H

H. Lettre de l’alphabet. Cette lettre sera–t-elle indiquée dans votre Dictionnaire à venir comme une consonne ? ce n’est point une articulation.

Sera-t-elle considérée comme vocale? elle n’a point de valeur propre.

Dans ch, elle est barbare : c’est un élément fort étranger à l’articulation qu’elle représente.

Dans ph, elle est barbare; et ph est un digramme ridiculement inventé pour exprimer une articulation déjà exprimée par un autre signe de l’alphabet. On dit que ph est étymologique; cela est faux : les mots dans lesquels on l’emploie nous sont venus par le latin du grec, et la lettre n’est pas un digramme.

A la tête des mots qui n’ont pas la première voyelle aspirée, la prétendue lettre H est barbare; car il n'y a rien de pis dans les langues qu'un signe sans valeur.

A la tête des mots dont la première voyelle est aspirée, elle ne marque qu’un esprit. L’esprit des Grecs n’étoit point un signe de leur alphabet.

Elle prend alors l’usage opposé à celui de l’apostrophe; mais cet usage n’a rien de plus important que celui de l’apostrophe même. L’apostrophe marque qu’il y a élision, et l’h ou esprit qu’il n’y en a point.

L’aspiration dans la langue françoise n’est qu’un hiatus. Ce n’est ni une vocale ni une consonnante. C’est autre chose dans certaines langues où elle devient presque gutturale; alors c’est une articulation caractérisée.

M. de Volney répondoit en 1810 à cette proposition, que l’aspiration est radicale dans certaines langues de l’Orient. Oui, l’aspiration consonnante ou articulée, mais alors elle rentre dans la classification générale des signes; autrement elle n’est qu’une modification, et une modification ne sauroit être radicale. Il a daigné se réunir depuis à mon opinion. J'ai cité ailleurs des exemples de l'aspiration qui s'articule : on en verra dans toutes les langues, où elle fait tantôt place à la gutturale et tantôt à la sifflante, c’est-à-dire aux articulations des touches extrêmes.

Puisque j'en suis venu à considérer cette question des aspirations qui ont pu passer à l'état de consonnantes, je n’omettrai pas de dire que cette prétendue aspiration H, aujourd’hui si muette, a été de ce nombre, et qu’il reste des traces de sa première valeur dans le bas-breton, dans le gallois, dans plusieurs langues du Nord, et même dans le dialecte ou la dialecte de Toscane, in bocca Toscana. C’étoit évidemment cette valeur qu’elle présentoit, dans les temps reculés du moyen âge, au-devant d'une foule de noms propres, comme Hilderic, Hilperic, Hildebert, Hildebrand, Hlodoix, Hlotarius, où sa figure, devenue insignifiante, fut remplacée tantôt par le C, tantôt par le CH, équivalents du K et du X grecs. Cette longue confusion d’acceptations doit avoir principalement résulté de l'usurpation presque inexplicable qui fut faite de la lettre X pour exprimer l'abréviation qu’elle exprime encore chez nous, et que les grecs rendoient, comme on sait, par une figure différente, inusitée dans notre alphabet. Il fut naturel de remédier au désordre qui pouvoit résulter dès lors de la double acceptation du X, en le remplaçant, à l’ordinaire, par une autre lettre de l’alphabet grec tombée en désuétude, et le choix du scribe inconnu à qui nous devons cette nouvelle source de logomachies grammaticales tomba sur l’H ou èta, qui ne faisoit plus qu’une lettre avec l’E ou epsilon. C’est à ce caprice que l'H françois doit tant de singuliers priviléges qui ont fini, ainsi que nous l'avons vu, par n'aboutir à rien, et qui ont cela de commun avec quelques autres privilèges du même temps. Si l'on pouvoit douter de cette généalogie graphique, il suffiroit pour l'éclaircir de remonter jusqu'au monogramme de J. C. qui fut composé sous Constantin de l'initiale I, et de la finale S, séparées par le X ou chi grec, surmonté entre ses deux branches par une espèce de crosse ou de lituus, qui ressembloit assez d'ailleurs au P ou ro grec, pour figurer suffisamment la seconde lettre du nom du Christ. C'étoit déjà l'esprit de ces premiers jours de dégénération. Au moment de l'usurpation de la figure X ou chi, pour son acceptation actuelle, on remplaça le X par l'H, dans le monogramme sacré comme partout ailleurs; et la substitution barbare des lettres CH à cette lettre détournée de sa première signification, mais qui du moins en avoit acquis une autre, ne l'a pas plus chassée du saint chiffre des chrétiens que du nom populaire de Henri, qui a été écrit Xenseric, et que l'histoire a conservé avec cette orthographe ou avec ses analogues. La postposition de l'H fut tellement immédiate que le monogramme de J. C., encore usité dans l'Église, conserve jusqu'à la superfétation traditionnelle de celui de Constantin. Seulement, à la place du lituus, le décorateur chrétien planta sur la barre de l'H le signe vénéré de la croix. Le monogramme de la Vierge, qui fait pendant à celui-ci se compose d'un M et d'un A, fort gracieusement ajustés; il n'est guère moins ancien, s'il n'est pas du même temps. [1]

