Rhétorique et poëtique dans la France du XIXe siècle

Jacques-Philippe Saint-Gérand

Au carrefour de tant d'intérêts anthropologiques variés, la rhétorique en France au XIXe siècle ne pouvait manquer de rencontrer frontalement l'interrogation développée sur les poëtiques : j'entends par ce pluriel la multiplicité des formes revêtues par la poëtique, au sens aristotélicien du terme, et la diversité des contenus accordés au sens poëtique, le poëtique du langage, en tant que ce dernier, en retour, développe des pratiques d'écriture. Il sera donc question ici des rapports du modèle rhétorique aux poëtiques vulgarisées au début du siècle dans des manuels à fonction didactique, lesquelles ne pouvaient avoir dès l'origine que quelques décennies de retard. Et l'on retrouvera donc ici encore une interrogation de fond sur les notions de permanence, d'évolution et de rémanence, ainsi que sur la nature et la fonction des relais que se donnent les cultures afin de transmettre leurs codes de valeurs éthiques, esthétiques, politiques et sociales, en un mot idéologiques.

Du côté de la tradition, nous retrouverons ici le Gradus ad Parnassum et tous ses avatars, avoués ou dissimulés. Du côté de l'innovation, nous rencontrerons les dictionnaires de langue, qui, au fur et à mesure qu'avance le XIXe siècle, se libèrent des contraintes d'un néo-classicisme figé prolongeant l'emprise d'une esthétique du modèle à imiter. Et c'est pourquoi, avant de prendre, au XIXe siècle et au début du XXe siècle, quelques exemples de l'utilisation ou de la répudiation de ces modèles, les arguments de la recherche seront présentés par ordre chronologique. Non que l'histoire, comme le rappelle Saussure, soit un moteur, mais parce qu'elle est le cadre imposé des évolutions, à l'intérieur duquel les jeux de forces esthétiques se configurent en fonction d'enjeux plus généraux.

La première édition -- en 1787 -- des Éléments de Littérature de Marmontel donne de l'épithète la définition suivante :

Dans la Vie de Henry Brulard, Stendhal rapporte un souvenir des années de préceptorat qu'il subit en 1796-97, autour de sa treizième année :

Le critique avouant -- sur le seuil du XIXe siècle -- les "Doutes d'un amateur en littérature, sur la belle traduction du fragment du IVe livre de l'Énéide attribuée à l'abbé Delille"(3) reconnaissait que "Les expressions les plus triviales s'ennoblissent sous la plume de Delille; la bassessse des détails se perd dans le mécanisme de sa versification harmonieuse et savante"(4) On en était donc arrivé à la maîtrise d'un véritable métier poétique fondé sur l'observation normative de tous les paramètres verbaux de la versification. Et il en résultera le fameux débat, contradictoire et prolongé, des attributs caractéristiques de la prose poétique et du poème versifié.

En 1808, Jean-François Noël reprendra, au reste, l'antique succession du Père Vanière [1710] pour publier une version au goût du jour du Gradus ad Parnassum(5), qui marque bien -- en collusion avec les intérêts didactiques de l'Université napoléonienne -- la conception dominante d'un mécanique du verbe poétique fondée sur la stricte observance des formes et des valeurs issues de l'antiquité classique. Noël écrit d'ailleurs :

Cet ouvrage connaîtra au reste un réel succès d'estime puisque la quatrième édition date déjà de 1823, et que l'on peut encore suivre sa trace au-delà d'une huitième édition, en 1857.. Pour exploiter un autre héritage, en 1817, Levée publiait, un Dictionnaire des Épithètes françaises, qui se voulait une mise à jour et un prolongement de l'ouvrage analogue publié à Lyon en 1759 par le Révérend Père Daire, Sous-Prieur des Célestins de Lyon : Les Épithètes Françoises, rangées sous leurs substantifs, Ouvrage utile aux Poëtes, aux Orateurs, aux jeunes gens qui entrent dans la carrière des Sciences, & à tous ceux qui veulent écrire correctement, tant en Vers qu'en Prose, chez Pierrre Bruyset Ponthus.

