P

P. substantif.

1° Lettre numérale qui signifioit 1000, et barrée (P) 400, 000.

2° Lettre musicale qui signifie Piano.

3° Lettre commerciale qui signifie Protesté.

4° Expression abrégée du mot Père, en parlant d’un moine.

Acceptions omises.

PAÎTRE. On l’a pris en sens différents : pour l’action de paître, proprement dite; et pour celle de conduire les troupeaux qui paissent. Cette dernière acception n’est pas françoise, mais elle est conforme à l’expression antique et naïve des premières langues, où l’on retrouve cette identité, comme dans le patois des habitants presque nomades de nos grandes montagnes. On ne sauroit donc blâmer M. Duval d’avoir dit :

Dans Sichem aux gras pâturages
Nous paissions de nombreux troupeaux.

C’est le terme propre de la Bible, et ses nombreux traducteurs l’ont presque toujours conservé. Il y a quelques années qu’un jeune auteur très-obscur, ayant employé un passage de la Bible, copié par excellente traduction de Le Gros, où cette hardiesse se trouvoit, fut accusé de barbarisme. Le barbarisme est de Le Gros, mais il n’est pas si barbare.

Delille, fidèle à ces belles traditions d’une langue naïve que nos puristes ont décolorée, n’en disoit pas moins :

Précieuse faveur du Dieu puissant des ondes,
Dont il paît les troupeaux dans les grottes profondes.

Et le sévère Domergue :

Enfants, paissez vos bœufs, et sillonnez vos plaines.

PALIMPSESTE. Tablette dont on pouvoit effacer l’écriture. BOISTE. –– Il ne falloit pour cela que suivre le précepte d’Horace : Stylum vertas. Cette expression est plus générale : on l’emploie aussi en parlant des manuscrits sur parchemin ou sur papier dont on a fait disparoître l’écriture, pour la remplacer par d’autres ouvrages, et c’est à l’heureuse découverte de cet artifice, et du procédé qui fait revivre l’écriture ancienne, que nous devons la publication de beaucoup d’excellents écrits que l’on croyoit perdus.

PANIQUE (TERREUR). Frayeur subite et sans fondement, ainsi nommée, selon Pausanias, parce qu’on la croit excitée par le dieu Pan. Cela est vrai dans le sens où Pan signifie tout. Un homme frappé de terreur panique, est un homme qui a peur de tout, et Pausanias qui écrivoit en grec nous prouve ici qu’une étymologie naturelle n’est pas chose si facile à trouver.

PANORAMA. Mot nouveau, devenu nécessaire pour un art nouveau et une industrie nouvelle.

Il est reçu maintenant de dire, une vue panoramique. Il faudroit dire, pour se conformer aux règles de l’étymologie, une vue panoramatique s’il y avoit lieu à se servir de cette expression.

PAPA. Ce mot et beaucoup d’autres appartiennent à la série des premières articulations de l’enfance. Ils ne sont d’abord qu’une émission vague, incertaine, sans objet, qu’on nous accoutume peu à peu à faire l’expression d’une idée, d’abord bien vague et bien mal précisée elle-même. Il y a long-temps que les enfants prononcent papa et maman avant d’avoir lié l’idée de ces articulations à celle de deux personnes déterminées; et ce n’est que bien long-temps après qu’ils commencent à se rendre un compte passablement clair des rapports de leurs parents avec eux. Je ne pense pas que personne conteste cette hypothèse, ou plutôt cette démonstration; et, comme ce qui est vrai pour une idée l’est nécessairement pour toutes les autres, il est évident que l’intelligence humaine va toujours du mot à l’idée et non pas de l’idée au mot.

J’ai le bonheur de pouvoir lire dans une lettre de M. de Bonald cet axiome spécieux, mais dont j’ose révoquer la vérité en doute : L’homme a pensé sa parole avant de parler sa pensée.

Ce qu’il y a de certain, c’est que les animaux et les enfants, qui n’en diffèrent guère en apparence, font usage de voix et d’articulations très-indépendantes de l’exercice de la pensée; et que, dans ce qui nous concerne, ces articulations et ces voix sont devenues des signes d’idées, quoique tout le monde reconnoisse très-bien qu’elles n’en représentent point.

PAPIMANE, PAPIMANIE. BOISTE. –– Le lexicographe s’appuie de l’autorité de La Fontaine pour ces deux mots plaisamment inventés, mais qu’il falloit rapporter à Rabelais, leur créateur. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’ils n’aient pas rappelé à l’écrivain qui les recueilloit le nom du malheureux pays de Papefiguière, qui avoit les mêmes droits à être rangé à sa lettrine. C’est ainsi que le verbe pantagruéliser, qu’on lit un peu plus haut, fait regretter l’oubli du nom comique de pantagruélion, que le même auteur a donné au chanvre, et qui ne mériteroit pas moins d’être conservé dans les Dictionnaires, ne rappelât-il au lecteur que la meilleure monographie de botanique qui ait jamais été écrite.

PARALLAXE. s. f. Boileau l’a cru masculin :

Que l’astrolabe en main un autre aille chercher
Si le soleil est fixe ou tourne sur son axe,
Si Saturne à nos eux peut faire un parallaxe.

Il devoit cependant être préservé de cette erreur par l’étymologie qui a été d’accord cette fois avec l’esprit de notre langue, où les mots de cette terminaison sont ordinairement féminins.

PAROISSIEN. Autrefois parochien, de parochianus, composé lui-même de et d’, et qui équivaut à cohabitant. Il se disoit relativement aux habitants d’une paroisse entre eux, comme dans l’histoire du bûcheron de Rabelais, qui s’en alla prélassant par le pays, faisant bonne troigne parmi ses parochiens et voisins. Il se dit maintenant relativement au chef de la paroisse seulement, qui appelle ses paroissiens les habitants de la paroisse à laquelle il préside, et dont il est le curé, non pas de , souverain, maître absolu, mais du latin cura, parce qu’il en a le soin. Au reste, il y a quelque chose de très-philosophique dans l’extension de cette racine, qui a exprimé en même temps la pleine puissance et les pénibles soucis. Ces idées sont aussi voisine dans l’ordre moral que dans l’ordre alphabétique.

