« LE MAUVAIS ÉCRIVAIN ET LE
MAUVAIS ORATEUR
SONT
DES ENNEMIS NÉS DE LA LANGUE FRANÇAISE;
L'UN
PARCE QU'IL LA TRANSFORME EN UN JARGON BARBARE,
PAUVRE
ET MÉCONNAISSABLE;
ET
L'AUTRE, PARCE QU'IL LA DÉPOUILLE DE SON HARMONIE
ET
DE SA RICHESSE, POUR LA REVÊTIR
DES
LAMBEAUX DE SA PROPRE MISÈRE »[1] :
REMARQUES
SUR L'ORALITÉ SUPPOSÉE DU FRANÇAIS AU XIXe
SIÈCLE
Jacques-Philippe
Saint-Gérand
Université Blaise Pascal
Clermont-Ferrand II
ENS Ulm / Paris
« Réseaux, Savoirs,
Territoires »
Entre
palingénésie improbable et douteuse thaumaturgie, le titre en forme de citation
de ce propos indique le sens dans lequel veut s'engager la démonstration de la
difficulté à saisir la trace d'un objet dont les diffractions et réflexions par
l'écrit troublent irrémédiablement l'historicité. Je montrerai par là même que
l'avancée que constituent les techniques d'enregistrement de la parole ne sert
aucunement l'élucidation de cette aporie qui adosse oral et écrit dans une
dialectique sans fin.
Le
paradoxe est d'autant plus grand que dans nos civilisations européennes,
l'écrit est le gage de la tradition, la caution d'une stabilité que l'oral,
tout à l'encontre dément. Tout le mal de l'orthographe vient de là, et on ne
peut pas dire que le XIXe
siècle, avec l'invention et l'extension de l'école (Guizot, 1833, et Ferry
1881, 1882), ait été spécialement innocent en ce domaine! Si, dans la
civilisation africaine où l'oralité est un facteur essentiel, l'écrivain
Hampaté Bâ a pu dire au XXe siècle, «Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle»,
les amateurs de langue ont déjà pu formuler ce concept à la fin du XVIIIe siècle et en résoudre peu à peu les
difficultés avant la fin du XIXe et les débuts du XXe siècle....
Dans
la société française, le souvenir acquiert effectivement un statut pérenne et
une certaine forme de légitimité testimoniale à partir du moment où il est
écrit. L'histoire notamment s'est largement construite sur une critique de la
tradition orale face à la solidité du document écrit. La culture française fondée
sur l'écrit a — pour ainsi dire — longtemps passé l'oralité sous silence.
Aujourd'hui, la question se pose de savoir pourquoi des bibliothèques, temples
des livres par excellence, et d'autres institutions de collecte de documents
écrits conservent-elles et offrent-elles au public des documents oraux dans une
civilisation submergée par les textes ? Retraçons brièvement l'histoire de
cette fixation de la parole sous une forme stable et standard, donc susceptible
d'être partagée par une majorité. L'histoire
de ce qui préside à l'avénement d'une langue officielle. Nous tenons
là — en quelque sorte — les principes organisateurs de la république,
d'une part, et de la démocratie, d'autre part.
1° Briefve histoire de la fixation mécanique des
voix.
Balbutiante
au XVIIIe siècle, à la
suite des observations sur la prononciation du français de Vaugelas (1647), et
des Instructions
crestiennes en ortografe naturelle du Père Gile
Vaudelin (1715), puis des remarques de l'Abbé Féraud (Dictionnaire grammatical, 1761, et Dictionaire
critique, 1787-88), l'étude du matériau oral se
constitue en discipline scientifique au XIXe siècle et, grâce à la possibilité de capturer la voix humaine au moyen
de l'enregistrement sonore. Les chercheurs prennent peu à peu conscience de
l'importance de développer des sources documentaires orales aux côtés des
enquêtes écrites. Mais, avant de parvenir à ce stade, il a fallu passer par
bien des étapes car, à côté des machines à imiter les voix dont Jean-Pierre
Seris[2] a naguère bien caractérisé les fonctions, le XVIIIe siècle a en quelque sorte embaumé
l'orthographe de telle sorte que cette dernière est devenue insensible au lent
mouvement de réadaptation croissante de l'écrit à un oral qui, pourtant, dans
le même temps, se stabilisait. Mais pourquoi cette focalisation sur
l'orthographe et donc l'écrit, me dira-t-on? La réponse est simple : dans le
débat entre l'oral et l'écrit, il y va de la vie des langues. Les langues
mortes sont celles qui ont exténué leurs locuteurs et qui ne possèdent plus de
leur existence que des traces écrites.
François
Augustin Paradis de Moncrif, dès 1760, avait pertinemment intitulé une de ses
Dissertations Qu'on
ne peut ni ne doit fixer une langue vivante. Mais cela
était encore prématuré dans les années 1780-1810, car le primat de l'écrit sur
l'oral restait toujours d'actualité dans une époque où les bouleversements de
la société et de la politique requéraient autour de la République émergente et
de l'Empire centralisateur une stabilisation de ce que l'oral ne parvient pas à
fixer le flux incessant de la parole, les accents de la prosodie, le rythme des
discours. En 1809, les statistiques des Coquebert de Montbret font état pour
l'empire de 27 926 000 locuteurs « français », 4 071 000 locuteurs
italiens, 2 705 000 locuteurs allemands, 2 227 000 locuteurs flamands, 967 000
locuteurs bretons et 108 000 locuteurs basques.
À
vouloir fonder l'écriture sur les bases de l'audition d'une oralisation
toujours labile, la réforme de orthographique de Marle, en 1826-1830, s'est
elle-même épuisée. Soutenu par le futur Louis-Philippe, avant 1830, il ne
bénéficie plus de ce soutien après l'accession au trône du Roi des Français. Et
les projets ou les réalisations dans la même veine d'Adrien Féline, autour de
1850, achopperont bien sûr sur l'identique obstacle de la variété constatée
opposée au mythe idéal de l'unification, dans un alibi inaccessible où se
mêlent en parts variables selon les temps, politique, philosophie, économie et
pédagogie.
Ce
sont les amateurs de langue, et, ultérieurement les folkloristes et
dialectologues, majoritairement celtisants (Le Brigant dès le XVIIIe siècle, puis Le Gonidec avec sa Grammaire celto-bretonne et son esquisse
d'alphabet phonétique breton), qui s'attacheront à noter les faits d'oralité.
Mais il faut là faire attention à ne pas commettre d'anachronisme, car, si ces
deux dimensions sont bien connues hors de France dès le début du XIXe siècle, comme le montrent les exemples non
imprévisibles de l'Allemagne et de la Suisse, il ne faut pas oublier que
l'ethnologie et la dialectologie n'auront statut scientifique chez nous qu'au
cours du dernier tiers du XIXe siècle. La toute puissance de la philologie aux deux premiers tiers du
siècle ne poussait guère les savants à effectuer des enquêtes sur place,
d'autant moins que les premiers celtisants français n'étant pas bretons ne
semblaient pas souhaiter se rendre sur place pour recueillir leurs données :
« Il est
cependant possible d'étudier le breton de Vannes, sans aller sur les lieux
l'apprendre de la bouche des paysans »
note avec soulagement
d'Arbois de Jubainville dans son premier article sur le vannetais (D'Arbois de
Jubainville, 1872 p. 85), qui, fondé uniquement sur des textes demeure
essentiellement de type philologique. C'est Emile Ernault originaire de
Saint-Brieuc, philologue celtisant et néo-bretonnant convaincu, qui, par sa
formation échappant à l'opprobre de l'amateurisme ou du fantastique, attira le
premier l'attention des spécialistes de langue sur l'intérêt des parlers vivants.
Une forme de patriotisme soutenant là l'énoncé d'une constatation frappée au
coin du bon sens :
« L'honneur
de la science française exige qu'elle prenne sur la science étrangère une
pacifique revanche. C'est en France et non en Allemagne que se parle un rejeton
des langues celtiques ; et il n'a jamais été étudié sur place à un point de vue
scientifique. Les Allemands nous ont donné une grammaire comparée des langues
celtiques, écrite avec génie : c'est bien le moins que nous leur donnions une
grammaire comparée des dialectes bretons, élaborée avec zèle et conscience. Ayons
donc le courage de constater les faits qui sont notre portée, si nous avons la
faiblesse de laisser à nos voisins le privilège de les éclaircir et de les
expliquer en grand. » (Ernault, 1887 p. 102).
Lui-même avait montré
l'exemple en étudiant sur place le parler de Sarzeau (Ernault 1878). Il publia
par la suite dans divers articles de nombreuses observations personnelles
résultant de ses contacts personnels avec des Bretonnants, malheureusement sans
les intégrer dans un plan d'ensemble. Joseph Loth fit de même en éparpillant
ses observations dans des articles variés, des notes, des corrections, comme
par exemple « Remarques sur le bas vannetais » (Loth, 1886), ou « Le dialecte
de l'Ile aux Moines » (Loth, 1893).
Joseph Loth était convaincu
de l'importance de l'étude sur place. des parlers vivants et de la notation la
plus exacte possible des sons :
« Tout le
monde reconnaît, sauf un certain nombre de linguistes, qui préfèrent toujours
tourner dans le même cercle, que la connaissance exacte et précise des sons
d'une langue encore vivante doit être le fondement même de toutes les
recherches concernant la vie et l'histoire de cette langue. Ce qui a paralysé
jusqu'ici l'étude des dialectes celtiques vivants, c'est : l'absence de tout
système de transcription scientifique et fixe de leurs sons. Les savants, qui
n'ont pu les étudier dans le pays même, ont été exposés ainsi à de grandes
erreurs. »
écrivait-il en 1896 dans un
court article exposant les principes d'un « Alphabet phonétique »
(Loth 1896-a) adapté de celui de l'abbé Rousselot (1887) et appliqué
immédiatement dans la transcription d'une « Chanson Bretonne » (Loth 1896-b).
Mais, depuis 1886, l'Association Internationale des Linguistes, sous
l'impulsion du phonéticien Paul Passy, avait déjà publié son Alphabet Phonétique International,
plutôt utilisé pour la notation des langues exotiques, tandis que les
romanistes, pour leur part, conservaient l'usage de l'alphabet dit de Bourciez
(1889)... Le Maître phonétique
du même Passy avait pour fonction de réguler le flux des dictions et de
régulariser la singularité des paroles empreintes d'accents nuisant à la
représentation d'une langue idéale, exempte de variations trop marquées. C'est à
la même époque que Gaston Paris utilise pour cette représentation l'image d'une
tapisserie aux teintes variées mais qui se fondent harmonieusement dans un
dessein d'ensemble ("Les parlers de
France", in Revue des patois gallo-romans, II, 1888, pp.
161-172. )
Le recours était-il alors du
côté de la phonétique expérimentale que l'abbé Rousselot fondait et développait
dans ses séminaires de l'École
Pratique des Hautes Etudes? Il est difficile de le
dire car l'écart existant entre l'expérimentation et la documentation
constituait et constitue toujours le hiatus séparant les linguistes de terrain
et les linguistes de cabinet. Or il ne saurait y avoir évidemment de fixation
de l'oralité sans une véritable enquête in situ. Bien sûr, le phonographe
avait été inventé en 1877-1878; mais Jules Gilliéron (d'origine Suisse,
1854-1926) et son fidèle enquêteur à bicyclette, l'épicier de Saint-Pol sur
Ternoise, Edmond Edmont (1849-1926), bien qu'ils aient parfaitement compris
l'impératif de consigner des données orales, n'avaient à leur disposition que
le carnet et le crayon. Et, malgré les difficultés de l'entreprise, ils eurent
cependant le dessein d'un atlas linguistique, non exactement celui de la France
républicaine, mais au moins de sa partie gallo-romane[3] dont les résultats furent publiés de 1902 à 1912. Le magnétophone,
quant à lui, fut inventé en 1898, c'est-à-dire au tout début cette enquête,
laquelle nous semble aujourd'hui une enquête à l'ancienne.
Concomitamment, c'est ce
même désir de «rendre la parole humaine éternisée», mais également palpable, si
je puis dire, qui, en 1911, a incité le linguiste Ferdinand Brunot à créer dans
son laboratoire de la Sorbonne des Archives de la Parole. Il s'agissait pour lui de
constituer, pour la première fois au sein d'une institution française, un
patrimoine sonore destiné à l'étude et à la recherche de la langue par la
collecte de témoignages, contes populaires, musiques traditionnelles, folklore,
etc., réalisée dans les provinces françaises, puis dans le monde entier. C'est
pourquoi, Ferdinand Brunot et Charles Bruneau, en juin-juillet 1912, ayant
embarqué un phonographe « de voyage », aimablement mis à disposition
par Emile Pathé, dans une voiture Renault de l'université de Paris, menèrent la
première enquête linguistique enregistrée dans le département des Ardennes et
le sud de la Wallonie; les documents sonores en sont conservés aux Archives de la parole, et constituent ainsi le témoignage d'une langue orale non
essentiellement restreinte à un lexique et à quelques remarques de
morphosyntaxe, mais bien saisie dans la polyphonie de ses différents aspects
phonétiques, prosodiques, discursifs. Plus tard, à l'âge de sa retraite,
Ferdinand Brunot enjoindra à son disciple de ne plus faire de dialectologie
mais de la stylistique...La parole vive enfin fixée n'ayant probablement plus
guère à ses yeux d'intérêt pour l'histoire de la langue et pour l'étude d'une
langue contemporaine encore toute soumise au primat de l'écrit. Les exemples suivants, tous extraits des Archives de la parole :
1911-1913, et disponibles sur le site
Gallica de la BNF, montrent que ce nt pas pas l'improvisation orale et sa
spontanéité qui méritent d'être fixés, mais plutôt la diction et l'oralisation
d'un écrit antérieur à son énonciation :
Alphonse Aulard (1849-1928), Pasteur Emile Roberty (1838-1917), Paul Deschanel (1855-1922) . . . [et al. ].
- Histoire de la révolution à l'heure actuelle / Aulard, aut. , participant (AP O. 14)
- Vers l'évangile social / Pasteur Emile Roberty, aut. , participant (AP O. 32)
Paul Deschanel (AP O. 34, AP O. 34 bis)
- Souvenirs de la Sorbonne — Pierre Baudin, aut. , participant (AP O. 58)
- Péroraison d'un discours à une assemblée populaire — Paul Deschanel, aut. , participant (AP O. 59)
- Discours prononcé à l'inauguration du monument d'Henri Régnault à Buzenval — Paul Déroulède (AP O. 114, AP O. 115)
Le vent — M. Verhaeren (1855-1916),
N° dans la marque O. 122/O. 123
- Le vent
Le Pont Mirabeau — Guillaume Apollinaire (1880-1918),
N° dans la marque O. 168/O. 169
- Marie
Pour les églises de France / Maurice Barrès (1862-1923),
N° dans la marque O. 197
Des jugements de valeur — M. Durkheim, aut. , participant
N° dans la marque O. 150
[Discours d'hommes politiques français durant la Première guerre mondiale] — M. Raymond Poincaré (1860-1934), M. Gaston Doumergue (1865-1937), M. Paul Deschanel. . . [et al. ]
- La voix de M. Paul Deschanel,Président de la Chambre Des Députés(F4, F5)
- La voix de M. Paul Deschanel, Président de la Chambre des Députés (F6)
- La voix de M. Paul Deschanel, Président de la Chambre des Députés (F7)
- La voix de M. René Viviani, Président du Conseil des Ministres (F8)
- La voix de M. René Viviani, Président du Conseil des Ministres (F9, F10)
- La voix de M. René Viviani, Président du Conseil des Ministres (F12)
- La voix de M. René Viviani, Président du Conseil des Ministres (F11)
- La voix de M. Alexandre Ribot Président du Conseil des Ministres (F13,14)
- La voix de M. Léon Bourgeois, Président du Conseil des ministres (F15, F16, F17)
Nous sommes là, si je
puis dire, dans la partie la plus facile et la plus obvie d'une archéologie de
la voix et de l'oralité au XIXe siècle, car, d'après ce qui vient d'être relaté, il est désormais
évident que l'intérêt essentiel de cette recherche réside dans l'infrangible
dialectique qui unit la voix et son écriture. Non dans le document brut, que le
linguiste traite comme une donnée phénoménologique, mais dans les échos et les
ombres qui en démultiplient les dimensions idéologiques, comme le montrent les
tentatives et essais des écrivains fascinés par le grain des voix perdues et
oubliées. Le timbre d'organes qui laissent leur empreinte sur l'affectivité et
l'intelligence de leurs auditeurs.
C'est alors qu'il convient
d'examiner deux types différents de documents. Les notations improvisées d'une
époque où l'oral constitue la dimension première de la langue, bien au-dessus
d'un écrit réservé aux couches instruites de la société, d'une part, et,
d'autre part, les remarques pratiques et les codifications théoriques de l'oral
qu'enregistrent les dictionnaires.
2°
Exemples de notation de l'oral : perception, présupposés, reconstructions,
illusions...
Les pratiques de la
littérature du XIXe siècle, à la recherche de publics toujours
plus variés et nombreux, font que de multiples formes stylisées de la langue
orale ont de plus en plus nettement tendance à s’y trouver représentées, fût-ce
allusivement, par dérision ou par souci pittoresque. Mais l'oral court toujours
devant l'écrit... C’est ainsi que les parlures dialectales et patoisantes, les
argots, les formes populaires de dialogue ont pu s’insérer plus ou moins
naturellement dans la trame des écrits littéraires.
Il faut donc se
résigner à ne réunir sur l’oral pratiqué à distance historique dans les
diverses régions du territoire français, que des indications fragmentaires et
approximatives. Le Père Gile Vaudelin, à l’articulation des XVIIe et XVIIIe siècles, a pu être un de ces indicateurs de tendances fugitives. Du Broca,
dans le registre académique, dès 1800 (rééed. 1824), avait pu donner quelques
indications des ports de voix et de la prononciation déclamée[4]. Mais il s'agissait toujours d'un oral succédant à l'écrit et non d'un
oral spontané le précédant. Il doublait la mise en 1806 avec son Traité de la prononciation des consonnes et des voyelles finales des
mots français, dans leur rapport avec les consonnes et les voyelles initiales
des mots suivants, suivi de la Prosodie de la langue française (Paris, Delaunay, Johanneau), mais l'on voyait là encore, sous
l'appellation de « diction publique » une oralisation postérieure à
l'écriture des textes, une oralisation rhétorique, relevant de la diction
autant que de la gestique. Qu'en était-il donc pour l’oral de tous les jours,
l'oral de la parole vive en ses développements non prémédités ? Il semble
que l'on puisse avoir là trois types de documents à étudier.
a) J'isolerai tout d'abord le cas des correspondances
privées.
La correspondance
d'un célèbre bibliothécaire du début du XIXe siècle, Charles Weiss, membre de cette bisontine
" connection " qui fournit entre autres à la France Charles
Nodier,Victor Hugo, le chimiste Regnault, le peintre Courbet et le linguiste
Gustave Fallot, a naguère permis de percevoir l'écho lointain de cet oral
sauvage dont est peu à peu issu le français civilisé de l'école, et de prendre
connaissance de certains spécimens de cette langue qui laissent apparaître les
traces d'une standardisation en cours que le scripteur tente maladroitement de
reproduire. Ainsi de ce témoignage d'un apprenti-perruquier, ancien compagnon
d'enfance de Weiss :
"Paris, le 26 vendemier an 8
Morey à son ami Vaisse
Je vous fait a savoire que je suis arrivez en bonne santé à paris, je suis un peu en retar de vous écrire, mais c'est que j'ai resté lontems en fesant la route. jetoit avec des officiers et nous avons passé dans leur pays ou nous nous somme bien amusez pendant queque tems de la nous somme venu prendre le coche a auxer ou nous avons fait nos frace comme y faut d'abor nous avions de for jolie femme et nous avions couché deux nuit dans le coche et nous some arrivès a paris le meme jour que bonaparte y est arrivé incognitot àpène savoit-on cil etoit arrivez, on est cependan tres trenquille a paris, mais le commerce ne va pa du tout, cependans on samuse bien, c'est domage que les louis ne valle que six frans et moi je me donne un pante de prendre une chambre au premier sur le devant auci je taille dans le grans car je vien de faire connaissance d'une petite femme qui est très jentille mais c'est domage que je ne peu pas lavoire toutes les fois que je voudrois car son mari est bien jaloux cependans elle vien de me faire dire de passer ches elle de suite pour la compagner à l'opéra quelle est seulle et je vai bien vite me donner une pante pour mi randre car je ne manque pas de choses comme sela cest elle qui pais bien entendu parce que l'opéra est trop cher pour moi, mon cher ami, je crain de la faire attendre, je fini en vous embrassan et suit avec amitié,
votre ami Morey
P. S. bien des choses a vos gence et ches méline lavette nodié desse au pere Sevette vous lui demanderais si la envoyer ma clarinet a luxeuil javois donné commission au jeune homme qui travaille ches vaillan priere de lui demander dite lui je vous prie de la remettre a se jeune homme pour qui la fasse passer au citoyen lalet bouché à luxeuil, vous m'obligeres.
Voici mon adresse morey perruquier Vieille rue du temple ches le citoyen Delair marchan de vin en face l'hotelle Subise n° 719 a paris. excusez moi si ma lettre est mal ecrite c'est que je suis tres pressé.
Au citoyen Vaise fabrican de bas ches son pere rue ronchaux a besançon dep. de haute Saone. "
Les textes de cette nature, comme Nathalie Fournier et Sonia Branca
l'ont jadis montré[5], ne constituent ni une image fiable de l'écrit, ni une mémoire fidèle
de l'oral; ils sont matières composites reproduisant les effets de contrainte
exercés sur les locuteurs et les scripteurs du français par les hiérachisations
sociales issues du bouleversement révolutionnaire et des recompositions de
l'Empire, de la Restauration, et des différents régimes leur ayant succédé.
Instabilité politique, variabilité linguistique; variation des régimes,
insécurité langagière...
Ces documents soulignent l'impossibilité d'opposer nettement oral
et écrit dans la dimension historique. Morphologie et syntaxe, acceptables
d'ailleurs en d'autres circonstances énonciatives, soutiennent ici la
progression d'un lexique sans grandes marques évidentes de déviance; reste la
graphie, qui, sous un mimétisme obstiné de l'oral, dissimule les formes, et
affole la segmentation. Une graphie qui bouleverse la compréhension immédiate
du contenu de ces textes. Et que l'on n'aille pas voir là un effet de
l'illettrisme affectant les plus bas niveaux de la société; oral — même délicat à se représenter -— n'est pas plus synonyme de populaire et fautif qu'écrit ne l'est de correct et soutenu. Les cacologies et
cacographies ambiantes, ces recueils de fautes stigmatisées, auraient beau jeu
de relever dans le corpus des incorrections nombreuses touchant aux divers
secteurs dans lesquels s’exerce le purisme correctif le plus strict :
A/.
Verbes, et conjugaisons :
- Présent de l’indicatif : je vous fait, je vien, je ne peu l’avoire, je vai,
je crain, je suit, je fini, elle qui pais.
- Imparfait de l’indicatif : jetoit.
- Futur : vous lui demanderais.
- Archaïsmes des formes
sans cédille : je scai, jai scu
- Auxiliarisation défectueuse : nous avons passe; j’ai resté.
B/.
Morphosyntaxe :
- Amuïssement du l final de il en position antéconsonantique : comme y faut, pour qui la fasse passer, d’où certaines
confusions entre le relatif et la conjonction suivie du pronom il.
- Confusion de la conjonction et de l'adverbe
relatif : ou pour où: [sic]
- Confusion du verbe Avoir et de la préposition
: a pour à: [sic]
- Confusion de c’+e, i et de s’ : cil estoit arrivez,
sela, a se jeune homme.
