I

I. substantif.

1° Expression abrégée du mot Impériale. S. A. I.

2° Lettre numérale qui vaut un. Acceptions omises. Figures familières : droit comme un i; mettre les points sur les i.

IDIOT. Idiot signifie chez nous un sot, un imbécile, un homme privé de toute faculté. Chez les anciens, idiotès signifioit un solitaire, c'est-à-dire un homme qui fait de ses facultés l'usage le plus raisonnable, quand la société est mauvaise.

IDOLE. Corneille l'a fait masculin :

Et Pison ne sera qu'un idole sacré
Qu'ils tiendront sur l'autel pour répondre à leur gré.

La Fontaine de même, v. 7 de la fab. VIII du 1. IV :

Jamais idole quel qu'il fût....

M. Boiste lui donne ce genre dans le sens de sot; je ne lui connois pas cette acception.

ILLÉTRÉ. Un homme de peu d'instruction. L'abbé Desfontaines a dit illitéré dans ce sens; mais ce dernier mot n'est pas françois. Il est cependant reçu dans l'usage du barreau, pour une autre acception non moins essentielle que la première, c'est-à-dire pour désigner un homme qui ne connoît pas les lettres. Ce néologisme paroît fort utile.

ILLISIBLE. L'usage a décidé qu'il devoit se dire de ce que l'œil ne pouvoit point lire. Quant à inlisible, il se dit des choses que l'esprit ne peut pas supporter; le premier a rapport à l'écriture; le second au style : un manuscrit illisible, un livre inlisible; et les exemples ne manquent pas.

IMPÉRATIF. Les Grecs et les Latins nommoient le verbe par la première personne. Cela devenoit impossible dans une langue comme la nôtre, au lieu de l'être par une terminaison particulière. L'infinitif, qui est l'expression générale des verbes, y fut judicieusement substitué. Reste à savoir si, dans un Dictionnaire vraiment philosophique, on ne le remplaceroit pas par l'impératif. L'impératif est évidemment la racine du verbe; c'est le premier rapport de l'homme à l'homme, la demande ou le commandement. Aussi est-il souvent monosyllabique dans toutes les langues connues : i, da, dic, duc, fac, fer, vas, viens, prends, lis, sois. Cela se remarque encore plus généralement dans plusieurs langues orientales qui sont certainement plus primitives. Leibnitz avoit la même opinion en ce qui concerne la langue allemande. L'extension de cette application n'a rien qui ne soit naturel.

IMPOSER. Prescrire un impôt, et figurément le respect. Avec le pronom en, mentir ou tromper. Je ne fais cette remarque très-connue, et d'ailleurs non négligée par les lexicographes, que parce qu'elle l'est trop communément dans la conversation et même dans la langue écrite. Un éditeur de La Fontaine lui a reproché ce vers excellent :

Leur apparence impose au vulgaire idolâtre

Monsieur de La Harpe tombe lui-même dans cette faute : Elle en impose d'un coup d'œil à Mustapha, le chef des pirates. (Cours de Litt., t. VI.).

M. Delille enfin la laisse échapper dans son touchant éloge de madame Geoffrin :

Elle rendoit l'essor à la timidité;
En imposoit à la témérité, etc.

Et ce n 'est malheureusement pas le cas de dire :

Que l'auteur à la langue, en dépit du purisme,
Ose faire présent d 'un heureux solécisme.

Il n'y a point de solécisme plus essentiel à éviter que celui qui peut offrir l'apparence d'une équivoque.

IMPUDEUR. Les Latins n'avoient pas impudor nous avions pas besoin d'impudeur. Il est vrai que le défaut de pudeur se multiplie chez nous sous une foule d'aspects qui peuvent exiger une foule de mots; mais les mots ne nous manquent pas. Nous avons effronterie pour l'impudeur des femmes perdues; impudence, pour celle des hommes déshonorés, et audace, pour celle des scélérats. Impudeur est un barbarisme.

IN. Voyelle nasale. Il y a une grande confusion dans l'orthographe de nos voyelles nasales. En se prend pour an, et in pour en. On demande si la voyelle in est françoise, et s'il faut suivre la prononciation un peu raffinée de certains auteurs qui disent in-pétueux, in-patient, et non, ain-patient, ni ain-pétueux. C'est, dit-on, sur une tradition de Corneille, qui étoit Normand; et le bon homme Le Maître-de-Claville, qui étoit Normand aussi, se plaint vivement, quarante ans après Corneille, du mauvais usage de son temps, qui commence à substituer la prononciation actuelle à l'ancienne. Quelle honte pour notre siècle! dit-il; tous les jours j'entends dire aintroïbo : introïbo seroit trop bourgeois pour ces messieurs. Je ne vois pas à cela un grand sujet de honte pour notre siècle; mais notre manière d'exprimer le son par des lettres est si ridiculement vague, que les meilleurs esprits peuvent tomber tous les jours dans des incertitudes de ce genre.

