Conférer aux mots dans leurs emplois d'autres sens que le sens auquel les dictionnaire les réduisent ordinairement, tel est le dessein ultime de toute entreprise rhétorique. Au delà de la signification, les effets et les conséquences de ces manipulations, leur éthos, relève de la pragmatique. Si la littérature du XIXe siècle français se démarque nettement de toutes les entreprise antérieures des belles-lettres, c'est précisément parce qu'elle engage ses producteurs et ses consommateurs, par l'écriture et la lecture, dans une perpétuelle évaluation de caractères pragmatiques du langage. Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que la rhétorique -- en tant que savoir, technique, et institution(1) -- ait encore et toujours joué un rôle capital dans l'essor et les transformations de cette littérature si efficacement interactive, comme l'on dit aujourd'hui.
Par l'effet d'une métaphore hardie, Sainte-Beuve, à propos de la publication par Baudelaire des vingt Poèmes en prose parus dans La Presse les 26 et 27 août, puis le 24 septembre 1862, a fait du Kamtschatska l'énigmatique image des expansions esthétiques les plus extrêmes du romantisme, comme si ce dernier mouvement pouvait être aisément unifié et résumé en une seule quête de nouveaux territoires expressifs : "La pointe extrême du Kamtschatka romantique, j'appelle cela la Folie Baudelaire"(2).
Les dictionnaires du XIXe siècle, pour leur part, définissent ce lieu d'une manière qui ne saurait être neutre, mais qui, toutefois, passe pour l'être :
"Grande péninsule de la Russie d'Asie, dans la Sibérie orientale. Cette contrée forme la limite septentrionale de l'ancien monde. Elle fut reconnue en 1696 par Mososko, et devint tributaire de l'empire russe en 1697. Le Kamstchatka est traversé dans toute sa longueur par une chaîne de montagnes granitiques et volcaniques. Il est peuplé au Sud par les Kourils, au Nord par les Koriaks et sur les bords de la rivière du Kamstchatka par les Kamstchadales, peuple indigène issu d'une race mongole dégénérée. Ils sont mal faits et d'une malpropreté dégoûtante. Leurs moeurs sont douces et ils ne manquent point d'intelligence ni d'adresse; l'ivrognerie les a abrutis sous la domination des Russes, auxquels ils paient un tribut en fourrures. Le climat du Kamstchatka, bien que très rigoureux est sain, et le sol ne serait pas impropre à la culture si elle était moins négligée. Des chiens, des rennes, des traîneaux et quelques armes forment toute la richesse des habitants de ce pays. Il s'y fait un grand commerce de fourrures précieuses, zibelines, castors, etc. [...]"(3)
Or, Baudelaire, tout fondateur de la modernité poétique et littéraire qu'on ait pu le considérer, n'est pas le dernier à avoir suivi dans ses années d'apprentissage les voies de la rhétorique la plus académique. Mais son cas est un cas d'exemple tout comme le modèle de l'extension du sens allégorique dévolu par Sainte-Beuve à Kamtschatska constitue un modèle exemplaire des rapports complexes de la rhétorique à la littérature dans la France du XIXe siècle.
Dans un livre déjà ancien, aujourd'hui assez négligé, après avoir montré que le romantisme français -- comparativement aux romantismes allemand ou britannique -- n'offrait qu'un visage "anémié et truqué" de ce mouvement, Jean Fabre écrivait :
"Le romantisme français a inscrit ou inscrira en d'autres temps ses lettres de grandeur : vers 1780, alors que s'éditaient et se révélaient les oeuvres complètes de Rousseau, ou après 1850, lorsque les Chimères, les Contemplations et les Fleurs du Mal éclateront, presque simultanément dans le ciel de la poésie"(4)
Ce faisant, il posait pour son époque -- non sans provocation et paradoxe -- le fait que la subsistance et les modifications de la rhétorique à l'époque traditionnellement référée comme "romantique" par les histoires littéraires de la France mettaient d'entrée de jeu hors du champ d'un véritable romantisme européen la portion française du XIXe siècle comprise entre 1798 et 1840. De sorte que le "romantisme français" désigné par les manuels inscrirait comme en creux une revendication et des postulations exprimées ailleurs sur la base d'options philosophiques clairement affichées.
Il est vrai qu'en France la notion même si problématique de "pré-romantisme", formalisée et théorisée entre autres par André Monglond, que les historiens ultérieurs de la littérature ont toujours eu du mal -- au reste -- à intégrer dans leurs développements, n'a jamais été réellement éclaircie dans sa relation au mouvement des Idéologues et de l'Idéologie, si tant est que cette dernière ne fût jamais qu'une philosophie abstraite(5). Cette thèse d'une inadéquation essentielle de l'entreprise contestataire française aux ambitions et objectifs généraux du mouvement européen, on le sait, a été reprise avec succès par un Georges Gusdorf, qui en a même fait un des piliers de ses analyses(6).
Et Gérard Genette, rappelant le succès des Manuels de Fontanier(7) entre 1818 et 1822, s'est comme naturellement inscrit dans cette lignée de pensée qui répudie tout caractère innovant aux formes littéraires des quarante premières années du XIXe siècle, sous l'observation que les auteurs de cette première partie du siècle avaient été formés à une tradition classique qu'ils perpétuaient -- malgré qu'ils en aient et en dépit de certaines belliqueuses préfaces -- en bons rhéteurs ou rhétoriciens.
Pierre Larthomas lui-même, a montré jadis que les auteurs dits "romantiques" étaient de très habiles utilisateurs des règles de la rhétorique classique(8). On pourrait dès lors croire le procès définitivement instruit, et irrécusable le jugement.
Seul Tzvetan Todorov avant les années 1980, eut la clairvoyance de s'interroger sur le paradoxe que constitue l'apogée et la disparition simultanées de cette rhétorique figurale à fonction ornementale sous la Monarchie de Juillet. Je rappellerai simplement ces quelques fragments de Théories du Symbole :
"Comment s'expliquer cette aberration dans l'évolution de la connaissance, qui fait qu'on abandonne un domaine aussi riche, aussi bien prospecté [que celui de la rhétorique issue des travaux de Dumarsais, Beauzée, Fontanier] ? C'est que les tournants au sein de l'histoire de la science [...] ne sont pas déterminés par des conditions internes de maturité ou de fécondité. A la base de toutes les recherches rhétoriques particulières, se trouvent quelques principes généraux, dont la discussion n'appartient plus au champ de la rhétorique, mais à celui de l'idéologie. Lorsqu'un changement radical intervient dans le domaine idéologique, dans les valeurs et prémisses généralement admises, peu importe la qualité des observations et explications de détail : elles sont balayées en même temps que les principes qu'elles impliquaient. Et personne ne se soucie de l'enfant jeté hors de son bain en même temps que l'eau sale. Or c'est précisément à une rupture de ce genre qu'on assiste dans la période envisagée ici ; rupture préparée au XVIIIe siècle, et dont toutes les conséquences éclatent au siècle suivant. La cause lointaine, mais certaine, de ce bouleversement, c'est l'avènement de la bourgeoisie, et des valeurs idéologiques que celle-ci porte avec elle. Pour ce qui nous concerne, cette rupture consiste dans l'abolition d'une vision du monde qui possédait des valeurs absolues et universelles, ou, pour n'en prendre que l'exemple le plus éloquent, la perte de prestige subie par le christianisme ; et dans son remplacement par une autre vision, qui refuse d'assigner un lieu unique à toutes les valeurs, qui reconnaît et admet l'existence du fait individuel, lequel n'est plus l'exemple imparfait d'une norme absolue"(9)
Cependant, comme toute thèse, cette position clairvoyante n'est en réalité qu'une hypothèse, dont la vertu explicative est bien attestée dans certains domaines, et se révèle suffisamment puissante sous un certain regard ; mais qui connaît néanmoins des limites lorsque, sortant des cadres généraux d'interprétation d'un mouvement, l'historien et le critique cherchent à tester la validité des arguments sur le détail de faits rendus complexes par leurs effets évidents de contradiction. Le phénomène rhétorique est incontestablement un de ceux-ci. Et les remarques proposées ici n'auront pour but que de contribuer à nuancer des positions que les critiques ont trop souvent rigidifiées à des fins de modélisation explicative. Les documents examinés ci-dessous, qui procèdent d'un choix aussi représentatif que possible de pamphlets et de libelles généralement considérés comme anti-romantiques, devraient permettre de faire apparaître dans toute sa complexité l'objet polymorphe et souvent pervers de la rhétorique du XIXe siècle.
Si, ce qui reste à prouver, mouvement esthétique concerté il y a, la première image nette du romantisme qui s'impose est bien -- comme en creux -- celle que donnent à en percevoir les contempteurs les plus virulents, plutôt que celle qu'en offrent les premiers pratiquants.
Les adversaires déclarés ont à leur disposition tout un arsenal lui-même très rhétorique de moyens pour porter l'attaque. Une première manière est de contester la chose au nom de la théorie littéraire en raison d'un idéal esthétique abstraitement revendiqué. Tel est le cas du critique du Journal des Débats, Dussault(10), qui hasarde sur le sujet quelques réflexions à l'ambiguïté très parlante. A l'heure même où Fontanier, une nouvelle fois, livre le dernier état de la réflexion classique sur le sujet, la première réaction de Dussault est de remettre la rhétorique à sa juste place, celle d'un enseignement devenant progressivement obsolète sous ses formes traditionnelles :
"Il s'en faut beaucoup que nous attachions à la rhétorique autant d'importance que les anciens ; elle entre dans notre cours d'études ; mais la place qu'elle y occupe n'est pas plus distinguée que celle des autres parties ; on consacre à cette étude une ou deux années, après lesquelles on l'abandonne pour toujours ; les anciens y consacraient leur vie presque entière [...]. Il semble que dans les temps modernes on a eu, pour la rhétorique considérée en elle-même, un certain mépris dont il est difficile d'expliquer les causes : Voltaire se moque beaucoup de cet art, et, à ce sujet, se répand en facéties qui ne tarissent pas ; il est vrai que dans les ouvrages de quelques rhéteurs, la rhétorique se présente hérissée de termes techniques, assez capables d'effaroucher ; mais l'art en lui-même manque-t-il réellement de cette importance que les anciens y attachaient? Nous paraissons ne pas regarder les préceptes comme aussi utiles et nécessaires qu'ils le croyaient ; nous accordons plus qu'eux au génie et au talent ; ils avaient moins de confiance que nous dans la nature ; dans les écoles mêmes, on semble avoir proscrit la lecture des rhéteurs : les noms des figures de rhétorique nous font sourire, tandis que les anciens non seulement s'occupaient très sincèrement de ces figures, mais entraient dans une foule de détails épineux et d'analyses difficiles dont, généralement, nous n'avons pas même l'idée aujourd'hui. Nos gens de lettres eux-mêmes et nos écrivains de profession méprisent les préceptes, et je crois qu'ils ont tort : à la vérité, lorsque le talent naturel manque, les préceptes sont à peu près inutiles ; mais ils sont très propres à seconder la nature, à éclairer le génie, à étendre les moyens, à développer les dispositions, à féconder les germes du talent : l'art d'écrire cesserait d'être un art s'il n'avait point sa méthode, ses procédés et ses lois : il faut donc les étudier comme il faut étudier les règles de tous les autres arts"(11).
