T

T. substantif.

1° Lettre numérale qui valoit 160.

2° Avec la tilde (T) 160, 000.

3° Signe musical qui indique que la taille prend la place de la basse, et qu’elle est écrite sur la même portée, la basse gardant le tacet.

4° Autre signe musical pour Tous ou Tutti.

5° Caractère du même genre, défiguré en croix dans nos partitions, mais qui indiquoit le Trillo ou tremblement.

6° Expression abrégée de l’adverbe Très dans l’abréviation T. S. P. (très-Saint-Père).

7° Expressoin abrégée du mot Tournez, dans la musique et au bas des lettres (T. S. V. P.)

Acceptions omises.

T. On sait combien il est fréquent que cette lettre prenne la valeur du S, quoiqu’il n’y ait pas d’éléments plus étrangers l’un à l’autre dans la langue. M. de Montfort Lautour a proposé de l’écrire alors avec une cédille, comme celle que nous plaçons sous le C, pour lui donner la même valeur. Pourquoi ne propose-t-il pas de le remplacer par le S dans ce cas et d’en faire autant pour le C ? A quoi tient cette timidité jointeàcette manie d’innovation ? Innovez un système entier sur des bases philosophiques, ou n’entreprenez rien. Les changements partiels ne perfectionnent jamais l’ensemble. Les grandes pensées procèdent en masse.

T de liaison. L’harmonie a quelquefois exigé l’introduction de cette lettre parasite dans la phrase, ou elle sauve du moins des hiatus trèsdésagréables : Ira-t-il, a-t-il projet d’aller ?

Il en est souvent de même de la lettre s après l’impératif : Mène-s-y-moi.

On a mal à propos condamné La Motte pour avoir dit :

C’est la vérité qui t’approche;
Et puisque sa candeur te plaît,
Souffre-s-en ce tendre reproche
Pardonnable à notre intérêt.

La Motte savoit bien que cet impératif ne prenoit pas la lettre s; elle étoit demandée ici par l’harmonie, et elle y est employée d’une manière très-conforme à l’esprit de la langue. Les vers de La Motte n’en sont pas moins très-mauvais.

TANDIS. Préposition. Elle est toujours suivie de que. ─ Pas toujours, même dans les classiques.

C’est où le roi le mène, et tandis, il m’envoie
Faire office envers vous de douleur et de joie.

CORNEILLE.

TAPIS. L’étymologie de ce mot remonte un peu haut. Xénophon l’emploie pour désigner ce genre de tissu, qui étoit en usage chez les Perses, et qui n’avoit point d’équivalent chez les Grecs. Il étoit donc persan comme satrape, que le même écrivain a emprunté à la même langue.

TARDER. Différer à faire quelque chose. ─ Ou bien retarder, différer une chose.

A des cœurs bien touchés tarder la jouissance
C’est infailliblement leur croître le desir.

MALHERBE.

Ce mot et tant d’autres que je rapporte, d’après les classiques françois de la première époque, seroient maintenant d’un mauvais usage; mais combien des extensions de valeur, des appropriations d’idées de l’espèce de celle-ci, n’indiquent-elles pas de sève et de vivacité dans une langue naissante!

TARDIGRADE, TARDIFÈRE. Insecte aquatique très-lent; ressuscite. BOISTE. –– Je crois qu’il faut lire tardigrade rotifère, animal infusoire ou microscopique, et non pas insecte; pluvial et non pas aquatique; se ranime et non ressuscite, la dessication de sa vie, sans l’en priver tout-à-fait.

TANT. Cet adverbe n’est pas indiqué par les Dictionnaires dans une de ses acceptions communes, c’est-à-dire comme expression d’une valeur indéterminée. Je vous donnerai tant.

TATARES. C’est le nom le plus exact de ce peuple, et il est bon à conserver exclusivement, pour éviter l’homonymie.

TEMPÈTUEUX. L’académie qui a banni de son Dictionnaire, dans l’édition de 1762, cette belle expression de Montaigne, l’avoit admise dans l’édition de 1718, en remarquant qu’il faut écrire et prononcer tempestueux. M. Delille a tranché la question :

Et toi, terrible mer, séjour tempétueux,
Déjà j’ai célébré tes champs majestueux.