C/.
Orthographie d'usage[6] :
- Perturbations de l’emploi des géminées : quelle est seulle, valleur, domage.
- Traitement aléatoire des finales : Auxer, retar, grans, cependans, clarinet, gence,
marchand.
- Coupe des mots :
jetois, àpène, pour la compagner, pour mi randre, si la envoyer, on samuse,
quelle est seulle....
- Inscription de perturbations phonétiques : frace [frasque], queque,
gence...
D/.
Lexique proprement dit :
- Je me donne un pante de... Ce terme d’argot parisien, recensé par les
dictionnaires de Boiste, D’Hautel, et Desgranges, réfère au bourgeois bon à
exploiter, à berner, à rouler, voire à voler; il désigne ici le jeu auquel se
livre un provincial déjà conscient de son infériorité pour paraître plus et
autre qu’il n’est : se donner un pante de, s’efforcer d’avoir
les allures bourgeoises, en louant par exemple une chambre au-dessus de
l’entresol et en filant des amours de convention. . . Par extension se faire mousser en faisant ceci ou cela, qui
relève ordinairement d’un autre niveau et d’un type différent de pratiques
sociales.
Mais il est clair que le domaine du lexique est celui qui laisse déjà
apparaître le moins de transgressions. Aux aberrations de segmentation près, ce
texte présente des éléments de lexique globalement conformes à la norme du
vocabulaire de l’époque. Il est vrai que depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle la grammatisation du français passe
largement par la fabrique de dictionnaires... Et, dans ce genre, les
cacographies ou cacologies, destinées à rectifier les fautes de prononciation
et d’orthographe, déclinent le plus souvent leurs remarques sous la forme de
séries rangées par ordre alphabétique.
Graphie et phonétisme, en-deçà des faits de morphosyntaxes, sont donc
les secteurs dans lesquels se perçoit le plus encore l'instabilité de fixation
du français. D'où les querelles graphiques qui traversent le XIXe siècle, et les tentatives de réformes
qui — jusqu'au XXe siècle —
les accompagneront. Dans le Journal Grammatical de 1835, Michelot note :
Toutes les doubles consonnes étymologiques et orthographiques, inutiles à la perception intellectuelle et physique d'un mot ou d'une syllabe, se suppriment dans la prononciation. Ce principe, qui n'est peut-être écrit nulle-part, est du nombre de ceux qui résultent de la nature même du langage, et que toutes les personnes qui parlent bien et sans affectation, appliquent pour ainsi dire à leur insu. Une telle loi, comme toutes celles de la parole physique, vient de l'instinct, du sentiment de l'oreille, juge irrécusable de l'harmonie des langues, chez toutes les personnes qui n'ont point étouffé l'activité du sens de l'ouïe[7]
Et l'on voit même paraître à cet égard des revendications allant
jusqu'à la pétition de principe onomasiologique :
Nous donnons le titre d'Orthophonie à
cette partie de la grammaire qui enseigne à prononcer les mots exactement. En
effet, si l'art de bien écrire est appelé Orthographie, celui de bien prononcer
doit se nommer Orthophonie. L'Orthophonie est d'autant moins à négliger dans
notre dictionnaire qu'il est plus commode à chacun de ne pas aller chercher
ailleurs la manière de prononcer les mots qui s'y trouvent enregistrés. La
grande difficulté est de peindre à l'oeil les son fugitifs et incertains des
lettres [. . . ][8]
Les choses sont d'ailleurs bien plus complexes et délicates dans la
réalité de leur actualisation, et au-delà même de nos capacités de reconstruction,
si l'on en croit par exemple un De Wailly qui énonce une évidence non avouée à
son époque et d’ailleurs non encore reconnue de nos jours :
Nous avons deux sortes de
prononciation; l'une pour la conversation, l'autre pour les vers et le discours
soutenu[9]
Qui nous restituera précisément aujourd'hui la phonétique et la
phonologie du " français " pratiqué vers 1820 ou 1870 dans
les environs d'Arcueil, de Castres, Arras ou de Niort? Et dans quels cadres?
Celui d'une diction familiale ou familière, dans un lieu où la projection de la
voix n'a pas besoin d'être forcée, ou celui d'une diction publique, dans un
lieux où il est nécessaire de placer sa voix, et requérant une forme de mise en
scène de l'oralisation?
b) A côté des exemples de la
correspondance privée, j'isolerai les témoignages journalistiques ou assimilés,
qui, dans le cadre d'une recherche plus approfondie, multiplieraient les
documents à sonder entre traces brutes et traces plus ou moins stylisées.
Ainsi le Bulletin
français du 17 février 1839, relatant quelques
souvenirs du duc de Vicence, propose-t-il des formes phraséologiques qui
semblent rétrospectivement pouvoir esquisser l'image que des scripteurs
moyennement instruits se donnaient alors des usages courants de la langue orale
dans les milieux populaires: " Et quèque ça vous fiche ", " j'tope
dans le godant ", au sens de donner dans le piège, tomber
dans le panneau. Mais il ne faut pas être dupe. Ces
formes sont médiatisées par de multiples filtres linguistiques,
épilinguistiques, métalinguistiques et socio-culturels. Le passage de l'oral à
l'écrit, sa fixation et sa stylisation amènent ainsi des altérations dont la
nature et l'impact sont aujourd'hui difficiles à évaluer... Reste seulement une
certaine perception de l'ombre portée sur les documents écrits par des usages
entr'aperçus dans quelques notations épi- ou métalinguistiques[10].
Un autre exemple intéressant est celui des traces de boniments que l'on
pouvait écouter à l'époque sur le boulevard. Il faudrait certes s'interroger
sur la validité testimonialede ces traces, mais, telles quelles, elles
renseignent déjà sur les dispositifs argumentatifs et sur les phénomènes
prosodiques caractéristiques de cet oral en situation définie. Quelques rares
textes de boniments, déclamés par des escamoteux en quête de pratiques du type
de celui présenté ci-dessus, ont heureusement pu être approximativement notés
et sauvegardés. Ainsi, ce monologue, attribué au célèbre Miette, marchand
ambulant et illusionniste des années 1830, qui avait installé le siège
principal de ses activités sur le quai des Augustins, à quelques pas de
l’Institut et de l’Académie française….
“ Je ne vous dirai pas [voix de fausset], que je suis l’élève de Mlle Lenormand… Mlle Lenormand n’a jamais fait d’élèves. Je ne vous dirai pas que je suis le gendre ou le successeur du célèbre Moreau [allusion perfide à un autre charlatan, plus connu, qui se donnait comme élève de Moreau, et disait la bonne aventure] ; môssieu Moreau n’a jamais eu de gendre ni de successeur. Mais qu’es-tu donc alors ? Messieurs, je n’emprunte le nom de personne, je me nomme Miette, l’un des sept fils du dragon de Paris. Feu mon père était escamoteur, mon frère était escamoteur, je suis escamoteur. Je demeure, rue Dauphine, n° 12, maison du marchand de vin, ce qui ne veut pas dire que je demeure chez le marchand de vin, c’est au contraire le marchand de vin qui demeure chez moi… J’ai travaillé trois fois devant l’ambassadeur de Perse, mais je ne me targuerai point de ce vain titre pour vous dire que c’est l’ambassadeur de Perse qui m’a découvert le secret de la ppoudre ppersannne… Il ne m’a jamais parlé… D’ailleurs, l’eût-il fait, je ne l’eusse pas compris, car il m’eût parlé persan, et, je l’avoue à ma honte, je n’ai point étudié les langues orientales ; mais ce fut un des officiers de sa maison, môssieu Ugène barrrbarrroux… Curieux d’apprendre à faire des tours, il m’en demanda et je les lui démontrai. C’était un élève agréable… Il ne me payait pas avec des pommes de terre. [Il tire des pommes de terre de dessous les gobelets]. Il ne vous tirait pas de carottes. [Il fait surgir une carotte] Et voici des carottes ; mais il avait de l’ognon [même jeu], et voici de l’ognon ; aussi me faisait-il des compliments. Il me disait : môssieu Miette, pour les tours de passe-passe et de gobelets, à vous le pompon [il montre un pompon], et voici le pompon. J’en étais donc très content, aussi vrai que voici la petite balle [il escamote une petite balle], la moyenne balle [même jeu] et leur camarade la grosse balle [même jeu]. Un jour, je me présentai chez lui, il était en train de se nettoyer les dents. Cela ne m’étonna pas, la propreté de la bouche étant de tous les âges et de toutes les nations; mais, ce qui m’étonna, c’est ce qui va vous surprendre, c’est que, depuis trente-cinq ans [exagération] que j’exerce sur cette place, je n’ai point encore vu ailleurs. . . la ppoudre dont il se servait. Blanche comme de la neige [il ouvre une boite et la montre en faisant le tour du cercle], à peine introduite dans la “ booche ”, elle devenait cramoisie comme de la lie de vin. [Il introduit dans sa bouche un linge frotté de poudre persane, s’en frotte les dents et fait le tour du cercle en montrant au public le linge devenu rouge. Il tient aussi la bouche ouverte de manière à faire voir ses dents] Voici, je l’espère, du cramoisi [Il remet la boite en place]. curieux de ce phénomène, je m’en informai, il me le dit et je l’ai gardé pour moi. . . [en insistant]. Voilà tout mon talent. Tant que l’Ambassade de Perse resta en France, je ne parlai plus à personne; une fois qu’elle en fut partie, je me présentai à l’Aacaadémie rrroyale de mé-de-cine, j’exposai ma recette et j’obtins mon brevet, ce n’est pas plus malin que ça. La ppoudre ppersannne, Messieurs, n’a que cinq propriétés; mais elles sont ir-ré-cu-sa-bles [pause]... Elle blanchit en deux minutes, montre en main, les dents les plus noires [pause]... Elle calme à l’instant la douleur de dent la plus vive [pause]... Elle corrige la mauvaise haleine, toutefois et quantes la mauvaise haleine n’est point le produit de la putréfaction de l’estomac [pause].... lle raffermit les dents ébranlées dans leurs alvéoles, en arrête la carie, en arrête le tartre, et le tuf [pause].... Les dents sont un des agréments de la physionomie... Une bouche qui en est démeublée n’en offre plus, et pourtant les dentistes vous les arrachent. L’homme le plus hardi tremble à la vue des instruments qu’il faut introduire dans la “ booche ” pour opérer l’extraction de la dent la plus simple [à ce moment-là, il déroule une trousse de dentiste, dans laquelle se trouvent des instruments énormes et rouillés, espèces de tire-bottes monstrueux qui font frissonner l’auditoire; il prolonge alors la terreur en gardant le silence le plus absolu en promenant ses instruments devant toutes les bouches des curieux, qui se ferment instinctivement].
Me direz-vous que vous vous voyez entrer ces instruments de sang-froid dans la “ booche ” [nouvelle promenade autour du cercle avec la terrible trousse]? — Non! Eh bien! gardons les ornements que la nature nous a départis, sans nous livrer aux mains barbares des opérateurs. La ppoudre ppersannne nous épargne ces désagréments-là, et voici la manière de s’en servir : Vous prenez un linge blanc de lessive, que vous enroulez autour du doigt comme ceci [il opère en même temps et montre chaque exercice à la ronde]. Vous le trempez dans l’eau, l’appliquez sur la boâte, l’introduisez dans la “ booche ”, et vous frottez les dents avec... puis vous prenez une gorgée et vous rincez [il l’avale; marque d’étonnement]. — Comment? quoi, couillon, tu l’avales? — Oui, Messieurs, la ppoudre ppersannne laisse dans la “ booche ” une odeur si suave, si exquise, si agréable, que je ne suis pas assez ennemi de mon estomac pour l’en priver volontairement...
Avec toutes ces qualités, la ppoudre ppersannne coûtera donc bien cher? Non, Messieurs, nous l’avons mise à la portée de toutes les bourses. Il y a des boâtes de 1fr. 50 ou 30 sous [pause]. Il y a des boâtes de 1 fr. ou 20 sous qui sont les deux-tiers des boâtes de trente [pause]. Il y a des boâtes de 75 centimes ou des boâtes de 30 [pause]. Il y a des boâtes de cinquante centimes ou dix sous, qui sont les deux-tiers des boâtes de quinze, la moitié des boâtes de vingt, et le tiers de boâtes de trente [longue pause].... Enfin, Messieurs, il y a des boâtes, dites boâtes d’essai ou d’épreuve, et que je ne vends que pour dix centimes ou deux sous. Messieurs, si la ppoudre ppersannne, n’a pas rendu blanches en deux minutes, montre en main, les dents les plus noires, si elle n’a point arrêté la carie... si elle n’a point enlevé le tartre et le tuf... si elle n’a point corrigé la mauvaise haleine, toutefois pourtant que la mauvaise haleine ne provient pas de la putréfaction de l’estomac... si elle n’a point raffermi les dents dans leurs alvéoles, rendu leur couleur naturelle aux gencives... si elle n’a point calmé en un clin d’oeil la douleur de dents la plus vive, entrez dans ce cercle, démentez-moi, traitez-moi de fourbe et d’imposteur, prenez mon ordonnance, déchirez-la et jetez m’en les morceaux à la figure... Au cas contraire, dites-le à vos amis et connaissances, et rendez-moi justice. . . ”
P. S. Les jours où il vendait peu, Miette cherchait à humilier les pratiques qui n’achetaient que des boâtes de deux sous, en appuyant sur les mots : “ une boâte de ddeux sous à Moissieu ”, au lieu de se servir du terme poli de boâte d’essai qu’il n’employait que dans les occasions de forte vente.
Il est certain que, dans ce "document", la transcription
ajoute les facteurs d'intelligibilité qui nous rendent sa lecture possible. Les
incises didascaliques rehaussent le caractère théâtral du boniment, et
précisent les ports et timbres des différentes voix que se donne Miette, tout
comme les effets de graphie expressive pour simuler l'articulation et approcher
la phonétique particulière du bonimenteur, contribuent à créer l'illusion d'une
certaine oralité. Mais celle-ci, bien évidemment, se travestit, ou plutôt est
travestie par le souci qu'a le transcripteur de cerner des faits relevant de
l'ordre suprasegmental.
c) Enfin, j'isolerai un
dernier type écrit qu'il ne faut ni oublier ni négliger : celui des chansons de
chansonniers.
A côté des témoignages d’archives et de correspondances privées, qui
donnent très souvent à percevoir, en filigrane dans l’hypercorrection, l’écho à
peine atténué d’un oral détaché des convenances et omniprésent, il convient de
ne pas sous-estimer le rôle tenu par les recueils de chansons aux allure
populaire, mais destinés à un lectorat plus relevé, et par les écrits de
chansonniers. Les exemples suivants, à étoffer par d’autres témoignages,
laissent imaginer certaines des plus fréquentes déformations de la langue
orale, dont, par ailleurs, les cacologies, et les dictionnaires de langue vicieuse [comme les ouvrages de Louis Platt, de Concarneau : 1835, mais
auparavant, et avec autant de pertinence d’Hautel : 1808, ou
Desgranges : 1820[11]] dénoncent les multiples réalisations. Ces textes nous aident
rétrospectivement à fixer la représentation de pratiques jugées déviantes ou
fautives par les contemporains détenteurs de la norme d’usage bourgeoise et
globalement parisienne. Ironie, érotisme ou pornographie, déréliction
langagière, s'y mêlent avec plus ou moins de bonheur et stimulent aujourd'hui
notre curiosité… Car tout ceci, est-il utile de le répéter, se joue à l’époque
et ne se donne à lire et interpréter pour nous qu’à travers les prismes des
idéologies et leurs déformations.
Marc-Antoine-Madeleine
Désaugiers, né à Fréjus le 17 novembre 1772, mort à Paris le 9 août 1827, était
le fils d’un compositeur de musique [Marc-Antoine, 1752-1793] qui reçut
lui-même les leçons de Gluck et de Sacchini. Il fut le prolifique auteur de la
majeure partie des chansons qui assurèrent le succès de l’Almanach
des Muses, du Caveau, et du théâtre du Vaudeville. Son type
favori, Cadet Buteux, est enfant de la Rapée, ce quartier de Paris dans lequel
se rassemblent toujours sur les berges de la Seine les usagers d’un langage
plein de verdeur, d’images et de sonorités goualantes que l’écriture a quelque
mal à fixer. Au même titre que Béranger[12], Félix Gouffé ou Emile Debraux, Désaugiers
mérite d’être considéré comme un témoin intéressant de ces vibrations de l’air
produites par des bouches que l’on considère alternativement comme malhabiles
ou libérées de toute contrainte normative, généralement dangereuses pour les
bonnes moeurs bourgeoises et incorrectes à l'oreille des discoureurs
politiques.
Le
Menuisier Simon ou la Rage de sortir le Dimanche
Allons, Suzon, j’ tenons
dimanche,
Ouvre tes yeux et tes
rideaux ;
Quand j’ons six grands jours
scié la planche
Tu sais qu’ j’ai d’ la maison
plein l’ dos.
Il faut que j’ sortions d’un’
berrière…
Débarbouill’ vite ton garçon…
Passe l’ jupon
Moi l’ pantalon
Et zon, zon, zon
En avant ma Suzon
J’ goberons moins d’ m’
ringues que d’ poussière
Mais j’ ne serons pointz’ à
la maison.
Où c’ que j’ rons ? Que
vas tu m’ dire ;
C’est aujourd’hui foire à
Pantin,
Courons y vite, que j’
respire
L’ parfum z’ embaumé du
matin…
Seul’ ment n’ mets pas tes plus
bell’s hardes
Car ce nuage au-d’ ssus d’
Charenton
N’ promet rien d’ bon
Tant pis… Quoi donc ?
Et zon, zon, zon
J’sais c’ que c’est qu’un
bouillon…
J’allons être inondé d’ hall’
bardes
Mais je n’ serons pointz’ à
la maison.
Soirée
de Cadet Buteux, passeux à la Rapée,
Aux
expériences du Sieur Olivier
Je n’ vois, en fait de
pestacles
Foi d’Cadet Buteux,
Rien qui vaille les miracles
D’ nos escamoteux ;
J’en savons un passé maître
Qu’ j’avons vu l’aut’
soir ;
Gn’y a qu’un moyen de l’
connaître
Et c’est d’aller l’ voir.
J’ crois que c’ luron-là
s’appelle
Monsieur Olivier ;
Et c’est dans la ru’ d’
Guernelle
Qu’ travaille l’
sorcier ;
I’ sait vous r’ tourner, vous
prendre
Qu’on n’y connaît rien
Et j’ dis qu’s’il ne s’ fait
point pendre
C’est qu’il le veut bien.
J’ pensons une carte, i’ m’
la nomme,
C’était l’ roi d’
carreau :
V’ la qu’ d’un’ main il prend
z’ un’ pomme
Et d’ l’autre un
couteau ;
Il la partage, il la
montre*Et voyez l’ malin !
V’ la mon roi qui s’y
rencontre
En guise d’ pépin.
C’ qu’est pus fort, c’est
qu’i prépare
Un grand verre d’ vin,
Et vous l’flanque, sans dir’
gare,
Au nez d’ mon voisin :
L’ diable d’ vin s’
métamorphose
En rose, en œillet :
V’ la, m’dis-je en restant
tout chose,
Un vin qu’a l’ bouquet !
J’ liprêtons, à sa prière,
Mon castor à glands,
Parc’ qu’il avait z’ envi d’
faire
Une om’ lette dedans :
Gn’y a pointz’ à dire, il l’a
faite
Et ça sous not’ nez
Et, jarni, moi, d’ voir c’ t’
omelette
Ça m’a tout r’ tourné.
Il m’d’mande que j’ li garde
Six écus tournois ;
J’ les prenons, mais quand
j’y r’ garde
V’la qui’ m’en manqu’
trois ;
On les trouv’ dans un’ aut’
poche :
A Paris, quoiqu’ ça,
N’ faut pointz’ un’
lunett ‘ d’approche
Pour voir ces coups-là.
Il perce un mouchoir
d’percale
D’ la grosseur d’un œuf
Il souffle dessus, il
l’étale,
Crac, le v’ la tout neuf.
Pour nos fill’s, ah !
queu trouvaille,
Dans c’ siècle d’ vartus
Si pour boucher z’un entaille
N’ fallait qu’ souffler d’
ssus !
V’la qu’ tout à coup la nuit
tombe…
Et, pour divartir
J’ vois comm’ qui dirait d’un’
tombe
D’ s esquelett’ s
sortir :
A leurs airs secs et
minables,
On s’ disait comm’ ça :
C’est-i d’ s artist’ s
véritables
Qui jou’nt ces rol’ s
là ?
Mais avant qu’un chacun sorte
(Et c’est là l’
chiendent !)
V’ la l’ Fanfan qui nous
apporte
Deux torches d’ rev’ nant
Morgué ! que l’ bon dieu
t’ bénisse,
Suppôt d’ Lucifer !
J’ croyions que j’avions la
jaunisse,
Tant j’avions l’teint vert.
Bref, c’ t Olivier z’ est
capable,
Dans l’ méquier qu’ i fait,
D’escamoter jusqu’au diable,
Si l’ diable l’ tentait :
Par ainsi, sans épigramme,
Crainte d’accident,
Faut toujours, messieurs et
dames,
S’ tâter z’ en sortant
Je ne ferai pas le compte des cuirs et pataquès ici mentionnés ni n'en
détaillerai la variété linguistique. La variété des tours est limitée, et ces
derniers sont faciles à repérer. Toutefois, la manière d'approcher ces
documents va évoluer significativement pendant la période qui nous occupe ici.
De la proscription révolutionnaire à la reconnaissance officielle que
constituera la création d'une chaire de dialectologie à l'École Pratique des Hautes
Études en 1888, en passant par la création de la Société [....] des
Antiquaires de France (1814), par les diverses étapes
d'attribution du Prix
Volney de l'Institut, et par les différentes enquêtes
linguistiques officielles, dont celle sur les chants populaires, initée par H.
Fortoul en 1852, se dessine une prise en compte progressive de la valeur
documentaire tout d'abord, puis de la valeur scientifique des patois et des
diverses formes de l'oralité pratiquées sur le territoire de la nation
française. Nous retrouvons ici la problématique des dialectes comme formes
privilégiées de ces multiples oraux si éclatés et hétérogènes, que la Monarchie
de Juillet, la seconde République, le second Empire et la troisième République
auront tant de mal à unifier — à défaut
d'en faire taire les voix contestataires —
et qui, contre l'écrit officiel de l'institution scolaire, finiront par
constituer l'oralité française privée tout autant que publique du XIXe siècle.
En 1814, Dupin écrivait déjà :
Il y a des personnes qui voient avec chagrin l'altération progressive de nos patois locaux et leur tendance à se fondre dans la langue nationale. Je crois, comme elles, qu'une étude sage et une comparaison judicieuse de ces dialectes pourrait offrir au grammairien, et plus encore peut-être à l'historien, une mine féconde, beaucoup trop négligée jusqu'à ce jour; et s'ils venaient à disparaître tout-à-fait, avant qu'une main savante eût mis en oeuvre les matériaux altérés, mais précieux, qu'ils renferment encore, j'en partagerais sincèrement le regret. Mais lorsque la Société royale aura recueilli ces fragments épars de nos antiquité, je serai le premier à désirer de voir disparaître et s'effacer entièrement les différences d'idiomes qui isolent encore quelques membres de la grande famille française[13].