La stéréotypie de ces formulations est d'ailleurs officiellement enregistrée, deux ans plus tard, par le Dictionnaire des Métaphores françaises de Varinot, lequel concède que l'abus de ces pratiques d'écriture contrainte par genres n'apporte rien à la valeur d'une oeuvre si l'idée dont procède cette dernière est faible ou inexistante :

Le 9 février 1818, dans une lettre qu'il adressait au jeune traducteur de Shakespeare, Bruguière de Sorsum, le poète Chênedollé, quant à lui, censurait l'emploi d'un mot pourtant inoffensif et, par là, attestait une fois encore l'importance d'une sériation hiérarchisée du vocabulaire poétique en cette aube de l'ère romantique: "Le verbe scintiller n'a pas un droit de bourgeoisie bien constaté en poésie, et il ne faut pas s'en servir, surtout dans le haut style"(7).

En 1819, Joseph Planche, professeur de rhétorique au Collège Royal de Bourbon, produisait le premier tome de son Dictionnaire françois de la langue oratoire et poétique, suivi d'un vocabulaire de tous les mots qui appartiennent au langage vulgaire(8)... Et cet ouvrage se donnait déjà comme une sorte de compendium des instruments verbaux adaptés aux desseins de l'écriture littéraire, lorsque cette dernière se donne comme modèle les genres rigidifiés de l'ode, de l'épopée, de la lyrique, du poème descriptif...

L'exemple de cette régulation fut d'ailleurs immédiatement suivi par le célèbre Gradus français de Carpentier(9), publié en 1822, qui, jusqu'en 1864, sera pratiqué par des générations d'écoliers du Parnasse anti-contemporain. Et même probablement bien au-delà encore si l'on concède quelque crédit à l'erre de diffusion des modèles esthétiques après la publication matérielle des ouvrages chargés d'en assurer la diffusion ponctuelle. Nicole Celeyrette-Piétri a naguère donné quelques éléments de caractérisation(10) de ce gros volume. Le titre exact, reproduit par ailleurs sur ce site en mode image, à lui seul, est tout un poème :

Le

Gradus Français,

ou

Dictionnaire

de la langue poétique,

Précédé

d'un nouveau traité de la versification française

et suivi d'un nouveau dictionnaire des rimes.

Cet ouvrage présente :

1° Chaque terme susceptible d'entrer dans la langue poétique, avec sa prononciation exactement notée, et le nombre de ses syllabes déterminé d'après l'autorité des poètes;

2° Les Synonymes, les Épithètes et les Périphrases;

3° Un recueil précieux de descriptions, de tableaux et de portraits, ainsi qu'un grand nombre d'encadrements, de coupes poétiques, d'alliances heureuses de mots;

4° Les noms des principales divinités de la Fable, avec l'indication des images sous lesquelles les peintres et les poètes se sont plu à les représenter, et les allusions, les allégories que ces derniers ont empruntées à l'ingénieuse Mythologie;

5° Les remarques littéraires ou grammaticales de Ménage, de Voltaire, de La Harpe, de Geoffroy, etc., sur les expressions, sur les locutions heureuses, hasardées ou condamnables employées par nos poètes du premier ordre.

par L.-J.-M. Carpentier,

Ancien Professeur de Rhétorique et Membre de l'Université;

à Paris,

Chez Alexandre Johanneau, Libraire-Éditeur,

rue du Coq Saint-Honoré, n°8 (bis),

1822

Dans un secteur restreint des connaissances de l'homme cultivé, l'ouvrage de Carpentier se présentait donc explicitement comme une somme d'informations, et comme un mode d'accès à celle-ci, régularisé par les chicanes et les filtres d'une certaine esthétique littéraire; en bref, comme une sorte de Mecano ou de Lego poétique.

Dans une note de son carnet personnel du 20 mai 1829, Alfred de Vigny faisait d'ailleurs allusion au "dictionnaire poétique" grâce auquel -- entre avril et octobre 1823 -- il avait pu rédiger Éloa; et, par cette remarque, accréditait l'importance du rôle tenu par de tels ouvrages dans la constitution de la conscience poétique des écrivains du premier romantisme_.