HAHA. Ouverture au mur d’un jardin, avec un fossé en dehors. — C’est généralement l’obstacle inattendu qui sépare le promeneur d'un jardin qu'il a apperçu de loin, et qui lui en interdit l'entrée. Le nom qu'on lui a donné est la mimologie exacte d'une exclamation d'étonnement.

HALOTECHNIE ou HALURGIE. Traité des sels. BOISTE, WAILLY.

Halotechnie, science ou méthode des sels.

Halurgie, pratique ou manipulation des sels. Ces mots ne sont point équivalents; et si on les a employés indistinctement dans quelques ouvrages, ce n’est point une autorité, c’est un abus.

HALTÈRES. Très-vieux mot qui a signifié alternative, et qui a fini par lui céder la place. Comme il estoit en ces haltères, dit Trippault, c’est-à-dire dans cette incertitude, dans cet embarras. Alter a usurpé cette acception sur halter, qui signifie le contre-poids des danseurs de cordes et le balancier des diptères, parce que ce dernier terme n’avoit point d’analogue, point de famille en françois. Sa légitimité n’en est pas moins évidente. On dit encore : il est en balance; il ne sait sur quel pied danser.

HAMPE. Bois d'une hallebarde. WAILLY. — C’est aussi le bois d’une flèche. C’est particulièrement le nom d’une tige qui n’a que des feuilles radicales, et qui s’élève nue jusqu’à la corolle.

HANGAR. Il y a des provinces où h s’aspire, et d'autres où h ne s’aspire pas. — De manière qu’un voyageur qui fait le tour de la France doit s’informer partout de la prononciation locale; et, comme elle ne varie pas seulement en ce mot, il en résulte qu’il y a autant de langues françoises que de départements. L’Académie n’étoit pas chargée de l’histoire des idiomatismes et des patois, mais de présenter l’état de la langue, selon les classiques et le bon usage.

HAPPER. Se dit des pierres qui produisent sur la bouche une sensation d’adhérence tenace. Acception oubliée et nécessaire.

HAQUET. Les dictionnaires le donnent pour une sorte de charrette longue et sans ridelles. Il a signifié autre fois cheval, comme on peut le voir dans ces vers de Coquillard :

Sus, sus, allez vous-en, Jaquet,
Et pansez le petit Haquet,
Et faites-lui bien sa litière.

On ne peut douter que ce mot vienne d’equus, aussi bien que haquenée, haca, faca et facana.

Alfacana vient d’equus sans doute.

Cela est fort extraordinaire, mais cela est très-vrai, et les épigrammes ne prouvent rien.

HARO. On prétend qu’il vient de ah Raoul, opinion extravagante : c'est un mimologisme des deux voyelles les plus pleines de la langue. Aussi est-ce non-seulement une clameur de guerre, mais un cri d’équitation et de vénerie.

HAUT. L’aspiration est vicieusement paragogique dans un mot qui vient du latin altus. Nous l'avons négligée dans autel, traduit d’altare, qui est fait d’altus, parce que l’autel étoit consacré aux dieux hauts, superis.

On appeloit ara les autels des dieux inférieurs ou infernaux.

