V

V. substantif.

1° Lettre numérale romaine qui vaut 5.

2° Partie de violons.

3° Barrée (V), 3 liv., ou un écu.

Volti ou tournez.

Vide ou Voyez.

Acceptions omises.

V. Cette consonne, si douce et si favorable à l’harmonie, manque dans une grande quantité d’alphabets, parce que sa touche est si légère, et sa valeur si fugitive, qu’elle se confond facilement avec les voyelles. C’est peut-être pour cela qu’elle est l’initiale de voyelle et de voix, et celle même de vie, qui paroît n’être qu’une onomatopée du souffle. Dans ma province, et dans presque tout le midi, le peuple ne prononce pas oui, mais voui, tant la mimologie du V est facile et naturelle. Il seroit fort surprenant toutefois que cette lettre n’eût pas été connue des Grecs, qui poussoient si loin la recherche de l’euphonie. Il nous en reste d’ailleurs des traces dans les mots où l’adverbe entroit en construction devant une voyelle, comme Évangile, Évariste, etc. ; et l’upsilon minuscule a tout-à-fait la forme que nous avons attribuée au V. C’est ce rapport, et celui en général de la plus foible des consonnes avec les sons simplement vocaux, qui a occasionné la longue confusion de l’U et du V dans notre typographie. Il est maintenant bien démontré au reste que, si le V n’a pas été une consonne grecque absolument parlant, il a du moins existé dans l’usage de quelques dialectes, et dans celle d’Homère, à qui toutes les dialectes de la Grèce étoient familières. Je crois que c’est Richard Bentley qui a rétabli la mesure d’une foule de vers de l’Iliade et de l’Odyssée, en leur restituant seulement le digamma éolien. Je ne pense pas cependant que le V ait appartenu à la dialecte propre d’Homère, ou, comme l’avance quelque part un savant, que toutes les dialectes aient encore été confondues dans une seule langue à l’époque où il écrivoit. Les dialectes, ou langues provinciales, sont toujours antérieures à la langue classique ou nationale, et n’attendent pas, pour se diviser, que celle-ci soit fixée. La langue d’oc étoit bien connue avant le triomphe de la langue d’oui, et n’avoit rien de commun avec elle. Rabelais a écrit à l’époque des premiers développements de notre langue, et le patois de l’écolier limousin n’étoit guère plus intelligible dès lors que son jargon latinisé. Ce qui me paroît présumable, c’est qu’Homère, voyageur par goût ou par nécessité, possédoit, comme ses poèmes le font voir, toutes les dialectes de la Grèce, et qu’il n’avoit pas fait scrupule de se servir du digamma, tout inconnu qu’il fût dans l’Ionie. Lorsque, après cela, on s’occupa de la transcription de ses oeuvres, soit sous le règne de Pisistrate, soit sous celui de Ptolémées, le copiste d’Athènes et celui d’Alexandrie négligèrent nécessairement une lettre dont ils ne connoissoient pas la valeur, et qui ne se trouvoit nulle part dans les mots analogues de leur dialecte propre. Je citerai pour exemple le mot , dont les Latins ont fait clavis, et où il est impossible, en étymologie, de ne pas reconnoître le V latent. Il seroit possible toutefois, et je suis porté à le croire, que le V n’eût été restitué dans la dialecte d’Eolie qu’à une époque très-postérieure. Le nom digamma, que les Éoliens lui ont donné, indique évidemment une lettre secondaire, puisqu’il énonce l’emprunt d’une figure et d’un nom. Le digamma, est en effet un gamma à deux branches, qui a la forme de notre F, dont nous lui sommes redevables. Il est certain que l’alphabet latin, que nous avons si scrupuleusement adopté, ne place si près l’un de l’autre le F, ou digamma, et le G, ou gamma simple, que par égard pour cette routine d’Éolie. La tradition des Latins et la nôtre, qui ont substitué le son du à celui du digamma éolien, c’est-à-dire une consonne forte à une consonne douce de la même touche, ne prouvent rien contre l’idée que nous nous faisons de la valeur qu’avoit ce signe chez les Grecs anciens; et la tradition vivante des Grecs modernes, qui est conforme à notre hypothèse, répond plus qu’il ne faut à l’induction qu’on pourroit en tirer. Il n’est pas probable d’ailleurs que les Éoliens se soient cru obligés d’inventer une lettre pour exprimer un son qui étoit déjà très-bien figuré dans leur alphabet. Quant aux Latins, qui ont surabondamment chargé le leur du digamma et du , représenté par ph, et aux François, qui ont sauté après eux, comme les moutons de Dindenaut, c’est un des dix mille exemples de l’étourderie qui a présidé à la composition de nos langues, et dont les Italiens seuls ont eu le bonheur de sepréserver très-souvent.

