Préambule

L'ensemble des 15 volumes du Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, auquel s'adjoignent les deux Suppléments de 1878 et 1890, constitue une somme monumentale de la lexicographie française et illustre parfaitement la continuation en ce siècle de l'esprit encyclopédique des Lumières. Esprit globalisant, certes, mais avant tout critique, historique, et idéologiquement engagé. Selon une distinction traditionnellement acquise, il est d'usage de répartir la production lexicographique en deux grandes familles, et de respecter strictement ce cloisonnement :

-- les dictionnaires de langue d'une part, qui visent à définir « sèchement » les positions respectives des termes d'une langue, variables chargées de valeurs, à l'intérieur du système lexical de cette langue;

et

-- les dictionnaires de choses, ou dictionnaires encyclopédiques, qui ajoutent aux renseignements précédents une information sur les propriétés et caractéristiques des termes retenus, en référence à leur ancrage dans les différents domaines de l'univers. Un encyclopédisme de bon aloi, tempéré par une usage idoine des méthodes lexicographiques, devrait alors permettre de conférer aux notices d'un tel ouvrage une objectivité globale fort recommandable à ceux qui veulent connaître les mots et le monde. Mais ce serait sans tenir compte du prisme idéologique du langage qui réfracte toujours la réalité avec des indices de déformation-transformation qui concourent grandement au pouvoir de l'information.

1. Dessein d'ensemble

Le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle fait indéniablement partie de la seconde famille des dictionnaires. Le regard rétrospectif des lecteurs de la fin du XXe siècle -- comme bientôt les lectures des premières décennies du XXIe -- ne manque pas d'accentuer ce qui assure aujourd'hui à ce document ses qualités prismatiques de réflecteur idéologique, au travers duquel se constituent les conditions de possibilité d'une analyse spectrale d'un passé culturel, politique, artistique, scientifique, religieux, philosophique idéologique. Notre patrimoine. Document unique et irremplaçable.

En effet, à côté du contenu directement informatif des notices, qui redonnent vie à des personnages oubliés, et à des faits égarés dans les labyrinthes de l'histoire politique, mais aussi à des notions enfouies dans les replis de la vie religieuse, artistique, culturelle, le contenu latéral ou indirect, qui permet de saisir dans une formulation les traces d'un jugement d'époque sur tel ou tel fait, tel personnage ou tel événement, retient constamment l'attention des lecteurs que nous sommes. L'horizon de rétrospection des lectures ainsi faites construit une historicité discursive des notices et conduit à la perception d'effets de valorisation positive, négative, et d'appréciation, constituant les indices d'une axiologie qui -- dans la plupart des cas -- échappe de nos jours à la conscience des usagers de l'ouvrage. C'est ainsi que le clivage célèbre de Bonaparte et Napoléon entre deux notices signifie beaucoup plus qu'une simple fantaisie de rédacteur, et jette sur l'histoire factuelle comme sur la légende tramée par la littérature un jour critique discriminant. Par la diversité des objets abordés dans ses notices, et par l'engagement dont font preuve ces dernières, le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle est ainsi le témoin d'un système du monde qui mérite aujourd'hui encore toute la considération des chercheurs confrontés à des objets dont la représentation est donnée par les textes de l'âge classique et moderne.

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