U

UN. Il est quelquefois emphatique. Un Virgile, un Turenne, un Voltaire. Je crois que les Dictionnaires ne l’ont jamais remarqué dans cet emploi.

C’est encore un mot à acceptions extrêmes.

On s’étonne de voir qu’un homme tel qu’Othon,
Othon dont les hauts faits soutiennent le grand nom,
Daigne d’unVinius se réduire à la fille.

CORNEILLE.

Remarquons, à propos de ces vers, que cette dernière hyperbate, se réduire à la fille, ne seroit plus admissible en françois.

URGENCE. D’urgeo, latin, qui est formé d’ago et d’une racine ur, dont les dérivés sont très-communs dans toutes les langues, et dont il faut bien chercher l’acception dans une langue de première origine, puisqu’elle n’a pas conservé chez nous de valeur identique, comme chez les Latins où elle est la base d’uro, son expression véritable et essentielle. M. le président de Brosses, l’homme le plus judicieux comme le plus spirituel qui ait traité avec autorité de cette science ardue, écrit ce qui suit dans son excellent livre de la formation méchanique des langues.

" La terminaison latine urire est appropriée à désigner un désir vif et ardent de faire quelque chose, micturire, esurire, par où il semble qu’elle ait été fondamentalement formée sur le mot urere, et sur le signe radical ur, qui en tant de langues signifie le feu. Ainsi la terminaison urire étoit bien choisie pour désigner un désir brûlant. "

Voltaire qui a touché à ces questions, je le répète, pour toucher à tout, n’a pas craint d’attaquer le président de Brosses sur un terrain où l’homme universel ne s’est jamais hasardé impunément, c’est-à-dire sans écrire une sottise. Il n’est pas inutile de le copier ici, pour donner au lecteur une idée des erreurs dans lesquelles peuventtomber la mauvaise foi maladroite et la jactance étourdie : " Nous ne voyons pas que cette terminaison en ire, dit-il, soit appropriée à un désir " vif et ardent dans ire, exire, abire, aller, sortir, s’en aller; dans vincire, lier; scaturire, sourdre, jaillir; condire, assaisonner; parturire, accoucher; grunnire, gronder, grouïner, ancien mot qui exprimoit très-bien le cri d’un porc.

" Il faut avouer surtout que cet ire n’est approprié à aucun désir très-vif dans balbutire, balbutier; singultire, sangloter; perire, périr. Personne n’a envie de balbutier ni de sanglot-ter, encore moins de périr. Ce petit système est fort en défaut, nouvelle raison pour se défier des systèmes ". Cela est sans doute fort agréablement tourné, et les adorateurs irréfléchis du maître concevront difficilement qu’on puisse lui répondre. Il ne faut cependant qu’une lecture attentive pour reconnoître que cette incipide ironie est fondée tout entière sur une proposition fausse, et qu’il y auroit, dans la manière dont cette question est posée, la plus insigne déception, s’il étoit possible d’y voir autre chose que l’inattention impertinente d’un juge prévenu. En effet, M. de Brosses, que Voltaire attaque si injustement dans ce passage, n’a point avancé que la terminaison en ire fût appropriée à un désir vif et ardent : c’est de la terminaison en urire qu’il a parlé, et il a attribué cela à la valeur de la racine ur, qui est le nom du feu dans beaucoup de langues. Observez même que les seuls mots où cette dernière racine se retrouve, dans la boutade que je viens de rapporter, ne contredisent en rien l’assertion du savant auteur, scaturire, sourdre, jaillir, se liant très-bien à l’idée d’un désir brusque et impatient; et parturire, accoucher, à celle d’un besoin douloureux et d’une souffrance brûlante.

Cette petite explication prouvera du moins qu’on peut connoître toutes les ressources du langage sans en connoître les origines, et qu’il n’est pas nécessaire, pour marier les expressions avec harmonie et avec grâce, de les avoir étudiées dans leurs éléments. Elle servira peut-être à prévenir le lecteur inattentif contre les objections très-vaines que nous sommes disposés à admettre trop facilement sur la parole d’un grand homme. Un grand homme peut s’entendre fort mal en certaines spécialités. Le docteur Wallerius n’avoit pas pardonné à Napoléon de manier maladroitement les minéraux.