui ont la tête rousse. Alors ce substantif devient un adjectif; cet adjectif composé en ameneroit mille autre, et il n’y en a pas un d’utile dans le Dictionnaire de la langue.

ESCARBOT. Ce mot, corrompu de scarabœus, reste dans la langue avec le sens vague et général d’insecte à étuis; il en est de même de scarabée. Ces emplois sont abusifs : il faut les régulariser, les simplifier. Le mot scarabée, le mot escarbot, désignent un genre et non une espèce. La définition trop extensive de quelques Dictionnaires, et trop exclusive de quelques autres, est donc à réformer.

Il paroît que l’escarbot de La Fontaine est le cerf-volant. Son trou est toutefois bien petit pour un lapin.

M. Boiste rend escarbot par fouille-merde, scarabée pillulaire, et scarabée onctueux. Ce dernier est un méloé ou proscarabée qu’on a jamais nommé escarbot.

ESCARBOUCLE. Espèce de rubis d’un rouge foncé. –– Je ne sais si cette définition convient aux lapidaires, mais elle ne paroîtra pas suffisante aux amateurs de le féerie et du merveilleux des siècles intermédiaires. Une escarboucle étoit un beau diamant, lumineux comme le soleil, et qui brilloit pendant la nuit au front des dragons et des guivres. Boyle rapporte que M. Clayton avoit un diamant qui jetoit de nuit une lumière pâle comme celle que donnent les lampyres et le bois pourri. Vartoman dit bien plus; il a vu le roi de Pégu resplendissant de pierres de ce genre, à tel point que les yeux avoient peine à en supporter l’éclat dans la nuit la plus obscure; ce qui fait dire à Furetière :" Vartoman ment puamment. " Furetière n’est pas poli.

ESCARGOT. Limaçon terrestre. BOISTE. –– Il n’y a point de vers testacés qu’on nomme limaçons, et le limaçon proprement dit n’est pas aquatique.

ESPARCETTE. Espèce de foin. BOISTE –– Foin est le nom générique des graminées sèches; l’esparcette est une espèce de sainfoin.

ESPATULE. GATTEL. –– Barbarisme du midi. Lisez spatule.

ESPÈCE. Pour indiquer un homme de bas étage, c’est un néologisme insolent et ridicule. Cette infame acception a l’autorité de Duclos, et même celle de J. J. Rousseau, tant le génie a pris plaisir à s’avilir pour complaire à la vanité.

ESPRIT. Ce mot a fourni des volumes. Il ne doit prendre que peu de lignes au lexicographe. Je m’arrête à une seule de ses acceptions. D’Alembert définit l’esprit systématique, art de réduire les principes d’une science à un petit nombre : il se trompe; c’est l’esprit de méthode dont il parle, et l’esprit systématique fait souvent tout le contraire.

ESQUICHER. Esquiver le coup. ACADÉMIE. –– Dans la seule langue où ce mot soit admis, dans celle du jeu, ce n’est pas esquiver le coup, c’est s’y exposer, en se dégarnissant des cartes foibles, à être ce qu’on appelle gorgé, autre terme d’argot fort connu des oisifs de province, et fort ignoré des Dictionnaires.

ESSUYER.

On craint qu’il n’esssuyât les larmes de sa mère.

ANDROMAQUE.

Racine pouvoit dire :

Mais qu’il n’essuie un jour les larmes de sa mère.

Au reste, ce prétendu solécisme se trouve exact à l’analyse.

ESTAMPER UN NÈGRE. Le marquer avec un fer chaud, etc. GATTEL. –– Les nègres ne sont pas les seuls animaux sujets à cette opération; elle se pratique aussi sur les chevaux. Il n’y a pas de mal, au reste, à laisser de pareils mots et de pareils définitions dans les Dictionnaires : la postérité s’en servira pour estamper d’une empreinte brûlante les tyrans et les bourreaux.