En 1836, exactement vingt ans après la parution de l'ouvrage de l'Abbé Antoine Scoppa : Des Beautés Poétiques de toutes les langues, considérées sous le rapport de l'Accent et du Rythme(11), à l'heure même où Tenint commençait à réfléchir aux fondements de la prosodie poétique de l'école moderne, à paraître en 1844, Louis Quicherat donnait le jour à un volumineux Thesaurus Poeticus linguae latinae.

Charles Baudelaire, alors âgé de seize ans, obtenait le second prix de vers latins au Concours général, en 1837, sous la tutelle pédagogique de Jules-Amable Pierrot-Deseilligny, qui fit paraître en 1838 un célèbre Choix de compositions françaises et latines, ou narrations, scènes, discours historiques, développements, vers latins des meilleurs élèves de l'Université moderne, avec les matières et les arguments(12).

Or, la même année 1838, le très négligé Duviquet -- commentant Delille dans un article publié initialement en 1807 -- était toujours cité par le Cours de Littérature ancienne et moderne que publiait Dassance :

En 1846, Goyer-Linguet, s'inscrivant dans la même filiation, publiait Le Génie de la langue française, ou dictionnaire du langage choisi contenant la science du bien-dire, toutes les richesses poétiques, toutes les délicatesses de l'élocution la plus recherchée, appliquées aux sciences, aux arts, etc., en descendant jusqu'au dernier échelon des connaissances humaines(14). Le rappel de ces publications ne veut pas être étalage de cuistrerie historique; il vise seulement à définir le cadre d'un mouvement, grâce auquel, à l'heure même des premières éditions du célèbre Cours de Lexicologie pratique de Pierre Larousse(15), le travail sur le vocabulaire tend à échapper au seul domaine de la littérature pour se rapprocher des préoccupations scientifiques -- morales et esthétiques -- d'une société conquise par le positivisme. La fin de la monarchie de Juillet, les soubresauts de la seconde République, le tournant de 1850, après l'éviction progressive des tendances philosophiques gouvernant la grammaire générale et le changement des épistémologies qui se manifeste aussi bien dans la nouvelle physique que dans les modifications de la conception de la représentation résultant des daguerréotypes, tous ces événements disparates, pour être ordonnés, classés, évalués, intégrés, appellent la constitution de listes de noms. De la conversation des gens du monde à la constitution des savoirs les plus techniques, le monde du XIXe siècle franchit le seuil de la modernité en tournant les pages de ses dictionnaires et en vérifiant la conformité de ses représentations entre les feuillets jaunis des rhétoriques de la veille….

Quelques auteurs peuvent certes feuilleter ces ouvrages avec nostalgie, dans le sens régressif. Ainsi, Barbey d'Aurevilly, avouant involontairement en 1857 sa dette à l'égard de la réédition précédemment signalée du Gradus de Noël, qui considérait toujours avantageusement les qualités expressives de l'épithète rhétorique: "C'est la dent du style que l'épithète"(16).

Mais Baudelaire, issu de la formation que l'on connaît, ne devait pas échapper -- quant à lui -- au phénomène de séduction du dictionnaire; et la chose ainsi que le signe qui la désigne devinrent vite dans son esprit un objet syncrétique et emblématique de valorisation. Dans cette perspective, la distinction de l'homme de génie et de l'artisan maladroit passa pour Baudelaire par l'usage que ces sujets de l'écriture font de cet objet. Ainsi, Villemain, pourtant préfacier de la 6e édition du Dictionnaire de l'Académie française, ou peut-être justement à cause de cela, fut-il condamné pour avoir une pratique de la langue sans imagination :

A l'inverse, l'aphorisme de Delacroix : "La nature n'est qu'un dictionnaire", mais un dictionnaire entièrement ouvert sur le monde, devait devenir pour Baudelaire, dans le Salon de 1859, le prétexte au développement de ses conceptions esthétiques les plus profondément perspicaces de la nouvelle sémiologie des arts à venir :