HÉBÉTÉ. Quand M. de la Popelinière demandoit à mademoiselle Quinault comment elle lui conseilloit de se faire peindre à côté de sa femme peinte en Hébé, et qu’elle l’engageoit à se faire peindre en hébété, mademoiselle Quinault dérivoit sans doute ce verbe du mot bête, comme la plupart des grammairiens, qui font abêtir et hébéter synonymes. Il n’y a aucun rapport entre le verbe latin hebesco et le substantif latin bestia; en traduction françoise, le rapport de consonnances a déterminé celui d’acceptions. Hebetatus, latin, ne signifie littéralement qu’affoibli, usé, ou stupéfait, ce qui fait souvent qu'un homme d’esprit ressemble à une bête, mais ce qui ne prouve pas qu’il en soit une.

HÉCATOMBE. Sacrifice de cent bœufs. Un de ces mots que nous employons à tout propos, sans acception de son étymologie et de son sens véritable. Cette extension, qui résulte le plus souvent d’une profonde ignorance, est pourtant une figure de rhétorique, une catachrèse. Je m’imagine qu’il est arrivé à plus d’un orateur de faire des catachrèses sans le savoir.

HENNIR, HENNISSEMENT. Prononcez hanir, hanissement. WAILLY. Hannir, hannissement. BOISTE — L’usage commun n’est pas d’accord avec les Dictionnaires; on prononce généralement hennir, et cette prononciation est à-la-fois étymologique, euphonique et pittoresque.

HERBORISTE. D’arbor, arboriste, qui étoit souverainement ridicule, car on ne recueille pas des arbres; et d’arboriste, herboriste, qui est une violation intolérable de l’étymologie; car herbe ne se dit pas herbor.

HERE. Par quelle singularité avilissons-nous l’acception des mots que nous empruntons aux étrangers? Ross est devenu chez nous le nom d’un mauvais cheval; et ce mot her, qui signifie seigneur dans toutes les langues du Nord, n’est pris dans la nôtre qu’en mauvaise part. Il est vrai qu’on y joint ordinairement un attribut désavantageux, comme lorsqu’on dit pauvre hère; mais La Fontaine n’a pas hésité à l’employer tout seul dans le même sens :

Vos pareils y sont misérables,
Cancres, Hères et pauvres diables
Dont la condition est de mourir de faim.

Je fais cette remarque, parceque les Dictionnaires ne laissent pas supposer qu’il puisse se prendre isolément.

HERECHERCHE. Insecte coléoptère. BOISTE. — Je déclare, en ma qualité d’entomologiste, qu’herecherche n’a jamais été le nom d’aucun insecte coléoptère. C’est peut-être hétérocère qu’on a voulu dire, car hétérocère n’est pas dans le Dictionnaire de M. Boiste. Quand à ce dernier mot, il n’est pas françois, il est technique : la langue des sciences est universelle.

HÉSITER. Ce mot est, dans les Dictionnaires, au nombre de ceux dont la première syllabe n’est pas aspirée; d’après quelle autorité ? Corneille dit dans le Menteur :

Ne hésiter jamais et rougir encor moins.

Est-ce pour éviter le hiatus, comme dit Voltaire ? singulière raison! toutes les voyelles aspirées sont dans le même cas. Il est impossible de porter plus loin la distraction.

HEUR. Ce mot n’est plus dans les Dictionnaires, quoiqu’il se soit conservé dans cet emploi proverbial : Il n'y a qu'heur et malheur en ce monde.

Corneille en a fait un grand usage, qui n’est plus une autorité pour les lexicographes; mais il se trouve encore dans La Bruyère et dans Voltaire.

HEURE. On dit familièrement sur les une heure, pour dire vers une heure, aux environs d’une heure; et, dans cette phrase, on prononce les comme si la première syllabe de une étoit aspirée. ACADÉMIE. — On dit familièrement, sans doute; mais tous les usages vicieux sont plus ou moins familiers, et le Dictionnaire de l’Académie ne doit pas être le dictionnaire du mauvais langage.

Vers une heure est bon françois.

Aux environs d’une heure est une platitude qu’il faut effacer de nos livres.

