« LE MAUVAIS ÉCRIVAIN ET LE MAUVAIS ORATEUR

SONT DES ENNEMIS NÉS DE LA LANGUE FRANÇAISE;

L'UN PARCE QU'IL LA TRANSFORME EN UN JARGON BARBARE,

PAUVRE ET MÉCONNAISSABLE;

ET L'AUTRE, PARCE QU'IL LA DÉPOUILLE DE SON HARMONIE

ET DE SA RICHESSE, POUR LA REVÊTIR

DES LAMBEAUX DE SA PROPRE MISÈRE »[1] :

 

REMARQUES SUR L'ORALITÉ SUPPOSÉE DU FRANÇAIS AU XIXe SIÈCLE

 

 

Jacques-Philippe Saint-Gérand

Université Blaise Pascal

Clermont-Ferrand II

ENS Ulm / Paris

« Réseaux, Savoirs, Territoires »

 

 

 

 

 

Entre palingénésie improbable et douteuse thaumaturgie, le titre en forme de citation de ce propos indique le sens dans lequel veut s'engager la démonstration de la difficulté à saisir la trace d'un objet dont les diffractions et réflexions par l'écrit troublent irrémédiablement l'historicité. Je montrerai par là même que l'avancée que constituent les techniques d'enregistrement de la parole ne sert aucunement l'élucidation de cette aporie qui adosse oral et écrit dans une dialectique sans fin.

 

Le paradoxe est d'autant plus grand que dans nos civilisations européennes, l'écrit est le gage de la tradition, la caution d'une stabilité que l'oral, tout à l'encontre dément. Tout le mal de l'orthographe vient de là, et on ne peut pas dire que le XIXe siècle, avec l'invention et l'extension de l'école (Guizot, 1833, et Ferry 1881, 1882), ait été spécialement innocent en ce domaine! Si, dans la civilisation africaine où l'oralité est un facteur essentiel, l'écrivain Hampaté Bâ a pu dire au XXe siècle, «Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle», les amateurs de langue ont déjà pu formuler ce concept à la fin du XVIIIe siècle et en résoudre peu à peu les difficultés avant la fin du XIXe et les débuts du XXe siècle....

 

Dans la société française, le souvenir acquiert effectivement un statut pérenne et une certaine forme de légitimité testimoniale à partir du moment où il est écrit. L'histoire notamment s'est largement construite sur une critique de la tradition orale face à la solidité du document écrit. La culture française fondée sur l'écrit a  — pour ainsi dire —  longtemps passé l'oralité sous silence. Aujourd'hui, la question se pose de savoir pourquoi des bibliothèques, temples des livres par excellence, et d'autres institutions de collecte de documents écrits conservent-elles et offrent-elles au public des documents oraux dans une civilisation submergée par les textes ? Retraçons brièvement l'histoire de cette fixation de la parole sous une forme stable et standard, donc susceptible d'être partagée par une majorité. L'histoire  de ce qui préside à l'avénement d'une langue officielle. Nous tenons là  — en quelque sorte —  les principes organisateurs de la république, d'une part, et de la démocratie, d'autre part.

 

 

1° Briefve histoire de la fixation mécanique des voix.

Balbutiante au XVIIIe siècle, à la suite des observations sur la prononciation du français de Vaugelas (1647), et des Instructions crestiennes en ortografe naturelle du Père Gile Vaudelin (1715), puis des remarques de l'Abbé Féraud (Dictionnaire grammatical, 1761, et Dictionaire critique, 1787-88), l'étude du matériau oral se constitue en discipline scientifique au XIXe siècle et, grâce à la possibilité de capturer la voix humaine au moyen de l'enregistrement sonore. Les chercheurs prennent peu à peu conscience de l'importance de développer des sources documentaires orales aux côtés des enquêtes écrites. Mais, avant de parvenir à ce stade, il a fallu passer par bien des étapes car, à côté des machines à imiter les voix dont Jean-Pierre Seris[2] a naguère bien caractérisé les fonctions, le XVIIIe siècle a en quelque sorte embaumé l'orthographe de telle sorte que cette dernière est devenue insensible au lent mouvement de réadaptation croissante de l'écrit à un oral qui, pourtant, dans le même temps, se stabilisait. Mais pourquoi cette focalisation sur l'orthographe et donc l'écrit, me dira-t-on? La réponse est simple : dans le débat entre l'oral et l'écrit, il y va de la vie des langues. Les langues mortes sont celles qui ont exténué leurs locuteurs et qui ne possèdent plus de leur existence que des traces écrites.

 

François Augustin Paradis de Moncrif, dès 1760, avait pertinemment intitulé une de ses Dissertations Qu'on ne peut ni ne doit fixer une langue vivante. Mais cela était encore prématuré dans les années 1780-1810, car le primat de l'écrit sur l'oral restait toujours d'actualité dans une époque où les bouleversements de la société et de la politique requéraient autour de la République émergente et de l'Empire centralisateur une stabilisation de ce que l'oral ne parvient pas à fixer le flux incessant de la parole, les accents de la prosodie, le rythme des discours. En 1809, les statistiques des Coquebert de Montbret font état pour l'empire de 27 926 000 locuteurs « français », 4 071 000 locuteurs italiens, 2 705 000 locuteurs allemands, 2 227 000 locuteurs flamands, 967 000 locuteurs bretons et 108 000 locuteurs basques.

 

À vouloir fonder l'écriture sur les bases de l'audition d'une oralisation toujours labile, la réforme de orthographique de Marle, en 1826-1830, s'est elle-même épuisée. Soutenu par le futur Louis-Philippe, avant 1830, il ne bénéficie plus de ce soutien après l'accession au trône du Roi des Français. Et les projets ou les réalisations dans la même veine d'Adrien Féline, autour de 1850, achopperont bien sûr sur l'identique obstacle de la variété constatée opposée au mythe idéal de l'unification, dans un alibi inaccessible où se mêlent en parts variables selon les temps, politique, philosophie, économie et pédagogie.

 

Ce sont les amateurs de langue, et, ultérieurement les folkloristes et dialectologues, majoritairement celtisants (Le Brigant dès le XVIIIe siècle, puis Le Gonidec avec sa Grammaire celto-bretonne et son esquisse d'alphabet phonétique breton), qui s'attacheront à noter les faits d'oralité. Mais il faut là faire attention à ne pas commettre d'anachronisme, car, si ces deux dimensions sont bien connues hors de France dès le début du XIXe siècle, comme le montrent les exemples non imprévisibles de l'Allemagne et de la Suisse, il ne faut pas oublier que l'ethnologie et la dialectologie n'auront statut scientifique chez nous qu'au cours du dernier tiers du XIXe siècle. La toute puissance de la philologie aux deux premiers tiers du siècle ne poussait guère les savants à effectuer des enquêtes sur place, d'autant moins que les premiers celtisants français n'étant pas bretons ne semblaient pas souhaiter se rendre sur place pour recueillir leurs données :

 

« Il est cependant possible d'étudier le breton de Vannes, sans aller sur les lieux l'apprendre de la bouche des paysans »

 

note avec soulagement d'Arbois de Jubainville dans son premier article sur le vannetais (D'Arbois de Jubainville, 1872 p. 85), qui, fondé uniquement sur des textes demeure essentiellement de type philologique. C'est Emile Ernault originaire de Saint-Brieuc, philologue celtisant et néo-bretonnant convaincu, qui, par sa formation échappant à l'opprobre de l'amateurisme ou du fantastique, attira le premier l'attention des spécialistes de langue sur l'intérêt des parlers vivants. Une forme de patriotisme soutenant là l'énoncé d'une constatation frappée au coin du bon sens :

 

« L'honneur de la science française exige qu'elle prenne sur la science étrangère une pacifique revanche. C'est en France et non en Allemagne que se parle un rejeton des langues celtiques ; et il n'a jamais été étudié sur place à un point de vue scientifique. Les Allemands nous ont donné une grammaire comparée des langues celtiques, écrite avec génie : c'est bien le moins que nous leur donnions une grammaire comparée des dialectes bretons, élaborée avec zèle et conscience. Ayons donc le courage de constater les faits qui sont notre portée, si nous avons la faiblesse de laisser à nos voisins le privilège de les éclaircir et de les expliquer en grand. » (Ernault, 1887 p. 102).

 

Lui-même avait montré l'exemple en étudiant sur place le parler de Sarzeau (Ernault 1878). Il publia par la suite dans divers articles de nombreuses observations personnelles résultant de ses contacts personnels avec des Bretonnants, malheureusement sans les intégrer dans un plan d'ensemble. Joseph Loth fit de même en éparpillant ses observations dans des articles variés, des notes, des corrections, comme par exemple « Remarques sur le bas vannetais » (Loth, 1886), ou « Le dialecte de l'Ile aux Moines » (Loth, 1893).

 

Joseph Loth était convaincu de l'importance de l'étude sur place. des parlers vivants et de la notation la plus exacte possible des sons :

 

« Tout le monde reconnaît, sauf un certain nombre de linguistes, qui préfèrent toujours tourner dans le même cercle, que la connaissance exacte et précise des sons d'une langue encore vivante doit être le fondement même de toutes les recherches concernant la vie et l'histoire de cette langue. Ce qui a paralysé jusqu'ici l'étude des dialectes celtiques vivants, c'est : l'absence de tout système de transcription scientifique et fixe de leurs sons. Les savants, qui n'ont pu les étudier dans le pays même, ont été exposés ainsi à de grandes erreurs. »

 

écrivait-il en 1896 dans un court article exposant les principes d'un « Alphabet phonétique » (Loth 1896-a) adapté de celui de l'abbé Rousselot (1887) et appliqué immédiatement dans la transcription d'une « Chanson Bretonne » (Loth 1896-b). Mais, depuis 1886, l'Association Internationale des Linguistes, sous l'impulsion du phonéticien Paul Passy, avait déjà publié son Alphabet Phonétique International, plutôt utilisé pour la notation des langues exotiques, tandis que les romanistes, pour leur part, conservaient l'usage de l'alphabet dit de Bourciez (1889)... Le Maître phonétique du même Passy avait pour fonction de réguler le flux des dictions et de régulariser la singularité des paroles empreintes d'accents nuisant à la représentation d'une langue idéale, exempte de variations trop marquées. C'est à la même époque que Gaston Paris utilise pour cette représentation l'image d'une tapisserie aux teintes variées mais qui se fondent harmonieusement dans un dessein d'ensemble ("Les parlers de France",  in Revue des patois gallo-romans, II, 1888, pp. 161-172. )

 

Le recours était-il alors du côté de la phonétique expérimentale que l'abbé Rousselot fondait et développait dans ses séminaires de l'École Pratique des Hautes Etudes? Il est difficile de le dire car l'écart existant entre l'expérimentation et la documentation constituait et constitue toujours le hiatus séparant les linguistes de terrain et les linguistes de cabinet. Or il ne saurait y avoir évidemment de fixation de l'oralité sans une véritable enquête in situ. Bien sûr, le phonographe avait été inventé en 1877-1878; mais Jules Gilliéron (d'origine Suisse, 1854-1926) et son fidèle enquêteur à bicyclette, l'épicier de Saint-Pol sur Ternoise, Edmond Edmont (1849-1926), bien qu'ils aient parfaitement compris l'impératif de consigner des données orales, n'avaient à leur disposition que le carnet et le crayon. Et, malgré les difficultés de l'entreprise, ils eurent cependant le dessein d'un atlas linguistique, non exactement celui de la France républicaine, mais au moins de sa partie gallo-romane[3] dont les résultats furent publiés de 1902 à 1912. Le magnétophone, quant à lui, fut inventé en 1898, c'est-à-dire au tout début cette enquête, laquelle nous semble aujourd'hui une enquête à l'ancienne.

 

Concomitamment, c'est ce même désir de «rendre la parole humaine éternisée», mais également palpable, si je puis dire, qui, en 1911, a incité le linguiste Ferdinand Brunot à créer dans son laboratoire de la Sorbonne des Archives de la Parole. Il s'agissait pour lui de constituer, pour la première fois au sein d'une institution française, un patrimoine sonore destiné à l'étude et à la recherche de la langue par la collecte de témoignages, contes populaires, musiques traditionnelles, folklore, etc., réalisée dans les provinces françaises, puis dans le monde entier. C'est pourquoi, Ferdinand Brunot et Charles Bruneau, en juin-juillet 1912, ayant embarqué un phonographe « de voyage », aimablement mis à disposition par Emile Pathé, dans une voiture Renault de l'université de Paris, menèrent la première enquête linguistique enregistrée dans le département des Ardennes et le sud de la Wallonie; les documents sonores en sont conservés aux Archives de la parole, et constituent ainsi le témoignage d'une langue orale non essentiellement restreinte à un lexique et à quelques remarques de morphosyntaxe, mais bien saisie dans la polyphonie de ses différents aspects phonétiques, prosodiques, discursifs. Plus tard, à l'âge de sa retraite, Ferdinand Brunot enjoindra à son disciple de ne plus faire de dialectologie mais de la stylistique...La parole vive enfin fixée n'ayant probablement plus guère à ses yeux d'intérêt pour l'histoire de la langue et pour l'étude d'une langue contemporaine encore toute soumise au primat de l'écrit. Les exemples suivants, tous extraits des Archives de la parole : 1911-1913, et disponibles  sur le site Gallica de la BNF, montrent que ce nt pas pas l'improvisation orale et sa spontanéité qui méritent d'être fixés, mais plutôt la diction et l'oralisation d'un écrit antérieur à son énonciation :

 

Alphonse Aulard (1849-1928), Pasteur Emile Roberty (1838-1917), Paul Deschanel (1855-1922) . . . [et al. ].

- Histoire de la révolution à l'heure actuelle / Aulard, aut. , participant (AP O. 14)

- Vers l'évangile social / Pasteur Emile Roberty, aut. , participant (AP O. 32)

- Fragment d'un discours prononcé à la chambre des députés le 16 décembre 1911 sur l'accord franco-allemand /

 

Paul Deschanel (AP O. 34, AP O. 34 bis)

- Souvenirs de la Sorbonne — Pierre Baudin, aut. , participant (AP O. 58)

- Péroraison d'un discours à une assemblée populaire — Paul Deschanel, aut. , participant (AP O. 59)

- Discours prononcé à l'inauguration du monument d'Henri Régnault à Buzenval — Paul Déroulède (AP O. 114, AP O. 115)

Le vent — M. Verhaeren (1855-1916),

N° dans la marque O. 122/O. 123

- Le vent

- Le passeur d'eau

 

Le Pont Mirabeau — Guillaume Apollinaire (1880-1918),

N° dans la marque O. 168/O. 169

- Le Pont Mirabeau

- Marie

- Le voyageur

 

Pour les églises de France / Maurice Barrès (1862-1923),

N° dans la marque O. 197

Pour les églises de France

 

Des jugements de valeur — M. Durkheim, aut. , participant

N° dans la marque O. 150

- Des jugements de valeur

 

[Discours d'hommes politiques français durant la Première guerre mondiale] — M. Raymond Poincaré (1860-1934),  M. Gaston Doumergue (1865-1937), M. Paul Deschanel. . . [et al. ]

- La voix de M. Paul Deschanel,Président de la Chambre Des Députés(F4, F5)

- La voix de M. Paul Deschanel, Président de la Chambre des Députés (F6)

- La voix de M. Paul Deschanel, Président de la Chambre des Députés (F7)

- La voix de M. René Viviani, Président du Conseil des Ministres (F8)

- La voix de M. René Viviani, Président du Conseil des Ministres (F9, F10)

- La voix de M. René Viviani, Président du Conseil des Ministres (F12)

- La voix de M. René Viviani, Président du Conseil des Ministres (F11)

- La voix de M. Alexandre Ribot Président du Conseil des Ministres (F13,14)

- La voix de M. Léon Bourgeois, Président du Conseil des ministres (F15, F16, F17)

 

Nous sommes là, si je puis dire, dans la partie la plus facile et la plus obvie d'une archéologie de la voix et de l'oralité au XIXe siècle, car, d'après ce qui vient d'être relaté, il est désormais évident que l'intérêt essentiel de cette recherche réside dans l'infrangible dialectique qui unit la voix et son écriture. Non dans le document brut, que le linguiste traite comme une donnée phénoménologique, mais dans les échos et les ombres qui en démultiplient les dimensions idéologiques, comme le montrent les tentatives et essais des écrivains fascinés par le grain des voix perdues et oubliées. Le timbre d'organes qui laissent leur empreinte sur l'affectivité et l'intelligence de leurs auditeurs.

C'est alors qu'il convient d'examiner deux types différents de documents. Les notations improvisées d'une époque où l'oral constitue la dimension première de la langue, bien au-dessus d'un écrit réservé aux couches instruites de la société, d'une part, et, d'autre part, les remarques pratiques et les codifications théoriques de l'oral qu'enregistrent les dictionnaires.

 

2° Exemples de notation de l'oral : perception, présupposés, reconstructions, illusions...

Les pratiques de la littérature du XIXe siècle, à la recherche de publics toujours plus variés et nombreux, font que de multiples formes stylisées de la langue orale ont de plus en plus nettement tendance à s’y trouver représentées, fût-ce allusivement, par dérision ou par souci pittoresque. Mais l'oral court toujours devant l'écrit... C’est ainsi que les parlures dialectales et patoisantes, les argots, les formes populaires de dialogue ont pu s’insérer plus ou moins naturellement dans la trame des écrits littéraires.

 

Il faut donc se résigner à ne réunir sur l’oral pratiqué à distance historique dans les diverses régions du territoire français, que des indications fragmentaires et approximatives. Le Père Gile Vaudelin, à l’articulation des XVIIe et XVIIIe siècles, a pu être un de ces indicateurs de tendances fugitives. Du Broca, dans le registre académique, dès 1800 (rééed. 1824), avait pu donner quelques indications des ports de voix et de la prononciation déclamée[4]. Mais il s'agissait toujours d'un oral succédant à l'écrit et non d'un oral spontané le précédant. Il doublait la mise en 1806 avec son Traité de la prononciation des consonnes et des voyelles finales des mots français, dans leur rapport avec les consonnes et les voyelles initiales des mots suivants, suivi de la Prosodie de la langue française (Paris, Delaunay, Johanneau), mais l'on voyait là encore, sous l'appellation de « diction publique » une oralisation postérieure à l'écriture des textes, une oralisation rhétorique, relevant de la diction autant que de la gestique. Qu'en était-il donc pour l’oral de tous les jours, l'oral de la parole vive en ses développements non prémédités ? Il semble que l'on puisse avoir là trois types de documents à étudier.

 

a) J'isolerai tout d'abord le cas des correspondances privées.

La correspondance d'un célèbre bibliothécaire du début du XIXe siècle, Charles Weiss, membre de cette bisontine " connection " qui fournit entre autres à la France Charles Nodier,Victor Hugo, le chimiste Regnault, le peintre Courbet et le linguiste Gustave Fallot, a naguère permis de percevoir l'écho lointain de cet oral sauvage dont est peu à peu issu le français civilisé de l'école, et de prendre connaissance de certains spécimens de cette langue qui laissent apparaître les traces d'une standardisation en cours que le scripteur tente maladroitement de reproduire. Ainsi de ce témoignage d'un apprenti-perruquier, ancien compagnon d'enfance de Weiss :

 

"Paris, le 26 vendemier an 8

Morey à son ami Vaisse

 

Je vous fait a savoire que je suis arrivez en bonne santé à paris, je suis un peu en retar de vous écrire, mais c'est que j'ai resté lontems en fesant la route. jetoit avec des officiers et nous avons passé dans leur pays ou nous nous somme bien amusez pendant queque tems de la nous somme venu prendre le coche a auxer ou nous avons fait nos frace comme y faut d'abor nous avions de for jolie femme et nous avions couché deux nuit dans le coche et nous some arrivès a paris le meme jour que bonaparte y est arrivé incognitot àpène savoit-on cil etoit arrivez, on est cependan tres trenquille a paris, mais le commerce ne va pa du tout, cependans on samuse bien, c'est domage que les louis ne valle que six frans et moi je me donne un pante de prendre une chambre au premier sur le devant auci je taille dans le grans car je vien de faire connaissance d'une petite femme qui est très jentille mais c'est domage que je ne peu pas lavoire toutes les fois que je voudrois car son mari est bien jaloux cependans elle vien de me faire dire de passer ches elle de suite pour la compagner à l'opéra quelle est seulle et je vai bien vite me donner une pante pour mi randre car je ne manque pas de choses comme sela cest elle qui pais bien entendu parce que l'opéra est trop cher pour moi, mon cher ami, je crain de la faire attendre, je fini en vous embrassan et suit avec amitié,

votre ami Morey

 

P. S. bien des choses a vos gence et ches méline lavette nodié desse au pere Sevette vous lui demanderais si la envoyer ma clarinet a luxeuil javois donné commission au jeune homme qui travaille ches vaillan priere de lui demander dite lui je vous prie de la remettre a se jeune homme pour qui la fasse passer au citoyen lalet bouché à luxeuil, vous m'obligeres.

Voici mon adresse morey perruquier Vieille rue du temple ches le citoyen Delair marchan de vin en face l'hotelle Subise n° 719 a paris. excusez moi si ma lettre est mal ecrite c'est que je suis tres pressé.

 

Au citoyen Vaise fabrican de bas ches son pere rue ronchaux a besançon dep. de haute Saone. "

 

Les textes de cette nature, comme Nathalie Fournier et Sonia Branca l'ont jadis montré[5], ne constituent ni une image fiable de l'écrit, ni une mémoire fidèle de l'oral; ils sont matières composites reproduisant les effets de contrainte exercés sur les locuteurs et les scripteurs du français par les hiérachisations sociales issues du bouleversement révolutionnaire et des recompositions de l'Empire, de la Restauration, et des différents régimes leur ayant succédé. Instabilité politique, variabilité linguistique; variation des régimes, insécurité langagière...

 

Ces documents soulignent l'impossibilité d'opposer nettement oral et écrit dans la dimension historique. Morphologie et syntaxe, acceptables d'ailleurs en d'autres circonstances énonciatives, soutiennent ici la progression d'un lexique sans grandes marques évidentes de déviance; reste la graphie, qui, sous un mimétisme obstiné de l'oral, dissimule les formes, et affole la segmentation. Une graphie qui bouleverse la compréhension immédiate du contenu de ces textes. Et que l'on n'aille pas voir là un effet de l'illettrisme affectant les plus bas niveaux de la société; oral  — même délicat à se représenter -—  n'est pas plus synonyme de populaire et fautif qu'écrit ne l'est de correct et soutenu. Les cacologies et cacographies ambiantes, ces recueils de fautes stigmatisées, auraient beau jeu de relever dans le corpus des incorrections nombreuses touchant aux divers secteurs dans lesquels s’exerce le purisme correctif le plus strict :

A/. Verbes, et conjugaisons :

- Présent de l’indicatif : je vous fait, je vien, je ne peu l’avoire, je vai, je crain, je suit, je fini, elle qui pais.

- Imparfait de l’indicatif : jetoit.

- Futur : vous lui demanderais.

- Archaïsmes des formes sans cédille : je scai, jai scu

- Auxiliarisation défectueuse : nous avons passe; j’ai resté.

B/. Morphosyntaxe :

- Amuïssement du l final de il en position antéconsonantique : comme y faut, pour qui la fasse passer, d’où certaines confusions entre le relatif et la conjonction suivie du pronom il.

- Confusion de la conjonction et de l'adverbe relatif : ou pour où: [sic]

- Confusion du verbe Avoir et de la préposition : a pour à: [sic]

- Confusion de c’+e, i et de s’ : cil estoit arrivez, sela, a se jeune homme.

