PHILOLOGIE

FRANÇAISE

OU

 

DICTIONNAIRE ÉTYMOLOGIQUE,

CRITIQUE, HISTORIQUE, ANECDOTIQUE, LITTÉRAIRE,

CONTENANT

Un choix d'Archaïsmes, de Néologismes, d'Euphémismes, d'expressions

figurées ou poétiques, de tours hardis, d'heureuses alliances de mots,

de solutions grammaticales, etc.

POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE.

Par M. FR. NOËL,

Ancien membre du Conseil d’Instruction publique, inspecteur-général honoraire, chevalier

de la Légion d’honneur, de plusieurs Sociétés savantes, auteur du Cours de littérature comparée, etc.

ET M. L. J. CARPENTIER,

Membre de l’Université, auteur du Gradus français, etc.

 

Multa renascentur quae jam cecidére, cadentque

Quae nunc sunt in honore vocabula, si volet usus,

Quem penes arbitrium est et jus et norma loquendi

HORACE, Art Poétique, v. 70-72.

 

PARIS.

LE NORMANT PÈRE, LIBRAIRE, RUE DE SEINE, N°8.

MDCCCXXXI.


 

PRÉFACE

 

Engagé, il y a beaucoup d’années, dans de longues recherches sur les proverbes, sur leur origine, sur leurs rapports avec ceux des autres nations, j’avais parcouru toute notre ancienne littérature, et en particulier nos vieux conteurs qui sont un ample répertoire de phrases proverbiales. Dans le cours de cet examen, j’avais eu souvent l’occasion de remarquer des termes et des locutions, dont la perte avait beaucoup trop appauvri notre idiôme. Sans perdre de vue mon objet principal, je pris note des mots qu’il serait utile de reconquérir, les uns pour leur énergie, les autres pour leur précision, quelques-uns pour leur gentillesse et leur naïveté. Insensiblement, cette récolte promit de devenir assez abondante pour récompenser mes travaux, et cette perspective dut m’inspirer une nouvelle ardeur.

Bientôt, comme il arrive souvent, mes idées s’étendirent, et je conçus le projet de joindre à mon premier plan l’historique, en quelque sorte, des mots français, l’époque de leur admission dans la langue, et les chances diverses que plusieurs ont éprouvées, avant leur adoption définitive.

Il est à regretter, en effet, qu’à la fin de chaque siècle, ou plutôt de chaque révolution de la langue, un littérateur érudit à la fois et homme de goût, ou, depuis la naissance de l’Académie, les membres de cette compagnie savante, n’aient pas dressé une sorte d’inventaire de nos acquisition. A la vérité, chaque édition du dictionnaire peut être considérée comme répondant à cette exigence ; mais, en constatant la légitimité des termes avoués par l’usage, ces éditions se taisent sur l’époque où ils ont reçu le droit d’indigénat ; et d’ailleurs elles s’interdisent l’emploi des autorités qui auraient pu motiver leur décision.

Ce que l’Académie en corps n’a point fait, je n’avais pas la prétention de le faire. L’entreprise eût été immense et trop au-dessus des forces d’un seul homme. Heureusement, un littérateur estimable, versé dans la connaissance de notre littérature ancienne et moderne, dont il a fait preuve dans son Gradus français, s’occupait de son côté d’études analogues aux miennes, et tous deux, sans nous connaître, nous tendions constamment vers le même but. Réunis par la conformité de nos goûts, et par le succès de nos efforts, nous convînmes aisément de mettre en commun nos richesses, et c’est de cette communication franche et sans réserve qu’est né l’ouvrage que nous présentons au public.

Une langue ne se distingue d’une autre, que par ses mots, ses phrases et se figures, disent tous les grammairiens. Notre plan devait donc embrasser ces trois objets. Mais, pour lui donner tout l’intérêt dont il était susceptible, nous avons cru ne pas devoir nous borner aux exemples empruntés des âges reculés, et pouvoir sans scrupule descendre à des époques plus voisines de nous, et même jusqu’à nos jours. C’était le moyen et de jeter une plus grande variété dans cette compilation et de rendre justice même à plusieurs de nos contemporains.

Nous avons cherché d’abord à faire revivre des locutions tombées en désuétude, et dont la plupart peuvent reparaître avec honneur, et donner à notre langue plus de grâce, de force ou d’abondance. Pour justifier notre choix, nous avons le plus souvent reproduit les citations mêmes où ces mots se trouvent enchâssés. Montaigne nous en a fourni la plus grande et la plus précieuse quantité ; et depuis lui, des écrivains, qui avaient le droit d’avoir un avis, ont exprimé le désir d’en voir renaître un certain nombre. La Bruyère leur a consacré une partie du chapitre xiv ; Marmontel a formé le même vœu dans son discours de l’Autorité de l’usage sur la langue, et c’est dans cette vue que M. Pougens, qui si bien mérité des lettres, a publié son Archéologie française. Les exemples multipliés que nous ont fournis nos poètes et nos prosateurs vont prouver jusqu’à quel point cette résurrection est possible, et doivent encourager les tentatives ultérieures qui n’auront peut-être pas moins de succès.

« Notre langue est une gueuse fière, à laquelle il faut faire l’aumône malgré elle, » a dit Voltaire. On doit donc quelque indulgence aux novateurs en ce genre, et même de la reconnaissance à ceux dont les hardiesses heureuses ont eu pour résultat de multiplier les signes de la pensée ; de manière à la faire ressortir avec plus d’éclat, ou plus d’énergie.

Les néologismes ont fixé notre attention d’une manière spéciale. On peut les ranger en trois classes : d’abord, ceux dont on peut à peu près fixer l’époque, qui, dans leur temps, ont paru des importations assez hardies pour appeler la critique, et dont Balzac disait : « Vous en userez trois fois la semaine, », mais qui depuis long-temps sont entrés dans le domaine de la langue ; en second lieu, ceux d’une date moins reculée, tels, par exemple, que ceux dont l’abbé Desfontaines a composé son Dictionnaire néologique, et qui, comme on l’a remarqué, ont presque tous appelé de ses arrêts ; et enfin les créations que nos contemporains ont vues naître sous d’heureux ou de malheureux auspices. Nos guides dans le choix ont été Montaigne, Balzac, les écrivains de Port-Royal, qui tous ont contribué à l’enrichissement de notre idiôme ; Vaugelas, Thomas Corneille, le P. Bouhours, qui ont signalé la naissance et même l’admission future des mots qui venaient à peine d’éclore ; le Dictionnaire critique de l’abbé Féraud, qui a constaté la statistique en quelque sorte de la langue ; et pourquoi pas Mercier, malgré sa folle bizarrerie ?