PARTANT. C’est un terme de pratique, selon M. Boiste. Dans ce vers :

Plus d’amour, partant plus de joie,

Ce n’est pas un terme de pratique, ou je me trompe fort.

PARTIE. Les dictionnaires ne manqueront pas de nous dire, parmi les différentes acceptions de ce mot, qu’il est d’usage au barreau dans le sens d’adversaire. On ajoutera au besoin qu’il n’est ni poétique, ni élégant dans cet emploi, et l’on aura une apparence de raison. Voici l’usage qu’en a fait Corneille :

Il semble que de Dieu la main appesantie,
Se faisant du tyran l’effroyable partie,
Veuille avancer par là son juste châtiment.

N’entreprenons pas de déterminer ce qui est propre ou non à la poésie. Il n’y a rien que le génie ne puisse élever à sa hauteur.

PARVULISSIME. C’est un barbarisme de Voltaire et de d’Alembert, en parlant d’une petite république. Parvus n’avoit pas un superlatif de cette racine.

Mais tous les mots qui échappent à un homme de beaucoup d’esprit, dans une conversation très-libre ou dans une correspondance très-amicale, qu’on peut fort bien considérer comme une simple conversation, sont-ils nécessairement françois ? ma foi non!

PAS, POINT. Ces mots sont très-mal qualifiés adverbes ou particules négatives, et très-mal rapportés au sens de non et de nullement. Ce sont de vrais substantifs adverbiformes, qui ne sont pas négatifs par eux-mêmes, mais seulement par la comparaison qu’ils établissent, et qui, dans pas et point, sont relatifs aux distances, comme dans grain, goutte et mie, aux dimensions et aux poids, et dans note, à la durée des sons. Ces quatre expressions, exclues du style soutenu, se sont réfugiées dans le langage le plus familier; mais il est impossible de constater leur identité d’application avec les mots cités en tête de cet article.

Il résulte de cette observation très-commune, mais trop négligée, une question qui intéresse le technisme de la versification. Les prétendus adverbes pas et point, étant faits des substantifs homonymes, peuvent-ils rimer avec eux, comme dans les vers de Benserade ?

Chevaux ailés ne se rencontrent pas
A point nommé comme chevaux de pas.

Il me semble que cela passe un peu les licences de la poésie.

PATEMMENT. D’une manière publique, certaine, patente. Burlesque. BOISTE. –– Et pourquoi burlesque ? ce mot est fort usité au barreau, où, parmi quelques archaïsmes et quelques néologismes burlesques, on emploie fort à propos des expressions que nous avons fort mal à propos dédaignées. Celle-ci est de ce nombre : elle est utile, exacte, parfaitement construite de l’adverbe latin. Elle est excellente.

PATIENCE.

On voit aller des patiences
Plus loin que la sienne n’alla.

BENSERADE.

Corneille a une foule de ces pluriels inusités.

"Nous estimons, dit M. François de Neufchâteau, que son exemple autorise à les employer, quand l’occasion s’en présente, sans avoir égard au scrupule des puristes modernes."

On est tombé depuis quelque temps dans un excès tout-à-fait opposé à celui des écrivains méticuleux qui repoussoient obstinément ces pluriels si propres à ajouter à la pompe du discours. Les prosateurs de ce temps-ci ont pluralisé tous les substantifs trop vulgaires, dans l’intention de leur donner un air de nouveauté. Le goût seul peut marquer une juste limite entre la parcimonieuse timidité des premiers, et la profusion indiscrète des seconds.

PATIENCE. Plante. –– Singulier exemple d’apocope. Cette plante s’appelle en latin lapathum ou lapathium, francisé et prononcé lapassion, selon l’usage antique, la première syllabe a fini par se confondre avec l’article, et conséquemment par disparoître de la construction. Lapathum venoit de , et celui-ci de , qui exprime l’action des herbes émollientes. Dans le mot françois, où il n’y a plus d’étymologie reconnoissable, il se trouve au contraire une analogie équivoque.

PATOIS. Je ne demande pas si ce mot tire son origine a patria ou a potavinitate. Je demande si le Dictionnaire concordant des patois d’une langue ne seroit pas un des plus beaux monuments qu’on pût élever à la lexicologie. Je connois tel de ces singuliers idiomes qui fourniroit à l’explorateur habile plus de curiosités et de richesses que cinquante de nos glossaires.

PAYEN. C’est une singulière chose que l’étymologie naturelle et historique des mots paganisme et payen, dont l’équivalent fut introduit pour la première fois sous Théodose-le-Jeune. Paganus, incola pagi. C’est dans les villages que l’instruction arrive le plus tard, et les villages furent les derniers imbus des superstitions payennes. Quand une croyance s’est étendue, son nom s’approprie à la nation entière, les Gentils. Quand elle se retire devant la raison et la vérité, on croit lui faire trop d’honneur en la laissant aux paysans.

PÉDANT. Ce mot désigne étymologiquement l’homme qui est chargé de l’éducation de la jeunesse. Voyez ce que cette belle acception est devenue, et avec quelle invincible puissance l’usage des langues modifie la valeur des mots selon l’essence des choses!

PÉDOTROPHIE. Ce mot a deux acceptions dans le Dictionnaire de M. Boiste, et n’en a aucune dans la langue françoise à laquelle il est fort étranger. Si pourtant on veut l’employer dans l’un et l’autre sens, ce ne peut être avec une orthographe uniforme. Il faut écrire pédotrophie, de , pour l’art des engrais, et pœdotrophie ou paidotrophie, de , pour l’art d’allaiter les enfants. Si l’on doit des égards à l’étymologie, c’est surtout quand il s’agit de l’orthographe des homonymes. Scévole de Sainte-Marthe a fait un poème intitulé Pœdotrophia; mais pœdotrophie n’est pas plus françois que callipédie et mégalanthropogénésie. Le grec est une langue fort commode pour les fabricateurs de mots composés; mais notre Dictionnaire n’est pas obligé de se charger de tout cela.

