S

S. substantif.

1° Expression abrégée du mot Saint.

2° Expression abrégée du mot Solo, en musique.

3° Expression abrégée du mot Sol, dans les comptes.

4° Fil de fer crochu qui sert aux éperonniers à attacher la gourmette à l’œil du mors.

5° Pièce recourbée à l’usage des cloutiers d’épingles.

Acceptions omises.

Figure familière, faire des s.

SACRÉ. Une de ces expressions auxquelles l’usage a fait prendre deux acceptions extrêmes. Cette opération, que j’appelle la métathèse de sens, paroît avoir eu beaucoup de part à la composition des langues.

Ce qui est vrai du mot cité en françois, l’est également de ses équivalents hébreu, arabe, grec et latin, kadasch, doun, et , osius et sacer.

SAIGNER. Du nez. Au nez. Par le nez.

Les Dictionnaires ont mal à propos négligé la dernière de ces acceptions, et confondu les deux autres. L’usage, plus puissant que les Dictionnaires, leur attribue des usages très-distincts.

La première, qui n’est pas très-noble, n’est jamais que figurée. Elle signifie, manquer de courage, de résolution.

La seconde se dit d’une blessure extérieure.

La troisième d’une hémorrhagie, et ce seroit mal parler que de s’exprimer autrement.

SALIQUE (loi). Sunt autem electi de pluribus viri quatuor Wisogast, Arbogast, Sologast et Windogast, etc.

Voltaire dit que ce passage indique la supposition, et que ces quatre noms sont ceux de quatre cantons d’Allemagne. C’est comme s’il disoit qu’il est absurde d’introduire dans une tragédie des personnages qui s’appellent Vendôme et Nemours, parce que ce sont des noms de lieux très-connus, et que ces noms ne peuvent s’attribuer à des hommes. il est de l’essence de la noblesse d’identifier le nom local à l’individu.

Quant à l’opinion de Postel, que le nom de loi salique est corrompu de celui de loi gallique, je suis étonné qu’un aussi savant homme ait avancé une étymologie aussi misérable. Il vrai que du temps de Postel on connoissoit mieux les langues classiques que les langues autochtones; et c’étoit dans la langue nationale ou dans celle des vainqueurs qu’il fallait chercher cette origine.

SALUER. Dans le sens de complimenter, ce mot n’a pas encore trois siècles. On ne disoit pas saluer, mais baiser les dames, parce qu’il étoit en effet d’usage de ne pas les aborder sans leur donner un baiser sur la bouche, et cette étrange licence n’étoit pas circonscrite aux usages familiers d’une société intime; elle étoit prescrite par l’étiquette et les bienséances à l’égard de toutes les femmes qui se rencontroient dans un salon où l’on étoit présenté, sans en excepter celles qu’on voyoit pour la première fois. Cette coutume nous étonneroit maintenant, si nous la lisions racontée dans une relation de l’Océanique. Du temps de Henri Étienne, vers 1580, elle étoit plus en vogue que jamais; et si quelque homme y manquoit par timidité ou par oubli, en négligeant envers une seule dame la politesse requise, il étoit en très-grand danger, selon cet écrivain, d’être déclaré sot par arrêt de toutes les autres.

SAN BENITO. Vêtement mortuaire, jaune, des victimes de l’inquisition. BOISTE. Le san-benito étoit souvent, mais non pas essentiellement mortuaire. Il falloit dire, vêtement d’expiation.

SARCELLE. De querquedula, cercelle, et par corruption sarcelle. Or c’est le dernier que l’usage a consacré, et ce n’est pas le seul exemple de cette bizarrerie.

SATYRE. Voltaire comparoit Sterne à un de ces satyres d’une forme très-bizarre, mais qui contiennent des essences très-précieuses. Il entendoit par là une petite boîte ou une petite amphore chargée de figures étranges.