Les néologismes consistent non seulement dans la création d’une terminologie nouvelle, mais encore dans les extensions de sens, ou les acceptions qui sont données à des mots anciens, et dans des alliances dont quelques unes ont fait dire que ces termes

Hurlent d’effroi de se voir accouplés.

Nous en avons signalé un grand nombre, et toujours par des citations qui en justifient le succès, ou qui en attestent la disgrâce bien méritée.

Nous n’ignorons pas qu’il faut user de la plus grande réserve à cet égard, et nous sommes loin de nous déclarer les champions d’une licence illimitée. Sans doute on ne peut contester au génie le droit d’oser et de battre monnaie à son coin ; mais on peut désirer en général que les néologismes formés avec goût, avec discernement, se hasardent d’abord dans le laisser-aller de la conversation, passent de là dans la familiarité du commerce épistolaire, ne se produisent au grand jour de l’impression qu’avec les précautions nécessaires, et ne jettent enfin leurs lisières qu’après avoir été nationalisés par le souverain, c’est-à-dire par l’usage.

Il nous restait une tâche à remplir, et sans doute la plus agréable de toutes celles que nous nous sommes proposées : c’est le soin qu’exigeait de nous la gloire de notre littérature. Il n’est personne, sans doute qui, en lisant les chefs d’œuvre de nos grands maître, n’ait pris plaisir à se rendre compte des beautés qui s’y font remarquer. Mais, dans une lecture rapide, il échappe toujours, involontairement au moins, quelques uns de ces artifices de langage, quelques unes de ces hardiesses dont Racine surtout offre de si beaux et de si nombreux exemples, mais qui sont sauvées avec tant d’art, qu’elles se confondent dans l’élégance continue d’un style enchanteur. C’est sans doute la meilleure réponse à faire aux détracteurs de nos écrivains du premier ordre, que de remettre sous les yeux du public, tout ce que leurs immortels écrits rassemblent d’images vives et gracieuses, de nuances délicates, d’expressions poétiques, de tours heureux, de figures hardies, d’alliances de mots que le goût ne réprouve jamais, enfin tout ce qu’a pu leur inspirer l’étude appelée au secours du génie. Nous aimons à penser que c’est ce que déploiera chaque page de notre recueil ; et toutefois cette admiration n’est ni partiale ni exclusive. En restant fidèles au culte de nos demi-dieux, nous n’en rendons pas moins justice aux nobles élans d’une jeunesse ardente, avide d’émotions vives, pleine de la confiance de sa force, emportée par le mouvement général de l’époque, et qui, dans son enthousiasme, s’écrie aujourd’hui :

Il me faut du nouveau, n’en fût-il plus au monde !

Nous nous plaisons à reconnaître que quelques uns des chefs de la nouvelle école semblent appelés par un vrai talent à reculer les bornes de l’art ; seulement, nous faisons des vœux bien sincères pour que le goût et la raison n’aient jamais à rougir de leurs triomphes ; et pour qu’ils ne perdent pas de vue, que ce n’est pas atteindre le but, que e le dépasser, et qu’en littérature, comme en politique, ce n’est pas être libre que de traverser la liberté.

Quoique les étymologies ne soient pas l’objet spécial de notre entreprise, nous avons cru cependant ne pas devoir négliger celles qui paraissent les plus plausibles ou les moins forcées. Nous nous y sommes déterminés surtout par la raison que l’Académie ne les admet pas, dit-on, dans la nouvelle édition de son dictionnaire. Nous rapportons quelquefois les opinions de différents étymologistes, et nous les laissons au choix du lecteur.

Nous n’avons pas exclu les anecdotes, mais nous avons donné la préférence à celles qui se rattachent à notre but spécial sous des rapports grammaticaux ou littéraires.

Nous avons été sobres de proverbes, parce que cette branche de la philologie nous a paru mériter d’être traitée à part, qu’elle a été, pour tous deux séparément, l’objet de longues recherches, et que nous comptons en publier quelque jour le recueil le plus complet qui ait encore paru. Nous n’avons guère admis que quelques phrases proverbiales, qu’on ne pouvait guère exclure, comme parties intégrantes de la langue, à raison, soit de leur antiquité, soit de leur originalité.

On ne s’étonnera pas de retrouver ici quelques unes de ces dénominations par lesquelles les partis distinguent leur bannière. Il faut bien les conserver dans l’histoire de la langue, puisqu’elles entrent malheureusement dans l’histoire de la nation.

Quoiqu’un ouvrage de cette nature soit défendu de la monotonie par le nombre et la variété des citations, on ne nous saura peut-être pas mauvais gré d’y avoir jeté par intervalles des maximes de nos plus ingénieux penseurs, et de petites pièces de vers, toutes les fois surtout que le mot y est heureusement placé.

Depuis quarante ans, le retour des assemblées nationales, l’affluence qu’elles ont amenée des provinces dans la capitale, les secousses et les mutations politiques, le besoin de rendre des idées et des méditations nées des circonstances ; les développements rapides du commerce et de l’industrie, les progrès des sciences et des arts, ont fait entrer dans la langue une foule de mots et de locutions nouvelles. L’idiôme s’est enrichi sous plus d’un rapport ; mais toutes ces acquisitions sont-elles de véritables richesses ? méritent-elles à un égal degré l’approbation des esprits éclairés et la sanction de l’usage ? On ne peut disconvenir qu’avec le volume d’eaux qui ont grossi son cours, le fleuve ne roule un peu de limon ? Qui pourra rendre à ses ondes leur limpidité ? Quelle main habile et sûre fera le départ de l’or et de l’alliage ? L’époque actuelle n’est peut-être pas la plus favorable pour mettre à fin cette périlleuse entreprise. Nous serions heureux de penser que notre travail pourra du moins éveiller l’attention sur l’état critique de la langue et sur la nécessité d’opposer une digue à la barbarie qui la menace.