Parallèlement au célèbre et provocant plaidoyer en faveur de l'indispensable rhétorique et de la nécessaire prosodie, qui poursuit la réflexion de cette section du Salon de 1859, Baudelaire développait bien ici par l'intermédiaire du dictionnaire -- lieu par excellence de la banalité -- un éloge de l'individualité et de l'émancipation de la faculté imaginative. Ces notions ont besoin pour éclore de lutter contre les tendances au stéréotype aussi naturelles qu'irrépressibles, développées par les sociétés. A comparer cette conception de l'imagination avec celle à laquelle faisait référence J.-Fr. Noël dans la Préface du Gradus ad Parnassum de 1808, on saisit parfaitement la transformation de l'esthétique qui caractérise le parcours du XIXe siècle et le déport progressif d'une faculté intellectuelle fondée sur la reprise consciente des modèles vers une faculté sensible reconnaissant désormais la valeur de la fantaisie individuelle; et, au mépris des règles imposées, le vrai prix de la liberté conquise sur l'anonymat des clichés. L'intelligence dialectique de Baudelaire est de rappeler sans relâche que cette émancipation apparente reste néanmoins tributaire de la rhétorique contre laquelle elle s'affirme.

Doit-on s'étonner, dès lors, que, le 23 mars 1860, alors que la question de la survie d'une tradition rhétorique classique devenait cruciale, Alfred de Vigny pût encore acheter à la Librairie Classique et Élémentaire de Mme Vve Maire-Nyon, quai de Conti, 13, un exemplaire relié en basane de la septième édition [1847] du très classique Gradus ad Parnassum de Noël. On pourrait songer ici aux remarques que Pierre Larousse portait sur le Dictionnaire des Arts et Manufactures, de l'Agriculture, des Mines [...], rédigé par Charles Laboulaye, en collaboration avec Alcan, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, et les appliquer à ce volume: "C'est un désert sans oasis, où l'on est rassasié de science, mais où l'on soupire inutilement après un peu d'ombre et de fraîcheur"(19). Dans ces deux ouvrages, le poétique comme le scientifique, le métier est incontestablement présent. Mais ce métier -- palpable et vanté -- tient lieu de réel savoir, et de connaissance profonde. Ce qui peut fort bien se concevoir dans le domaine des techniques, mais qui perd tout intérêt et même toute valeur dans celui de la littérature.

Avec quelque naïveté d'époque, dans un de ses prospectus, l'éditeur Johanneau écrivait pourtant de cet ouvrage qu'il était "indispensable à tous ceux qui cultivent les Muses; présentant aussi aux personnes qui, sans écrire dans la langue des poètes, se plaisent à lire les productions de leur génie, l'explication des termes usités dans la langue poétique". Ainsi le Gradus était-il en apparence tout aussi bien conçu pour l'écriture que pour la lecture des textes poétiques... sans que soit réellement posée la question de savoir si l'imagination, d'une part, et l'authenticité de l'individualité du verbe poétique, d'autre part, ne risquaient pas d'être réduites à la portion congrue par cette technologie du verbe, en un temps où s'affirmait la nécessité de la parole vive et singulière, non stéréotypée ou répétitive.

Le nom de Larousse, aussi prestigieux lexicographe que polémiste vigoureux, justifie qu'on aille précisément chercher d'autres témoignages sur ce déplacement idéologique dans les colonnes des dictionnaires d'usage(20). En 1864, sous l'article Épithète du Dictionnaire de la Langue française, Littré notait de façon assez neutre: "Se dit, dans les dictionnaires poétiques ou gradus, des adjectifs qui peuvent être donnés comme épithètes à un substantif, et qui, réunis sous un même coup d'oeil, aident l'élève à faire des vers latins". Mais, dans d'autres cas, la condamnation des procédés peut être sans équivoque.

Ainsi, quelques années plus tard, avec plus de verve provocatrice l'auteur du Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle proposait-il une caractérisation au vitriol de ces formulations stéréotypées dont le discours poétique était si friand. Au même article Épithète, inclus en 1870 dans le septième volume de l'entreprise générale, Larousse écrivait: "Nom donné dans les Gradus ou dictionnaires de poésie latine, à des adjectifs dont on accompagne les substantifs, et qui aident les élèves à remplir leurs vers. On pourrait définir les Épithète des Gradus : collection de chevilles de toutes dimensions"... Dès lors, face à une telle tradition perpétuée, on ne s'étonnera pas de ce que Michel Bréal, en 1872, examinant l'instruction publique après le traumatisme de la Commune, et référant allusivement aussi bien à l'ancien Thesaurus de Quicherat qu'aux remarques de Noël(21), ait pu écrire :

On se rappellera alors ce qu'un Jules Vallès avait déjà pu écrire -- sept ans auparavant -- de ce travail incessant de contention intellectuelle et sensible, esthétique et politique, qu'avaient organisé et appliqué les modèles de l'instruction classique :

Mais il faudra encore attendre 1880, et Jules Ferry, pour que les compositions en vers latin soient définitivement expulsées comme obligation des programmes généraux des Collèges, des Lycées et des Universités. Elles ne seront plus réservées sur demande qu'aux meilleurs élèves de ces établissement.