Il serait certainement fastidieux de décliner l'intégralité des étapes
qui conduisent du décret du 8 Pluviose an II [27 janvier] portant condamnation
des patois par la Convention, et qui établit un instituteur dans chaque
commune, à la conférence de Gaston Paris, le samedi 26 mai 1888, qui expose les
grandes lignes d’un programme visant à réaliser un Atlas linguistique de la France, et engage à entreprendre des monographies dialectales descriptives
par commune. Mais il n'est certainement pas indifférent que l'évolution
perceptible en France s'insère dans un mouvement d'ensemble plus général qui
affecte simultanément l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suisse et l'Italie,
c'est-à-dire les nations qui se trouvent alors à la pointe du développement de
la recherche en linguistique historique. Il est aussi très significatif qu'en
France même l'émergence de la dialectologie et la reconnaissance de la
légitimité des patois et dialectes soient concomitantes de la naissance de la
phonétique[14] et de la sémantique[15].
3°
Oral, littérature, littérature orale, ratures et orature...
Je n’ai pas évoqué jusqu’à maintenant la récupération par les écrivains
du XIXe siècle de ces
formes dialectales afin de créer certains effets superficiels de pittoresque,
car la question est complexe; elle dépasse la simple recherche d'une
authentique couleur locale et intéresse problablement plus la sémiotique des
textes que la linguistique proprement dite et l’histoire même de la langue
française[16]. Des écrivains de sensibilités politiques contraires n'ont pas hésité
à recourir quasi simultanément à ce même processus pour le mettre au service
d'idées opposées.
Il faut cependant en dire un mot ici car cet objet ne concerne pas
uniquement le lexique. Les régionalismes lexicaux et les diverses formes de
parlers régionaux employés par Balzac, Sand ou Barbey d’Aurevilly ont longtemps
fait l’objet de commentaires approximatifs de la part des critiques et même des
stylisticiens, parce qu’ils étaient pour ainsi dire pris au premier degré de
leur utilisation, celui de leur capacité dénotative. Mais on a probablement
négligé, derrière leur pittoresque de langue, le caractère fautif — on disait vicieux — qu'ils exhibaient, que
d'innombrables censeurs et correcteurs dénonçaient dans des ouvrages du type
des cacologies, des omnibus de langage et des dictionnaires du langage vicieux.
Et la fonction connotative de ces termes en tant que marqueurs idéologiques.
Napoléon Landais, après Lévy-Alvarès et bien d'autres aujourd'hui
oubliés, ne manquaient pas de dresser des listes d'incorrections à éviter.
Ainsi dans la Grammaire
générale des Grammaires françaises du premier nommé
(1834) :
BARBARISMES
A ÉVITER.
Ne dites pas Mais
dites
Aides
d’une maison Êtres d’une maison
Aigledon Édredon
Airé Aéré
Ajambée Enjambée
Ajamber Enjamber
Ambe
d’un cheval Amble d’un cheval
Angencer Agencer
Angle
(prendre l’) Langue (prendre)
Angola Angora
Angoise Angoisse
Apprentisse Apprentie
Aréchal
(fil d’) Archal (fil d’)
Aréostier Aérostier
Argot
(d’un coq) Ergot (d’un coq)
Arguillon Ardillon
Astérique Astérisque
Avalange Avalanche
Babouine Babine
Bailler
aux corneilles Bayer aux corneilles
Baracan Bouracan
Belsamine Balsamine
Berlan Brelan
Bouilleau Bouleau
Boulin
à grain Boulingrin
Boulvari Hourvari
Brouillasse
(il) Bruine (il)
Brouine
(il) Bruine (il)
Cacaphonie
ou cocaphonie Cacophonie
Cacochisme Cacochyme
Calemberdaine Calembredaine
Calvi
(pomme) Calville (pomme)
Caneçon Caleçon
Cassis
de veau Quasi de veau
Casterolle Casserolle
Castonnade Cassonnade
Casuel Fragile
Centaure
(voix de), Stentor (voix de)
Cersifis Salsifis
Chaircuitier Charcutier
Clanpinant Clopinant
Clincaillier Quincaillier
Clou à
porte Cloporte
Cochlaria Cochléaria
Colophale Colophane
Collidor Corridor
Conséquente
(affaire) Importante (affaire)
Consonne Console
Contrevention Contravention
Coquericot Coquelicot
Corporence Corpulence
Couane Couenne
Cou-de-pied Coude-pied
Cresson
à la noix Cresson alénois
Crimisette Cligne-musette
Crudélité Cruauté
Cuirasseau Curaçao
Dégigandé Dégingandé
Dernier
adieu Denier à Dieu
Désagrafer Dégrafer
Desserte
(dur à la) Desserre (dure à la)
Dinde (un) Dinde
(une)
Disgression Digression
Disparution Disparition
Échaffourée Échauffourée
Échanger
du linge Essanger du linge
Écharpe Écharde
Écosse
de pois Cosse de pois
Éduquer Élever
Effondreries Effondrilles
Élexir Élixir
Élogier Faire l’éloge
Embauchoirs Embouchoirs
Emberner Embrener
Emmeublement Ameublement
Empiffer Empiffrer
Enfilée
(langue bien) Affilée (langue bien)
Épomoner Époumonner
Éprevier Épervier
Érésypèle Érysypèle
Errhes Arrhes
Eschilancie Esquinancie
Esclaboussure Éclaboussure
Estrapontin Strapontin
Exquinancie Esquinancie
Exquisse Esquisse
Falbana Falbala
Fanferluche Fanfreluche
Ferlater Frelater
Ferluquet Fraluquet
Fertin Fretin
Filagramme Filigrane
Fleume
ou Flème Flegme
Fondrilles Effondrilles
Franchipane Frangipane
Galbanon Cabanon
Gaudron Goudron
Gazouiller
quelque chose Gâter quelque chose
Géane Géante
Gégier
ou Gigier Gésier
Gérandole Girandole
Géroflée Giroflée
Gravats Gravois
Guette Guet
Hâti Hâtif
Hémorragie
de sang Hémorragie
Honchets
d’enfants au maillot Hochets d’enfants au maillot
Honchets
pour jouer Jonchets pour jouer
Ici
(dans ce moment) Ci (dans ce
moment-ci)
Inrassassiable Insatiable
Jeu
d’eau Jet
d’eau
Kérielle Kyrielle
Laidronne Laideron
Lévier Évier, conduit pour l’eau
Libambelle Ribambelle
Lierre
(pierrede) Liais (pierre de)
Linceuil Linceul
Linteaux Liteaux
Maille
à partie Maille à partir
Mairerie Mairie
Maline
(fièvre) Maligne (fièvre)
Mareille
(jeu) Mérelle (jeu)
Martre
(animal) Marte
Matéraux Matériaux
Membré Membru
Mésentendu Malentendu
Mialer Miauler
Midi
précise Midi précis
Missipipi Mississipi
Misserjean
‘poire) Messire-jean (poire)
Mitouche
(sainte) Nitouche (sainte)
Moriginer Morigéner
Morne,
où l’on expose les corpsMorgue, où l’on expose les corps
Mouricaud Moricaud
Nine Naine
Noble-épine Aube-épine
Noirprun Nerprun
Nougat Nougat
Ombrette Ombrelle
Osseux
(cet homme est) Ossu (cet homme est)
Ourgandi Organdi
Ouette Ouate
Palfernier Palefrenier
Panégérique Panégyrique
Pantomine Pantomime
Paralésie Paralysie
Passagère
(rue) Passante (rue)
Pécunier Pécuniaire
Perclue Percluse
Pertintaille Pretintaille
Piaste
(monnaie) Piastre (monnaie)
Pied
droit, mesure géométriquePied-de-roi
Pimpernelle Pimprenelle
Pipie,
qui afflige les oiseaux Pépie
Pire
(tant) Pis (tant)
Pleuralité Pluralité
Polisser Polir
Pomon Poumon
Pomonique Pulmonique
Poturon Potiron
Propet Propret
Quinconche Quinconce
Rachétique Rachitique
Raiguiser Aiguiser
Rancuneux Rancunier
Raucouler Roucouler
Rébarbaratif Rébarbatif
Rébiffade Rebuffade
Rebours
(à la) Rebours (à ou au)
Renfrogné
(visage) Réfrogné (visage)
Reine-glaude Reine-Claude
Resserre Serre
Revange Revanche
Rissoli Rissolé
Roulet Rôlet,
petit rôle
Ruelle
de veau Rouelle de veau
Sacrépan Sacripan
Sonneson Seneçon
Sans
dessus dessous Sens dessus dessous
Serment
de vigne Sarment de vigne
Siau Seau
Scourgeon Escourgeon
Secoupe Soucoupe
Semouille Semoule
Sens
sus dessous Sens dessus dessous
Sibile Sébile
Soubriquet Sobriquet
Souguenille Souquenille
Soupoudrer Saupoudrer
Stringa Seringat
Sujestion Sujétion
Talandier Taillandier
Temple
(partie de la tête) Tempe (partie de la tête)
Tendon
de veau Tendron de veau
Tête
d’oreiller Taie
d’oreiller
Tonton Toton
Transvider Transvaser
Trayage Triage
Trayer Trier
Trémontade Tramontane
Trésoriser Thésauriser
Trichard Tricheur
Usée User
Vagabonner Vagabonder
Vagislas Vasistas
Vessicatoire Vésicatoire
Videchoura Vitchoura
Villevouste Vire-volte
Viorme Viorne
Volte
(faire la) Vole (faire la)
Bien qu'il y ait là essentiellement des listes de mots, il est possible
d'entrevoir en eux les faits d'oralité phonétique, notamment, que proscrit une
conscience linguistique normalisatrice. Exemples de métathèses, de paronomasie
inverse ou contrariée, etc. On trouvera également dans ces listes les traces
d'hypercorrections dictées par un sentiment d'insécurité ou de malaise
linguistique, dont l'origine est attribuable tout-à-la fois aux bouleversements
de la société et à la standardisation d'une langue officielle que les
institutions (Académie, école) imposent peu à peu.
En 1853, Le
Langage vicieux corrigé de Bernard Jullien, ou liste alphabétique des fautes
les plus ordinaires dans la prononciation, l'écriture et la construction des
phrases, se donne un identique dessein et fait
pareillement entendre le même écho lointain de ces pratiques orales
qu'entâchent d'analogues lacunes d'instruction. Mais l'intérêt de Bernard
Jullien est de mettre l'accent sur cette dialectique indéfinie de l'écrit et de
l'oral, dans laquelle le sens normatif du grammairien intervertit sciemment
l'ordre des facteurs. Dans l'esprit de Jullien, effectivement, si un mot a du
mal à être repéré et défini du fait d'une prononciation fautive, c'est tout
simplement que ce mot n'a pas été écrit et lu correctement auparavant!...
L'écrit conditionne l'oral et en règle l'orthodoxie :
Aujourd'hui principalement que la
conversation embrasse tous les sujets et qu'il n'y a pas d'homme qui ne soit
exposé à employer des mots qu'il n'a jamais vus écrits, il y a plus de cinquante à parier sur cent qu'autant de
fois ces mots se produiront, autant de fois ils seront estropiés d'une manière
plus ou moins inattendue, presque toujours fort maussade.
C'est une expérience que chacun de
nous a pu faire sur soi-même. A qui n'est-il pas arrivé de trouver un jour
écrit tel mot qu'il ne connaissait que pour l'avoir entendu, et de redresser
par lui-même une idée fausse conçue à l'occasion d'un nom imaginaire? Supposons
que, ne connaissant pas le laque, vernis de la Chine, nous entendions
parler d'un beau
brillant de laque : nous comprendrons nécessairement
un brillant de lac; nous nous ferons l'idée d'un éclat semblable à celui des reflets de
l'eau d'un bassin; et nous ne
corrigerons notre erreur que quand, retrouvant le mot laque
écrit comme il doit l'être, nous en apprendrons la signification exacte.
Cette erreur ou d'autres analogues se
représentent, on peut en être certain, pour tous les mots inconnus dont
l'étymologie, l'écriture ou la signification ne sont pas tout d'abord
évidentes; et cette observation explique l'immense quantité de fautes de toute
sorte que commettent partout ceux dont l'éducation a été négligée.
Quelques-unes de ces fautes se
répandent et deviennent communes soit dans la France entière, soit dans
quelques provinces ou dans quelques professions.
Ce sont surtout celles-là que nous
avons tâché d'atteindre. Elles tendent de plus en plus à corrompre et à
dénaturer notre idiome; elles se glissent partout, se répètent, augmentent de
crédit et de puissance; et jusqu’ici, malheureusement, on n'a opposé à leur
action dissolvante aucune digue solide ou inébranlable.
Il n'y a chez nous, on peut le dire,
ni principes généraux de prononciation, ni lois rationnelles pour
l'orthographe; si bien que nous ne savons souvent comment prononcer un mot que
nous voyons écrit pour la première fois.
Et l'auteur, en conséquence, d'oser ou tenter une classification de ces
fautes, dont la typologie est éclairante :
Les fautes qui contribuent à rendre le
langage vicieux sont, pour ainsi dire, innombrables; et il est à peu près
impossible d'assigner d'avance toutes les façons dont les ignorants pourront
violer les règles ou le bon usage.
Cependant, si l'on ne peut énumérer
toutes ces fautes, il est facile au moins de les ramener à un certain nombre de
classes établies d'après les diverses parties de la grammaire, ou la nature des
préceptes auxquels on contrevient.
Ainsi les fautes peuvent tomber sur la
prononciation des syllabes, s'il y a des lettres (voix ou articulations) qui ne sont
pas énoncées comme elles doivent l'être; sur l'accentuation, si l'on prononce forte une syllabe faible, ou réciproquement; sur la quantité, si l'on allonge une syllabe brève; sur la liaison des mots, si l'on fait entendre devant la voyelle initiale du second une
consonne qui ne doit pas y être; sur l'énonciation des phrases, si
on les accentue de travers; si l'on s'arrête où il ne faut pas s'arrêter, si
l'on donne à une interrogation la même chute qu'à une affirmation; sur l'orthographe, si dans l'écriture on emploie des lettres que le bon usage n'admet
pas, si l'on met sur ces lettre ou auprès d'elles des accents ou des signes qui
n'y doivent pas être, ou si l'on oublie ceux qui sont nécessaires; sur la ponctuation, si l'on met d'autres signes que ceux que demande le sens précis du
discours; sur les mots eux-mêmes, si l'on en emploie qui
absolument ne soient pas français; sur l'étymologie, si l'on s'écarte
de l'usage en n'observant pas les règles de dérivation ou de formation
convenables; sur la construction des phrases, si l'on déplace
mal à propos les mots qui y entrent; sur la syntaxe, si l'on n'observe
pas les règles d'accord et de régimes établies par la coutume; sur les homonymes ou paronymes, si l'on confond ou qu'on prenne l'une pour l'autre des mots de son
très-voisin; enfin sur l'élégance ou la propriété des termes, si l'on prend mal à propos des mots à la place desquels le bon usage
voudrait un de leurs synonymes.
On reconnaît par cette énumération que
l'ordre indiqué ici est précisément celui d'un cours de grammaire
philosophique, où l'on s'occuperait d'abord des sons de la voix, puis des
lettres, et de l'écriture en général; puis des espèces de mots, puis des
familles de ces mots; enfin de leur syntaxe et de l'élégance ou des agréments
du style.
Mais, par cela même que cet ordre est
si exactement didactique, il n'est peut-être pas le plus avantageux dans la
pratique. En effet, il y a plusieurs de ces fautes qui rentrent l'une dans l'autre, ou qui ne changent de
nom que selon le point de vue. Que j'écrive et que je prononce un live
au lieu d'un livre, c'est une faute de prononciation d'abord; c'est aussi une faute
d'orthographe, puisque le mot est mal écrit; c'est encore un barbarisme,
puisque le mot n'est pas français; c'est de plus une faute contre l'étymologie,
puisque l'r y est une lettre essentielle. Or, tout le monde avouera qu'un étude si
minutieuse sur un mot qui, en définitive, est à rejeter, exigerait un temps, et
une attention qu'on fera beaucoup mieux de consacrer à des connaissances plus directement utiles.
D'où des listes écrites d'incorrections, au hasard desquelles l'oral
marquera encore sa présence discrète en filigrane, comme le timbre est
susceptible d'instiller dans la voix les nuances de la faute et de la fausseté.
B.
Babiches
(les), B. La partie de la barbe qui s'étend des
oreilles au menton. Le vrai nom est barbiches; mais ce mot n'est pas admis dans le
Dictionnaire de
l'Académie : il faut dire les favoris.
Babines,
Babouine, Par. Les babines sont des lèvres; ce mot se
dit surtout de celles de quelques animaux : un singe qui remue les babines. — Babouine est le féminin de babouin. Le babouin est proprement une espèce
de gros singe; on applique ce nom à un jeune garçon badin et étourdi, et on
appelle babouine une petite fille du même caractère.
Babouche. Voy. Bamboche.
Babouine. Voy. Babines.
Bacchanal (Quel)! B. Pour quel grand bruit, quelle orgie bruyante! Dites Quelle bacchanale! Ce nom vient des fêtes de Bacchus, qui se nommaient ainsi et se
célébraient avec beaucoup de désordre.
Bâfrée, s. f. B. Terme populaire et peu relevé pour dire un repas abondant. Dites la bâfre.
Bague
d'oreille, L. v. Dites une boucle d'oreille, un pendant d'oreille.
Baignoir (Un), B. Le vase où l'on se baigne. Dites une baignoire.
Bailler, v. , Bâiller, v. Par. Bailler (a ouvert et bref), v. a. , donner, livrer par convention ou par bail : bailler des fonds. — Vous me
la baillez belle, expression proverbiale, pour dire vous m'en faites accroire. —
Bâiller (â fermé et long), v. n. , ouvrir
involontairement la bouche par ennui, lassitude ou envie de dormir. Ne
confondez pas ces deux mots, ni dans l'écriture, ni dans la prononciation.
Bâiller. Voy. Bailler.
Bâiller, v. , Bayer, v. Par. Bâiller c'est ouvrir involontairement la bouche par ennui, lassitude
ou envie de dormir; bayer, c'est regarder en tenant la bouche ouverte : il faut donc dire bayer aux corneilles et non bâillier.
Bailleur,
Bâilleur, Par. Bailleur, celui qui donne à bail, qui
prête : un bailleur
de fonds, celui qui les avance. Prononcez l'a
bref. Le bâilleur est celui qui bâille fréquemment, soit par habitude, soit par
indisposition.
Balai, s. m. Balais,
Ballet, s. m. Le balai est l'instrument qui sert
à balayer; balais est un adjectif masculin qui ne s'applique qu'à une espèce de rubis :
un rubis balais; le ballet est une pièce de théâtre où l'action et les divers sentiments sont
exprimés par la danse.
Balais. Voy. Balai.
Balant
(Être sur le), B. Mot mal prononcé et mal écrit
: il faut dire être
en balance, c'est à dire en suspens, hésiter sur ce
qu'on veut faire.
Ballet. Voy. Balai.
Balyer, v. B. Nettoyer avec un balai. Dites balayer
Bamboche (il est en) Dites il est en débauche. Bamboche signifie proprement une grande marionnette; on a pris le même mot pour
signifier des parties de plaisir immodérées, dans cette phrase populaire, faire ses bamboches, que l'Académie admet aujourd'hui probablement pour faire ses débauches). N'étendons ce mot qu'à une locution qui n'est pas usitée.
Bamboche,
Babouche, Par. Une bamboche, s. f. est une
marionnette, un pantin; les babouches, s. f. sont des pantoufles
particulières qui nous sont venues du Levant. Dites donc : Donne-moi mes babouches, et non mes bamboches.
Bande, s. f. Barde, s. f. , Par. La bande est une sorte de lien plat et large dont on enveloppe ou on serre
quelque chose; la barde est une ancienne armure faite de lames de fer pour couvrir
le poitrail et les flancs du cheval. Par analogie, on a nommé barde de lard, et non pas bande de lard, comme quelques personnes le
disent mal à propos, une tranche de lard fort mince dont on enveloppe les
chapons, gelinottes, cailles, etc. , au lieu de les larder.
Baracan, s. m. B. Espèce de gros camelot. Dites bouracan : une veste de bouracan.
Barbouillon, s. m. B. Mauvais peintre. Dites un barbouilleur.
Bac
(Passer le). Dites passer le bac. C'est une sorte
de bateau large et plat pour passer une rivière.
Barde. Voy. Bande.
Baronnerie, s. f. B. Titre d'un baron ou l'étendue des terres sur lesquelles s'étendait sa
juridiction. Dites baronnie.
Baselic, s. m. B. Sorte de plante. Dites basilic.
Baser,
Basé, B. Sur quoi vous basez-vous? Ce raisonnement est basé
sur le principe que…. Dites fonder, appuyer. Le mot baser
n'est pas français, et il a absolument le même sens que fonder.
Basilic, s. m. ,
Basilique, s. f. Par. Le basilic est une plante annuelle, et dans la Bible un serpent monstrueux. Une basilique était primitivement un palais de roi; aujourd'hui, c'est une église
principale et magnifique.
Basilique. Voy. Basilic.
Basse
(Cette femme est assise trop), L. v. Dites trop
bas. L'adjectif bas est ici pris adverbialement;
il s'applique au lieu et non à la personne.
Bassine, s. f. ,
Bassinoire, s. f. Par. La bassine est un vase profond, dans lequel on fait des confitures, etc. ; la bassinoire est une bassine avec un couvercle percé de trous, où l'on met du feu
pour chauffer un lit.
Bassinoire. Voy. Bassine.
Baste (La) d'un habit, B. Dites la basque.
Batture, s. f. , B. Querelle où il y a eu de grands coups donnés. Dites une batterie.
Bayer. Voy. Bâiller.
Becfi, s. m. B. Petit oiseau que l'on voit souvent becqueter les figues. Dites un becfigue.
Béchée, s. f. B. Ce qu'un oiseau prend avec son bec pour donner à ses petits. Dites
une becquée.
Bége (Linge), B.
Tirant sur le jaune. Dites linge bis.
Béguenauder, v. , B. S'amuser à des riens. Dites baguenauder. — Le substantif est
baguenaudier, et non pas baguenaudeur; et il se confond ainsi avec le
nom de l'arbre qui produit les baguenaudes.
Béguer, v. , B. Dites Bégayer. Parler en répétant ses syllabes, comme les bègues.
Belsamine, s. f. B. Ecrivez et prononcez balsamine.
Berdouiller, v. B. Ecrivez et prononcez bredouiller.
Bergère, s. f. Petit oiseau. L. v. Dites bergeronnette.
Berlan, s. m. B. jeu de cartes; et au pluriel, lieu où l'on joue aux jeux de hasard,
maison de jeu. Dites brelan.
Berlandier, s. m. Celui qui hante les brelans, joueurs de profession. Dites brelandier.
Berloque, s. f. B. Bijou ou curiosité de peu de valeur. Dites une breloque, des breloques.
Bertrelles (Des), B. Dites des
bretelles.
Besoin
(Avoir de). Solécisme inexcusable. Dites avoir besoin. J'en ai de
besoin, tout ce que vous aurez de besoin, sont des
locutions très-vicieuses que ne sont en usage que chez ceux qui ignorent
absolument le français.
Bête, s. f. ,
Bette, s. f. Par. Bête est le nom générique de
tous les animaux, l'homme excepté; la bette est une plante potagère.
La prononciation de ces mots diffère autant que leur écriture.
Bette. Voy. Bête.
Bise, s. f. ,
Brise, s. f. Par. La bise
est un vent froid et sec qui vient du nord-est. La brise est un vent frais qui
souffle le soir sur les côtes de la mer.
Blaguer, v. B. Dire des blagues, c'est-à-dire faire des plaisanteries de mauvais
goût, se moquer de quelqu'un, hâbler, craquer. Ce mot est tiré du mot blague, qui signifie au propre un petit sachet de toile ou de peau où les
fumeurs mettent leur tabac. On a pris ce mot, plus tard, dans le sens de
moquerie, plaisanterie, bourde, qui n'est pas admis par l'Académie, et de ce
dernier sens on a tiré blaguer, qui n'est ni français, ni, surtout,
de bon ton.