C’est sans doute au corps littéraire, chargé spécialement d’en maintenir la pureté et la dignité, qu’appartient ce soin plus important qu’on ne pense ; car les mots ont sur les choses une puissance influente, et les uns ne peuvent s’altérer ou se corrompre, sans que les autres se faussent ou se dénaturent. Cependant des particuliers ont peut-être à certains égards quelque avantage sur des corps assujettis à des règles fixes, dont il leur est difficile de s’écarter, à des entraves qui gênent ou ralentissent leur marche. Comme les premiers ne peuvent s’arroger le droit de faire autorité, ils ont, par cette même raison, le champ plus libre et des allures plus franches. D’ailleurs ils doutent et ne se prononcent pas. Ce sont des rapporteurs qui se bornent à mettre les pièces du procès sous les yeux des juges.

C’est à peu près le seul mérite que nous puissions réclamer. Mais peut-être ne verra-t-on pas avec une entière indifférence un ouvrage qui, loin d’être une improvisation précipitée, a coûté quinze à vingt ans à chacun des auteurs, et qui, présentant le résultat d’une lecture immense, fait quelquefois surnager sur le fleuve de l’oubli des noms qui méritaient d’être moins ignorés.

Nous manquerions à la reconnaissance et à la délicatesse des procédés, si nous ne nous empressions de payer un juste tribut aux auteurs vivans à qui nous avons fait plus d’un emprunt, mais sans jamais en cacher la source, et en particulier à M. de Pougens et à M. Charles Nodier.

Nous ne finirons pas non plus sans reconnaître les obligations que nous avons à M. Bocquet fils, qui a eu la complaisance de revoir toutes les épreuves, de relever plus d’une erreur, et même à qui nous devons des additions importantes.

Simples philologues dans cet ouvrage, nous n’avons la prétention, ni de la philosophie, ni de la politique ; mais, toutes les fois que l’occasion s’en est présentée, nous n’avons dissimulé ni nos principes, ni nos sentimens. Comme citoyens nos vœux sont pour la prospérité de notre patrie et le triomphe de toutes les idées sainement philanthropiques. Puissent, comme grammairiens, nos efforts ne pas être inutiles ! puisse notre langue, plus hardie sans audace, plus mâle sans rudesse, plus pure sans timidité, plus souple sans mollesse, plus gracieuse sans afféterie, être toujours l’idiôme des ames fortes et des cœurs généreux ; et, pour tout dire, en un mot, mériter d’être plus que jamais la langue de la poésie, de l’éloquence et de la liberté !

 


 

choix d'articles

 

 

AGA, mot trivial qui se rencontre dans quelques-unes de nos comédies, et ordinairement das la bouche des paysans, pour marquer l’étonnement ou l’indignation. C’est, suivant M. de la Monnoye, une corruption d’agarde, impératif de l’ancien verbe agarder, qui s’est dit pour regarder. Agarder se trouve dans nos anciens auteurs, et notamment dans les contes de Despériers :

Diable y ait part, aga quel prendre ?

La Farce de maître Patelin.

Monsieur de Mesme harangua
D’un style qui fit dire aga !

Courrier de Paris, pendant la prison

des Princes.

[I. p. 35 b]

 

 

AGIOS, s. m. plur. Emprunté du grec [gr.] agios (saint). "Voilà bien des agios, faire bien des agios ou une longue kirielle, pour dire faire un long discours, bien des affaires, bien de l'empêché. Ces façons de parler ont été prises de deux différentes prières ou litanies dans l'une desquelles est souvent répété le mot [gr.] agios, et dans l'autre [gr.] kyrie eleèson. " DE BRIEUX, Origines de quelques coutumes et façons de parler, pag. 172, Caen, 1672.

[I. p. 36 a]

 

 

AGITATEUR, du latin agitator (celui qui agite). Mot nouveau. Tel agitateur d'un peuple est un grand homme; tel autre n'est qu'un misérable stipendié…

AGITER, v. du latin agitare, fréquentatif d'agere (conduire, pousser); c'est Montesquieu qui le premier a employé ce verbe dans le sens de soulever, révolter. Ce néologisme n'en est plus un.

[I. p. 36 a-b]

 

 

AGNES, s. f. terme ironique dont on se sert pour désigner une jeune fille très-innocente. Des raisons ridicules, dit Le Duchat, nous ont fait attacher à certains noms propres des idées particulières. On a dit Nicodème pour sot, à cause de nice et de nigaut; Agnès pour innocente, comme tenant de l'agneau. C'est en vertu de l'idée attachée à ce mot Agnès que Destouches a intitulé une de ses comédies la Fausse Agnès. "Laisser le portrait d'un amant sur sa table, on le pardonnerait à une Agnès; mais une fille de votre âge… ma foi c'est une honte." Théâtre italien de Ghérardi.

[I. p. 36 b]

 

 

AGRÉABLE, s. J. J. Rousseau a dit des femmes de son temps : "On les flatte sans les aimer, on les sert sans les honorer; elles sont entourées d'agréables, mais elles n'ont plus d'amans."

[I. p. 36 b]

 

 

AGRESSEUR, s. m. suppose le verbe agresser que l'on trouve dans Rabelais: "Il irritoit et agressoit les procès." tom. iii, pag. 266, édit de 1732.

[I. p. 36 b]

 

 

AGRESTE, adj. Quoique réprouvé il y a cent ans par l'abbé Desfontaines, n'en a pas moins fait fortune.

[I. p. 36 b]

 

 

AGRICOLE, AGRICULTEUR, s. m. AGRICULTURE, s. f. Ces mots ont eu de la peine à s'établir. Ils n'ont été insérés que dans la dernière édition du Dict. de l'Acad. On a dit que la pêche était l'agriculture de la mer.