TEMPLIER. Boire comme un templier, proverbe qui ne vient point des mauvaises mœurs de cet ordre, mais du grec , je mange, je dévore, et de , un glouton, un templier. Les gens qui s’occupent d’étymologies savent très-bien que le p est étymologique entre le nu et la plupart des consonnes. Cette rencontre fournit dans le temps matière à une mauvaise équivoque,

Et voilà justement comme on écrit l’histoire.

TENDRE. Le tendre; avoir du tendre pour quelqu’un, barbarismes de précieuses. Si un bon écrivain s’est servi de ce mot, c’est par ironi, et cela ne suffit pas pour qu’il soit françois.

TÉNÉBRIO, TÉNÉBRION. Coléoptère; sent très-mauvais. BOISTE. ––

1° On ne dit en françois que ténébrion.

2° Les ténébrions ne sentent pas mauvais.

M. Boiste les confond avec les Blaps.

TH. C’est ainsi que nous écrivons le son t dans la plupart des mots françois dérivés du grec. On appelle cela écriture étymologique; mais l’écriture n’est étymologique qu’autant qu’elle représente un signe par un signe, et le grec est un signe simple. Il est absurde de rendre un signe simple par deux signes, surtout quand on a dans sa langue une figure qui suffit à elle seule à l’expression de la consonnance dont il s’agit.

Le des grecs &étoit, me dira-t-on, une lettre fortement aspirée, qui avoit peut-être même quelque rapport avec le th des Anglois; je suis très porté à le croire; mais cette aspiration nous manque, et nos lettres th ne la peignent aux yeux de personne. C’est une des mille inconséquences de notre orthographe.

THEOLOGIE. Ce mot a une belle acception oubliée par les Dictionnaires. Il signifie aussi contemplation en Dieu, comme la théologie physique de Derham, la théologie de l’eau de Fabricius, la théologie des insectes de Lesser et Lyonnet; savants qui ont enseigné Dieu avec autant de puissance que les Scholastiques.

Depuis quelque temps on ne fait plus de théologies; on fait des philosophies, et ces philosophies sont très-bonnes et très-exactes; mais il s’en faut de beaucoup qu’elles plaisent à l’imagination autant que les autres. Il n’y a pas de mal à laisser quelques merveilles aux sciences, même quand on a eu l’épouvantable bonheur d’arriver à penser que la création est une sorte d’opération chimique fortuitement faite, et que ce grand ouvrage n’aboutit qu’à un caput mortuum éternel.

TILDE. On appelle tilde ce trait horizontal, qui, placé au dessus des lettres numérales, en rendoit la valeur mille fois plus grande.

La tilde est aussi le même trait employé sur la lettre n qu’il modifie, en espagnol, et dont il fait une lettre nouvelle, celle que nous exprimons plus imparfaitement encore par la conjonction hibride de deux consonnes dans le digramme gn.

TISSER. Les tisserands disent tistre, ou tixtre, ou tissir, et ils disent beaucoup mieux que le Dictionnaire. Le participe tissu est à peu près tout ce que la langue a conservé de ce verbe, et cet infinitif n’a jamais pu en bonne syntaxe produire ce participe.

TMESIS. Figure qui consiste à retrancher une partie d’un mot, quelque soit l’objet de cette réticence. Comme son nom est employé par quelques écrivains que tout le monde lit, on ne peut se dispenser de lui accorder une place et une définition dans les Dictionnaires.

Certains devins dont l’histoire a conservé le nom, ayant été curieux de connoître par alectryomancie quel seroit le successeur de l’empereur Valens, le coq qu’ils employèrent à cette opération ne mangea de grains que ceux qui couvroient les quatre lettres suivantes, . . . . Cette expérience coûta cher aux Théodores, aux Théodats et aux Théodules, mais Théodose n’en monta pas moins sur le trone. La discrète réserve du coq divinateur s’appelle tmesis en grammaire. La plupart des facéties de Bièvre, l’histoire du per-vertisseur, de la contes-tation, de la fé-lure, et plus de la moitié de nos calembourgs reposent sur des tmesis. Il faut bien que tmesis soit françois.

TOMBEAU. Monument sur les frontières de deux mondes : porte de l’éternité : géole du jugement dernier.

Est-ce dans Menot, dans Barlette, dans le petit père André qu’on lit ces définitions? non vraiment; c’est dans le Dictionnaire, et je suis fâché de le dire, dans le meilleur de nos Dictionnaires.

TOMER. Multiplier les tomes. (MERCIER.) BOISTE. On demandoit si Mercier étoit cité là comme exemple ou comme autorité.