Blagueur, s. m. B. Celui qui blague. Dites : un plaisant, un railleur, et quelquefois même un menteur.
Blanchirie, s. f. B. Lieu où l'on blanchit le linge. Dites blanchisserie.
Bleu,
Dieu, Par. Nous ne réunissons ici ces deux paronymes
que pour rendre compte de quelques formules anciennes de jurement ou de colère
: morbleu, corbleu,
sambleu, ventrebleu, vertubleu; ces mots sont pour la mort-Dieu, le corps-Dieu, le sang-Dieu, le ventre-Dieu, la vertu-Dieu. L'emploi de ces formules étant, avec raison, accusé d'irrévérence, on
a voulu, si l'on ne pouvait en faire perdre absolument l'habitude, en modifier
au moins la syllabe la plus importante. On a dit d'abord morbieu, corbieu, et puis morbleu,
corbleu.
Bleuse, B. Féminin de bleu. Dites bleue.
Bleusir, v. B. Devenir bleu. Dites bleuir
Boire,
emboire, Par. S'emboire est un terme de peinture; il se
dit d'un tableau dont les couleurs deviennent mates et ne se discernent pas. Ce tableau s'emboit, ces
couleurs s'emboivent. — Quand on parle du papier mal
collé, que l'encre traverse, il faut dire ce papier boit et non s'emboit.
Bon
marché. Locution signifiant un prix avantageux. Dites acheter, vendre à bon marché, et non pas acheter bon marché; la préposition est
nécessaire.
Bonne
heure (Il est venu à), L. v. Dites : Il est venu de bonne heure, pour venu
tôt, et non pas venu à bonne heure. Au
contraire, on dit à
la bonne heure pour marquer que l'on consent à quelque
chose.
Bonnette, s. f. B. Coiffe de nuit. Dites un bonnet de nuit.
Blocaille, s. f. , Rocaille, s. f. Par. On appelle blocaille ou blocage, de menus moellons, de
petites pierres qui servent à remplir les vides dans un ouvrage de maçonnerie.
On nomme rocaille des cailloux qui servent à orner une grotte en imitant le roc.
Borborisme, s. m. B. Bruit causé dans les intestins par des gaz qui s'y développent. Ce
mot, usité autrefois, ne l'est plus. On dit borborygme, conformément à
l'étymologie du mot grec d'où il est tiré, et qui signifie murmure.
Bornes
et Limites, Pl. Newton a reculé les bornes et les limites de la physique. Dites les bornes de la physique, ou les limites de la physique.
Bosseler, v. Bossuer, v. , Par.
Bossuer de l'argenterie, c'est y faire des bosses en
la laissant tomber; bosseler, c'est travailler l'argenterie en bosse. Ne confondez pas ces mots qui
ont un sens contraire.
Bossuer. Voy. Bosseler.
Bouliche, s. f. , Bourriche, s. f. , Pouliche, s. f. Par. Une bouliche est un vase dont on se sert dans les vaisseaux; mais ce mot n'est pas
admis par l'Académie. Une bourriche est un panier long pour envoyer du
gibier, du poisson, des huîtres. Une pouliche est une jeune cavale.
Boudinoir (Un), B. Entonnoir pour faire du boudin. Dites une boudinière.
Bouffer, v. B. Manger avec excès. Dites bâfrer.
Bouille
(Le café), B. Dites Le café bout, le sang me bout
dans les veines, etc.
Bouillu, B. Participe de Bouillir. Dites bouilli : des châtaignes bouillies et non bouillues.
Bouis, s. m. B. Ce mot, employé autrefois, n'est plus usité. On écrit et on prononce buis.
Boulvari, s. m. B. . Dites hourvari.
Bourrée, s. f. , Brouée, s. f. Par. La bourrée désigne un fagot de menu bois : un feu de bourrée. C'est aussi
une danse champêtre et l'air de cette danse : danser la bourrée. La brouée est un brouillard, une bruine : la brouée tombe.
Bourriche. Voy. Bouliche.
Brasse-corps (Prendre quelqu'un à), L. v. Dites : le prendre à bras-le-corps.
Bretonne (Cet arbre), B. Dites qu'il boutonne.
Brignon, s. m. , B. Sorte de pêche plus petite, moins juteuse et d'une couleur plus brune
que la pêche ordinaire. C'est un brugnon qu'il faut dire.
Brillant
éclat (un), Pl. . Tout éclat est brillant.
Brise, Voy. Bise.
Brodure (La) d'une robe, d'un bonnet, B. Dites la broderie.
Brouée.
Voy. Bourrée.
Brouillasse (Il) B. Dites il
buine. Le verbe brouillasser, s'il était
français, ne signifierait rien de plus que brouiller, ce qui n'est pas la
même chose que faire
du brouillard.
Brusse (Il) B. Dites il
bruine
Brut,
te est un adjectif dont le féminin brute
se prend substantivement : une brute, c'est-à-dire une bête farouche. Mais le masculin ne doit pas prendre l'e muet, et Voltaire a fait un
solécisme en nous appelant les brutes ouvrages de la Divinité.
Buche
de bois, Pl. Dites une bûche. La bûche est
naturellement de bois; c'est lorsqu'elle est d'une autre matière qu'on doit la
désigner : une bûche
de charbon de terre, de coke, de terre cuite.
Buée, s. f. Ancien mot français, aujourd'hui inusité. Dites la lessive.
Buffeteries, s. f. B. Tout ce qui, dans l'équipement, est fait d'une peau préparée à la
manière de la peau de buffle. Dites buffleteries.
Busc, s; m. Busque, v. , Buste, s. m. , Par. Le busc est une espèce de lame d'ivoire, de bois, de baleine, d'acier, qui
sert à maintenir le devant d'un corps de jupe, d'un corset; busque est un temps du verbe busquer, mettre un busc. Un buste
est un ouvrage de sculpture représentant la tête, le cou, le haut de la
poitrine et les épaules d'une personne. Dites donc le buste
et non pas le busque du président.
But (Remplir son), L. v. On dit atteindre un but, atteindre son but, et non pas remplir son but.
Buyanderie, B. Lieu où l'on fait la buée (Voy. Ce mot), c'est-à-dire la lessive.
Dites buanderie.
C.
Ça
(Comme). Pléonasme aussi mauvais qu'il est
insignifiant, et que beaucoup de personnes emploient dans le langage pour se
donner le temps de chercher et de trouver ce qu'elles ont à dire : Il a dit, comme ça, que vous
veniez… J'ai fait, comme ça, plusieurs traités… , etc.
Ces mots n'ont aucun sens; retranchez-les donc absolument; ils ne font que
gâter et dégrader le langage. — Voy. Comme.
Cacaphonie, s. f. B. Mauvais sons, mots ou phrases d'une prononciation dure et
désagréable. Dites cacophonie
Cadavre
inanimé (Un), Pl. Dites un cadavre. Tout cadavre est inanimé.
Caféière, s. f. , Cafetière, s. f. Par. Une caféière est un endroit planté de cafiers ou arbres qui portent le café. Une cafetière est un pot pour faire ou pour mettre le café que l'on va servir.
Cafetière. Voy. Caféière.
Caffard, s; m. L. v. Insecte hideux qui se tient ordinairement dans la farine, et qui s'en
nourrit. Dites une
blatte.
Cahotement, s. m. , B. Dites cahot.
Calendrier
grec (Il m'a renvoyé au), L. v.
Dites aux calendes
grecques. — Voy. Ci-dessus, p. 5.
Calfater.
Voy. Calfeutrer.
Calfeutrer, v. Calfater, v. , Par.
Calfeutrer, c'est boucher les fentes d'une porte,
d'une fenêtre, soit avec du feutre, soit autrement; calfater, qui n'est peut-être
qu'une corruption de calfeutrer, est un terme de marine : il
signifie remplir de force les jointures des bordages avec une étoupe grossière
qui, par son élasticité, empêche l'introduction d'un grande quantité d'eau dans
le navire.
Calmandre, B. Sorte d'étoffe de laine. Dites calmande : un habit de calmande.
Calvi,
Calvine (Pomme), B. Dites pomme calville ou de
calville.
Cambuis, B. Écrivez et prononcez cambouis.
Campot (On nous a donné), B. Ecrivez campos. C'est un mot latin qui
signifie les champs. Il désigne le congé qu'on donne à des écoliers, à qui l'on permet
ainsi de courir les champs. On l'applique dans le sens familier à tous les
congés : Nous avons
campos aujourd'hui.
Canaux, s. m. , Canots, s. m. , Par.
Canaux, pluriel de canal, doit s'écrire aux.
Un canot est une sorte de petite embarcation à voiles et à rames; il fait au
pluriel canots.
Cane, s. f. , Canne, s. f. Par. La cane est la femelle du canard : œuf de cane, cane sauvage. La canne
est le nom de diverses plantes analogues au roseau, et, par suite, le bâton sur
lequel on s'appuie en marchant.
Caneçons, s. m. , B.
Sorte de culotte de toile ou de coton. Dites caleçons. Ce mot s'emploie surtout au pluriel.
Canne. Voy. Cane.
Canots. Voy. Canaux.
Capable, adj. Ce mot ne se dit des choses que dans le sens de la capacité
physique, de la contenance matérielle : Une salle capable de contenir cinquante personnes. Dans les autres sens il ne se dit que des personnes. Ainsi ne dites pas
: un propos capable
de nuire, mais un propos qui peut nuire, ou susceptible de nuire.
Capot, adj. , Capote, s. f. Par.
Capot est un adjectif des deux genres; il s'applique
au joueur (homme ou femme) qui, dans une partie, n'a fait aucune levée : cet homme est capot, cette
femme est capot. Une capote est un manteau de soldat,
une coiffure de femme, etc. Gardez-vous donc bien de dire qu'aux jeux de
cartes, une femme est capote.
Capote. Voy. Capot.
Capriole
(Faire la), B. Ce mot, conforme à l'étymologie latine (capra,
qui veut dire chèvre) était usité autrefois; il ne l'est plus aujourd'hui. Il faut dire cabriole.
Capuche, s. m. B. Dites capuce ou capuchon.
Car
en effet, Pl. Dites seulement car,
ou bien en effet; les deux mots signifient la même chose.
Carats
ou Karats (A trente-six), L. v. Cette expression, et
quelques autres employées pour exprimer une qualité poussée très-haut, est un
barbarisme et un non-sens. Le carat, qui était primitivement un petit poids,
a été employé pour exprimer la pureté de l'or. Dans ce sens, il veut dire un vingt-quatrième. De l'or à vingt-deux carats est celui où il y a deux vingt-quatrièmes
d'alliage; il n'y en a plus qu'un dans l'or à vingt-trois carats; enfin, l'or à
vingt-quatre carats est l'or parfaitement pur. Par une assimilation naturelle,
on dit de quelqu'un qu'il est bête, qu'il est pédant à vingt-deux, à
vingt-trois carats, comme La Fontaine a écrit : "Quoique ignorante à vingt et trois carats. " Mais, dès qu'on dépasse vingt-quatre carats, l'expression n'a
plus aucune espèce de sens, et il est absurde de l'employer.
Carnier, s. m. Sac où l'on met le gibier que l'on a tué. Dites carnassière, s. f. — Il faut cependant remarquer sur ces deux mots que le premier
est aussi bien composé et aussi juste que l'autre l'est peu. Le latin caro, carnis, d'où nous avons tiré notre mot chair, nous a donné aussi
anciennement le mot carne (Voy. Roquefort, Glossaire de la langue romane), que nous
retrouvons encore dans carnage, charnel, etc. Or, le carnier est essentiellement le sac où l'on met la carne (la chair), c'est-à-dire
le gibier qu'on vient de prendre, comme l'aiguiller est l'étui où l'on met
les aiguilles, le baguier le coffret à bagues, le brasier le vase où l'on met la braise, etc. La
carnassière est loin d'avoir un sens aussi net. C'est le féminin de carnassier, qui s'applique aux animaux et signifie qui se repaît de chair crue,
qui en est fort avide. C'est donc par une extension très-peu naturelle qu'on a
appliqué à une sacoche un nom qui ne peut lui convenir, tandis que le mot carnier avait tout pour lui. C'est un exemple qui montre que le peuple est
souvent guidé par l'analogie beaucoup mieux que les savants.
Carpot, s. m. B. Petite carpe. Ecrivez carpeau.
Carquelin, s. m. B. Espèce de gâteau. Dites craquelin.
Cartier, s; m. Quartier, s. m. , Par. Le cartier est celui qui fait ou vend des cartes à jouer. Quartier est un mot dérivé de quart; il signifie, en général, une division
dans un tout : quartier
d'agneau, quartier de pomme; que se passe-t-il dans vos quartiers?
Cas
(Faire du), L. v. On dit faire cas de quelqu'un, et non faire du cas. Toutefois, on dit bien j'en fais beaucoup de cas.
Castonade, s. f. B. Sucre non raffiné. Dites cassonade.
Castrole, s. f. B. Vase en cuivre étamé. Dites casserole.
Casuel
(Objet), L. v. dites objet fragile, cassant. Casuel
est un substantif; il signifie ce qui vient par cas, par accident : le casuel de cette place est
de 500 fr.
Cataplame, s. m. B. Ecrivez et prononcez cataplasme. Autrefois l's ne
se prononçait pas; aujourd'hui on la fait sonner fortement.
Catarate, s. f. B. Maladie de l'œil. dites cataracte.
Catéchisme, s. m. , Catéchiste, s. m. Par. Le catéchisme est le livre qui contient les principales vérités de la religion. Le catéchiste est l'homme chargé de l'enseigner.
Catéchiste.
Voy. Catéchisme.
Cayer, s. m. B. Ecrivez cahier
Ceinturonnier, s. m. B. Marchand de baudriers, de ceinturons. Dites ceinturier.
Centaure, s. m. Stentor, s. m. Par. Le centaure était un monstre fabuleux, moitié homme et moitié cheval; Stentor était un guerrier grec dont la voix, dit Homère, était aussi forte que
celle cinquante hommes. Dites dons une voix de Stentor et non une
voix de centaure.
Centime
(Il ne me reste pas une), Sol. Dites un centime. Le centième est la centième partie du franc; il est du masculin, comme un centième, qu'il remplace, et comme toutes les subdivisions de nos mesures
nouvelles.
Cercifi, s. m. B. racine potagère. Dites salsifis
C'est
à vous à sortir, Sol. Dites C'est à vous de sortir, c'est
à mon tour de parler, etc. Il arrive souvent qu'on
redouble, dans ces locutions, la préposition à; c'est encore un solécisme
produit par la rapidité du langage, et auquel on fait bien de prendre garde.
Outre que ce redoublement amène une sorte d'obscurité dans la phrase, il est
très-difficile de l'analyser d'une manière satisfaisante.
Chaillote, s. f. B. Espèce d'ail. Dites échalote.
Chaîne, s. f. Chaire, s. f. Cher, adj. ,
Chère, s. f. Par. On appelle chair les parties molles des animaux, celles que l'on peut manger, et, par
analogie, ce qu'on mange dans les fruits et les végétaux. La chaire est un siège élevé d'où l'on parle pour enseigner quelque chose. Cher
est un adjectif qui s'applique à ce que nous aimons ou qui a un grand prix pour
nous. Chère est un substantif féminin qui exprime surtout la manière de se nourrir
: bonne chère,
maigre chère.
Chaircuterie, s. m. B. Dites Charcuterie.
Chaircutier, s. m. B. dites Charcutier
Chaire. Voy. Chair.
Chambellan, s. m.
Chambrelan, s. m. Par. Les chambellans sont des seigneurs qui servent un roi, un prince dans l'intérieur de
son palais; le chambrelan est un ouvrier qui travaille en chambre. Le dernier terme est
populaire et peu usité.
Chambrelan, B. Voy. Chambellan.
Changez-vous, L. v. Dites changez
de linge, de vêtements On ne dit pas se changer de linge, et, par conséquent, il faut dire à quelqu'un dont le linge ou les
vêtements sont mouillés : changez de linge, changez d'habit, et non pas changez-vous.
Chanvre
(La), Sol. Ce mot, féminin autrefois, est
aujourd'hui du masculin. Dites donc le chanvre, du chanvre et non la ou
de la chanvre
Chaque.
Cet adjectif veut son substantif après lui. Dites ces livres me coûtent cinq francs chacun, et non pas cinq francs chaque. Au contraire, vous direz
bien chaque livre me
coûte cinq francs.
Charbon
de pierre, L. v. Dites houille ou charbon de terre.
Charbonnaille, s. f. B. Dites du
poussier de charbon.
Charpi
(Du), B. Dites de la charpie.
Chartier, B. Celui qui conduit une charrette. Ce mot n'est pas français quoique
La Fontaine l'ait employé dans l'une de ses fables. Il faut dire charretier.
Chas.
Voy. Chasse.
Chasse, s. f. ,
Châsse, s. f. , Chas, s. m. , Par.
La chasse est l'action de chasser. Une châsse est le coffre où l'on
conserve des reliques. Le chas est le trou de l'aiguille. Ne dites donc
pas la chasse ni la châsse d'une aiguille.
Châsse. Voy. Chasse.
Chaud, adj. ,
Chaux, s. f. Par. Chaud est un adjectif dont le
féminin est chaude.
Chaux est un substantif, c'est le nom d'une substance
très-répandue dans la nature, et fort employée dans le bâtiment.
Chaudier, s. m. , B. Ouvrier qui fait la chaux. Dites chaufournier
Chaufferette.
Voy. Chauffoir.
Chauffoir, s. m. , Chaufferette, s. f. Par.
La chaufferette est une sorte de réchaud dont se
servent les femmes pour se chauffer les pieds. Un chauffoir est une salle chaude
où l'on se réunit pour se réchauffer.
Chaux. Voy. Chaud.
Chêne. Voy. Chaîne.
Cher.
Voy. Chair.
Chère. Voy. Chair.
Chèvrefeuil, B. Boileau a employé ce mot dans l'épitre à son jardinier.
Écrivez chèvrefeuille
Chiffon
de pain, L. v. C'est-à-dire un gros morceau. Dites un quignon de pain ou un grignon. Ce sont des termes populaires.
Chipoteur,
euse, B. Dites chipotier, ière.
Chirugien, s. m. B. Dites chirurgien.
Chœur, s. m. ,
cœur, s. m. Par. Le chœur est une réunion de
personnes qui chantent ensemble; c'est aussi la partie de l'église où l'on
chante l'officie divin. — Le cœur est cet organe musculaire, creux, placé
dans la cité de la poitrine et qui chasse le sang dans tout le corps. La
prononciation de ces mots est toujours la même; mais l'orthographe en doit
rester très-différente.
Chou-croute
(De la), B. Chou aigri et salé. Dites de la choucroute (sans trait d'union). On a remarqué que ce mot, venu de l'allemand, en
avait été si mal tiré que le mot dont a fait chou signifie aigre,
et que celui dont on a fait croute est justement celui qui veut dire chou.
Enfin, quelle qu'en soit l'origine, le mot choucroute est devenu français :
au moins ne faut-il pas indiquer par le trait d'union une composition qui n'a
jamais été réelle et ne peut qu'induire en erreur.
Chrème, s. m. , Crème, s. f. Par. Le chrême, ou le saint-chrême, est l'huile d'olive mêlée de baume et consacrée par l'évêque pour
certains sacrements. La crème est la partie la plus substantielle et
la plus savoureuse du lait.
Claie.
Voy. Clef.
Chrysocale
(Une montre en ). Dites chrysocalque. C'est un mot tiré
du grec qui signifie or et bronze, c'est-à-dire cuivre doré, et s'applique à tout ce qui est cuivre doré ou cuivre très-brillant.
L'Académie, toutefois, admet le mot chrysocale dans son Dictionnaire.
Cicatricée
(Cette blessure est), B. Dites cicatrisée. On dit une cicatrice; mais le verbe et le participe
adoucissent l'articulation finale : on dit cicatriser.
Cintième, adj. B. Celui qui vient après le quatrième. Il faut dire le cinquième.
Clairinette, s. f. B. Instrument de musique. Dites clarinette
Clairvoie, solécisme et mauvaise orthographe. Ecrivez claire-voie : Une partie des
jardins est murée; le reste est entouré d'une claire-voie.
Clarteux,
euse, B. Dites clair ou éclairé : Cette chambre est bien claire, et non pas clarteuse.
Clavelée,
Gravelée, Par. La clavelée, ou le claveau, est une maladie contagieuse qui attaque surtout les brebis et les
moutons; gravelée est un adjectif féminin qui n'est usité que dans cette locution : cendre gravelée. C'est de la cendre faite de lie de vin calciné. Ne dites donc pas cendre clavelée.
Clef,
Claie, Par. Une clef ou clé
est un instrument de fer ou d'acier qui sert à ouvrir ou fermer une serrure.
Une claie est un ouvrage à claire-voie en forme de carré long et fait de
brins d'osier ou de branches d'arbres entrelacés. Dites donc : traîner sur la claie et non pas sur la clé.
Clérinette
(Une), B. Instrument de musique. Dites une clarinette. C'est le même mot que clairinette.
Climusette ou Crimusette, s. f. B. Jeu d'enfants où l'un ferme les yeux tandis que les autres se cachent
pour qu'il les cherche. Dites jouer à cligne-mussette, à la cligne-mussette.
Clinquailler, s. m. B. Dites quincaillier.
Clinquettes
(Des), s. f. B. Petit instrument de
percussion qu'on tient entre les doigts. Dites des cliquettes.
Clou-à-porte,
Clou-porte, s. m. L. v. Insecte. Dites cloporte
Coasser, v. , Croasser, v. , Par.
Coasser exprime le cri de la grenouille, et croasser celui du corbeau. Ces deux mots ont été faits à l'imitation du son
naturel.
Cochonnade
(Manger de la), B. Dites du porc.
Cocodrille, s; m. B. Animal amphibie. Dites crocodile : Le Nil a beaucoup de crocodiles.
Cocombre, s; m. B. Sorte de citrouille allongée. Dites concombre, m.
Cœur. Voy. Chœur.
Cœur
(Joli comme un). Mauvaise expression; un cœur n'a rien
de joli. Dites joli tout simplement, ou ajoutez-y le nom d'un objet qui soit en effet un
modèle de cete qualité : joli comme un amour, joli comme un ange.
Coigne
du jambon (La), B. Dites la couenne, que l'on prononce aujourd'hui le plus souvent couane.
Coitre, s. f; B. Lit de plumes. Dites une couette.
Col.
Aujourd'hui on prononce et on écrit cou;
on dit col pour la partie du vêtement qui entoure le cou : un col de chemise, un faux-col.
Colaphane, s. f. B. sorte de résine pour frotter les archets. Le vrai nom serait colophone, puisque c'est de la ville de Colophon qu'on a d'abord apporté cette
résine; mais l'usage a définitivement admis colophane.
Colidor, s. m. , B.
Long couloir sur lequel s'ouvrent les portes de
plusieurs appartements. Dites corridor.
Colorer, v. , Colorier, v. , Par.
Colorer, c'est donner de la couleur : le soleil colore les fruits. Colorier, c'est mettre de la couleur : un
peintre colorie ses tableaux.
Colorier. Voy. Colorer ;
Combien
du mois (le), L. v. Dites le quantième.
Combustible. Voy. Comestible.
Comestible, s. m. Combustible, s. m. , Par.
Comestible, c'est ce qu'on peut manger : Il y a à
Paris des marchands de comestibles très-renommés. Combustible, c'est ce qui peut être brûlé : le bois, la houille, sont des combustibles.