[I. p. 37 a]

 

 

AGUIGNER, v. a. et n. "Ces faiseurs de bonnes mines par les rues, qui aguignent sous leur chapeau, si on les voit. " Contes d'Eutrapel, t. 1.

AGUIGNETTES, s. f. pl. Nous avons laissé perdre ce joli mot: "La dame et la chambrière les regardoient d'aguignettes." BON. DESPERIERS, N. LXVI.

[I. p. 37 a]

 

 

AGUIMPÉ, ÉE, adj. C'est un mot de La Fontaine:

Tant ne songeoient au service divin
Qu'à soi monstrer ès parloirs aguimpées,
Bien blanchement, comme droites poupées
.

[I. p. 37 a]

 

 

AHAN, s. m. AHANER, v. Ahan, proprement pris, "est, dit Nicot, la voix souspireuse qu'en l'effort du travail les gens de pénible besongne jettent hors, et conséquemment se prend pour grand travail; c'est une onomatopée de han, son souspireux que rendent ceux qui ruent un grand coup de coignée ou autre outil, etc. " Selon E. Pasquier, Recherches de la France, liv. viii, ch. 6, "ahan est une voix qui sort sans art du profond des bûcherons, ou autres manœuvres, quand avec toute force de bras et de corps ils employent leurs coignées à couper quelques pièces de bois, montrant par cette voix qu'ils poussent de tout leur reste; mot que nous avons mis en usage pour dénoter une grande peine et travail de corps, et ahanner pour travailler." Le P. Labbe, qui regarde aussi ce mot comme une onomatopée, raconte à son sujet le propos plaisant d'un petit garçon qui disait à son père qui était filetoupier ou batteur de chanvre: battez, mon père, et je ferai ahan pour vous, pensant soulager son père d'une partie de son travail. "De ahan, dit M. Ch. Nodier, on a fait ahaner, travailler avec peine, avec ahan, comme dans ces vers de Dubellay en ses Jeux rustiques:

De votre doulce haleine
Esventez cette plaine,
Esventez ce séjour,
Cependant que j'ahane
A mon blé que je vanne
En la chaleur du jour.

Ahaner un champ, s'est dit par extension pour cultiver une terre difficile. Ahan, est passé au style figuré pour exprimer de pénibles travaux d'esprit, et l'agitation d'un homme qui a de la peine à se résoudre à quelque chose. On a fait venir ce mot du grec [gr]aô et du latin anhelare. C'est l'opinion de Du Cange. Ménage en a cherché l'étymologie dans l'italien assano, peine, douleur. On aurait pu le trouver tout entier dans le Dictionnaire des Caraïbes et dans beaucoup d'autres puisqu'il est dans le Dictionnaire de la Nature. C'est la plus évidente des onomatopées. Pasquier et Nicot ne s'y sont pas mépris. Dans des lettres de rémission de l'an 1375, on trouve : "Après ce que ledit Jehan fut deschaucié, entra ondit gué, et tant se y efforça pour mettre hors laditte charrette, que il y entra en fièvre en icelui gué, pour le grant ahan que il avoit eu." On ne se sert plus de ce mot qui était très-familier à nos anciens écrivains. Rabelais, Montaigne, Amyot l'ont singulièrement affectionné. Il est encore dans Costar; "Jupiter, dit-il, en sua d'ahan." Dictionnaires des onomatopées françaises.

Ahan est un mot très-ancien, puisqu'il se trouve déjà dans les ouvrages du 13è. siècle, tel que le Roman du Renard et le dit du Lendit rimé, on lit dans ce dernier, composé vers l'an 1290:

Asset y ot (eut) peine et ahan
Marchans qui la sont assemblez.

"Je sçay combien ahanne (souffre, tressaille) mon ame en compagnie d'un corps si tendre, si sensible, etc." Essais de Montaigne.

[I p. 38 a]

 

 

AHONTIR, v. Ce vieux mot n'était pas sans énergie: "Ses enfans seront aucunement ahontis par la faute de leur mère. " Les Quinze Joies du mariage, XIIIe j.

[I. p. 38 a]

 

 

AIGUIÈRE, s. f. vase où l'on met de l'eau. Il vient selon Jacques Sylvius, du latin aquarium, dérivé d'aqua (eau). Aquarium, qui laisse sous-entendre vas (vase, vaisseau), neutre, doit donner en français un masculin; aussi trouvons-nous dans les Honneurs de la cour, ouvrage imprimé d'après un manuscrit du 16è siècle, le mot aiguier masculin au lieu d'aiguière féminin : "L'on apportoit à laver à madame à tout (avec) un bassin et un aiguier."

[I. p. 41 a]

 

 

FALBALA, s. m. Ce mot n’est pas fort ancien dans notre langue, il date du milieu du dix-septième siècle.

Ce que M. de Caillères dit de l’étymologie de ce mot mérite d’être rapporté. C’est à la page 168 de son Traité des mots à la mode; voici comme il s’exprime :

« Puisque nous sommes sur l’invention des modes, aussi bien que sur celle des mots nouveaux, dit le duc, M. le commandeur sçait-il ce que c’est qu’un falbala ? non, dit le commandeur. Un falbala, reprit le duc est une bande d’étoffe plissée que les femmes mettent au bas de leurs juppes, ou autour de ces petits tabliers qu’elles portent présentement. C’es, sans doute, répliqua le commandeur, quelque marchand turc ou arménien qui lui a donné ce nom de la langue de son pays, de même qu’on appelle sofa une espèce de lit de repos à la ma nière des Turcs. Nullement, repartit le duc, et je crois pouvoir vous assurer que le courtisan qui a enrichi notre langue du mot de falbala, n’est pas savant dans les langues orientales ? »

Ce courtisan, c’est M. de Langlée, maréchal-des-logis de la maison du roi. « Il a, dit Ménage, enrichi sans y penser notre langue de ce mot. Étant avec une couturière qui lui montrait une jupe au bas de laquelle il y avait une bande pliée, il lui dit, en plaisantant, que le falbala était admirable, en lui faisant accroire qu’on appelait ainsi à la cour ces sortes de bandes. La couturière apprit ensuite ce mot à une de ses compagnes, qui l’apprit à une autre, et ainsi de bouche en bouche le mot passa bientôt en usage. » Dictionnaire étymologique.