TON (BON). Métaphore tirée de la musique et qui sera difficile à expliquer dans quelques siècles.

On se fait quelque idée de l’atticisme, de l’urbanité, de la politesse. On ne se fait pas une idée juste du bon ton.

C’est que ces qualités tiennent à l’esprit d’une nation, et celle-ci au caprice d’une mode.

Mais elles vivent dans les écrits de Térence, de Properce, de Chaulieu, de tous les classiques; et le bon ton n’a-t-il pas de monument?

Pardonnez moi : Dorat, Demoustier, mille autres moins connus, mais presque aussi habiles à saisir parfaitement les nuances de la conversation quintessenciée des salons d’une certaine époque.

Et si la postérité ne connoît ni Dorat, ni Demoustier, que pensera-t-elle du bon ton.

Elle en jugera par son opposé, car elle connoîtra Molière.

Le bon ton n’en a pas moins de mérite. C’est une charge de la politesse, comme la grossièreté est une caricature de la franchise; mais c’est une charge faite sans malice, et qui n’a pas pour but de rendre la politesse ridicule comme les bonnes gens le croiroient.

Dieu nous garde toutefois des livres de bon ton où il n’y a que cela.

TONRELONTONTON. s. m. Chanson deBenserade. RESTAUT. Il est bon d’apprendre aux amateurs de la langue françoise que tonrelontonton est un substantif masculin, et que notre littérature le doit à Benserade qui est une grande autorité; mais il ne falloit pas oublier mirliton qui est bien plus joli, et mirontonton qui est bien plus connu.

On ne sauroit trop recueillir de refrains du même genre dans les lieux où ils se chantent; car, si ce n’est pas le moyen d’enrichir les langues, c’est au moins celui de grossir les Dictionnaires.

TORDRE. Ce verbe a un participe variable sur lequel les Dictionnaires ne sont pas d’accord.

Tort se dit des membres : jambes tortes, bras torts.

Tors se dit des ouvrages de l’art, un escalier tors, une colonne torse.

Tordu se prend dans le cas d’une action connue, déterminée : un arbre que le vent a tordu.

Tortu n’est jamais qu’attribut, et ne se prend point dans l’acception précédente, c’est-à-dire avec le verbe auxiliaire : un arbre tortu.

TOUFFEUR. Chaleur accablante. Patois franc-comtois; innovation dont l’Académie a probablement obligation à M. l’abbé d’Olivet.

TOURBE. Ménage le fait venir de l’allemand zorff. C’est tout bonnement du latin turba, renversement, parce que ce n’est qu’en détournant la terre qu’on découvre la tourbe, ainsi nommée par une extension naturelle. M. Gattel pense que le mot tourbe, multitude, ne se prend plus au figuré que dans le style plaisant. Je ne l’y ai jamais vu; mais je l’ai vu souvent, en revanche, dans le style le plus élevé.

TOURBILLONNER.

L’aquilon siffle, et la feuille des bois
A flots bruyants dans les airs tourbillonne.

MILLEVOYE.

Vous, insectes sans nombre, ou volants ou sans ailes,
Qui rampez dans les champs, peuplez les arbrisseaux,
Tourbillonnezdans l’air ou jouez sur les eaux.....

DELILLE.

Omis par l’Académie, et cependant très-bon.

TOURMENTINE. Térébenthine. WAILLY. Patois.

TOUT, TOUS. Ce collectif a été employé heureusement par Bossuet au-devant de quelques substantifs dont il relevoit la valeur par un nombre inusité. Cette inspiration est devenue depuis un artifice commun et facile sur l’effet duquel les néologues ne doivent plus compter. Il en est de même de ces alliances de mots si justement admirées dans Racine, si ridiculement recherchées dans les poètes d’une école long-temps célèbre.

Remarquons que ce collectif est identifié par l’usage à certains attributs. Le non omnis moriar ne se traduiroit plus : je ne mourrai pas entier, mais tout entier. Corneille lui-même a reconnu cet usage en corrigeant des vers où il a substitué la seconde locution à la première. C’est un gallicisme.

TRAITOR. (Vieux) traitre. WAILLY. — Ce n’est pas du françois. Ce n’est pas même du vieux françois. C’est du roman qui n’est bon à rien dans un Dictionnaire françois.

TRANSCENDENTALISME. (KANT). — Barbarisme, fait du barbarisme transcendental, qui est fait du barbarisme transcendent, qui est fait du barbarisme transcendence.