Une telle position est finalement peu différente dans sa forme superficielle de celle que Baudelaire énonce encore quelque quarante ans plus tard dans le Salon de 1859, quoique la revendication de ce dernier s'élève sur un arrière-plan épistémologique bien différent de celui auquel réfère le thuriféraire d'une orthodoxie esthétique néo-classique :
"Je ne crains pas qu'on dise qu'il y a absurdité à supposer une même éducation appliquée à une foule d'individus différents. Car il est évident que les rhétoriques et les prosodies ne sont pas des tyrannies inventées arbitrairement, mais une collection de règles réclamées par l'organisation même de l'être spirituel, et jamais les prosodies et les rhétoriques n'ont empêché l'originalité de se produire distinctement. Le contraire, à sa voir qu'elles ont aidé à l'éclosion de l'originalité, serait infiniment plus vrai"(12)
En effet, contrairement à la revendication de Baudelaire, la réévaluation à laquelle vise Dussault ne procède aucunement d'une mise en relation de la rhétorique avec les puissances abyssales de la subjectivité créatrice ; elle s'inscrit tout à l'inverse dans une apologie de la conscience analytique, de la transparence sans obstacle et de la clarté :
"[...] Quand on ne considérerait même la rhétorique que comme une spéculation métaphysique, elle serait digne encore de l'attention des hommes qui pensent, et ne mériterait pas le mépris que nous paraissons lui avoir voué : n'est-il pas admirable en effet qu'on soit parvenu à classer, à déterminer avec tant de netteté et de précision les opérations de notre esprit, les mouvemens de notre âme? Tout ce qui tient au goût le plus fin, au sentiment le plus délicat, à l'instinct le plus fugitif a été soumis à l'analyse, démêlé, apprécié avec une justesse qui étonne ceux qui savent encore s'étonner de quelque chose. Le coeur humain a été scruté, approfondi par quelques génies supérieurs, qui nous ont montré à découvert les ressorts qui le font mouvoir, et qui nous ont révélé tous les secrets de la persuasion. Tous les moyens capables d'ébranler l'imagination, de toucher le coeur, de fléchir sa volonté, tout ce qui peut contribuer à donner à nos pensées plus de force, de relief et d'effet, tous les artifices par lesquels nous pouvons les faire valoir et les communiquer aux autres avec empire ; enfin, tout ce qui peut assurer au plus beau présent que nous ait fait la nature le degré de perfection dont il est susceptible, a été dicté, enseigné comme on enseigne les procédés de l'art le plus grossier et le plus mécanique. Quelle profondeur de métaphysique, quelle pénétration, quelle sagacité n'a-t-il pas fallu pour en venir là ?"(13)
C'est que l'arrière-plan des conceptions du langage sur lequel se déploient ces conceptions a changé; au fixisme universel et généraliste des positions de la métaphysique s'est substitué l'évolutionnisme singulatif de l'histoire, qui permet de passer du génie global de la langue française aux génies particuliers qui l'inscrivent en littérature. Ainsi, lorsque Dussault loue la figure alors emblématique du philosophe générateur de la tradition rhétorique, Aristote, le critique prend bien soin de noter que tout l'effort ancien de discrimination, de classification, et d'élucidation, que l'école doit incessamment transmettre aux générations contemporaines, a pour conséquence paradoxale d'induire des comportements scripturaux aux allures presque spontanées, mais qui -- toutefois -- relèvent tous de l'universalité de l'humanité et renvoient à une certaine conception du génie distinctif :
"Quand Aristote fixa à la fois les règles de la rhétorique et celles de la logique, il montra sans doute une force de tête, une sagacité, une profondeur, une finesse de jugement, une étendue de vue et d'idées qu'on pourrait souhaiter à plus d'un de nos idéologues actuels, en dépit de leurs superbes prétentions ; mais que nous veulent aujourd'hui les compilateurs de métaphores, de métonymies, de synecdoches et de catachrèses ? Il y a une foule de figures de rhétorique qui n'ont jamais fait, et qui ne feront jamais, fortune dans le monde ; je conviens qu'elles ont du malheur : d'autres nomenclatures, non moins rudes, non moins hétéroclites et pédantesques y sont reçues avec fureur. Il me semble que le langage des peintres, des sculpteurs, des architectes et des musiciens peut hardiment le disputer, en fait de syllabes étranges et de dénominations bizarres, à celui des rhéteurs. Cependant il n'est pas rare d'entendre prodiguer dans la société ces mots baroques, sans qu'ils effrayent personne : les femmes mêmes sourient quelquefois avec grâce à ces termes si peu gracieux. Mais de quelle épouvante ne seraient-elles pas saisies, si quelqu'un s'avisait de remarquer devant elles une magnifique hypotypose dans un discours de M. de Bonald, ou une admirable catachrèse dans une page de Chateaubriand ; il y aurait de quoi tomber à la renverse : cela fait honneur, selon moi, au grand art de la parole ; cela me paraît y prouver que la technique et le matériel y dominent moins que dans les autres arts. En effet, l'orateur éloquent a fait sa belle hypotipose [sic] sans se rappeler qu'il y a une figure de rhétorique qui porte ce nom. Le grand et sublime écrivain a fait sa brillante catachrèse sans penser qu'il y eût au monde des catachrèses(14) : voilà ce qu'on suppose avec beaucoup de fondement, parce qu'en littérature on se représente le génie comme ayant en lui-même toutes ses ressources ; tandis que dans les autres exercices de l'esprit humain, l'artiste semble être et est en effet plus asservi à la méthode, plus enchaîné à la théorie, plus esclave des leçons de l'école ; et c'est en même temps ce qui cause le décri de tous les traités d'éloquence"(15)
Une seconde manière de porter l'attaque est de réduire l'importance des principes généraux pour fixer l'essentiel du débat sur les pratiques effectives de l'écriture contestée; et la critique prend alors la forme de la diatribe et du sarcasme, à peine édulcorés par la veine comique qui alimente une constante dépréciation ironique du phénomène rhétorique. C'est ainsi qu'Antoine Jay(16), à la faveur d'un pastiche des modes alors régnantes, peut observer -- en forme de prétérition -- le désir d'émancipation des jeunes romantiques, qui s'inscrit jusque dans leur affranchissement à l'égard des impératifs classiques de clarté, pureté et précision de la langue française :
"Mais je m'abstiendrai de remarques critiques sur l'emploi du langage : elles seraient trop nombreuses ; et d'ailleurs nos jeunes maîtres mettent au nombre des droits acquis au romantisme celui de dénaturer la langue et de faire impunément des solécismes. Ils ne veulent pas emprisonner leur génie dans les règles de la grammaire : ce serait une imitation trop servile du classicisme caduc"(17)
C'est sur cette considération générale caractérisant l'éthologie linguistique du romantisme naissant, que Jay fait reposer une dévaluation ironique du système anti-rhétorique que proclament les ambitions esthétiques de la nouvelle école. Ce sont tout d'abord les figures les plus communément désignées et employées en littérature qui sont l'objet de la critique : la synecdoque, la métonymie, les métaphores, évaluées à l'aune du bon sens bourgeois et de la rationalité la plus plate :
"[Au lieu de : "dans mon lit un oeil noir"] Vous autres qui ne parlez que pour être compris, vous auriez dit tout simplement : une belle fille aux yeux noirs. Voyez le beau mérite! Quelle difficulté y a-t-il à cela ? Parlez-moi des poètes de l'époque : ils prennent, quand ils en ont besoin, la plus petite partie d'une chose pour le tout : c'est la synecdoche romantique. Il suffit de ne pas oublier la couleur de l'objet [...]
Puisque j'en suis aux figures de rhétorique, je dois ajouter que les génies modernes aiment singulièrement un trope que nos professeurs de Belles-Lettres nous conseillent d'éviter avec grand soin. [...] Tu n'as pas le sentiment de la poésie : je suis fâché de te le dire ; mais c'est la vérité. Tu penses toujours à ces vieilles règles dont nous avons secoué la domination. Je t'apprendrai que cette image est ce que nous nommons la grande Hyperbole. Nous nous en servons beaucoup, par ce que son effet est infailliblement d'exciter une vive surprise. Ce que nous redoutons le plus, c'est d'écrire comme les autres ; ce ne serait pas la peine de faire une révolution dans la République des Lettres pour nous retrouver au point d'où nous sommes partis. Nous avons imaginé bien d'autres tropes dont jusqu'ici personne n'avait entendu parler. Je commencerai par la Triviale : elle abonde dans une pièce des Rayons Jaunes, que je regarde à juste titre comme mon chef d'oeuvre. Écoute avec attention !
Qu'en dis-tu ? Tu ne sens peut-être pas tout le sublime de la figure triviale. Je ne connais que mes amis Alfred de Vigny et Émile Deschamps qui puissent descendre à cette profondeur. Aussi sont-ils, comme ton serviteur, les maîtres du siècle, dont ils ont acquis la propriété exclusive [...]
L'un de nos tropes les plus séduisants dont nous nous servons est le Non-sens ; c'est l'ombre que nous jetons, comme d'habiles peintres, dans nos tableaux. Toutes les fois que cette figure se présente à notre esprit, et cela arrive souvent, nous sommes saisis d'enthousiasme :
Mais on voit ici qu'au-delà de la critique conjoncturelle et d'humeur, avec le terme de "figure" et les impedimenta techniques de la taxonomie rhétorique, ce sont les formes expressives fondamentales de l'esthétique romantique -- en tant que ces dernières s'affirment dans une opposition généralisée(19) -- qui sont condamnées, et, par delà la correctivité grammaticale et lexicologique, l'éthique sociale qu'elles pré-supposent(20).
Lamartine, comme Vigny, Gaspard de Pons, Sainte-Beuve ou Hugo, tous hérauts affichés et reconnus de la nouvelle Pléiade, font les frais de cette acrimonieuse acribie(21), comme -- en prose -- les témoignages de Musset, Quinet ou de Renan sur leurs enfances portent trace de la lourdeur du faix rhétorique dans l'instruction qu'ils ont reçue(22). Il n'est donc pas étonnant de voir le jeune et provocant Hugo de la Préface des Orientales parodié jusque dans la reprise de ses discours iconoclastes, dont une maligne surenchère inverse la valeur dans l'esprit des lecteurs :
"Quant à nous, nous le dirons hardiment, le temps en est venu, et il serait étrange qu'à cette époque, la liberté comme la lumière pénétrât partout, excepté dans ce qu'il y a de plus nativement libre au monde, les choses de la pensée. Nous mettons le marteau dans les théories, les poétiques et les systèmes ; nous jetons bas ce vieux plâtrage qui masque la façade de l'art ; il n'y a ni règles, ni modèles ; ou plutôt, il n'y a d'autres règles que les lois générales de la nature, qui planent sur l'art tout entier"(23)
Car ce qui est dénoncé par les tenants de la tradition, c'est au moins autant la violation des principes d'une rhétorique soumise aux règles de la convenance que celle des fondements d'une socialité respectueuse de la hiérarchie des mérites. Le Discours de Daru sur les causes du succès de la litote, comme forme d'expression correspondant à certaines nécessités conjoncturelles et historiques de l'éthique sociale, est sans équivoque à cet égard(24).
Un autre critique réactionnaire de l'époque, Louis-Pierre-Marie-François Baour-Lormian(25), dans son dialogue intitulé Le Classique et le Romantique, expose sans retenue cette liaison du rhétorique et de la morale sociale grâce à une théorie de la simplicité lexicologique, qui renvoie le rhétorique à l'inanité des machines pervertisseuses modernes :
Un tel témoignage porte au ridicule le détail de la phraséologie, et les principes de la mise en scène verbale, qui caractérisent les écrivains du mélodrame, et du roman gothique, y compris les poètes inspirés par les styles épique, élégiaque ou la veine "troubadour". Rares sont les auteurs du début du XIXe siècle qui peuvent prétendre échapper à cette condamnation généralisée. D'Arlincourt en tirera son surnom de "Vicomte inversif"... Jean-Pons Gaspard Viennet, autre personnalité à la critique piquante, trouvera dans ce combat matière à d'innombrables traits émaillant ses Épîtres et Satires(27). En d'autres lieux, et d'autres temps, il sera utile d'évoquer à cette occasion les avatars du mariage de la prose et du rythme sous les espèces de la prose poétique et du poème en prose(28), eux aussi soumis à cette contradiction de la fin et des moyens. Je noterai seulement aujourd'hui qu'un Ponce-Denis Écouchard Lebrun_, dit Lebrun-Pindare, modèle par excellence d'un certain conformisme scriptural, est encore caractérisé à cette époque par Marie-Joseph Chénier comme un novateur audacieux que seul rédime un sens grammatical classique de la langue lui permettant d'éviter les audaces d'une anti-rhétorique qui n'est qu'une nouvelle rhétorique :
"S'il est permis de lui reprocher le luxe et l'abus des figures, l'audace outrée des expressions, et trop de penchant à marier des mots qui ne voulaient pas s'allier ensemble, l'envie seule oserait lui contester une étude approfondie de la langue poétique, une harmonie savante, et ce beau désordre essentiel au genre qu'il a spécialement cultivé"(29)
Une telle assertion pose toute une série de questions autour de la constitution et de la définition d'une axiologie de la rhétorique:
1° Qu'en est-il donc de la supposée résistance de la rhétorique aux mutations littéraires, de sa dissimulation, et des formes diverses de ses variations en concomitance avec les événements de l'histoire politique et culturelle ?