INAMUSABLE. BOISTE. — Néologisme qui n'a que deux autorités, lesquelles me paroissent équivalentes à rien : celle de Dorat et celle de Demoustier. Leurs comédiens ont pu trouver souvent le public inamusable; mais que n'étoient-elles amusantes!

INCESTE. Ce mot n'a peut-être jamais été adjectif que dans ce vers de Voltaire :

Inceste, parricide et pourtant vertueux.

Acte V d'Œdipe

Il faut apprendre aux étrangers que les écrivains que notre langue regarde comme ses principales autorités en ont souvent violé les lois, et dire dans quel cas il l'ont fait; autrement il résultera une confusion inextricable de l'opposition des définitions dans le Dictionnaire, et des acceptions dans les classiques.

INCONDUITE. Jusqu'à la fin du dernier siècle, ce mot n'avoit été employé par aucun bon écrivain. En 1760 il passoit encore pour être un barbarisme. Il a eu depuis l'autorité de trois romans et de quatre Dictionnaires.

La conduite d'un homme peut être bonne ou mauvaise; et conduite pris absolument, ne signifie qu'abusivement ce que nous entendons par bonne conduite, inconduite ne peut signifier le contraire. La modification en bien ou en mal est nécessairement dans l'adjectif.

INCONSTITUTIONNALITÉ. BOISTE. — Et pourquoi pas transsubstantiationnalité qui a l'avantage de faire à lui tout seul un vers de dix syllabes ?

Inconstitutionnalité est un mot de circonstance; ce n'est pas un mot françois.

Ne croiroit-on pas lire la plainte du Chiquanous à qui on avoit morrambouzevezangouzequoquemorguatasacbacguevezinemaffressé l'œil, et qui étoit en outre esperruquancluzelubelouzerirelu du talon?

INCONVENANT. Un de ces mots que l'Académie n'admet point, et que tout le monde croit françois. Comme nous n'avons pas d'adjectif convenant, j'avoue qu'inconvenable vaudroit mieux, et on pourroit l'appuyer au moins de l'autorité de nos écrivains : Je n'oseroye escrire, dit Froissart, les horribles faicts et inconcevables qu'ils faisoyent aux dames.

INCROYABLE, MERVEILLEUSE. M. Boiste ne donne que merveilleux, dans le sens de petit-maître. Il a été beaucoup moins commun que ces deux mots vraiment historiques, et que le lexicographe doit recueillir pour l'éclaircissement des mémoires du temps. On les employoit assez heureusement, en raison de l'abus inconcevable que les gens à la mode faisoient de ces deux adjectifs prodigués sans nécessité, comme toutes les locutions qu'adopte le beau monde. Si les Dictionnaires ne les conservent pas, les ingénieuses caricatures de Vernet

Aux Saumaises futurs préparent des tortures;

et il faut savoir définir un mot quand les arts l'ont consacré.

INÉDIT. On disoit autrefois anecdote, qui avoit le même sens, mais qui ne signifie plus dans l'usage que ces petits récits dont se compose l'esprit de plupart des gens du monde, et qui ne sont souvent rien moins qu'inédits. Inédit est donc devenu nécessaire, surtout pour la commodité des éditeurs, à qui je reprocherois plus volontiers l'abus de la chose que celui du mot.

INFÉLICITÉ. Malheur, disgrace. Il est peu usité. GATTEL, BOISTE. –– Ce n'est ni le malheur ni disgrace; c'est une négation qui n'a point d'extrêmes, et voilà pourquoi elle est très-peu usitée; car il n'y a personne qui se croie heureux ou malheureux à demi.

INFICIER. Nier, contredire. On étonnera beaucoup de lecteurs en leur apprenant que ce verbe n'est pas françois.

INFIME. "Marmontel regrette que l'usage ait privé la langue françoise de l'adjectif infime, et propose comme exemple de l'emploi qu'on en pourroit faire, la phrase suivante : d'élever un homme dans un instant du rang infime au rang suprême, ce n'est qu'un jeu pour la fortune. "

POUGENS.

On auroit pu trouver moyen de faire beaucoup d'autre applications de ce mot dans les Œuvres de Marmontel.