C/. Orthographie d'usage[6] :

- Perturbations de l’emploi des géminées : quelle est seulle, valleur, domage.

- Traitement aléatoire des finales : Auxer, retar, grans, cependans, clarinet, gence, marchand.

- Coupe des mots : jetois, àpène, pour la compagner, pour mi randre, si la envoyer, on samuse, quelle est seulle....

- Inscription de perturbations phonétiques : frace [frasque], queque, gence...

D/. Lexique proprement dit :

- Je me donne un pante de... Ce terme d’argot parisien, recensé par les dictionnaires de Boiste, D’Hautel, et Desgranges, réfère au bourgeois bon à exploiter, à berner, à rouler, voire à voler; il désigne ici le jeu auquel se livre un provincial déjà conscient de son infériorité pour paraître plus et autre qu’il n’est : se donner un pante de, s’efforcer d’avoir les allures bourgeoises, en louant par exemple une chambre au-dessus de l’entresol et en filant des amours de convention. . . Par extension se faire mousser en faisant ceci ou cela, qui relève ordinairement d’un autre niveau et d’un type différent de pratiques sociales.

 

Mais il est clair que le domaine du lexique est celui qui laisse déjà apparaître le moins de transgressions. Aux aberrations de segmentation près, ce texte présente des éléments de lexique globalement conformes à la norme du vocabulaire de l’époque. Il est vrai que depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle la grammatisation du français passe largement par la fabrique de dictionnaires... Et, dans ce genre, les cacographies ou cacologies, destinées à rectifier les fautes de prononciation et d’orthographe, déclinent le plus souvent leurs remarques sous la forme de séries rangées par ordre alphabétique.

 

Graphie et phonétisme, en-deçà des faits de morphosyntaxes, sont donc les secteurs dans lesquels se perçoit le plus encore l'instabilité de fixation du français. D'où les querelles graphiques qui traversent le XIXe siècle, et les tentatives de réformes qui  — jusqu'au XXe siècle —  les accompagneront. Dans le Journal Grammatical de 1835, Michelot note :

 

Toutes les doubles consonnes étymologiques et orthographiques, inutiles à la perception intellectuelle et physique d'un mot ou d'une syllabe, se suppriment dans la prononciation. Ce principe, qui n'est peut-être écrit nulle-part, est du nombre de ceux qui résultent de la nature même du langage, et que toutes les personnes qui parlent bien et sans affectation, appliquent pour ainsi dire à leur insu. Une telle loi, comme toutes celles de la parole physique, vient de l'instinct, du sentiment de l'oreille, juge irrécusable de l'harmonie des langues, chez toutes les personnes qui n'ont point étouffé l'activité du sens de l'ouïe[7]

 

Et l'on voit même paraître à cet égard des revendications allant jusqu'à la pétition de principe onomasiologique :

 

Nous donnons le titre d'Orthophonie à cette partie de la grammaire qui enseigne à prononcer les mots exactement. En effet, si l'art de bien écrire est appelé Orthographie, celui de bien prononcer doit se nommer Orthophonie. L'Orthophonie est d'autant moins à négliger dans notre dictionnaire qu'il est plus commode à chacun de ne pas aller chercher ailleurs la manière de prononcer les mots qui s'y trouvent enregistrés. La grande difficulté est de peindre à l'oeil les son fugitifs et incertains des lettres [. . . ][8]

 

Les choses sont d'ailleurs bien plus complexes et délicates dans la réalité de leur actualisation, et au-delà même de nos capacités de reconstruction, si l'on en croit par exemple un De Wailly qui énonce une évidence non avouée à son époque et d’ailleurs non encore reconnue de nos jours :

 

Nous avons deux sortes de prononciation; l'une pour la conversation, l'autre pour les vers et le discours soutenu[9]

 

Qui nous restituera précisément aujourd'hui la phonétique et la phonologie du " français " pratiqué vers 1820 ou 1870 dans les environs d'Arcueil, de Castres, Arras ou de Niort? Et dans quels cadres? Celui d'une diction familiale ou familière, dans un lieu où la projection de la voix n'a pas besoin d'être forcée, ou celui d'une diction publique, dans un lieux où il est nécessaire de placer sa voix, et requérant une forme de mise en scène de l'oralisation?

 

b) A côté des exemples de la correspondance privée, j'isolerai les témoignages journalistiques ou assimilés, qui, dans le cadre d'une recherche plus approfondie, multiplieraient les documents à sonder entre traces brutes et traces plus ou moins stylisées.

 

Ainsi le Bulletin français du 17 février 1839, relatant quelques souvenirs du duc de Vicence, propose-t-il des formes phraséologiques qui semblent rétrospectivement pouvoir esquisser l'image que des scripteurs moyennement instruits se donnaient alors des usages courants de la langue orale dans les milieux populaires: " Et quèque ça vous fiche ", " j'tope dans le godant ", au sens de donner dans le piège, tomber dans le panneau. Mais il ne faut pas être dupe. Ces formes sont médiatisées par de multiples filtres linguistiques, épilinguistiques, métalinguistiques et socio-culturels. Le passage de l'oral à l'écrit, sa fixation et sa stylisation amènent ainsi des altérations dont la nature et l'impact sont aujourd'hui difficiles à évaluer... Reste seulement une certaine perception de l'ombre portée sur les documents écrits par des usages entr'aperçus dans quelques notations épi- ou métalinguistiques[10].

 

Un autre exemple intéressant est celui des traces de boniments que l'on pouvait écouter à l'époque sur le boulevard. Il faudrait certes s'interroger sur la validité testimonialede ces traces, mais, telles quelles, elles renseignent déjà sur les dispositifs argumentatifs et sur les phénomènes prosodiques caractéristiques de cet oral en situation définie. Quelques rares textes de boniments, déclamés par des escamoteux en quête de pratiques du type de celui présenté ci-dessus, ont heureusement pu être approximativement notés et sauvegardés. Ainsi, ce monologue, attribué au célèbre Miette, marchand ambulant et illusionniste des années 1830, qui avait installé le siège principal de ses activités sur le quai des Augustins, à quelques pas de l’Institut et de l’Académie française….

 

“ Je ne vous dirai pas [voix de fausset], que je suis l’élève de Mlle Lenormand… Mlle Lenormand n’a jamais fait d’élèves. Je ne vous dirai pas que je suis le gendre ou le successeur du célèbre Moreau [allusion perfide à un autre charlatan, plus connu, qui se donnait comme élève de Moreau, et disait la bonne aventure] ; môssieu Moreau n’a jamais eu de gendre ni de successeur. Mais qu’es-tu donc alors ? Messieurs, je n’emprunte le nom de personne, je me nomme Miette, l’un des sept fils du dragon de Paris. Feu mon père était escamoteur, mon frère était escamoteur, je suis escamoteur. Je demeure, rue Dauphine, n° 12, maison du marchand de vin, ce qui ne veut pas dire que je demeure chez le marchand de vin, c’est au contraire le marchand de vin qui demeure chez moi… J’ai travaillé trois fois devant l’ambassadeur de Perse, mais je ne me targuerai point de ce vain titre pour vous dire que c’est l’ambassadeur de Perse qui m’a découvert le secret de la ppoudre ppersannne… Il ne m’a jamais parlé… D’ailleurs, l’eût-il fait, je ne l’eusse pas compris, car il m’eût parlé persan, et, je l’avoue à ma honte, je n’ai point étudié les langues orientales ; mais ce fut un des officiers de sa maison, môssieu Ugène barrrbarrroux… Curieux d’apprendre à faire des tours, il m’en demanda et je les lui démontrai. C’était un élève agréable… Il ne me payait pas avec des pommes de terre. [Il tire des pommes de terre de dessous les gobelets]. Il ne vous tirait pas de carottes. [Il fait surgir une carotte] Et voici des carottes ; mais il avait de l’ognon [même jeu], et voici de l’ognon ; aussi me faisait-il des compliments. Il me disait : môssieu Miette, pour les tours de passe-passe et de gobelets, à vous le pompon [il montre un pompon], et voici le pompon. J’en étais donc très content, aussi vrai que voici la petite balle [il escamote une petite balle], la moyenne balle [même jeu] et leur camarade la grosse balle [même jeu]. Un jour, je me présentai chez lui, il était en train de se nettoyer les dents. Cela ne m’étonna pas, la propreté de la bouche étant de tous les âges et de toutes les nations; mais, ce qui m’étonna, c’est ce qui va vous surprendre, c’est que, depuis trente-cinq ans [exagération] que j’exerce sur cette place, je n’ai point encore vu ailleurs. . . la ppoudre dont il se servait. Blanche comme de la neige [il ouvre une boite et la montre en faisant le tour du cercle], à peine introduite dans la “ booche ”, elle devenait cramoisie comme de la lie de vin. [Il introduit dans sa bouche un linge frotté de poudre persane, s’en frotte les dents et fait le tour du cercle en montrant au public le linge devenu rouge. Il tient aussi la bouche ouverte de manière à faire voir ses dents] Voici, je l’espère, du cramoisi [Il remet la boite en place]. curieux de ce phénomène, je m’en informai, il me le dit et je l’ai gardé pour moi. . . [en insistant]. Voilà tout mon talent. Tant que l’Ambassade de Perse resta en France, je ne parlai plus à personne; une fois qu’elle en fut partie, je me présentai à l’Aacaadémie rrroyale de mé-de-cine, j’exposai ma recette et j’obtins mon brevet, ce n’est pas plus malin que ça. La ppoudre ppersannne, Messieurs, n’a que cinq propriétés; mais elles sont ir-ré-cu-sa-bles [pause]... Elle blanchit en deux minutes, montre en main, les dents les plus noires [pause]... Elle calme à l’instant la douleur de dent la plus vive [pause]... Elle corrige la mauvaise haleine, toutefois et quantes la mauvaise haleine n’est point le produit de la putréfaction de l’estomac [pause].... lle raffermit les dents ébranlées dans leurs alvéoles, en arrête la carie, en arrête le tartre, et le tuf [pause].... Les dents sont un des agréments de la physionomie... Une bouche qui en est démeublée n’en offre plus, et pourtant les dentistes vous les arrachent. L’homme le plus hardi tremble à la vue des instruments qu’il faut introduire dans la “ booche ” pour opérer l’extraction de la dent la plus simple [à ce moment-là, il déroule une trousse de dentiste, dans laquelle se trouvent des instruments énormes et rouillés, espèces de tire-bottes monstrueux qui font frissonner l’auditoire; il prolonge alors la terreur en gardant le silence le plus absolu en promenant ses instruments devant toutes les bouches des curieux, qui se ferment instinctivement].

Me direz-vous que vous vous voyez entrer ces instruments de sang-froid dans la “ booche ” [nouvelle promenade autour du cercle avec la terrible trousse]?  — Non! Eh bien! gardons les ornements que la nature nous a départis, sans nous livrer aux mains barbares des opérateurs. La ppoudre ppersannne nous épargne ces désagréments-là, et voici la manière de s’en servir : Vous prenez un linge blanc de lessive, que vous enroulez autour du doigt comme ceci [il opère en même temps et montre chaque exercice à la ronde]. Vous le trempez dans l’eau, l’appliquez sur la boâte, l’introduisez dans la “ booche ”, et vous frottez les dents avec... puis vous prenez une gorgée et vous rincez [il l’avale; marque d’étonnement].  — Comment? quoi, couillon, tu l’avales?  — Oui, Messieurs, la ppoudre ppersannne laisse dans la  “ booche ” une odeur si suave, si exquise, si agréable, que je ne suis pas assez ennemi de mon estomac pour l’en priver volontairement...

Avec toutes ces qualités, la ppoudre ppersannne coûtera donc bien cher? Non, Messieurs, nous l’avons mise à la portée de toutes les bourses. Il y a des boâtes de 1fr. 50 ou 30 sous [pause]. Il y a des boâtes de 1 fr. ou 20 sous qui sont les deux-tiers des boâtes de trente [pause]. Il y a des boâtes de 75 centimes ou des boâtes de 30 [pause]. Il y a des boâtes de cinquante centimes ou dix sous, qui sont les deux-tiers des boâtes de quinze, la moitié des boâtes de vingt, et le tiers de boâtes de trente [longue pause].... Enfin, Messieurs, il y a des boâtes, dites boâtes d’essai ou d’épreuve, et que je ne vends que pour dix centimes ou deux sous. Messieurs, si la ppoudre ppersannne, n’a pas rendu blanches en deux minutes, montre en main, les dents les plus noires, si elle n’a point arrêté la carie... si elle n’a point enlevé le tartre et le tuf... si elle n’a point corrigé la mauvaise haleine, toutefois pourtant que la mauvaise haleine ne provient pas de la putréfaction de l’estomac... si elle n’a point raffermi les dents dans leurs alvéoles, rendu leur couleur naturelle aux gencives... si elle n’a point calmé en un clin d’oeil la douleur de dents la plus vive, entrez dans ce cercle, démentez-moi, traitez-moi de fourbe et d’imposteur, prenez mon ordonnance, déchirez-la et jetez m’en les morceaux à la figure... Au cas contraire, dites-le à vos amis et connaissances, et rendez-moi justice. . .  ”

 

P. S. Les jours où il vendait peu, Miette cherchait à humilier les pratiques qui n’achetaient que des boâtes de deux sous, en appuyant sur les mots : “ une boâte de ddeux sous à Moissieu ”, au lieu de se servir du terme poli de boâte d’essai qu’il n’employait que dans les occasions de forte vente.

 

Il est certain que, dans ce "document", la transcription ajoute les facteurs d'intelligibilité qui nous rendent sa lecture possible. Les incises didascaliques rehaussent le caractère théâtral du boniment, et précisent les ports et timbres des différentes voix que se donne Miette, tout comme les effets de graphie expressive pour simuler l'articulation et approcher la phonétique particulière du bonimenteur, contribuent à créer l'illusion d'une certaine oralité. Mais celle-ci, bien évidemment, se travestit, ou plutôt est travestie par le souci qu'a le transcripteur de cerner des faits relevant de l'ordre suprasegmental.

 

c) Enfin, j'isolerai un dernier type écrit qu'il ne faut ni oublier ni négliger : celui des chansons de chansonniers.

 

A côté des témoignages d’archives et de correspondances privées, qui donnent très souvent à percevoir, en filigrane dans l’hypercorrection, l’écho à peine atténué d’un oral détaché des convenances et omniprésent, il convient de ne pas sous-estimer le rôle tenu par les recueils de chansons aux allure populaire, mais destinés à un lectorat plus relevé, et par les écrits de chansonniers. Les exemples suivants, à étoffer par d’autres témoignages, laissent imaginer certaines des plus fréquentes déformations de la langue orale, dont, par ailleurs, les cacologies, et les dictionnaires de langue vicieuse [comme les ouvrages de Louis Platt, de Concarneau : 1835, mais auparavant, et avec autant de pertinence d’Hautel : 1808, ou Desgranges : 1820[11]] dénoncent les multiples réalisations. Ces textes nous aident rétrospectivement à fixer la représentation de pratiques jugées déviantes ou fautives par les contemporains détenteurs de la norme d’usage bourgeoise et globalement parisienne. Ironie, érotisme ou pornographie, déréliction langagière, s'y mêlent avec plus ou moins de bonheur et stimulent aujourd'hui notre curiosité… Car tout ceci, est-il utile de le répéter, se joue à l’époque et ne se donne à lire et interpréter pour nous qu’à travers les prismes des idéologies et leurs déformations.

 

Marc-Antoine-Madeleine Désaugiers, né à Fréjus le 17 novembre 1772, mort à Paris le 9 août 1827, était le fils d’un compositeur de musique [Marc-Antoine, 1752-1793] qui reçut lui-même les leçons de Gluck et de Sacchini. Il fut le prolifique auteur de la majeure partie des chansons qui assurèrent le succès de l’Almanach des Muses, du Caveau, et du théâtre du Vaudeville. Son type favori, Cadet Buteux, est enfant de la Rapée, ce quartier de Paris dans lequel se rassemblent toujours sur les berges de la Seine les usagers d’un langage plein de verdeur, d’images et de sonorités goualantes que l’écriture a quelque mal à fixer. Au même titre que Béranger[12], Félix Gouffé ou Emile Debraux, Désaugiers mérite d’être considéré comme un témoin intéressant de ces vibrations de l’air produites par des bouches que l’on considère alternativement comme malhabiles ou libérées de toute contrainte normative, généralement dangereuses pour les bonnes moeurs bourgeoises et incorrectes à l'oreille des discoureurs politiques.

 

Le Menuisier Simon ou la Rage de sortir le Dimanche

 

Allons, Suzon, j’ tenons dimanche,

Ouvre tes yeux et tes rideaux ;

Quand j’ons six grands jours scié la planche

Tu sais qu’ j’ai d’ la maison plein l’ dos.

Il faut que j’ sortions d’un’ berrière…

Débarbouill’ vite ton garçon…

Passe l’ jupon

Moi l’ pantalon

Et zon, zon, zon

En avant ma Suzon

J’ goberons moins d’ m’ ringues que d’ poussière

Mais j’ ne serons pointz’ à la maison.

 

Où c’ que j’ rons ? Que vas tu m’ dire ;

C’est aujourd’hui foire à Pantin,

Courons y vite, que j’ respire

L’ parfum z’ embaumé du matin…

Seul’ ment n’ mets pas tes plus bell’s hardes

Car ce nuage au-d’ ssus d’ Charenton

N’ promet rien d’ bon

Tant pis… Quoi donc ?

Et zon, zon, zon

J’sais c’ que c’est qu’un bouillon…

J’allons être inondé d’ hall’ bardes

Mais je n’ serons pointz’ à la maison.

 

 

 

Soirée de Cadet Buteux, passeux à la Rapée,

Aux expériences du Sieur Olivier

 

Je n’ vois, en fait de pestacles

Foi d’Cadet Buteux,

Rien qui vaille les miracles

D’ nos escamoteux ;

J’en savons un passé maître

Qu’ j’avons vu l’aut’ soir ;

Gn’y a qu’un moyen de l’ connaître

Et c’est d’aller l’ voir.

 

J’ crois que c’ luron-là s’appelle

Monsieur Olivier ;

Et c’est dans la ru’ d’ Guernelle

Qu’ travaille l’ sorcier ;

I’ sait vous r’ tourner, vous prendre

Qu’on n’y connaît rien

Et j’ dis qu’s’il ne s’ fait point pendre

C’est qu’il le veut bien.

 

J’ pensons une carte, i’ m’ la nomme,

C’était l’ roi d’ carreau :

V’ la qu’ d’un’ main il prend z’ un’ pomme

Et d’ l’autre un couteau ;

Il la partage, il la montre*Et voyez l’ malin !

V’ la mon roi qui s’y rencontre

En guise d’ pépin.

 

C’ qu’est pus fort, c’est qu’i prépare

Un grand verre d’ vin,

Et vous l’flanque, sans dir’ gare,

Au nez d’ mon voisin :

L’ diable d’ vin s’ métamorphose

En rose, en œillet :

V’ la, m’dis-je en restant tout chose,

Un vin qu’a l’ bouquet !

 

J’ liprêtons, à sa prière,

Mon castor à glands,

Parc’ qu’il avait z’ envi d’ faire

Une om’ lette dedans :

Gn’y a pointz’ à dire, il l’a faite

Et ça sous not’ nez

Et, jarni, moi, d’ voir c’ t’ omelette

Ça m’a tout r’ tourné.

 

Il m’d’mande que j’ li garde

Six écus tournois ;

J’ les prenons, mais quand j’y r’ garde

V’la qui’ m’en manqu’ trois ;

On les trouv’ dans un’ aut’ poche :

A Paris, quoiqu’ ça,

N’ faut pointz’ un’ lunett ‘ d’approche

Pour voir ces coups-là.

 

Il perce un mouchoir d’percale

D’ la grosseur d’un œuf

Il souffle dessus, il l’étale,

Crac, le v’ la tout neuf.

Pour nos fill’s, ah ! queu trouvaille,

Dans c’ siècle d’ vartus

Si pour boucher z’un entaille

N’ fallait qu’ souffler d’ ssus !

 

V’la qu’ tout à coup la nuit tombe…

Et, pour divartir

J’ vois comm’ qui dirait d’un’ tombe

D’ s esquelett’ s sortir :

A leurs airs secs et minables,

On s’ disait comm’ ça :

C’est-i d’ s artist’ s véritables

Qui jou’nt ces rol’ s là ?

 

Mais avant qu’un chacun sorte

(Et c’est là l’ chiendent !)

V’ la l’ Fanfan qui nous apporte

Deux torches d’ rev’ nant

Morgué ! que l’ bon dieu t’ bénisse,

Suppôt d’ Lucifer !

J’ croyions que j’avions la jaunisse,

Tant j’avions l’teint vert.

 

Bref, c’ t Olivier z’ est capable,

Dans l’ méquier qu’ i fait,

D’escamoter jusqu’au diable,

Si l’ diable l’ tentait :

Par ainsi, sans épigramme,

Crainte d’accident,

Faut toujours, messieurs et dames,

S’ tâter z’ en sortant

 

Je ne ferai pas le compte des cuirs et pataquès ici mentionnés ni n'en détaillerai la variété linguistique. La variété des tours est limitée, et ces derniers sont faciles à repérer. Toutefois, la manière d'approcher ces documents va évoluer significativement pendant la période qui nous occupe ici. De la proscription révolutionnaire à la reconnaissance officielle que constituera la création d'une chaire de dialectologie à l'École Pratique des Hautes Études en 1888, en passant par la création de la Société [....] des Antiquaires de France (1814), par les diverses étapes d'attribution du Prix Volney de l'Institut, et par les différentes enquêtes linguistiques officielles, dont celle sur les chants populaires, initée par H. Fortoul en 1852, se dessine une prise en compte progressive de la valeur documentaire tout d'abord, puis de la valeur scientifique des patois et des diverses formes de l'oralité pratiquées sur le territoire de la nation française. Nous retrouvons ici la problématique des dialectes comme formes privilégiées de ces multiples oraux si éclatés et hétérogènes, que la Monarchie de Juillet, la seconde République, le second Empire et la troisième République auront tant de mal à unifier  — à défaut d'en faire taire les voix contestataires —  et qui, contre l'écrit officiel de l'institution scolaire, finiront par constituer l'oralité française privée tout autant que publique du XIXe siècle.

 

En 1814, Dupin écrivait déjà :

 

Il y a des personnes qui voient avec chagrin l'altération progressive de nos patois locaux et leur tendance à se fondre dans la langue nationale. Je crois, comme elles, qu'une étude sage et une comparaison judicieuse de ces dialectes pourrait offrir au grammairien, et plus encore peut-être à l'historien, une mine féconde, beaucoup trop négligée jusqu'à ce jour; et s'ils venaient à disparaître tout-à-fait, avant qu'une main savante eût mis en oeuvre les matériaux altérés, mais précieux, qu'ils renferment encore, j'en partagerais sincèrement le regret. Mais lorsque la Société royale aura recueilli ces fragments épars de nos antiquité, je serai le premier à désirer de voir disparaître et s'effacer entièrement les différences d'idiomes qui isolent encore quelques membres de la grande famille française[13].

 

Il serait certainement fastidieux de décliner l'intégralité des étapes qui conduisent du décret du 8 Pluviose an II [27 janvier] portant condamnation des patois par la Convention, et qui établit un instituteur dans chaque commune, à la conférence de Gaston Paris, le samedi 26 mai 1888, qui expose les grandes lignes d’un programme visant à réaliser un Atlas linguistique de la France, et engage à entreprendre des monographies dialectales descriptives par commune. Mais il n'est certainement pas indifférent que l'évolution perceptible en France s'insère dans un mouvement d'ensemble plus général qui affecte simultanément l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suisse et l'Italie, c'est-à-dire les nations qui se trouvent alors à la pointe du développement de la recherche en linguistique historique. Il est aussi très significatif qu'en France même l'émergence de la dialectologie et la reconnaissance de la légitimité des patois et dialectes soient concomitantes de la naissance de la phonétique[14] et de la sémantique[15].