Il n’étoit pas bien difficile d’appliquer à l’imitateur de Rabelais, ce que dit Rabelais de lui-même, en comparant son livre aux silènes, Prol. du premier livre : Silènes estoyent jadis petites boîtes, telles que voyons de présent ès boutiques des apothicaires, peinctes au-dessus de figures joyeuses et frivoles, comme de harpyes, satyres, oysons brydez, lièvres cornuz, canes bastées, bouqs volants, cerfs lymonniers, et aultres telles painctures contrefaictes à plaisir, pour exciter le monde à rire, quel feut Silène maistre du bon Bacchus; mais au-dedans l’on reservoit les fines drogues, comme baulme, ambre gris, amomon, musq, zivette, pierreries, et aultres choses précieuses.

Voltaire a pris satyres pour silènes, et ni l’un ni l’autre ne sont dans les Dictionnaires.

SCALIGÉRIEN, VOLTAIRIEN. M. Boiste adopte ces expressions pour désigner la critique de Scaliger, l’école de Voltaire, leur style, etc., et il n’y a rien de mieux; mais Cornélien, Racinien, et vingt autres, sont dans le même cas et ont les mêmes droits. C’est ainsi que les Italiens disent Dantesque, que nous dirions fort bien aussi. Ce sont là des privilèges dont toutes les langues doivent jouir, avec une réserve que les Dictionnaires ne peuvent pas fixer, mais dont le goût a la secret. il seroit injuste et ridicule de s’imaginer qu’une langue est nécessairement arrêtée le jour où la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie est mise en vente. Les langues croisssent tant qu’elles vivent.

SCHAKAT. Bonnet de Houzard, de feutre rouge et noir. BOISTE. On ne dit que shako, et la couleur n’y fait rien.

SCHOLIASTE. Et non pas scoliaste, comme M. Boiste et vingt autres. Scoliaste, ainsi orthographié, signifieroit proprement l’auteur d’une chanson à boire. Nos chansonniers peuvent se faire appeler scoliastes comme Anacréon, mais il n’est pas sûr qu’ils aient jamais des scholiastes comme lui.

«Tous les anciens ouvrages n’ont-ils pas été fréquemment altérés par les copistes," dit l’auteur de la Grammaire des gens du monde. «Ce qui le prouve, ce sont lesvariantes et les scolies multipliées de leurs commentateurs.»

Scolies, lisez, chansons à boire.

SCIOMANCIE. Divination par les ombres. RESTAUT. Puisqu’on admet ce mot, qui n’est effectivement pas à dédaigner, il est permis de rappeler sciomachie, littéralement combat des ombres, qui a été employé par Rabelais au titre de sa rarissime description des jeux faits à Rome pour l’heureuse naissance de monseigneur d’Orléans; Lyon, 1549, in-8°, 31 pages. Bernier, qui n’avoit certainement pas vu le livre, dit qu’on y trouve décrite l’apparition de figures d’hommes voltigeants et combattants dans l’air, ce qui fit passer pour magicien l’auteur de ce spectacle; et l’éditeur du joli Rabelais de M. Desoër en conclut fort naturellement que si tel est l’objet de la Sciomachie, qu’il n’a non plus vue que Bernier, il faut enlever au P. Kircker l’honneur de l’invention de la fantasmagorie. Mais il n’est point question de ces hommes voltigeants et de cette apparition dans la Sciomachie, Rabelais définit lui-même cette expression trop hardiment figurée, un simulacre et représentation de bataille, tant par eau que par terre; c’est à-dire tout simplement une naumachie et la fausse attaque d’un fort.

SCORPION. Insecte aptère. BOISTE. Le scorpion n’est pas un insecte; c’est une aranéïde aptère comme les aranéïdes.

Aquatique. BOISTE. Le scorpion aquatique n’est pas un scorpion; c’est une nèpe.

Venimeux. BOISTE. La nèpe n’est pas venimeuse.

SCHORSONÈRE. RESTAUT. Il faut écrire scorsonère, de l’italien scorza nera, écorce noire. L’h est surabondant et barbare.