2° Quid -- en termes de style ou de manière -- de la lecture des oeuvres du passé que font en synchronie par rapport aux créations les critiques littéraires de profession et le lectorat anonyme des amoureux de la littérature ?
3° A distance historique, enfin, quels indices sémiologiques peuvent aujourd'hui fournir la théorie et les pratiques rhétoriques de ce moment de l'histoire de la littérature française ?
Pour répondre à ces question, brossons sommairement un panorama des diverses figures traditionnelles de la rhétorique sur lesquelles ont pu s'affronter les thuriféraires de la tradition et les insolents innovateurs issus de leurs rangs.
Une étiologie rhétorique de l'image est à la base du besoin distinctif dont témoignent les écrivains dits "romantiques". L'éthos ne vient qu'ensuite. Cyprien Desmarais, auteur d'un précoce essai sur les rapports de la littérature avec les divers aspects politiques et culturels du devenir de la société française, souligne cette nécessité de la subsistance d'une théorie du vraisemblable pourtant mise à mal par les visions exaltées de l'époque :
"La littérature romantique sera plus ancienne et plus idéale que la littérature classique ; et toutefois, elle abondera davantage en comparaisons et en images : c'est que la poésie a bien plus besoin de traduire la pensée en images lorsque la pensée est si vaporeuse et si déliée qu'elle risquerait sans ce secours de n'être ni exprimée ni comprise. Car le langage poétique, en empruntant les secours des comparaisons d'objets matériels et physiques, procure par elle-même l'excellence de la pensée humaine sur le mécanisme des langues.
Le romantique, s'exerçant davantage dans l'idéal, a plus fréquemment recours à l'emploi des images, par le motif que nous venons d'expliquer : mais comme ici, l'usage est toujours voisin de l'abus, le romantique sera plus exposé que le classique à tomber dans l'exagération et dans l'emphase. On ne doit pas lui imposer le joug d'une grande régularité ; mais il ne peut s'absoudre du défaut de vraisemblance"(30)
Sur cette contrainte se greffe une pratique de la figure dont Charles Thiebault de Laveaux, dès 1818, rappelle en quoi elle est conditionnée par une attitude prescriptive directement héritée de la seconde moitié du XVIIIe siècle et des auteurs de l'Encyclopédie, qui, tels Beauzée ou Marmontel, ont succédé à Dumarsais. Grammaire et esthétique de l'ornementation ont alors partie liée sous l'hypothèque de la raison primordiale, éternelle et universelle directrice de la pensée :
"Terme de grammaire et de rhétorique. On entend par figure une disposition particulière d'un ou de plusieurs mots relative à l'état primitif et pour ainsi dire fondamental des mots ou des phrases. Les différents écarts que l'on fait dans cet état primitif, et les différentes altérations qu'on y apporte, font les différentes figures de mots ou de pensées. Ces deux mots : Cérès et Bacchus, sont les noms propres et primitifs de deux divinités du paganisme. Ils sont pris dans le sens propre, c'est-à-dire selon leur première destination, lorsqu'ils signifient simplement l'une ou l'autre de ces divinités. Mais comme Cérès était la déesse du blé, et Bacchus le dieu du vin, on a souvent pris Cérès pour le pain et Bacchus pour le vin ; et alors, les adjoints ou les circonstances font connaître que l'esprit considère ces mots sous une nouvelle forme, sous une autre figure ; et l'on dit qu'ils sont pris dans un sens figuré. Madame Deshoulière a pris pour refrain d'une ballade :
C'est-à-dire qu'on ne songe guère à faire l'amour quand on n'a pas de quoi vivre.
Il y a des figures de mots et des figures de pensées. Les premières tiennent essentiellement au matériel des mots, au lieu que les figures de pensées n'ont besoin des mots que pour être énoncées. Il y a des figures de mots qu'on appelle figures de construction. Quand les mots sont rangés selon l'ordre successif de leurs rapports dans le discours, et que le mot qui en détermine un autre est placé immédiatement et sans interruption après le mot qu'il détermine, alors il n'y a point de figure de construction. Mais lorsqu'on s'écarte de la simplicité de cet ordre, il y a figure. Les principales figures de construction sont l'ellipse, le pléonasme, la syllepse ou synthèse, l'inversion ou hyperbate.
Il y a des figures de mots qu'on appelle tropes à cause du changement qui arrive alors à la signification propre du mot. Ainsi, toutes les fois qu'on donne à un mot un sens différent de celui pour lequel il a été primitivement établi, c'est un trope. Les écarts de la première signification du mot se font en bien des manières différentes, auxquelles les rhéteurs ont donné des noms particuliers.
Il y a une dernière sorte de figures de mots qu'il ne faut pas confondre avec celles dont nous venons de parler. Les figures dont il s'agit ne sont point des tropes, puisque les mots y conservent leur signification propre ; ce ne sont point des figures de pensées, puisque ce n'est que des mots qu'elles tiennent ce qu'elles sont. Telles sont la répétition, la synonymie, l'onomatopée.
Les figures de pensées consistent dans la pensée, dans le sentiment, dans le tour d'esprit ; de sorte que l'on conserve la figure, quelles que soient les paroles dont on se sert pour l'exprimer.
Les figures ou expressions figurées ont chacune une forme particulière qui leur est propre, et qui les distingue les unes des autres. Par exemple, l'antithèse est distinguée des autres manières de parler en ce que les mots qui forment l'antithèse ont une signification opposée l'une à l'autre [...]. Les grammairiens et les rhéteurs ont fait des classes particulières de ces différentes manière, et ont donné le nom de figures de pensées à celles qui énoncent les pensées sous une forme particulière qui les distingue les unes des autres et de tout ce qui n'est que phrase ou expression. Ces classes sont en très grand nombre et il est inutile de les connaître toutes. Le principales, outre celles que nous venons de nommer (antithèse, apostrophe, prosopopée) sont : l'exclamation, l'interrogation, la communication, l'énumération, la concession, la gradation, la suspension, la réticence, l'interruption, l'observation, la périphrase, l'hyperbole, etc.
Les figures rendent le discours plus insinuant, plus agréable, plus vif, plus énergique, plus pathétique ; mais elles doivent être rares et bien amenées. Elles ne doivent être que l'effet du sentiment et des mouvemens naturels, et l'art n'y doit point paraître. Nous parlons naturellement en langage figuré lorsque nous sommes animés d'une violente passion. Quand il est de notre intérêt de persuader aux autres ce que nous pensons, et de faire sur eux une impression pareille à celle dont nous sommes frappés, la nature nous dicte et nous inspire son langage. Alors toutes les figures de l'art oratoire que les rhéteurs ont revêtues de noms pompeux, ne sont que des façons de parler très communes que nous prodiguons sans aucune connaissance de la rhétorique. Ainsi le langage figuré n'est que le langage de la simple nature appliqué aux circonstances où nous le devons parler.
Rien de plus froid que les expressions figurées quand elles ne sont pas l'effet naturel du mouvement de l'âme. Pourquoi les mêmes pensées nous paraissent-elles beaucoup plus vives quand elles sont exprimées par une figure, que si elles étaient enfermées dans des expressions toutes simples? C'est que les expressions figurées marquent, outre la chose dont il s'agit, le mouvement et la passion de celui qui parle, et impriment ainsi l'une et l'autre idée dans l'esprit; au lieu que l'expression simple ne marque que la vérité toute nue.
Les figures doivent surtout être employées avec ménagement dans la prose, qui traite souvent des matières de discussion et de raisonnement. On n'admet point le style figuré dans l'histoire, car trop de métaphores nuisent à la clarté ; elles nuisent même à la vérité en disant plus ou moins que la chose même. Les ouvrages didactiques le réprouvent également. Il est bien moins à sa place dans un sermon que dans une oraison funèbre, par ce que le sermon est une instruction dans laquelle on annonce la vérité, l'oraison funèbre une déclamation dans laquelle on l'exagère.
L'imagination ardente, la passion, le désir souvent trompé de plaire par des expressions surprenantes, produisent le style figuré. La poésie d'enthousiasme, comme l'épopée, l'ode, est le genre qui reçoit le plus ce style. On le prodigue moins dans la tragédie, où le dialogue doit être aussi naturel qu'élevé ; encore moins dans la comédie dont le style doit être plus simple. C'est le goût qui fixe les bornes qu'on doit donner au style figuré dans chaque genre.
L'allégorie n'est point le style figuré. On peut, dans une allégorie, ne point employer les figures, les métaphores, et dire avec simplicité ce qu'on a inventé avec imagination. Presque toutes les maximes des anciens orientaux et des Grecs sont dans un style figuré. Toutes ces sentences sont des métaphores, de courtes allégories ; et c'est là que le style figuré fait un très grand effort en ébranlant l'imagination et en se gravant dans la mémoire [...]
Lorsqu'une figure se présente trop brusquement, elle étonne plutôt qu'elle ne plaît ; lorsqu'elle n'est pas soutenue, elle ne produit pas tout son effet. Il faut donc avoir soin de préparer et de soutenir les figures"(31)
On voit nettement ici se définir une pratique de la figure rhétorique qui stipule toujours la prééminence de la mesure et la proscription des excès expressifs; une éthique même de la parole plus proche de l'atticisme que de l'asianisme et qui, pour exposer la vérité, doit savoir éviter la multiplication des ornements du style.
Cependant, ce dernier, comme le désir, exerce toujours une obscure et ambivalente fascination sur les auteurs comme sur les critiques. Charles Nodier ne manque pas d'en souligner les effets(32) paradoxaux, car c'est dans cette conception ancienne de l'ethos rhétorique que s'est inscrite et affirmée -- à la toute fin du XVIIIe siècle -- la suprématie du style descriptif sur le style poétique, tel qu'un Delile a pu l'exemplifier. Dès lors, il convient de considérer avec précaution les analyses théoriques des figures de rhétorique développées au début de l'ère communément appelée "romantique" par des écrivains et des critiques encore tout empreints de leur savoir néo-classique.
Et peut-être avec plus de précautions encore, certaines déclarations des poètes de la subversion qui -- après l'éviction du modèle -- proposent une relecture de ses formes. Ainsi de Victor Hugo, qui, tout rhétoricide qu'il affiche d'être, renouvelle l'usage de la métaphore et ne craint pas de plaider en faveur de son emploi auprès des poètes de moindre empan(33). A de nouvelles conceptions de l'image littéraire, et de ses fonctions, correspondent ainsi des pratiques insoupçonnées de l'arsenal figural qui font paraître obsolètes les règles timorées de la tradition.
Les conditions d'emploi de l'Épithète, par exemple, après le R. P. Daire et bien d'autres, au siècle précédent, répondaient-elles à une posologie traditionnelle particulièrement bien définie, dont Laveaux, parmi d'autres grammairiens, a relayé l'application :
"L'usage de l'épithète doit être restreint aux seuls cas où l'idée principale ne suffit pas pour donner à la pensée une beauté sensible, une énergie réelle. Les épithètes pittoresques prises des choses sensibles sont indispensables lorsque l'orateur ou le poëte veut peindre à l'aide du discours. Elles servent à exprimer diverses petites circonstances qui font partie du tableau, ou à épargner des descriptions prolixes qui rendraient le discours languissant. S'agit-il, non de peindre, mais de donner à la pensée un tour plus fort, plus nouveau, plus naïf? C'est à l'aide des épithètes qu'on y parviendra plus aisément. Enfin, si l'on se propose de toucher le coeur, quel que soit le genre de la passion, rien de plus efficace que les épithètes bien choisies pour exciter le sentiment. Mais autant les épithètes peuvent dans ces circonstances donner de l'énergie au discours, autant elles sont insipides partout ailleurs. Rien n'est plus désagréable qu'un style rempli d'épithètes faibles, vagues ou oiseuses.