 

 

3° Oral, littérature, littérature orale, ratures et orature...

Je n’ai pas évoqué jusqu’à maintenant la récupération par les écrivains du XIXe siècle de ces formes dialectales afin de créer certains effets superficiels de pittoresque, car la question est complexe; elle dépasse la simple recherche d'une authentique couleur locale et intéresse problablement plus la sémiotique des textes que la linguistique proprement dite et l’histoire même de la langue française[16]. Des écrivains de sensibilités politiques contraires n'ont pas hésité à recourir quasi simultanément à ce même processus pour le mettre au service d'idées opposées.

 

Il faut cependant en dire un mot ici car cet objet ne concerne pas uniquement le lexique. Les régionalismes lexicaux et les diverses formes de parlers régionaux employés par Balzac, Sand ou Barbey d’Aurevilly ont longtemps fait l’objet de commentaires approximatifs de la part des critiques et même des stylisticiens, parce qu’ils étaient pour ainsi dire pris au premier degré de leur utilisation, celui de leur capacité dénotative. Mais on a probablement négligé, derrière leur pittoresque de langue, le caractère fautif  — on disait vicieux  qu'ils exhibaient, que d'innombrables censeurs et correcteurs dénonçaient dans des ouvrages du type des cacologies, des omnibus de langage et des dictionnaires du langage vicieux. Et la fonction connotative de ces termes en tant que marqueurs idéologiques.

 

Napoléon Landais, après Lévy-Alvarès et bien d'autres aujourd'hui oubliés, ne manquaient pas de dresser des listes d'incorrections à éviter. Ainsi dans la Grammaire générale des Grammaires françaises du premier nommé (1834) :

 

BARBARISMES A ÉVITER.

 

Ne dites pas                     Mais dites


 

Aides d’une maison                  Êtres d’une maison

Aigledon                                  Édredon

Airé                                         Aéré

Ajambée                                   Enjambée

Ajamber                                   Enjamber

Ambe d’un cheval                    Amble d’un cheval

Angencer                                 Agencer

Angle (prendre l’)                    Langue (prendre)

Angola                                     Angora

Angoise                                    Angoisse

Apprentisse                              Apprentie

Aréchal (fil d’)                         Archal (fil d’)

Aréostier                                  Aérostier

Argot (d’un coq)                      Ergot (d’un coq)

Arguillon                                  Ardillon

Astérique                                  Astérisque

Avalange                                  Avalanche

Babouine                                  Babine

Bailler aux corneilles                Bayer aux corneilles

Baracan                                    Bouracan

Belsamine                                Balsamine

Berlan                                      Brelan

Bouilleau                                  Bouleau

Boulin à grain                           Boulingrin

Boulvari                                   Hourvari

Brouillasse (il)                          Bruine (il)

Brouine (il)                              Bruine (il)

Cacaphonie ou cocaphonie        Cacophonie

Cacochisme                              Cacochyme

Calemberdaine                          Calembredaine

Calvi (pomme)                         Calville (pomme)

Caneçon                                   Caleçon

Cassis de veau                           Quasi de veau

Casterolle                                 Casserolle

Castonnade                              Cassonnade

Casuel                                      Fragile

Centaure (voix de),                  Stentor (voix de)

Cersifis                                     Salsifis

Chaircuitier                              Charcutier

Clanpinant                               Clopinant

Clincaillier                               Quincaillier

Clou à porte                             Cloporte

Cochlaria                                 Cochléaria

Colophale                                Colophane

Collidor                                    Corridor

Conséquente (affaire)               Importante (affaire)

Consonne                                 Console

Contrevention                         Contravention

Coquericot                               Coquelicot

Corporence                              Corpulence

Couane                                     Couenne

Cou-de-pied                              Coude-pied

Cresson à la noix                      Cresson alénois

Crimisette                                Cligne-musette

Crudélité                                  Cruauté

Cuirasseau                                Curaçao

Dégigandé                                Dégingandé

Dernier adieu                            Denier à Dieu

Désagrafer                                Dégrafer

Desserte (dur à la)                    Desserre (dure à la)

Dinde (un)                                Dinde (une)

Disgression                               Digression

Disparution                              Disparition

Échaffourée                             Échauffourée

Échanger du linge                     Essanger du linge

Écharpe                                   Écharde

Écosse de pois                          Cosse de pois

Éduquer                                    Élever

Effondreries                             Effondrilles

Élexir                                       Élixir

Élogier                                     Faire l’éloge

Embauchoirs                            Embouchoirs

Emberner                                 Embrener

Emmeublement                        Ameublement

Empiffer                                  Empiffrer

Enfilée (langue bien)                Affilée (langue bien)

Épomoner                                Époumonner

Éprevier                                   Épervier

Érésypèle                                 Érysypèle

Errhes                                      Arrhes

Eschilancie                               Esquinancie

Esclaboussure                           Éclaboussure

Estrapontin                              Strapontin

Exquinancie                             Esquinancie

Exquisse                                   Esquisse

Falbana                                    Falbala

Fanferluche                              Fanfreluche

Ferlater                                    Frelater

Ferluquet                                  Fraluquet

Fertin                                       Fretin

Filagramme                              Filigrane

Fleume ou Flème                      Flegme

Fondrilles                                 Effondrilles

Franchipane                             Frangipane

Galbanon                                  Cabanon

Gaudron                                   Goudron

Gazouiller quelque chose           Gâter quelque chose

Géane                                       Géante

Gégier ou Gigier                        Gésier

Gérandole                                 Girandole

Géroflée                                   Giroflée

Gravats                                    Gravois

Guette                                      Guet

Hâti                                         Hâtif

Hémorragie de sang                  Hémorragie

Honchets d’enfants au maillot Hochets d’enfants au maillot

Honchets pour jouer                 Jonchets pour jouer

Ici (dans ce moment)                Ci (dans ce moment-ci)

Inrassassiable                            Insatiable

Jeu d’eau                                  Jet d’eau

Kérielle                                    Kyrielle

Laidronne                                Laideron

Lévier                                      Évier, conduit pour l’eau

Libambelle                               Ribambelle

Lierre (pierrede)                       Liais (pierre de)

Linceuil                                    Linceul

Linteaux                                  Liteaux

Maille à partie                          Maille à partir

Mairerie                                   Mairie

Maline (fièvre)                         Maligne (fièvre)

Mareille (jeu)                           Mérelle (jeu)

Martre (animal)                       Marte

Matéraux                                 Matériaux

Membré                                   Membru

Mésentendu                              Malentendu

Mialer                                      Miauler

Midi précise                             Midi précis

Missipipi                                  Mississipi

Misserjean ‘poire)                    Messire-jean (poire)

Mitouche (sainte)                     Nitouche (sainte)

Moriginer                                 Morigéner

Morne, où l’on expose les corpsMorgue, où l’on expose les corps

Mouricaud                                Moricaud

Nine                                         Naine

Noble-épine                             Aube-épine

Noirprun                                  Nerprun

Nougat                                     Nougat

Ombrette                                 Ombrelle

Osseux (cet homme est)          Ossu (cet homme est)

Ourgandi                                  Organdi

Ouette                                      Ouate

Palfernier                                 Palefrenier

Panégérique                              Panégyrique

Pantomine                               Pantomime

Paralésie                                  Paralysie

Passagère (rue)                         Passante (rue)

Pécunier                                   Pécuniaire

Perclue                                     Percluse

Pertintaille                               Pretintaille

Piaste (monnaie)                      Piastre (monnaie)

Pied droit, mesure géométriquePied-de-roi

Pimpernelle                             Pimprenelle

Pipie, qui afflige les oiseaux     Pépie

Pire (tant)                                Pis (tant)

Pleuralité                                 Pluralité

Polisser                                    Polir

Pomon                                     Poumon

Pomonique                               Pulmonique

Poturon                                   Potiron

Propet                                     Propret

Quinconche                              Quinconce

Rachétique                               Rachitique

Raiguiser                                  Aiguiser

Rancuneux                               Rancunier

Raucouler                                 Roucouler

Rébarbaratif                             Rébarbatif

Rébiffade                                  Rebuffade

Rebours (à la)                           Rebours (à ou au)

Renfrogné (visage)                   Réfrogné (visage)

Reine-glaude                             Reine-Claude

Resserre                                   Serre

Revange                                   Revanche

Rissoli                                      Rissolé

Roulet                                      Rôlet, petit rôle

Ruelle de veau                          Rouelle de veau

Sacrépan                                  Sacripan

Sonneson                                 Seneçon

Sans dessus dessous                   Sens dessus dessous

Serment de vigne                      Sarment de vigne

Siau                                          Seau

Scourgeon                                Escourgeon

Secoupe                                    Soucoupe

Semouille                                 Semoule

Sens sus dessous                        Sens dessus dessous

Sibile                                        Sébile

Soubriquet                                Sobriquet

Souguenille                               Souquenille

Soupoudrer                               Saupoudrer

Stringa                                     Seringat

Sujestion                                  Sujétion

Talandier                                 Taillandier

Temple (partie de la tête)         Tempe (partie de la tête)

Tendon de veau                        Tendron de veau

Tête d’oreiller                          Taie d’oreiller

Tonton                                    Toton

Transvider                               Transvaser

Trayage                                   Triage

Trayer                                     Trier

Trémontade                             Tramontane

Trésoriser                                Thésauriser

Trichard                                   Tricheur

Usée                                         User

Vagabonner                              Vagabonder

Vagislas                                    Vasistas

Vessicatoire                              Vésicatoire

Videchoura                               Vitchoura

Villevouste                               Vire-volte

Viorme                                     Viorne

Volte (faire la)                         Vole (faire la)


 

Bien qu'il y ait là essentiellement des listes de mots, il est possible d'entrevoir en eux les faits d'oralité phonétique, notamment, que proscrit une conscience linguistique normalisatrice. Exemples de métathèses, de paronomasie inverse ou contrariée, etc. On trouvera également dans ces listes les traces d'hypercorrections dictées par un sentiment d'insécurité ou de malaise linguistique, dont l'origine est attribuable tout-à-la fois aux bouleversements de la société et à la standardisation d'une langue officielle que les institutions (Académie, école) imposent peu à peu.

 

En 1853, Le Langage vicieux corrigé de Bernard Jullien, ou liste alphabétique des fautes les plus ordinaires dans la prononciation, l'écriture et la construction des phrases, se donne un identique dessein et fait pareillement entendre le même écho lointain de ces pratiques orales qu'entâchent d'analogues lacunes d'instruction. Mais l'intérêt de Bernard Jullien est de mettre l'accent sur cette dialectique indéfinie de l'écrit et de l'oral, dans laquelle le sens normatif du grammairien intervertit sciemment l'ordre des facteurs. Dans l'esprit de Jullien, effectivement, si un mot a du mal à être repéré et défini du fait d'une prononciation fautive, c'est tout simplement que ce mot n'a pas été écrit et lu correctement auparavant!... L'écrit conditionne l'oral et en règle l'orthodoxie :

 

Aujourd'hui principalement que la conversation embrasse tous les sujets et qu'il n'y a pas d'homme qui ne soit exposé à employer des mots qu'il n'a jamais vus écrits, il y a plus de  cinquante à parier sur cent qu'autant de fois ces mots se produiront, autant de fois ils seront estropiés d'une manière plus ou moins inattendue, presque toujours fort maussade.

 

C'est une expérience que chacun de nous a pu faire sur soi-même. A qui n'est-il pas arrivé de trouver un jour écrit tel mot qu'il ne connaissait que pour l'avoir entendu, et de redresser par lui-même une idée fausse conçue à l'occasion d'un nom imaginaire? Supposons que, ne connaissant pas le laque, vernis de la Chine, nous entendions parler d'un beau brillant de laque : nous comprendrons nécessairement un brillant de lac; nous nous ferons l'idée d'un éclat semblable à celui des reflets de l'eau d'un bassin; et nous ne  corrigerons notre erreur que quand, retrouvant le mot laque écrit comme il doit l'être, nous en apprendrons la signification exacte.

 

Cette erreur ou d'autres analogues se représentent, on peut en être certain, pour tous les mots inconnus dont l'étymologie, l'écriture ou la signification ne sont pas tout d'abord évidentes; et cette observation explique l'immense quantité de fautes de toute sorte que commettent partout ceux dont l'éducation a été négligée.

 

Quelques-unes de ces fautes se répandent et deviennent communes soit dans la France entière, soit dans quelques provinces ou dans quelques professions.

 

Ce sont surtout celles-là que nous avons tâché d'atteindre. Elles tendent de plus en plus à corrompre et à dénaturer notre idiome; elles se glissent partout, se répètent, augmentent de crédit et de puissance; et jusqu’ici, malheureusement, on n'a opposé à leur action dissolvante aucune digue solide ou inébranlable.

 

Il n'y a chez nous, on peut le dire, ni principes généraux de prononciation, ni lois rationnelles pour l'orthographe; si bien que nous ne savons souvent comment prononcer un mot que nous voyons écrit pour la première fois.

 

Et l'auteur, en conséquence, d'oser ou tenter une classification de ces fautes, dont la typologie est éclairante :

 

Les fautes qui contribuent à rendre le langage vicieux sont, pour ainsi dire, innombrables; et il est à peu près impossible d'assigner d'avance toutes les façons dont les ignorants pourront violer les règles ou le bon usage.

 

Cependant, si l'on ne peut énumérer toutes ces fautes, il est facile au moins de les ramener à un certain nombre de classes établies d'après les diverses parties de la grammaire, ou la nature des préceptes auxquels on contrevient.

 

Ainsi les fautes peuvent tomber sur la prononciation des syllabes, s'il y a des lettres (voix ou articulations) qui ne sont pas énoncées comme elles doivent l'être; sur l'accentuation, si l'on prononce forte une syllabe faible, ou réciproquement; sur la quantité, si l'on allonge une syllabe brève; sur la liaison des mots, si l'on fait entendre devant la voyelle initiale du second une consonne qui ne doit pas y être; sur l'énonciation des phrases, si on les accentue de travers; si l'on s'arrête où il ne faut pas s'arrêter, si l'on donne à une interrogation la même chute qu'à une affirmation; sur l'orthographe, si dans l'écriture on emploie des lettres que le bon usage n'admet pas, si l'on met sur ces lettre ou auprès d'elles des accents ou des signes qui n'y doivent pas être, ou si l'on oublie ceux qui sont nécessaires; sur la ponctuation, si l'on met d'autres signes que ceux que demande le sens précis du discours; sur les mots eux-mêmes, si l'on en emploie qui absolument ne soient pas français; sur l'étymologie, si l'on s'écarte de l'usage en n'observant pas les règles de dérivation ou de formation convenables; sur la construction des phrases, si l'on déplace mal à propos les mots qui y entrent; sur la syntaxe, si l'on n'observe pas les règles d'accord et de régimes établies par la coutume; sur les homonymes ou paronymes, si l'on confond ou qu'on prenne l'une pour l'autre des mots de son très-voisin; enfin sur l'élégance ou la propriété des termes, si l'on prend mal à propos des mots à la place desquels le bon usage voudrait un de leurs synonymes.

 

On reconnaît par cette énumération que l'ordre indiqué ici est précisément celui d'un cours de grammaire philosophique, où l'on s'occuperait d'abord des sons de la voix, puis des lettres, et de l'écriture en général; puis des espèces de mots, puis des familles de ces mots; enfin de leur syntaxe et de l'élégance ou des agréments du style.

 

Mais, par cela même que cet ordre est si exactement didactique, il n'est peut-être pas le plus avantageux dans la pratique. En effet, il y a plusieurs de ces fautes qui rentrent  l'une dans l'autre, ou qui ne changent de nom que selon le point de vue. Que j'écrive et que je prononce un live au lieu d'un livre, c'est une faute de prononciation d'abord; c'est aussi une faute d'orthographe, puisque le mot est mal écrit; c'est encore un barbarisme, puisque le mot n'est pas français; c'est de plus une faute contre l'étymologie, puisque l'r y est une lettre essentielle. Or, tout le monde avouera qu'un étude si minutieuse sur un mot qui, en définitive, est à rejeter, exigerait un temps, et une attention qu'on fera beaucoup mieux de consacrer à des connaissances plus directement utiles.

 

D'où des listes écrites d'incorrections, au hasard desquelles l'oral marquera encore sa présence discrète en filigrane, comme le timbre est susceptible d'instiller dans la voix les nuances de la faute et de la fausseté.

 

B.

 

Babiches (les), B. La partie de la barbe qui s'étend des oreilles au menton. Le vrai nom est barbiches; mais ce mot n'est pas admis dans le Dictionnaire de l'Académie : il faut dire les favoris.

 

Babines, Babouine, Par. Les babines sont des lèvres; ce mot se dit surtout de celles de quelques animaux : un singe qui remue les babines. — Babouine est le féminin de babouin. Le babouin est proprement une espèce de gros singe; on applique ce nom à un jeune garçon badin et étourdi, et on appelle babouine une petite fille du même caractère.

 

Babouche. Voy. Bamboche.

 

Babouine. Voy. Babines.

 

Bacchanal (Quel)! B. Pour quel grand bruit, quelle orgie bruyante! Dites Quelle bacchanale! Ce nom vient des fêtes de Bacchus, qui se nommaient ainsi et se célébraient avec beaucoup de désordre.

 

Bâfrée, s. f. B. Terme populaire et peu relevé pour dire un repas abondant. Dites la bâfre.

 

Bague d'oreille, L. v. Dites une boucle d'oreille, un pendant d'oreille.

 

Baignoir (Un), B. Le vase où l'on se baigne. Dites une baignoire.

 

Bailler, v. , Bâiller, v. Par. Bailler (a ouvert et bref), v. a. , donner, livrer par convention ou par bail : bailler des fonds. — Vous me la baillez belle, expression proverbiale, pour dire vous m'en faites accroire. — Bâiller (â fermé et long), v. n. , ouvrir involontairement la bouche par ennui, lassitude ou envie de dormir. Ne confondez pas ces deux mots, ni dans l'écriture, ni dans la prononciation.

 

Bâiller. Voy. Bailler.

 

Bâiller, v. , Bayer, v. Par. Bâiller c'est ouvrir involontairement la bouche par ennui, lassitude ou envie de dormir; bayer, c'est regarder en tenant la bouche ouverte : il faut donc dire bayer aux corneilles et non bâillier.

 

Bailleur, Bâilleur, Par. Bailleur, celui qui donne à bail, qui prête : un bailleur de fonds, celui qui les avance. Prononcez l'a bref. Le bâilleur est celui qui bâille fréquemment, soit par habitude, soit par indisposition.

 

Balai, s. m. Balais, Ballet, s. m. Le balai est l'instrument qui sert à balayer; balais est un adjectif masculin qui ne s'applique qu'à une espèce de rubis : un rubis balais; le ballet est une pièce de théâtre où l'action et les divers sentiments sont exprimés par la danse.

 

Balais. Voy. Balai.

 

Balant (Être sur le), B. Mot mal prononcé et mal écrit : il faut dire être en balance, c'est à dire en suspens, hésiter sur ce qu'on veut faire.

 

Ballet. Voy. Balai.

 

Balyer, v. B. Nettoyer avec un balai. Dites balayer

 

Bamboche (il est en) Dites il est en débauche. Bamboche signifie proprement une grande marionnette; on a pris le même mot pour signifier des parties de plaisir immodérées, dans cette phrase populaire, faire ses bamboches, que l'Académie admet aujourd'hui probablement pour faire ses débauches). N'étendons ce mot qu'à une locution qui n'est pas usitée.

 

Bamboche, Babouche, Par. Une bamboche, s. f. est une marionnette, un pantin; les babouches, s. f. sont des pantoufles particulières qui nous sont venues du Levant. Dites donc : Donne-moi mes babouches, et non mes bamboches.

 

Bande, s. f. Barde, s. f. , Par. La bande est une sorte de lien plat et large dont on enveloppe ou on serre quelque chose; la barde est une ancienne armure faite de lames de fer pour couvrir le poitrail et les flancs du cheval. Par analogie, on a nommé barde de lard, et non pas bande de lard, comme quelques personnes le disent mal à propos, une tranche de lard fort mince dont on enveloppe les chapons, gelinottes, cailles, etc. , au lieu de les larder.

 

Baracan, s. m. B. Espèce de gros camelot. Dites bouracan : une veste de bouracan.

 

Barbouillon, s. m. B. Mauvais peintre. Dites un barbouilleur.

 

Bac (Passer le). Dites passer le bac. C'est une sorte de bateau large et plat pour passer une rivière.

 

Barde. Voy. Bande.

 

Baronnerie, s. f. B. Titre d'un baron ou l'étendue des terres sur lesquelles s'étendait sa juridiction. Dites baronnie.

 

Baselic, s. m. B. Sorte de plante. Dites basilic.

 

Baser, Basé, B. Sur quoi vous basez-vous? Ce raisonnement est basé sur le principe que…. Dites fonder, appuyer. Le mot baser n'est pas français, et il a absolument le même sens que fonder.

 

Basilic, s. m. , Basilique, s. f. Par. Le basilic est une plante annuelle, et dans la Bible un serpent monstrueux. Une basilique était primitivement un palais de roi; aujourd'hui, c'est une église principale et magnifique.

 

Basilique. Voy. Basilic.

 

Basse (Cette femme est assise trop), L. v. Dites trop bas. L'adjectif bas est ici pris adverbialement; il s'applique au lieu et non à la personne.

 

Bassine, s. f. , Bassinoire, s. f. Par. La bassine est un vase profond, dans lequel on fait des confitures, etc. ; la bassinoire est une bassine avec un couvercle percé de trous, où l'on met du feu pour chauffer un lit.

 

Bassinoire. Voy. Bassine.

 

Baste (La) d'un habit, B. Dites la basque.

 

Batture, s. f. , B. Querelle où il y a eu de grands coups donnés. Dites une batterie.

 

Bayer. Voy. Bâiller.

 

Becfi, s. m. B. Petit oiseau que l'on voit souvent becqueter les figues. Dites un becfigue.

 

Béchée, s. f. B. Ce qu'un oiseau prend avec son bec pour donner à ses petits. Dites une becquée.

 

Bége (Linge), B. Tirant sur le jaune. Dites linge bis.

 

Béguenauder, v. , B. S'amuser à des riens. Dites baguenauder. — Le substantif est baguenaudier, et non pas baguenaudeur; et il se confond ainsi avec le nom de l'arbre qui produit les baguenaudes.

 

Béguer, v. , B. Dites Bégayer. Parler en répétant ses syllabes, comme les bègues.

 

Belsamine, s. f. B. Ecrivez et prononcez balsamine.

 

Berdouiller, v. B. Ecrivez et prononcez bredouiller.

 

Bergère, s. f. Petit oiseau. L. v. Dites bergeronnette.

 

Berlan, s. m. B. jeu de cartes; et au pluriel, lieu où l'on joue aux jeux de hasard, maison de jeu. Dites brelan.

 

Berlandier, s. m. Celui qui hante les brelans, joueurs de profession. Dites brelandier.

 

Berloque, s. f. B. Bijou ou curiosité de peu de valeur. Dites une breloque, des breloques.

 

Bertrelles (Des), B. Dites des bretelles.