PÉJORATIF, ve. Omis. ─ On nomme ainsi une expression, et particulièrement une terminaison qui ravale le sens.

Il n’y a pas un mot françois sous la lettrine pej; et on ne sait pourquoi péjoratif n’y est point. Cela vient peut-être de la vieille erreur qu’il n’y a point de péjoratif en françois.

Nous avons pris aux Italiens leur péjoratif en accio, et nous l’employons à tout moment. Dans bravache, dans villasse ou villace, la dernière syllabe est péjorative.

Il en est de même de nos diminutifs en otte, et d’une foule d’autres; ce qui prouve qu’il y a beaucoup de péjoratifs françois, quoique péjoratif ne le soit pas.

PÉLICAN. Oiseau aquatique qui retire de son estomac, avec son bec, les aliments qu’il a pris pour en nourrir ses petits. GATTEL. ─ Nous avons vu des gens bien embarrassés de s’expliquer comment un oiseau pouvoit tirer quelque chose de son estomac avec son bec. C’est d’un sac membraneux et extensible placé au-dessous de son bec, qu’il rejette le produit de sa pêche, et non pas les aliments qu’il a pris; car il ne se nourrit pas plus en déposant le poisson dans cette poche, qu’un chasseur en mettant le gibier dans sa carnassière.

PÉNÉTRER.

Seigneur, dans ton temple adorable
Quel mortel est digne d’entrer ?
Qui pourra, grand Dieu, pénétrer
Ce sanctuaire impénétrable ?

J.-B. Rousseau.

Je cite cet exemple comme une exception, et non pas comme une règle. Pénétrer demande une préposition qui le suive quand il a pour régime un substantif de lieu. La grammaire exige ici, pénétrer dans ce sanctuaire.

PÉRENNITÉ. Un de ces mots qui sont étonnés de n’être pas françois. Il n’est pas synonyme d’éternité, qui se dit relativement à Dieu et au temps; il se dit des objets naturels, des choses, des institutions. L’éternité est absolue, parce qu’elle est propre à des êtres immortels. La pérennité est relative, parce qu’elle est mesurée sur les calculs de l’homme, et sur la durée du monde. M. Boiste, qui admet pérennité dans son petit Supplément, définit la pérennité, longue durée de fonctions. Pérennité signifie mieux que cela; il signifie perpétuité, continuité non interrompue, et il se dit d’autres choses que des fonctions. En France, on ne pourroit l’appliquer qu’à la royauté et à la pairie, dans cette acception spéciale; mais les autres ne manquent pas. Dieu nous délivre de la pérennité des mauvaises routines!

PERFIDE. Corneille a dit dans Héraclius, perfide généreux, et je ne répondrois pas que cette alliance de mots n’eût pas été admirée. Il n’y a cependant rien de plus vague, et par conséquent de plus condamnable que l’union de deux attributs entre lesquels l’esprit ne peut déterminer distinctement le sujet. Comme on dit encore un perfide, et un cruel, surtout dans les boudoirs, on croiroit volontiers que c’est généreux qui est l’adjectif dans le premier exemple cité, aussi bien que dans celui-ci :

Ces cruels généreux n’y veulent consentir…..

Mais Corneille répond à cette hypothèse dans un autre passage qui ne présente aucune équivoque :

Et peu de généreux vont jusqu’à dédaigner,
Après un sceptre acquis, la douceur de régner…..

Brébeuf trouva cette expression si belle, dit M. François de Neufchâteau, qu’il la répéta dans la Pharsale :

Ces cruels généreux font voir ce que la guerre a de plus rigoureux.

Voltaire au contraire paroît tenté de la blâmer, et déclare qu'il ne s'en serviroit point. Là-dessus, M. François de Neufchâteau multiplie les exemples d'adjectifs accouplés qui se lisent dans Racine, dans Boileau, et dans Voltaire lui-même, et qui pourroient se multiplier encore, car on en trouve partout. La solution de la question est dans un seul mot. Il y a beaucoup de substantifs qui sont aussi adjectifs. Ainsi Racine a très-bien dit :

Othon, Sénécion, jeunes voluptueux,
Et de tous vos plaisirs flatteurs respectueux.

Parce que l'on dit un flatteur, qu'on ne dit pas un respectueux, et qu'il n'y a par conséquent aucune équivoque possible sur le substantif. Boileau a très-bien dit :

Sans sortir de leurs lits plus doux que leur hermines,
Ces pieux fainéants faisoient chanter matines.

Parce que l'on dit un fainéant, qu'on ne dit pas un pieux, et qu'il n'y a par conséquent aucune équivoque possible sur le substantif. Voltaire a très-bien dit :

L'amitié que les rois, ces illustres ingrats,
Sont assez malheureux pour ne connoître pas.

Parce que l'on dit un ingrat, qu'on ne dit pas un illustre, et qu'il n'y a par conséquent aucune équivoque possible sur le substantif. Il est bien probable que Corneille même n'est tombé dans l'alliance d'adjectifs que Voltaire lui reproche, que parce qu'il étoit déjà d'usage de son temps de dire un perfide, et un cruel, et que cette habitude reçue ne laissoit que fort peu d'ambiguité dans l’expression; mais je ne crois pas qu'il seroit avisé d'accoler deux adjectifs qui n'auroient été ni l'un ni l'autre susceptibles de s'employer substantivement. Ainsi je doute qu'il se fût permis d'écrire : ces généreux sanguinaires, ou Boileau, ces pieux inactifs, parce qu'on ne dit pas un généreux, ni un sanguinaire, ni un pieux, ni un inactif. Voilà, suivant moi, toute la difficulté.

PÉRIPÉTIE. Changement inopiné d'une fortune bonne ou mauvaise en une toute contraire. Il se dit surtout du dernier évènement d'une pièce de théâtre, d'un poème épique, d'un roman. GATTEL. — Il ne se dit même jamais que dans ce sens; et, dans un Dictionnaire bien fait, le sens propre doit précédé le sens figuré.