SCULPTER. Tous les anciens lexicographes ont dit sculper, de sculpere, latin, dont il dérive, et le P. Catrou est le premier qui ait hasardé sculpter, dans son Histoire romaine. Son analogie avec sculpteur l’a fait préférer, quoiqu’il soit chez nous de former les verbes du supin.

SECTAIRE. Attaché à quelque secte.

SECTATEUR. Partisan; qui soutient une doctrine. Si ces deux mots avoient le même sens, il y en auroit un de trop. Il falloit dire qu’un sectaire étoit le chef ou l’un des chefs d’une secte; qu’un sectateur étoit l’homme qui servoit son opinion ou son parti, et que de ces deux mots le dernier étoit le seul qui pût se prendre en bonne part.

SEIGNEUR. L’équivalent de ce mot n’étoit pas usité chez les anciens de la manière dont nous l’employons dans le dialogue tragique. On se servoit communément du nom propre, ce qui étoit plus noble et surtout plus naturel; mais cette fière simplicité des temps passés ne convenoit plus au raffinement outré des sociétés modernes. Il est peut-être fâcheux toutefois que nos poètes n’aient pas eu la hardiesse de se conformer en cette partie à la sévérité du costume. Les Anglois n’ont pas été souvent plus téméraires, et Voltaire plaisante Shakspear qui traite César de milord, quoique milord ne soit pas plus ridicule en Angleterre que seigneur chez nous.

SEMBLER. Ce verbe est un de ceux que nous appelons improprement impersonnels. Il ne se prend jamais correctement au devant d’un substantif.

Sembloit un roi puissant de son peuple adoré.

Voltaire.

On ne semble pas un roi; c’est une locution parisienne.

SEMONCE. ce mot a signifié originairement, invitation à une cérémonie publique; par extension, invitation pressante de tel genre qu’elle soit; en dernier lieu, réprimande du supérieur à l’inférieur. Il est important de faire remarquer cette déviation de sens, le substantif semonce et le verbe semondre se trouvant encore dans les classiques avec leur seconde acception:

Son hôte n’eut pas la peine
De la semondre deux fois.

La Fontaine.

Maintenant le substantif ne s’emploie que dans la dernière, et le verbe ne s’emploie pas du tout.

SENS DESSUS DESSOUS. C’est l’orthographe commune. Vaugelas écrit sans dessus dessous, qui paroît aussi naturellement composé, et Court de Gébelin c’en dessus dessous, par ellipse de ce que dessus dessous, qui se lit dans Philippe de Commines. La question est encore à décider, du moins entre les deux premières leçons.

SENSIBLE. Ce mot signifie au sens propre ce qui tombe sous le sens. Au figuré, il est l’attribut d’un coeur facile à émouvoir, et qui reçoit aisément toutes les impressions touchantes. On a étendu cette acception au-delà de ce que permettoit l’esprit de la langue; sensible signifie encore irritable et passionné, comme on le voit dans ces vers fameux du Catilina de Crébillon, où il produit un effet si original:

Il est vrai qu’autrefois, plus jeune et plus sensible,
(Vous l’avez ignoré ce projet si terrible,
Vous l’ignorez encor,) je formai le dessein
De vous plongez à tous un poignard dans le sein.

SENTIMENT. Pour ressentiment, et vice versa.

Qu’il ne reste entre vous ni haine ni colère.
Sans aucun sentiment résous-toi de le voir.

Corneille.

SENTIR. ce mot se dit généralement en parlant de l’impression que les objets extérieurs font sur nos sens; et spécialement en parlant des sensations qui nous parviennent par l’organe de l’odorat. En italien, c’est l’organe de l’ouie qui a usurpé cette acception, et cela était naturel chez un peuple doué d’une organisation si musicale. Au reste, il est à remarquer que cette extension de sens n’est pas de toute antiquité. Henri Étienne, qui trouve fort bon sentire la musica, parce qu’il ne voit probablement dans sentire que la valeur morale du mot, n’admet pas qu’on puisse dire sentire le messa, au lieu d’udire. C’est une nuance dans la pensée. Beaucoup entendent sans sentir. Quelques uns sentent où d’autres ne font qu’entendre.