Une autre historiette, rapportée dans le Dict. de l’Encyclopédie méthodique, au mot Etymologie, attribue également au hasard l’origine du mot falbala.

« Un seigneur étranger était étonné de voir un si grand nombre de boutiques de toute espèce dans les salles du Palais à Paris ; quelqu’un de sa suite lui dit : ce qui est encore plus surprenant, c’est qu’on y trouve tout ce qu’on demande, quand même la chose n’aurait jamais existé. Le seigneur se mit à rire, et voulut se convaincre du fait. Il s’approche d’une marchande, et lui demande si elle a des …. des falbalas. — Oui, monsieur ; et sur-le-champ, sans se faire expliquer ce que signifiait ce mot qu’elle n’entendait pas, elle lui montra des garnitures de robes de femme : voilà ce que vous demandez ; ce qu’on appelle des falbalas. Ce mot fit fortune, et fut toujours depuis en usage. »

Le président de Brosses, après avoir rapporté le conte que M. de Caillères attribue à M. de Langlée sur l’origine de ce mot, rejette cette anecdote pour s’en tenir, avec Le Duchat, à l’étymologie qui le rapporte à l’allemand fald-plat, qui signifie, selon Leibnitz, jupe plissée, ou plus littéralement, feuille plissée.

« Le mot français falbala, dit M. Éloi Johanneau, désigne, comme tout le monde le sait, une garniture en bande plissée au bas d’une robe. Le mot anglais furbelow, qui se prononce forbelo, a aujourd’hui la même signification usuelle ; et si je le décompose dans les deux radicaux fur ou furr, fourrure, et below en bas, fourrure d’en bas, fourrure du bas d’une robe, il m’offre la signification primordiale dont toutes les autres sont dérivées.

Ce qui me confirme que le mot anglais furbelow est le prototype du mot falbala, c’est 1° que le Dict. des rimes anglaises de Walker l’explique ainsi : furbelow, fur sewed on petticoats ; furbelow, fourrure cousue sur des jupes ; c’est 2° que ce mot n’est pas le seul de sa famille en anglais, qu’il y a formé le verbe to furbelow, plisser, faire en falbala, garnir de falbalas, mettre des falbalas, et le participe furbelowed, fait en falbala ; c’est 3° que les deux radicaux qui le composent existent dans cette langue, sans altération, et avec la même signification qu’ils ont hors de la composition ; c’est 4° qu’il n’y a rien de plus ordinaire que de voir l’r se changer en l, l’o et l’e en a.

Je crois donc avoir prouvé que le mot falbala ne vient ni de l’allemand, ni du hongrois, ni de l’espagnol ; que ce n’est point un courtisan ni un prince qui a inventé et imaginé à plaisir ce mot, sous le règne de Louis xiv ; qu’il existait probablement avant eux, et qu’ils n’ont pu, tout au plus, que l’introduire d’Angleterre en France ; que ce mot est d’origine anglaise, ainsi que la mode ; que par conséquent la signification primodiale du mot furbelow est celle de fourrure du bas d’une robe ; que sa prononciation primitive est celle de forbelo ; et que c’est sans doute en passant dans la bouche des couturières et des marchandes de mode qu’elle se sera altérée et changée en celle de falbala. » Manuel des Amateurs de la langue française (1813).

[I. 554 c-555c]

 

 

GLOU-GLOU, s. m. onomatopée ou mot factice qui imite à merveille le bruit que fait une liqueur qui s'échappe par un goulot étroit.

Qu'ils sont doux,
Bouteille jolie!
Qu'ils sont doux
Vos petits gloux-gloux!
Mon sort ferait bien des jaloux,
Si vous étiez toujours remplie;
Ah! Bouteille, ma mie,
Pourquoi vous videz-vous ?

MOLIERE, Le Médecin malgré lui.

Je ne te quitte plus, ô ma chère bouteille!
Par tes mélodieux gloux-gloux,
Autant que mon palais, tu flattes mon oreille.
Je ne te quitte plus, ton empire est trop doux.

Anonyme.

Glouglou est une onomatopée, dit Ménage, qui ajoute : Les Latins on dit de même glut glut.

Un poète ancien anonyme, parlant d'un paysan ivre:

Percutit, et frangit vas; vinum defluit, ansa
Stricta fuit,
glut glut murmurat unda sonans.

Remarquez que les Romains prononçaient glout glout. Bilbit amphora (la bouteille fait glouglou). Nævius.

[I. p. 688 a]

 

 

IDÉAL, ALE, adj. Dérivé d'idée; qui n'existe que dans notre idée.

Le beau idéal, nom que nos littérateurs et nos artistes ont donné à ce beau, qui n'existe que dans notre imagination et qui surpasse la nature; nos héros de romans et de tragédies rentrent dans le beau idéal; ceux des Grecs se rapprochait plus de la nature.

L'Académie et l'abbé Féraud prétendent que cet adjectif n'a pas de pluriel masculin. Buffon a dit des êtres idéaux; et nous croyons avec M. Laveaux que ce pluriel peut et doit être admis.

IDÉALISER, v. "On est précipité à chaque instant du haut des siècles sur la nouvelle du jour, et l'on arrive trop subitement d'une planète, où l'on idéalise tout ce qui est bien, sur une autre où l'on réalise tout ce qui est mal" VILLETERQUE.

IDÉALISTE, s. m. L'Académie, qui porte le substantif idéalisme, ne dit rien du mot idéaliste, quoique Diderot se soit servi de ce terme et en ait donné la définition: "On appelle idéaliste, ces philosophes qui, n'ayant conscience que de leur existence et des sensations qui se succèdent au dedans d'eux-mêmes, n'admettent pas autre chose." Lettre sur les Aveugles, à l'usage de ceux qui voyent, pag. 96.

IDÉE, s. f. du latin idea, venu du grec [gr] idéa (idéa), dont la racine est [gr] idein (idein), voir. "J'appelle idée, dit Locke, liv. 2, ch. 8, tout ce que l'esprit aperçoit en lui-même."