PERMESSE. La demeure des Muses. ACADÉMIE, RESTAUT, BOISTE. — Le Permesse est une rivière qui arrose la demeure des Muses, et qui leur est consacré; mais une rivière ne peut se qualifier de demeure que par rapport aux nymphes et surtout aux poissons.

Un poète vivant a écrit :

Dans les sentiers étroits du raboteux Permesse.

Celui-là en a fait une montagne et ce sont les Dictionnaires qui l'ont trompé. Les lexicographes ne sauroient avoir trop d'égard pour les poètes qui ne connoissent pas la mythologie.

PHAÉTON. On a oublié parmi les significations de ce mot, celle dans laquelle il est permis pour cocher ou conducteur de voiture, d'une manière très-noblement ironique :

Le phaéton d'une voiture à foin, etc.

La Fontaine.

PHARMACIEN. Clystère est depuis longtemps passé de mode; lavement, qui lui a succédé, n'étoit déjà plus honnête du temps de l'abbé de Saint-cyran, qui le reprochoit au père Garasse. Le père Garasse répondit que par lavement, il n'entendoit pas autre chose que gargarisme, et que ce n'étoit pas sa faute si les apothicaires avoient profané ce mot à un usage messéant. On ne dit plus que remède, qui est équivoque, mais qui est décent. Voilà de merveilleux amendements au langage.

Apothicaire n’est pas plus tolérable maintenant que lavement : on dit pharmacien, qui est grec comme apothicaire; et qui sera remplacé avant quelques années par un autre mot grec à peu près équivalent, pour le grand bien du Dictionnaire et de la politesse françoise.

PHILOSOPHE, PHILOSOPHIE. La postérité sera bien embarrassée sur la véritable acception de ces deux mots, si toutefois il lui arrive de lire ce qu'on imprime chez nous depuis trente ans.

Étymologiquement, un philosophe est l'ami de la sagesse.

En définition, selon d'Albancourt, c'est un homme maître de ses passions; selon Dumarsais, un apôtre de la vérité, selon Montaigne, un sage qui se prépare à la mort; selon d'Alembert, un être raisonnable qui applique son intelligence aux objets qu'elle peut embrasser; selon Huet, La Harpe, et quelques autres, celui qui étudie la sagesse; selon Marmontel, Pompignan, Thomas, celui qui pratique et qui l'enseigne; selon Houteville, qui n'entend ou du moins ne désigne qu'un homme simplement judicieux, celui dont l'exacte raison rapporte chaque idée à des principes clairs; selon Pascal, dont la définition plus droite est tirée des principes de la philosophie la plus ancienne, celui dont la vie est naturelle et paisible. Puissent les amis de la sagesse s'en tenir là.

PHISETER. Macrocephalus, poisson énorme qui donne l'ambre gris. RESTAUT, BOISTE. — Il falloit écrire phisether, de deux mots grecs qui signifient à peu près souffleur, nom équivalent de cet animal.

Il n'est pas sûr que le physeter s'appelle exclusivement macrocephalus; il est moins sûr que ce poisson énorme soit un poisson, car ce seroit certainement un cétacée; mais ce qui est parfaitement sûr, c'est que Pantagruel tua un monstrueux physeter auprès de l'île farouche.

PHLOGISTIQUE. Partie des corps susceptible de s'enflammer. ACADÉMIE. — C'est le carbone, ou toute autre chose, et non pas le phlogistique.

Feu primitif, élémentaire. BOISTE. — Qu'est-ce que du feu primitif?

Matière inflammable. BOISTE. — Presque tous les substantifs du Dictionnaire sont dans le même cas.

Calorique. BOISTE. — Le calorique n'a rien de commun avec le phologistique. Le phologistique est un mot de système, un mot de théorie qui n'est plus françois, parce qu'il appartenoit à une théorie, à un système détruit.

PHLYTÈNES. Subst. masc. plur. BOISTE. — Il est aussi singulier, et qui plus est féminin, au moins suivant l'analogie étymologique.

Maladie cutanée. WAILLY. — La phlyctène n'est pas une maladie cutanée; c'est le symptôme d'une affection cutanée, une pellicule fine et transparente comme celles qui s'élèvent sur les brûlures, et c'est aussi le nom de cette pellicule elle-même.

PHYSICIEN. Tout le monde sait qu'en anglois médecin se dit physician. On sait moins généralement que physicien a été françois en cette acception, comme dans ce passage de la farce de Pathelin :

Les physiciens m'ont tué,
De ces broutilles qu'ils m'ont faict boire;
Et toutefois il les faut croire;
Ils en ouvrent comme de cire.

PHYSIOGNOMONIE. Signe, indication du naturel. Nous avons contracté ce mot, très-bien composé, mais sans le perdre, en celui de physionomie, qui pouvoit être également bien construit du grec : loi, règle, tirée des traits du visage : ce dernier nom convient à la physionomie considérée comme science. Il est mal appliqué à la physionomie considérée comme aspect général de l'homme, le second élément de composition n'ayant aucun rapport à ce sens particulier. Les Grecs disoient le physique, qui ne s'emploie plus en françois que dans le mauvais langage des comédiens su peuple.

M. Boiste n’a pas rebuté le mot singulièrement ridicule de physionotrace, instrument peut réduire et graver les dessins des portraits; mais, fort embarrassé de l'étymologie, il l'a supposé formé de , nature, , âne, et du françois tracer; littéralement, instrument propre à tracer la ressemblance des ânes : cela n'est pas si exclusif qu'on puisse attribuer cette intention à l'inventeur.