SÉPHALITE. Sectaire mahométan qui donne à Dieu la forme humaine. BOISTE. Il faut prendre garde à ces rapprochements trop naturels, pour les éviter, et n’en pas alarmer les consciences délicates.

Comme il est évident d’ailleurs que le mot séphalite est fait du grec , os ou caput, je présume qu’il y a ici une énorme faute d’orthographe, et que c’est à elle que nous devons ce barbarisme.

SIDÉRATION. Mort ou mortification de quelques parties; gangrène parfaite. GATTEL, CATINEAU, RESTAUT, BOISTE. La mort ou gangrène entière se nomme sphacèle. La sidération est dans Pline une maladie des plantes, et particulièrement du figuier et de la vigne, attribuée à l’influence de la canicule, et ce mot vient de sidera. Par extension aujourd’hui plus commune, et qui paroît généralement adoptée par les physiologistes, dont quelques-uns écrivent très-mal sydération, il désigne le dernier degré de la prostration dans les maladies adynamiques. La médecine philosophique n’a pas eu d’égard à son étymologie, quand elle l’a adoptée, ce qui n’est pas très-philosophique en soi-même; mais il y a heureusement long-temps que les erreurs des médecins se bornent là.

SIÈCLE. Ajoutez aux définitions connues celle-ci, qui est un peu mystique, mais qui a été universellement usitée : l’état laïque ou mondain; et de là, séculier, qui est oppposé à régulier, acceptions qui se perdront un jour avec les traditions de l’histoire monastique.

SIGMATISME. Je ne trouve pas ce mot dans les anciens Dictionnaires, quoiqu’il soit reçu dans la langue en deux acceptions que M. Boiste a depuis recueillies d’après moi :

Premièrement, pour marquer la difficulté de prononcer la lettre s, comme ïotacisme, lambdacisme, etc., relativement aux lettres que ces expressions caractérisent.

Secondement, pour désigner un emploi abusif de la même lettre, défaut souvent reproché à Euripide, et dont on cite un exemple remarquable dans Racine :

Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?

Le vers factice suivant est un des chefs-d’œuvre du sigmatisme :

Ciel, si ceci se sait, ses soins sont sans succés!

SIGNES MODICATIFS. Un bon Dictionnaire ne doit pas négliger d’indiquer les signes modificatifs, surtout dans une langue où la modification fait quelquefois la lettre. Notre ê, et notre é, sont deux voyelles très-distinctes, et qui avoient des signes distincts dans les lexiques grecs. Puisque ce désordre doit subsister chez vous tant que votre langue subsistera, ne laissez pas ignorer aux étrangers et à l’avenir le moyen de le débrouiller un peu. Faites-en de même pour la ponctuation qui ne vous a jamais occupés, quoiqu’exerçant une influence si caractérisée sur la valeur et la distribution du sens. Voyez enfin si ces signes sont complets, s’ils pourvoient à toutes les formes que la phrase est susceptible de prendre, et jusqu’à quel point on peut les perfectionner encore. Vous n’êtes, du moins en cela, retenus par aucuns de ces respects qui vous ont maintenus jusqu’ici dans une routine si servile. Les signes modificatifs appartiennent au grossier matériel de la langue, et n’ont pour eux aucune autorité consacrée. Mais alors ce soin ne vous paroîtra-t-il pas indigne de votre attention ? c’est une autre extrémité dans laquelle vous ne tombez pas moins volontiers que dans la première; et il en résulte que les éléments les plus précieux d’une langue sont ce qu’elle a de plus imparfait. Le style d’Homère est sublime, et l’alphabet grec est presqu’autant que le vôtre un objet de dérision pour le plus foible des écoliers. Homère n’en a pas moins écrit, répondez-vous, et c’est répondre fort bien : mais à quoi servent donc vos livres ?