VAILLANCE.

Multa renascentur, quae jam cecidere.....

N’hésitez pas à rajeunir l’expression décrépite qui servira votre pensée, tant qu’elle n’est pas encore inintelligible et qu’elle ne choque point l’harmonie. Qui croiroit que vaillance étoit vieux il y a cent vingt ans, et qu’on reprochoit à l’auteur de l’épitaphe de Turenne?

VAINCRE. Les Dictionnaires ne nous apprennent pas que, dans la plupart des temps de ce verbe, il y a des personnes inusitées. On a blamé Thomas Corneille d’avoir dit, v. 2 sc. IV de l’act. V d’Ariane.

De l’amour aisément on ne vaincpas les charmes.

VAIS (je m’en); VAS (je m’en).

Tous les deux se disent, comme l’atteste le mot connu du père Bouhours agonisant.

Du temps de Vaugelas, la cour disoit, je vas, et la ville, je vais. L’avis du peuple a prévalu sur celui de la cour, ce qui arrive souvent en matière de goût.

On ne diroit plus, je vas, comme dans ces vers de La Fontaine :

Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant.

Mais, je m’en vas se dit toujours, et Girard le trouve même préférable, à je m’en vais. Je partage là-dessus l’opinion du père Bouhours, qui étoit très-indifférent sur le choix.

VENDEMIAIRE. M. Domergue est fort embarrassé sur la prononciation de ce mot; mais il dit que M. Sicard pense qu’il faut prononcer vantose et vandémiaire, et il se décideroit volontiers à partager cette opinion,"parce que nous faisons" sentir un a dans les mots vent et vendange. "

Il n'y a point d'a pour l'oreille dans les mots vent et vendange. Quant à ventose et vendémiaire, on peut les prononcer comme on voudra; cela ne fait de mal à personne.

VENIR. Voltaire l'emploie très-fréquemment pour aller : Mon thème n'est point non plus mon départ pour Paris, pour venir vous voir et vous entendre. p. 395, tom. LXII. de l'édition de Beaumarchais. C'est un solécisme de Paris.

VERBIAGE. Abondance de paroles inutiles, superflues. BOISTE. -Exemple, superflues.

VERD. De Viridis. Par euphonie, nous avons dit verte au lieu de verde, et ce féminin nous a accoutumés au masculin vert, qui n'est plus en analogie, ni avec ses sources, ni avec ses dérivés. Il suit de là que verdâtre, verdelet, verdet, verdeur, verdier, verdir, verdoyant, verdoyer, verdure, verdurier, et plusieurs autres mots de la même famille n'ont plus de radical en françois, et que leur étymologie a perdu son intermédiaire essentiel. A qui s'en prendre ? à l'usage; mais il est peut-être essentiel de marquer ces transitions anomales dans l'histoire des langues.

VERDIER. Le savant auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l'Académie parle d'un dangereux reptile, nommé verdier, et reproche implicitement à l'Académie de n'en pas faire mention.

1° Il n'y a point de reptile nommé verdier.

2° Le lézard verd, dont il est probablement question ici, a pu être nommé, par le peuple, verdier, verdet ou verdereau; mais ces usages locaux et circonscrits ne font pas autorité pour les Dictionnaires.

3° Ce qu'il y a de plus important à savoir dans tout cela, c'est que le lézard verd n'est pas dangereux.