Maintenant un histrion, qui grimace quelques figures connues, s'intitule physionomane, amateur passionné des têtes d'âne. Physiomanie prendra-t-il place dans le Dictionnaire où cet art honteux s'appelleroit physiopée, s'il pouvoit devenir le sujet d'un article dans l'inventaire des richesses de la langue? c'est ce que je ne sais pas; mais ce qu'il y a de certain, c'est que la multitude des inventions renouvelées des Grecs, par des charlatans qui ne sont pas des Grecs en tout point, a surchargé cette partie du vocabulaire usuel d'une foule de platitudes qui révoltent quiconque a reçu les premiers éléments de l'éducation classique, et j'ai voulu en donner un exemple.

PHYSIONOMIE. La génération des mots populaires fournit d'excellentes autorités à l'étude de l'étymologie, car c'est le peuple qui a fait les langues. J'en suis bien fâché pour les Académies. Voici un mot qui a subi d'étranges révolutions, dans lesquelles je ne fais que suivre le vieux Trippault, qui écrivoit avant 1580. De , et ensuite, physionomie, phlomie, phylolomie, phylonomie, phylosomie, et phylosonomie. "Autrefois, dit notre auteur, phlymouse, phrymouse, phyrymeuse, phryllelimeuse et phryllelimouse. Et, qui pis est, se trouvent aucuns qui estiment mieux parler en disants "phelomnie et phlebotomie" Henri Estienne s'amuse aux dépens de ces pindariseurs ridicules, dans ses Dialogues du langage françois italianizé. Mais n'est-il pas curieux que la dernière classe de la société ait conservé la plus ancienne versions de ce mot tout grec, et que ce soit précisément parmi celles qui étoient le plus naturellement tournées à l'air et à l'esprit de notre langue? Le bas peuple dit encore frimousse pour physionomie, expression et caractère du visage. Il appelle frime une grimace, une physionomie trompeuse et affectée. J'oserois à peine hasarder cette étymologie si Trippault n'en avoit pas conservé les intermédiaires, et je craindrois bien plus encore d'en tirer la conséquence naturelle, si ce métier de lexicographe, que je fais par aventure, ne m'en prescrivoit pas le devoir. De ces trois mots physionomie, frimousse et frime, il n'y en a que deux de françois, les deux derniers; l'autre est grec.

PICROCHOLE. C'est l'orthographe de M. Boiste, et c'est la bonne, contre l'autorité de la plupart des éditeurs de Rabelais, et de ceux de La Fontaine à la fable de la Laitière. Mais ce n'est pas un mot françois, c'est un mot factice, qui n'est d'aucune langue, et qui ne doit trouver place dans aucun ordre alphabétique, si ce n'est dans l'index de Gargantua.

PIMÉLIE. s. m. BOISTE. — Substantif féminin. Espèce de ténébrion. BOISTE. — analogue et non congénère.

PINDARISER. Si cette expression pouvoit être françoise, ce ne seroit pas dans le sens que lui donne le peuple; elle ne conviendroit qu'à ces petits illustres

Qui traduisant Sénèque en madrigaux
Et rebattant des sons toujours égaux,
Fous de sang-froid s'écrioient : Je m'égare;
Pardon, messieurs, j'imite trop Pindare;
Et supplioient le lecteur morfondu
De faire grace à leur feu prétendu.

Mais elle n'est pas bonne dans aucune acceptation, l'adjectif pindarique ne pouvant faire un infinitif en iser, malgré une fort jolie épigramme de Chénier, et des exemples fort mal appliqués.

PINEAU. Il arrive souvent aux personnages de Rabelais d'avaler d'horribles traits de vin pineau. Le plant qui produit ce vin, et qui est assez estimé porte un raisin très-noir, à grains petits et forts serrés, qui composent une grappe conique autour de laquelle ils sont disposés comme les écailles de la pomme de pin : c’est de cette analogie que vient son nom. La même affinité se retrouve dans l’argot, où un certain vin se dit pivois, à cause de la ressemblance de son raisin avec la pive, nom patois du fruit appelé si improprement pomme de pin. Le mot pive, qui seroit bien à préférer à l’autre, n’est point dans les Dictionnaires.

PIPEAU. s. m. LES DICTIONNAIRES. — Pris comme nom d'un instrument, ce mot s'emploie toujours au pluriel.

Il prend au contraire le singulier dans sa seconde acceptation, où M. Boiste le pluraliste et le définit par gluaux.

Le pipeau de la chasse n'est point un gluau : c'est un petit bâton fendu par le bout et armé d'une feuille dans laquelle on siffle pour contrefaire le pipiement des oiseaux.

PLAGIAULE. Flûte des anciens, à bout recourbé. BOISTE. — Ce que l'on conclut de l'opinion de Servius sur ce vers de Virgile, AEn., lib. II, 737.

Aut ibi curva choros indixit tibia Bacchi.

Mais cette opinion est peut-être fondée sur une mauvaise étymologie, plagio ayant signifié obliquus et transversus, expressions qui pouvoient se rapporter à la manière de jouer de l'instrument tout aussi bien qu'à sa forme, témoin notre flûte traversière, qui n'a pas le bout recourbé. Au reste, on est assez d'accord pour identifier le plagiaule avec la photinge et la lotine que M. Boiste oublie toutes deux.

PLAINDRE. v. actif. — Et neutre.

J'ai beau plaindre et beau soupirer....
Aimant mieux plaindre par coutume
Que vous consoler par raison.

PLAISANT, e. Le verbe plaire est très-loin de son participe. Il n'y a rien de moins plaisant qu'une belle tragédie qui plaît à tout le monde; et il n'y a rien qui plaise moins généralement que la plupart de nos plaisants. C'est une déviation de sens fort singulière et fort irréparable, mais qui remonte pas au-delà des plus temps de notre littérature. Il n'y avoit pas encore d'équivoque dans ces vers de Racan si souvent cités :

Agréables déserts, séjour de l'innocence,
Où, loin des vanités de la magnificence,
Commence mon repos et finit mon tourment,
Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude
Soyez-le désormais de mon contentement!

PLÉBÉ, e. Réduit à l'usage du peuple.

Locutions plébées. MALHERBE.

Omis.