Il y a des hommes si illustres que leur nom seul vaut le plus bel éloge. Il y a de même des idées qui, par elles-mêmes, sont si grandes, si parfaitement énergiques, que tout ce qu'on y ajouterait par forme d'épithète pour les rendre plus sensibles, ne pourrait que les affaiblir. Quand César, au moment qu'on le poignarde, s'écrie : "Et toi aussi Brutus !..." : Quelle épithète jointe à ce nom aurait pu ajouter à l'énergie de cette exclamation ? Dans tous les cas de cette nature, toute épithète est déplacée"(34)
La génération des écrivains qui publièrent leurs premières oeuvres sous la Restauration n'a pas délaissé instantanément cette pratique qu'on aurait pu croire obsolescente. Lamartine, Vigny, entre autres, l'ont poursuivie et en ont fait une manière de signature; ainsi lorsque le dernier parle encore en 1842 du "sein nud et brun" de La Sauvage(35), hasardant un "découvert" que le manuscrit désigne dans son inachèvement et sa biffure comme un repentir.
L'emploi de l'hypallage se situe dans un cadre analogue. Les critiques prescriptifs en ont réglé la forme et restreint les applications à des formes telles que "le viorne débile" ; "l'aboîment délateur" ; "le fifre ignorant" ; "l'arbre opulent", qui marquent assez en quoi cette figure a tendance à se constituer en semi-métonymie, et peut susciter l'intérêt de poètes désireux de marquer leur obédience aux théories de la rhétorique néo-classique tout en signalant le désir novateur qui les fait tressaillir. Dussault, précédemment allégué, écrit :
"On peut observer que la plupart de ces épithètes tiennent à un certain goût qui règne actuellement parmi nos jeunes faiseurs de vers : ils se croient des génies quand ils ont pu donner la torture aux mots et transporter violemment quelques adjectifs. Le poëte Lebrun est le chef de cette détestable école : nul écrivain n'a plus abusé de ces sortes de figures de style, qui sont des licences heureuses, quand on les emploie avec art, et quand on ne les prodigue pas avec affectation. La foule des petits rimeurs s'est précipitée sur ses pas. Les pièces couronnées dans les Académies, les vers applaudis dans les Lycées, dans les Athénées, dans tous les bureaux d'esprit, sont pédantesquement hérissées de métonymies et d'hypallages ; c'est aujourd'hui la grande ressource contre la platitude, le défaut d'idées, d'esprit et de talent : au moyen de quelques bizarres transpositions de mots, on se passe de bon sens, de goût, d'élégance et même de cette correction grammaticale qui est le premier devoir d'un écrivain. On tâche de persuader au vulgaire des lecteurs qu'un tel abus est le comble du génie et le dernier degré de l'art, tandis qu'il est au fond le plus faible de tous les charlatanismes ; on voudrait faire croire aussi qu'on ne tombe dans ces excès que par un excès de génie ; mais ce qui prouve le contraire, c'est que ces excès sont fort communs, et le génie fort rare"(36)
Or, cette figure de l'hypallage, pour certains poètes, est devenue une manière de sublimer dans le verbe "l'élixir de la pensée", et de dépasser l'application d'une sèche instrumentalisation rhétorique du discours poétique(37), conduisant ainsi à un nouvel atticisme en une période pourtant plus propice à l'asianisme du style. La critique prescriptive, qui se révèle toujours à terme proscriptive, est donc ici en défaut. Ou, plutôt, son corset de régulation éclate sous la pression de nouveaux impératifs d'expression.
Danielle Bouverot a bien montré, par ailleurs, quel rôle pouvait jouer la métonymie dans le discours artistique à l'époque romantique, et, plus particulièrement, dans le discours sur la peinture. Si les textes théoriques, les préfaces des grands écrivains insistent tant sur l'image à cette période, c'est que le motif de l'ut pictura poesis repose sans cesse la question d'une rhétorique de la représentation verbale, et du rapport des signes de la langue à une langue des signes dans laquelle les objets reproduits interpellent constamment le sens sémiologique de l'observateur(38).
Indéniablement, toutefois, le domaine sur lequel portent le plus aisément les mises en garde, les conseils et les régulations est celui des comparaisons et des métaphores. Depuis Aristote, Cicéron et Quintilien s'est installée la tradition qui veut que les dernières soient considérées comme des comparaisons abrégées : similitudo brevior. Et l'ensemble des rhétoriciens, comme des littérateurs, ne peut envisager l'une sans faire référence à l'autre. Les décompositions analytiques de la grammaire du XVIIIe siècle, dans leur prémonition d'une sémantique logique, et le travail de Dumarsais ont -- en revanche -- eu le mérite d'insister plus sur les effets produits par la liaison contextuelle que sur ceux créés par cette virtualité(39). Mais les écrits qui règlent l'usage de ces formes au début du XIXe siècle sont encore largement inféodés à une pratique qui vise plus à l'ornementation du discours qu'à la construction d'un sens singulier que soutiendrait le développement lexico-syntaxique de ce dernier.
Dussault, vivant dans la matière même du langage un irrémédiable divorce entre sa conscience politique et sa préscience d'une langue politisant le discours, donne de ces formes conjointes une analyse manifestement héritée de l'Encyclopédie, mais qui, en 1818 comme en 1823 ou 1847, ne saurait plus être représentative ni de la réflexion sur le sujet, ni de la pratique de son objet, et qui atteste le travail obscur d'une idéologie de l'ordre récupérant subrepticement les premiers écarts du siècle :
"On appelle comparaison une figure de rhétorique et de poésie qui sert à l'ornement et à l'éclaircissement d'un discours ou d'un poëme. Elle sert à rendre plus sensible, par une image, une qualité, une action, une idée, un sentiment, une vérité abstraite. Lorsque, par exemple, nous sommes vivement frappés de quelque qualité extraordinaire d'un objet, il arrive souvent que nous trouvons de la difficulté à rendre cette qualité sensible, précisément parce qu'elle est extraordinaire dans l'objet que nous voulons peindre, et que toutes les expressions que nous empruntons de la nature de cet objet même ne peuvent le tirer qu'imparfaitement de la classe commune dont il fait partie. Si je dis qu'un héros vole au combat, qu'une femme est belle, qu'un homme est léger à la course, je n'exprime rien qui ne soit dans la nature de tous les héros, de toutes les belles femmes, de tous les hommes qui sont légers à la course. Mais si je dis du héros qu'il vole au combat comme un lion, de la femme qu'elle est belle comme un astre, de l'homme qu'il est léger comme un cerf, ces comparaisons du héros avec le lion, de la femme avec un astre, de l'homme avec le cerf, rendent plus sensibles les qualités que je voudrais peindre dans chacun de ces objets, parce qu'elles les font voir semblables à des qualités de la même espèce que l'on connaît mieux dans les nouveaux objets qui sont présentés, et où l'on est accoutumé de les voir à leur plus haut degré. Les comparaisons sont comme autant de traits de lumière qui nous montrent dans les deux objets un rapport imprévu et frappant, et nous font embellir le premier de tout ce qui nous a séduits dans le second.
Puisque la comparaison doit rendre un objet plus sensible par la connaissance subite d'un rapport frappant, il faut que le rapport soit clair ; qu'il embrasse tout l'objet à l'expression duquel il doit concourir, et que l'image qui doit caractériser, enrichir ou embellir cet objet, soit plus familière et mieux connue ; il faut enfin que cette image soit plus vive. La comparaison d'un héros qui vole aux combats avec un coursier qui s'élance dans la carrière ne serait pas assez claire, elle n'embrasserait pas entièrement les qualités que l'on veut exprimer, parce que le coursier n'a pas un rapport sensible avec cette ardeur belliqueuse qui ne connaît aucun obstacle, ne respire que le carnage et répand au loin la terreur. Au contraire, la comparaison avec le lion est juste et sensible, parce qu'elle offre tous ces rapports. Le nom seul de l'animal, dont on connaît toutes les qualités, le fait voir tout à coup à l'esprit.
Quoiqu'il ait plu aux écrivains didactiques de caractériser cette figure comme particulière à l'éloquence et à la poésie, elle a lieu dans tous les genres et dans tous les styles, et fréquemment elle prête de l'énergie et des charmes aux phrases les plus simples de la conversation familière. Une femme du peuple dira que son adversaire s'est jetée sur une elle comme une furie ; le philosophe écrira dans son cabinet que les hommes ont peur de la mort comme les enfants des ténèbres ; et le poète et l'orateur, pour rendre leurs idées plus sensibles, emprunteront des images qu'ils embellissent des détails et des expressions que comportent le genre dans lequel ils écrivent, et le sujet particulier qu'ils traitent.
Dans la métaphore, il y a une sorte de comparaison, ou quelque rapport équivalent entre le mot auquel on donne un sens métaphorique et l'objet à quoi on veut l'appliquer. Par exemple, quand on dit d'un homme en colère : c'est un lion, lion est pris alors dans un sens métaphorique ; on compare l'homme en colère au lion, et voilà précisément ce qui distingue la métaphore des autres figures. Il y a cette différence entre la métaphore et la comparaison, que dans la comparaison on se sert de termes qui font connaître que l'on compare une chose à une autre ; [...] la comparaison est en elle-même une excursion du génie du poète, et cette excursion n'est pas également naturelle dans tous les genres. Plus l'âme est occupée de son objet direct, moins elle regarde autour d'elle, plus le mouvement qui l'emporte est rapide, plus elle est impatiente des obstacles et des détours ; enfin, plus le sentiment a de chaleur et de force, plus il maîtrise l'imagination et l'empêche de s'égarer. Il suit de là que la narration tranquille admet les comparaisons fréquentes, développées, étendues et prises de loin ; qu'à mesure qu'elle s'anime, elle en veut moins, les veut plus concises et aperçues de plus près ; que dans le pathétique, elles ne doivent être indiquées que par un trait rapide ; et que s'il s'en présente quelques-unes dans la véhémence de la passion, un seul mot doit les exprimer.
Quant à la source de la comparaison, elle est prise communément dans la réalité des choses, mais quelquefois aussi dans l'opinion et dans l'hypothèse du merveilleux"(40)
Une telle définition en contraste postule une identique relation d'adéquation de la comparaison et de la métaphore à leurs référents, et place ces derniers -- y compris "dans l'hypothèse du merveilleux" -- dans un univers qui est définitivement celui du représentable en pensée, selon des coordonnées pré-existantes. Le signe n'y est qu'un objet, parmi d'autres, et nullement une dynamique virtuelle de la sémiose. Tout se passe alors comme si la subtile remarque précédente de Dumarsais sur la contextualisation des phénomènes avait été occultée par le sens de la tradition. Lorsque Laveaux en vient strictement à la métaphore, quoiqu'il ajoute à ses sources le nom de Beauzée, continuateur de l'oeuvre de Dumarsais, le développement de son article de dictionnaire retrouve d'ailleurs la même analyse ancienne :
"La métaphore est de sa nature une source d'agrément et rien ne flatte peut-être plus l'esprit que la représentation d'un objet sous une image étrangère. La métaphore, assujettie aux lois que la raison et l'usage de la langue lui prescrivent, est non seulement le plus beau et le plus usité des tropes, c'en est aussi le plus utile. Il rend le discours plus abondant, par la facilité des changemens et des emprunts, et il prévient la plus grande de toutes les difficultés en désignant chaque chose par une dénomination caractéristique. Ajoutez à cela que le propre des métaphores est d'agiter l'esprit, de le transporter tout d'un coup d'un objet à un autre ; de le presser, de comparer soudainement les deux idées qu'elles présentent, et de lui causer, par ces vives et promptes émotions, un plaisir inexprimable.