 

Besoin (Avoir de). Solécisme inexcusable. Dites avoir besoin. J'en ai de besoin, tout ce que vous aurez de besoin, sont des locutions très-vicieuses que ne sont en usage que chez ceux qui ignorent absolument le français.

 

Bête, s. f. , Bette, s. f. Par. Bête est le nom générique de tous les animaux, l'homme excepté; la bette est une plante potagère. La prononciation de ces mots diffère autant que leur écriture.

 

Bette. Voy. Bête.

 

Bise, s. f. , Brise, s. f. Par. La bise est un vent froid et sec qui vient du nord-est. La brise est un vent frais qui souffle le soir sur les côtes de la mer.

 

Blaguer, v. B. Dire des blagues, c'est-à-dire faire des plaisanteries de mauvais goût, se moquer de quelqu'un, hâbler, craquer. Ce mot est tiré du mot blague, qui signifie au propre un petit sachet de toile ou de peau où les fumeurs mettent leur tabac. On a pris ce mot, plus tard, dans le sens de moquerie, plaisanterie, bourde, qui n'est pas admis par l'Académie, et de ce dernier sens on a tiré blaguer, qui n'est ni français, ni, surtout, de bon ton.

 

Blagueur, s. m. B. Celui qui blague. Dites : un plaisant, un railleur, et quelquefois même un menteur.

 

Blanchirie, s. f. B. Lieu où l'on blanchit le linge. Dites blanchisserie.

 

Bleu, Dieu, Par. Nous ne réunissons ici ces deux paronymes que pour rendre compte de quelques formules anciennes de jurement ou de colère : morbleu, corbleu, sambleu, ventrebleu, vertubleu; ces mots sont pour la mort-Dieu, le corps-Dieu, le sang-Dieu, le ventre-Dieu, la vertu-Dieu. L'emploi de ces formules étant, avec raison, accusé d'irrévérence, on a voulu, si l'on ne pouvait en faire perdre absolument l'habitude, en modifier au moins la syllabe la plus importante. On a dit d'abord morbieu, corbieu, et puis morbleu, corbleu.

 

Bleuse, B. Féminin de bleu. Dites bleue.

 

Bleusir, v. B. Devenir bleu. Dites bleuir

 

Boire, emboire, Par. S'emboire est un terme de peinture; il se dit d'un tableau dont les couleurs deviennent mates et ne se discernent pas. Ce tableau s'emboit, ces couleurs s'emboivent. — Quand on parle du papier mal collé, que l'encre traverse, il faut dire ce papier boit et non s'emboit.

 

Bon marché. Locution signifiant un prix avantageux. Dites acheter, vendre à bon marché, et non pas acheter bon marché; la préposition est nécessaire.

 

Bonne heure (Il est venu à), L. v. Dites : Il est venu de bonne heure, pour venu tôt, et non pas venu à bonne heure. Au contraire, on dit à la bonne heure pour marquer que l'on consent à quelque chose.

 

Bonnette, s. f. B. Coiffe de nuit. Dites un bonnet de nuit.

 

Blocaille, s. f. , Rocaille, s. f. Par. On appelle blocaille ou blocage, de menus moellons, de petites pierres qui servent à remplir les vides dans un ouvrage de maçonnerie. On nomme rocaille des cailloux qui servent à orner une grotte en imitant le roc.

 

Borborisme, s. m. B. Bruit causé dans les intestins par des gaz qui s'y développent. Ce mot, usité autrefois, ne l'est plus. On dit borborygme, conformément à l'étymologie du mot grec d'où il est tiré, et qui signifie murmure.

 

Bornes et Limites, Pl. Newton a reculé les bornes et les limites de la physique. Dites les bornes de la physique, ou les limites de la physique.

 

Bosseler, v. Bossuer, v. , Par. Bossuer de l'argenterie, c'est y faire des bosses en la laissant tomber; bosseler, c'est travailler l'argenterie en bosse. Ne confondez pas ces mots qui ont un sens contraire.

 

Bossuer. Voy. Bosseler.

 

Bouliche, s. f. , Bourriche, s. f. , Pouliche, s. f. Par. Une bouliche est un vase dont on se sert dans les vaisseaux; mais ce mot n'est pas admis par l'Académie. Une bourriche est un panier long pour envoyer du gibier, du poisson, des huîtres. Une pouliche est une jeune cavale.

 

Boudinoir (Un), B. Entonnoir pour faire du boudin. Dites une boudinière.

 

Bouffer, v. B. Manger avec excès. Dites bâfrer.

 

Bouille (Le café), B. Dites Le café bout, le sang me bout dans les veines, etc.

 

Bouillu, B. Participe de Bouillir. Dites bouilli : des châtaignes bouillies et non bouillues.

 

Bouis, s. m. B. Ce mot, employé autrefois, n'est plus usité. On écrit et on prononce buis.

 

Boulvari, s. m. B. . Dites hourvari.

 

Bourrée, s. f. , Brouée, s. f. Par. La bourrée désigne un fagot de menu bois : un feu de bourrée. C'est aussi une danse champêtre et l'air de cette danse : danser la bourrée. La brouée est un brouillard, une bruine : la brouée tombe.

 

Bourriche. Voy. Bouliche.

 

Brasse-corps (Prendre quelqu'un à), L. v. Dites : le prendre à bras-le-corps.

 

Bretonne (Cet arbre), B. Dites qu'il boutonne.

 

Brignon, s. m. , B. Sorte de pêche plus petite, moins juteuse et d'une couleur plus brune que la pêche ordinaire. C'est un brugnon qu'il faut dire.

 

Brillant éclat (un), Pl. . Tout éclat est brillant.

 

Brise, Voy. Bise.

 

Brodure (La) d'une robe, d'un bonnet, B. Dites la broderie.

 

Brouée. Voy. Bourrée.

 

Brouillasse (Il) B. Dites il buine. Le verbe brouillasser, s'il était français, ne signifierait rien de plus que brouiller, ce qui n'est pas la même chose que faire du brouillard.

 

Brusse (Il) B. Dites il bruine

 

Brut, te est un adjectif dont le féminin brute se prend substantivement : une brute, c'est-à-dire une bête farouche. Mais le masculin ne doit pas prendre l'e muet, et Voltaire a fait un solécisme en nous appelant les brutes ouvrages de la Divinité.

 

Buche de bois, Pl. Dites une bûche. La bûche est naturellement de bois; c'est lorsqu'elle est d'une autre matière qu'on doit la désigner : une bûche de charbon de terre, de coke, de terre cuite.

 

Buée, s. f. Ancien mot français, aujourd'hui inusité. Dites la lessive.

 

Buffeteries, s. f. B. Tout ce qui, dans l'équipement, est fait d'une peau préparée à la manière de la peau de buffle. Dites buffleteries.

 

Busc, s; m. Busque, v. , Buste, s. m. , Par. Le busc est une espèce de lame d'ivoire, de bois, de baleine, d'acier, qui sert à maintenir le devant d'un corps de jupe, d'un corset; busque est un temps du verbe busquer, mettre un busc. Un buste est un ouvrage de sculpture représentant la tête, le cou, le haut de la poitrine et les épaules d'une personne. Dites donc le buste et non pas le busque du président.

 

But (Remplir son), L. v. On dit atteindre un but, atteindre son but, et non pas remplir son but.

 

Buyanderie, B. Lieu où l'on fait la buée (Voy. Ce mot), c'est-à-dire la lessive. Dites buanderie.

 

 

C.

 

Ça (Comme). Pléonasme aussi mauvais qu'il est insignifiant, et que beaucoup de personnes emploient dans le langage pour se donner le temps de chercher et de trouver ce qu'elles ont à dire : Il a dit, comme ça, que vous veniez… J'ai fait, comme ça, plusieurs traités… , etc. Ces mots n'ont aucun sens; retranchez-les donc absolument; ils ne font que gâter et dégrader le langage. — Voy. Comme.

 

Cacaphonie, s. f. B. Mauvais sons, mots ou phrases d'une prononciation dure et désagréable. Dites cacophonie

 

Cadavre inanimé (Un), Pl. Dites un cadavre. Tout cadavre est inanimé.

 

Caféière, s. f. , Cafetière, s. f. Par. Une caféière est un endroit planté de cafiers ou arbres qui portent le café. Une cafetière est un pot pour faire ou pour mettre le café que l'on va servir.

 

Cafetière. Voy. Caféière.

 

Caffard, s; m. L. v. Insecte hideux qui se tient ordinairement dans la farine, et qui s'en nourrit. Dites une blatte.

 

Cahotement, s. m. , B. Dites cahot.

 

Calendrier grec (Il m'a renvoyé au), L. v. Dites aux calendes grecques. — Voy. Ci-dessus, p. 5.

 

Calfater. Voy. Calfeutrer.

 

Calfeutrer, v. Calfater, v. , Par. Calfeutrer, c'est boucher les fentes d'une porte, d'une fenêtre, soit avec du feutre, soit autrement; calfater, qui n'est peut-être qu'une corruption de calfeutrer, est un terme de marine : il signifie remplir de force les jointures des bordages avec une étoupe grossière qui, par son élasticité, empêche l'introduction d'un grande quantité d'eau dans le navire.

 

Calmandre, B. Sorte d'étoffe de laine. Dites calmande : un habit de calmande.

 

Calvi, Calvine (Pomme), B. Dites pomme calville ou de calville.

 

Cambuis, B. Écrivez et prononcez cambouis.

 

Campot (On nous a donné), B. Ecrivez campos. C'est un mot latin qui signifie les champs. Il désigne le congé qu'on donne à des écoliers, à qui l'on permet ainsi de courir les champs. On l'applique dans le sens familier à tous les congés : Nous avons campos aujourd'hui.

 

Canaux, s. m. , Canots, s. m. , Par. Canaux, pluriel de canal, doit s'écrire aux. Un canot est une sorte de petite embarcation à voiles et à rames; il fait au pluriel canots.

 

Cane, s. f. , Canne, s. f. Par. La cane est la femelle du canard : œuf de cane, cane sauvage. La canne est le nom de diverses plantes analogues au roseau, et, par suite, le bâton sur lequel on s'appuie en marchant.

 

Caneçons, s. m. , B. Sorte de culotte de toile ou de coton. Dites caleçons. Ce mot s'emploie surtout au pluriel.

 

Canne. Voy. Cane.

 

Canots. Voy. Canaux.

 

Capable, adj. Ce mot ne se dit des choses que dans le sens de la capacité physique, de la contenance matérielle : Une salle capable de contenir cinquante personnes. Dans les autres sens il ne se dit que des personnes. Ainsi ne dites pas : un propos capable de nuire, mais un propos qui peut nuire, ou susceptible de nuire.

 

Capot, adj. , Capote, s. f. Par. Capot est un adjectif des deux genres; il s'applique au joueur (homme ou femme) qui, dans une partie, n'a fait aucune levée : cet homme est capot, cette femme est capot. Une capote est un manteau de soldat, une coiffure de femme, etc. Gardez-vous donc bien de dire qu'aux jeux de cartes, une femme est capote.

 

Capote. Voy. Capot.

 

Capriole (Faire la), B. Ce mot, conforme à l'étymologie latine (capra, qui veut dire chèvre) était usité autrefois; il ne l'est plus aujourd'hui. Il faut dire cabriole.

 

Capuche, s. m. B. Dites capuce ou capuchon.

 

Car en effet, Pl. Dites seulement car, ou bien en effet; les deux mots signifient la même chose.

 

Carats ou Karats (A trente-six), L. v. Cette expression, et quelques autres employées pour exprimer une qualité poussée très-haut, est un barbarisme et un non-sens. Le carat, qui était primitivement un petit poids, a été employé pour exprimer la pureté de l'or. Dans ce sens, il veut dire un vingt-quatrième. De l'or à vingt-deux carats est celui où il y a deux vingt-quatrièmes d'alliage; il n'y en a plus qu'un dans l'or à vingt-trois carats; enfin, l'or à vingt-quatre carats est l'or parfaitement pur. Par une assimilation naturelle, on dit de quelqu'un qu'il est bête, qu'il est pédant à vingt-deux, à vingt-trois carats, comme La Fontaine a écrit : "Quoique ignorante à vingt et trois carats. " Mais, dès qu'on dépasse vingt-quatre carats, l'expression n'a plus aucune espèce de sens, et il est absurde de l'employer.

 

Carnier, s. m. Sac où l'on met le gibier que l'on a tué. Dites carnassière, s. f. — Il faut cependant remarquer sur ces deux mots que le premier est aussi bien composé et aussi juste que l'autre l'est peu. Le latin caro, carnis, d'où nous avons tiré notre mot chair, nous a donné aussi anciennement le mot carne (Voy. Roquefort, Glossaire de la langue romane), que nous retrouvons encore dans carnage, charnel, etc. Or, le carnier est essentiellement le sac où l'on met la carne (la chair), c'est-à-dire le gibier qu'on vient de prendre, comme l'aiguiller est l'étui où l'on met les aiguilles, le baguier le coffret à bagues, le brasier le vase où l'on met la braise, etc. La carnassière est loin d'avoir un sens aussi net. C'est le féminin de carnassier, qui s'applique aux animaux et signifie qui se repaît de chair crue, qui en est fort avide. C'est donc par une extension très-peu naturelle qu'on a appliqué à une sacoche un nom qui ne peut lui convenir, tandis que le mot carnier avait tout pour lui. C'est un exemple qui montre que le peuple est souvent guidé par l'analogie beaucoup mieux que les savants.

 

Carpot, s. m. B. Petite carpe. Ecrivez carpeau.

 

Carquelin, s. m. B. Espèce de gâteau. Dites craquelin.

 

Cartier, s; m. Quartier, s. m. , Par. Le cartier est celui qui fait ou vend des cartes à jouer. Quartier est un mot dérivé de quart; il signifie, en général, une division dans un tout : quartier d'agneau, quartier de pomme; que se passe-t-il dans vos quartiers?

 

Cas (Faire du), L. v. On dit faire cas de quelqu'un, et non faire du cas. Toutefois, on dit bien j'en fais beaucoup de cas.

 

Castonade, s. f. B. Sucre non raffiné. Dites cassonade.

 

Castrole, s. f. B. Vase en cuivre étamé. Dites casserole.

 

Casuel (Objet), L. v. dites objet fragile, cassant. Casuel est un substantif; il signifie ce qui vient par cas, par accident : le casuel de cette place est de 500 fr.

 

Cataplame, s. m. B. Ecrivez et prononcez cataplasme. Autrefois l's ne se prononçait pas; aujourd'hui on la fait sonner fortement.

 

Catarate, s. f. B. Maladie de l'œil. dites cataracte.

 

Catéchisme, s. m. , Catéchiste, s. m. Par. Le catéchisme est le livre qui contient les principales vérités de la religion. Le catéchiste est l'homme chargé de l'enseigner.

 

Catéchiste. Voy. Catéchisme.

 

Cayer, s. m. B. Ecrivez cahier

 

Ceinturonnier, s. m. B. Marchand de baudriers, de ceinturons. Dites ceinturier.

 

Centaure, s. m. Stentor, s. m. Par. Le centaure était un monstre fabuleux, moitié homme et moitié cheval; Stentor était un guerrier grec dont la voix, dit Homère, était aussi forte que celle  cinquante hommes. Dites dons une voix de Stentor et non une voix de centaure.

 

Centime (Il ne me reste pas une), Sol. Dites un centime. Le centième est la centième partie du franc; il est du masculin, comme un centième, qu'il remplace, et comme toutes les subdivisions de nos mesures nouvelles.

 

Cercifi, s. m. B. racine potagère. Dites salsifis

 

C'est à vous à sortir, Sol. Dites C'est à vous de sortir, c'est à mon tour de parler, etc. Il arrive souvent qu'on redouble, dans ces locutions, la préposition à; c'est encore un solécisme produit par la rapidité du langage, et auquel on fait bien de prendre garde. Outre que ce redoublement amène une sorte d'obscurité dans la phrase, il est très-difficile de l'analyser d'une manière satisfaisante.

 

Chaillote, s. f. B. Espèce d'ail. Dites échalote.

 

Chaîne, s. f. Chaire, s. f. Cher, adj. , Chère, s. f. Par. On appelle chair les parties molles des animaux, celles que l'on peut manger, et, par analogie, ce qu'on mange dans les fruits et les végétaux. La chaire est un siège élevé d'où l'on parle pour enseigner quelque chose. Cher est un adjectif qui s'applique à ce que nous aimons ou qui a un grand prix pour nous. Chère est un substantif féminin qui exprime surtout la manière de se nourrir : bonne chère, maigre chère.

 

Chaircuterie, s. m. B. Dites Charcuterie.

 

Chaircutier, s. m. B. dites Charcutier

 

Chaire. Voy. Chair.

 

Chambellan, s. m. Chambrelan, s. m. Par. Les chambellans sont des seigneurs qui servent un roi, un prince dans l'intérieur de son palais; le chambrelan est un ouvrier qui travaille en chambre. Le dernier terme est populaire et peu usité.

 

Chambrelan, B. Voy. Chambellan.

 

Changez-vous, L. v. Dites changez de linge, de vêtements On ne dit pas se changer de linge, et, par conséquent, il faut dire à quelqu'un dont le linge ou les vêtements sont mouillés : changez de linge, changez d'habit, et non pas changez-vous.

 

Chanvre (La), Sol. Ce mot, féminin autrefois, est aujourd'hui du masculin. Dites donc le chanvre, du chanvre et non la ou de la chanvre

 

Chaque. Cet adjectif veut son substantif après lui. Dites ces livres me coûtent cinq francs chacun, et non pas cinq francs chaque. Au contraire, vous direz bien chaque livre me coûte cinq francs.

 

Charbon de pierre, L. v. Dites houille ou charbon de terre.

 

Charbonnaille, s. f. B. Dites du poussier de charbon.

 

Charpi (Du), B. Dites de la charpie.

 

Chartier, B. Celui qui conduit une charrette. Ce mot n'est pas français quoique La Fontaine l'ait employé dans l'une de ses fables. Il faut dire charretier.

 

Chas. Voy. Chasse.

 

Chasse, s. f. , Châsse, s. f. , Chas, s. m. , Par. La chasse est l'action de chasser. Une châsse est le coffre où l'on conserve des reliques. Le chas est le trou de l'aiguille. Ne dites donc pas la chasse ni la châsse d'une aiguille.

 

Châsse. Voy. Chasse.

 

Chaud, adj. , Chaux, s. f. Par. Chaud est un adjectif dont le féminin est chaude. Chaux est un substantif, c'est le nom d'une substance très-répandue dans la nature, et fort employée dans le bâtiment.

 

Chaudier, s. m. , B. Ouvrier qui fait la chaux. Dites chaufournier

 

Chaufferette. Voy. Chauffoir.

 

Chauffoir, s. m. , Chaufferette, s. f. Par. La chaufferette est une sorte de réchaud dont se servent les femmes pour se chauffer les pieds. Un chauffoir est une salle chaude où l'on se réunit pour se réchauffer.

 

Chaux. Voy. Chaud.

 

Chêne. Voy. Chaîne.

 

Cher. Voy. Chair.

 

Chère. Voy. Chair.

 

Chèvrefeuil, B. Boileau a employé ce mot dans l'épitre à son jardinier. Écrivez chèvrefeuille

 

Chiffon de pain, L. v. C'est-à-dire un gros morceau. Dites un quignon de pain ou un grignon. Ce sont des termes populaires.

 

Chipoteur, euse, B. Dites chipotier, ière.

 

Chirugien, s. m. B. Dites chirurgien.

 

Chœur, s. m. , cœur, s. m. Par. Le chœur est une réunion de personnes qui chantent ensemble; c'est aussi la partie de l'église où l'on chante l'officie divin. — Le cœur est cet organe musculaire, creux, placé dans la cité de la poitrine et qui chasse le sang dans tout le corps. La prononciation de ces mots est toujours la même; mais l'orthographe en doit rester très-différente.

 

Chou-croute (De la), B. Chou aigri et salé. Dites de la choucroute (sans trait d'union). On a remarqué que ce mot, venu de l'allemand, en avait été si mal tiré que le mot dont a fait chou signifie aigre, et que celui dont on a fait croute est justement celui qui veut dire chou. Enfin, quelle qu'en soit l'origine, le mot choucroute est devenu français : au moins ne faut-il pas indiquer par le trait d'union une composition qui n'a jamais été réelle et ne peut qu'induire en erreur.

 

Chrème, s. m. , Crème, s. f. Par. Le chrême, ou le saint-chrême, est l'huile d'olive mêlée de baume et consacrée par l'évêque pour certains sacrements. La crème est la partie la plus substantielle et la plus savoureuse du lait.

 

Claie. Voy. Clef.

 

Chrysocale (Une montre en ). Dites chrysocalque. C'est un mot tiré du grec qui signifie or et bronze, c'est-à-dire cuivre doré, et s'applique à tout ce qui est cuivre doré ou cuivre très-brillant. L'Académie, toutefois, admet le mot chrysocale dans son Dictionnaire.

 

Cicatricée (Cette blessure est), B. Dites cicatrisée. On dit une cicatrice; mais le verbe et le participe adoucissent l'articulation finale : on dit cicatriser.

 

Cintième, adj. B. Celui qui vient après le quatrième. Il faut dire le cinquième.

 

Clairinette, s. f. B. Instrument de musique. Dites clarinette

 

Clairvoie, solécisme et mauvaise orthographe. Ecrivez claire-voie : Une partie des jardins est murée; le reste est entouré d'une claire-voie.

 

Clarteux, euse, B. Dites clair ou éclairé : Cette chambre est bien claire, et non pas clarteuse.

 

Clavelée, Gravelée, Par. La clavelée, ou le claveau, est une maladie contagieuse qui attaque surtout les brebis et les moutons; gravelée est un adjectif féminin qui n'est usité que dans cette locution : cendre gravelée. C'est de la cendre faite de lie de vin calciné. Ne dites donc pas cendre clavelée.

 

Clef, Claie, Par. Une clef ou clé est un instrument de fer ou d'acier qui sert à ouvrir ou fermer une serrure. Une claie est un ouvrage à claire-voie en forme de carré long et fait de brins d'osier ou de branches d'arbres entrelacés. Dites donc : traîner sur la claie et non pas sur la clé.

 

Clérinette (Une), B. Instrument de musique. Dites une clarinette. C'est le même mot que clairinette.

 

Climusette ou Crimusette, s. f. B. Jeu d'enfants où l'un ferme les yeux tandis que les autres se cachent pour qu'il les cherche. Dites jouer à cligne-mussette, à la cligne-mussette.

 

Clinquailler, s. m. B. Dites quincaillier.

 

Clinquettes (Des), s. f. B. Petit instrument de percussion qu'on tient entre les doigts. Dites des cliquettes.

 

Clou-à-porte, Clou-porte, s. m. L. v. Insecte. Dites cloporte

 

Coasser, v. , Croasser, v. , Par. Coasser exprime le cri de la grenouille, et croasser celui du corbeau. Ces deux mots ont été faits à l'imitation du son naturel.

 

Cochonnade (Manger de la), B. Dites du porc.

 

Cocodrille, s; m. B. Animal amphibie. Dites crocodile : Le Nil a beaucoup de crocodiles.

 

Cocombre, s; m. B. Sorte de citrouille allongée. Dites concombre, m.

 

Cœur. Voy. Chœur.

 

Cœur (Joli comme un). Mauvaise expression; un cœur n'a rien de joli. Dites joli tout simplement, ou ajoutez-y le nom d'un objet qui soit en effet un modèle de cete qualité : joli comme un amour, joli comme un ange.

 

Coigne du jambon (La), B. Dites la couenne, que l'on prononce aujourd'hui le plus souvent couane.