VÉRONIQUE. C'est le nom francisé du linge sur lequel une des saintes femmes recueillit la véritable image du Sauveur (vera icon, et, en latin de la Légende, verum ou veron icon). On en fait la sainte Véronique ou véritable image; et puis une sainte, qui n'est connue sous aucune autre dénomination. Il en étoit de même de sainte Épiphanie, qu'on avoit travestie en sainte Tiphaine ou Tiphaigne, et qui a été souvent donnée pour patrone dans les siècles peu éclairés. On sait maintenant qu'Épiphanie est un mot abstait, et Véronique ne représente en françois qu'un linge sacré.

VERTUS. Cinquième chœur des anges. — Et ajoutez : dans les litanies. Il n'y a que Swedenborg et saint Martin qui puissent répondre du reste.

VIDE. Qui n'est rempli que d'air. — Cela ne seroit pas toujours applicable au récipient de la machine pneumatique.

VOICI VENIR.

Voici venir ma sœur pour se plaindre de vous.

CORNEILLE.

Pourquoi ne dit-on plus voici venir, qui étoit très-bon au temps de Corneille ? Parce que nous ne voyons plus dans ce mot voici qu'un adverbe ordinaire, et que l'esprit de notre langue ne permet pas à un adverbe d'exercer ce régime. Au commencement d'une langue, l'esprit perçoit, par une tradition implicite, les parties constitutives des mots. On démêloit encore dans celui dont je parle l'impératif voi suivi de l'adverbe ci; et, comme il n'est pas rare qu'un impératif entraîne un infinitif après lui, cette expression n'avoit rien de choquant.

VOIRE. Ce vieil adverbe s'est conservé en quelques provinces, en Franche-Comté, par exemple, où il est explétif, et modifie les formules qui paroissent trop impérieuses : Fais voire, va voire, etc.

Je ne fais pas cette remarque pour attribuer à un mot vielli une acception nouvelle qu'on peut trouver fort inutile, mais pour en tirer cette induction que le Dictionnaire des provinces seroit un ouvrage indispensable à la connoisssance exacte des antiquités de la langue et des acceptions perdues.

VOITURISER. v. n. TRÉVOUX, RESTAUT. Verbe act. RESTAUT, 2e édition. Imiter Voiture. – Ni actif, ni neutre, ni françois. On ne dit plus voituriser, on ne l'a peut-être jamais dit, et il ne faut pas imiter Voiture.

VOYELLE. Lettre qui peut se prononcer sans l'aide d'aucune autre lettre (a, e, i, o, u). – Il falloit dire : Son simple, homogène, inarticulé, qui sert à soutenir toutes les articulations d'une langue.

En françois on pourroit exprimer cette définition avec ses exemples dans une formule qu'il seroit facile de faire préférable à celle-ci :

JE COMPRENDS INDISTINCTEMENT SOUS LA DÉNOMINATION DE VOYELLE TOUT SIGNE OU TOUT CONCOURS DE SIGNES QUI PEUT S'ÉNONCER PAR UN SON PUR, SANS L'ACTION IMMÉDIATE DE LA LANGUE CONTRE LES DENTS, LES LÈVRES OU LE PALAIS.

On n'a compris dans cette phrase ni les valeurs prosodiques des voyelles qui changent si sensiblement leur valeur dans pâte et patte, faîte et faite, côte et cotte, mûre et mur; ni l'in capucinal de Le Maître de Claville, adjonction qui auroit facilement porté leur nombre aux dix-huit ou dix-neuf voyelles que certains grammairiens ont reconnues dans la langue françoise.

Mais qu'est-ce que cela auprès de l'innombrable mobilité des signes homophones? Un curieux a eu la patience de compter en françois quarante trois manières de représenter la voyelle o, sans autre modification que de la brève à la longue, et du singulier au pluriel.

VULGARISER Rendre vulgaire. Il n'est dangereux de vulgariser les lumières et la vérité que chez un peuple corrompu. BOISTE. – Je suis tout-à-fait de cet avis; mais il est fort dangereux, quand on écrit un Dictionnaire, de vulgariser en France les mots qui ne sont pas françois, etcelui-ci est de ce nombre, ou je me trompe fort.