Comme La conjonction comme est employée à tout instant chez nous
dans ces comparaisons vives et rapides qui forment un des caractères les plus
saillants et les plus précieux de notre style familier : il était comme
une âme en peine, courir comme un lièvre, il travaille comme
un cheval, etc. Mais ces comparaisons, dans la bouche des gens sans imagination
ou dont l'esprit ne leur suggère pas à l'instant même la similitude dont ils
ont besoin, dégénèrent promptement en phrases insignifiantes ou même contradictoires
avec ce qu'ils veulent dire. L'un vous dit, par exemple, qu'on est heureux comme tout, pauvre
comme tout. Le terme de la comparaison n'est-il pas
bien choisis, et tout n'est-il pas un beau symbole de bonheur ou de pauvreté? Il faut dire heureux comme un roi, pauvre
comme Job : l'un parce que, dans l'opinion du
vulgaire, les rois, étant riches ou puissants, devaient se trouver fort
heureux; le second, parce que Job fut en effet le plus pauvre de tous les
hommes quand le Seigneur lui eût ôté ses biens. Toutes les fois que la
comparaison n’a pas un sens bien net, c’est un déplorable pléonasme, qu’il vaut
beaucoup mieux supprimer en disant seulement ce qu’on veut dire : il est heureux, il est pauvre, puisque les mots qu’on y ajoute n’ont pas de sens. — Voy. Ça, Cœur, Diable, Tout.
Comme
autant. Voy. Autant comme.
Comme
de juste, L. v. L’Académie qui admet cette expression au
mot de, ne la consigne pas au mot juste. Il est à croire que c’est par erreur
qu’elle l’a admise : il faut dire comme de raison ou comme il est juste. La première expression a mené sans doute à la seconde; mais c'st à
tort, car on comprend très-bien la phrase comme de raison, abrégée de comme il est de raison; tandis que comme il est de juste ne peut ni se dire ni se
concevoir. On dira toujours comme il est juste.
Commode. Appliqué aux personnes, L. v. : Il n'est pas riche, mais il est commode; c'est un barbarisme. Dites il est à son aise.
Companie, s. f. B. Dites et écrivez compagnie
Comparition, B. Dites comparution, quoique l'on dise apparition et disparition.
Compendieusement, adv. Pour dire avec détail et d'une manière prolixe. C'est un mot
pris à contre-sens, à cause de sa
longueur, qui fait croire aux ignorants qu'il représente la longueur du
discours; il veut, au contraire, dire en abrégé. Dans le sens qu'on
lui donne à tort, il faut dire longuement, prolixement, etc.
Compère
et compagnon, barbarisme dans la phrase. Dites pair et compagnon. Pair signifie proprement égal. On dit aussi traiter traiter quelqu'un de pair à
compagnon, c'est-à-dire le traiter d'égal à égal.
Comptant,
content. Par. Comptant est le participe du
verbe compter; il est pris d'une manière absolue dans les locutions payer comptant, payer en
argent comptant. — Content est un adjectif : il signifie
joyeux, bien aise,
satisfait. Ces deux mots se prononcent toujours de
même; mais on voit que le sens est bien différent et qu'il faut se garder d'en
confondre l'écriture.
Confle, s. f. B. Petite ampoule sur la peau : Sa brûlure lui fait venir une confle. Dites une cloche.
Confusionner, v. B. Dites confondre,
rendre confus, couvrir de confusion.
Conjecture, s. f. Conjoncture, s. f. Par. Une conjecture est la supposition de ce qui arrivera plus tard : Votre conjecture s'est
vérifiée. Une conjoncture, c'est l'ensemble
des circonstances où l'on est placé : je ne savais trop que faire dans cette conjoncture
Conjoncture. Voy. Conjecture.
Conséquence (Par) L. v. Dites en
conséquence. L'autre expression n'est pas admise en
français, quoique assurément, il soit impossible d'en donner une bonne raison,
sinon que c'est l’usage. — Voy. En conséquent.
Conséquent ainsi (par) Voy. Ainsi par conséquent.
Conséquent
donc (par) Voy. Donc par conséquent.
Conséquent
(en) Dites par conséquent Il est remarquable que l'usage
exige avec chacun de ces mots une préposition qu'il rejette avec l'autre; il
faut dire en
conséquence, et on ne peut dire en conséquent; il faut dire par conséquent, et l'on ne peut dire par conséquence. L'usage a de singulières bizarreries.
Conséquente
(Une somme) L. v. Dites une
somme considérable. Conséquent signifie qui suit ou qui se
suit; un raisonnement conséquent est un raisonnement
qui se suit bien. Une somme conséquente est un barbarisme.
Consommer, v. , Consumer, v. Par.
Consommer, c'est achever, accomplir et détruire une
chose par l'usage qu'on en fait : consommer un sacrifice. Consumer, c'est détruire par le feu, réduire à rien.
Consulte, s. f. B. Conférence pour délibérer sur quelque affaire. Dites consultation : Appeler plusieurs médecins en consultation.
Consumer. Voy. Consommer.
Content.
Voy. Comptant.
Contenue, s. f. Cette terre est de la contenue de dix arpents. Dites
de la contenance.
Contre
quelqu’un (être assis). On est assis près
ou auprès de
quelqu'un, et non pas contre lui.
Contre
quelqu’un (passer) L. v. Dites auprès de quelqu'un.
Contredire
(sans) L. v. Certainement, indubitablement. Dites sans contredit. Sans contredire aurait un autre sens.
Contredites
(vous me), B. Il faut dire vous me contredisez. Voy. Interdites.
Contravention s. f. B. Dites contravention, quoique l'on dise contrevenir et non pas contravenir.
Convoitiser, v; B. Désirer vivement une possession; dites convoiter. Le substantif convoitise vient de ce verbe; ce n'est pas le verbe qui vient du substantif.
Corbillonier, s. m. B. Ouvrier qui fait des vans et des corbeilles. Dites vannier.
Cordelage
du bois, B. Dites le cordage; et de même corder le bois, et non le cordeler.
Cornent
(Les oreilles me), L. v. Dites me tintent; c'est une expression proverbiale et familière. On dit, au contraire corner quelque chose aux
oreilles de quelqu'un, pour le lui répéter sans cesse,
l'en fatiguer.
Cornet
de poële, L. v. Dites tuyau, s. m.
Corporé
(cet homme est bien), B. Dites qu'il est corpulent.
Corporence, B. , Dites corpulence.
Corps
et à cris (à) Écrivez a cor et a cri. C'est une
expression tirée de la vénerie : on chasse à cor et à cris, c'est-à-dire avec un
grand bruit.
Corse s. f. Écorce, s. f. Par. La Corse est une île de la Méditerranée, et un département de la France. L'écorce est la peau qui enveloppe le tronc ou les branches d'un arbre, ou son
fruit. Ne dites donc pas la corse d'une orange.
Corsonaire, s. m. B. Racine bonne à manger et qui approche du salsifis. Dites scorsonère.
Cosse, s. f. Écosse, s. f. Par. La cosse (s. f. ) est l'enveloppe de certains légumes, comme les pois, les
fèves. L'Écosse est un pays. Dites donc des cosses de pois, et non pas des écosses. Ce dernier mot, dans le sens qu'on lui donne ici, est tiré sans
doute, mais mal à propos du verbe écosser, qui signifie ôter la cosse des pois,
des fèves.
Cou.
Voy. Col.
Cou-de-pied, s. m. , Coude-pied, s. m. , Coup
de pied, Par. — Coude-pied et cou-de-pied sont deux orthographes également admises pour désigner la partie
supérieure du pied, près de son articulation avec la jambe. Coup de pied exprime un coup donné avec le pied. Le son est absolument le même que
celui des mots précédents; mais l'écriture diffère beaucoup, et il faut bien
observer cette différence.
Coude-pied. Voy. Cou-de-pied.
Coup
de pied Voy. Cou-de-pied
Couper
pique, coeur etc. L. v. Aux jeux de cartes,
couper, c'est donner de l'atout au lieu de la couleur qui est sur la table. Il
faut probablement dire : couper de cœur, couper de pique, de trèfle, de carreau, et non couper
cœur, pique, carreau. L'Académie n'admet ni l'une ni
l'autre expression; mais il faut bien que l'une d'elles soit française, et la
grammaire nous indique facilement la bonne.
Couperon, s. m. B. Sorte de couteau de boucher ou de cuisinier; dites couperet.
Courle, s. f. B. Sorte de citrouille. Dites courge.
Copule-bouteille, s. f. B. Ditres calebasse, s. f. ou gourde, s. f.
Court. C'est un adjectif pris d'une manière absolue. Il faut donc dire : Je suis court d'argent, et non je
suis à court. Il est resté court, et non à court. Au contraire, quand on est pressé par le temps ou par quelqu'un, on
dit qu'on est pris
de court, et non pas qu'on est pris court.
Courterolle, s. f. B. Insecte qui mange les racines des laitues. Dites courtillière, s. f.
Couserai
(Je) B. Futur de coudre. Dites je coudrai, suivant la règle générale. Je couserai, usité autrefois, ne l'est plus
depuis longtemps.
Coutance, s. f. Coutanceux, adj. B. Dites coût ou dépense;
coûteux ou dispendieux.
Coutumace, m. B. Accusé qui refuse de se présenter devant un tribunal. Dites un contumax.
Coutumace, s. f. Refus d'un accusé de se présenter en jugement. Dites contumace (la).
Couverte
d’un lit (La) L. v. Dites la couverture. La couverte d'un vase. Dites le couvercle.
Couvis
(Un oeuf) B. Œuf à demi couvé et gâté. Écrivez et
prononcez un œuf
couvi.
Crainte. Avec la préposition de et la conjonction que,
on forme la locution conjonctive de crainte que : De crainte qu'il ne s'en aperçoive, de crainte qu'il
ne se fâche. C'est un solécisme que de retrancher le de.
On ne doit pas plus dire crainte qu'il ne se fâche que peur qu'il ne se fâche.
Craïon, B. Dites et écrivez crayon.
Cramail
(Un), B. Dites une crémaillère.
Craque, s. f. B. Menterie, hâblerie, gasconnade renforcée. Dites une craquerie.
Crasser
ses habits, y laisser ou y mettre de la crasse. B.
Dites encrasser ses
habits.
Crasserie, B. Vilaine et sordide avarice. Dites ladrerie ou crasse. Ce dernier mot, admis dans le sens d'une avarice qui va jusqu'à la
malpropreté, n'a ce sens que par extension.
Crème.
Voy Chrème.
Crépissage, B. L'action d'enduire une muraille de chaux et de mortier. Ce mot,
quoique bien nécessaire, n'est pas admis; mais les grammairiens qui conseillent
de dire crépissure se trompent. La crépissure ou, comme l'on dit plus
ordinairement, le crépi, est l'enduit lui-même, et non l'acte dont il s'agit. L'entrepreneur
de peinture fournit le crépi ou la crépissure. Mais que doit-il
payer à son ouvrier, sinon le travail que celui-ci a donné, c'est à dire le crépissage ?
Cresane
(Poire de). Dites poire de crassane. Cette
recommandation n'est plus à faire, aujourd'hui que l'Académie admet cresane comme usité, bien qu'elle remarque que crassane est plus exact.
Creusane
(De la) B. Sorte de poire. Dites crassane ou cresane.
Crimusette.
Voy. Climusette.
Croasser. Voy. Coasser ;
Croc. L. v. C'est un croc, c'est-à-dire un voleur. Dites un escroc.
Cloche
pied (A) L. v. Dites à cloche-pied, parce que l'on cloche (ou boite) sur un seul pied.
Croison, s. m. B. Le bras, le travers d'une croix. Dites croisillon.
Crue
de la toile, L. v. Dite de la toile écrue.
Cueiller
des fruits ou des fleurs, B. Ce verbe, usité dans l'ancien
français, et dont il reste des traces au présent de l'indicatif, je cueille et au futur je cueillerai, n'est plus admis. Dites cueillir.
Cuiller
(une)
de confitures, L. v. Dites une cuillerée; cuiller est le nom de l'instrument; cuillerée ce qu'il contient.
Cuiller
(donnez un), Sol. Dites une
cuiller et prononcez cuillère. Ce mot est du féminin; ceux qui le
font masculin prononcent ordinairement cuillé; mais c'est un
barbarisme.
Cuirasseau, s. m. B. Ratafia d'écorces d'oranges amères; prononcez curaço; le mot est portugais et s'écrit curaçao. C'est contre toute
analogie, et par suite de l'habitude des mots cuirasse et cuirassier, que l'on prononce ordinairement cuirasseau.
Cuison, s. f. Cuisage, s. m. B. Action de cuire ou de faire cuire. Ces deux mots ne sont pas
français. Dites cuisson.
Cuit-pomme s. m. Ustensile de terre ou de métal destiné à faire cuire les pommes
devant le feu. Cet instrument s'appelle aussi un pommier, et c'est le seul mot
qu'admette l'Académie. M. Legoarand regrette à ce sujet que cuit-pomme ne soit pas inscrit dans le Dictionnaire; mais il n'a pas besoin d'y
être : c'est un mot composé dont tout le monde peut employer à son gré les
éléments, pourvu qu'il le fasse d'une manière conforme au bon usage. L'Académie
n'admet pas non plus chauffe pied; cela n'empêche pas que le mot ne
soit français et que tout le monde ne puisse s'en servir très-correctement.
Cure,
v. Écurer, v. Par. Cure, c'est nettoyer : on
dit curer un fossé,
un puits, un égout. — Ecurer, c'est nettoyer en
frottant pour rendre brillant : écurer la vaisselle, écurer une casserole
Cymbales, s. f. Timbales, s. f. Par. Les cymbales sont deux plats d'un alliage particulier qu'on tient à l'aide de
courroies et qu'on frappe en mesure l'un contre l'autre. Les timbales sont deux hémisphères creux en bronze, fermés chacun par une peau
tendue comme celle des tambours, et qu'on frappe avec des baguettes.
Deux ans plus tard, l'obscur Emile Agnel (1810-1882), avocat et homme
de lettres, qui avait vécu à la campagne dans un rayon de six à huit lieues
autour de Paris, publiait le fruit de ses notations d'amateur dans des Observations sur la
prononciation et le langage rustiques des environs de Paris (Paris, Schlésinger, J. -B. Dumoulin, 1855). Il avait consigné là des
remarques phonétiques, morphologiques et lexicales spécifiques à l'oral des
alentours de Paris, auxquelles on peut toujours se référer à titre
documentaire. Des remarques qui, une nouvelle fois, sont le fait d'un
observateur instruit, distinct des couches sociales dont il souligne les
singularités.
Après les événements de la Commune de Paris, et dans l'intervalle qui
sépare ses éclats de l'élection si contestée de la IIIe République, l'ouvrage de Charles Nisard[17], Étude sur le langage
populaire ou patois de Paris et de sa banlieue[18] , Vieweg, 1872), puis, après l'avénement de
la République, De
quelques parisianismes populaires et autres locutions non encore ou plus ou
moins imparfaitement expliquées (Paris, Vieweg, 1876)
donnent dès leurs titres la mesure des confusions. Les préfaces ne démentent
rien de cette objectivité biaisée par un sentiment épilinguistique impossible à
contenir. Ainsi, en tête de l'ouvrage de 1872 :
C’est la seconde
fois que le peuple de Paris ou plutôt la horde de malfaiteurs qui usurpe son
nom, me fait payer les frais de la passion dont elle est soi-disant dévorée
pour le progrès et pour la liberté. Déjà, en février 1848, une bande de cette
horde, au sac des Tuileries, m’avait fait l’honneur de jeter au feu, moi
présent et protestant, et avec menace de m’y jeter moi-même, le manuscrit d’un
autre ouvrage beaucoup plus considérable, et également prêt à être mis sous
presse. Par où l’on voit que, si, d’une part, on ne s’est pas corrigé de
brûler, de l’autre on ne s’est pas lassé de fournir de la matière aux brûleurs.
Puis en tête de celui de 1876 :
J’appelle parisianismes certains mots,
certains tours et certaines locutions figurées ou non, essentiellement propres
au langage populaire de Paris, aux diverses époques où je l’ai étudié, et dans
les livres mêmes qui, bien qu’écrits en langage commun, ont mêlé à leur style
plus ou moins de cette piquante saumure. Ces mots, ces tours, ces locutions ne
sont pas de nature à être revendiqués par l’argot, quoiqu’ils aient quelquefois
avec lui un air de famille. Certaines métaphores en ont peut-être le cynisme ou
la violence, mais elles en ont en propre, pour la plupart, cet esprit, ce
pittoresque et cette allure primesautière qui font passer sur la grossièreté de
la forme, et qui éclatent et brillent comme des fusées dans une nuit obscure.
L’argot, plus prémédité, pour ainsi dire, plus recherché, plus travaillé,
surtout depuis que le journalisme s’occupe de l’enrichir, n’offre guère ces
qualités qu’à l’occasion d’un mot isolé, d’une similitude, d’un rapprochement
ou d’un quiproquo ; il a peu de ces figures de pensées qui jaillissent
naturellement du langage simplement populaire, et lui constituent en quelque
sorte une rhétorique.
Il est vrai que ces figures ne sont
pas toutes également faciles à comprendre ; il en est même quelques-unes
qui sont restées pour moi lettres closes et qui semblent défier toutes
conjectures raisonnables ; mais je doute que la génération lettrée,
postérieure à l’époque qui les a vues naître, les ait entendues davantage. Car,
qui pensait alors qu’elles valussent la peine d’être expliquées, non plus que
les écrits où elles se rencontrent, celle d’être lus ? Mais ce n’est pas
une raison pour penser de même aujourd’hui. N’est-il pas en effet singulier que
dans les classiques du genre, tels que Vadé et De Lécluse, on rencontre des expressions
françaises d’ailleurs très incompréhensibles, et que les nombreux éditeurs de
ces classiques, depuis plus de cent ans, n’aient ni voulu ni su les
interpréter ? Et cependant, il est de toute évidence que ces locutions ont
trait généralement à des usages et même à des faits historiques contemporains,
dont les Parisiens, en particulier, seraient bien aises d’avoir la clef. Je
n’ai pas la prétention d’en donner ici d’une propre à passer partout, mais je
pense avoir trouvé plus d’une fois la serrure pour laquelle elle était faite.
Dans le genre de figures que je
rappelle ici, le peuple de Paris a excellé de tout temps, et alors surtout
qu’il n’était pas encore gâté par la lecture des journaux écrits, dit-on, pour
son plaisir et son instruction. Il y a bien profite sans doute ; le
malheur est que non seulement Paris, mais toute la France en ont payé la folle
enchère. Depuis qu’il fait ses études sous de pareils maîtres, il a à peu près
oublié ses anciennes métaphores ; il ne fait que des mots.
Respectant au fil des pages l’esprit pudibond du
second Empire, l'auteur exposait sans fard et avec une certaine naïveté tout le
poids de la bienséance, mais cachait difficilement toutefois sa curiosité
avivée pour « la piquante saumure » des jargons populaires.
Certaines expressions particulièrement grivoises ne
sont ainsi expliquées qu’en latin ; Le Marchand de pliants (p. 151) en est un exemple amusant. On trouve
aussi quelques rares mots présents encore dans la langue parlée actuelle, comme
baver qui signifie toujours bavarder en argot moderne. Nombre de locutions imagées sont fort
suggestives, comme papillons d’auberges qui désignent des coups de poing ou des soufflets (p. 168), etc. Certaines semblent même faire un clin d’œil à notre
époque : « Fesse tondue (Avoir la) […] Se dit principalement d’un galant, d’un séducteur (p. 110) ».
Le grand intérêt de ces ouvrages est d'abord la
mise en contexte des mots ; les dialogues retranscrits, souvent savoureux,
proviennent de chants, de nouvelles et d’expressions populaires. On peine à
imaginer aujourd'hui le brouhaha du parler populaire parisien de l’époque, mais
ces exemples nous montrent combien il a pu se transformer, comme la cadence du
pouce, désignant l’argent,
l’action de le compter, ou le mouvement qu’on imprime aux écus, en les poussant
les uns après les autres avec le pouce :« Et ste cadence du pouce !- Queu
cadence du pouce. - Sans doute. T’es fait comme les autres, toi. Ces
garçons-là, quand ils poursuivent les filles, c’n’est pas tout uniment pour
elles, ils veulent queuque chose avec » (p.
45).
Certes, Nisard
n'est pas un savant — Paul Passy et
d'autres le seront à la fin du siècle —
mais même s'il se montre très réactionnaire dans ses jugements sur le
peuple de Paris, constamment caractérisé comme grossier, il peut être aussi
« moderne » dans sa vision d'un patois de Paris somme toute assez
proche de ce que les linguistes ultérieurs nommeront sociolecte. Ayant travaillé sur une documentation largement littéraire des XVIIe et XVIIIe siècles, il a néanmoins pu se livrer à quelques sondages ou semblants
d'enquête de terrain, dont l'intérêt est de montrer que la plupart des termes
de ce patois renvoyaient à des realia rurales ou techniques généralement
méconnues ou ignorées des lecteurs citadins bourgeois.
C'est bien ce
qu'ont compris les écrivains de cette époque qui, en raison d'une nécessité
d’écriture facilement expressive, ont essentiellement restreint les
représentations de l'oral à des faits lexicaux à peine soumis à des contraintes
syntaxiques et prosodiques. C’est ainsi que M. Blanchard, J. Pignon, R.
Dagneaud, et d’autres encore, ont pu caractériser les emplois d’Angarié, Bestiote, Chinchoire,
Chuin, Godaine, Oribus, Galerne, Embucquer, etc. ,
chez Balzac[19]. J’ai moi-même essayé de montrer
— sur l’exemple des normandismes de Barbey d’Aurevilly — que ces apparents emprunts avaient — dans la perspective des jugements épilinguistiques
portés sur la langue du XIXe siècle par ses propres locuteurs —
une fonction principalement idéologique[20]. Est-il nécessaire de rappeler, à cette occasion, la manière dont
Zola, par exemple, retranscrit les faits d'oralité populaire dans ses romans?
C’est dans cette dimension fonctionnelle connotative, me semble-t-il, qu’il
faut en envisager les traces; non dans leur valeur faussement documentaire. Car
cette dernière est essentiellement floue. Reste que le phénomène était alors
assez général et qu’il a pu dès lors prêter à confusion.
Quels qu’ils soient, ces documents, ainsi que le débat sur les
dialectes et patois qui les accompagne, montrent que dans le domaine de la
pratique quotidienne de la langue comme dans les secteurs de sa valorisation
esthétique ou de son analyse scientifique, la normalisation s'impose comme une
force irrésistible. L'oral presse ainsi l'écrit sous l'impulsion
économico-politique d'une société qui demeure encore largement rurale puisque
60% des Français, en 1900, vivent à la campagne, et qu'au même moment, les
couches moyennes ne représentent guère que 11,5% de la population. Nous sommes
là dans une dérivée socio-démographique qui va se poursuivre largement dans la
première moitié du XXe
siècle, mais qui n'est que le prolongement de ce que le siècle précédent
connaissait en termes de structuration sociale.
Ainsi, bien avant l'aube du XXe siècle, Sophie Dupuis, auteur en 1836 d'un Traité de Prononciation, notait
déjà avec insistance :
Nous
croyons devoir adresser ici quelques observations aux personnes de province. Il
serait à désirer qu'elles attachassent plus d'importance qu'elles ne le font
ordinairement à la bonne prononciation. Une langue que tous les étrangers,
depuis Londres jusqu'à Petersbourg, se font un honneur de parler et d'écrire
correctement, ne devrait sous aucun rapport être négligée par des nationaux. N'est-il pas humiliant pour nous de penser qu'il y a tel Russe ou tel
Anglais qui serait en état de donner des leçons de français à tel ou tel de nos
compatriotes? Dans
les départements, au moyen des écoles d'enseignement mutuel, où l'on
appellerait de jeunes moniteurs de Paris ou de Lyon, on pourrait peu à peu corriger l'accent et substituer la langue française au jargon
de chaque province. N'est-ce
pas un très grand inconvénient que des habitants de nos provinces frontières
soient plus en état de se faire comprendre des étrangers placés dans leur
voisinage que de leurs compatriotes nés à une autre extrémité de la France?