 

Coitre, s. f; B. Lit de plumes. Dites une couette.

 

Col. Aujourd'hui on prononce et on écrit cou; on dit col pour la partie du vêtement qui entoure le cou : un col de chemise, un faux-col.

 

Colaphane, s. f. B. sorte de résine pour frotter les archets. Le vrai nom serait colophone, puisque c'est de la ville de Colophon qu'on a d'abord apporté cette résine; mais l'usage a définitivement admis colophane.

 

Colidor, s. m. , B. Long couloir sur lequel s'ouvrent les portes de plusieurs appartements. Dites corridor.

 

Colorer, v. , Colorier, v. , Par. Colorer, c'est donner de la couleur : le soleil colore les fruits. Colorier, c'est mettre de la couleur : un peintre colorie ses tableaux.

 

Colorier. Voy. Colorer ;

 

Combien du mois (le), L. v. Dites le quantième.

 

Combustible. Voy. Comestible.

 

Comestible, s. m. Combustible, s. m. , Par. Comestible, c'est ce qu'on peut manger : Il y a à Paris des marchands de comestibles très-renommés. Combustible, c'est ce qui peut être brûlé : le bois, la houille, sont des combustibles.

 

Comme La conjonction comme est employée à tout instant chez nous dans ces comparaisons vives et rapides qui forment un des caractères les plus saillants et les plus précieux de notre style familier : il était comme une âme en peine, courir comme un lièvre, il travaille comme un cheval, etc. Mais ces comparaisons, dans la bouche des gens sans imagination ou dont l'esprit ne leur suggère pas à l'instant même la similitude dont ils ont besoin, dégénèrent promptement en phrases insignifiantes ou même contradictoires avec ce qu'ils veulent dire. L'un vous dit, par exemple, qu'on est heureux comme tout, pauvre comme tout. Le terme de la comparaison n'est-il pas bien choisis, et tout n'est-il pas un beau symbole de bonheur ou de pauvreté? Il faut dire heureux comme un roi, pauvre comme Job : l'un parce que, dans l'opinion du vulgaire, les rois, étant riches ou puissants, devaient se trouver fort heureux; le second, parce que Job fut en effet le plus pauvre de tous les hommes quand le Seigneur lui eût ôté ses biens. Toutes les fois que la comparaison n’a pas un sens bien net, c’est un déplorable pléonasme, qu’il vaut beaucoup mieux supprimer en disant seulement ce qu’on veut dire : il est heureux, il est pauvre, puisque les mots qu’on y ajoute n’ont pas de sens. — Voy. Ça, Cœur, Diable, Tout.

 

Comme autant. Voy. Autant comme.

 

Comme de juste, L. v. L’Académie qui admet cette expression au mot de, ne la consigne pas au mot juste. Il est à croire que c’est par erreur qu’elle l’a admise : il faut dire comme de raison ou comme il est juste. La première expression a mené sans doute à la seconde; mais c'st à tort, car on comprend très-bien la phrase comme de raison, abrégée de comme il est de raison; tandis que comme il est de juste ne peut ni se dire ni se concevoir. On dira toujours comme il est juste.

 

Commode. Appliqué aux personnes, L. v. : Il n'est pas riche, mais il est commode; c'est un barbarisme. Dites il est à son aise.

 

Companie, s. f. B. Dites et écrivez compagnie

 

Comparition, B. Dites comparution, quoique l'on dise apparition et disparition.

 

Compendieusement, adv. Pour dire avec détail et d'une manière prolixe. C'est un mot pris  à contre-sens, à cause de sa longueur, qui fait croire aux ignorants qu'il représente la longueur du discours; il veut, au contraire, dire en abrégé. Dans le sens qu'on lui donne à tort, il faut dire longuement, prolixement, etc.

 

Compère et compagnon, barbarisme dans la phrase. Dites pair et compagnon. Pair signifie proprement égal. On dit aussi traiter traiter quelqu'un de pair à compagnon, c'est-à-dire le traiter d'égal à égal.

 

Comptant, content. Par. Comptant est le participe du verbe compter; il est pris d'une manière absolue dans les locutions payer comptant, payer en argent comptant. — Content est un adjectif : il signifie joyeux, bien aise, satisfait. Ces deux mots se prononcent toujours de même; mais on voit que le sens est bien différent et qu'il faut se garder d'en confondre l'écriture.

 

Confle, s. f. B. Petite ampoule sur la peau : Sa brûlure lui fait venir une confle. Dites une cloche.

 

Confusionner, v. B. Dites confondre, rendre confus, couvrir de confusion.

 

Conjecture, s. f. Conjoncture, s. f. Par. Une conjecture est la supposition de ce qui arrivera plus tard : Votre conjecture s'est vérifiée. Une conjoncture, c'est l'ensemble des circonstances où l'on est placé : je ne savais trop que faire dans cette conjoncture

 

Conjoncture. Voy. Conjecture.

 

Conséquence (Par) L. v. Dites en conséquence. L'autre expression n'est pas admise en français, quoique assurément, il soit impossible d'en donner une bonne raison, sinon que c'est l’usage. — Voy. En conséquent.

 

Conséquent ainsi (par) Voy. Ainsi par conséquent.

 

Conséquent donc (par) Voy. Donc par conséquent.

 

Conséquent (en) Dites par conséquent Il est remarquable que l'usage exige avec chacun de ces mots une préposition qu'il rejette avec l'autre; il faut dire en conséquence, et on ne peut dire en conséquent; il faut dire par conséquent, et l'on ne peut dire par conséquence. L'usage a de singulières bizarreries.

 

Conséquente (Une somme) L. v. Dites une somme considérable. Conséquent signifie qui suit ou qui se suit; un raisonnement conséquent est un raisonnement qui se suit bien. Une somme conséquente est un barbarisme.

 

Consommer, v. , Consumer, v. Par. Consommer, c'est achever, accomplir et détruire une chose par l'usage qu'on en fait : consommer un sacrifice. Consumer, c'est détruire par le feu, réduire à rien.

 

Consulte, s. f. B. Conférence pour délibérer sur quelque affaire. Dites consultation : Appeler plusieurs médecins en consultation.

 

Consumer. Voy. Consommer.

 

Content. Voy. Comptant.

 

Contenue, s. f. Cette terre est de la contenue de dix arpents. Dites de la contenance.

 

Contre quelqu’un (être assis). On est assis près ou auprès de quelqu'un, et non pas contre lui.

 

Contre quelqu’un (passer) L. v. Dites auprès de quelqu'un.

 

Contredire (sans) L. v. Certainement, indubitablement. Dites sans contredit. Sans contredire aurait un autre sens.

 

Contredites (vous me), B. Il faut dire vous me contredisez. Voy. Interdites.

 

Contravention s. f. B. Dites contravention, quoique l'on dise contrevenir et non pas contravenir.

 

Convoitiser, v; B. Désirer vivement une possession; dites convoiter. Le substantif convoitise vient de ce verbe; ce n'est pas le verbe qui vient du substantif.

 

Corbillonier, s. m. B. Ouvrier qui fait des vans et des corbeilles. Dites vannier.

 

Cordelage du bois, B. Dites le cordage; et de même corder le bois, et non le cordeler.

 

Cornent (Les oreilles me), L. v. Dites me tintent; c'est une expression proverbiale et familière. On dit, au contraire corner quelque chose aux oreilles de quelqu'un, pour le lui répéter sans cesse, l'en fatiguer.

 

Cornet de poële, L. v. Dites tuyau, s. m.

 

Corporé (cet homme est bien), B. Dites qu'il est corpulent.

 

Corporence, B. , Dites corpulence.

 

Corps et à cris (à) Écrivez a cor et a cri. C'est une expression tirée de la vénerie : on chasse à cor et à cris, c'est-à-dire avec un grand bruit.

 

Corse s. f. Écorce, s. f. Par. La Corse est une île de la Méditerranée, et un département de la France. L'écorce est la peau qui enveloppe le tronc ou les branches d'un arbre, ou son fruit. Ne dites donc pas la corse d'une orange.

 

Corsonaire, s. m. B. Racine bonne à manger et qui approche du salsifis. Dites scorsonère.

 

Cosse, s. f. Écosse, s. f. Par. La cosse (s. f. ) est l'enveloppe de certains légumes, comme les pois, les fèves. L'Écosse est un pays. Dites donc des cosses de pois, et non pas des écosses. Ce dernier mot, dans le sens qu'on lui donne ici, est tiré sans doute, mais mal à propos du verbe écosser, qui signifie ôter la cosse des pois, des fèves.

 

Cou. Voy. Col.

 

Cou-de-pied, s. m. , Coude-pied, s. m. , Coup de pied, Par. — Coude-pied et cou-de-pied sont deux orthographes également admises pour désigner la partie supérieure du pied, près de son articulation avec la jambe. Coup de pied exprime un coup donné avec le pied. Le son est absolument le même que celui des mots précédents; mais l'écriture diffère beaucoup, et il faut bien observer cette différence.

 

Coude-pied. Voy. Cou-de-pied.

 

Coup de pied Voy. Cou-de-pied

 

Couper pique, coeur etc. L. v. Aux jeux de cartes, couper, c'est donner de l'atout au lieu de la couleur qui est sur la table. Il faut probablement dire : couper de cœur, couper de pique, de trèfle, de carreau, et non couper cœur, pique, carreau. L'Académie n'admet ni l'une ni l'autre expression; mais il faut bien que l'une d'elles soit française, et la grammaire nous indique facilement la bonne.

 

Couperon, s. m. B. Sorte de couteau de boucher ou de cuisinier; dites couperet.

 

Courle, s. f. B. Sorte de citrouille. Dites courge.

 

Copule-bouteille, s. f. B. Ditres calebasse, s. f. ou gourde, s. f.

 

Court. C'est un adjectif pris d'une manière absolue. Il faut donc dire : Je suis court d'argent, et non je suis à court. Il est resté court, et non à court. Au contraire, quand on est pressé par le temps ou par quelqu'un, on dit qu'on est pris de court, et non pas qu'on est pris court.

 

Courterolle, s. f. B. Insecte qui mange les racines des laitues. Dites courtillière, s. f.

 

Couserai (Je) B. Futur de coudre. Dites je coudrai, suivant la règle générale. Je couserai, usité autrefois, ne l'est plus depuis longtemps.

 

Coutance, s. f. Coutanceux, adj. B. Dites coût ou dépense; coûteux ou dispendieux.

 

Coutumace, m. B. Accusé qui refuse de se présenter devant un tribunal. Dites un contumax.

 

Coutumace, s. f. Refus d'un accusé de se présenter en jugement. Dites contumace (la).

 

Couverte d’un lit (La) L. v. Dites la couverture. La couverte d'un vase. Dites le couvercle.

 

Couvis (Un oeuf) B. Œuf à demi couvé et gâté. Écrivez et prononcez un œuf couvi.

 

Crainte. Avec la préposition de et la conjonction que, on forme la locution conjonctive de crainte que : De crainte qu'il ne s'en aperçoive, de crainte qu'il ne se fâche. C'est un solécisme que de retrancher le de. On ne doit pas plus dire crainte qu'il ne se fâche que peur qu'il ne se fâche.

 

Craïon, B. Dites et écrivez crayon.

 

Cramail (Un), B. Dites une crémaillère.

 

Craque, s. f. B. Menterie, hâblerie, gasconnade renforcée. Dites une craquerie.

 

Crasser ses habits, y laisser ou y mettre de la crasse. B. Dites encrasser ses habits.

 

Crasserie, B. Vilaine et sordide avarice. Dites ladrerie ou crasse. Ce dernier mot, admis dans le sens d'une avarice qui va jusqu'à la malpropreté, n'a ce sens que par extension.

 

Crème. Voy Chrème.

 

Crépissage, B. L'action d'enduire une muraille de chaux et de mortier. Ce mot, quoique bien nécessaire, n'est pas admis; mais les grammairiens qui conseillent de dire crépissure se trompent. La crépissure ou, comme l'on dit plus ordinairement, le crépi, est l'enduit lui-même, et non l'acte dont il s'agit. L'entrepreneur de peinture fournit le crépi ou la crépissure. Mais que doit-il payer à son ouvrier, sinon le travail que celui-ci a donné, c'est à dire le crépissage ?

 

Cresane (Poire de). Dites poire de crassane. Cette recommandation n'est plus à faire, aujourd'hui que l'Académie admet cresane comme usité, bien qu'elle remarque que crassane est plus exact.

 

Creusane (De la) B. Sorte de poire. Dites crassane ou cresane.

 

Crimusette. Voy. Climusette.

 

Croasser. Voy. Coasser ;

 

Croc. L. v. C'est un croc, c'est-à-dire un voleur. Dites un escroc.

 

Cloche pied (A) L. v. Dites à cloche-pied, parce que l'on cloche (ou boite) sur un seul pied.

 

Croison, s. m. B. Le bras, le travers d'une croix. Dites croisillon.

 

Crue de la toile, L. v. Dite de la toile écrue.

 

Cueiller des fruits ou des fleurs, B. Ce verbe, usité dans l'ancien français, et dont il reste des traces au présent de l'indicatif, je cueille et au futur je cueillerai, n'est plus admis. Dites cueillir.

 

Cuiller (une) de confitures, L. v. Dites une cuillerée; cuiller est le nom de l'instrument; cuillerée ce qu'il contient.

 

Cuiller (donnez un), Sol. Dites une cuiller et prononcez cuillère. Ce mot est du féminin; ceux qui le font masculin prononcent ordinairement cuillé; mais c'est un barbarisme.

 

Cuirasseau, s. m. B. Ratafia d'écorces d'oranges amères; prononcez curaço; le mot est portugais et s'écrit curaçao. C'est contre toute analogie, et par suite de l'habitude des mots cuirasse et cuirassier, que l'on prononce ordinairement cuirasseau.

 

Cuison, s. f. Cuisage, s. m. B. Action de cuire ou de faire cuire. Ces deux mots ne sont pas français. Dites cuisson.

 

Cuit-pomme s. m. Ustensile de terre ou de métal destiné à faire cuire les pommes devant le feu. Cet instrument s'appelle aussi un pommier, et c'est le seul mot qu'admette l'Académie. M. Legoarand regrette à ce sujet que cuit-pomme ne soit pas inscrit dans le Dictionnaire; mais il n'a pas besoin d'y être : c'est un mot composé dont tout le monde peut employer à son gré les éléments, pourvu qu'il le fasse d'une manière conforme au bon usage. L'Académie n'admet pas non plus chauffe pied; cela n'empêche pas que le mot ne soit français et que tout le monde ne puisse s'en servir très-correctement.

 

Cure, v. Écurer, v. Par. Cure, c'est nettoyer : on dit curer un fossé, un puits, un égout. — Ecurer, c'est nettoyer en frottant pour rendre brillant : écurer la vaisselle, écurer une casserole

 

Cymbales, s. f. Timbales, s. f. Par. Les cymbales sont deux plats d'un alliage particulier qu'on tient à l'aide de courroies et qu'on frappe en mesure l'un contre l'autre. Les timbales sont deux hémisphères creux en bronze, fermés chacun par une peau tendue comme celle des tambours, et qu'on frappe avec des baguettes.

 

Deux ans plus tard, l'obscur Emile Agnel (1810-1882), avocat et homme de lettres, qui avait vécu à la campagne dans un rayon de six à huit lieues autour de Paris, publiait le fruit de ses notations d'amateur dans des Observations sur la prononciation et le langage rustiques des environs de Paris (Paris, Schlésinger, J. -B. Dumoulin, 1855). Il avait consigné là des remarques phonétiques, morphologiques et lexicales spécifiques à l'oral des alentours de Paris, auxquelles on peut toujours se référer à titre documentaire. Des remarques qui, une nouvelle fois, sont le fait d'un observateur instruit, distinct des couches sociales dont il souligne les singularités.

 

Après les événements de la Commune de Paris, et dans l'intervalle qui sépare ses éclats de l'élection si contestée de la IIIe République, l'ouvrage de Charles Nisard[17], Étude sur le langage populaire ou patois de Paris et de sa banlieue[18] , Vieweg, 1872), puis, après l'avénement de la République, De quelques parisianismes populaires et autres locutions non encore ou plus ou moins imparfaitement expliquées (Paris, Vieweg, 1876) donnent dès leurs titres la mesure des confusions. Les préfaces ne démentent rien de cette objectivité biaisée par un sentiment épilinguistique impossible à contenir. Ainsi, en tête de l'ouvrage de 1872 :

 

C’est la seconde fois que le peuple de Paris ou plutôt la horde de malfaiteurs qui usurpe son nom, me fait payer les frais de la passion dont elle est soi-disant dévorée pour le progrès et pour la liberté. Déjà, en février 1848, une bande de cette horde, au sac des Tuileries, m’avait fait l’honneur de jeter au feu, moi présent et protestant, et avec menace de m’y jeter moi-même, le manuscrit d’un autre ouvrage beaucoup plus considérable, et également prêt à être mis sous presse. Par où l’on voit que, si, d’une part, on ne s’est pas corrigé de brûler, de l’autre on ne s’est pas lassé de fournir de la matière aux brûleurs.

 

Puis en tête de celui de 1876 :

 

J’appelle parisianismes certains mots, certains tours et certaines locutions figurées ou non, essentiellement propres au langage populaire de Paris, aux diverses époques où je l’ai étudié, et dans les livres mêmes qui, bien qu’écrits en langage commun, ont mêlé à leur style plus ou moins de cette piquante saumure. Ces mots, ces tours, ces locutions ne sont pas de nature à être revendiqués par l’argot, quoiqu’ils aient quelquefois avec lui un air de famille. Certaines métaphores en ont peut-être le cynisme ou la violence, mais elles en ont en propre, pour la plupart, cet esprit, ce pittoresque et cette allure primesautière qui font passer sur la grossièreté de la forme, et qui éclatent et brillent comme des fusées dans une nuit obscure. L’argot, plus prémédité, pour ainsi dire, plus recherché, plus travaillé, surtout depuis que le journalisme s’occupe de l’enrichir, n’offre guère ces qualités qu’à l’occasion d’un mot isolé, d’une similitude, d’un rapprochement ou d’un quiproquo ; il a peu de ces figures de pensées qui jaillissent naturellement du langage simplement populaire, et lui constituent en quelque sorte une rhétorique.

 

Il est vrai que ces figures ne sont pas toutes également faciles à comprendre ; il en est même quelques-unes qui sont restées pour moi lettres closes et qui semblent défier toutes conjectures raisonnables ; mais je doute que la génération lettrée, postérieure à l’époque qui les a vues naître, les ait entendues davantage. Car, qui pensait alors qu’elles valussent la peine d’être expliquées, non plus que les écrits où elles se rencontrent, celle d’être lus ? Mais ce n’est pas une raison pour penser de même aujourd’hui. N’est-il pas en effet singulier que dans les classiques du genre, tels que Vadé et De Lécluse, on rencontre des expressions françaises d’ailleurs très incompréhensibles, et que les nombreux éditeurs de ces classiques, depuis plus de cent ans, n’aient ni voulu ni su les interpréter ? Et cependant, il est de toute évidence que ces locutions ont trait généralement à des usages et même à des faits historiques contemporains, dont les Parisiens, en particulier, seraient bien aises d’avoir la clef. Je n’ai pas la prétention d’en donner ici d’une propre à passer partout, mais je pense avoir trouvé plus d’une fois la serrure pour laquelle elle était faite.

 

Dans le genre de figures que je rappelle ici, le peuple de Paris a excellé de tout temps, et alors surtout qu’il n’était pas encore gâté par la lecture des journaux écrits, dit-on, pour son plaisir et son instruction. Il y a bien profite sans doute ; le malheur est que non seulement Paris, mais toute la France en ont payé la folle enchère. Depuis qu’il fait ses études sous de pareils maîtres, il a à peu près oublié ses anciennes métaphores ; il ne fait que des mots.

 

Respectant au fil des pages l’esprit pudibond du second Empire, l'auteur exposait sans fard et avec une certaine naïveté tout le poids de la bienséance, mais cachait difficilement toutefois sa curiosité avivée pour « la piquante saumure » des jargons populaires.

 

Certaines expressions particulièrement grivoises ne sont ainsi expliquées qu’en latin ; Le Marchand de pliants (p. 151) en est un exemple amusant. On trouve aussi quelques rares mots présents encore dans la langue parlée actuelle, comme baver qui signifie toujours bavarder en argot moderne. Nombre de locutions imagées sont fort suggestives, comme papillons d’auberges qui désignent des coups de poing ou des soufflets (p. 168), etc. Certaines semblent même faire un clin d’œil à notre époque : « Fesse tondue (Avoir la) […] Se dit principalement d’un galant, d’un séducteur (p. 110) ».

 

Le grand intérêt de ces ouvrages est d'abord la mise en contexte des mots ; les dialogues retranscrits, souvent savoureux, proviennent de chants, de nouvelles et d’expressions populaires. On peine à imaginer aujourd'hui le brouhaha du parler populaire parisien de l’époque, mais ces exemples nous montrent combien il a pu se transformer, comme la cadence du pouce, désignant l’argent, l’action de le compter, ou le mouvement qu’on imprime aux écus, en les poussant les uns après les autres avec le pouce :« Et ste cadence du pouce !- Queu cadence du pouce. - Sans doute. T’es fait comme les autres, toi. Ces garçons-là, quand ils poursuivent les filles, c’n’est pas tout uniment pour elles, ils veulent queuque chose avec » (p. 45).

 

Certes, Nisard n'est pas un savant  — Paul Passy et d'autres le seront à la fin du siècle —  mais même s'il se montre très réactionnaire dans ses jugements sur le peuple de Paris, constamment caractérisé comme grossier, il peut être aussi « moderne » dans sa vision d'un patois de Paris somme toute assez proche de ce que les linguistes ultérieurs nommeront sociolecte. Ayant travaillé sur une documentation largement littéraire des XVIIe et XVIIIe siècles, il a néanmoins pu se livrer à quelques sondages ou semblants d'enquête de terrain, dont l'intérêt est de montrer que la plupart des termes de ce patois renvoyaient à des realia rurales ou techniques généralement méconnues ou ignorées des lecteurs citadins bourgeois.

 

C'est bien ce qu'ont compris les écrivains de cette époque qui, en raison d'une nécessité d’écriture facilement expressive, ont essentiellement restreint les représentations de l'oral à des faits lexicaux à peine soumis à des contraintes syntaxiques et prosodiques. C’est ainsi que M. Blanchard, J. Pignon, R. Dagneaud, et d’autres encore, ont pu caractériser les emplois d’Angarié, Bestiote, Chinchoire, Chuin, Godaine, Oribus, Galerne, Embucquer, etc. , chez Balzac[19]. J’ai moi-même essayé de montrer  — sur l’exemple des normandismes de Barbey d’Aurevilly —  que ces apparents emprunts avaient  — dans la perspective des jugements épilinguistiques portés sur la langue du XIXe siècle par ses propres locuteurs —  une fonction principalement idéologique[20]. Est-il nécessaire de rappeler, à cette occasion, la manière dont Zola, par exemple, retranscrit les faits d'oralité populaire dans ses romans? C’est dans cette dimension fonctionnelle connotative, me semble-t-il, qu’il faut en envisager les traces; non dans leur valeur faussement documentaire. Car cette dernière est essentiellement floue. Reste que le phénomène était alors assez général et qu’il a pu dès lors prêter à confusion.