Mais pour que les métaphores produisent ces effets, il faut qu'elles soient justes et naturelles. Les métaphores sont défectueuses :
a) Quand elles sont tirées de sujets bas. Il ne faut pas imiter cet auteur qui dit que le "déluge universel fait la lessive de la nature"
b) Quand elles sont forcées, prises de loin, et que le rapport n'est point assez naturel, ni la comparaison assez sensible.
c) Il faut aussi avoir égard aux convenances des différents styles. Il y a des métaphores qui conviennent au style poétique, qui seraient déplacées dans le style oratoire.
d) On peut quelquefois adoucir une métaphore en la changeant en comparaison, ou bien en lui ajoutant quelque correctif : pour ainsi dire, si l'on peut parler ainsi.
e) Lorsqu'il y a plusieurs métaphores de suite, il n'est pas toujours nécessaire qu'elles soient tirées exactement du même sujet.
f) Chaque langue a des métaphores particulières qui ne sont point en usage dans d'autres langues [...]
Il est si vrai que chaque langue a ses métaphores propres et consacrées par l'usage, que, si vous en changez les termes par les équivalents mêmes qui en approchent le plus, vous vous rendez ridicule.
A ces six remarques de Dumarsais sur le mauvais usage des métaphores, Beauzée ajoute un septième principe qu'il tire de Quintilien. C'est que l'on donne à un mot un sens métaphorique par nécessité, quand on manque de terme propre, ou par raison de préférence pour présenter une idée avec plus d'énergie ou plus de décence"
Les dernières remarques de Laveaux suggèrent les relations virtuelles qui peuvent unir la métaphore à la catachrèse et à la syllepse. Elles ne préjugent en rien d'une rhétorique qui ne serait pas un auxiliaire de l'invention, de l'élocution et de la diction. A la même époque que la première édition du dictionnaire de Laveaux, sans d'ailleurs avoir le même arrière-plan métaphysico-grammatical, Édouard Varinot rédige un Dictionnaire des Métaphores, qui connut un certain succès puisque Julien Tell le mentionne encore dans ses Grammairiens français(41), et dont l'existence est en soi un signe intéressant de cette instrumentalisation à laquelle s'est réduite la rhétorique.
Dans ce dictionnaire, Varinot reproduit une définition largement empruntée à la tradition rhétorique antérieure, sans toutefois comprendre que cette dernière n'a pas le même dessein que celui qu'il poursuit en tant que lexicographe. En effet, ce dernier participe du mouvement qui -- au XIXe siècle -- tend à figer en connaissances objectives les mouvements de développement du savoir qui transitent par les mots. De sorte que les métaphores enregistrées par Varinot dans son ouvrage tendent bien plus à se constituer comme formes stéréotypes de la mise en image du discours, lieux communs nouvelle manière ou clichés, poncifs, signant indéfiniment de leur sceau les idées reçues par la société, qu'en exemples ou en modèles d'une fulgurance de la contextualisation dans laquelle l'image prend et fait sens(42). C'est à peine si Varinot remarque que les mots exprimant la comparaison et la métaphore peuvent être interchangés, et que la dernière procède onomasiologiquement d'une ellipse de la comparaison réductible à un présupposé lexical.
Ce travail de définition préalable -- à l'heure où Chateaubriand, d'Arlincourt, Lamartine et André Chénier, tout juste redécouvert, occupent le devant de la scène littéraire -- n'intéresse pas qui souhaite seulement établir des listes de mots et définir les lois du bon usage de la métaphore. C'est pourquoi Varinot procède à une réglementation de cet article en sept préceptes, lointainement empruntés à Dumarsais, mais totalement reconvertis à de nouvelles fins :
"Il est nécessaire de donner quelques règles sur l'emploi des métaphores :
D'abord, elles ne doivent pas être répandues avec profusion ; elles doivent être adaptées à la nature du sujet qu'on traite ; elles ne doivent pas être brillantes et plus élevées que le sujet ne le comporte ; il ne faut pas qu'elles donnent au style une sorte d'enflure, ni qu'elles lui ôtent la dignité qu'il doit avoir. Il y a des métaphores permises, belles même en poésie, et qui, en prose, paraîtraient absurdes ou peu naturelles. D'autres conviennent au style oratoire et seraient déplacées dans une composition historique ou philosophique. Il faut toujours se rappeler que ces figures ne sont que le vêtement de la pensée.
La seconde règle est relative au choix des objets d'où l'on tire les métaphores et les autres figures. Un vaste champ est ouvert au langage figuré. La nature entière, pour user nous-mêmes de figures, étale à nos yeux ses richesses et nous permet de prendre, dans tous les objets sensibles, ce qui peut éclairer nos idées intellectuelles et morales. Ce ne sont pas seulement les objets riches et brillants, mais encore ceux qui sont graves ou terribles, sombres même et hideux, qui peuvent fournir des figures assorties au sujet. Mais il faut se garder de faire jamais aucune allusion qui rappelle à l'esprit des idées désagréables, basses et dégoûtantes. Lors même que les métaphores sont choisies dans le dessein d'avilir ou de dégrader un objet, un auteur doit s'étudier à ne pas exciter le dégoût par ses allusions [...].
En troisième lieu, en observant que les objets d'où l'on tire les métaphores doivent avoir quelque dignité, il ne faut rien négliger pour que la ressemblance, qui est le fondement de la métaphore, soit claire et frappante. Il n'y a point de grâce, pour excuser les métaphores forcées, d'y joindre la phrase, pour ainsi dire, dont quelques écrivains font un très grand usage. Une métaphore qui a besoin de cette excuse ne doit point être admise.
En quatrième lieu, il faut faire attention, dans l'emploi des métaphores, à ne point mêler le langage propre et le langage figuré, à ne comparer jamais une période de manière qu'une partie doive être prise métaphoriquement, et l'autre dans le sens littéral.
En cinquième lieu, si c'est une faute de mêler le langage propre et le langage métaphorique, c'en est une plus grande de s'exprimer de manière que deux métaphores différentes se rencontrent dans le même objet. C'est ce qu'on appelle une métaphore mixte, qui est l'abus le plus choquant que l'on puisse faire de cette figure [...]. On a donné une bonne règle pour reconnaître la justesse d'une métaphore, lorsqu'on a là-dessus quelque doute, et qu'on craint de mêler des images mal assorties. Il faut essayer d'en former un tableau, et considérer comment s'accordent ses différentes parties ; voir quel aspect le tout présenterait si on venait à l'exécuter au pinceau [...]
Ce n'est pas assez d'éviter les métaphores mixtes, il faut, en sixième lieu, se garder de les entasser sur le même objet : c'est en vain que chacune sera distincte, s'il y en a trop, elles produiront la confusion [...]
La septième et dernière règle qu'il me reste à donner pour les métaphores est de ne pas les pousser trop loin. Si on s'arrête longtemps sur la ressemblance qui sert de fondement à la figure, si on la suit jusque dans les moindres circonstances, ce n'est plus une métaphore mais une allégorie. Le lecteur se lasse, ce jeu de l'imagination ne tarde pas à l'ennuyer, et le discours devient obscur. C'est ce qu'on appelle pousser ou presser la métaphore. C'est une des principales causes de l'embarras et de la dureté dans le langage figuré. Il est des auteurs qui poussent aussi quelquefois leurs métaphores au-delà des justes bornes. Leur goût pour les ornemens du style les entraîne, et s'ils trouvent une figure qui leur plaise, ils ne peuvent se résoudre à l'abandonner [...]
Il n'y a point de figure qui puisse rendre intéressante une composition vide et sans âme, tandis qu'un sentiment ou une pensée sublimes ou pathétiques se soutiennent parfaitement d'elles-mêmes, sans emprunter le secours d'une décoration étrangère"(43)
Mais il est très intéressant de constater ici que le discours prescriptif de Varinot, tout appuyé qu'il est sur des considérations largement empruntées aux six remarques de Dumarsais sur le mauvais usage des métaphores(44), s'achève sur une constatation qui relativise définitivement la portée du dispositif rhétorique, au sens où ce dernier -- par l'effet de sa belle mécanique -- suffirait à produire des discours et du sens.
Les années 20 du XIXe siècle marquent cette transition qui, par-delà les innombrables rééditions d'Abrégés du Traité des Tropes de Dumarsais à destination de l'école, voit se constituer une nouvelle rhétorique moins désireuse d'orner verbalement le discours que de le constituer dialectiquement en composition persuasive. Par le politique de la langue, la rhétorique cherche alors à atteindre -- et atteint en effet -- à une véritable efficace sociale. Joseph-Victor Le Clerc illustre ce mouvement sur le versant strictement rhétorique de la réflexion, tandis que Pellissier, quelque quarante années plus tard, entérine la validité du déplacement sur le versant linguistique et littéraire de son approche:
"[...] dans toute composition littéraire, le soin du fond doit l'emporter sur le soin de la forme ; une rhétorique nouvelle substitue à mille règles subtiles cette observation unique sur l'art d'écrire, observation que justifient les exemples des maîtres : une pensée est bien dite quand les mots font passer l'idée de l'esprit de l'écrivain dans l'intelligence du lecteur. pour satisfaire à ces exigences nouvelles, notre langue n'a qu'à conserver et à développer les qualités qui l'ont toujours recommandée à l'admiration du monde civilisé : la clarté et la précision"(45)
C'est que, dans l'intervalle de ces années, par delà les révolutions de 1830 et de 1848, les mouvements sociaux, culturels et philosophiques, toute une autre conception du langage et de la langue s'est développée en France ; un espace social du discours tend à se superposer à un espace national dans lequel s'originent les prémisses d'une conscience identitaire nationale :
-- Non seulement dans la dimension historique : la philologie met au jour, grâce à Francisque Michel ou à Xavier Marmier, les témoignages discursifs du Moyen Age et de la Renaissance dispersés aux quatre coins des bibliothèques de l'Europe. La langue française se découvre une parentèle ascendante.
-- Mais aussi dans la dimension systématique de la définition des principes de reconstruction d'une langue passée au moyen de règles stables : Paul Meyer et Gaston Paris ont été à l'école de l'Allemagne de Diez et de Bopp. La langue française se constitue en édifice régi par des lois.