Qu'on aille à cinquante lieues de Paris, on trouvera déjà la langue corrompue
d'une manière sensible, et plus on s'éloignera du centre, plus cette corruption
deviendra frappante; elle ne s'étend pas seulement aux gens du peuple; elle
atteint même les classes les plus élevées de la société [21]
Dans le manuel des frères Bescherelle, Ch. Durazzo notait d'ailleurs, à
la même époque, le caractère dirimant de cette rémanence des patois et parlers
locaux à l'heure où une première loi imposait une instruction publique
généralisée :
Le
plus grand obstacle pour la propagation de l'instruction primaire dans nos
départements est sans contredit le patois; c'est une
barrière infranchissable pour la loi du 28 juin 1833, et la pensée bienfaisante d'un ministre est venue
échouer contre cet écueil dans la plupart des localités. En effet, le véhicule
qui porte la vie et l'intelligence dans toutes les branches de l'instruction primaire
ou secondaire, scientifique ou industrielle, c'est la pensée sous la forme de
l'idiome national; du français pour nous fils de la France [...]. Or,
si chacun de nos départements possède une langue à part, un idiome tout
différent, alors toute communication intellectuelle est interceptée, et
l'éducation languit comme dans une prison étroite, privée d'air et de
mouvement; c'est que la sève fondamentale ne peut arriver jusqu'à elle; le
patois est là![22]
L'identification de la pensée à l'idiome national signe une disposition
d'esprit qui cherche à unifier ce qui se présente encore sous l'aspect d'une
marqueterie. Mais celle-ci est encore caractérisée comme grossière. Comme en
d’autres secteurs du développement de la langue française, se fait nettement sentir
ici l’impact du politique[23] sur les pratiques orales de la langue et l'orthographe académique, son
incapacité voulue à suivre l'évolution des prononciations et la complexité des
intérêts socio-économiques[24] mis en jeu. Il n’est pas sans signification que Marle, en 1826, et
l’auteur d’un Dictionnaire
de la prononciation de la langue française, indiquée au moyen des caractères
phonétiques, Féline, poursuivant en 1851 le projet
simplificateur, recourent à des arguments de cette nature. Philanthropie et
didactique s’épaulent dans leurs discours :
L’enfant
du pauvre après avoir fréquenté l’école pendant quatre hivers possèderait un
instrument sûr, exact, qu’il manierait facilement; il vaincrait les obstacles,
toutes les écritures seraient lisibles pour lui, et il saurait lui-même écrire
d’une manière correcte
Avantage politique, la simplification orthographique pourrait aider à
faire accepter la colonisation :
Il
n’est pas de cause qui contribue davantage à entretenir des haines nationales
entre peuples voisins, surtout entre vainqueurs et vaincus, que l’impossibilité
de se comprendre. Le jour où tous les habitants de l’Algérie parleraient notre
langue, cette population serait devenue française.
Avantage économique, enfin, une orthographe simplifiée du français
serait apte à induire un moindre coût de diffusion de la librairie :
L’économie
politique qui sait que le plus petit bénéfice souvent répété peut procurer de
grands profits, en trouverait un immense dans cette réforme. J’ai cherché dans
plusieurs phrases quelle serait la diminution des lettres employées, et celle
que j’ai trouvée est de près d’un tiers; supposons seulement un quart. Si l’on
admet que sur trente cinq millions de Français, un million, en terme moyen
consacre sa journée à écrire, si l’on évalue le prix moyen de ces journées à
trois francs seulement, on trouve un milliard sur lequel on économiserait deux cent cinquante millions par année. La librairie
dépense bien une centaine de millions en papier, composition, tirage, port,
etc., sur lesquels on gagnerait encore vingt-cinq millions. Mais le nombre des gens
sachant lire et écrire décuplerait, les livres coûtant un quart moins cher, il
s’en vendrait par cela seul le double, et le double encore parce que tout le
monde lirait. De sorte que ce profit de deux cent soixante quinze millions
serait doublé ou quadruplé, et l’économie imperceptible d’une lettre par mot
donnerait un bien plus grand bénéfice que les plus sublimes progrès de la
mécanique[25]
Dans un XIXe siècle
traversé de crises socio-politiques fortes, et secoué par les soubresauts d’une
économie rurale que subvertissent progressivement les grosses machines de
l’industrie, il est symptomatique de noter que tous les arguments susceptibles
de freiner le schisme social en préparation latente servent à proposer et
soutenir des aménagements de la partie de la langue la plus superficielle et
déjà la plus figée — son écriture et sa
phonétique — par laquelle -—dès les premier instants de la
communication — s’affichent sans fard
l’origine et la qualité des interlocuteurs.
La prononciation devient ainsi une marque sociologique et culturelle
discriminante, un révélateur discret qui
— très naturellement et sans aucune ambiguïté — s'inscrit à l'oral dans la vie de la langue,
et dans la vie même la plus standard de cette dernière, à l'écart des argots ou
des patois. Dès 1838, les frères Bescherelle avaient bien noté dans leur Almanach des instituteurs et
institutrices que la prononciation constituait le
couronnement des apprentissages grammaticaux. Ces Étrennes
pédagogiques proposaient un programme d’étude
quotidien particulièrement détaillé, avec des textes, des exercices et des
thèmes et sous-thèmes de rédaction variés, en accord avec la chronologie des
saisons et des fêtes, et offraient plusieurs avantages :
Ils permettaient
tout d’abord une répartition organisée des leçons dans l'année, de manière à ce
qu'aucun moment ne soit perdu. Les almanachs des instituteurs étaient destinés
aux instituteurs de campagne. On sait quelle incertitude régnait sur les
contenus enseignés pendant cette période : instituteurs de formation
hétérogène, très grande différence d'un département à l'autre, d'une localité à
l'autre, scolarisation très irrégulière, résultats décevants, le bilan négatif
a conduit à renforcer le corps des inspecteurs[26] de l'enseignement primaire.
Ils permettaient
ensuite d'homogénéiser l'enseignement, première condition pour instiller dans
les consciences et répandre les mêmes schémas identitaires, les mêmes contenus
idéologiques, une seule et même langue : la langue française.
L'efficacité des
programmes prouve à elle seule l'efficacité de l'ordre : un enseignement
soigneusement décomposé et réparti assure le progrès, incarnant ainsi de façon
métaphorique la réussite politique et sociale d'un système fondé sur cette
valeur.
Jour après jour,
mois après mois, mois d’été y compris, les almanachs proposaient donc un
programme complet : un petit texte de lecture, une question de grammaire et
d'orthographe, d'histoire et de géographie, de petits problèmes de calcul, le
tout lié à la progression des saisons, et escorté d’une leçon de morale ; les
fascicules proposaient aussi des batteries d'exercices, parmi lesquels des
exercices d"écriture"
destinés à combattre les irrégularités issues de la diglossie, puisque la
plupart des élèves, du fait de leur origine, connaissaient cette situation.
Janvier : |
Substantif (Anecdote) |
Février: |
L'article (Proverbe ) |
Mars : |
L'adjectif (Homonymes) |
Avril : |
Pronoms (Homonymes ) |
Mai : |
Les verbes (Récit ) |
Juin |
Les participes |
Juillet : |
Les adverbes |
Août : |
Les prépositions |
Septembre : |
Les conjonctions |
Octobre |
Interjections. Ponctuation. |
Novembre : |
Orthographe, néologismes |
Décembre : |
Prononciation |
Les exercices se
diversifient donc et se précisent au fil de l'année. Les exercices d'écriture
deviennent des sujets qui anticipent sur les sujets de rédaction qui seront
encore proposés dans les classes entre 1925 et 1960. On propose à l'élève des
sujets évoquant les anciens sujets de rhétorique, débat moral, mais simplifiés
et transposés dans la vie quotidienne. Il ne s'agit plus de Timon, ou de héros
antiques, voire historiques. Il s'agit de personnages qui pourraient appartenir
à l'environnement de l'élève… Le thème a nécessairement un lien direct avec le petit
texte proposé : il s'agit soit d'une narration pure, soit d'une narration
animée d'une réflexion morale, soit d'une transformation, un texte en vers sera
réécrit en prose. On a là le prototype des futurs manuels proposés lorsque
l'Instruction Publique se consolidera et imposera la notion de programme. Dans
les Almanachs de 1838 et 1839,
les historiettes racontent des scènes du quotidien, situées pour la plupart
dans le monde rural, au village, et intégrées dans le rythme des travaux des
champs. La même démarche anime le Bon Génie mais les textes sont plus longs et plus variés ; la taille des
ouvrages permet de proposer des lecture "illustratives" qui sont des lectures d'auteurs comme Chateaubriand, Lamartine.
Le Bon Génie n'est pas
nécessairement réservé à l'enseignement strictement scolaire, il peut très bien
être utilisé par un précepteur dans une famille aisée, qui fournit à ses
enfants une éducation à domicile, ou dans des classes organisées en privé.
Néanmoins le milieu rural est privilégié, les auteurs montrent une prédilection
pour les histoires édifiantes à valeur éducative : gestes de générosité, les
bons enfants sont opposés aux mauvais ; on retiendra en particulier l'enfant
qui ne veut pas aller à l'école, croyant savoir parler, alors qu'il a un
épouvantable accent provincial et campagnard qui fera rire tous ses camarades
et qu'il fait des fautes rédhibitoires comme "j'allons", "ben"
pour "bien". La
"vanité " qui
l'empêche d'apprendre sera bien sûre punie par les événements. Et cette
stigmatisation des défauts du personnage souligne que dans une France rurale…
jusqu’en 1964, comme aime à le rappeler Maurice Agulhon, il est déjà possible
de dénoncer les ruraux, dont la voix a subsisté jusqu'à nous par
l'intermédiaire de... leurs fautes!.
Mais revenons à la
prononciation. La prononciation constitue le couronnement des apprentissages
grammaticaux dans l'almanach cité–dessus. On peut voir à ce fait d'apparence
curieuse deux explications, l'une tient à la conception générale de la
grammaire, le plan proposé étant exactement celui de la Grammaire Nationale. Mais on peut penser aussi
que la prononciation, c'est à dire la capacité de prononcer ce que l'on
connaît, est l'aboutissement d’un enseignement de la langue qui fait de la
langue apprise comme une langue étrangère. Les textes supposent une
connaissance de la langue déjà bien installée, mais la prise de conscience de
cette langue passe par son expulsion du réseau des habitudes glossiques. En
dehors de quelque tournures relevées à l'occasion d'une historiette, on ne
relève cependant aucune tendance à restituer ici les listes des cacographies,
ou les listes de provincialismes corrigés avec leur traductions, que Desgrouais
avait mises à l’ordre du jour depuis 1768. Les élèves auxquels s'adressent ces
instituteurs sont donc supposés parler un français oral relativement élaboré,
et les problèmes qui se posent sont essentiellement des problèmes
d'orthographe, comme le marquait naguère André Chervel.
L’ambition
pédagogique y reste alors tributaire d’un dessein éthique et social :
“ Derrière l’éducation,
affirmaient les auteurs, est le grand mystère de la
perfectibilité humaine ”, dont la langue assure
le fondement. En effet, si l’homme doit être cultivé, si les parents ne pensent
en général qu’à procurer à leurs enfants une meilleure position sociale, si les
gouvernants, en revanche, considèrent souvent les hommes comme des instruments
, si, dans tous les cas, l’homme est pris dans un système de contraintes
générales, il importe que l’enseignement de la langue lui montre dès la
jeunesse que l’ordre seul est capable de faire apprécier la liberté. On peut
voir à ce fait deux explications, l'une tient à la conception générale de la
grammaire, le plan proposé étant exactement celui de la Grammaire Nationale. Mais on peut penser aussi que la prononciation, c'est à dire la
capacité de prononcer les mots que l'on connaît, est l'aboutissement d’un
enseignement de la langue qui fait de la langue apprise comme une langue
étrangère. Michel Bréal, quelque trente ans plus tard, reprendra cette idée en
rappelant que les petits élèves s'expriment déjà, et fort correctement le plus
souvent, lorsqu'ils entrent à l'école... Les textes supposent donc une
connaissance de la langue déjà bien installée, mais la prise de conscience de cette
langue passe par son expulsion du réseau des habitudes glossiques. En dehors de
quelque tournures relevées à l'occasion d'une historiette, on ne remarque
aucune tendance à restituer ici les listes des cacographies, ou les listes de
provincialismes corrigés avec leur traductions, que Desgrouais avait mises à
l’ordre du jour depuis 1768. Les élèves auxquels s'adressent ces instituteurs
sont donc supposés parler un français oral relativement élaboré, et les
problèmes qui se posent sont essentiellement des problèmes d'orthographe, comme
le marquait naguère André Chervel. Avouons que c'est là, pour notre siècle, une
piètre fin que celle qui condamne l'oral vivant et imprévisible à se soumettre
aux impératifs des écritures normalisées de la voix, qui en pervertissent les
saveurs et en travestissent les accents.
En pleine période
d'ordre moral et de refondation de la France, Michel Bréal notait pourtant avec
justesse et clairvoyance cette évidente priorité de la langue parlée et de
l'oral sur la langue écrite:
Deux grandes erreurs pèsent sur
l'enseignement de la langue française. D'un côté on suppose que le français
doit être appris par règles, comme une langue morte, et d'autre part on fait
prédominer l'enseignement de la langue écrite sur celui de la langue parlée[27].
Quand l'enfant entre à l'école, il
apporte son vocabulaire déjà formé, sa langue déjà toute faite, et de combien
supérieure le plus souvent à celle qu'on lui apprendra en classe! Si vous en
doutez, écoutez les enfants avant qu'ils e ntrent dans la salle d'école : les
mots leur manquent-ils pour se communiquer leurs idées ou pour convenir de
quelque projet, ou pour discuter un incident qui les touche? Je suppose qu'une
discussion s'élève sur le mien et le tien : sont-ils embarrassés de
trouver les pronoms personnels et les adjectifs possessifs? Ou bien qu'une
question de la vie de tous les jours les divise : comme le français coule de
source, et ceux qui tout à l'heure auront l'air hébété et muet sont peut-être
les plus éloquents! Non-seulement ils disposent de tous les mots correspondant
aux idées de leur âge, mais ils ont les tours et la construction et (chose non
moins précieuse) le ton et le geste. Mais à peine sont-ils assis sur les bancs
de la classe, que ces avocats si diserts sont traités comme s'ils avaient été
sourds et muets jusqu'au jour de leur entrée à l'école. Soyez donc surpris que
cette étude les laisse froids! Elle les assomme, parcequ'elle repose sur une
fiction et que ces élèves ne reçoivent rien que déjà ils ne possèdent. Ah! si à
l'entrée de la classe, au lieu de tout glacer, le maître savait conserver cet
élémenten fusion, et pouvait attirer à lui la discussion de tout à l'heure pour
la guider et pour l'élever! La leçon de français deviendrait une leçon de droit
civil ou de droit des gens, ou d'équité sociale : reprenant le dire de chacun,
écartant doucement ce qui est irrégulier ou bas, il ferait monter de degré en
degré les différentes opinions jusqu'à leur forme la plus pure et la plus
nette, de manière que chacun, pensant intérieurement : oui, voilà ce que je
voulais dire, se sentirait grandir et monter dans l'échelle intellectuelle. Ne
serait-ce pas là une leçon de français, et de combien supérieure à vos
définitions? Qui songerait encore aux bancs et aux murs de l'école? Toute
l'attention des enfants serait tendue vers la parole du maître, et l'école et
le monde se trouveraient pour un instant confondus.
Sans doute c'est là un événement
scolaire qui ne pourra avoir lieu tous les jours, et il faut que l'instituteur
soit déjà bien maître de ses élèves et de lui-même pour se mêler ainsi à leur
vie intime. Aussi avons-nous seulement voulu montrer par un exemple ce que peut
de venir l'enseignement du français, quand un vrai maître y voit autre chose
que les creuses subtilités qu'on a décorées de ce nom.
L'idée d'apprendre le français au
moyen d'un manuel de grammaire ne se serait probablement jamais présentée à
l'esprit de personne, si le latin n'avait pas été durant tant de siècles le
fond de tout notre enseignement. Nos premières grammaires françaises étaient
calquées sur les grammaires latines, et si l'on a petit à petit éliminé de nos
livres les règles latines qui ne sont d'aucune application en français,
l'esprit de la méthode n'en est pas moins resté le même. C'est en apprenant par
petits morceaux les différents chapitres de la grammaire et en les récitant par
coeur, — non pas même toujours à l'instituteur, mais à quelque élève à peine
plus âgé — que nos enfants sont censés
apprendre leur langue. Chose plus étonnante encore, cet exercice est considéré
comme utile pour le développementde l'intelligence, et l'on ne cesse de vanter
l'heureuse influence qu'il a sur l'esprit!
Quand on examine les manuels
grammaticaux qui sont mis entre les mains des enfants, on voit qu'outre les
paradigmes et les règles de formation, ces livres comprennent trois parties, le
plus souvent confondues et mêlées ensemble. Il y a d'abord des définitions :
l'écolier apprend ce que c'est qu'un nom, un verbe, une préposition, une
locution adverbiale. En second lieu, on donne des règles qui se rapportent à
l'écriture et à l'orthographe : on nous dit comment s'écrit le pluriel des noms
en au, eau, eu, quels sont les noms composés qui prennent un s,
dans quel cas on fait accorder le participe. En troisième lieu, viennent les
règles de construction et les éléments de l'analyse logique : on enseigne la
différence qui existe entre dont et d'où; on nous prévient qu'il ne
faut pas dire : c'est
à vous à qui je parle, parce qu'il y aurait deux
compléments indirects; on montre ce qu'est le sujet simple et le sujet
multiple, l'attribut complexe et l'attribut incomplexe. Nous ne songeons pas à
faire la critique de ces petits livres, dont quelques-uns ont été composés par
des hommes fort dévoués à la jeunesse. Mais il est trop clair qu'ils laissent
échapper le meilleur de la langue, et que remettre à des enfants un tel ouvrage
en leur laissant croire qu'ils y apprendront le français, ne serait pas moins
déraisonnable, que si nous avions la prétention de former des poëtes en
expliquant ce que c'est qu'un vers, un hémistiche, en enseignant les règles de
la rime et de la césure, et en décrivant les différentes espèces de strophes.
Parler est dans un ordre supérieur
un art de même sorte que marcher ou se servir de ses mains. L'enfant apprend à
prononcer ses premiers mots, à assembler ses premières phrases, en entendant
parler ses parents, comme il apprend un, jeu en voyant jouer ses camarades. N'est-ce pas là un avertissement donné par la nature et que faut-il
penser de l'instituteur qui prétend enseigner la langue par le moyen de
quelques règles et de quelques définitions sans parler avec les écoliers et
sans les faire parler?[28]
Cette dimension de l'oralité ne pouvait échapper à personne, et tout
grammairien, philologue ou linguiste de la période tant soit peu rigoureux
constatait nécessairement l'écart grandissant se creusant entre le dit et
l'écrit. Mais ne possédait pas naturellement les moyens d'en renverser les
facteurs. Le Dictionnaire
de la Conversation, rédigé sous la direction de W.
Duckett, avait rappelé, dans sa seconde édition de 1867, sous l'entrée Oral
toute l'importance de cette dimension dans la constitution et la transmission
du savoir :
Ce mot désigne ce qui est transmis de
vive voix, sans le secours de l'écriture. La poésie, la législation, l'histoire
primitives, ont toujours été orales jusqu'à l'invention des caractères destinés
à représenter les sons et à figurer les pensées. La loi orale contenue dans la Misnah, loi que les Juifs croient fidèlement transmise par la tradition, est
regardée par eux comme l'indispensable et authentique expolication de la loi
écrite. L'enseignement oral est celui que donnent les professeurs du
haut de leur chaire. La tradition orale est celle qui, pour n'être pas
écrite, n'en est pas moins certaine. (tome XIII, p. 762 b)
En insistant sur l'importance de la tradition orale, les auteurs des
notices du Dictionnaire de la Conversation prenaient acte de l'irréversible mouvement accréditant enfin au sein
du panthéon des écrits le témoignage de la voix.
Je terminerai donc sur un extrait du Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, qui, à défaut de nous éclairer sur l'oral de
manière générale en tant que tel, reverse autour de 1867, dans l'article Parole toute l'importance nouvellement reconnue à une oralité devenant de
plus en plus importante dans l'exercice du langage. Oralité en qui gisent les
fondements de la morale, les trésors de la culture humaine, et le sens de
l'individuation faisant de chaque homme un sujet du discours :
PAROLE s. f. (pa-ro-le — du latin parabola, parabole. Parabola, à cause du fréquent emploi qu'on faisait de ce mot dans les sermons
et les exhortations, et aussi parce qu'on répugnait à employer le mot verbum, réservé pour signifier le Verbe, a remplacé ce mot chez tous les
peuples romans ; de même, en grec moderne, psari, de opsaron, petit plat de poisson, a remplacé, pour signifier poisson, ichttius qui avait passé à un usage mystique. C'est du moins l'opinion de
Schlegel. Mais parabola, en grec parabole, est également un terme biblique. D'après Max Müller, l'extension
donnée dans les langues néo-latines au mot parabola s'est faite par
imitation de l'allemand Wort, qui, de bonne heure, avait pris le sens
de proverbe, de parabola.
Ce mot roman, étant employé dans ce sens pour traduire
le mot allemand, a fini par traduire aussi ce dernier dans son acception
primitive et générale). Mot prononcé : PAROLE bien articulée. PAROLES
entrecoupées de sanglots. Expliquer une chose en peu de PAROLES. On amuse les
enfants avec des hochets, et les hommes avec des PAROLES. (Lysand. ) Telle est
la chose, telle doit être la PAROLE. (Cléomène. ) Il y a une bienséance à
garder pour les PAROLES comme pour les habits. (Fén. ) Il n'appartient qu'aux
âmes fortes et pénétrantes de faire de la vérité le principal objet de leurs
PAROLES. (Vauven. ) La femme nous trompe plus sûrement avec un sourire qu'avec
une PAROLE. (A. Fée. ) L'homme pense sa PAROLE avant de parler sa pensée. (De
Bonald. ) Le peuple, qui est habitué au travail, n'aime pas qu'on perde le
temps en PAROLES. (E. de Gir. ) Pour parler, il faut chasser de l'air des
poumons dans notre bouche, et la PAROLE est le bruit que fait cet air en
passant. (J. Macé. )
Les moments sont trop chers pour les perdre en paroles.
RACINE,
Quinze ans de mariage épuisent les paroles.
MOLIÈRE.
— Dit, sentence, sentiment exprimé :
Prononcer de mémorables PAROLES. Cette PAROLE est pleine de sens, de raison.
Voilà une PAROLE funeste. Adresses-lui quelques bonnes PAROLES. Cette PAROLE
m'a touché. Les PAROLES d'un véritable ami sont un baume adoucissant pour les
blessures de l'âme. (Mme
Riccoboni. ) Dans les grandes crises de l'espèce humaine, il y a une PAROLE que
tous entendent. (H. Taine. ) Les grands du monde entendent rarement des PAROLES
sincères. (Guizot. )
A quoi bon mettre au jour tous ces discours frivoles,
Et ces riens enfermés dans de grandes paroles ?
BOILEAU.
Mon âme attend vos paroles de miel,
Comme la terre sèche attend, les eaux du ciel.
V.
HUGO.
— Ton de la voix : Sa PAROLE est
agréable. Cet orateur a la PAROLE nette, facile.