Transcendance et transcendant sont françois, avec cette dernière orthographe.

Il est très-remarquable qu’un Dictionnaire françois, donne de pareils mots pour françois, sur la foi d’un homme qui n’étoit pas françois, qui ne savoit pas le françois, et qui n’a jamais écrit en françois. Quant à ses traducteurs, je ne dis pas cela.

TREDAM! Exclamation pour notre dame. WAILLY. — Ou pour tridem, Dieu me damne trois fois. Mais il faut écrire tredame avec une lettre de plus et un accent de moins, suivant l’usage des bons auteurs, et surtout il ne faut pas le dire, car il est de très-mauvaise compagnie.

TRES. Les orientaux ont exprimé le superlatif par la triple énonciation du sujet. Voilà l’occasion des trois kyrie, des trois sanctus, etc.

Le superlatif est le troisième degré de l’attribut dans les langues où l’attribut se modifie.

Chez nous il se remplace par la préposition adverbiale très qui n’est pas le tres des latins prononcé à la françoise.

La particule très est donc une expression identique à l’attribut, et qui indique seulement que la valeur de l’attribut est triple.

Cette identité étoit fort bien exprimée par le trait d’union que notre savant imprimeur M. Didot a supprimé peut-être un peu légèrement.

Cette heureuse étymologie du mot très n’est pas tout-à-fait neuve, mais elle est si peu connue qu’elle paroîtra neuve à bien du monde.

TROU. Trou de chou; trou de lentisque, dit Rabelais.

Je n’ose pas avancer que les lexicographes aient eu tort de dédaigner cette expression; mais dans le cas où ils la recueilleront à l’avenir, je les engage à ne pas suivre l’orthographe de certains puristes qui disent tronc de chou, contre l’autorité de Rabelais et celle de l’étymologie. Trou en cette acception doit être fait de , thyrsus, et si truncus en est fait aussi, ce n’est pas sans ce dessein qu’on l’a traduit de deux manières en notre langue pour deux acceptions.

TROX. s. m. pl. Scarabées oblongs.

1°. Un trox n’est pas au pluriel.

2°. Les trox ne sont pas des scarabées.

3°. Les trox ne sont pas oblongs.

TU, TOI, TUTOYER. De tu, toi, on a fait tutoyer. L’orthographe qui écrit tutayer est donc souverainement ridicule. Ces mots tu, toi fournissent un exemple nouveau des extensions d’un mot à deux sens extrêmes. Ils ne s’emploient chez nous que dans le langage de la familiarité la plus intime, et dans celui du culte, ou d’une vénération qui en approche.

Grand Dieu, tes jugements sont remplis d’équité.
Grand Roi, cesse de vaincre ou je cesse d’écrire.

Il n’en étoit pas de même dans la plupart des langues anciennes où la syntaxe, conforme à la nature, ne permettoit pas d’attacher le pronom pluriel à un seul individu. La politesse excessive des sociétés nouvelles a inventé cette ridicule cacologie. Bientôt même on est allé plus loin. Cette formule est devenue trop commune, et il a fallu recourir à la troisième personne du singulier pour parler à une personne présente. Ce solécisme, dont les Allemands font encore plus d’abus que nous, n’a pas tardé à passer dans les classes inférieures, qui font d’autant plus de cas du bon ton qu’il leur est plus difficile d’y atteindre; et on ne doute pas que l’adulation, toujours féconde en découvertes, ne trouve incessamment un moyen de remplacer cette absurdité par une autre, jusqu’à l’époque où celle-ci, avilie par l’usage populaire, aura besoin elle-même d’être remplacée. Voilà de quelle manière les langues se corrompent, et comment les prétentions des hommes d’un certain ordre ne contribuent pas moins à leur dégradation que l’ignorance grossière du bas peuple.

On a dit, fort judicieusement sans doute, que cette délicatesse de notre langue produisoit quelques effets dont les anciens n’ont pas eu d’idée. Il est certain qu’elle permet d’établir dans le dialogue une nuance de plus, et c’est un très-grand avantage; mais, si cette nuance a servi à multiplier les points de démarcation d’homme à homme, nous l’avons peut-être payée un peu cher.

Les poètes continuent à tutoyer Dieu dans leurs vers, et les prédicants dans leurs prières; mais on n’en est pas venu encore à la règle de la troisième personne. On fait moins de façon avec lui qu’avec les grande.