Le génie n’a besoin ni de définitions ni de règles; il les trouve en lui-même, parce qu’elles n’ont été établies que d’après lui. Il en faut pour l’instruction des jeunes gens, pour celle des étrangers, pour la conservation des principes sur lesquels les langues reposent.

SILIGINOSITÉ. Latinisme très-peu usité pour exprimer la qualité farineuse du blé.

Quant à siligmosité, qu’on lit dans le Dictionnaire de M. Boiste, nous devons ce barbarisme à la précipitation de son copiste, qui a oublié de mettre les points sur les i.

SILLON. Je doute que sillon ait jamais été employé par métonymie pour les épis dont le sillon est chargé, ailleurs que dans ces vers de Perrault :

Quand aux jours les plus chauds on voyoit dans les champs
Rouler sous les zéphirs les sillons ondoyants, etc.

Mais les Dictionnaires ont oublié beaucoup d’acceptions propres ou figurées de ce mot; il se prend :

1° pour la trace que fait la charrue.

2° Pour la terre qu’elle rejette de part et d’autre en passant.

3° Pour la façon même du labourage.

4° Pour l’empreinte d’un bâtiment sur les eaux.

5° Pour les rides de la figure humaine.

6° Pour le trait que marque l’éclair.

7° Pour l’ornière qu’ouvrent les roues.

8° Pour les stries des coquillages.

9° Pour une strie plus profonde que les stries ordinaires sur les étuis des insectes.

10° Pour une petite trace qui est formée sur les os encore mous, par le battement des artères.

11° Pour une ligne ondoyante et transversale au palais des grands quadrupèdes.

12° Pour un terre-plein élevé dans le milieu des fossés qui se trouvent trop larges.

13° Pour un rempart de retranchement.

14° pour chacune des élévations que forme le fil sur la bobine du rouet en passant par les différentes dents de l’épinglier, etc., etc.

SIMPLESSE. Mot charmant et nécessaire, auquel nos meilleurs poètes du genre gracieux ont donné le droit de cité.

Simplicité n’a pas la même acception au figuré, où il se prend maintenant pour grossièreté d’esprit et de manières, tant les merveilleux progrès de la politesse ont influé sur la modification des mots.

SIRE. Voici un exemple curieux des mutations que le caprice de l’orthographe peut faire subir à un mot. Celui-ci vient certainement du grec , seigneur. La bizarrerie de notre écriture étymologique, qui substitue le c au kapppa, et l’y sonnat i, à l’upsilon, c’est-à-dire une consonne sifflante à une gutturale, et une voyelle à une autre, en a totalement dénaturé le son. On a d’abord écrit cyre, puis sire, par la substitution des lettres homophones, et peut-être pour éviter l’équivoque de cette expression avec le nom de Cyrus, roi de Perse, qui s’écrivoit alors Cyre, à la manière antique. Cyre se lit encore dans Rabelais, au chapitre du conseil d’état de Picrochole.

L’orthographe nouvelle a effectivement rapproché ce mot de ses analogues, seigneur et sieur, et ce seroit un avantage, si l’on pouvoit leur supposer une étymologie commune; mais tout le monde sait que seigneur est fait de senior, et que sieur en est la contraction. Pour se convaincre de la vérité de cette dernière allégation, qui suppose en effet une contraction très-forte, il suffit de se rappeler que le mot seigneur se trouve écrit dans des papiers anciens, et même dans de vieilles éditions, sous cette forme abréviative, Sieur, qui contient tous les éléments du mot contracté.

SOCIABILITÉ. Amyot a écrit socialité. Le premier de ces deux mots est le seul qui paroisse revêtu de quelque sanction académique, et c’est réellement le plus usité; mais le dernier seul a un analogue latin, quoique l’autre provienne de l’adjectif sociabilis. Ces différences tiennent à la différence des mœurs et des institutions, et en nous rapprochant par les mœurs et par les institutions d’un peuple ancien ou d’un peuple voisin, nous modifieront notre langue sans nous en apercevoir. Il faut seulement que cette institution princière et solennelle, qui enregistre chez nous les progrès de l’intelligence et de la parole, n’abandonne jamais nos créations en chemin. On ne sauroit concevoir à quel point une nation qui se renouvelle marche vite dans les acquisitions de sa pensée, et dans celles de son langage.