D'une substance uniquement caractérisable et caractérisée en termes d'esthétique, on est passé à la conscience d'une forme susceptible de variations -- comme le montrent les travaux de Génin -- et qui porte la trace de ses diverses fonctions. Or, parmi ces dernières, la fonction de discrimination ou d'intégration sociale qu'exposent les usages est une des plus essentielles et des plus fortes que le XIXe siècle a exploitées. Girault-Duvivier, dès 1811, avait des phrases définitives pour caractériser en discours l'alliance de l'éthique sociale et de l'esthétique de la langue. En 1831, le Journal Grammatical liait toujours la constitution d'une solidarité sociale à celle d'une cohérence et d'une maîtrise langagière. En 1834, Napoléon Landais tentait même de donner une explication pseudo-rationnelle de cet usage directeur :
"C'est lui qui est le vrai, le seul législateur en fait de langage. En remontant à la source de son autorité, nous l'avons reconnue tout à la fois utile et légitime. Elle est aussi le plus souvent à l'abri du caprice, et fondée sur une métaphysique lumineuse : mille façons de parler, qu'on est d'abord tenté d'attribuer au hasard, ou à un pur caprice, sont souvent le résultat d'une analyse exacte qui paraît avoir conduit les peuples, comme par instinct et à leur insu, dans la formation des langues. C'est ce dont nous avons eu l'occasion de nous convaincre ; et nous présumons que celui qui aurait une connaissance suffisamment étendue des langues et un esprit vraiment analytique, viendrait à bout de démontrer que la plupart de ces locutions extraordinaires, dans toutes les langues, ont un fondement raisonnable. Ce seraient des spéculations aussi dignes d'un vrai philosophe, qu'elle seraient utiles au perfectionnement des langues. Du moins les irrégularités que l'usage a adoptées, consacrées, et fait passer en lois, n'ont été introduites que pour donner à l'expression plus de vivacité, ou de grâce, ou d'énergie, ou d'harmonie, et de pareils motifs méritent bien qu'on se soumette à l'usage, lorsqu'il ne se montre pas absurde"(46)
Une telle appréhension du phénomène langagier sous les espèces de formes, elles-mêmes variables selon les temps et les personnes, et ramenées à des types esthétiques en fonction de la rémanente théorie des genres, permet de circonscrire précisément dans le rhétorique le plus strict les effets de puissance du discours ; de neutraliser en quelque sorte les variables individuelles; et de sortir d'une problématique du génie, que ce dernier soit l'expression de la nature de la langue ou de celle de l'individu qui la pratique. La politisation du langage, bien antérieure à une quelconque discursivité politique, se marque ici en ses premiers signes. Après avoir fustigé les modes romantiques, Antoine Jay plaide ainsi en faveur d'une efficace politique du rhétorique :
"La liberté n'a que la parole à opposer au pouvoir de la contre-révolution ; mais sa parole pénètre dans toutes les classes de la société ; elle affaiblit les efforts de ses ennemis, et détruit souvent en un jour ce qui a été l'oeuvre laborieuse de plusieurs années"(47)
Et il est prêt à affirmer que la citoyenneté de l'individu, son sens des responsabilités civiques et politiques, s'acquièrent et se développent grâce à un modèle rhétorique profondément intériorisé :
"Ce langage, si remarquable par sa modération dans une question aussi palpitante d'intérêt ; ce langage si propre à calmer les passions ; cette leçon salutaire donnée par la sagesse à l'imprudence de parti ; ce respect des convenances ; cette mesure parfaite ; tout annonce le citoyen qui possède la qualité la plus essentielle que Cicéron exige de l'orateur, la vertu. Oui, la vertu ! Les organes des contre-révolutions et des congrégations la dédaignent : ils n'ont à exciter que des passions mauvaises ; mais elle est le génie des orateurs de la liberté. C'est elle qui les avertit de ce qu'ils ont à dire, et de ce qu'il faut taire ; c'est elle qui donne l'autorité à leur geste et la puissance à leur parole ; c'est elle qui leur fait mépriser même la popularité, lorsqu'elle ne peut s'acquérir qu'aux dépens de la justice et des vrais intérêts de la patrie ; c'est aussi par elle que la gloire s'attache à l'immortalité"(48)
Le rhétorique des discours tient ici à la rhétoricité fondamentale du langage, et s'éprouve dans une relation naturelle au politique de la langue, et à toutes les valeurs esthétiques et morales qu'il charrie. Si on parle dès lors de style en un sens moderne, et non plus de rhétorique, c'est là un terme même qui s'applique désormais beaucoup plus à des oeuvres exposant une certaine attitude face au monde qu'à des individus. Dussault, à propos du Voyage en Turquie de Le Chevallier, écrivait dans un texte du 6 septembre 1801, ultérieurement recueilli par les Annales Littéraires :
"Dans ce siècle déclamateur, on veut partout des phrases et des hyperboles : un ouvrage ne sauroit plaire s'il n'est oratoire ou poétique ; l'aimable simplicité d'un style naturel et vrai n'a plus rien qui nous séduise : l'exagération des figures, la violence des mouvemens, le phébus, le pathos et l'entortillage ont seuls le droit de nous charmer. Le goût des bienséances du style est absolument perdu; on ne demande aujourd'hui que des émotions; pourvu qu'on soit fortement agité, on s'embarrasse peu du reste. On exige des voyageurs eux-mêmes qu'ils soient orateurs et poëtes : des descriptions exactes, des récits naïfs et fidèles n'ont pour nous aucun intérêt; nous aimons mieux être trompés par un auteur qui montre de l'imagination, qui vise au sublime, qui se répand en apostrophes brillantes et sonores, que d'être instruits par les relations véritables, mais sans prétention, d'un sage et judicieux observateur"
Le texte est ironique et donne à lire que ce qui est rejeté en termes d'esthétique fait en réalité tout le prix de la saine littérature. Le style est alors associé au générique qui permet de définir l'humaine condition plutôt qu'à l'individualité d'une personne. Un quart de siècle plus tard, sous l'effet des premiers combats du "romantisme", et de la conception d'une nouvelle rhétorique moins ornementaliste, et plus organiquement développée autour de l'idée de forme, Émile Deschamps, pour sa part, proposera une conception toute différente du style :
"Il est temps de dire un mot du style, cette qualité sans laquelle les ouvrages sont comme s'ils n'étaient pas. On se figure assez généralement parmi les gens du monde, qu'écrire sa langue avec correction et avoir du style, sont une seule et même chose. Non : l'absence de fautes ne constitue pas plus le style que l'absence des vices ne fait la vertu. C'est l'ordre des idées, la grâce ou la sublimité des expressions, l'originalité des tours, le mouvement et la couleur, l'individualité du langage, qui composent le style [...]. Ainsi on n'a point de style pour écrire correctement des choses communes, et on peut avoir un style et un très beau style, tout en donnant prise à la critique par quelques endroits. Une autre erreur, à laquelle sont même sujets certains hommes de lettres, c'est de croire qu'il n'y a qu'une manière de bien écrire, qu'un vrai type de style. Comme Racine et Massillon passent avec raison pour les écrivains les plus irréprochables, ces messieurs voudraient, par exemple, que Racine eût écrit les tragédies de Corneille, et Massillon les Oraisons funèbres de Bossuet [...] par ce que de cette manière la perfection du langage se trouverait, suivant eux, réunie à la supériorité des conceptions et des pensées. Comme si on pouvait séparer l'idée de l'expression dans un écrivain ; comme si la manière de concevoir n'était pas étroitement unie à la manière de rendre ; comme si le langage enfin n'était qu'une traduction de la pensée, faite à froid et après coup ! Ces prétendues combinaisons ne produiraient que des choses monstrueuses ou insipides. On corrige quelques détails dans son style ; on ne le change pas. Autant d'hommes de lettres, autant de styles !"(49)
Et l'on voit effectivement là s'affirmer une définition de l'écriture qui, au-delà d'une certaine conception outilitaire du rhétorique, concède définitivement au style son caractère organique. Une conception dans laquelle viennent se fondre les diverses composantes de la rhétorique classique; dans laquelle il devient précisément impossible de dissocier l'expression de son contenu. Une conception, enfin, qui périme déjà -- et par avance -- l'idée d'une fonction esthétique du langage, dissociable de toute énonciation linguistique, grâce à laquelle la poéticité des textes pourrait se dispenser de rigueur et de cohérence.
La rhétorique a dès lors perdu ses prérogatives ornementales. Mais elle a gagné -- en contrepartie -- l'énergie sémiologique lui permettant de fixer en des images inédites le dynamisme des conceptions de la littérature. Préfaçant et présentant récemment une édition des Portraits littéraires de Sainte-Beuve, Gérald Antoine parlait avec justesse d'une "rhétorique irrégulière" caractérisant l'écrivain qui défend ses droits face aux grammairiens et aux rhéteurs de la tradition qui ne connaissent que leurs règles. J'en arrive par là à quelques esquisses de réponse concernant les trois questions précédemment posées.
L'immersion progressive du XIXe siècle dans l'Histoire, c'est-à-dire dans les réflexions de la rétrospection sur la conscience collective et l'idéologie d'un peuple, s'est réalisée aux dépens d'une certaine forme de stabilité de la machine rhétorique. Superficiellement résistante, cette dernière n'en a pas moins laissé ses composantes se déplacer dans leurs rapports internes d'importance relative; et ces déplacement ont totalement modifié le fonctionnement du dispositif. La rhétorique, après avoir connu ses heures de gloire, puis après avoir été décriée et vilipendée à l'excès, a ainsi retrouvé une nouvelle légitimité sous l'effet de la politisation du langage injectant dans les discours une idéologie échappant presque toujours à la conscience des sujets énonciateurs de discours.
La lecture des oeuvres contemporaines, de Chateaubriand ou Mme de Staël à Hugo, de Senancour à Lautréamont, a restreint dans ces conditions les occasions de cueillir les brassées ordinaires de fleurs de rhétorique, et développé en contrepartie l'aptitude à cerner la progression du contenu, les modalités de son argumentation. Couplée avec la prééminence de l'Histoire comme modèle explicatif, cette propension a donné naissance à une certaine forme positiviste d'histoire littéraire, qui a bien vite remisé au rayon des accessoires, notamment à la toute fin du XIXe siècle et dans les premières années du XXe, les études de langue et de style, au profit d'une histoire littéraire positiviste et axiologiquement orientée par le souci propédeutique et didactique de la bourgeoisie. La rhétorique tropologique notamment, mais aussi celle qui tenait au traitement des lieux communs de la pensée, se sont vues réduites à ne plus pouvoir traiter que des textes du passé, singulièrement des textes du grand âge classique.
Reste qu'à distance historique de cette modification du paysage rhétorique français du XIXe siècle, l'étude de la théorie et des pratiques de la rhétorique, en cette période de l'histoire culturelle française, peut aider à comprendre comment et pourquoi une certaine tradition de l'analyse idéologique s'est progressivement perdue, pour laisser finalement place à des interrogations esthétiques régies par un code de valeurs politiquement et socialement définies, tant sous les ultimes avatars de la monarchie, que sous les métamorphoses de l'empire et de la république. Sous une dénomination unique, et des formes en perpétuels glissements, la rhétorique a ainsi pu devenir l'objet de réappropriations et d'interprétations infidèles à leurs prémisses. Le trajet d'une forme dans l'histoire, à travers ses emplois, ne s'inscrit jamais sur une droite. C'est qu'il n'y a guère d'histoire d'une discipline, d'un savoir, ou d'une science, qui ne soit en même temps une théorie de l'histoire et une histoire de cette théorie.
Ainsi la littérature française du XIXe siècle s'écarta-t-elle peu à peu des rives sages du Tibre classique pour goûter les charmes sauvages de lointains insoupçonnés, gravir les aventureuses escarpes du Kamstchatka imaginaire des critiques, et éprouver -- avec l'ivresse de la nouveauté -- l'hubris d'une modernité poétique indéfectiblement liée, malgré les ruptures, à une certaine forme de tradition. L'auteur d'un essai intitulé De la Littérature française au XIXe siècle, à l'heure même où Stendhal voyait s'épuiser définitivement les catégories oppositives et intangibles qu'en bon élève de l'Idéologie il avait essayé de distinguer, le bien obscur et pourtant très intuitif Cyprien Desmarais notait déjà :
"Afin de pouvoir définir le romantique ou le classique, il faudrait que le romantique et le classique fussent des genres absolus. Ce qui ne saurait être ; car on ne pourra jamais dire de tel morceau de littérature, qu'il appartient absolument au classique ou bien au romantique.
Dans tout ouvrage littéraire on rencontre des parties que l'on pourrait affirmer appartenir à l'école classique, d'autres à l'école romantique.
En définitive, le romantique et le classique n'expriment que des nuances littéraires, que des différences fugitives, et ne se composent pas d'élémens assez distincts pour devenir l'objet d'une définition [...]
On ne parviendrait pas mieux à la distinction des deux genres, en considérant la différence des règles générales qui régissent l'une et l'autre ; car, ici, il n'est pas question de règles différentes ; il s'agit seulement de l'application plus ou moins exacte des mêmes règles. Or, comme la plus ou moins rigoureuse observation de ces règles n'est pas ce qui constitue une composition littéraire, c'est donc dans les élémens de cette composition, dans les principes de sa création, qu'il faudrait chercher les causes qui séparent le classique du romantique.
A prendre la question de la situation réelle de la littérature actuelle, on peut affirmer que tous les écrivains du XIXe siècle sont plus ou moins romantiques ; mais aucun d'eux ne saurait être qualifié de classique"(50)
C'est au prix de cette méprise, que l'on aurait tort de prendre pour un tiède éclectisme, que l'exaltation "romantique" française put passer pour un acte authentique de provocation, quand elle n'était -- me semble-t-il -- qu'un moment ambigu du processus devant conduire, à l'aube du XXe siècle, et du fait de la politisation du langage même, à une rhétoricisation politique des discours, certes moins tropologique mais plus forte encore et si puissamment péremptoire dans les effets perlocutoires de la langue désormais nationale, le français, un certain français de référence… En quoi, une nouvelle fois, et sur un terrain encore différent, la rhétorique française du XIXe siècle a pu réaffirmer sa dimension essentiellement politique.