"Un gouvernement parfait ne se trouve que dans le pays des idées." BAYLE.

Helvétius avançait des paradoxes pour avoir le plaisir d'entendre les combattre; il appelait cela "aller à la chasse des idées."

IDÉER, v. Les Italiens disent idearsi (s'imaginer). Le mot ideare formé par eux du mot latin et italien idea (idée) aurait pu nous donner le mot idéer. L'intéressant Massieu, élève de l'abbé Sicard, a usé de ce terme.

[II. p. 1 c-2 a]

 

 

INFORÇABLE, adj. Ce mot n'a point passé, malgré Ménage qui le défend contre Bouhours.

On lit dans le Dict. de Philibert Monet, Rouen, 1637 : "Inforçable, qu'on ne peut forcer. Place inforçable."

[II. p. 47 a]

 

 

INVENDABLE, INVENDU, UE, adj. Les auteurs de Trévoux prétendent que ces mots ne sont pas français. Richelet admet le dernier. Ils sont dans le Dict. de l'Académie, édit. de 1802.

On lit dans Voltaire : "La multitude des marchands qui ne voulaient ou ne pouvaient pas payer la quantité d'effets invendus ou invendables."

Voyez INTROUVÉ.

[II. p. 74 a-b]

 

 

INVERSABLE, adj. Voiture inversable. Richelet le donne comme un mot nouveau; et les éditeurs du Diction. de Trévoux, édit. de 1743, ajoutent qu'on ne peut s'en servir que de vive voix et dans le style familier. L'Académie l'a adopté.

[II. p. 75]

LOCHER, v. vieux mot qui signifiait autrefois secouer, ébranler. Le P. Labbe croit qu’il pourrait bien descendre de clocher (boiter), d’autant que celui qui loche va de çà et de là, comme ceux qui boitent. Quelques-uns le dérivent de loche, à cause du prompt mouvement de ce poisson.

« Vostre justice n’en fait compte, comme si ces esboitemens et eslochemens , n’étoient pas des membres de nostre chose publique. » Essais de Montaigne, tom. vi, pag. 151, Paris, 1790.

« Esboitement et eslochement, termes synonymes qui signifient dislocation. On trouve eslocher dans Nicot , qui le fait venir d’exlocare ; et dans Rabelais deslocher. Frère Jean des Entommeures, dit Rabelais, ayant donné brusquement sur les ennemis qui vendengeoient le clos de son abbaye, ez ungs escarbouilloit la cervelle, ez aultres rompoit bras et jambes, ez aultres deslochoit les spondiles du col, etc. liv. i ch. 27 » Note de Coste sur Montaigne, à la page citée.

Le Duchat, sur Rabelais, explique aussi ce mot deslochoit par disloquoit.

Et toujours l’orage cruel
Des vents, comme un foudre ne gronde,
Elochant (ébranlant) la voûte du monde
D’un soufflement continuel.

RONSARD, Ode à Melin de Saint-Gelais

Du temps de Ménage, on disait encore en quelques provinces locher un arbre, pour dire le secouer pour en faire tomber le fruit.

Il ne se dit plus aujourd’hui qu’en parlant d’un fer de cheval, qui branle et qui est prêt à tomber.

« Regardez aux pieds de ce cheval, j’entend un fer qui loche » Acad.

On l’emploie figurément en parlant d’une personne qui éprouve quelque dérangement dans sa santé, dans ses affaires.

Quand je vois revenir des femmes sans maris,
J’entends celles qui sont du plus galant étage ,
Qui souvent loin du gîte ont passé plusieurs nuits,
Il me semble de voir un cheval de louage :
Lorsqu’on le ramène au logis,
C’est un grand hasard s’il ne cloche,
Et s’il ne boite pas tout bas ;
Pour le moins on trouve en ce cas,
A coup sûr quelque fer qui loche

Théâtre Italien de Ghérardi, tom. ii,

pag. 480, Paris 1741.

Une fille toujours a quelque fer qui loche.

Régnard, le Bal, comédie, sc. 7.

 

 

MADRIGAL, s. m. petite pièce de poésie, qui renferme dans un petit nombre de vers une pensée ingénieuse et galante, en quoi il ressemble assez à l’épigramme ; ce qui a fait dire à Mme de Sévigné : « Je suis un peu fâchée que vous n’aimez pas les madrigaux ; ne sont-ils pas les maris des épigrammes ? ce sont de si jolis ménages quand ilssont bons. »

Le madrigal, plus simple (que la ballade) et plus noble en son tour,
Respire la douceur, la tendresse et l’amour.

BOILEAU, Art poét. ch. ii.

Les étymologistes sont partagés sur l’origine de ce terme. Selon Ménage et le P. Labbe, il viendrait du grec [gr.] (mandra), bergerie. Le madrigal serait donc une chanson de berger ; mais ce mot ayant été latinisé par Juvénal et d’autres bons auteurs, nos ancêtres, dit le P. Labbe, n’ont pas eu besoin de l’aller chercher chez les Grecs. D’autres croient que madrigal est dérivé de Madrid, parce que cette espèce de poésie était en vogue du temps que François Ier était prisonnier dans cette ville. D’autres enfin, tirent ce mot de l’espagnol madrug (se lever matin), parce que les amans avaient coutume de chanter des madrigaux dans les aubades qu’ils donnaient de grand matin sous les fenêtres de leurs maîtresses. Huet ne partage aucun de ces sentimens. « Les cantadours, dit l’évêque d’Avranches, De l’origine des romans, pag. 139, les jongleurs et les musards coururent la France du temps de Hugues Capet, débitant leurs ballades, aubades et martegalles, qu’on a ridiculement appellées martingalles, et d’où, selon ma conjecture, s’est formé le mot de madrigal, terme dont l’origine a été jusqu’ici plus inconnue que celle du Nil. Et les martegales et madrigaux ont pris leur nom des martegaux, peuples montagnards de la Provence. » Les anciens n’avaient point dans leurs langues le nom de madrigal, mais on peut le donner à plusieurs de leurs pièces, notamment à quelques odes d’Anacréon et à certains morceaux de Tibulle et de Catulle.