Pour en revenir aux mots qui nous occupent, il est vrai qu’une couple de siècles en çà, un des deux, et peut-être tous les deux auroient été de trop. Aujourd’hui tous les deux sont très-utiles dans des acceptions diverses qui tirent leur origine des deux acceptions diverses du mot société. On entend par société l’ensemble immense de la civilisation, et puis la réunion circonscrite de personnes qui se conviennent.

L’idée de socialité appartient à la première de ces définitions, et celle de sociabilité à la seconde.

L’auteur du Contrat Social n’étoit pas un homme fort sociable.

SOCRATIQUE. Amour pur. BOISTE. –– C’est la définition de l’amour platonique. Ce qu’on appelle amour socratique, n’est pas précisément la même chose.

SORORIANT. Qui s’enfle, parlant du sein des filles. Dictionnaire de TRÉVOUX, WAILLY, BOISTE. –– On pouvoit se dispenser de mettre cette définition à l’usage des lycées.

Parlant de l’eau (style descriptif). BOISTE. –– J’avoue que de l’eau sororiante feroit assez bien en poésie, mais le style descriptif n’est déjà que trop riche comme cela.

SORTIR. Ce mot vient peut-être de l’usage des jeux de hasard, le lot, le nombre sorti, c’est-à-dire marqué par le sort, après quoi il s’est étendu à toutes les acceptions que nous lui voyons aujourd’hui.

Quant à sortir son plein et entier effet, c’est un barbarisme de droit.

SOT. Je ne considère pas ici ce mot dans son acception la plus générale, mais dans celle que les Dictionnaires ont oubliée :

Iris m’étoit inexorable
Lorsque son défiant époux
Mal à propos devint jaloux :
O dieux! qu’il me fût favorable!
La belle Iris me prit au mot,
En dépit de son fâcheux maître,
Et le pauvre homme fut un sot
Par la seule crainte de l’être.

Cette épigramme est de M. de Furetière, abbé de Chalivoy, qui a omis dans son Vocabulaire la curieuse extension de sens qu’elle présente. M. l’abbé Girard et M. l’abbé Roubaud n’ont pas été plus exacts dans leurs synonymes. Après ces messieurs, nous ne pouvons que glaner.

SOTADIQUE. Vers ïambique, irrégulier. BOISTE. ─ Un vers ïambique, irrégulier, peut être sotadique, c’est-à-dire obscène; mais un vers n’est pas nécessairement obscène, parce qu’il est ïambique et irrégulier.

Il y a quelques années que le maire d’une petite ville de province défendit la représentation d’une comédie nouvelle, parce que l’affiche annonçoit que cette pièce étoit écrite en vers libres. Il est probable qu’on jouoit une comédie en vers sotadiques, lorsque le sage Caton se retira des fêtes de Flore.

SOURCIL. Poils au-dessus de l’œil. BOISTE ––

Puissent-ils tout d’un coup élever leurs sourcils
Comme on vit autrefois Philémon et Baucis.

Il ne s’agit pas là de poils au-dessus de l’œil.

SOURCROUTE. Ce mot ne se trouvant jusqu’ici que dans un seul Dictionnaire, il faut remarquer que voici sa véritable orthographe. Il est fait de l’allemand sauer-kraut, chou acide; et en prononçant choucroute, comme le peuple, on ne fait que le transformer d’une manière très-abusive, puisque l’élément dont l’on tire le mot chou est précisément celui qui ne le signifie pas.

Nous sommes sujets à ces méprises dans les mots que nous prenons des étrangers, comme lorsque nous disons du bifteck de mouton, le Wauxhall de Ruggieri, un boulingrin vert, etc.