PLECTRUM. Bâton pointu et crochu pour toucher des instruments à cordes. BOISTE. — Cette forme étoit commune et non pas exclusive. Le plectrum étoit une espèce d'archet pour toucher les cordes, dont la figure varioit suivant l'instrument, comme on peut le voir dans les planches de Pignorius et de Mautfaucon.

PLÉONASME. Redondance; mots accumulés qui ont le même sens. Exemple : voyons voir. BOISTE. —

1° La redondance n'est pas le pléonasme et le définit mal.

Voyons voir n'est pas un pléonasme; c'est une répétition barbare.

L'accumulation de mots inutiles pour un sens connu a trois nuances :

La première est la répétition, qui est une superfluidité d'expressions identiques.

Je l'ai vu, dis-je vu, de mes propres yeux vu.

Dans cet exemple, elle est, comme on sait, une figure très-heureuse.

La seconde est le pléonasme, qui est une superfluidité d'expressions équivalentes, comme dans le discours de Target : " La paix et la concorde, suivies du calme et de la tranquillité. "

La troisième est la redondance, qui ne diffère du pléonasme que parce que les termes ne sont pas absolument synonymes, et forment une gradation à la vérité presque insensible. Il y en a des exemples dans tous les écrivains périodistes.

PLETHRE. Mesure grecque, quinze toises.

BOISTE. — Cent pieds carrés.

PLEURS. La Fontaine l'a pris au singulier, dans Je vous prends sans verd :

Pleur enlaidit, douleur est folle.

Et au v. 5 de Belphégor :

Princes et rois et la tourbe menue
Jetoient maint pleur, poussoient maint et maint cri.

Il est aussi dans Bossuet et dans Voltaire.

Pleurs, larmes. BOISTE.

Larmes, gouttes d'eau qui sortent de l'oeil.

BOISTE. — Les pleurs de la vigne et les pleurs de l'Aurore ne sortent pas de l'oeil.

PLURIEL. Il y en a deux espèces pour les noms propres. Le numérique; les Cotins d'Italie.

L'emphatique; les Voltaire, les Rousseau.

L'Élohim hébreu est un pluriel emphatique, comme le nous de nos rois.

POISON. s. m. — Et féminin.

D'où s'est coulée en moi cette lâche poison?....

MALHERBE.

Je rapporte cet exemple dans la seule intention de prouver que la langue du peuple, si grossière et si défectueuse, n'a peut-être point la locution qui n'ait eu son autorité. C'est là qu'il faut rechercher tous les archaïsmes de la langue littéraire.

POISSON. Animal qui naît et qui vit dans l'eau; qui a des écailles, des nageoires. GATTEL. — Une infinités de mammifères, de reptiles, de vers, de mollusques, d'insectes, de zoophytes, naissent et vivent dans l'eau.

Les tatous, les pangolins, les serpents, les lézards, ont des écailles.

Les cétacés ont des nageoires.

Les poissons sont des animaux vertébrés, sans poumons, qui respirent par des branches, et qui vivent dans l'eau.

POITEVIN. Les hommes et femmes ressemblent auxPoitevins rouges, etc. PANTAGRUEL, liv. IV, chap. IX. Voyez là-dessus la étymologie de Le Duchat. Pictavi, de Pictura est un mot latinisé sur le nom local, qui signifioit peint ou tatoué, comme celui des Bretons. Poitevin rouge est un proverbe à l'appui de cette étymologie, et Jean de La Haye l'a bien vu dans ses Antiquités du Poitou. La manie de se peindre est commune à tous les peuples primitifs et à tous les peuples dégradés. Il y a quelques années que toutes les femmes du beau monde, dans deux ou trois nations de l'occident, se masquoient le visage de céruse et de vermillon. La civilisation est un cercle vicieux.

PÔLE. L'Académie a couronné un poème où se trouvoit ce vers :

Et des pôlesglacés jusqu'aux pôles brûlants.

Il ne faudroit pas oublier de nous dire clairement ce que c'est que pôle.

POLYCHLEUE. On n'étonnera personne en parlant de l'argot des savants. Il y a peu de professions où l'on ait plus habilement perfectionné l'art de discourir sans être entendu. Je ne saurois désapprouver cependant la précaution qu'ont souvent pris quelques hommes d'une instruction élevées, de s'isoler d'un cercle ennuyeux en parlant entre eux un langage qui passe sa portée. Au seizième siècle, qui étoit l'âge de l'érudition, les personnes lettrées étoient convenues d'un certain mot du guet qui leur faisoit reconnoître sur le champ, dans une société de composition hétérogène, les divers éléments auxquels ils avoient affaire. Il suffisoit, pour cela, d'appeler un babillard athyroglosse et un menteur pseudophile. Polychleue désignoit un méchant moqueur, et se trouve encore dans quelques vieux livres avec cette signification. Ce qui étonne, c'est qu'Henri Etienne dise ce mot : Plusieurs, de ceux mesmement qui ont bonne cognoissance de la langue grecque, ne s'aviseroyent pas comment ce mot est forgé. Quant à moi, je ne m'en serois pas avisé si je n'eusse sceu l'application. Il n'y a cependant rien de plus facile, même pour ceux qui, comme moi, ont très-peu de connoissance de la langue grecque. Il est forgé de poluV, qu'il est trop superflu de traduire, et de cleuh, risée, moquerie, raillerie piquante; de sorte qu'il étoit difficile de mieux dire, et même de dire autrement.

PORC-ÉPIC. Nous écrivions autrefois, épic de blé.

Exemple de mot qui a changé d'ortographe propre, et qui la garde en construction.

PORTRAIRE. Voltaire regrette ce vieux mot dont nous ne pouvons offrir l'équivalent qu'au moyen d'une périphrase. Qu'on ne crie pas au néologisme! c'est de l'archaïsme qu'il s'agit, du renouvellement des mots anciens qu'on a ravis à la langue et qu'on n'a pas émondé comme me Scythe.

POSSEDER. Posséder est communément un verbe actif et qui demande un régime.