ESTOMPER. Dessiner avec des couleurs en poudre. Estomper, suivant l’Encyclopédie estomber ou estouper, et suivant un usage commun estromber, ce n’est pas proprement dessiner avec des couleurs en poudre, c’est frotter le crayon qu’on a mis sur son dessin avec de petits rouleaux de papier barbus par le bout, ou avec du chamois roulé sur un petit bâton en forme de pinceau. Cet instrument s’appelle estompe, et il n’est pas connu de l’Académie françoise, qui ne pensoit guère à consulter l’Académie de peinture sur son Dictionnaire.

Comme il arrive quelquefois qu’un frottement accidentel étend les traits du crayon, il y a une nuance d’expression pour distinguer cette défectuosité de l’estompe par procédé. Un dessin à l’estompe est celui qui est sorti ainsi des mains de l’artiste. Un dessin estompé est celui dont les traits n’ont été étendus et les hachures confondues que par le hasard.

ESTRADE. Battre l’estrade, la strada, du latin strata, substantif peu connu, qui se disoit pour pavé. On le lit dans Eutrope. Nous disons communément battre le pavé.

Quant à estrade, de strada, c’est du françois fait par un Italien ou par un Gascon, et qui ne vaut pas mieux, étymologiquement, qu’esquelette et espatule.

ETAPE. Du latin stapia, un étrier. E stapid descendere. On a long-temps écrit estape.

On dit encore indifféremment, le vin de l’étape ou le vin de l’étrier.

On en a fait estafier, c’est-à-dire un homme qui court l’estafette, qui va d’étape en étape. Les Dictionnaires connoissent les extensions de ce terme et oublient sa première acception.

ETAT (faire). Je fais beaucoup d’état de monsieur votre frère. Je fais état qu’il y a plus de cent mille ames à Lyon. GATTEL. – Dans la première de ces phrases d’exemple, je fais état est un archaïsme qui ne paroît pas fort important à renouveler. Dans la seconde, c’est une locution barbare et inadmissible.

ETERNEL. Qui n’a jamais eu de commencement et qui n’aura point de fin : en ce sens, il ne peut se dire que de Dieu. GATTEL. Personne ne doute qu’il ne se puisse dire du temps, témoin le substantif éternité, qui est tout-à-fait orthodoxe.

ETOPEE. Peinture des mœurs, des passions, du caractère. M. Boiste donne à ce mot le signe de première publication : cela est vrai; mais cela n’est vrai qu'autant qu’il l’écrit ainsi. Il a mis plus haut éthopée, qui en est la juste orthographe.

ETRECIR. Cet orthographe est un des monuments de la barbare prononciation que les Italiens introduisirent sous les Médicis. On prononçoit alors étret, étrette :

Et sans les portes étrettes
De leurs habitations…

LA FONTAINE

De là étrécir pour étroicir, qui est l’orthographe naturelle du verbe.

ETUDE. s. f. Etude, qui vient de studium, devoit être masculin. Il l’étoit encore du temps de Malherbe, qui a dit :

Dont le vain étude s’applique, etc.

Depuis, il a suivi la marche naturelle de notre langue, qui a modifié les genres d’une manière plus systématique qu’on ne le pense ordinairement, en raison de la terminaison des mots. Les mots de cette désinence, qui viennent presque tous des substantifs latins en udo, sont presque tous féminins, comme eux. Cette hypothèse, à laquelle je ne vois pas d’exception, pourroit au besoin être convertie en règle, et peut-être l’a-t-elle été sans que je le sache.

EVE. C’est le nom de la première femme, nom qui signifie bonne ou agréable, dans les langues typiques de l’Orient, et qui étoit passé en ce sens dans le grec. Il est homonyme d’un impératif de langue celtique, celui du verbe boire. Ce rapprochement a suggéré à un savant Bas-Breton l'idée la plus ridicule qui soit jamais entrée dans la tête d’un étymologiste de profession, et c’est beaucoup dire. Il présume qu’Adam et Eve parloient sa langue dans le Paradis terrestre, et que le nom d’Adam fut formé du cri qu’il poussa en avalant la pomme, dont le peuple croit partout qu’il lui resta un morceau à la gorge : a tam! quel morceau! comme celui d’Eve, de la réponse qu’elle lui fit, et qui est ordinaire en pareil cas : ev. bois. On voit que les sciences les plus arides ont bien leur côté plaisant.