SPÉCIMEN. En calligraphie, en typographie, en bibliographie, en littérature, exemple ou échantillon d’une écriture, d’un tirage, d’une fonte de caractère, d’un livre, d’une composition; mot indispensable à recevoir comme fac simile, comme fac-similaire, et reçu comme eux par l’usage, avant de l’être par les Dictionnaires.

STAPHYLIN. Insecte hémiptère. BOISTE. ─ Pas du tout. C’est un insecte coléoptère qui a les ailes tout aussi longues qu’un autre dans la proportion de son corps, mais qui n’a que des demi-étuis. C’est donc un hémiélytre ou brachélytre, et non pas un hémiptère.

M. Boiste connoît le mot brachélytre, et le traduit par brévipenne, en françois courte-plume.

Plume se dit en effet pour aile, par catachrèse; mais ce ne sont pas les ailes qui sont dimidiées dans les brachélytre; ce sont les étuis. Brévipenne ne signifie que brachyptère ou hémiptère.

STATURE. Hauteur de la taille d’une personne. BOISTE. –– En comprenant sous le nom un peu général de personne toutes les espèces d’animaux et de plantes sans exception.

Stature a reçu en histoire naturelle une autre signification non moins importante à recueillir.

Ce mot y désigne l’habitude générale et non la grandeur relative du corps.

STEINBOCK. Bouquetin. RESTAUT. –– En allemand. Renvoyé au Dictionnaire d’Adelung.

STEINKERQUE. Ajustement de femme. BOISTE. –– En néerlandois. Renvoyé au Dictionnaire d’Halma.

Si le Dictionnaire devoit nécessairement admettre tous les mots que l’anecdote du jour a imposés à la mode, le Dictionnaire ne finiroit pas, et Boisrobert, qui ne demandoit qu’à vivre jusqu’au G, le trouvoit assez long comme cela.

STÉNIQUE. Qui resserre, fortifie. BOISTE. –– Puisque le Dictionnaire donnoit deux définitions à ce mot, il falloit lui donner deux orthographes. Sténique peut très-bien signifier qui resserre, quoique je ne l’aie jamais vu employé en ce sens; mais ce qui fortifie doit s’appeler sthénique, et ces deux homonymes n’ont de rapport que la consonnance. Il n’y a rien de commun entre les acceptions non plus qu’entre les racines.

STYGIENNE (eau). adj. f. Terme de chimie. GATTEL, CATINEAU. –– Ecrivez, stygien, e. adj., qui appartient au Styx. Vieux, mais fréquent dans les anciens poètes. Et ajoutez, si vous le voulez, à cette définition l’acception alchimique qui est infiniment moins connue.

SUBLET. Sifflet d’oiseleur. BOISTE. –– Et patois d’oiseleur. Sublet n’est pas plus françois que son verbe subler.

Matthieu Gareau dit bien dans le Pédant joué :" Ce biau marle qui subloit tant haut. " Mais cela ne prouve rien pour l’authenticité d’une locution.

En Bourgogne, on dit sublot, et sublot seroit dans le Dictionnaire, si le Dictionnaire avoit été fait en Bourgogne.

SUITE (DE). Adv. L’un après l’autre, de rang, sans discontinuation.

SUITE (TOUT DE). Adv. Aussitôt, sans délai. Définitions très-justes que je rappelle ici pour la plus grande commodité des orateurs, des auteurs, des avocats, des journalistes, et des écrivains publics, qui auront la complaisance de me lire de suite, ou que le hasard fera tomber tout de suite sur cet article. De suite, dans le sens de tout de suite, est un solécisme intolérable, dont on pourroit fournir mille exemples de suite dans de gros livres fort vantés, et que bien des gens répèteront tout de suite après m’avoir lu, tant est grande en littérature la puissance de l’exemple et de l’habitude!

SUIVANTE. Personnage qui a remplacé dans le drame moderne la nourrice des anciens, comme le confident a remplacé l’écuyer du drame espagnol. Est-ce bien Corneille qui a introduit cette innovation assez spirituelle, quoique mal appropriée à nos mœurs ?