Comme si la première syllabe de une étoit aspirée. — Ecrivez d’une; car si elle est aspirée quelque part, ce que je ne crois pas, ce n’est certainement pas là.

HEUREUX, e. Qui est favorisé de la fortune. WAILLY. — Si favorisé de la fortune signifie riche, cette définition n’est ni vraie ni morale. Si favorisé de la fortune signifie bien traité du sort, cette définition n'est pas morale; mais elle est peut-être vraie.

HIBRIDE. On entend par hibride, non-seulement un mot composé de deux langues, mais une chose qui tient de deux natures, une espèce qui tient de deux espèces. Les nomenclatures scientifiques ont chargé la langue françoise de beaucoup de mots hibrides, c’est-à-dire de beaucoup de barbarismes ridiculement inutiles. Pour qu’un mot hibride fût excusable, il faudroit que sa seconde partie eût manqué à la langue qui a fourni la première, ou vice versà, ce qui n’arrive jamais.

HIÈBLE. Plante qui par ses feuilles, sa fleur et son fruit, ressemble au sureau. WAILLY. -On pouvoit ajouter : par une très-bonne raison que voici; c’est que c’est un sureau. Il faut d’ailleurs écrire yèble.

HIER MATIN, HIER AU SOIR. C’est ainsi qu’il faut s’exprimer à peine de mal parler. Hier soir, si commun dans nos prosateurs, et, qui pis est, dans nos poètes, n’est ni plus ni moins incorrect qu’hier au matin. J’avoue que cette règle est fort arbitraire et qu'il y a, et qu'il seroit peut-être difficile d'en donner la raison logique; mais ce n'est pas là un argument contre une règle en matière de langage, et la Grammaire reconnoît une loi devant laquelle tous les arguments s’évanouissent : c'est le si volet usus d'Horace.

HILARIEUX. J. B. Rousseau a dit :

Noblesse d'ame, hilarieux génie,
Et don d'esprit par-dessus l'or vanté, etc.

Le sage M. Pougens ne pense pas que ce mot soit de nature à être réintégré dans le langage moderne, et il a plusieurs fois raison.

Hilarieux génie seroit mauvais et plat, dans le cas même où hilarieux seroit françois.

Hilarieux seroit mauvais et barbare dans le cas même où hilariosus seroit latin.

Hilariosus n'est pas latin; c'est un barbarisme. Et puis J. B. Rousseau savoit-il le latin? et, après tout, J. B. Rousseau est-il un classique?

HILLOT. Pour valet. On le fait très-mal dériver d'ilote. Il vient du diminutif fillot, par la substitution si commune d'une de ces initiales à l'autre.

Hils et Hillots se disent pour fils et enfants dans le patois de Béarn. Quant à l'extension de sens de ce mot hillot, qui représente un valet dans cette acception, elle est commune à toutes les langues. Horace appelle son esclave puer, et le bon Dacier traduit élégamment : laquais.

HODÉ. Très-vieux françois, encore aujourd'hui patois de Picardie et de Champagne. Il signifie : lassé du chemin, fatigué du voyage. Par quelle étrange bizarrerie les Grecs ont-ils jeté leur , voyage, leur , je chemine, dans la langue antique de nos provinces ? En quelques parties de la Savoie, oder veut dire partir : je m'ode, je m'en vas.

HOLLANDE. L'usage est pour toile d'Hollande, fromage d’Hollande. LES GRAMMAIRIENS. — Cela est vrai; mais c'est l'usage des blanchisseuses et de l'office, qui ne devroit pas faire loi au salon.

HOMME. Animal raisonnable. ACADÉMIE, BOISTE, ETC. —

Ce n'est pas quand il est ivre.

Ce n'est pas quand il a la fièvre.

Ce n'est pas quand il livre bataille pour une préséance.

Ce n'est pas quand il égorge son semblable pour une abstraction religieuse ou politique.

Ce n'est pas quand il trouble son pays pour un intérêt personnel.

Ce n'est pas quand il se coiffe de la doctrine d'un novateur, des rêves mystiques d'un illuminé, des promesses d'un charlatan.