 

Quels qu’ils soient, ces documents, ainsi que le débat sur les dialectes et patois qui les accompagne, montrent que dans le domaine de la pratique quotidienne de la langue comme dans les secteurs de sa valorisation esthétique ou de son analyse scientifique, la normalisation s'impose comme une force irrésistible. L'oral presse ainsi l'écrit sous l'impulsion économico-politique d'une société qui demeure encore largement rurale puisque 60% des Français, en 1900, vivent à la campagne, et qu'au même moment, les couches moyennes ne représentent guère que 11,5% de la population. Nous sommes là dans une dérivée socio-démographique qui va se poursuivre largement dans la première moitié du XXe siècle, mais qui n'est que le prolongement de ce que le siècle précédent connaissait en termes de structuration sociale.

 

Ainsi, bien avant l'aube du XXe siècle, Sophie Dupuis, auteur en 1836 d'un Traité de Prononciation, notait déjà avec insistance :

 

Nous croyons devoir adresser ici quelques observations aux personnes de province. Il serait à désirer qu'elles attachassent plus d'importance qu'elles ne le font ordinairement à la bonne prononciation. Une langue que tous les étrangers, depuis Londres jusqu'à Petersbourg, se font un honneur de parler et d'écrire correctement, ne devrait sous aucun rapport être négligée par des nationaux. N'est-il pas humiliant pour nous de penser qu'il y a tel Russe ou tel Anglais qui serait en état de donner des leçons de français à tel ou tel de nos compatriotes? Dans les départements, au moyen des écoles d'enseignement mutuel, où l'on appellerait de jeunes moniteurs de Paris ou de Lyon, on pourrait peu à peu corriger l'accent et substituer la langue française au jargon de chaque province. N'est-ce pas un très grand inconvénient que des habitants de nos provinces frontières soient plus en état de se faire comprendre des étrangers placés dans leur voisinage que de leurs compatriotes nés à une autre extrémité de la France? Qu'on aille à cinquante lieues de Paris, on trouvera déjà la langue corrompue d'une manière sensible, et plus on s'éloignera du centre, plus cette corruption deviendra frappante; elle ne s'étend pas seulement aux gens du peuple; elle atteint même les classes les plus élevées de la société [21]

 

Dans le manuel des frères Bescherelle, Ch. Durazzo notait d'ailleurs, à la même époque, le caractère dirimant de cette rémanence des patois et parlers locaux à l'heure où une première loi imposait une instruction publique généralisée :

 

Le plus grand obstacle pour la propagation de l'instruction primaire dans nos départements est sans contredit le patois; c'est une barrière infranchissable pour la loi du 28 juin 1833, et la pensée bienfaisante d'un ministre est venue échouer contre cet écueil dans la plupart des localités. En effet, le véhicule qui porte la vie et l'intelligence dans toutes les branches de l'instruction primaire ou secondaire, scientifique ou industrielle, c'est la pensée sous la forme de l'idiome national; du français pour nous fils de la France [...]. Or, si chacun de nos départements possède une langue à part, un idiome tout différent, alors toute communication intellectuelle est interceptée, et l'éducation languit comme dans une prison étroite, privée d'air et de mouvement; c'est que la sève fondamentale ne peut arriver jusqu'à elle; le patois est là![22]

 

L'identification de la pensée à l'idiome national signe une disposition d'esprit qui cherche à unifier ce qui se présente encore sous l'aspect d'une marqueterie. Mais celle-ci est encore caractérisée comme grossière. Comme en d’autres secteurs du développement de la langue française, se fait nettement sentir ici l’impact du politique[23] sur les pratiques orales de la langue et l'orthographe académique, son incapacité voulue à suivre l'évolution des prononciations et la complexité des intérêts socio-économiques[24] mis en jeu. Il n’est pas sans signification que Marle, en 1826, et l’auteur d’un Dictionnaire de la prononciation de la langue française, indiquée au moyen des caractères phonétiques, Féline, poursuivant en 1851 le projet simplificateur, recourent à des arguments de cette nature. Philanthropie et didactique s’épaulent dans leurs discours :

 

L’enfant du pauvre après avoir fréquenté l’école pendant quatre hivers possèderait un instrument sûr, exact, qu’il manierait facilement; il vaincrait les obstacles, toutes les écritures seraient lisibles pour lui, et il saurait lui-même écrire d’une manière correcte 

 

Avantage politique, la simplification orthographique pourrait aider à faire accepter la colonisation :

 

Il n’est pas de cause qui contribue davantage à entretenir des haines nationales entre peuples voisins, surtout entre vainqueurs et vaincus, que l’impossibilité de se comprendre. Le jour où tous les habitants de l’Algérie parleraient notre langue, cette population serait devenue française.

 

Avantage économique, enfin, une orthographe simplifiée du français serait apte à induire un moindre coût de diffusion de la librairie :

 

L’économie politique qui sait que le plus petit bénéfice souvent répété peut procurer de grands profits, en trouverait un immense dans cette réforme. J’ai cherché dans plusieurs phrases quelle serait la diminution des lettres employées, et celle que j’ai trouvée est de près d’un tiers; supposons seulement un quart. Si l’on admet que sur trente cinq millions de Français, un million, en terme moyen consacre sa journée à écrire, si l’on évalue le prix moyen de ces journées à trois francs seulement, on trouve un milliard sur lequel on économiserait deux cent cinquante millions par année. La librairie dépense bien une centaine de millions en papier, composition, tirage, port, etc., sur lesquels on gagnerait encore vingt-cinq millions. Mais le nombre des gens sachant lire et écrire décuplerait, les livres coûtant un quart moins cher, il s’en vendrait par cela seul le double, et le double encore parce que tout le monde lirait. De sorte que ce profit de deux cent soixante quinze millions serait doublé ou quadruplé, et l’économie imperceptible d’une lettre par mot donnerait un bien plus grand bénéfice que les plus sublimes progrès de la mécanique[25]

 

Dans un XIXe siècle traversé de crises socio-politiques fortes, et secoué par les soubresauts d’une économie rurale que subvertissent progressivement les grosses machines de l’industrie, il est symptomatique de noter que tous les arguments susceptibles de freiner le schisme social en préparation latente servent à proposer et soutenir des aménagements de la partie de la langue la plus superficielle et déjà la plus figée  — son écriture et sa phonétique —  par laquelle  -—dès les premier instants de la communication —  s’affichent sans fard l’origine et la qualité des interlocuteurs.

 

La prononciation devient ainsi une marque sociologique et culturelle discriminante, un révélateur discret qui  — très naturellement et sans aucune ambiguïté —  s'inscrit à l'oral dans la vie de la langue, et dans la vie même la plus standard de cette dernière, à l'écart des argots ou des patois. Dès 1838, les frères Bescherelle avaient bien noté dans leur Almanach des instituteurs et institutrices que la prononciation constituait le couronnement des apprentissages grammaticaux. Ces Étrennes pédagogiques proposaient un programme d’étude quotidien particulièrement détaillé, avec des textes, des exercices et des thèmes et sous-thèmes de rédaction variés, en accord avec la chronologie des saisons et des fêtes, et offraient plusieurs avantages :

 

Ils permettaient tout d’abord une répartition organisée des leçons dans l'année, de manière à ce qu'aucun moment ne soit perdu. Les almanachs des instituteurs étaient destinés aux instituteurs de campagne. On sait quelle incertitude régnait sur les contenus enseignés pendant cette période : instituteurs de formation hétérogène, très grande différence d'un département à l'autre, d'une localité à l'autre, scolarisation très irrégulière, résultats décevants, le bilan négatif a conduit à renforcer le corps des inspecteurs[26] de l'enseignement primaire.

 

Ils permettaient ensuite d'homogénéiser l'enseignement, première condition pour instiller dans les consciences et répandre les mêmes schémas identitaires, les mêmes contenus idéologiques, une seule et même langue : la langue française.

 

L'efficacité des programmes prouve à elle seule l'efficacité de l'ordre : un enseignement soigneusement décomposé et réparti assure le progrès, incarnant ainsi de façon métaphorique la réussite politique et sociale d'un système fondé sur cette valeur.

 

Jour après jour, mois après mois, mois d’été y compris, les almanachs proposaient donc un programme complet : un petit texte de lecture, une question de grammaire et d'orthographe, d'histoire et de géographie, de petits problèmes de calcul, le tout lié à la progression des saisons, et escorté d’une leçon de morale ; les fascicules proposaient aussi des batteries d'exercices, parmi lesquels des exercices d"écriture" destinés à combattre les irrégularités issues de la diglossie, puisque la plupart des élèves, du fait de leur origine, connaissaient cette situation.

 

Janvier :

Substantif (Anecdote)

Février:

L'article (Proverbe )

Mars :

L'adjectif (Homonymes)

Avril :

Pronoms (Homonymes )

Mai :

Les verbes (Récit )

Juin 

Les participes

Juillet :

Les adverbes

Août :

Les prépositions

Septembre :

Les conjonctions

Octobre

Interjections. Ponctuation.

Novembre :

Orthographe, néologismes

Décembre :

Prononciation

 

Les exercices se diversifient donc et se précisent au fil de l'année. Les exercices d'écriture deviennent des sujets qui anticipent sur les sujets de rédaction qui seront encore proposés dans les classes entre 1925 et 1960. On propose à l'élève des sujets évoquant les anciens sujets de rhétorique, débat moral, mais simplifiés et transposés dans la vie quotidienne. Il ne s'agit plus de Timon, ou de héros antiques, voire historiques. Il s'agit de personnages qui pourraient appartenir à l'environnement de l'élève… Le thème a nécessairement un lien direct avec le petit texte proposé : il s'agit soit d'une narration pure, soit d'une narration animée d'une réflexion morale, soit d'une transformation, un texte en vers sera réécrit en prose. On a là le prototype des futurs manuels proposés lorsque l'Instruction Publique se consolidera et imposera la notion de programme. Dans les Almanachs de 1838 et 1839, les historiettes racontent des scènes du quotidien, situées pour la plupart dans le monde rural, au village, et intégrées dans le rythme des travaux des champs. La même démarche anime le Bon Génie mais les textes sont plus longs et plus variés ; la taille des ouvrages permet de proposer des lecture "illustratives" qui sont des lectures d'auteurs comme Chateaubriand, Lamartine. Le Bon Génie n'est pas nécessairement réservé à l'enseignement strictement scolaire, il peut très bien être utilisé par un précepteur dans une famille aisée, qui fournit à ses enfants une éducation à domicile, ou dans des classes organisées en privé. Néanmoins le milieu rural est privilégié, les auteurs montrent une prédilection pour les histoires édifiantes à valeur éducative : gestes de générosité, les bons enfants sont opposés aux mauvais ; on retiendra en particulier l'enfant qui ne veut pas aller à l'école, croyant savoir parler, alors qu'il a un épouvantable accent provincial et campagnard qui fera rire tous ses camarades et qu'il fait des fautes rédhibitoires comme "j'allons", "ben" pour "bien". La "vanité " qui l'empêche d'apprendre sera bien sûre punie par les événements. Et cette stigmatisation des défauts du personnage souligne que dans une France rurale… jusqu’en 1964, comme aime à le rappeler Maurice Agulhon, il est déjà possible de dénoncer les ruraux, dont la voix a subsisté jusqu'à nous par l'intermédiaire de... leurs fautes!.

 

Mais revenons à la prononciation. La prononciation constitue le couronnement des apprentissages grammaticaux dans l'almanach cité–dessus. On peut voir à ce fait d'apparence curieuse deux explications, l'une tient à la conception générale de la grammaire, le plan proposé étant exactement celui de la Grammaire Nationale. Mais on peut penser aussi que la prononciation, c'est à dire la capacité de prononcer ce que l'on connaît, est l'aboutissement d’un enseignement de la langue qui fait de la langue apprise comme une langue étrangère. Les textes supposent une connaissance de la langue déjà bien installée, mais la prise de conscience de cette langue passe par son expulsion du réseau des habitudes glossiques. En dehors de quelque tournures relevées à l'occasion d'une historiette, on ne relève cependant aucune tendance à restituer ici les listes des cacographies, ou les listes de provincialismes corrigés avec leur traductions, que Desgrouais avait mises à l’ordre du jour depuis 1768. Les élèves auxquels s'adressent ces instituteurs sont donc supposés parler un français oral relativement élaboré, et les problèmes qui se posent sont essentiellement des problèmes d'orthographe, comme le marquait naguère André Chervel.

 

L’ambition pédagogique y reste alors tributaire d’un dessein éthique et social : “ Derrière l’éducation, affirmaient les auteurs, est le grand mystère de la perfectibilité humaine ”, dont la langue assure le fondement. En effet, si l’homme doit être cultivé, si les parents ne pensent en général qu’à procurer à leurs enfants une meilleure position sociale, si les gouvernants, en revanche, considèrent souvent les hommes comme des instruments , si, dans tous les cas, l’homme est pris dans un système de contraintes générales, il importe que l’enseignement de la langue lui montre dès la jeunesse que l’ordre seul est capable de faire apprécier la liberté. On peut voir à ce fait deux explications, l'une tient à la conception générale de la grammaire, le plan proposé étant exactement celui de la Grammaire Nationale. Mais on peut penser aussi que la prononciation, c'est à dire la capacité de prononcer les mots que l'on connaît, est l'aboutissement d’un enseignement de la langue qui fait de la langue apprise comme une langue étrangère. Michel Bréal, quelque trente ans plus tard, reprendra cette idée en rappelant que les petits élèves s'expriment déjà, et fort correctement le plus souvent, lorsqu'ils entrent à l'école... Les textes supposent donc une connaissance de la langue déjà bien installée, mais la prise de conscience de cette langue passe par son expulsion du réseau des habitudes glossiques. En dehors de quelque tournures relevées à l'occasion d'une historiette, on ne remarque aucune tendance à restituer ici les listes des cacographies, ou les listes de provincialismes corrigés avec leur traductions, que Desgrouais avait mises à l’ordre du jour depuis 1768. Les élèves auxquels s'adressent ces instituteurs sont donc supposés parler un français oral relativement élaboré, et les problèmes qui se posent sont essentiellement des problèmes d'orthographe, comme le marquait naguère André Chervel. Avouons que c'est là, pour notre siècle, une piètre fin que celle qui condamne l'oral vivant et imprévisible à se soumettre aux impératifs des écritures normalisées de la voix, qui en pervertissent les saveurs et en travestissent les accents.

 

En pleine période d'ordre moral et de refondation de la France, Michel Bréal notait pourtant avec justesse et clairvoyance cette évidente priorité de la langue parlée et de l'oral sur la langue écrite:

 

Deux grandes erreurs pèsent sur l'enseignement de la langue française. D'un côté on suppose que le français doit être appris par règles, comme une langue morte, et d'autre part on fait prédominer l'enseignement de la langue écrite sur celui de la langue parlée[27].

 

Quand l'enfant entre à l'école, il apporte son vocabulaire déjà formé, sa langue déjà toute faite, et de combien supérieure le plus souvent à celle qu'on lui apprendra en classe! Si vous en doutez, écoutez les enfants avant qu'ils e ntrent dans la salle d'école : les mots leur manquent-ils pour se communiquer leurs idées ou pour convenir de quelque projet, ou pour discuter un incident qui les touche? Je suppose qu'une discussion s'élève sur le mien et le tien : sont-ils embarrassés de trouver les pronoms personnels et les adjectifs possessifs? Ou bien qu'une question de la vie de tous les jours les divise : comme le français coule de source, et ceux qui tout à l'heure auront l'air hébété et muet sont peut-être les plus éloquents! Non-seulement ils disposent de tous les mots correspondant aux idées de leur âge, mais ils ont les tours et la construction et (chose non moins précieuse) le ton et le geste. Mais à peine sont-ils assis sur les bancs de la classe, que ces avocats si diserts sont traités comme s'ils avaient été sourds et muets jusqu'au jour de leur entrée à l'école. Soyez donc surpris que cette étude les laisse froids! Elle les assomme, parcequ'elle repose sur une fiction et que ces élèves ne reçoivent rien que déjà ils ne possèdent. Ah! si à l'entrée de la classe, au lieu de tout glacer, le maître savait conserver cet élémenten fusion, et pouvait attirer à lui la discussion de tout à l'heure pour la guider et pour l'élever! La leçon de français deviendrait une leçon de droit civil ou de droit des gens, ou d'équité sociale : reprenant le dire de chacun, écartant doucement ce qui est irrégulier ou bas, il ferait monter de degré en degré les différentes opinions jusqu'à leur forme la plus pure et la plus nette, de manière que chacun, pensant intérieurement : oui, voilà ce que je voulais dire, se sentirait grandir et monter dans l'échelle intellectuelle. Ne serait-ce pas là une leçon de français, et de combien supérieure à vos définitions? Qui songerait encore aux bancs et aux murs de l'école? Toute l'attention des enfants serait tendue vers la parole du maître, et l'école et le monde se trouveraient pour un instant confondus.

 

Sans doute c'est là un événement scolaire qui ne pourra avoir lieu tous les jours, et il faut que l'instituteur soit déjà bien maître de ses élèves et de lui-même pour se mêler ainsi à leur vie intime. Aussi avons-nous seulement voulu montrer par un exemple ce que peut de venir l'enseignement du français, quand un vrai maître y voit autre chose que les creuses subtilités qu'on a décorées de ce nom.

 

L'idée d'apprendre le français au moyen d'un manuel de grammaire ne se serait probablement jamais présentée à l'esprit de personne, si le latin n'avait pas été durant tant de siècles le fond de tout notre enseignement. Nos premières grammaires françaises étaient calquées sur les grammaires latines, et si l'on a petit à petit éliminé de nos livres les règles latines qui ne sont d'aucune application en français, l'esprit de la méthode n'en est pas moins resté le même. C'est en apprenant par petits morceaux les différents chapitres de la grammaire et en les récitant par coeur, — non pas même toujours à l'instituteur, mais à quelque élève à peine plus âgé —  que nos enfants sont censés apprendre leur langue. Chose plus étonnante encore, cet exercice est considéré comme utile pour le développementde l'intelligence, et l'on ne cesse de vanter l'heureuse influence qu'il a sur l'esprit!

 

Quand on examine les manuels grammaticaux qui sont mis entre les mains des enfants, on voit qu'outre les paradigmes et les règles de formation, ces livres comprennent trois parties, le plus souvent confondues et mêlées ensemble. Il y a d'abord des définitions : l'écolier apprend ce que c'est qu'un nom, un verbe, une préposition, une locution adverbiale. En second lieu, on donne des règles qui se rapportent à l'écriture et à l'orthographe : on nous dit comment s'écrit le pluriel des noms en au, eau, eu, quels sont les noms composés qui prennent un s, dans quel cas on fait accorder le participe. En troisième lieu, viennent les règles de construction et les éléments de l'analyse logique : on enseigne la différence qui existe entre dont et d'où; on nous prévient qu'il ne faut pas dire : c'est à vous à qui je parle, parce qu'il y aurait deux compléments indirects; on montre ce qu'est le sujet simple et le sujet multiple, l'attribut complexe et l'attribut incomplexe. Nous ne songeons pas à faire la critique de ces petits livres, dont quelques-uns ont été composés par des hommes fort dévoués à la jeunesse. Mais il est trop clair qu'ils laissent échapper le meilleur de la langue, et que remettre à des enfants un tel ouvrage en leur laissant croire qu'ils y apprendront le français, ne serait pas moins déraisonnable, que si nous avions la prétention de former des poëtes en expliquant ce que c'est qu'un vers, un hémistiche, en enseignant les règles de la rime et de la césure, et en décrivant les différentes espèces de strophes.

 

Parler est dans un ordre supérieur un art de même sorte que marcher ou se servir de ses mains. L'enfant apprend à prononcer ses premiers mots, à assembler ses premières phrases, en entendant parler ses parents, comme il apprend un, jeu en voyant jouer ses camarades. N'est-ce pas là un avertissement donné par la nature et que faut-il penser de l'instituteur qui prétend enseigner la langue par le moyen de quelques règles et de quelques définitions sans parler avec les écoliers et sans les faire parler?[28]

 

Cette dimension de l'oralité ne pouvait échapper à personne, et tout grammairien, philologue ou linguiste de la période tant soit peu rigoureux constatait nécessairement l'écart grandissant se creusant entre le dit et l'écrit. Mais ne possédait pas naturellement les moyens d'en renverser les facteurs. Le Dictionnaire de la Conversation, rédigé sous la direction de W. Duckett, avait rappelé, dans sa seconde édition de 1867, sous l'entrée Oral toute l'importance de cette dimension dans la constitution et la transmission du savoir :

 

Ce mot désigne ce qui est transmis de vive voix, sans le secours de l'écriture. La poésie, la législation, l'histoire primitives, ont toujours été orales jusqu'à l'invention des caractères destinés à représenter les sons et à figurer les pensées. La loi orale contenue dans la Misnah, loi que les Juifs croient fidèlement transmise par la tradition, est regardée par eux comme l'indispensable et authentique expolication de la loi écrite. L'enseignement oral est celui que donnent les professeurs du haut de leur chaire. La tradition orale est celle qui, pour n'être pas écrite, n'en est pas moins certaine. (tome XIII, p. 762 b)

 

En insistant sur l'importance de la tradition orale, les auteurs des notices du Dictionnaire de la Conversation prenaient acte de l'irréversible mouvement accréditant enfin au sein du panthéon des écrits le témoignage de la voix.

 

Je terminerai donc sur un extrait du Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, qui, à défaut de nous éclairer sur l'oral de manière générale en tant que tel, reverse autour de 1867, dans l'article Parole toute l'importance nouvellement reconnue à une oralité devenant de plus en plus importante dans l'exercice du langage. Oralité en qui gisent les fondements de la morale, les trésors de la culture humaine, et le sens de l'individuation faisant de chaque homme un sujet du discours :

 

PAROLE s. f. (pa-ro-le — du latin parabola, parabole. Parabola, à cause du fréquent emploi qu'on faisait de ce mot dans les sermons et les exhortations, et aussi parce qu'on répugnait à employer le mot verbum, réservé pour signifier le Verbe, a remplacé ce mot chez tous les peuples romans ; de même, en grec moderne, psari, de opsaron, petit plat de poisson, a remplacé, pour signifier poisson, ichttius qui avait passé à un usage mystique. C'est du moins l'opinion de Schlegel. Mais parabola, en grec parabole, est également un terme biblique. D'après Max Müller, l'extension donnée dans les langues néo-latines au mot parabola s'est faite par imitation de l'allemand Wort, qui, de bonne heure, avait pris le sens de proverbe, de parabola. Ce mot roman, étant employé dans ce sens pour traduire le mot allemand, a fini par traduire aussi ce dernier dans son acception primitive et générale). Mot prononcé : PAROLE bien articulée. PAROLES entrecoupées de sanglots. Expliquer une chose en peu de PAROLES. On amuse les enfants avec des hochets, et les hommes avec des PAROLES. (Lysand. ) Telle est la chose, telle doit être la PAROLE. (Cléomène. ) Il y a une bienséance à garder pour les PAROLES comme pour les habits. (Fén. ) Il n'appartient qu'aux âmes fortes et pénétrantes de faire de la vérité le principal objet de leurs PAROLES. (Vauven. ) La femme nous trompe plus sûrement avec un sourire qu'avec une PAROLE. (A. Fée. ) L'homme pense sa PAROLE avant de parler sa pensée. (De Bonald. ) Le peuple, qui est habitué au travail, n'aime pas qu'on perde le temps en PAROLES. (E. de Gir. ) Pour parler, il faut chasser de l'air des poumons dans notre bouche, et la PAROLE est le bruit que fait cet air en passant. (J. Macé. )

Les moments sont trop chers pour les perdre en paroles.

RACINE,

Quinze ans de mariage épuisent les paroles.

MOLIÈRE.