Notes
1. Voir à ce sujet les autres développements de cette matière contenus sur ce site.
2. Sainte-Beuve, article du 20 janvier 1863, in Le Constitutionnel, à propos des "Prochaines élections à l'Académie".
3. Bescherelle, Dictionnaire National ou Dictionnaire Universel de la Langue française, Paris, 1846, t. 2, p. 309 c; on trouvera des définitions similaires dans le Dictionnaire de la Conversation, publié sous la direction de W. Duckett, t. XI, 1867, p. 741 b; et dans le Dictionnaire général de Biographie et d'Histoire, de Mythologie, de Géographie ancienne et moderne, de Th. Bachelet et Ch. Dezobry, 1861, p. 1419 b.
4. J. Fabre : Lumières et Romantisme, Klincksieck, 1963, p. IV.
5. Sur cette question, qui intéresse simultanément l'histoire de la philosophie, l'histoire des sciences du langage et l'histoire de la littérature, le lecteur se reportera à la série de travaux impulsés par Brigitte Schlieben-Lange: Europaïsche Sprachwissenschaft um 1800, Band I, II, III, Nodus Publikationen, Münster, 1989-1991-1992; ainsi qu'à l'étude de Rose Goetz : Destutt de Tracy, Philosophie du langage et Science de l'homme, Genève, Droz, 1993, notamment pp. 19-150.
6. Voir la série des volumes intitulés Fondements du Savoir Romantique; L'Homme, Dieu, la Nature dans le Savoir Romantique, et Les Sciences Humaines dans le Savoir Romantique, publiés sous le titre générique : Les Sciences Humaines et la Pensée Occidentale, Payot, 1982-85.
7. Pour une position historiquement plus nuancée de la place de Fontanier dans le mouvement rhétorique français, voir: Gisela Febel, "Pierre Fontanier zwischen Restauration und Romantik", in Rhetorik, hrsggb von J. Dyck, W. Gens, G. Ueding, 19/1994, Tübingen, Niemeyer, pp. 12-21.
8. P. Larthomas : "Tradition classique et romantisme: le langage poétique", in XVIIe Siècle, octobre-décembre 1980, n° 129, pp. 421-431.
9. Tz. Todorov : Théories du Symbole, Le Seuil, 1977, p. 136.
10. Ancien feuilletoniste du Journal de l'Empire, devenu le Journal des Débats, "ce vieil organe imbécile et têtu de la propagande voltairienne", Jean-François-Joseph Dussault, était né à Paris, le 1er juillet 1769, et y mourut le 14 juillet 1824. Professeur au collège Sainte-Barbe jusqu'à la révolution, il devint ensuite rédacteur de L'Orateur du Peuple puis du Véridique, avant de s'attacher en compagnie de Hoffman, de Feletz et de Geoffroy, aux chroniques littéraires du Journal des Débats -- sous la signature Y -- jusqu'en 1817. Conservateur de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, il fut battu à l'Académie par Villemain, en 1821. Sainte-Beuve écrivait de son talent: "C'est un agréable ramage, où l'on ne peut démêler aucun air déterminé. [...] Son élégance étudiée, compassée est un peu commune; son jugement ne ressort pas nettement. Il n'est ni pour, ni contre Chateaubriand. Il ne dit pas trop de mal de Mme de Staël, mais il dit encore plus de bien de Mme de Genlis... Il n'entre presque jamais dans le vif" [Causeries du lundi, t. 1: "La Critique littéraire sous l'Empire"].
11. Dussault, Annales littéraires, Paris, 1818, "A propos du Traité de l'Orateur de Cicéron, traduit par l'abbé Collin", t. 2, pp. 415.
12. Baudelaire, Salon de 1859, section 4. "Le Gouvernement de l'Imagination", éd. M.-A. Ruff, Coll. L'Intégrale, Le Seuil, 1968, p. 399 b.
13. Dussault, Annales littéraires, Paris, 1818, "A propos du Traité de l'Orateur de Cicéron", traduit par l'abbé Collin, t. 2, pp. 417.
14. En ce point, Dussault rencontre très exactement Marie-Joseph Chénier, qui, en 1818, écrivait: "Les ouvrages sur la rhétorique, sur la poétique, sur la critique littéraire, sont nombreux dans notre langue, mais il en est peu qui aient conservé leur réputation. Personne aujourd'hui ne consulte le P. Le Bossu pour apprendre les règles de l'épopée, ni l'Abbé d'Aubignac pour étudier la pratique du théâtre; on lit même assez rarement les écrits du P. Bouhours, rhéteur, dont les hommes les plus éclairés du XVIIe siècle estimaient le goût et la correction", Tableau historique des Progrès de la Littérature française, Paris, Maradan, 1818, p. 96
15. Dussault : Annales Littéraires, Paris, 1818, T.5 [à propos de Naudet] p. 277.
16. Antoine Jay naquit à Guitres, en Gironde, le 20 octobre 1770; il mourut à Paris, le 9 avril 1855. Après avoir eu pour maître chez les oratoriens de Niort le futur duc d'Otrante, Fouché, Jay devint avocat à Toulouse, avant de partir pour l'Amérique du Nord entre 1795 et 1802. Précepteur de 1803 à 1809, des fils de Fouché, Antoine Jay obtint dès 1810 le prix de l'Académie française, en partage avec Victorin Fabre, pour son Tableau littéraire du XVIIIe siècle. En 1812, année où Villemain obtint le premier prix, il reçut l'accessit pour son Éloge de Montaigne, et se lança dans le journalisme. Directeur du Journal de Paris, Jay fut également l'un des fondateurs du Constitutionnel et de la Minerve. Après un séjour à Sainte-Pélagie, en 1823, pour avoir violemment attaqué Boyer-Fonfrède, Jay reprit ses activités de journaliste, de critique, et entreprit une carrière politique, étant élu à la Chambre des Députés de 1831 à 1837. Il devint membre de l'Académie française, au 15e fauteuil, succédant à l'abbé François-Xavier-Marc-Antoine, duc de Montesquiou-Fézensac, et après avoir publié en 1831 un recueil -- 4 volumes in-8° -- de ses Oeuvres choisies. Antoine Jay a passé à la postérité pour avoir rédigé en 1830 la Conversion d'un romantique, manuscrit de Joseph Delorme, suivi de deux lettres sur la littérature du siècle et d'un essai sur l'éloquence politique en France [Paris, Moutardier], qui est un écrit spécialement dirigé contre les débuts romantiques de Sainte-Beuve. Et pour avoir fondé, en compagnie de Jouy, Arnault et Norvins, la Biographie nouvelle des contemporains.
17. La Conversion d'un romantique, Paris, Moutardier, 1830, p. 105. Le texte en question a cependant été rédigé en 1825.
18. Loc. cit., pp. 49-60. A quoi l'on peut d'ailleurs ajouter les développements suivants: "[...] Le Vide est une figure qui tient au Non-sens, mais qui en est cependant séparée par une nuance délicate que le sentiment poétique peut seul faire distinguer. En voici un exemple bien instructif :
Je ne sais pas si tu goûtes comme il faut l'heureux mélange de Non-sens et de Vide que j'ai mis dans ces vers. Un livre ouvert sur une chaise, voilà le Vide; les rayons du soleil couchant, plus jaunes le dimanche que pendant le reste de la semaine, voilà le Non-sens. Cette alliance que notre Alfred de Vigny a -- je crois -- trouvé le premier, car je ne veux point lui enlever ce mérite; cette alliance est d'un grand secours pour les poètes du siècle. Avec elle, ils sont toujours sûrs de se tirer d'embarras. Je voudrais bien qu'on me montrât dans votre littérature à règles, dont nous voulons éteindre le souvenir, des beautés aussi éclatantes. Il y a encore des gens qui voudraient que la raison ne fût pas séparée de la poésie; cela est vieux comme le monde. [...]
Nous avons jugé à propos [...] de placer parmi les tropes dont nous aimons à nous servir celui que je nommerais volontiers l'Enfantin. Lamartine est un modèle en ce genre [...]
La Similitude éloignée, autre figure, dont le grand poète que je viens de citer a fait un admirable usage dans les vers suivants:
L'idée de comparer une vague au sein de la beauté n'était encore venue à personne. Voilà de ces coups de maître, de ces bonnes fortunes, qui doivent exciter beaucoup de jalousies [...]. Si je voulais énumérer toutes les richesses dont nous avons grossi le trésor de la langue nouvelle, tu serais frappé d'admiration; mais je n'en ai pas le loisir. Seulement, je ne saurais passer sous silence deux tropes nouveaux qui reviennent souvent dans nos vers. Le premier est la Battologie romantique, comme dans ces vers de Victor Hugo :
La seconde figure est l'Exagérée, c'est-à-dire la tension violente et continuelle des pensées; ce qui produit une charmante sensation. Ainsi, dans la traduction déjà célèbre de Roméo et Juliette, tragédie de Shakespeare, Mercutio, l'un des personnages, est blessé à mort d'un coup d'épée; il revient sur la scène et s'écrie d'une manière agréable et très dramatique:
19. Le célèbre "Mort à la rhétorique" proféré par Hugo, sur lequel je reviendrai plus loin, qu'on trouverait aisément relayé, tout au long de la première moitié du siècle, sous différentes formes par Quinet, Renan, Vallès et bien d'autres. Voir sur le présent site "Rhétorique et Politique".
20. Un texte de portée générale, tel que celui que publie alors le Journal Grammatical de la Langue française, est particulièrement révélateur de la stratification sociale stabilisée que doivent entretenir la correctivité normative et l'orthodoxie esthétique : "Savoir sa langue et la bien parler devient une obligation impérieuse en France; aux riches, pour consolider la prépondérance que leur donne leur position sociale; aux classes moyennes, pour soutenir leurs droits et leur influence; aux artisans, pour mériter la considération et répandre un certain lustre sur les professions industrielles; à tout le monde, parce que parler est une nécessité de tous les instants, et que bien parler peut devenir une habitude sans déplacer les sources de la puissance, sans confondre les conditions", 1831, t. VIII, p. 24.
21. Saint-Chamans, par exemple, constitue une bonne illustration de cette attitude. "Un homme -- écrit-il -- fit, dans la Grèce ou ailleurs, en terre, en plâtre, en marbre, une représentation de l'homme. D'autres l'imitèrent, et l'on eut des statues. Mais l'une avait l'épaule de travers, l'autre la tête trop grosse pour le corps, une troisième le genou mal attaché, etc. etc. A force d'essais, il en vint un qui fit de très belles statues très bien proportionnées. Des personnes de goût, qui s'étaient fort occupées de cet objet et qui avaient vu un grand nombre de tentatives infructueuses, se dirent : voilà un homme qui a réussi, et qui excite l'admiration universelle. Voyons, comment s'y est-il pris ? Les critiques examinent, étudient les chefs d'oeuvre du statuaire, et y apprennent les justes proportions. Ils disent alors combien de longueur de tête doit avoir le corps, selon qu'on veut représenter un enfant, un homme fait, ou la taille héroïque, etc. ; ils fixent enfin les règles de l'art. Les statuaires suivans se conforment à ces lois ; et débarrassés de la nécessité de perdre du temps à chercher, à tâtonner pour trouver les vraies proportions, ils se livrent à leur génie, s'attachent davantage à l'expression, font encore faire quelques pas à l'art, et sont peut-être plus parfaits que celui qui a servi de modèle. Il s'en trouve d'autres, soit qu'ils vivent dans un pays où ces préceptes ne sont plus parvenus, soit qu'ils n'aient pas l'adresse de réussir en s'astreignant à suivre ces belles proportions ; soit qu'affligés d'un esprit faux et superbe, ils dédaignent les leçons et croient trouver dans leur génie des proportions plus nobles ou plus agréables ; il s'en trouve d'autres, dis-je, qui font des statues au gré de leur fantaisie, sans reconnaître de lois. On voit leur ciseau produire, au lieu d'hommes, des géans, des nains, des bossus, des boiteux, des monstres de toute espèce. Quelques artistes parmi eux ont le génie de l'art, au moins dans certaines parties. Ainsi la plus belle tête se trouve sur le corps de l'homme le plus mal fait ; un bras admirable est attaché à une épaule difforme ; l'expression la plus terrible et la plus vraie de la douleur se voit à côté des contorsions les plus ridicules. Dans un groupe, l'un d'eux, qui ne respecte pas plus les règles de convenance que les autres préceptes, représente un homme retenant sa respiration, exprimant dans tous ses traits une rage concentrée, impatiente de s'exercer, serrant un poignard dans sa main qui tremble de fureur, déjà levant le bras pour assassiner son ennemi ; et à deux pas de cette figure qui fait frissonner, il place la figure étourdie d'un enfant qui lui porte son polichinelle entre les jambes ; car il n'y a pas de disparate qui les effraie, et cela peut arriver dans la nature. Si l'on admire le bon dans ces statues, il ne peut, à quelque degré qu'il soit, donner qu'une demi-satisfaction ; car le plaisir est troublé par le dégoût qu'inspirent les monstrueux défauts qui l'avoisinent. [...] Si quelques érudits, si Jodelle en France, et les Jodelle des autres pays ont fait de mauvaises pièces calquées sur celles des Anciens, ce n'est point parce qu'ils ont suivi les règles établies que leurs pièces sont mauvaises, c'est parce qu'ils n'avaient pas de génie : car l'observation des règles peut bien faire éviter les fautes les plus grossières, mais ne donne pas une étincelle de talent. Si Calderon et Shakspear [sic] ont fait des ouvrages où brillent de grandes beautés, ce n'est pas parce qu'ils ont violé les règles, c'est parce qu'ils avaient du génie : car la violation des règles ne donne pas et n'ôte pas le génie, quoiqu'elle puisse rendre nuls ses efforts. Ces hommes de génie qui ont fait de beaux monstres auraient pu produire des ouvrages parfaits, si, au talent qui crée les beautés, ils avaient joint aussi le goût qui garantit des absurdité", L'Anti-Romantique ou Examen de quelques ouvrages nouveaux, Paris, Le Normant, 1816, pp. 43-44 et 46. Le Vicomte Auguste de Saint-Chamans naquit en 1777 et mourut à Chaltrayt, dans la Marne, en 1860. Homme politique et publiciste, il fut Conseiller d'État et Député de la Marne sous la Restauration, et représente bien cette tendance de la culture française qui -- au XIXe siècle -- marie la littérature et l'économie politique sous la dominance d'un esprit réactionnaire et caustique.