Ce n'est pas quand il use sa vie en chicanes, et sa fortune en frais de justice, à l'occasion d'un mur mitoyen.

Ce n'est pas dans les académies de jeu; ce n'est pas dans les académies d'escrime; ce n'est quelquefois pas dans les autres.

On auroit très-bien défini l'homme un animal raisonnant.

Homme ne signifie plus guère mari ou époux que dans l'usage du bas peuple.

Mari vit encore dans la bourgeoisie.

Époux est du bon ton de province.

Père, mère, frère, sœur, ne sont plus recevables dans une conversation polie.

Gendre et bru font mal au cœur.

Et comment s'exprimer, dira-t-on? monsieur, madame, voilà les termes. Répondrez-vous à cela que monsieur et madame indiquent des relations sociales et non pas des relations de parenté? Qu'importent les relations de parenté? La société ne se raffine qu'aux dépens de la nature, et le beau langage qu'aux dépens du bon sens.

HORS. Je ne cite ce mot que comme un nouvel exemple de la substitution d'une aspiration à une sifflante, ou vice versâ. On disoit également fors : Tout est perdu fors l'honneur. Même analogie entre fouir et houer, entre fable et habler, etc.

HOSPITALIER. Dacier est le premier qui ait transporté le mot hospitalier, dans notre langue, des personnes aux choses; c'est dans sa traduction de ces beaux vers d'Horace :

Quà pinus ingens, albaque populus
Umbram hospitalem consociare amant

Ramis.

Dans ce beau lieu où de grands peupliers joignent amoureusement leur ombre hospitalière. "Je sais qu'il y a des personnes trop délicates qui ont été choquées de cette expression, mais je prendrai la liberté de leur dire qu'elles ne paroissent pas avoir beaucoup étudié l'usage qu'on peut faire des figures, ni les bornes qu'on y doit garder. Celle-ci est très-belle et très-heureuse, et il n'y a rien de plus ordinaire, surtout dans la poési, que de transporter ainsi les expressions de la personne à la chose, et de la chose à la personne. Les exemples en sont infinis. " (Madame DACIER, traduction de l'Odyssée, Remarques sur le livre XIV.) Il seroit à souhaiter que le reste de la phrase de Dacier fût aussi heureux que cette expression. J'ai cru que le lecteur ne seroit pas fâché de savoir que c'est à lui que nous en étions redevables, et qu'elle lui avoit été reprochée. On a eu bien la peine à faire entrer la poésie dans la langue françoise.

HOSTIE.

De tous les combattants a-t-il fait des hosties?

CORNEILLE.

Hostie étoit très-beau dans le sens de victime, mais son acception liturgique lui a fait perdre l'autre. Quand on joua le Séjanus de Cyrano, que Mirabeau appelle un cours d'athéisme avec privilège du roi, des chrétiens, plus zélés qu'instruits, inondèrent le théâtre, déterminés à troubler par un grand éclat la représentation de cette pièce impie. Mais il y falloit un prétexte; les vers les plus hardis passèrent cependant sans être remarqués, et le mécontentement des spectateurs ne se manifesta qu'à ces mots de la catastrophe, qu'on prit pour une provocation au plus affreux des sacrilèges :

Frappe! voilà l'hostie.

HÔTE. Substantif à sens extrêmes : l'homme qui reçoit et l'homme qui est reçu.

HUAILLE. Omis. Ce mot vaut-il la peine d'être conservé, parce que Voltaire a trouvé bon de dire :

Le roi cornu de la huaille noire
se déridait entouré de ses pairs.

La Pucelle, ch. V.

Vient-il de huée, comme le pense M. Carpentier? Je serois assez porté à le croire. Il me paroît équivalent à cohue, qui signifie une assemblée où l'on hue ensemble. Il est au reste bas et même burlesque, c'est-à-dire d'un degré au-dessus de bas.

HUILE. s. f. Quoique venu d'oleum qui est neutre, et cela parce que l'élision de l'initiale et l'analogie de la consonnance ont peu à peu trompé l'oreille et modifié l'usage. Dans l'Est et dans le Midi ce mot est encore masculin; et un de nos bons écrivains s'y est trompé dans les premières éditions de sa traduction d'Horace :

Que l'huile sur le feu rissole en pétillant,
s'élève en pyramide, et soit servi brúlant.