— Dit, sentence, sentiment exprimé : Prononcer de mémorables PAROLES. Cette PAROLE est pleine de sens, de raison. Voilà une PAROLE funeste. Adresses-lui quelques bonnes PAROLES. Cette PAROLE m'a touché. Les PAROLES d'un véritable ami sont un baume adoucissant pour les blessures de l'âme. (Mme Riccoboni. ) Dans les grandes crises de l'espèce humaine, il y a une PAROLE que tous entendent. (H. Taine. ) Les grands du monde entendent rarement des PAROLES sincères. (Guizot. )

A quoi bon mettre au jour tous ces discours frivoles,

Et ces riens enfermés dans de grandes paroles ?

BOILEAU.

Mon âme attend vos paroles de miel,

Comme la terre sèche attend, les eaux du ciel.

V. HUGO.

— Ton de la voix : Sa PAROLE est agréable. Cet orateur a la PAROLE nette, facile.

— Faculté ou action de parler : Perdre, recouvrer l'usage de la PAROLE. L'homme rend, par un signe extérieur, ce qui se passe au dedans de lui; il communique la pensée par la PAROLE. (Buff. ) La PAROLE est le véhicule de l'intelligence et la maîtresse du monde matériel. (B. Const. ) La PAROLE est un des caractères distinctifs de l'espèce humaine, celui qui la sépare complètement des autres êtres animés. (A. Maury. ) La PAROLE, comme la pensée, est essentiellement dans la nature de l'homme. Maret.

— Eloquence : Avoir le talent de la PAROLE. La PAROLE est une puissance. Il s'est trouvé dans tous les temps des hommes qui ont su commander aux autres par la puissance de la PAROLE, (Buff. ) La PAROLE est un projectile qui tue à toute distance. (A. d'Houdetot. ) A la majesté des harangues de Cicéron, on reconnaît une PAROLE qui est maîtresse des affaires du monde. (Ozaneau.) L'intelligence que l'on dépense aux combats de PAROLES est comme celle que l'on emploie à la guerre : c'est de l'intelligence perdue. (Proudh. ) Rivarol était un virtuose de la PAROLE. (Ste-Beuve. ) La prose est la PAROLE libre, indépendante, diverse comme la vie, souple comme le progrès. (E. Pelletan.)

La parole, ici-bas, est un douteux empire,

Sous nos mots nuageux l'enthousiasmé expire.

SOUMET.

— Assurance, promesse verbale : Donner sa PAROLE, sa PAROLE d'honneur. Manquer à sa PAROLE. Violer sa PAROLE. Rester fidèle à sa PAROLE. Croyez en ma PAROLE. Il est aisé de tromper qui se fie, mais il n'est pas aisé de tromper plus d'une fois; une PAROLE mal gardée pour une seule fois prive pour jamais celui qui l'a enfreinte de créance envers tout le monde. (Bassompierre. ) La seule PAROLE d'un honnête homme doit avoir toute l'autorité du serment. (Mme Necker. ) Entre gens d'honneur, la PAROLE vaut l'écrit. (Balz. )

Ne cherchez point d'excuse à la parole enfreinte.

PONSARD.

Qu'il se souvienne

De garder sa parole, et je tiendrai la mienne.

CORNEILLE.

Oh ! combien l'homme est inconstant, divers,

Faible, léger, tenant mal sa parole.

LA FONTAINE.

ǁ Promesses vaines et vagues : Mieux vaut moins de PAROLES et plus d'effet. Ce ne sont pas des PAROLES qu'il faut aux malheureux. Amuser quelqu'un de PAROLES, avec des PAROLES. Il faut faire et non pas dire, et les effets décident mieux que les PAROLES. (Mol. )

Les bravades enfin sont des discours frivoles,

Et qui songe aux effets néglige les paroles.

CORNEILLE.

— Proposition, avance faite pour arriver à un accommodement : Etre le porteur de PAROLES.

Enfin je viens chargé de paroles de paix.

RACINE.

— Discours piquants, aigres, offensants;-ne s'emploie qu'au pluriel : Se prendre de PAROLES. Avoir des PAROLES avec quelqu'un, de grosses PAROLES.

Ce que je sais, c'est qu'aux grosses paroles

On en vient sur un rien plus des trois quarts du temps.

LA FONTAINE.

— Droit ou autorisation de parler : Avoir la PAROLE. Demander la PAROLE. Perdre son tour de PAROLE. Renoncer à la PAROLE. Accorder, refuser la PAROLE. Oter, retirer la PAROLE. Céder la PAROLE.

Bonnes paroles, Discours qui annoncent des intentions, des sentiments favorables : Accueillir quelqu'un avec de BONNES PAROLES. ǁ Belles paroles, Grandes promesses qu'on n'a pas dessein de tenir, ou qui, pour une cause quelconque, resteront sans effet : II n'est pas avare de BELLES PAROLES. Il amuse ses créanciers par de BELLES PAROLES. (Campistron. ) Je ne me paye point de BELLES PAROLES. (L. Viardot. )

Mauvaises paroles, Paroles inspirées par une intention coupable.

Paroles couvertes, Termes qui insinuent, qui font entendre quelque chose qu'on ne veut pas dire ouvertement : Je lui ai fait entendre cela en PAROLES COUVERTES. (Acad. ) ǁ Loc. vieillie; on dit aujourd'hui MOTS COUVERTS.

Sur parole, D'après le témoignage d'autrui : Estimer, louer quelqu'un SUR PAROLE. Nous admirons SUR PAROLE les Grecs et les Romains. (Chateaub. ) ǁ Sur l'affirmation de celui qui parle : Croyez-moi SUR PAROLE. Je ne puis vous croire SUR PAROLE. La conscience du juste doit être crue SUR PAROLE. (V. Hugo. ) ǁ Être prisonnier sur parole, Rester volontairement prisonnier, d'après l'engagement qu'on en a pris, et sans être gardé par ceux à qui on a fait cette promesse. ǁ Prisonnier sur parole, Personne, qu'on laisse libre, sous la promesse de ne pas s'éloigner de certains lieux, de se soumettre à certaines formalités. ǁ Jouer sur parole, Jouer des sommes que l'on s'engage à payer plus tard en cas de perte.

Ma parole, Ma parole d'honneur, Parole d'honneur, Se dit pour affirmer fortement :

Ne dites pas toujours : Ma parole d'honneur;

Qu'il soit moins dans la bouche et plus au fond du coeur.

COLLIN D'HARLEVILLE.

Porter la parole, Parler au nom d'une autorité, d'une compagnie, d'un corps, au nom de plusieurs personnes : Ce fut le président qui PORTA LA PAROLE.

Prendre la parole, Commencer à parler, à faire un discours.

Perdre la parole, Ne plus pouvoir parler, par suite d'une maladie ou de quelque accident. ǁ Rester interdit et hors d'état de parler : La surprise lui a fait PERDRE LA PAROLE.

Parlez donc, avocat. - J'ai perdu la parole.

RACINE.

Avoir la parole haute, Parler avec autorité, avec arrogance.

Adresser la parole à quelqu'un, Lui parler, s'adresser directement à lui :

Ce monsieur de La Mole !

Il n'a jamais daigné m'adresser la parole;

II avait un valet aussi guindé que lui.

PONSARD.

Couper la parole à quelqu'un, L'interrompre pendant qu'il parle.

Payer de paroles, Se faire passer pour meilleur qu'on n'est, n'avoir que ses paroles pour s'attirer de la considération : Une femme prude PAYE DE maintien et DE PAROLES, une femme sage paye de conduite. (La Bruy. ) ǁ Se payer de paroles, Croire légèrement ce qui se dit : Le monde SE PAYE DE PAROLES. (Pasc. )

Etre homme de parole, Etre de parole, Tenir ce qu'on promet, être fidèle à ses engagements. ǁ Fausser sa parole, Manquer à sa parole, à ses engagements :

N'ayez pas peur que je fausse parole.

MOLIÈRE.

Avoir deux paroles, Etre sujet à revenir sur ses engagements, à les violer : Vous savez que je n'ai pas DEUX PAROLES.

Dégager sa parole, Retirer la promesse qu'on avait faite :

J'en viens, sur cet avis, dégager ma parole.

ROTROU.

— Je lui ferai rentrer les paroles dans le corps, dans la gorge, dans le ventre, Je saurai bien le faire taire ; je lui ferai rétracter les paroles qu'il a dites :

Et, dit le capitan, que personne ici n'entre;

Je le ferai rentrer les paroles au ventre;

Godelureau maudit, dameret insolent.

Fix.

Il ne lui manque, Il n'y manque que la parole, Se dit d'un portrait fort ressemblant, d'une figure pleine de vie et d'expression.

Sa parole vaut de l'or, Se dit de quelqu'un qui tient fidèlement ses engagements : La PAROLE de monsieur VAUT DE L'OR. (Scribe. )

— Prov. Les paroles volent, les écrits restent, Un engagement pris par écrit est bien plus sûr que celui qu'on a contracté de vive voix. On cite souvent ce proverbe sous sa forme latine : Verba volant, scripta manent. ǁ On dit dans le même sens : Les paroles sont des femelles et les écrits sont des mules. ǁ Les belles paroles n'écorchent pas la langue, Il n'en coûte rien de faire des promesses qu'on ne veut pas tenir. ǁ Quand les paroles sont dites, l'eau bénite est faite, II n'y a pas à revenir sur ses engagements. ǁ Les paroles du matin ne ressemblent pas à celles du soir, Les hommes sont sujets à changer d'avis. ǁ A grands seigneurs peu de paroles, Il ne faut pas fatiguer l'oreille des grands. ǁ Les paroles des grands ne tombent jamais à terre, Elles ne sont jamais perdues, il y a toujours quelqu'un qui les écoute et les recueille pour les répandre et les appliquer. ǁ Paroles ne puent pas ou Parole ne pue pas, Se dit, par manière d'excuse, lorsqu'on se croit obligé de parler de choses sales et dégoûtantes. ǁ On prend les bêtes par les cornes et les hommes par les paroles, On dompte les bêtes par la force, les hommes par la persuasion. ǁ A bon entendeur, peu de paroles, Un homme intelligent n'a pas besoin de longues explications. On dit souvent en latin : Intelligenti pauca. ǁ La parole fait le jeu, vaut le jeu, vaut jeu, On est obligé de tenir, d'exécuter ce qu'on a dit en se mettant au jeu ou pendant qu'on jouait.

— Relig. Parole éternelle, Parole incréée, Parole incarnée, Le Verbe, fils de Dieu, ǁ La parole de Dieu, la parole divine, ou simplement la Parole, l'Ecriture sainte et les sermons qui se font pour l'expliquer : La chaire est faite pour louer Dieu et prêcher SA PAROLE, non pour préconiser les hommes. (P. Lejeune. ) ǁ La. parole écrite, L'Ecriture sainte. ǁ La parole non écrite, La tradition. ǁ Paroles sacramentelles, Paroles qui constituent la formule essentielle d'un sacrement, et Fam. Formes nécessaires, paroles essentielles pour l'accomplissement d'une chose quelconque.

Paroles magiques, Formules auxquelles les sorciers attribuent l'efficacité de leurs sortilèges. ǁ Parole de vie, Prédication, enseignement des dogmes ou des principes religieux.

— Anc. jurisp. Paroles de présent, Déclaration que deux personnes faisaient devant un notaire, après s'être présentées à l'église, qu'elles se prenaient pour mari et femme. Jeux. Avoir la parole, Avoir le droit d'exprimer ce qu'on veut faire sur le coup qui se présente : Au boston, à la bouillotte, etc. , chacun A LA PAROLE à son tour. ǁ Passer parole , Transmettre à un autre le droit qu'on a de relancer. ǁ Passe parole, Se dit à certains jeux de renyi, quand celui qui doit parler ne veut pas couvrir le jeu pour le moment.

— Art milit. Passe parole, Faites passer l'avis, l'ordre, le commandement : Avance, cavalerie, PASSE PAROLE. (Acad. ) ǁ Donner la parole, S'est dit pour donner le mot d'ordre.

— Mus. Suite de mots sur lesquels s'exécute un morceau de musique : La' musique rend bien l'esprit des paroles. Le style oratoire a souvent l'inconvénient de ces opéras dont la musique empêche d'entendre les PAROLES. (J. Joubert. ) Nous considérons comme une absurde monstruosité d'attacher des PAROLES à la musique. (A. Karr. )

Syn. Parole, mot. V. MOT.

Donner parole, s'engager, promettre. V. ENGAGER.

Encycl. Physiol. La voix est formée dans le larynx par les cordes vocales, chez l'homme et chez les animaux ; mais chez l'homme seul elle est articulée. Les organes de l'articulation, pharynx, fosses nasales, voile du palais, langue, joues, dents et lèvres existent chez les animaux et chez les idiots comme chez l'homme sain. La parole a donc sa source clans l'intelligence et constitue un acte intellectuel autant qu'un acte de phonation. La preuve, c'est que la parole peut se passer de la voix, et que nous pouvons parler à voix basse, comme on dit, sans émission réelle de voix. Quand la trachée est coupée en travers, et alors que la voix est anéantie, la parole dite a voix basse ne l'est pas. Les joues, la langue, les dents et les lèvres entrent en action, l'air expiré est « aphone, » mais la parole articulée est produite et se perçoit. Nous verrons plus loin où réside cet élément psychique de coordination nécessaire au « parler. » Tout d'abord, étudions comment se produisent les signes sonores qui servent à l'homme pour communiquer avec ses semblables.

Nous empruntons textuellement l'analyse phonétique de l'alphabet au docteur Segond, chez qui la science du physiologiste s'unissait aux talents de l'orateur et du chanteur.

"Le tuyau vocal donne aux sons trois ordres de modifications auxquels se rapportent trois catégories de lettres : les voyelles, les consonnes soutenues et les consonnes proprement dites. Tous les sons produits par le larynx et traversant librement le tuyau vocal sont des voyelles. Tous les sons produits par le larynx et s'accompagnant d'un rétrécissement très-notable d'une partie du tuyau, vocal rentrent dans les consonnes soutenues ; pour que, dans ces cas, la prononciation de la consonne soit complète, il faut que le rétrécissement du tuyau vocal cesse brusquement, en même temps 'que la voix elle-même est suspendue. Enfin, lorsque la voix s'accompagne de phénomènes d'occlusion complète, au niveau de certains points du tuyau, il y a véritablement articulation ou formation d'une consonne proprement dite. D'après ces trois modes de génération des phénomènes de la parole, on peut se rendre compte de la formation de presque toutes les lettres. Il ne reste plus, pour les distinguer, qu'à déterminer, pour les voyelles,'la forme du tuyau vocal ; pour les consonnes soutenues, le point du rétrécissement; pour les consonnes proprement dites, les organes qui opèrent l'occlusion.

Enfin, pour les subdivisions entre les deux dernières catégories, il faut remarquer les différents modes suivant lesquels la voix se combine avec le rétrécissement ou avec l'articulation. La bouche étant largement ouverte, ainsi que l'isthme du gosier, le son produit par 1e larynx peut s'exprimer par à. Si, pendant la tenue du son, on projette insensiblement les lèvres en avant, de manière à rétrécir la portion buccale du tuyau en même temps qu'on l'allonge, le son sera successivement exprimé par les voyelles a, à, à, a, o, eu, u, ou. Si, à partir de l'a, au lieu de rétrécir le tuyau buccal avec les joues, les lèvres et les mâchoires, on porte les bords de la langue vers la voûte palatine, de manière que le contact s'opère insensiblement de la partie postérieure des bords vers la pointe de la langue, le son produit par le. Larynx et modifié par ces dispositions successives sera représenté par les voyelles a, ê, è, é, e, i, z. Entre l'é et l'i, on fait entendre des é de plus en plus fermés ; entre l'i et le z on fait entendre plusieurs variétés d'i. En plaçant le z à la suite de l’i, j'ai exprimé un fait réel, et j'ai indiqué par là la transition des voyelles aux consonnes soutenues. On pourrait de la même manière placer le v à la suite, de l'u. Les dispositions précédemment indiquées sont les plus naturelles; mais artificiellement on peut, la bouche largement ouverte, prononcer o, par exemple, en rétrécissant suffisamment l'isthme du gosier. On pourrait en dire autant de quelques autres voyelles. Une voyelle quelconque étant produite, si l'on interrompt son passage à travers la bouche par une contraction du voile du palais, de manière à engager le son dans les fosses nasales, on a un son composé de la nature des sons exprimés par an, in, on, un. Le rétrécissement qui produit les consonnes soutenues peut s'opérer sur divers points : au niveau du milieu de la langue, il en résulte ch, j; vers la pointe, s, e; entre la pointe de la langue et le bord des incisives supérieures, th, θ; entre la lèvre inférieure et le bord des incisives supérieures, f, v. Dans tous les cas de consonne soutenue, la douce diffère de la forte d'après la manière dont la voix se combine avec le rétrécissement. Si la voix ne se fait pas entendre ou ne se fait entendre qu'au moment où cesse l'étranglement, on produit, au moyen du courant d'air, les fortes ch, s, th dur, f. Si, au. lieu du courant d'air, c'est la voix même qui s'engage à travers le rétrécissement, on a les douces j, z, th doux, v : c'est ce qui explique comment il est impossible de produire les douces dans le chuchotement. Si le rétrécissement s'opère entre la base de la langue et le voile du palais, pendant qu'au passage du son, la luette est animée d'un léger frôlement, on produit le j des Espagnols. Pour les consonnes, elles vont également varier suivant le point où se fait l'articulation. L'occlusion s'opérant entre le milieu de la langue et la voûte palatine, on forme, g1, g, gn; entre la pointe de la langue et la voûte palatine, c, g des Italiens ; entre la pointe de la langue et la partie postérieure des incisives, t, d, n ; entre les deux, lèvres, p, b, m. Pour une même articulation, on a l'explosion g, c des Italiens; t, p, si la voix, comme emprisonnée derrière l'obstacle, se fait entendre au moment où les parties se séparent. Si la séparation des parties est précédée d'un grognement ou murmure vocal s'opérant derrière les parties qui font obstacle au moment de l'explosion, on forme les douces g, q des Italiens, d, b. Enfin, si ce murmure préalable à l'explosion va spécialement retentir dans les fosses nasales, on a gn, n, m. Une disposition spéciale se rapporte à l et ll; pour l, la pointe de la langue s'applique au palais pendant que la voix passe de chaque côté entre les bords de la langue et les bords alvéolaires ; pour ll, ce n'est plus la pointe seulement, mais la moitié antérieure de la langue qui est fixée au palais. »

Tels sont en termes précis et rigoureux les modes divers de prononciation des signes phonétiques au moyen desquels nous communiquons nos pensées, exprimons nos volontés et épanchons nos sentiments. La parole est un des plus beaux, et des meilleurs privilèges de l'espèce humaine et un des plus puissants leviers de la civilisation. Ceux qui la manient bien sont les maîtres de leurs semblables. L'éloquence n'est qu'une harmonie, comme la musique, comme la poésie. Si à l'harmonie de la parole l'orateur joint l'harmonie des idées, c'est le comble de l'art.

L'homme peut perdre la parole dans certains cas pathologiques. On a désigné cette maladie sous le nom d'aphasie, d'aphémie, d'alalie, etc. (v. ces mots). Nous ne parlons pas ici du mutisme proprement dit.

Encore que le fait soit contesté par plusieurs physiologistes, on est autorisé à admettre aujourd'hui que la parole a son siège intellectuel dans la troisième circonvolution frontale gauche ou droite du cerveau. Dans de nombreuses observations d'aphasie, c'est-à-dire de perte de la parole, on a toujours été amené à rapporter ce phénomène, sinon à une lésion de cette troisième circonvolution, du m'oins très^certainement à une lésion des lobes antérieurs du cerveau. La faculté du langage articulé ou, si l'on aime mieux, de la parole, est une faculté de coordination qui a ainsi sa source dans une portion déterminée de l'encéphale. Les premiers faits tendant à établir cette doctrine ont été réunis et discutés par le célèbre Bouillaud, puis par Broca et d'autres.

Nous renvoyons au mot LANGAGE tout ce qui se rapporte à la parole considérée comme moyen de communiquer ses idées, de les étendre, de leur donner plus de précision, etc.

— Allus. hist. La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée, Mot célèbre dont voici l'historique. L'expression de cette triste vérité, que la bouche est rarement d'accord avec le cœur, est certainement aussi vieille que la langue ; on a donc tort d'en faire exclusivement honneur à Talleyrand. Un ancien proverbe dit : « La langue est le témoin le plus faux, du cœur. » Campistron a rendu la même idée dans sa tragédie de Pompéia :

Le coeur sent rarement ce que ]a bouche exprime.

Toutefois, il n'y avait encore rien d'assez frappant dans ces diverses formes pour qu'elles restassent consacrées. L'idée de dissimuler la pensée au moyen de la, parole, qui en est -l'instrument, était trop originale et trop piquante pour ne pas faire fortune. Mais qui a dit le premier : « La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée » C'est d'abord Voltaire, dans le conte du Chapon et la Poularde. Le Chapon dit : Les hommes ne font des lois que pour les violer, et ce qu'il y a de pis, c'est qu'ils les violent en conscience. Ils ne se servent de la pensée que pour autoriser leurs injustices, et n'emploient les paroles que pour déguiser leurs pensées. » Plus tard, Harel, cet esprit, si fertile en bons mots, disait en toutes lettres dans le Nain jaune : « La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. » Mais il attribuait ce bel aphorisme au prince de Talleyrand. Celui-ci n'était pas homme à répudier un mot si conforme à la nature de son génie, lui qui avait déjà donné ce conseil a un secrétaire d'ambassade : « Défiez-vous du premier mouvement, c'est le bon; » il accepta donc volontiers la paternité de la phrase devenue si célèbre, et, quelques jours après, il répondait à un jeune auditeur qui croyait se recommander auprès du rusé diplomate en lui parlant de sa sincérité et de sa franchise : « Vous êtes jeune, monsieur; apprenez que la parole a été donnée à l'homme pour dissimuler sa pensée. »

Ainsi Voltaire a été le précurseur de cette phrase fameuse: Harel en fut le père et Talleyrand le parrain. C'est ici le cas de s'écrier : Habent sua fata libelli (les mots, comme les livres, ont leurs destinées).

M. Babinet, brodant sur le mot, a exprimé spirituellement une vérité qui ne sera contestée de personne, pas même des médecins et des avocats : « On peut dire avec certitude que la signature d'un homme est faite pour empêcher de connaître son nom »

Le brave homme avait passé sa vie à louvoyer, à tergiverser, tranchons le mot, à mentir. Il ne voyait rien au-dessus de la ruse et mettait tous ses efforts à utiliser la fameuse maxime de son chef de file : La parole a été donnée à l'homme pour cacher sa pensée. »

PAUL FÉVAL.

Non, dit-il en serrant la lettre, ne la brûlons pas... qui sait? elle peut devenir matière à procès... Dois-je répondre? ajouta-t-il en se grattant le front, signe qui lui était habituel quand il voulait appeler une décision. Au fait, ajouta-t-il, l'écriture a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée, et nous ne sommes pas au temps où l'on pouvait faire pendre un homme avec deux lignes de sa main.

HENRI MURGER.

"J'appelle un chat un chat, interrompit d'un ton bref l'élève en droit,

— Mon cher Prosper, dit Dornier doucement, vous oubliez que la parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée.

Qui a dit cela? ce vieux serpent de Talleyrand ; belle autorité!»

CHARLES DE BERNARD.

Allus. littér. Les paroles s'envolent, les écrits restent. V. VERBA VOLANT.