On n’a pas d’idée des difficultés qui durent assaillir le poète dramatique, quand il entreprit d’assortir au système de notre littérature nationale toute la littérature des Grecs et des Latins; et le nom même des personnages de nos drames indique assez que nous n’osâmes pas, pendant long-temps, avoir une comédie françoise. Nos Orontes, nos Gérontes, nos Léandres, nos Cléons, nos Damons, nos Valères, sont des habitants d’Athènes ou de Rome. Un nom de Paris auroit paru un contre-sens sur un théâtre de Paris. Il falloit un prodigieux instinct de grandeur dans un peuple, pour qu’un pareil système d’imitation et de servitude ne l’empêchât pas d’être grand.

SUPERBE. s. f

Abattre sa superbe avec sa liberté.

CORNEILLE.

Ce mot étoit très-bon; son homonymie avec l’adjectif a dû nécessairement en restreindre, et puis en faire perdre l’usage. L’adjectif lui-même n’est guère plus heureux. Devenu un superlatif de beau, il ne signifie presque pas autre chose.

Quand un comédien de province dit le fameux hémistiche d’Œdipe :

J’étais jeune et superbe;

il minaude avec les loges, par fatuité ou par modestie. Cette bonne méprise n’est même pas sans exemple à Paris.

SUPRÉMATIE. Pris pour supériorité, ce mot est un barbarisme très-accrédité, et qui probablement se conservera. Quand Piron fait dire à Arlequin Deucalion : Ma suprématie aura soin de les égaliser, il fait peut-être, avec intention, deux barbarismes pour un. La Harpe en concluoit, à sa manière, que Piron étoit un grand révolutionnaire; la conséquence auroit été plus juste en parlant d’Arlequin.

M. Boiste s’étaie de l’autorité de La Harpe à l’occasion d’égaliser. Je doute que La Harpe se soit jamais servi de ce mot durement condamné par son maître Voltaire, si ce n’est en citation, et dans l’occasion qui m’a fourni cet article.

SUR. Sur, dans le sens d’acide, est une locution picarde ou normande qui s’est introduite dans l’usage de Paris, et conséquemment dans le Dictionnaire, avec maint autre barbarisme. On ne la lit dans aucun auteur considéré, si ce n’est dans Buffon qui ne la hasarde pas sans l’expliquer par son synonyme : des eaux sures ou aigres.

Il est malheureusement vrai que le calembour de Jeannot qui va loger dans la rue de l’Oseille, pour habiter une rue sure, n’est plaisant qu’aux boulevards et à vingt lieues à la ronde. Les provinces sont encore plus disgraciées qu’on ne croit.

SUSURRE ou SUSURREMENT. Je trouve ce mot dans de bons écrivains, et je ne le vois dans aucun Dictionnaire. Il est cependant agréable et utile, car il n’exprime pas la même idée sue murmure, et son harmonie pittoresque le rend tout aussi propre à la poésie.

Les richesses dont on charge une langue, sans utilité, ne font réellement que l’appauvrir. Soyons donc très-sévères sur l’admission des mots nouveaux; mais ne les recueillons pas avec moins de soin; car il peut se trouver des hypothèses encore imprévues, dans la série infinie des combinaisons de la pensée, où ces superfluités deviendront nécessaires.

SYLPHE. s. m. Génie de l’air; insecte. BOISTE. –– Il faut deux articles pour celui-ci, et il faut avoir bien soin de les placer sous deux lettrines différentes.

Sylphe, génie de l’air, est fait du grec , une créature aérienne, un moucheron; et par conséquent il doit s’écrire comme il est écrit en tête de cet article.

Silphe, insecte, est un substantif féminin, et on doit l’écrire silphe, parce qu’il vient du latin silpha qui vient du grec , petit animal qui ronge les étoffes et les livres. Cette définition ne conviendroit plus cependant au genre qui porte ce nom. La silphe des modernes ne ronge que les cadavres.