J'emprunte à Domergue cette citation qui me paroît d'ailleurs inexacte, et dans laquelle je suppose un vers omis.

HUMEUR. Ce mot n'est pas le moins singulier de notre langue; les Anglois nous l'ont pris dans le sens de gaieté, de caractère vif et plaisant, qu'il a eu chez nous jusqu'au temps de Corneille.

Cet homme a de l'humeur.

Suite du Menteur, acte III.

Non-seulement nous avons perdu cette acception, mais nous l'avons remplacée par une acception toute contraire.

Ce n'est pas tout, quand on le prend absolument n ne l'empêche pas de prendre un adjectif qui ne la détermine pas mieux. Quoique humeur ne signifie en soi-même, dans ce sens, qu'une fâcheuse et mauvaise disposition de l'esprit, on dit sans pléonasme, fâcheuse et mauvaise humeur; et enfin, comme si cette valeur n'étoit point identique, mais amovible et uniquement déterminée par l'attribut, on la change tout-à-fait en changeant celui-ci : une belle, une agréable humeur, ce qui signifie à l'analyse une belle, une agréable disposition chagrine.

Le passage cité de Corneille signifie absolument, pour un étranger, le contraire de ce qu'il veut dire, à moins que cet étranger ne soit Anglois, ou qu'il ne connoisse très-bien toutes les bizarreries de notre langue.

Comment se retrouver dans ce singulier désordre de sens, si les lexicographes ne prennent le soin d'en bien déterminer les cas ?

HURLER. C'est le cri du loup. Pourquoi n'admettriez-vous pas hululer, qui représente si bien le cri de la chouette, du hibou, des animaux qui se plaignent ? Les Italiens ont urlare et ululare qui est tout-à-fait latin. Lisez la Philomèle, improprement attribuée à Ovide, et vous y verrez deux ou trois cents mots consacrés aux chants des oiseaux et aux cris des quadrupèdes et des reptiles. Il n'est pas bien nécessaire que nous ayons jamais un poème comme la Philomèle, mais il n'y auroit pas d'inconvénient à ce que nous fussions assez riches pour le traduire.

HUYAU. Coucou. BOISTE. — Avec toute l'extension dont ce mot est susceptible au figuré :

Ci-gît maître Jacques Tuyau
qui de trois femmes fut huyau

HYDRACHNES. Araignées aquatiques. BOISTE. — Les hydrachnes ou hydrachnés ne sont pas des araignées. Ce sont des Éleuthérales que Fabricius à fort judicieusement détachés du genre dytique.


Notes

1. A l'instant où je revois ces épreuves d'une page écrite il y a bien des années, j'ai le chagrin de lire dans les Journaux de 1828, et, qui plus est, à l'article des séances de la chambre élective :
1° Que le monogramme de J. C. est en trois lettres séparées. - Il y a des monogrammes de trois lettres et davantage; mais il n'y a certainement point de monogrammes en lettres séparées.
2° Qu'il représente la devise de la société de Jésus. - Les monogrammes expriment des noms, ou des initiales de noms : il n'y a jamais eu de devise en monogramme.
3° Que ce monogramme signifie Jesus Humilis Societas. - Constantin vivoit douze cents ans avant saint Ignace; la société de Jésus n'est pas humble, et Jesus fait Jesu au génitif.
4° Que ce monogramme en trois lettres signifie, Jesus Hominum Salvator. - Du temps de Constantin, époque où l'on n'avoit pas tout-à-fait oublié le latin, on disoit encore Servator.
5° Que le monogramme des Jésuites est en quatre lettres : A. M. D. G. - Ces quatre lettres sont en effet les initiales de la devise des Jésuites. Elles n'en sont pas le monogramme. Cette question a terriblement porté malheur à nos savants. Ce n'est pas la faute des Grecs. Jésuites, qui ont été accusés de fort vilains solécismes, ne seroient jamais tombés dans ceux-là. Je crois qu'il y a moyen de combattre leur dangereuse domination sans apprêter à rire aux balayeurs des derniers collèges de l'Europe.