INFUSOIRES. On ne peut se dispenser d'admettre ce mot dans le Dictionnaire, puisqu'il désigne maintenant une grande classe d'animaux. Il faut de nouveaux mots pour de nouveaux êtres, pour de nouvelles idées; et les langues s'enrichissent nécessairement avec les sciences.

INGÉNUITÉ. C'est ce que Vauvenargues définit sincérité innocente; et on demande à Vauvenargues ce que c'est qu'une sincérité qui n'est pas innocente. Il n'y a rien de plus facile que de disputer sur les mots; mais c'est ce qui n'arriveroit pas si l'on s'entendoit sur ses définitions.

On nomme ingénuité, en argot de comédien, le rôle d'une jeune fille innocente et simple comme il y en a encore beaucoup dans les comédies. Les excellentes ingénuités sont rares au théâtre, et les véritables ingénues ne sont pas communes dans le monde.

INHABILETÉ. Monsieur de La Harpe dit inhabilité : c'est un latinisme, à la vérité; mais c'est un barbarisme en françois.

Ce mot est reçu au barreau. — C'est une raison de plus pour que ce mot soit un barbarisme.

INHONORÉ. O Dogeron, ta cendre inhonorée repose dans quelque endroit peut-être inconnu de Saint-Domingue ou de la Tortue. RAYNAL. —

Les vents ont dispersé ta cendre inhonorée.

ESMÉNARD.

Il est certain que ce mot exprime une autre idée que déshonoré, celle d'une cendre injustement privée d'honneurs; mais, s'il avoit des mots pour toutes les nuances de la pensée, il n'y auroit plus de poésie; toutes les langues seroient réduites à un positif absolu et mathématique, qui interdiroit toutes ressources à l'imagination, tout développement à la pensée. Ce perfectionnement est sans doute fort desirable dans la langue usuelle, où il est bon de tout dire exactement; mais il tueroit la langue poétique par excellence est celle qui a le moins de mots contre une idée, et qui ne peut exprimer de nouvelles idées que par des figures.

INIGISTE. Jésuite. (vieux.) BOISTE. — Pas plus que l'institution, qui étoit assez nouvelle, relativement à notre langue, et qui n'a point envie de mourir.

INIMITIÉ. Haine ouverte et durable, malveillance, aversion. BOISTE. — La haine ouverte s'appelle aversion; la haine durable s'appelle rancune. La malveillance est un effet de la rancune ou de l'aversion. L'inimitié est un sentiment presque négatif, qui peut n'être ni ouvert (et alors il s'appelle perfidie), ni durable(et alors il s'appelle brouillerie), ni malveillant (et alors c'est le juste mécontentement d'un homme offensé mais généreux).

INSECTE. Petit animal dont le corps est composé d'anneaux ou de segments. BOISTE. — Les crustacés ont le corps composé d'anneaux ou de segments, et ne sont pas de tous petits animaux. Il en est de même des aranéïdes; et l'araignée aviculaire n'est pas un petit animal.

Les insectes sont des animaux invertébrés, sans vaisseaux, qui ont des membres, des nerfs, et le corps articulé.

INSECTIER. On est convenu généralement de ce mot pour désigner le meuble qui renferme une collection d'insectes. On le lit déjà dans la Flore des insectophiles de Jacques Brez, 1791. Il est vrai qu'insectophile ne se trouve pas plus dans les Dictionnaires qu'insectier, et qu'il n'est pas bien sûr qu'ils doivent s'y trouver l'un et l'autre; mais alors, et ne l'oublions pas, il faut nécessairement des Dictionnaires spéciaux; et, pour leur composition, il faut des sociétés spéciales; car on doute qu'une société particulière sache tout.

Remarquons au reste en passant, qu'insectologie et insectophile sont mal construits, comme tous les mots composés, dont les éléments sont empruntés de deux langues : c'est entomologie, et par conséquent c'est entomophile qu'il faut dire.

INTENABLE. En parlant d'un poste, d'une place, d'une position, surtout dans l'usage de la guerre. Mot très-utile, d'un emploi très-fréquent, et auquel il faut suppléer par une périphrase qui n'est pas plus correcte ou qui est moins expressive. Il vaut mieux le recevoir.

INTERFOLIÉ. Se dit d'un livre où les feuilles d'impression ont été séparées à la reliure par des feuillets blancs, pour l'usage des gens de lettres, qui lisent la plume à la main. Les Anglois disent interleaved, qui est dans leur Dictionnaire.