— Faculté ou action de parler :
Perdre, recouvrer l'usage de la PAROLE. L'homme rend, par un signe extérieur,
ce qui se passe au dedans de lui; il communique la pensée par la PAROLE. (Buff.
) La PAROLE est le véhicule de l'intelligence et la maîtresse du monde
matériel. (B. Const. ) La PAROLE est un des caractères distinctifs de l'espèce
humaine, celui qui la sépare complètement des autres êtres animés. (A. Maury. )
La PAROLE, comme la pensée, est essentiellement dans la nature de l'homme.
Maret.
— Eloquence : Avoir le talent de la
PAROLE. La PAROLE est une puissance. Il s'est trouvé dans tous les temps des
hommes qui ont su commander aux autres par la puissance de la PAROLE, (Buff. )
La PAROLE est un projectile qui tue à toute distance. (A. d'Houdetot. ) A la
majesté des harangues de Cicéron, on reconnaît une PAROLE qui est maîtresse des
affaires du monde. (Ozaneau.) L'intelligence que l'on dépense aux combats de
PAROLES est comme celle que l'on emploie à la guerre : c'est de l'intelligence
perdue. (Proudh. ) Rivarol était un virtuose de la PAROLE. (Ste-Beuve. ) La
prose est la PAROLE libre, indépendante, diverse comme la vie, souple comme le
progrès. (E. Pelletan.)
La parole, ici-bas, est un douteux empire,
Sous nos mots nuageux l'enthousiasmé expire.
SOUMET.
— Assurance, promesse verbale : Donner
sa PAROLE, sa PAROLE d'honneur. Manquer à sa PAROLE. Violer sa PAROLE. Rester
fidèle à sa PAROLE. Croyez en ma PAROLE. Il est aisé de tromper qui se fie,
mais il n'est pas aisé de tromper plus d'une fois; une PAROLE mal gardée pour
une seule fois prive pour jamais celui qui l'a enfreinte de créance envers tout
le monde. (Bassompierre. ) La seule PAROLE d'un honnête homme doit avoir toute
l'autorité du serment. (Mme Necker. ) Entre gens d'honneur, la PAROLE vaut l'écrit. (Balz. )
Ne cherchez point d'excuse à la parole enfreinte.
PONSARD.
Qu'il se souvienne
De garder sa parole, et je tiendrai la mienne.
CORNEILLE.
Oh ! combien l'homme est inconstant, divers,
Faible, léger, tenant mal sa parole.
LA
FONTAINE.
ǁ
Promesses vaines et vagues : Mieux vaut moins de PAROLES
et plus d'effet. Ce ne sont pas des PAROLES qu'il faut aux malheureux. Amuser
quelqu'un de PAROLES, avec des PAROLES. Il faut faire et non pas dire, et les
effets décident mieux que les PAROLES. (Mol. )
Les bravades enfin sont des discours frivoles,
Et qui songe aux effets néglige les paroles.
CORNEILLE.
— Proposition, avance faite pour
arriver à un accommodement : Etre le porteur de PAROLES.
Enfin je viens chargé de paroles de paix.
RACINE.
— Discours piquants, aigres,
offensants;-ne s'emploie qu'au pluriel : Se prendre de PAROLES. Avoir des
PAROLES avec quelqu'un, de grosses PAROLES.
Ce que je sais, c'est qu'aux grosses paroles
On en vient sur un rien plus des trois quarts du temps.
LA
FONTAINE.
— Droit ou autorisation de parler :
Avoir la PAROLE. Demander la PAROLE. Perdre son tour de PAROLE. Renoncer à la
PAROLE. Accorder, refuser la PAROLE. Oter, retirer la PAROLE. Céder la PAROLE.
— Bonnes paroles, Discours qui
annoncent des intentions, des sentiments favorables : Accueillir quelqu'un avec
de BONNES PAROLES. ǁ Belles paroles, Grandes promesses qu'on n'a pas dessein de tenir, ou
qui, pour une cause quelconque, resteront sans effet : II n'est pas avare de
BELLES PAROLES. Il amuse ses créanciers par de BELLES PAROLES. (Campistron. )
Je ne me paye point de BELLES PAROLES. (L. Viardot. )
— Mauvaises paroles, Paroles
inspirées par une intention coupable.
— Paroles couvertes, Termes qui
insinuent, qui font entendre quelque chose qu'on ne veut pas dire ouvertement :
Je lui ai fait entendre cela en PAROLES COUVERTES. (Acad. ) ǁ Loc.
vieillie; on dit aujourd'hui MOTS COUVERTS.
— Sur parole, D'après le
témoignage d'autrui : Estimer, louer quelqu'un SUR PAROLE. Nous admirons SUR
PAROLE les Grecs et les Romains. (Chateaub. ) ǁ Sur
l'affirmation de celui qui parle : Croyez-moi SUR PAROLE. Je ne puis vous
croire SUR PAROLE. La conscience du juste doit être crue SUR PAROLE. (V. Hugo.
) ǁ Être prisonnier sur parole, Rester volontairement prisonnier, d'après
l'engagement qu'on en a pris, et sans être gardé par ceux à qui on a fait cette
promesse. ǁ Prisonnier sur parole, Personne, qu'on laisse libre, sous la promesse
de ne pas s'éloigner de certains lieux, de se soumettre à certaines formalités.
ǁ Jouer sur parole, Jouer des sommes que l'on s'engage à payer plus tard
en cas de perte.
— Ma parole, Ma parole d'honneur,
Parole d'honneur, Se dit pour affirmer fortement :
Ne dites pas toujours : Ma parole d'honneur;
Qu'il soit moins dans la bouche et plus au fond du coeur.
COLLIN
D'HARLEVILLE.
— Porter la parole, Parler au nom
d'une autorité, d'une compagnie, d'un corps, au nom de plusieurs personnes : Ce
fut le président qui PORTA LA PAROLE.
— Prendre la parole, Commencer à
parler, à faire un discours.
— Perdre la parole, Ne plus
pouvoir parler, par suite d'une maladie ou de quelque accident. ǁ
Rester interdit et hors d'état de parler : La surprise lui a fait PERDRE LA
PAROLE.
Parlez donc, avocat. - J'ai perdu la parole.
RACINE.
— Avoir la parole haute, Parler
avec autorité, avec arrogance.
— Adresser la parole à quelqu'un,
Lui parler, s'adresser directement à lui :
Ce monsieur de La Mole !
Il n'a jamais daigné m'adresser la parole;
II avait un valet aussi guindé que lui.
PONSARD.
— Couper la parole à quelqu'un,
L'interrompre pendant qu'il parle.
— Payer de paroles, Se faire
passer pour meilleur qu'on n'est, n'avoir que ses paroles pour s'attirer de la
considération : Une femme prude PAYE DE maintien et DE PAROLES, une femme sage
paye de conduite. (La Bruy. ) ǁ Se payer de paroles, Croire légèrement ce qui se dit : Le monde SE
PAYE DE PAROLES. (Pasc. )
— Etre homme de parole, Etre de
parole, Tenir ce qu'on promet, être fidèle à ses engagements. ǁ
Fausser sa parole, Manquer à sa parole, à ses engagements :
N'ayez pas peur que je fausse parole.
MOLIÈRE.
— Avoir deux paroles, Etre sujet à
revenir sur ses engagements, à les violer : Vous savez que je n'ai pas DEUX
PAROLES.
— Dégager sa parole, Retirer la
promesse qu'on avait faite :
J'en viens, sur cet avis, dégager ma parole.
ROTROU.
— Je lui ferai rentrer les paroles
dans le corps, dans la gorge, dans le ventre, Je saurai bien le faire taire ;
je lui ferai rétracter les paroles qu'il a dites :
Et, dit le capitan, que personne ici n'entre;
Je le ferai rentrer les paroles au ventre;
Godelureau maudit, dameret insolent.
Fix.
— Il ne lui manque, Il n'y manque que la parole, Se dit d'un portrait fort ressemblant, d'une figure pleine de vie et
d'expression.
— Sa parole vaut de l'or, Se dit
de quelqu'un qui tient fidèlement ses engagements : La PAROLE de monsieur VAUT
DE L'OR. (Scribe. )
— Prov. Les paroles volent, les écrits restent, Un engagement pris par écrit est bien plus sûr que celui qu'on a
contracté de vive voix. On cite souvent ce proverbe sous sa forme latine : Verba volant, scripta manent. ǁ On
dit dans le même sens : Les paroles sont des femelles et les écrits sont des
mules. ǁ Les belles paroles n'écorchent pas la langue, Il n'en coûte rien de
faire des promesses qu'on ne veut pas tenir. ǁ Quand
les paroles sont dites, l'eau bénite est faite, II n'y a pas à revenir sur ses
engagements. ǁ Les paroles du matin ne ressemblent pas à celles du soir, Les hommes
sont sujets à changer d'avis. ǁ A grands seigneurs peu de paroles, Il ne faut pas fatiguer l'oreille
des grands. ǁ Les paroles des grands ne tombent jamais à terre, Elles ne sont jamais
perdues, il y a toujours quelqu'un qui les écoute et les recueille pour les répandre
et les appliquer. ǁ Paroles ne puent pas ou Parole ne pue pas, Se dit, par manière
d'excuse, lorsqu'on se croit obligé de parler de choses sales et dégoûtantes. ǁ On
prend les bêtes par les cornes et les hommes par les paroles, On dompte les
bêtes par la force, les hommes par la persuasion. ǁ A bon
entendeur, peu de paroles, Un homme intelligent n'a pas besoin de longues
explications. On dit souvent en latin : Intelligenti pauca. ǁ La
parole fait le jeu, vaut le jeu, vaut jeu, On est obligé de tenir, d'exécuter
ce qu'on a dit en se mettant au jeu ou pendant qu'on jouait.
— Relig. Parole éternelle, Parole incréée, Parole incarnée, Le Verbe, fils de Dieu, ǁ La parole de Dieu, la parole divine, ou simplement la Parole,
l'Ecriture sainte et les sermons qui se font pour l'expliquer : La chaire est
faite pour louer Dieu et prêcher SA PAROLE, non pour préconiser les hommes. (P.
Lejeune. ) ǁ
La. parole écrite, L'Ecriture sainte. ǁ La
parole non écrite, La tradition. ǁ Paroles sacramentelles, Paroles qui constituent la formule essentielle
d'un sacrement, et Fam. Formes nécessaires, paroles essentielles pour
l'accomplissement d'une chose quelconque.
— Paroles magiques, Formules
auxquelles les sorciers attribuent l'efficacité de leurs sortilèges. ǁ
Parole de vie, Prédication, enseignement des dogmes ou des principes religieux.
— Anc. jurisp. Paroles de présent, Déclaration que deux personnes faisaient devant un notaire, après
s'être présentées à l'église, qu'elles se prenaient pour mari et femme. Jeux.
Avoir la parole, Avoir le droit d'exprimer ce qu'on veut faire sur le coup qui
se présente : Au boston, à la bouillotte, etc. , chacun A LA PAROLE à son tour.
ǁ Passer parole , Transmettre à un autre le droit qu'on a de relancer. ǁ Passe
parole, Se dit à certains jeux de renyi, quand celui qui doit parler ne veut
pas couvrir le jeu pour le moment.
— Art milit. Passe parole, Faites passer l'avis, l'ordre, le commandement : Avance, cavalerie,
PASSE PAROLE. (Acad. ) ǁ Donner la parole, S'est dit pour donner le mot d'ordre.
— Mus. Suite de mots sur lesquels s'exécute
un morceau de musique : La' musique rend bien l'esprit des paroles. Le style
oratoire a souvent l'inconvénient de ces opéras dont la musique empêche
d'entendre les PAROLES. (J. Joubert. ) Nous considérons comme une absurde
monstruosité d'attacher des PAROLES à la musique. (A. Karr. )
— Syn. Parole, mot. V. MOT.
— Donner parole, s'engager, promettre. V. ENGAGER.
— Encycl. Physiol. La voix est
formée dans le larynx par les cordes vocales, chez l'homme et chez les animaux
; mais chez l'homme seul elle est articulée. Les organes de l'articulation,
pharynx, fosses nasales, voile du palais, langue, joues, dents et lèvres
existent chez les animaux et chez les idiots comme chez l'homme sain. La parole
a donc sa source clans l'intelligence et constitue un acte intellectuel autant
qu'un acte de phonation. La preuve, c'est que la parole peut se passer de la
voix, et que nous pouvons parler à voix basse, comme on dit, sans émission
réelle de voix. Quand la trachée est coupée en travers, et alors que la voix
est anéantie, la parole dite a voix basse ne l'est pas. Les joues, la langue,
les dents et les lèvres entrent en action, l'air expiré est « aphone, » mais la
parole articulée est produite et se perçoit. Nous verrons plus loin où réside
cet élément psychique de coordination nécessaire au « parler. » Tout d'abord,
étudions comment se produisent les signes sonores qui servent à l'homme pour
communiquer avec ses semblables.
Nous empruntons textuellement
l'analyse phonétique de l'alphabet au docteur Segond, chez qui la science du
physiologiste s'unissait aux talents de l'orateur et du chanteur.
"Le tuyau vocal donne aux sons
trois ordres de modifications auxquels se rapportent trois catégories de
lettres : les voyelles, les consonnes soutenues et les consonnes proprement
dites. Tous les sons produits par le larynx et traversant librement le tuyau
vocal sont des voyelles. Tous les sons produits par le larynx et s'accompagnant
d'un rétrécissement très-notable d'une partie du tuyau, vocal rentrent dans les
consonnes soutenues ; pour que, dans ces cas, la prononciation de la consonne
soit complète, il faut que le rétrécissement du tuyau vocal cesse brusquement,
en même temps 'que la voix elle-même est suspendue. Enfin, lorsque la voix
s'accompagne de phénomènes d'occlusion complète, au niveau de certains points
du tuyau, il y a véritablement articulation ou formation d'une consonne
proprement dite. D'après ces trois modes de génération des phénomènes de la
parole, on peut se rendre compte de la formation de presque toutes les lettres.
Il ne reste plus, pour les distinguer, qu'à déterminer, pour les voyelles,'la
forme du tuyau vocal ; pour les consonnes soutenues, le point du
rétrécissement; pour les consonnes proprement dites, les organes qui opèrent
l'occlusion.
Enfin, pour les subdivisions entre les
deux dernières catégories, il faut remarquer les différents modes suivant
lesquels la voix se combine avec le rétrécissement ou avec l'articulation. La
bouche étant largement ouverte, ainsi que l'isthme du gosier, le son produit
par 1e larynx peut s'exprimer par à. Si, pendant la tenue du son, on projette
insensiblement les lèvres en avant, de manière à rétrécir la portion buccale du
tuyau en même temps qu'on l'allonge, le son sera successivement exprimé par les
voyelles a, à, à, a,
o, eu, u, ou. Si, à partir de l'a, au
lieu de rétrécir le tuyau buccal avec les joues, les lèvres et les mâchoires,
on porte les bords de la langue vers la voûte palatine, de manière que le
contact s'opère insensiblement de la partie postérieure des bords vers la
pointe de la langue, le son produit par le. Larynx et modifié par ces
dispositions successives sera représenté par les voyelles a, ê, è, é, e, i, z. Entre l'é et l'i, on fait entendre des é de plus en plus fermés ; entre l'i et
le z on fait entendre plusieurs variétés d'i. En plaçant le z à
la suite de l’i, j'ai exprimé un fait réel, et j'ai indiqué par là la transition des
voyelles aux consonnes soutenues. On pourrait de la même manière placer le v à
la suite, de l'u. Les dispositions précédemment indiquées sont les plus naturelles;
mais artificiellement on peut, la bouche largement ouverte, prononcer o,
par exemple, en rétrécissant suffisamment l'isthme du gosier. On pourrait en
dire autant de quelques autres voyelles. Une voyelle quelconque étant produite,
si l'on interrompt son passage à travers la bouche par une contraction du voile
du palais, de manière à engager le son dans les fosses nasales, on a un son
composé de la nature des sons exprimés par an, in, on, un. Le
rétrécissement qui produit les consonnes soutenues peut s'opérer sur divers
points : au niveau du milieu de la langue, il en résulte ch, j;
vers la pointe, s,
e; entre la pointe de la langue et le bord des
incisives supérieures, th, θ; entre la lèvre inférieure et le
bord des incisives supérieures, f, v. Dans tous les cas de consonne soutenue,
la douce diffère de la forte d'après la manière dont la voix se combine avec le
rétrécissement. Si la voix ne se fait pas entendre ou ne se fait entendre qu'au
moment où cesse l'étranglement, on produit, au moyen du courant d'air, les
fortes ch, s, th dur, f. Si, au. lieu du courant d'air, c'est la voix même qui s'engage à
travers le rétrécissement, on a les douces j, z, th doux, v : c'est ce qui explique
comment il est impossible de produire les douces dans le chuchotement. Si le
rétrécissement s'opère entre la base de la langue et le voile du palais,
pendant qu'au passage du son, la luette est animée d'un léger frôlement, on
produit le j des Espagnols. Pour les consonnes, elles vont également varier suivant
le point où se fait l'articulation. L'occlusion s'opérant entre le milieu de la
langue et la voûte palatine, on forme, g1, g, gn; entre la pointe de la
langue et la voûte palatine, c, g des Italiens ; entre la pointe de la
langue et la partie postérieure des incisives, t, d, n ; entre les deux,
lèvres, p, b, m. Pour une même articulation, on a l'explosion g, c
des Italiens; t, p, si la voix, comme emprisonnée derrière l'obstacle, se fait entendre
au moment où les parties se séparent. Si la séparation des parties est précédée
d'un grognement ou murmure vocal s'opérant derrière les parties qui font
obstacle au moment de l'explosion, on forme les douces g, q des
Italiens, d, b. Enfin, si ce murmure préalable à l'explosion va spécialement retentir
dans les fosses nasales, on a gn, n, m. Une disposition spéciale se
rapporte à l et ll; pour l, la pointe de la langue s'applique au palais pendant que la voix passe
de chaque côté entre les bords de la langue et les bords alvéolaires ; pour ll,
ce n'est plus la pointe seulement, mais la moitié antérieure de la langue qui
est fixée au palais. »
Tels sont en termes précis et
rigoureux les modes divers de prononciation des signes phonétiques au moyen
desquels nous communiquons nos pensées, exprimons nos volontés et épanchons nos
sentiments. La parole est un des plus beaux, et des meilleurs privilèges de
l'espèce humaine et un des plus puissants leviers de la civilisation. Ceux qui
la manient bien sont les maîtres de leurs semblables. L'éloquence n'est qu'une
harmonie, comme la musique, comme la poésie. Si à l'harmonie de la parole
l'orateur joint l'harmonie des idées, c'est le comble de l'art.
L'homme peut perdre la parole dans
certains cas pathologiques. On a désigné cette maladie sous le nom d'aphasie,
d'aphémie, d'alalie, etc. (v. ces mots). Nous ne parlons pas ici du mutisme
proprement dit.
Encore que le fait soit contesté par
plusieurs physiologistes, on est autorisé à admettre aujourd'hui que la parole
a son siège intellectuel dans la troisième circonvolution frontale gauche ou
droite du cerveau. Dans de nombreuses observations d'aphasie, c'est-à-dire de
perte de la parole, on a toujours été amené à rapporter ce phénomène, sinon à
une lésion de cette troisième circonvolution, du m'oins très^certainement à une
lésion des lobes antérieurs du cerveau. La faculté du langage articulé ou, si
l'on aime mieux, de la parole, est une faculté de coordination qui a ainsi sa
source dans une portion déterminée de l'encéphale. Les premiers faits tendant à
établir cette doctrine ont été réunis et discutés par le célèbre Bouillaud,
puis par Broca et d'autres.
Nous renvoyons au mot LANGAGE tout ce
qui se rapporte à la parole considérée comme moyen de communiquer ses idées, de
les étendre, de leur donner plus de précision, etc.
— Allus. hist. La parole a été donnée à
l'homme pour déguiser sa pensée, Mot célèbre dont
voici l'historique. L'expression de cette triste vérité, que la bouche est
rarement d'accord avec le cœur, est certainement aussi vieille que la langue ;
on a donc tort d'en faire exclusivement honneur à Talleyrand. Un ancien
proverbe dit : « La langue est le témoin le plus faux, du cœur. » Campistron a
rendu la même idée dans sa tragédie de Pompéia :
Le coeur sent rarement ce que ]a bouche exprime.
Toutefois, il n'y avait encore rien
d'assez frappant dans ces diverses formes pour qu'elles restassent consacrées.
L'idée de dissimuler la pensée au moyen de la, parole, qui en est
-l'instrument, était trop originale et trop piquante pour ne pas faire fortune.
Mais qui a dit le premier : « La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa
pensée » C'est d'abord Voltaire, dans le conte du Chapon et la Poularde. Le
Chapon dit : Les hommes ne font des lois que pour les violer, et ce qu'il y a
de pis, c'est qu'ils les violent en conscience. Ils ne se servent de la pensée
que pour autoriser leurs injustices, et n'emploient les paroles que pour
déguiser leurs pensées. » Plus tard, Harel, cet esprit, si fertile en bons
mots, disait en toutes lettres dans le Nain jaune : « La parole a été
donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. » Mais il attribuait ce bel aphorisme
au prince de Talleyrand. Celui-ci n'était pas homme à répudier un mot si
conforme à la nature de son génie, lui qui avait déjà donné ce conseil a un
secrétaire d'ambassade : « Défiez-vous du premier mouvement, c'est le bon; » il
accepta donc volontiers la paternité de la phrase devenue si célèbre, et,
quelques jours après, il répondait à un jeune auditeur qui croyait se
recommander auprès du rusé diplomate en lui parlant de sa sincérité et de sa
franchise : « Vous êtes jeune, monsieur; apprenez que la parole a été donnée à
l'homme pour dissimuler sa pensée. »
Ainsi Voltaire a été le précurseur de
cette phrase fameuse: Harel en fut le père et Talleyrand le parrain. C'est ici
le cas de s'écrier : Habent sua fata libelli (les mots, comme les
livres, ont leurs destinées).
M. Babinet, brodant sur le mot, a
exprimé spirituellement une vérité qui ne sera contestée de personne, pas même
des médecins et des avocats : « On peut dire avec certitude que la signature
d'un homme est faite pour empêcher de connaître son nom »
Le brave homme avait passé sa vie à
louvoyer, à tergiverser, tranchons le mot, à mentir. Il ne voyait rien au-dessus
de la ruse et mettait tous ses efforts à utiliser la fameuse maxime de son chef
de file : La parole a été donnée à l'homme pour cacher sa pensée. »
PAUL
FÉVAL.
Non, dit-il en serrant la lettre, ne
la brûlons pas... qui sait? elle peut devenir matière à procès... Dois-je
répondre? ajouta-t-il en se grattant le front, signe qui lui était habituel
quand il voulait appeler une décision. Au fait, ajouta-t-il, l'écriture a été
donnée à l'homme pour déguiser sa pensée, et nous ne sommes pas au temps où l'on
pouvait faire pendre un homme avec deux lignes de sa main.
HENRI
MURGER.
"J'appelle un chat un chat,
interrompit d'un ton bref l'élève en droit,
— Mon cher Prosper, dit Dornier
doucement, vous oubliez que la parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa
pensée.
Qui a dit cela? ce vieux serpent de
Talleyrand ; belle autorité!»
CHARLES
DE BERNARD.
Allus. littér. Les paroles s'envolent, les
écrits restent. V. VERBA VOLANT.