Parole (MAXIMES ORIENTALES SUR LA), Tout le monde connaît l'adage célèbre des Arabes : « La parole est d'argent et le silence est d'or. » Mais les Orientaux possèdent sur la parole et le silence une foule de proverbes beaucoup moins populaires et même, disons-le hardiment, complètement inconnus, qui cependant ne le cèdent souvent à celui que nous venons de citer ni en originalité, ni en exactitude. Voici, par exemple, une page d'un célèbre auteur turc, Ali-Chîr, qui maniait le persan aussi bien que son propre idiome. Nous en empruntons la traduction à un travail très-intéressant publié par M. Belin dans le Journal asiatique, sous le titre : Moralistes orientaux. Cette page offre presque tous les proverbes usités chez les trois peuples musulmans, arabe, persan et turc, et ayant rapport à la parole et au silence. La voici :

"La langue a reçu l'insigne honneur d'être l'instrument de la parole, la parole elle-même, aussi, vient-elle à tourner au mal, elle est la cause des plus grands maux ; d'un côté, la langue est la fontaine d'où jaillit la source de la félicité: de l'autre, elle est le point de l'horizon où se lève l'astre néfaste du péché. » Nous nous arrêterons un moment ici pour faire remarquer combien cette maxime ressemble à celle que formulait plus simplement Esope : « La langue est à la fois le plus grand des biens et le plus grand des maux. » Poursuivons la lecture des préceptes d'Ali-Chîr:

La langue est la serrure du trésor du cœur, la parole en est la clef; celle-ci dévoile en effet l'état du premier; elle fait voir s'il contient seulement des perles fines ou simplement des débris de coquilles.

Ne révèle à personne ton secret, pas même peut-être à toi-même; si le dépôt de ton propre secret te pèse, il serait absurde de le confier a d'autres. Si tu ouvres toi-même ton trésor pour en éparpiller les perles, songe dès lors à ce que les autres en devront faire.

Au grand parleur honte et dérision.

Diseur de frivolités est semblable au chien qui aboie jusqu'au matin.

Sois maître de ta langue, ne parle qu'avec prudence.

Discours sans réflexion est cause de repentir.

Abstiens-toi de paroles inutiles et garde-toi de fermer l'oreille à un discours utile.

L'ignorant qui s'épuise en vains discours et l'âne qui brait sans motif sont semblables l'un à l'autre.

Qui travestit la parole en mensonge vend une pierre précieuse pour de l'ordure.

Petit mensonge et grand péché, c'est un poison mortel quoiqu'à petite dose.

Mauvaise langue blesse autrui et se nuit à elle-même.

Toute mince que soit la pointe de l'aiguille, elle ne crève pas moins les yeux.

Bonne parole est brève.

Cerveau sain, langage éloquent.

Parole vraie n'a pas besoin d'ornements ; la parole vraie est sans apprêts, elle n'a pas à s'inquiéter de sa simplicité ; qu'importe à la rose la déchirure de son vêtement, à la perle la forme défectueuse de sa coquille?

Le sage ne dit que la vérité; mais toute vérité n'est pas bonne à dire. »

Parole (LES RÉVOLUTIONS DE LA), par Bancel (1869, in-8°). Cet ouvrage, résumé de cinq années d'enseignement public fait à l'université de Bruxelles par Bancel, exilé de France après le coup d'Etat du 2 décembre 1851. est une introduction à l'histoire de l'éloquence pendant la Révolution. C'est l'histoire de la parole aux. principales époques, depuis ses origines jusqu'à la Renaissance et à Rabelais; c'est une série de brillantes et savantes études sur les origines de l'éloquence, sur son caractère, sur ses transformations, ses grandeurs et ses décadences, suivies tôt ou tard de soudaines résurrections. Cet essai historique est précédé d'une introduction où l'au-leur traite de l'importance de la parole. La parole se mêle à toutes les grandes transformations des peuples ; elle prépare les révolutions et marque d'un mot chacun des grands pas de l'histoire. La parole a créé les peuples ; elle les préserve, les conserve ; elle répand les religions, édicté les constitutions, maintient les libertés. Le polythéisme, le judaïsme, le christianisme, le mahométisme, la Réforme et la Révolution ont été engendrés par elle. Elle est l'auxiliaire du droit, la compagne du progrès, et la liberté dont elle jouit peut être regardée comme la mesure de la civilisation. Où l'éloquence est proscrite, le droit gémit et le peuple est esclave. Mais cette toute-puissance crée à la parole des devoirs ; elle ne doit pas, comme elle le fit sous les empereurs romains, dégénérer en déclamations vaines ou se prostituer à d'indignes flatteries; elle doit s'inspirer uniquement de la vérité et de la justice ; c'est là la condition non-seulement de sa dignité, mais encore de sa force et de sa grandeur. Si elle est indispensable au triomphe du droit, le droit ne lui est pas moins indispensable pour qu'elle devienne l'éloquence et ne dégénère pas en une misérable sophistique. Telles sont en résumé les principales considérations habilement développées par M. Bancel dans son introduction.

A l'introduction succède la partie historique proprement dite, et tout d'abord se pose la question des origines de l'éloquence. Sur ce point, Bancel rejette l'opinion de la plupart des historiens et des critiques, qui prétendent qu'elle naquit en Sicile et qu elle eut pour pères Corax et Tisias, et que, vers 440, un autre Sicilien, Gorgias de Léontium, l'aurait transportée en Attique où elle ne tarda pas à s'acclimater et à fleurir. D'après Bancel, l'éloquence est née avec la Grèce, et, déjà impétueuse et irrésistible dans l'Iliade et l'Odyssée, elle éclate non-seulement chez les poëtes, chez Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane, mais chez les législateurs, les hommes d'Etat, les philosophes, les historiens, chez Lycurgue, Dracon, Aristide, Thémistocle, Périclès, Pythagore, Zaleucus, Thaïes de Milet, Phérécyde de Scyros, Anaximandre le Milésien, Hérodote, Thucydide; tous répondent à l'idée que Bancel se fait de l'homme éloquent : « Si, après avoir entendu un homme, vous vous sentez meilleurs, plus fermes à la fois et plus indulgents ; si la bonté, cette vertu des forts, pénètre vos âmes en même temps que le jour se fait dans vos esprits, ne cherchez point une autre règle pour juger de l'orateur : cet homme est éloquent. » Bancel s'occupe particulièrement de l'éloquence athénienne, de son rôle dans la direction des affaires publiques, de ses illustres représentants et des changements successifs de cette éloquence. Sur ce dernier point, il adopte la division de M. Edgar Quinet, qui distingue dans la parole à Athènes trois âges principaux, dont Périclès, Démosthène et Cléon sont les types : chez Périclès la gravité, chez Démosthène la passion, chez Cléon la violence. Quelles furent les causes historiques et physiologiques de ces transformations? Comment les sophistes, ces rhéteurs à la langue légère, détournèrent-ils l'éloquence de sa haute mission pour en faire l'instrument de la subtilité et du scepticisme, l'art de faire triompher l'injustice par des arguments captieux? Comment et avec quel succès Socrate et son disciple Platon furent-ils les adversaires implacables des sophistes, et dans quelle mesure, en faisant prévaloir les principes du bien, du vrai et du beau, contribuèrent-ils à la gloire de l'éloquence jusqu'au jour où, la Grèce ayant laissé éteindre la flamme de la justice et préférant l'argent, le bien-être, le repos, les jouissances matérielles de la vie, Philippe parut et les soldats macédoniens asservirent la patrie de Pindare et de Phidias? Quels furent les caractères de l'éloquence romaine ? Quelle influence exerça sur elle le stoïcisme? A quelles causes politiques faut-il attribuer ses développements dans Rome? Quelle fut la nature du talent oratoire de Caton le censeur, des Gracques, d'Hortensius, de Cicéron ? En quoi l'éloquence religieuse, issue du christianisme, diffère-t-elle de l'éloquence païenne et quels furent ses plus illustres représentants dans les premiers siècles de l'Eglise? Bancel aborde ces diverses questions, et montre en les traitant une vive imagination, une érudition variée, un jugement sûr et un mouvement véritablement oratoire dans le style. Les longues études que Bancel consacre à l'examen des systèmes philosophiques de l'antiquité font de son ouvrage aussi ' bien un essai sur la philosophie qu'un essai sur l'éloquence. C'est que pour Bancel, comme pour tous les esprits sérieux, la sagesse et la philosophie sont les bases de l'éloquence. C'est à la philosophie que l'éloquence emprunte les idées qu'elle pare des charmes du style.

Dans les Révolutions de la parole, l'auteur ne fait pas seulement l'histoire de l'éloquence proprement dite, de celle qui a pour piédestal la chaire religieuse ou la tribune aux harangues, mais aussi de celle qui est écrite et contenue dans les chefs-d'œuvre de l'esprit humain jusqu'à l'époque de la Renaissance, à laquelle l'auteur consacre une étude approfondie et qu'il examine dans ses diverses manifestations, littérature, philosophie, religion, politique, beaux-arts et sciences. Les chapitres intitulés : la Renaissance, les Artistes, De l'esprit de la Réforme, De l'esprit du calvinisme, De l'esprit du jésuitisme, méritent d'être lus et relus à cause de l'originalité et de la justesse des aperçus. Nous citerons encore le dernier chapitre du livre sur Rabelais, étude fort remarquable sur l'auteur de Gargantua et de Pantagruel. Dans ce livre, Bancel se montre inébranlablement attaché au principe de la perfectibilité humaine. « L'histoire, à travers ses grandeurs et ses décadences, dit-il, tend sans cesse vers la vérité, la justice. Elle nous montre, à chaque pas du temps, la sagesse et la lenteur de ses lois. Souvent triste, navrée, blessée, quasi mourante, elle avance au milieu d'un cortège de ruines, et chaque débris du passé qu'elle foule est une assise de l'avenir. Pour qui la considère attentivement, sa marche n'est pas interrompue. Elle ne tourne pas dans le cercle de Vico. Elle ne se déroule pas dans une spirale infinie. La liberté humaine est son artisan. Le progrès est sa loi. Même aux heures les plus lourdes et les plus sombres, vous apercevez l'immortelle étoile qui la guide. » Enfin ce livre savant, et qui semble écrit de l'abondance du cœur, se termine par une parole de concorde et de fraternité : « Catholiques, protestants, Israélites, fils du concile de Trente, confesseurs de la diète d'Augsbourg, fils de Moïse et de David, si les dogmes ont divisé nos pères, que les idées nous rapprochent et nous réconcilient! Oublions nos controverses et nos colères! Au nom de vos saints et de vos héros, je vous adjure! Si vos synagogues, vos temples et vos églises ont été des lieux de discorde et des places de guerre, si la maison de votre Dieu a été la maison de la haine, que l'école soit celle de l'amitié! Aimons-nous sur ces bancs de bois où règne l'égalité. Nous aurons toujours assez de temps pour nous haïr. Soyons frères dans l'école, afin de l'être dans la vie et dans la mort !

Paroles ( LE CAPITAINE ), intermède de MM. Vacquerie et Paul Maurice. V. CAPITAINE.

 

Cet article est tout-à-fait révélateur du mouvement de pensée qui se réalise à la fin du second tiers du XIXe siècle. Conforme dans sa structure au modèle que se donne le lexicographe, il envisage successivement les aspects lexicaux, phraséologiques et encyclopédiques de la parole, et propose in fine un panorama des opinions contemporaines sur cet objet, notamment grâce au résumé analytique d'un ouvrage consacré à l'évolution des procédés de la rhétorique, éloquence et philosophie mêlées. Il montre également qu'il ne saurait y avoir une écriture quelconque de la voix qui ne prenne en considération toutes les dimensions de la parole, de son ancrage éthique à ses parures esthétiques. Comme le dit le sage Oriental : "Qui travestit la parole en mensonge vend une pierre précieuse pour de l'ordure". Car, à l'heure des idées reçues, des clichés des représentations, des stéréotypes de la langue, la parole librement assumée restitue enfin à l'individu l'honneur d'être entièrement responsable de ses pensées, et de leur énonciation.

 

Ecrire les voix, pour l'écrivain soucieux de représenter l'évolution des moeurs contemporaines, comme pour le linguiste désireux de travailler sur un matériau vivant engagé dans la construction du quotidien, c'est donc désormais non seulement prendre en compte leur grain, leur épaisseur, leur harmonie ou leur rudesse, leur élégance ou leur grossièreté, mais c'est aussi exposer et travailler politiquement les conditions individuelles et socio-historiques dans lesquelles elles s'expriment. Et si, là, était le style?...

 

 

RÉFÉRENCES

 

D'ARBOIS 1872 : D'Arbois de Jubainville (Henri), "Etude phonétique sur le dialecte breton de Vannes", Revue Celtique I, 1870-72, 85-105, 211-221.

ERNAULT 1878 Ernault (Emile), "Le dialecte vannetais de Sarzeau", Revue Celtique III, 1876-78, 47-59.

ERNAULT 1877 : Ernault (Emile), "De l'urgence d'une exploration philologique en Bretagne, ou la langue bretonne devant la science", Mémoires de la Société d'Emulation des Côtes-du-Nord, XIV, 1877, 101-118.

GILLIERON 1902 : Gilliéron (J. ) et Edmont (E. ), Atlas linguistique de la France, Paris : Champion, 35 fascicules parus de 1902 à 1912, avec une Notice et une Table, ainsi qu'un Supplément.

GILLIERON : Gilliéron (Jules), L'Atlas Linguistique de la France, Paris : Champion, 1903.

LE BRIGANT 1779 : Le Brigant (Jacques), Eléments de la langue des Celtes Gomérites ou Bretons, Strasbourg, 1779, 64 p. 

LOTH 1886 : Loth (Joseph) : "Remarques sur le bas-vannetais, Chansons en bas-vannetais", Revue Celtique VII, 1886, 171-199.

LOTH 1893 : Loth (Joseph), "Le dialecte de l'Ile aux Moines", Revue Celtique XIV, 1893, 298-99.

LOTH 1896-a Loth (Joseph), "Alphabet Phonétique", Annales de Bretagne XI, 2, 1896, 233-235.

LOTH 1896-b : Loth (Joseph), "Chanson bretonne", Annales de Bretagne XI, 2, 1896, 236-249.

PARIS 1888 : Paris (Gaston), "Les parlers de France", Revue des patois gallo-romans, II, 1888, 161-172.

ROUSSELOT 1887 : Rousselot (l'abbé), "Introduction à l'étude des patois", Revue des patois gallo-romans, I, 1887 ; 1-22.



[1]              . L. Dubroca, Traité de la prononciation des consonnes et des voyelles finales des mots français. , Paris, Delaunay, Johanneau, 1806, p. de titre.

[2]              . Jean-Pierre Seris, Machine et Communication, Paris, Vrin, 2000.

[3]              . L'enquête fut menée de 1897 à 1901, Edmont visita 639 localités, et proposait un questionnaire de 1400 à 2000 items, chaque soir, pour ne pas être troublé par le souvenir qui module la réalité, il envoyait à Gilliéron les résultats de la moisson du jour. Les auteurs de l'Atlas avaient souhaité une densité moyenne de 6 à 7 points d'enquête par département.

[4]              . L. Du Broca, L'Art de lire à haute voix, suivi de l'application de ses principes à la lecture des ouvrages d'éloquence et de poésie, Paris, Delaunay, Johanneau, 1824.

[5]              . Dans le volume des Actes du IVe colloque international du Groupe d'Étude en Histoire de la Langue Française, Paris, 1989, intitulé : Grammaire des fautes et français non conventionnel, Presses de l'École Normale Supérieure de Jeunes-Filles, 1992, voir successivement : N. Fournier " Accord et concordance dans le journal parisien de Henri Paulin Panon Desbassayns [1790-1792 ] ", pp. 39-57; et S. Branca, " Constantes et variantes dans l'appropriation de l'écriture chez les mal-lettrés pendant la période révolutionnaire ", pp. 59-76.

[6]              . Sur les points suivants, consulter Le Français moderne, 44e année, janvier 1976, n° 1, L'Orthographe et l'histoire, numéro coordonné par J. -M. Klinkenberg, qui traite particulièrement de cette période du XIXe siècle, de la tentative de réforme de l'orthographe souhaitée par Marle et de l'incidence des aspects socio-culturels et politiques sur l'orthographie française à cette époque.

[7]              . Michelot, " Prononciation ", Journal Grammatical, Littéraire et Philosophique de la Langue Française et des Langues en Général, 1835, p. 25. BN in-8° X 13398

[8]              . " A propos du Dictionnaire de la prononciation française d'Alberti ", Journal Grammatical, Littéraire et Philosophique de la langue française, 2e série, 1836, p. 211, B. N. in-8° X 13399

[9]              . De Wailly, Principes généraux et particuliers de la langue française, Paris, Barbou, 11e éd. , 1807, p. 438. En 1849, le Cours Supérieur de Grammaire, 1ère partie : Grammaire proprement dite, Paris, Hachette, de B. Jullien reprend la même formulation pour la commenter : " En français, comme dans la plupart des langues, il y a deux prononciations différentes : l'une pour les vers et le discours soutenu; l'autre pour la conversation. La première est le véritable modèle dont on doit toujours chercher à se rapprocher; elle fait sentir exactement le son et l'accentuation des lettres, les relations des mots indiquées par leurs terminaisons, le caractère et le sens des phrases ", p. 24 a. Ce qui nous ramène en un sens à l'Art de lire à haute voix de Du Broca, cf. supra, dont J. Stéfanini a lumineusement analysé naguère les caractéristiques, voir son article " Un manuel de diction en l'an XI ", dans Mélanges de Langue et de Littérature française offerts à Pierre Larthomas, Paris, Presses de l'École Normale Supérieure de Jeunes Filles, n° 26, 1985, pp. 451-462.

[10]            . Cf. J.-Ph. Saint-Gérand, “Émois grammaticaux, Frissons lexicaux: vibrations de l’épilinguistique et trémulations métalinguistiques au seuil du XIXe siècle”, in L’Information Grammaticale, n° 82, 1999, pp.-22 [octobre 1999].

[11]            . Sur ces auteurs et leurs ouvrages, se reporter aux pages correspondantes du site Langue du XIXe siècle.

[12]            . Bien que celui-ci littérarise ce langage populaire en termes quasi académiques, ce qui lui vaudra la reconnaissance officielle que l'on sait.

[13]            . Mémoires de la Société Royale des Antiquaires de France, texte du baron Dupin, en date du 19 décembre 1814, p. 222.

[14]            . Le linguiste Dufriche-Desgenette utilise le terme de phonème pour la première fois le 24 mai 1873, à la Société de Linguistique de Paris, comme équivalent de l'allemand Sprachlaut. Le terme sera ensuite repris par Louis Havet, de qui Saussure l'emprunte en 1878, dans son Mémoire sur le système primitif des voyelles en indo-européen. Ce dernier en fait alors un prototype unique à l'origine d'une multiplicité de sons dans les langues dérivées. Dérivation, filiation, ce sont là des concepts clefs dans l'élaboration d'une théorie des dialectes et des patois.

[15]            . Michel Bréal est considéré comme le père français de la discipline, pour avoir introduit le terme même en 1883 dans l'Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques en France [pp. 132-142]. Mais il ne faudrait pas oublier les travaux précurseurs des grands lexicographes du XIXe siècle, qui, à l'instar de M. Jourdain, faisaient déjà sans le savoir de la sémantique historique. Ainsi Littré, dont l'opuscule Comment les mots changent de sens, primitivement intitulé Pathologie verbale ou lésions de certains mots dans le cours de l'usage, et publié dans Études et Glanures pour faire suite à l'Histoire de la langue française, Paris, Didier, 1880, voit son contenu assimilé et développé par le dialectologue Gilliéron [1854-1926] dans son travail sur les atlas linguistiques et les changements de sens auxquels sont soumises les formes lexicales à travers l'espace social et géographique, comme le montre sa Généalogie des mots qui désignent l'abeille d'après l'Atlas linguistique de la france, Paris, Bibliothèque de l'EHESH, Champion, 1918.

[16]            . Jean-Pierre Leduc-Adine a étudié ce phénomène dans “ Paysan de dictionnaire, paysan de roman, ou un modèle textuel pour une représentation sociale de la paysannerie au milieu du XIXe siècle ”, in Au bonheur des mots, Mélanges en l’honneur de Gérald Antoine, Presses Universitaires de Nancy, 1984, pp. 91-106. Et note en particulier : “ Il y a tout un travail d’objectivation des ruraux auquel romanciers, peintres, journalistes, lexicographes, etc. , contribuent puissamment. Ces paysans ne parlent pas, ils “ sont parlés ”. Ce travail de représentation se construit dans et par un schéma lexical, sémantique et rhétorique permettant de donner une définition significative que les contemporains se font de la campagne et de ses travailleurs ” [p. 102]. On ne saurait mieux dire.

[17]            . Qu'on ne confondra pas avec le malheureux Désiré, Académicien récemment encore décrié par le romancier E. Chevillard. Charles Nisard était né en 1808, et fut en 1852, responsable de la Commission du colportage, à l'époque même où Hippolyte Fortoul, ministre de l’Instruction publique et des cultes de Napoléon III, signe le 13 septembre un décret ordonnant la publication d’un Recueil général des poésies populaires de la France, doublé d'un Arrêté fixant l’organisation du Comité de la Langue, de l’Histoire et des Arts de la France chargé de "la préparation des Instructions qui devront être adressées […] aux correspondants du Ministère"

[18]            . Les catégories du patois, du langage populaire et de la langue standard y étaient effectivement joyeusement mêlées; Paris, 1873. L’excellent ouvrage de R. A. Lodge, French, from Dialect to Standard, London, Routledge, 1993, fait le pointsur cette question.

[19]            . Voir notamment J. Pignon, “ Les parlers régionaux dans La Comédie Humaine ”, in Le Français moderne, XIIe année, pp. 176-200 et 265-280. Et, aux limites indistinctes des régionalismes et du populaire, R. Dagneaud, Les éléments populaires dans le lexique de la Comédie humaine de Balzac, Quimper, 1954.

[20]            . Voir J. -Ph. Saint-Gérand, “Les normandismes de Barbey d'Aurevilly : fonction poétique, fonction politique?” (à propos de L'Ensorcelée), in L'Information Grammaticale, 1988/37, pp. 25-33.

[21]            . Sophie Dupuis, Traité de Prononciation ou Nouvelle Prosodie française, Paris, 1836, p. iv, B. N. X 24550.

[22]            . La France Grammaticale, Ch. Durazzo, n° 1, 15 octobre 1838, p. 6.

[23]            . Voir l'article d'A. Porquet, " Le pouvoir politique et l'orthographe de l'Académie au XIXe siècle ", in Le Français moderne, 44e année, Janvier 1976, n° 1, pp. 6-27.

[24]            . J. -Ph. Saint-Gérand, " La question de la réforme de l'orthographe entre 1825 et 1851 ",  in Le Français moderne, 44e année, Janvier 1976, n° 1, pp. 28-56.

[25]            . Dictionnaire de la prononciation de la langue française, indiquée au moyen des caaractères phonétiques, Paris, 1851, p. 11-12.

[26]            . Roux,1997, Rapport Guizot, 1834, :à peine un tiers des enfant scolarisés, absence d'intérêt pour l'école, usage des patois, incapacité des instituteurs.

[27]            . Note de Michel Bréal : Je dois beaucoup pour la suite de ce chapitre, ainsi que pour plusieurs autres passages de mon livre, à un excellent travail de M. Rudolf Hildebrand, Vom deutschen Sprachunterricht in der Schule, Leipzig, 1867.

[28]            . Michel Bréal, Quelques mots sur l'instruction publique en France, Paris, Hachette, 1872, p. 32-33.