Les premiers typographes, qui étoient éminemment lettrés, et imprimoient pour les savants, avoient pourvu à ce besoin par différents artifices, soit en laissant en blanc un des côtés du feuillet, comme dans les Parodiœ morales d'Henri Estienne; soit en tirant les livres usuels sur très grand papier, comme les Institutiones Justinianœ des Gaesbeck; soit en interlignant outre mesure, comme dans la plupart des éditions princeps, et des livres à l'usage des classes.

Omis.

INVAINCU. "Ce mot, dit Voltaire, n'a été employé que par Corneille. "—

Excepté Saint-Amant :

Ces fameux biberons à tauper invaincus.

La Fresnaye Vauquelin, en parlant d'Achille :

Fais-le brusque et hautain, actif et convoiteux,
Ardent, impitoyable, invaincu, dépiteux.

Ronsard :

Assemblez sur mon corps la France et l'Italie,
Et toutes ces cités qui subirent les coups
De ma dextre invaincue, et m'enterrez dessous, etc.

Corneille a dit :

Ton bras est invaincu, mais non invincible.....

Ce bonheur a suivi leur courage invaincu.....

On espère trouver cette belle expression dans les futurs Dictionnaires de notre langue. "Elle signifie autre chose qu'indompté, dit judicieusement Voltaire. Un pays est indompté, un guerrier est invaincu. "

Il y a une petite autorité qui prévaut parmi les puristes sur celle de Corneille et de Voltaire. C'est celle d'un Dictionnaire d'orthographe, où il est dit qu'invaincu est un barbarisme; mais l'autorité d'un Dictionnaire n'est pas invincible.

INVESTIGATION. Ce mot n'étoit que de Montaigne; il ne fut recueilli que par Furetière, et conservé que dans l'excellent Dictionnaire de Trévoux. J. J. Rousseau prit la liberté de l'exhumer de ce livre anathème, et les grammairiens à la suite le lui reprochèrent si amèrement, qu'il se crut obligé à exprimer sa justification dans ces paroles mémorables et modestes. "Je puis répondre, dit-il, que, quand j'ai hasardé le mot investigation, j'ai voulu rendre un service à la langue, en essayant d'y introduire un terme doux, harmonieux, dont le sens est déjà connu, et qui n'a point de synonyme en françois. "

A parler sincèrement, investigation n'est pas fort doux, il n'est pas harmonieux, et, qui pis est, il n'est pas composé dans ses analogies françoises; car, investiguer nous manquant, et vestige étant le seul mot de sa famille qui le rappelle, il faudroit dire investigiation, pour se faire comprendre, comme l'on dit prodigieux et prestigieux. Je ne ferois pas cette observation sur un mot populaire, parce que les caprices du langage populaire deviennent essentiellement, et sans aucun motif raisonné, des usages et des lois; mais il seroit à souhaiter que les gens de lettres et les savants fissent bien les mots, quand ils ont besoin d'en faire.

IRÉ.

La gentille alouette avec son titre lire
Tire l'ire à l'iré, etc.

Ce mot n'est pas un de ceux auxquels M. Boiste attache la note de vieillesse, et on peut douter cependant qu'il ait été employé depuis Du Bartas. Je ne vois pas toutefois qu'il ait été remplacé chez nous, puisque coléré n'est pas françois.

IVRAIE, IVROIE. ACADÉMIE. — D'aborior, aborium, parce que l'ivraie ou ivroie empêche le développement des céréales parmi lesquelles elle se trouve semée, et fait avorter l'espérance du laboureur. L'étymologie a disparu dans l'orthographe italianisée de Voltaire, qui nous a fait perdre aussi la vraie prononciation du mot, comme elle nous fera perdre partout la belle diphtongue oi (oa) qui est une des plus heureuse combinaisons de sons que la langue ait prêtées à la mélopée et à la musique. Il y a plus : je suis parfaitement convaincu que c'est la poésie chantée qui nous l'a conservée jusqu'ici, et que nous prononcerions craire, victaire et glaire, comme ce comédien de province, fameux dans les almanachs, si les traditions de l'opéra-comique n'avoient pas défendu notre prononciation contre le vandalisme des grammairiens à la suite, et des orthographiers patentés.

IZESCHNÉ. s. m. Ouvrage de Zoroastre en soixante-douze chapitres. BOISTE. On ne s'attendoit guère à voir Zoroastre en cette affaire, et on ne sauroit s'imaginer combien il y d'honnêtes gens qui croient savoir un peu de françois, et qui ne sont avisés de leur vie qu'Izeschné, ouvrage de Zoroastre en soixante-douze chapitres, fût un substantif masculin.