22. E. Quinet pouvait donc bien écrire rétrospectivement : "Une seule chose s'était maintenue dans les collèges délabrés de l'Empire : la Rhétorique. Elle avait survécu à tous les régimes, à tous les changements d'opinion et de gouvernement, comme une plante vivace qui naît naturellement du vieux sol gaulois. Nul orage ne peut l'en extirper. Nous composions des discours, des déclamations, des amplifications, des narrations, comme au temps de Sénèque. Dans ces discours, il fallait toujours une prosopopée à la Fabricius ; dans les narrations, toujours un combat de générosité, toujours un père qui dispute à son fils le droit de mourir à sa place dans un naufrage, un incendie, ou sur un échafaud. Nous avions le choix entre ces trois manières de terminer la vie de nos héros, ainsi que la liberté de mettre dans leurs bouches les paroles suprêmes. Je choisissais en général le naufrage parce que la harangue devait être plus courte", Histoire de mes idées, autobiographie, in Oeuvres Complètes, tome X, éd. Germer-Baillière, Paris, 1880, pp. 166-167.
23. Voir supra, n. 17, Loc. cit., p. 63.
24. Dans son Discours à l'Institut, le 13 août 1806, Daru écrit en effet : "[...] à mesure que la civilisation s'est perfectionnée, la délicatesse a remplacé la franchise, le vice lui même a exigé des ménagemens, la politesse a conseillé la dissimulation ; la plaisanterie, qui avait succédé à la satyre, a éprouvé elle-même le reproche d'être trop directe, trop sévère et, de là, est né ce persiflage qui ne se laisse percevoir que par les initiés, et qui a fait naître chez tous ceux qui étaient condamnés à l'entendre la prétention de se faire remarquer par leur finesse et leur pénétration. Cette affectation de tout entendre à demi mot a fait prendre l'habitude de tout laisser à deviner. Il s'est établi un défi contre la finesse des lecteurs, et celle des écrivains ; dès lors, le langage, les manières ont pris un caractère de subtilité, toutes les différences n'ont plus consisté que dans des nuances délicates, les couleurs n'ont été que pâles à force d'être adoucies", B.N. Z 5053 [175], pp. 10-11.
25. Louis-Pierre-Marie-François Baour-Lormian naquit à Toulouse le 24 mars 1770. Il mourut à Paris en 1854. Fils d'un imprimeur, il se livra de bonne heure aux Lettres, et entra dans la carrière avec un recueil de Satires toulousaines. Dramaturge néo-classique, il produisit Omasis ou Joseph en Égypte, Mahomet II, avant de traduire le poëme de Job, ce qui lui valut d'entrer à l'Académie française en 1815. Ses Veillées poétiques et morales [1814] décrivent son inspiration générale. Devenu aveugle à la fin de sa vie, Baour-Lormian est resté le modèle de la tradition obstinée. Son dialogue, Le Classique et le Romantique, publié chez Urbain Canel, en 1825, demeure une des plus sarcastiques critiques du genre romantique.
26. Le Classique et le Romantique, Paris, Urbain Canel, 1825, p. 28.
27. Sur cet auteur, on pourra se reporter à l'analyse jadis donnée de sa veine critique : J.-Ph. Saint-Gérand, "La caste iconoclaste est comme une tarasque... Réflexions sur l'esthétique parodique de J.-P.-G. Viennet", in Burlesque et Formes parodiques, P. F.S.C.L., Biblio 17, vol. 33, Paris, Seattle, Tübingen, 1987, pp. 607-621.
28. Dont -- très symptomatiquement -- M.-J. de Chénier, dans son Tableau historique des Progrès de la Littérature française depuis 1789, exclut la validité: "Nous ne parlerons point des poëmes en prose, quoiqu'il ait paru quelques ouvrages sous cette dénomination ridicule; elle était inconnue au XVIIe siècle" [3e édition, Paris, Maradan, 1818, p. 268]
29. Ponce-Denis Écouchard Lebrun naquit à Paris le 11 août 1729, et mourut le 2 septembre 1807, au terme d'une existence personnelle passablement troublée, et d'une carrière littéraire qui fit de lui un modèle mêlant curieusement un lyrisme quelque peu raide et un épigrammatisme caustique, dont Fréron et La Harpe firent entre autres successivement les frais. D'une génération antérieure à Baour-Lormian, Lebrun attire une nouvelle fois l'attention sur l'intérêt de ces écrivains nés en période de transition -- généralement le premier ou le dernier quart d'un siècle -- qui assurent la transmission de leurs modèles culturels bien au-delà des frontières séculaires strictes de la chronologie. Son image littéraire à l'époque du romantisme naissant, malgré sa dévotion au culte napoléonien, est irrémédiablement celle d'un néo-classique attardé.
30. M.-J. de Chénier, loc. cit., v. supra n. 20, p. 296.
31. C. Desmarais, Essai sur les Classiques et les Romantiques, Paris, Tenon, 1833, p. 97.
32. Ch. Nodier écrit effectivement à cette date : "Une figure nouvelle est pleine de charme parce qu'elle donne l'idée d'un point de vue nouveau. Une figure rebattue, devenue lieu commun, n'est plus que le froid équivalent du sens propre. On doit donc éviter de prodiguer les figures dans une langue usée. Elles ne présentent plus alors qu'un faste insipide de paroles et de tours. Le style purement descriptif sera dès lors préférable au style figuré", in Dictionnaire des Onomatopées, Paris, Demonville, 1808, Préface, p. iii. Ce dernier ouvrage est accessible sur le présent site en interrogation sous TACTweb.
33. Ainsi, dans une lettre à Émile Péhant, Victor Hugo écrit-il : "Heureusement pour vous, Monsieur, vous vous êtes trompé en vous vantant d'avoir, dans votre poème, supprimé la métaphore. La métaphore, c'est-à-dire l'image, est la couleur, de même que l'antithèse est le clair obscur. Homère n'est pas possible sans l'image, ni Shakespeare sans l'antithèse, essayez d'ôter le clair obscur à Rembrandt. [...] Je félicite votre poème d'être infidèle à votre préface", 11 octobre 1868, Bibliothèque Municipale de Nantes, manuscrit Ms 2948, B. 50, f° 4 r° / v°. Mais on se rappellera que dans la Préface des Odes et Ballades, dès 1826, Victor Hugo écrivait : "Plus on dédaigne la rhétorique, plus il sied de respecter la grammaire". Ce qui ne doit point étonner de la part d'un jeune écrivain qui, dès la 5e édition du Conservateur Littéraire, en février 1820, dans un exercice de critique littéraire dont l'obscur Bignan faisait les frais, osait affirmer : "Il n'y a plus rien d'original aujourd'hui à pécher contre la grammaire..."
34. J. Ch. Thiebault de Laveaux, Dictionnaire des Difficultés Grammaticales et Littéraires de la Langue française, 3e édition, Paris, Hachette, 1847, p. 264.
35. "La Sauvage", v. 202, rédigé de 1839 à 1842, in Les Destinées, publication posthume de 1864.
36. Dussault, Annales littéraires, Paris, 1818, t. III, p. 124 [1809].
37. Voir D. Bouverot : "La rhétorique dans le discours sur la peinture ou la métonymie généralisée d'après la critique romantique", in Rhétoriques, Sémiotiques, Revue d'Esthétique, 1 - 2, 1979, U.G.É., pp. 55-74.
38. Dumarsais écrit en effet à titre explicatif: "[...] ce n'est que par une nouvelle union des termes que les mots se donnent le sens métaphorique", Des Tropes ou des différents sens, éd. Fr. Douay, Critiques Flammarion, 1988, p. 138.
39. Laveaux, Dictionnaire des Difficultés Grammaticales et Littéraires de la Langue française, Paris, Hachette, 3e édition, 1847, p. 131.
40. J.-Ch. Th. Laveaux, Dictionnaire des Difficultés Grammaticales et Littéraires de la Langue française, Paris, Hachette, 3e édition, 1847, p. 466 a-b.
41. J. Tell, Les Grammairiens français 1520-1874, Introduction à l'étude générale des langues, Paris, Hachette, 1874, p. 219.
42. É. Varinot, Dictionnaire des Métaphores, Paris, Bignon, 1819 : "La métaphore est entièrement fondée sur la ressemblance de deux objets ; elle n'est même qu'une comparaison abrégée. Si je dis de quelque ministre, qu'il supporte l'État comme une colonne le poids d'un édifice, je fais une comparaison ; mais si je dis que ce ministre est lui-même la colonne de l'État, alors la figure devient une métaphore. La comparaison du ministre et de la colonne est insinuée dans l'esprit plutôt qu'exprimée. L'un des objets est tellement supposé semblable à l'autre, que leurs noms peuvent se remplacer sans qu'on fasse formellement la comparaison : le ministre est la colonne de l'État. Ainsi c'est une manière plus vive et plus animée d'exprimer la ressemblance que l'imagination découvre dans les objets. Toutes les langues sont remplies de métaphores. Cette figure se répand jusque dans les conversations familières" [Préface p. v.].
43. Varinot, Dictionnaire des Métaphores françaises, Paris, Bignon, 1819, Préface p. viij-xiv.
44. Des Tropes ou des différents sens, éd. Fr. Douay, Critiques Flammarion, 1988, p. 142-145.
45. A. Pellissier, La Langue française depuis son origine jusqu'à nos jours; Tableau historique de sa formation et de ses progrès, Paris, Librairie Académique Didier et Cie, 1866, p. 335.
46. N. Landais, Grammaire générale des grammaires françaises, Paris, Didier, 1834, p. 142.
47. Dussault, Annales littéraires, Paris, 1818, t. III, p. 176 [1802]
48. A. Jay, Essai sur l'Éloquence politique en France, Paris, Moutardier, 1830, p. 411.
49. É. Deschamps, Études françaises et étrangères, Paris, Urbain Canel, Imprimerie de Goetschy, 1828, pp. 50-51.
50. C. Desmarais, De la Littérature française au XIXe siècle, considérée dans ses rapports avec les progrès de la civilisation et de l'esprit national, Paris, Tenon, Libraire-Éditeur, 1833, p. 108.