Cela n'est pas au barreau, où il marque l'état d'une personne et où il devient conséquemment neutre. Ces beaux vers de Corneille sont dans ce dernier cas :

Cependant je possède; et leur droit incertain
Me laisse avec leur sort leur sceptre dans la main.

POUDING.

1° Une aggrégation de pierres liées par un ciment naturel, et ordinairement susceptibles de poli.

2° Un mets anglois dans lequel il entre des raisins de Corinthe qui y produisent une marbrure semblable à celle des poudings.

Cette analogie est si évidente qu'il ne falloit pas chercher à la seconde de ces acceptations une étymologie en l'air, comme l'ont fait tel et tel lexicographes.

PRÉCÉDENT. Au moment où je mets cet ouvrage au jour, le mot précédent est devenu substantif dans la langue ministérielle et parlementaire pour exprimer, je crois, une chose faite qui a acquis force de jurisprudence. Les précédents de la chambre, etc. Je ne suis pas sûr qu'on ne dise pas aussi, les antérieurs, les conséquents, etc. Il faut espérer que ce détestable argot n'entrera pas dans le Dictionnaire. Il ne restera de mots de la révolution, dans la langue littéraire, que ceux que la révolution a trouvés tout faits, et les écrivains classiques de l'époque c'est-à-dire Mirabeau, et un petit nombre d'autres, n'en ont jamais inventé un seul. Quand les journaux monarchiques reprochoient à Mirabeau cette belle expression : les bouillons du patriotisme; ils lui reprochoient, sans le savoir, une locution de Corneille et de La Fontaine.

PRÉCÉDER. Un de nos anciens poètes a dit :

De ce nectar délicieux
Qui pour l'excellence précède
Celui mène que Ganimède
Verse dans la coupe des dieux.

Ce n’est pas pour l'excellence de ces vers que je les rapporte, mais pour faire remarquer le verbe précéder, avec l'acceptation de l'emporter sur ou d'être meilleur, faute qui se renouvelle souvent dans des écrits plus modernes.

PRÉCIOSITÉ. Ce mot est propre à La Fontaine; il n'a jamais été employé avant lui ni depuis. Son autorité l'auroit consacré sans doute, si le ridicule qu'il exprimoit avoit survécu à Molière. Un travers échappe à l'expression qui le caractérise, ou en sortant des usages, ou en s'y généralisant de manière à se confondre avec les habitudes communes. Je ne sais dans quel cas est celui-ci.

PRÉCIPITER. Jeter dans un lieu profond. ACADÉMIE. — Et figurément, perdre, ruiner, réduire aux dernières extrémités.

Ces violents transports vont la précipiter.

CORNEILLE.

Cette acception est tout-à-fait perdue, et j'ajouterois qu’elle n'est guère regrettable, si ce mot très-utile et de construction très-françoise avoit la sanction de l'usage.

Précipiter est de proe et caput, ou plutôt occiput ou occipitium, la tête la première.

Domergue a donc très-judicieusement observé que les vers célèbres de Le Brun,

Et Montgolfier, quittant la terre,
Se précipite dans les cieux,

étoient moins un exemple d'heureuse alliance de mots, qu'une preuve de l'étourderie ambitieuse du poète qui emploie les expressions sans connoître leur étymologie et leur valeur. Il n'y a rien de merveilleux à avoir la tête la première quand on monte.

PRÉDESTINÉ. Terme absolu. On est destiné au mal ou au bien; mais on n'est pas prédestiné. On ne sauroit éviter le malheur auquel on est prédestiné. Phrase académique où il y a deux fautes : une de grammaire, que je viens de faire voir; une de logique, plus sensible encore.

Prédestiner; destiner de toute éternité au salut : définition de l'Académie. Sa phrase fait donc à l'analyse : On ne sauroit éviter le malheur auquel on est destiné au salut. Supprimons le complément au salut; reste : on ne sauroit éviter le malheur auquel on est destiné. Et qui en doute, si le destin est inévitable?

PRÉLASSER, (SE).

L'âne se prélassant marchoit seul devant eux.

La Fontaine.

Il ne faut pas oublier ce joli mot, mais il faut en faire remonter la création plus haut que La Fontaine :

Je veys Diogenes qui se prelassoit en magnificence avec une grande robbe de pourpre. Liv. II, ch. xxx de Pantagruel.

Rabelais l’a fait neutre, dans un autre exemple que j’ai cité au mot PAROISSIEN.

PREMIER. adj. Il a été adverbe, même dans les classiques.

Premier que d’avoir mal, ils trouvent le remède.

MALHERBE.

PRESTIGIEUX. Omis.

Ces lettres prestigieuses furent précisément l’époque où les hérésies littéraires.... obtinrent une sorte d’empire.

Je n’ai voulu que faire voir en passant que la philosophie du dix-huitième siècle a été souvent prestigieuse et séductrice dès sa première apparition.

LA HARPE.

Ce mot est fait de prestige, comme prodigieux de prodige, et litigieux de litige, qui viennent de prestigium, prodigium, et litigium. On n’auroit pas fait vertigieux, mais vertigineux, de vertige. L’étymologie de l’attribut part toujours du génitif, ce qui est très-philosophique.

PRÉSUMABLE. Un de ces mots très-usités que tout le monde croit françois excepté l’Académie.

PRÊTRE. , un vieillard, et de là , un prêtre, comme senex et senator. Vetare, faire défense, vient de vetus, comme gero, de ; et, bien que ces étymologies soient nouvelles, elles sont incontestables. Dans la primitive Eglise, on n’admettoit à la prêtrise que les vieillards, parce que l’âge de l’expérience est nécessairement celui de la modération. Presque tous les hérésiarques et tous les fanatiques étoient fort jeunes. Saint Jean, le frère de Jésus-Christ, qui mourut centenaire, ne savoit plus qu’une des règles de la loi : Aimez-vous les uns les autres.