EXEMPLE. On demande s’il faut dire de belles exemples d’écriture, les saintes Hymnes de l’Eglise ? L’usage a consacré ces exceptions; mais il y a plusieurs sortes d’usages, celui qui crée les langues, et celui qui les dénature. Une fois que le genre d’un mot est établi, tout usage qui contrevient à cette règle est vicieux; et il est ridicule de réformer un principe sur la foi d’un maître d’école ou d’un sacristain qui ne saît pas le françois.

EXORABLE. Qui peut être fléchi, qui peut être appaisé.

Ne désespérez point! Les dieux plus pitoyables
A nos justes clameurs se rendront exorables
Rendez-la, comme vous, à mes yeux exorable

Repousserons-nous un mot nécessaire, élégant, harmonieux, qui a été employé par Corneille et recommandé par Voltaire ?

Que dira l’étranger qui, après avoir admiré une belle expression dans vos classiques, la cherchera inutilement dans vos Dictionnaires ?

Omis.

EXPIRE. Racine dit très-incorrectement : le héros expiré, quoique expiré puisse se dire figurément d’une époque, d’un délai, d’un terme, sans aucun auxiliaire.

Expirer ne s’entend au sens propre que de l’action de rendre le dernier soupir, et le participe ne peut être françois en ce sens.

Ce participe est devenu un substantif dans le jargon des marchands, qui est encore plus détestable que celui des avocats. On écrit fort élégamment dans ce style, l’expiré pour le mois expiré, et l’on ne se doute pas que ce barbarisme est une figure, une ellipse.

EXPLICABLE. Voici un étrange mot. On dit fort correctement : Cela n’est pas explicable, et on ne peut dire : Cela est explicable, s’il en faut croire les grammairiens. Qui nous expliquera le motif de cette règle étrange ? Elle est hors d’analogie avec tous les principes de la langue.

EXPLORER. Ce mot est fort vieux, mais fort nécessaire dans l’usage des sciences, où il commence à se multiplier. On ne peut se dispenser de lui donner place parmi tant d’autres mots dont les sciences ont enrichi la lexicographie.

EXPROPRIER. Ce mot et toute sa famille appartiennent aujourd’hui au Dictionnaire de la langue françoise, puisqu’ils sont consignés dans le livre de ses lois.

La pureté du style est essentielle aussi dans le texte des lois, car sans pureté il n’y a pas de clarté; et l’expression de la loi est vicieuse si elle n’est claire. Croyons que les jurisconsultes à venir s’en tiendront aux expressions consacrées par les lois, au moins dans les cas prévus, et qu’on pourra enfin parler françois en justice.

EXTERMINER. Ce mot contenant implicitement l’idée de chasser hors de toute limite, comme le montre son étymologie, il semble qu’il ne doit être employé qu’absolument, et qu’il est inconvenant de lui faire gouverner la préposition de. Voltaire a donc commis une battologie dans ce vers :

Exterminez, grand Dieu, de la terre où nous sommes, etc.

Où nous sommes en est une autre. Il est malheureux, dit Chamfort, que le mot hommes ne puisse jamais se trouver à la fin d’un vers, sans que cette phrase parasite où nous sommes se présente au bout de l’autre. Il vaudroit mieux ne jamais placer le premier de ces mots à la rime.

EXTRA-SECULAIRE. Qui a vécu plus d’un siècle. Il ne falloit pas recueillir ce barbarisme absurde de Linguet. Extra-séculaire signifieroit tout au plus hors du siècle, et non pas, qui a vécu plus d’un siècle, ce qu’on rendroit assez mal, mais beaucoup mieux, par ultra-séculaire, que je me garde bien de recommander à personne.

EXTRAVAGANTES. Constitutions des papes ajoutées au droit canon, et c’est pour cela qu’on les appelle extravagantes, ou errantes en dehors : mais ce mot ultramontain n’est françois qu’en bibliographie canonique.

EXTRAYEUR. Faiseur d’extraits de livres. Cette mauvaise expression a l’autorité de M. de Palmy, très-habile extracteur ou abstracteur de livres, et qui s’entendoit fort bien à en tirer la quinte-essence. Il auroit dû s’en tenir aux mots de Rabelais.