Mon dernier témoin, après avoir vécu les bouleversements politiques, sociaux et culturels du premier quart du XXe siècle, fait le point sur le prolongement de cette tradition et la situation du langage de la poésie à la fin du XIXe siècle. Revenant en effet sur l'expérience Mallarmé des années 1889-1898(24), et énonçant ses Propos sur la Poésie à l'Université des Annales, le 2 décembre 1927, Paul Valéry, pour sa part, affirmait enfin :

Un tel texte condamne incontestablement les errements métaphysiques et méthodologiques des prédécesseurs de Valéry, mais il ne peut s'empêcher de les replacer dans un cheminement de la pensée dont, homme indéniablement du XIXe siècle par sa formation entièrement définie lorsqu'autour de 1900 la trentaine se profile pour lui, le poète de Charmes et de La Jeune Parque, ce poète et ce poéticien que l'on a l'habitude de prendre pour contemporain, est lui-même le terme ultime, l'indéniable avatar et -- simultanément -- l'impitoyable contempteur. Ce phénomène demande alors explication.

On pourrait certainement alléguer de nombreuses raisons d'ordre personnel ou subjectif, tenant aux idiosyncrasies de chacun. Sans nier la relative pertinence de ces dernières, il n'est guère possible de ne pas invoquer transformation du rapport du sujet littéraire à la langue qui marque le passage du XIXe siècle. Cette évolution se réalise en deux temps presque simultanés.

En premier lieu, l'éveil d'une conscience linguistique initialement fondée dans l'imposition du paradigme historique, et mue par le fantasme d'une régression vers l'origine des mots qui assurerait à ceux-ci un supplément de pureté sémantique et de force expressive. L'Essai de Sémantique, publié par Bréal en 1897 sur la base d'une réflexion poursuivie depuis au moins 1883, pourrait être la culmination et le terme de ce mouvement(26).

Puis le travail du paradigme structurel, à la suite précisément des travaux de Darmesteter et de Hatzfeld, d'ailleurs critiqués par Bréal(27), qui marque l'avénement d'une conscience des liaisons systématiques de la langue(28) sous l'hypothèse et l'hypothèque d'une métaphore biologique généralisée. Mais, seules, cette métaphorisation extensive et cette seconde dimension du travail linguistique permettent de comprendre réellement l'émergence progressive dans la conscience des linguistes et des locuteurs d'une représentation du langage comme entité systémique et presque déjà "structurée" au sens moderne d'"entité autonome de dépendances internes" que lui reconnaîtra bien plus tard Hjelmslev(29). L'Introduction du Dictionnaire Général stipule sans ambiguïté l'importance de la notion d'"ensemble", dans laquelle -- sans anachronisme -- on lira une exigence épistémologique d'organisation historique, bien incompréhensible sans référence à l'image d'une totalité globalement saisissable :

Or Valéry, au regard du langage, se reconnait tout à la fois étymologiste : A. Henry(30) a bien caractérisé son goût pour les "néologismes récurrents"; et structuréliste : Pierre Guiraud a montré jadis que si "le vocabulaire poétique de Valéry -- contrairement à celui de ses contemporains -- est notablement réduit. C'est qu'il exploite en poésie un petit fonds de mots [...] non dans l'ambition toute négative de créer une langue des honnêtes gens mais parce qu'il voit dans cette réduction du vocabulaire un des caractères de la poésie"(31)... Que le poète réfère encore par ailleurs à Quicherat et à Clédat montre parfaitement en quoi la modernité du geste d'écriture poétique se nourrit chez lui d'une tradition revisitée, interrogée à la lumière de nouvelles exigences, et finalement toute remodelée.