PRIAM. On lit dans un Nouveau traité de la prononciation, qu’il faut dire Prian et non Priam. J’ai peine à croire que cela passe en précepte; mais il paroît que l’opinion du grammairien est fondée sur une vieille tradition. La Motte a écrit :

Eh bien! nous allons voir si ce fils de Priam
Trompera l’Achéron ainsi que l’Océan.

PRIMEUR. Première saison de certains fruits. BOISTE. –– Et, au figuré, premières productions, prémices de certaines choses.

.... Aussi les gens que j’aime
De mes récits ont toujours la primeur.

DELILLE.

PRINCAULT. Premier coup. (MONTAIGNE.) BOISTE. –– Je ne connois pas princault : c’est probablement primsault que M. Boiste a voulu écrire, et ce mot en valoit la peine. Il ne falloit même pas oublier primsaultier, ne fût-ce que pour procurer aux étrangers l’intelligence d’une douzaine de passages de Montaigne.

PRINCIPION. Petit prince, etc. On pouvoit laisser ce mot au dictionnaire du burlesque, ou bien il falloit recueillir tous les diminutifs ironiques de même construction : et pourquoi pas procillon que ces excellents vers de Dufresny ont rendu presque proverbial ?

Il achetoit sous main de petits procillons,
Qu’il savoit élever, nourrir de procédures :
Il les empâtoit bien, et de ces nourritures
Il en faisoit de bons et gros procès du Mans.

Reconcil. Normande.

PROPICE. De propè, et mieux de propiùs, propitius. Mais pourquoi ? Ce qui est proche n’est pas toujours favorable, ce qui est propice n’est pas toujours proche. Il faut chercher ce rapprochement dans une extension spéciale de sens dont Rabelais fournit peut-être le premier exemple en françois. De son temps propice ne signifioit que proche, et c’est dans cette acception qu’il écrit, liv. IV, chap. VIII : Le vent est propice. Ici, le contact des idées est si parfaitement immédiat, que l’usurpation du sens s’explique d’elle même.

PROSATEUR. Il est assez extraordinaire qu’on se soit cru obligé de faire un mot pour exprimer l’occupation ou le talent d’un homme qui fait ce que M. Jourdain faisoit sans le savoir. Depuis que la mode de parler en vers est devenue si commune, prosateur est devenu un mot assez utile. C’est au moins une subdivision introduite dans l’innombrable espèce des auteurs. Nous avons l’obligation de cette expression à Ménage qui était prosateur et poète en quatre ou cinq langues, sans être de l’Académie, qui, encore une fois, a perdu à cela un bien digne associé et surtout un excellent Dictionnaire. Il l’auroit fait tout seul.

PROSEUGUE. Lieu destiné à la prière chez les Juifs. BOISTE. –– Littéralement, prière, chez les Juifs comme partout ailleurs. Ce mot n’est point hébreu, il est grec, et il faut l’écrire proseuque ou proseuche, comme l’Encyclopédie, du grec .

PROSODIE. s. f. Les Dictionnaires oublient ce mot au pluriel dans une acception très-connue des antiquaires. C’étoient des chants en l’honneur des dieux, et, selon Pollux, d’Apollon et de Diane en particulier. Dans l’acception ordinaire, prosodie n’est jamais que singulier.

PUDEUR.

Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.

Belle et rare acception du mot pudeur, dont La Fontaine avoit probablement donné l’exemple à La Bruyère qui s’en sert fort bien également dans l’éloge de M. de Soyecour.

PUNISSEUR. Corneille et Molière ont dit : le foudre punisseur. Voilà une très-heureuse expression.

On ne peut trop répéter qu’un néologisme n’est heureux qu’autant qu’il offre une sensible analogie d’expression avec les idées analogues. Pour qu’un néologisme de construction tout-à-fait nouvelle fût bon, il faudrait que l’idée le fût aussi.

PURISME. C’est un barbarisme de puriste. Remarques sur le dict. De l’Académie.

–– M. Boiste s’est trompé, en lui attachant dans son Dictionnaire (3ème édition), le signe qu’il attribue aux mots inconnus des lexicographes. L’Académie a eu le tort de l’imprimer avant lui, si toutefois l’usage que de bons écrivains en ont fait depuis ne l’a pas justifiée. Voyez IMPOSER.

PUY. Lieu élevé, montagne. (vieux). BOISTE. –– Ce mot est fort vieux sans doute, mais il est encore fort intelligible, dans le Dauphiné, dans le Lyonnois, dans l’Auvergne. On ne s’est même pas cru obligé de désigner autrement jusqu’ici le Puy-en-Velay et le Puy-de-Dôme. J’ai dit ailleurs que Chaux avoit le même sens en Franche-Comté, et Jouhe dans une partie des Alpes, comme Ballon dans les Vosges. Rien de tout cela ne se trouve dans le Dictionnaire qui a été fait au pied de Montmartre, mais on y trouve Butte, qui est conséquemment françois et même classique.

PYRAMIDE. On le fait venir de l’oriental Hyram, monument. Il dérive plutôt du grec , le feu. La flamme qui s’élève affecte cette figure. est un mot grec, et il est naturel qu’un mot grec ait une racine grecque.

PYRENEES. Le nom des Pyrénées a tout-à-fait l’air d’avoir été imposé par les Grecs. Vient-il, ainsi que pyramides, de la racine , parce que ces montagnes affectent en général une forme pyramidale comme les flammes qui s’élèvent, ou parce que c’étoit l’usage d’allumer des feux au-dessus des montagnes, dans certaines solennités, ou parce qu’elles donnent naissance, plus qu’aucune autre chaîne de montagnes du monde, à des sources chaudes qui jouissent d’une grande célébrité, ou parce qu’une ancienne tradition rapporte que les forêts immenses dont elles étoient couvertes furent dévorées par un incendie, sous le règne de Celtès, ancien souverain de nos régions, qui donna son nom à la langue celtique ? Les antiquaires et les poètes, étymologistes fort suspects, prétendent que les Pyrénées s’appellent ainsi en mémoire d’une nymphe ou d’une princesse Pyrène, qui eut l’honneur d’être aimée d’Hercule. Je ne dis pas le contraire.