« Le mot de madrigal, au reste, n’est pas ancien en notre langue. J’ai ouï dire à M. Chapelain qu’il avoit été apporté en France, avec celui d’idylle, par le cavalier Marin. » MÉNAGE, Observations sur la langue françoise, iie partie, ch. 49.

[II. p. 209 a-b]

 

 

MÊMETÉ, s. f. Les journalistes de Trévoux avaient essayé de naturaliser ce mot; mais cette tentative, ridiculisée par le Dict. néol., a été sans succès. Cependant, "le mot scientifique identité ne signifie que même chose; il pourrait être rendu en français par mêmeté." VOLTAIRE.

[II. p. 282 b]

 

 

MOUSTACHE, s. f. du latin mystace, ablatif de mystax dans la Bible, venu du grec (mustax), qui signifie la lèvre supérieure et le poil qui y vient.

Jamais les ongles d’un niais n’ont gratté votre moustache, dit Me Guillaume à Henri IV, dans sa Réponse au soldat françois, 1604.

« Traduire en allemand, c’est presque toujours travestir ; juger d’un auteur traduit dans cette langue, c’est à peu près juger d’un militaire par l’épaisseur de ses moustaches. » Lett. Du comte de Lamberg.

« Jean de Castro, général portugais dans les Indes, se trouvant avoir besoin d’argent, se coupa une de ses moustaches, et envoya demander aux habitans de Goa vingt mille pistoles sur ce gage : elles lui furent prêtées d’abord ; et, dans la suite, il retira sa moustache avec honneur. » Montesquieu, Lett. Pers.

Sous sa moustache se dit proverbialement, et de même qu’à son nez, à sa barbe, pour en présence de quelqu’un et en le bravant.

Soyez beau, bien disant, ayez perruque blonde,
N’omettez un seul petit point ;
Un financier viendra qui, sous votre moustache,
Enlèvera la belle….

Quelque auteurs disent sur au lieu de sous.

« On n’est pas bien aise de voir sur sa moustache cajoler hardiment sa femme ou sa maîtresse. » Molière.

Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissans,
Et cru la mitonner pour moi durant treize ans,
Afin qu’un jeune fou dont elle s’amourache
Me la vienne enlever jusque sur la moustache.

Le Même. L’École des Femmes, act. IV, sc. I

La Fontaine

« Ce jeune homme croyoit pouser [sic] cette fille, mais il en est venu un plus riche qui la lui a enlevée sur la moustache. » Dict. de Trévoux, édit. de 1743.

« Les ennemis sont venus pour défendre cette place, on la leur a enlevée sur la moustache » Dict. de l’Acad. édit. de Moutardier (1802).

[II. p. 31 b-382 a]

 

 

MOUVEMENT, s. m.

Un premier mouvement ne fut jamais un crime.

CORNEILLE

« Ce prince est l’ame de la Ligue, il lui donne la vie et le mouvement. » SAINT-ÉVREMONT.

Pourquoi les danseuses de l’Opéra font-elles ordinairement une plus grande fortune que les chanteuses ? « C’est, répondit d’Alembert, à qui un étranger donnait un jour ce problème à résoudre, c’est une suite nécessaire des lois du mouvement. »

La sensibilité est le mouvement de l’imagination, la réflexion celui de l’intelligence, et la grâce celui de la beauté.

D’un homme agissant et intrigant on dit que c’est un homme qui se donne bien du mouvement, et l’on dit d’une personne qu’elle s’est donné bien du mouvement pour une affaire, dans une affaire, pour dire qu’elle s’est fort empressée pour la faire réussir.

« Ces façons de parler, dit le P. Bouhours, sont nées durant les dernières campagnes ; aussi viennent-elles apparemment de la guerre ; car le mot de mouvement est très-commun à la guerre : Faire un mouvement ; faire de grands mouvements. » Remarques nouvelles sur la langue françoise, pag. 474, Paris, 1676.

Le Pape emploie quelquefois, dans les provisions qu’il accorde, ou dans les bulles et brevets qui émanent de lui immédiatement, ces termes : de notre propre mouvement (motu proprio). Cette clause , dans l’esprit de la cour de Rome, signifie de sa pleine puissance, de sa souveraine autorité, de l’infaillibilité qu’il a reçue du Saint-Esprit. C’est pourquoi elle a toujours été odieuse en France, et les parlemens l’ont regardée comme donnant atteinte aux libertés de l’Église gallicane. On se souleva en effet contre cette clause en 1623 et 1646. Le Pape avait aussi employé ces mots dans le bref du 12 mars 1699, par lequel il condamne vingt-trois propositions tirées du Livre de l’archevêque de Cambrai ; mais le Parlement, dans l’arrêt rendu le 14 août 1699, par lequel il ordonne l’enregistrement de ce bref, a ajouté cette restriction, que c’est sans approbation de la clause que le bref a été donné du propre mouvement de Sa Sainteté. » Dictionn. de Trévoux, tom. iv, col. 1039, édit. de 1743.

[II. p. 383 b-384 a]

 

 

PÉRÉGRINITÉ, s. f. du latin peregrinitas (condition d'étranger).

"Je vous ay long-temps congneu amateur de pérégrinité, et désirant tousjours veoir et tousjours apprendre." RABELAIS, liv.iii, ch. 47.

"Ce mot a été employé par Deslandes, qui au reste a eu la précaution de le mettre en italiques pour indiquer qu'il le considérait comme hors d'usage.

"Faut-il que l'air de pérégrinité nous plaise si fort, que nous perdons celui qui nous est naturel." Art de ne point s'ennuyer, pag. 26.

Les auteurs du Dict. de Trévoux, et l'abbé Féraud, Dict. critiq. observent que le substantif pérégrinité est encore en usage comme terme de jurisprudence." Ch. POUGENS, Archéologie française, tom. ii, pag. 109.