Avant de remonter à quelques témoignages du XIXe siècle contemporains de Carpentier et de Planche, et pour appuyer cette dernière remarque, en mesurant le degré d'originalité de Valéry et son degré de soumission aux contraintes d'expression les plus classiques, je prendrai pour exemple du modèle néo-classique le traitement du substantif "Orient" par le Gradus français.

Dans son ouvrage, Carpentier décrit un usage du mot propre à la littérature poétique classique et néo-classique, qui voudrait encore passer pour modèle, tout au moins auprès des écoliers et des apprentis poètes du début du XIXe siècle. Les références à Louis Racine, Voltaire, Millevoye et surtout Delille, illustrent le contenu beaucoup plus connotatif que dénotatif d'"Orient" dans ce type de discours. Les périphrases et les métaphores reconnues figent une représentation qui tourne au stéréotype décidément étranger aux renouvellements de pensée du jour; et ce n'est pas la notation de la diérèse qui enrichit d'un iota une définition bien convenue. Seuls les entours de sa contextualisation, et les illustrations alléguées, peuvent encore nous retenir :

Orient. n.m. (o-ri-an devant une consonne). Le point du ciel où le soleil se lève sur l'horizon; celui des quatre points cardinaux où le soleil se lève à l'équinoxe. Syn. Le levant, l'est. Épit. Vermeil, coloré, brillant, éclatant, au visage riant, au visage vermeil. Périph. Les portes de l'orient, les portes du jour, les portes du matin, les portes de l'aurore, le berceau de l'aurore, le berceau du jour, les sources du jour (Delille); les lieux, les bords, les champs, les climats où naît le jour, où le jour prend naissance; les lieux, les climats où le jour se rallume (Delille); la rive orientale, la porte orientale. V. Aurore.

Périphrases poétiques pour dire de l'Orient à l'Occident, V. Occident.

Malherbe a dit le matin pour l'orient:

Et Racan l'Orient de nos années pour la jeunesse :

Orient se prend aussi pour les états, les provinces de l'Asie orientale; les régions, les peuples de l'orient. Épit. Antique -, riche, fertile, parfumé. Périph. Les régions orientales.

[Enfin, dans un texte de Delille dont les fleurs étaient la matière principale:]

C'est à peine s'il est aujourd'hui possible de tirer indirectement de ce texte une indication stylistique quant aux synonymes d'"Occident" : "couchant" est familier, et "ponant" peu usité. La désignation du "levant", comme dans le Dictionnaire de l'Académie de 1762 et les premiers Boiste, est renvoyée à une graphie minuscule de l'initiale. "Orient", pour sa part, n'y est que l'image d'un lointain paré de tous les prestiges de la fable. Le mot pris dans les rets de la littérature du siècle précédent n'a pu se dégager des circonlocutions et des faveurs qui en adornaient l'usage; il n'est plus alors, derrière l'autorité de tous ces modèles, qu'un signe cliché, inapte aux transformations que lui font subir les évolutions de la science moderne. L'idée d'ouverture -- politique, culturelle, ou esthétique -- fréquemment associée à l'énonciation du terme, ne serait-ce que par l'intermédiaire de la Porte, est réduite ici à une sorte d'automatisme topique, et n'implique aucunement le dégagement de perspectives neuves. Les épithètes obligées ont en quelque sorte anesthésié le pouvoir suggestif et sémantique du terme. A force d'avoir voulu définir les contextes acceptables de son emploi, le dictionnaire poétique en a quasiment interdit l'usage pour de longues années dans toutes les écritures poétiques revendiquant un pouvoir minimal de singularité. "Orient" n'est plus alors à chercher que dans les récits de voyages et les textes en prose. En héritier docile de Mallarmé, Valéry -- d'ailleurs -- n'aura guère recours à ce terme dans son oeuvre en vers. Deux occurrences, pas plus, malgré la prolifération voisine des "or", "aurore", "onde", "azur", et autres "dryades", "lyre", "chlamyde", qui entretiennent avec ce terme des relations de proximité phonique ou de contiguïté notionnelle. La première évoque le reflet nacré d'une chair féminine :

La seconde réfère banalement au point cardinal et à cette localisation géographique que toute la littérature du XIXe siècle a chargée de séduction, d'érotisme et de mystère :