Parole (MAXIMES ORIENTALES SUR LA), Tout le
monde connaît l'adage célèbre des Arabes : « La parole est d'argent et le
silence est d'or. » Mais les Orientaux possèdent sur la parole et le silence
une foule de proverbes beaucoup moins populaires et même, disons-le hardiment,
complètement inconnus, qui cependant ne le cèdent souvent à celui que nous
venons de citer ni en originalité, ni en exactitude. Voici, par exemple, une
page d'un célèbre auteur turc, Ali-Chîr, qui maniait le persan aussi bien que
son propre idiome. Nous en empruntons la traduction à un travail
très-intéressant publié par M. Belin dans le Journal asiatique, sous le titre
: Moralistes
orientaux. Cette page offre presque tous les proverbes
usités chez les trois peuples musulmans, arabe, persan et turc, et ayant
rapport à la parole et au silence. La voici :
"La langue a reçu l'insigne
honneur d'être l'instrument de la parole, la parole elle-même, aussi,
vient-elle à tourner au mal, elle est la cause des plus grands maux ; d'un
côté, la langue est la fontaine d'où jaillit la source de la félicité: de
l'autre, elle est le point de l'horizon où se lève l'astre néfaste du péché. »
Nous nous arrêterons un moment ici pour faire remarquer combien cette maxime
ressemble à celle que formulait plus simplement Esope : « La langue est à la
fois le plus grand des biens et le plus grand des maux. » Poursuivons la
lecture des préceptes d'Ali-Chîr:
La langue est la serrure du trésor du
cœur, la parole en est la clef; celle-ci dévoile en effet l'état du premier;
elle fait voir s'il contient seulement des perles fines ou simplement des
débris de coquilles.
Ne révèle à personne ton secret, pas
même peut-être à toi-même; si le dépôt de ton propre secret te pèse, il serait
absurde de le confier a d'autres. Si tu ouvres toi-même ton trésor pour en
éparpiller les perles, songe dès lors à ce que les autres en devront faire.
Au grand parleur honte et dérision.
Diseur de frivolités est semblable au
chien qui aboie jusqu'au matin.
Sois maître de ta langue, ne parle
qu'avec prudence.
Discours sans réflexion est cause de
repentir.
Abstiens-toi de paroles inutiles et
garde-toi de fermer l'oreille à un discours utile.
L'ignorant qui s'épuise en vains
discours et l'âne qui brait sans motif sont semblables l'un à l'autre.
Qui travestit la parole en mensonge
vend une pierre précieuse pour de l'ordure.
Petit mensonge et grand péché, c'est
un poison mortel quoiqu'à petite dose.
Mauvaise langue blesse autrui et se
nuit à elle-même.
Toute mince que soit la pointe de
l'aiguille, elle ne crève pas moins les yeux.
Bonne parole est brève.
Cerveau sain, langage éloquent.
Parole vraie n'a pas besoin
d'ornements ; la parole vraie est sans apprêts, elle n'a pas à s'inquiéter de
sa simplicité ; qu'importe à la rose la déchirure de son vêtement, à la perle
la forme défectueuse de sa coquille?
Le sage ne dit que la vérité; mais
toute vérité n'est pas bonne à dire. »
Parole (LES RÉVOLUTIONS DE LA), par Bancel
(1869, in-8°). Cet ouvrage, résumé de cinq années d'enseignement public fait à
l'université de Bruxelles par Bancel, exilé de France après le coup d'Etat du 2
décembre 1851. est une introduction à l'histoire de l'éloquence pendant la
Révolution. C'est l'histoire de la parole aux. principales époques, depuis ses
origines jusqu'à la Renaissance et à Rabelais; c'est une série de brillantes et
savantes études sur les origines de l'éloquence, sur son caractère, sur ses
transformations, ses grandeurs et ses décadences, suivies tôt ou tard de
soudaines résurrections. Cet essai historique est précédé d'une introduction où
l'au-leur traite de l'importance de la parole. La parole se mêle à toutes les
grandes transformations des peuples ; elle prépare les révolutions et marque
d'un mot chacun des grands pas de l'histoire. La parole a créé les peuples ;
elle les préserve, les conserve ; elle répand les religions, édicté les constitutions,
maintient les libertés. Le polythéisme, le judaïsme, le christianisme, le
mahométisme, la Réforme et la Révolution ont été engendrés par elle. Elle est
l'auxiliaire du droit, la compagne du progrès, et la liberté dont elle jouit
peut être regardée comme la mesure de la civilisation. Où l'éloquence est
proscrite, le droit gémit et le peuple est esclave. Mais cette toute-puissance
crée à la parole des devoirs ; elle ne doit pas, comme elle le fit sous les
empereurs romains, dégénérer en déclamations vaines ou se prostituer à
d'indignes flatteries; elle doit s'inspirer uniquement de la vérité et de la
justice ; c'est là la condition non-seulement de sa dignité, mais encore de sa
force et de sa grandeur. Si elle est indispensable au triomphe du droit, le
droit ne lui est pas moins indispensable pour qu'elle devienne l'éloquence et
ne dégénère pas en une misérable sophistique. Telles sont en résumé les
principales considérations habilement développées par M. Bancel dans son
introduction.
A l'introduction succède la partie
historique proprement dite, et tout d'abord se pose la question des origines de
l'éloquence. Sur ce point, Bancel rejette l'opinion de la plupart des
historiens et des critiques, qui prétendent qu'elle naquit en Sicile et qu elle
eut pour pères Corax et Tisias, et que, vers 440, un autre Sicilien, Gorgias de
Léontium, l'aurait transportée en Attique où elle ne tarda pas à s'acclimater
et à fleurir. D'après Bancel, l'éloquence est née avec la Grèce, et, déjà
impétueuse et irrésistible dans l'Iliade et l'Odyssée, elle éclate
non-seulement chez les poëtes, chez Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide,
Aristophane, mais chez les législateurs, les hommes d'Etat, les philosophes,
les historiens, chez Lycurgue, Dracon, Aristide, Thémistocle, Périclès,
Pythagore, Zaleucus, Thaïes de Milet, Phérécyde de Scyros, Anaximandre le
Milésien, Hérodote, Thucydide; tous répondent à l'idée que Bancel se fait de
l'homme éloquent : « Si, après avoir entendu un homme, vous vous sentez
meilleurs, plus fermes à la fois et plus indulgents ; si la bonté, cette vertu
des forts, pénètre vos âmes en même temps que le jour se fait dans vos esprits,
ne cherchez point une autre règle pour juger de l'orateur : cet homme est
éloquent. » Bancel s'occupe particulièrement de l'éloquence athénienne, de son
rôle dans la direction des affaires publiques, de ses illustres représentants
et des changements successifs de cette éloquence. Sur ce dernier point, il
adopte la division de M. Edgar Quinet, qui distingue dans la parole à Athènes
trois âges principaux, dont Périclès, Démosthène et Cléon sont les types : chez
Périclès la gravité, chez Démosthène la passion, chez Cléon la violence.
Quelles furent les causes historiques et physiologiques de ces transformations?
Comment les sophistes, ces rhéteurs à la langue légère, détournèrent-ils
l'éloquence de sa haute mission pour en faire l'instrument de la subtilité et
du scepticisme, l'art de faire triompher l'injustice par des arguments
captieux? Comment et avec quel succès Socrate et son disciple Platon furent-ils
les adversaires implacables des sophistes, et dans quelle mesure, en faisant
prévaloir les principes du bien, du vrai et du beau, contribuèrent-ils à la
gloire de l'éloquence jusqu'au jour où, la Grèce ayant laissé éteindre la flamme
de la justice et préférant l'argent, le bien-être, le repos, les jouissances
matérielles de la vie, Philippe parut et les soldats macédoniens asservirent la
patrie de Pindare et de Phidias? Quels furent les caractères de l'éloquence
romaine ? Quelle influence exerça sur elle le stoïcisme? A quelles causes
politiques faut-il attribuer ses développements dans Rome? Quelle fut la nature
du talent oratoire de Caton le censeur, des Gracques, d'Hortensius, de Cicéron
? En quoi l'éloquence religieuse, issue du christianisme, diffère-t-elle de
l'éloquence païenne et quels furent ses plus illustres représentants dans les
premiers siècles de l'Eglise? Bancel aborde ces diverses questions, et montre
en les traitant une vive imagination, une érudition variée, un jugement sûr et
un mouvement véritablement oratoire dans le style. Les longues études que
Bancel consacre à l'examen des systèmes philosophiques de l'antiquité font de
son ouvrage aussi ' bien un essai sur la philosophie qu'un essai sur
l'éloquence. C'est que pour Bancel, comme pour tous les esprits sérieux, la
sagesse et la philosophie sont les bases de l'éloquence. C'est à la philosophie
que l'éloquence emprunte les idées qu'elle pare des charmes du style.
Dans les Révolutions
de la parole, l'auteur ne fait pas seulement
l'histoire de l'éloquence proprement dite, de celle qui a pour piédestal la
chaire religieuse ou la tribune aux harangues, mais aussi de celle qui est
écrite et contenue dans les chefs-d'œuvre de l'esprit humain jusqu'à l'époque
de la Renaissance, à laquelle l'auteur consacre une étude approfondie et qu'il
examine dans ses diverses manifestations, littérature, philosophie, religion,
politique, beaux-arts et sciences. Les chapitres intitulés : la Renaissance,
les Artistes, De l'esprit de la Réforme, De l'esprit du calvinisme, De l'esprit
du jésuitisme, méritent d'être lus et relus à cause de l'originalité et de la
justesse des aperçus. Nous citerons encore le dernier chapitre du livre sur
Rabelais, étude fort remarquable sur l'auteur de Gargantua et de Pantagruel.
Dans ce livre, Bancel se montre inébranlablement attaché au principe de la
perfectibilité humaine. « L'histoire, à travers ses grandeurs et ses
décadences, dit-il, tend sans cesse vers la vérité, la justice. Elle nous
montre, à chaque pas du temps, la sagesse et la lenteur de ses lois. Souvent
triste, navrée, blessée, quasi mourante, elle avance au milieu d'un cortège de
ruines, et chaque débris du passé qu'elle foule est une assise de l'avenir.
Pour qui la considère attentivement, sa marche n'est pas interrompue. Elle ne
tourne pas dans le cercle de Vico. Elle ne se déroule pas dans une spirale
infinie. La liberté humaine est son artisan. Le progrès est sa loi. Même aux
heures les plus lourdes et les plus sombres, vous apercevez l'immortelle étoile
qui la guide. » Enfin ce livre savant, et qui semble écrit de l'abondance du
cœur, se termine par une parole de concorde et de fraternité : « Catholiques,
protestants, Israélites, fils du concile de Trente, confesseurs de la diète
d'Augsbourg, fils de Moïse et de David, si les dogmes ont divisé nos pères, que
les idées nous rapprochent et nous réconcilient! Oublions nos controverses et
nos colères! Au nom de vos saints et de vos héros, je vous adjure! Si vos
synagogues, vos temples et vos églises ont été des lieux de discorde et des
places de guerre, si la maison de votre Dieu a été la maison de la haine, que
l'école soit celle de l'amitié! Aimons-nous sur ces bancs de bois où règne
l'égalité. Nous aurons toujours assez de temps pour nous haïr. Soyons frères
dans l'école, afin de l'être dans la vie et dans la mort !
Paroles ( LE CAPITAINE ), intermède de MM.
Vacquerie et Paul Maurice. V. CAPITAINE.
Cet article est tout-à-fait révélateur du mouvement de
pensée qui se réalise à la fin du second tiers du XIXe
siècle. Conforme dans sa structure au modèle que se donne le lexicographe, il
envisage successivement les aspects lexicaux, phraséologiques et
encyclopédiques de la parole, et propose in fine
un panorama des opinions contemporaines sur cet objet, notamment grâce au
résumé analytique d'un ouvrage consacré à l'évolution des procédés de la
rhétorique, éloquence et philosophie mêlées. Il montre également qu'il ne
saurait y avoir une écriture quelconque de la voix qui ne prenne en
considération toutes les dimensions de la parole, de son ancrage éthique à ses
parures esthétiques. Comme le dit le sage Oriental : "Qui travestit la
parole en mensonge vend une pierre précieuse pour de l'ordure". Car, à
l'heure des idées reçues, des clichés des représentations, des stéréotypes de
la langue, la parole librement assumée restitue enfin à l'individu l'honneur
d'être entièrement responsable de ses pensées, et de leur énonciation.
Ecrire les voix, pour l'écrivain soucieux de
représenter l'évolution des moeurs contemporaines, comme pour le linguiste
désireux de travailler sur un matériau vivant engagé dans la construction du
quotidien, c'est donc désormais non seulement prendre en compte leur grain,
leur épaisseur, leur harmonie ou leur rudesse, leur élégance ou leur
grossièreté, mais c'est aussi exposer et travailler politiquement les
conditions individuelles et socio-historiques dans lesquelles elles
s'expriment. Et si, là, était le style?...
RÉFÉRENCES
D'ARBOIS 1872 : D'Arbois de Jubainville (Henri), "Etude phonétique
sur le dialecte breton de Vannes", Revue Celtique I, 1870-72, 85-105, 211-221.
ERNAULT 1878 Ernault (Emile), "Le dialecte vannetais de
Sarzeau", Revue Celtique
III, 1876-78, 47-59.
ERNAULT 1877 : Ernault (Emile), "De l'urgence d'une exploration
philologique en Bretagne, ou la langue bretonne devant la science", Mémoires de la Société d'Emulation des Côtes-du-Nord, XIV, 1877, 101-118.
GILLIERON 1902 : Gilliéron (J. ) et Edmont (E. ), Atlas linguistique de la France, Paris :
Champion, 35 fascicules parus de 1902 à 1912, avec une Notice
et une Table, ainsi qu'un Supplément.
GILLIERON : Gilliéron (Jules), L'Atlas
Linguistique de la France, Paris : Champion, 1903.
LE BRIGANT 1779 : Le Brigant (Jacques), Eléments
de la langue des Celtes Gomérites ou Bretons,
Strasbourg, 1779, 64 p.
LOTH 1886 : Loth (Joseph) : "Remarques sur le bas-vannetais,
Chansons en bas-vannetais", Revue Celtique VII, 1886, 171-199.
LOTH 1893 : Loth (Joseph), "Le dialecte de l'Ile aux Moines",
Revue Celtique XIV, 1893,
298-99.
LOTH 1896-a Loth (Joseph), "Alphabet Phonétique", Annales de Bretagne XI, 2, 1896, 233-235.
LOTH 1896-b : Loth (Joseph), "Chanson bretonne", Annales de Bretagne XI, 2, 1896, 236-249.
PARIS 1888 : Paris (Gaston), "Les parlers de France", Revue des patois gallo-romans, II, 1888,
161-172.
ROUSSELOT 1887 : Rousselot (l'abbé), "Introduction à l'étude des patois", Revue des patois gallo-romans, I, 1887 ; 1-22.
[1] . L. Dubroca, Traité de la prononciation des
consonnes et des voyelles finales des mots français. ,
Paris, Delaunay, Johanneau, 1806, p. de titre.
[2] .
Jean-Pierre Seris, Machine
et Communication,
Paris, Vrin, 2000.
[3] .
L'enquête fut menée de 1897 à
1901, Edmont visita 639 localités, et proposait un questionnaire de 1400 à 2000
items, chaque soir, pour ne pas être troublé par le souvenir qui module la
réalité, il envoyait à Gilliéron les résultats de la moisson du jour. Les
auteurs de l'Atlas avaient souhaité une densité moyenne de 6 à 7
points d'enquête par département.
[4] . L. Du Broca, L'Art de lire à haute voix, suivi de l'application de ses principes à la lecture des ouvrages d'éloquence et de poésie, Paris, Delaunay, Johanneau, 1824.
[5] . Dans le volume des Actes du IVe colloque international du Groupe d'Étude en Histoire de la Langue Française, Paris, 1989, intitulé : Grammaire des fautes et français non conventionnel, Presses de l'École Normale Supérieure de Jeunes-Filles, 1992, voir successivement : N. Fournier " Accord et concordance dans le journal parisien de Henri Paulin Panon Desbassayns [1790-1792 ] ", pp. 39-57; et S. Branca, " Constantes et variantes dans l'appropriation de l'écriture chez les mal-lettrés pendant la période révolutionnaire ", pp. 59-76.
[6] . Sur les points suivants, consulter Le Français moderne, 44e année, janvier 1976, n° 1, L'Orthographe et l'histoire, numéro coordonné par J. -M. Klinkenberg, qui traite particulièrement de cette période du XIXe siècle, de la tentative de réforme de l'orthographe souhaitée par Marle et de l'incidence des aspects socio-culturels et politiques sur l'orthographie française à cette époque.
[7] . Michelot, " Prononciation ", Journal Grammatical, Littéraire et Philosophique de la Langue Française et des Langues en Général, 1835, p. 25. BN in-8° X 13398
[8] . " A propos du Dictionnaire de la prononciation française d'Alberti ", Journal Grammatical, Littéraire et Philosophique de la langue française, 2e série, 1836, p. 211, B. N. in-8° X 13399
[9] . De Wailly, Principes généraux et particuliers de la langue française, Paris, Barbou, 11e éd. , 1807, p. 438. En 1849, le Cours Supérieur de Grammaire, 1ère partie : Grammaire proprement dite, Paris, Hachette, de B. Jullien reprend la même formulation pour la commenter : " En français, comme dans la plupart des langues, il y a deux prononciations différentes : l'une pour les vers et le discours soutenu; l'autre pour la conversation. La première est le véritable modèle dont on doit toujours chercher à se rapprocher; elle fait sentir exactement le son et l'accentuation des lettres, les relations des mots indiquées par leurs terminaisons, le caractère et le sens des phrases ", p. 24 a. Ce qui nous ramène en un sens à l'Art de lire à haute voix de Du Broca, cf. supra, dont J. Stéfanini a lumineusement analysé naguère les caractéristiques, voir son article " Un manuel de diction en l'an XI ", dans Mélanges de Langue et de Littérature française offerts à Pierre Larthomas, Paris, Presses de l'École Normale Supérieure de Jeunes Filles, n° 26, 1985, pp. 451-462.
[10] .
Cf. J.-Ph. Saint-Gérand, “Émois grammaticaux, Frissons lexicaux: vibrations de
l’épilinguistique et trémulations métalinguistiques au seuil du XIXe siècle”, in L’Information Grammaticale, n° 82, 1999, pp.-22 [octobre 1999].
[11] .
Sur ces auteurs et leurs ouvrages, se reporter aux pages correspondantes du
site Langue du XIXe siècle.
[12] .
Bien que celui-ci littérarise ce langage populaire en termes quasi académiques,
ce qui lui vaudra la reconnaissance officielle que l'on sait.
[13] . Mémoires de la Société Royale des Antiquaires de France, texte du baron Dupin, en date du 19 décembre 1814, p. 222.
[14] . Le linguiste Dufriche-Desgenette utilise le terme de phonème pour la première fois le 24 mai 1873, à la Société de Linguistique de Paris, comme équivalent de l'allemand Sprachlaut. Le terme sera ensuite repris par Louis Havet, de qui Saussure l'emprunte en 1878, dans son Mémoire sur le système primitif des voyelles en indo-européen. Ce dernier en fait alors un prototype unique à l'origine d'une multiplicité de sons dans les langues dérivées. Dérivation, filiation, ce sont là des concepts clefs dans l'élaboration d'une théorie des dialectes et des patois.
[15] . Michel Bréal est considéré comme le père français de la discipline, pour avoir introduit le terme même en 1883 dans l'Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques en France [pp. 132-142]. Mais il ne faudrait pas oublier les travaux précurseurs des grands lexicographes du XIXe siècle, qui, à l'instar de M. Jourdain, faisaient déjà sans le savoir de la sémantique historique. Ainsi Littré, dont l'opuscule Comment les mots changent de sens, primitivement intitulé Pathologie verbale ou lésions de certains mots dans le cours de l'usage, et publié dans Études et Glanures pour faire suite à l'Histoire de la langue française, Paris, Didier, 1880, voit son contenu assimilé et développé par le dialectologue Gilliéron [1854-1926] dans son travail sur les atlas linguistiques et les changements de sens auxquels sont soumises les formes lexicales à travers l'espace social et géographique, comme le montre sa Généalogie des mots qui désignent l'abeille d'après l'Atlas linguistique de la france, Paris, Bibliothèque de l'EHESH, Champion, 1918.
[16] . Jean-Pierre Leduc-Adine a étudié ce phénomène dans “ Paysan de dictionnaire, paysan de roman, ou un modèle textuel pour une représentation sociale de la paysannerie au milieu du XIXe siècle ”, in Au bonheur des mots, Mélanges en l’honneur de Gérald Antoine, Presses Universitaires de Nancy, 1984, pp. 91-106. Et note en particulier : “ Il y a tout un travail d’objectivation des ruraux auquel romanciers, peintres, journalistes, lexicographes, etc. , contribuent puissamment. Ces paysans ne parlent pas, ils “ sont parlés ”. Ce travail de représentation se construit dans et par un schéma lexical, sémantique et rhétorique permettant de donner une définition significative que les contemporains se font de la campagne et de ses travailleurs ” [p. 102]. On ne saurait mieux dire.
[17] . Qu'on ne confondra pas avec le malheureux Désiré, Académicien récemment encore décrié par le romancier E. Chevillard. Charles Nisard était né en 1808, et fut en 1852, responsable de la Commission du colportage, à l'époque même où Hippolyte Fortoul, ministre de l’Instruction publique et des cultes de Napoléon III, signe le 13 septembre un décret ordonnant la publication d’un Recueil général des poésies populaires de la France, doublé d'un Arrêté fixant l’organisation du Comité de la Langue, de l’Histoire et des Arts de la France chargé de "la préparation des Instructions qui devront être adressées […] aux correspondants du Ministère"
[18] . Les catégories du patois, du langage populaire et de la langue standard y étaient effectivement joyeusement mêlées; Paris, 1873. L’excellent ouvrage de R. A. Lodge, French, from Dialect to Standard, London, Routledge, 1993, fait le pointsur cette question.
[19] . Voir notamment J. Pignon, “ Les parlers régionaux dans La Comédie Humaine ”, in Le Français moderne, XIIe année, pp. 176-200 et 265-280. Et, aux limites indistinctes des régionalismes et du populaire, R. Dagneaud, Les éléments populaires dans le lexique de la Comédie humaine de Balzac, Quimper, 1954.
[20] . Voir J. -Ph. Saint-Gérand, “Les normandismes de Barbey d'Aurevilly : fonction poétique, fonction politique?” (à propos de L'Ensorcelée), in L'Information Grammaticale, 1988/37, pp. 25-33.
[21] . Sophie Dupuis, Traité de Prononciation ou Nouvelle Prosodie française, Paris, 1836, p. iv, B. N. X 24550.
[22] . La France Grammaticale, Ch. Durazzo, n° 1, 15 octobre 1838, p. 6.
[23] . Voir l'article d'A. Porquet, " Le pouvoir politique et l'orthographe de l'Académie au XIXe siècle ", in Le Français moderne, 44e année, Janvier 1976, n° 1, pp. 6-27.
[24] . J. -Ph. Saint-Gérand, " La question de la réforme de l'orthographe entre 1825 et 1851 ", in Le Français moderne, 44e année, Janvier 1976, n° 1, pp. 28-56.
[25] . Dictionnaire de la prononciation de la langue française, indiquée au
moyen des caaractères phonétiques, Paris, 1851, p. 11-12.
[26] .
Roux,1997, Rapport Guizot, 1834, :à peine un tiers des enfant scolarisés,
absence d'intérêt pour l'école, usage des patois, incapacité des instituteurs.
[27] . Note de Michel Bréal : Je dois beaucoup pour la suite de ce chapitre, ainsi que pour plusieurs autres passages de mon livre, à un excellent travail de M. Rudolf Hildebrand, Vom deutschen Sprachunterricht in der Schule, Leipzig, 1867.
[28] . Michel Bréal, Quelques mots sur l'instruction publique en France, Paris, Hachette, 1872, p. 32-33.