[II. p. 591 b-592 a]

 

 

PLEBÉ, ÉE, adj. Du latin plebeius (du peuple, de la populace). Malherbe a dit des expressions plébées pour des expressions basses, populaires. Balzac et Saint-Evremont l’ont répété d’après lui ; le dernier a dit : « Fuyons ces expressions que Malherbe appelle plebées, aussi bien que celles qui s’appellent phébus. » Trévoux, édit. de 1743, prévient qu’il ne se dit plus.

[II. p. 637 b]

 

 

PONANT, s. m. de l’italien ponente, le point de l’horizon où le soleil se couche, et que nous nommons l’occident.

« Le ponent, il ponente des Italiens, dit le P. Labbe, pour signifier l’occident, le lieu où le soleil se couche, ubi currum ponit, seu solvit equos (où il dépose son char, où il dételle ses chevaux). »

Ses filles sont encore en leurs tendres années,
Et déjà leurs appas ont un charme si fort,
Que les rois les plus grands du ponant et du nord
Brûlent d’impatience après leurs hyménées.

MALHERBE, Poésies, liv. ii, Sonnet

à Monseigneur le Dauphin.

Et pour obtenir mieux quel souhait peut-il faire ?
Lui que jusqu’au ponant,
Depuis où le soleil vient dessus l’hémisphère,
Son absolu pouvoir a fait son lieutenant ?

Le même, Paraphrase du psaume viii.

« J’ai ouï dire à plusieurs de nos anciens qu’on se mocquoit à la cour de ce vers, à cause du mot ponant, qui se prend par le peuple pour le derrière. » MÉNAGE, Observations sur les Poésies de Malherbe, p. 559, édit. in-8°, Paris, 1666.

Les éditeurs du Dict. de Trévoux, 1743, prétendaient qu’il ne se disait plus guère qu’en poésie ; la remarque de Ménage semble indiquer qu’on évitait de s’en servir long-temps avant cette époque.

[II. p. 654 b-655 a]

 

 

PUT, PUTE, adj. Vilain, honteux, deshonnête, du latin putidus.

« Femme Pute, femme de mauvaise vie. » ROQUEFORT, Gloss. de la lang. rom.

Pute affaire, dans le Gloss du Roman de la rose, est traduit par action infâme.

On dit encore en Bourgogne pute fin, pute foi, pour mauvaise fin, mauvaise foi.

De ce mot pute, qui s’est pris substantivement pour prostituée, on a dérivé putain.

« Autrefois nous disions pute ; témoin ces vers du Roman de la Rose :

Toutes êtes, serez ou fûtes
De fait, ou de volonté putes :
Et qui très-bien vous chercheroit
Putes toutes vous trouveroit

Le mot de pute, et celui de putain, ne signifiaient originairement que fille ; ils ont depuis signifié fille débauchée : comme celui de garce, lequel en Anjou, et dans plusieurs autres provinces, se prend encore aujourd’hui simplement pour une fille. » MÉNAGE, Diction. étym. édit. in-fol, Paris, 1750.

Ainsi la pute est un percé vaisseau,
Fendu, rompu, et mal tenant son eau, etc.

Imagination poétique, pag. 116, in-16,

Lyon, 1552.

…………………. Un tas
De ruffiens et vieilles putes.

SAINT-GELAIS, pag. 223, Paris, 1719

Taisez-vous, petite putine.

SCARRON, Gigantomachie

Le mot putain, aujourd’hui banni du langage des personnes honnêtes, se trouve encore fréquemment dans les comédies de Molière et dans les écrits des auteurs de son siècle.

On avait dérivé de pute, putier, homme qui fréquente les femmes de mauvaise vie.

« Lors l’appela ribaud, lourdier, aprez putier, aprez yvrogne. » Les Cent nouv. Nouv. Nouv. Ire, ouvrage du 15e siècle.

[II. p. 690 a-b]

 

 

RAINETTE, s. f. pomme de rainette; ce mot, selon le Père Labbe, Etymologies des mots franç. p. 414, Paris, 1661, vient de ranuncula, diminutif de rana, raine ou grenouille, parce que les pommes de rainette, dit cet étymologiste, ont la pelure marquetée comme la peau des raines. Le Dictionnaire de l’Académie, édit. de 1802, donne la même étymologie à ce mot.

[II. p; 741 a]

 

 

SORDIDITÉ, s. f. sordide avarice. Les dictionnaires remarquent que ce mot est peu usité, cependant il est expressif ; il a le mérite d’épargner une périphrase ; et Massillon n’a pas craint de l’employer : « Devant un avare, la dureté et la sordidité ne sont plus dans notre bouche qu’une sage modération et une bonne conduite domestique. »

[II. p. 837 b]

 

 

SUBSTANTIFIER, v. Substantifier un infinitif, lui donner le sens d’un substantif, comme le vouloir pour la volonté. C’est un mot de Vaugelas, que Chapelain ne blâme pas dans cette occasion et que Thomas Corneille, dans ses notes sur les Remarques de Vaugelas sur la langue française, c. 416, a eu soin de relever, en ajoutant que l’expression était hardie, mais bonne en cet endroit.

[II. p. 850 a-b]

 

 

TURBULEMMENT, d’une manière turbulente; cet adverbe, employé par d’Ablancourt, condamné par le P. Bouhours, défendu contre lui par Ménage, et adopté dans le Dictionn. de l’Acad., et dans les autres vocabulaires, ne paraît pas encore tout-à-fait accrédité.

[II. p. 897 a]

 

 

VÉHÉMENCE, s. f. VÉHÉMENT, adj. VÉHÉMENTEMENT, adv. Selon le P. Bouhours, ces mots datent de la fin du 17e siècle. Ils sont bons, ajoute-t-il, en parlant des deux premiers, et ceux qui font scrupule de s’en servir, ont la conscience trop délicate en matière de langue.

Le mot de véhémentement n’est plus d’usage dans la conversation; mais on dit encore dans le Palais : cette pièce est véhémentement suspecte de fausseté." MÉNAGE, Dict. étym. édit. de 1750, au mot Prosateur.

[II. p. 907]

 

 

VOYAGISTE, s. m; On trouve ce mot dans Richelet, pour celui qui a écrit la relation d’un voyage; mais il n’a aucune autorité.

[II. p. 928 a]