Dans les deux cas, nulle référence aux procédés traditionnels d'embellissement et d'ennoblissement de l'expression par épithétisation, paraphrase ou périphrase. Seuls importent la force suggestive du terme et son impact au milieu d'une construction générale du discours soutenue par la maîtrise des formes de l'élocution poétique : rythme, phonétique, syntaxe... Un ensemble de "fluctuations" de la langue, dont les variations sont désormais soumises à un projet et corrélées à une ambition esthétique. Et une émancipation par rapports aux canons des genres littéraires, qui fait des modèles de la poétique académique des subsistances anachroniques et désuètes.

Un second exemple de cette libération peut même être allégué, qui fait remonter à l'époque contemporaine de L.-J.-M. Carpentier, et à un poète pour lequel Valéry eut une grande admiration: Alfred de Vigny, lui-même fort soucieux d'ailleurs de se démarquer en sa maturité des influences qui avaient pu modeler sa jeunesse.

Dans le manuscrit du "Mont des Oliviers", Vigny a hésité au vers 70 entre deux formes de complémentation adnominale en situation de rime: "le flot de la mer" et "les eaux de la mer". Or Carpentier rappelle qu'une des collocations préférentielles de "flot" est l'épithète "amer"; l'expression globale désignant la mer, l'océan, saisis sous l'angle d'une étendue d'eau agitée et indéfinie. Une écriture totalement soumise au cliché eût adopté cette forme de caractérisation automatique. Mais, l'esprit critique de Vigny, observant que la rime du vers précédent --"amer" -- est déjà porteuse d'une incitation à succomber aux blandices du stéréotype, lui fait substituer à "flot" une synecdoque généralisante: "les eaux", qui atténue la représentation de l'agitation, tout en faisant simultanément entendre une voix singulière qui feint de recourir à un pluriel d'ennoblissement.

De même, dans "Les Oracles", Vigny a-t-il été tenté d'écrire "Déchiré par lambeaux sur la tête des rois". Mais la formulation définitive est néanmoins "Déchiré sur le front du dernier des vieux Rois". La désignation du chef par le terme simple aurait pu sembler une conquête sur la phraséologie convenue du vocabulaire poétique, d'autant que l'expression même de "lambeaux" servirait alors à renforcer le caractère pathétique de l'image. Vigny a néanmoins choisi de travailler contre la tradition en affectant une nouvelle fois d'y succomber. Mais, pour se rendre compte aujourd'hui de la manoeuvre, et mesurer rétrospectivement le degré d'originalité de l'expression, il faut avoir à sa disposition ces ouvrages de normalisation stéréotypique de l'écriture poétique que sont les Gradus. En effet, dans le cas qui nous importe, Vigny recourt bien finalement au mot "front", qui relève de la phraséologie noble et convenue; mais il prend grand soin de le dessertir absolument des cinquante et une épithètes qui sont susceptibles de l'accompagner mécaniquement : Grand, large, élevé, petit, étroit, bas, découvert, couvert, pur, serein, céleste, auguste, noble, majestueux, calme, épanoui, radieux, riant, éclairci, déridé, pudique, virginal, candide, timide, bruni, jauni, ridé, sillonné, vieilli, chauve, respectueux, soumis, humble, humilié, pâle, pâli, livide, sombre, triste, chagrin, austère, sévère, terrible, menaçant, sourcilleux, voilé, indépendant, modeste, guerrier, cicatrisé, audacieux... Le terme apparaît ainsi dans ce que Baudelaire appellerait la pleine puissance de sa majesté substantive. Difficile dans ces conditions de ne pas penser qu'une philosophie latente du langage se dissimule derrière ces manipulations du matériau verbal qui pourraient ne sembler que conjoncturelles.

Dans "La Sauvage", Vigny joue même de la réflexion du mot sur l'écran de la tradition pour subvertir plus efficacement encore la phraséologie d'époque, anticipant -- en cela -- sur la nécessité affirmée par Valéry d'"extraire à chaque instant [du désordre] les éléments de l'ordre qu'il veut produire". Après toute une série d'emplois du mot "sein" conformes à l'esthétique classique -- y compris la majuscule ennoblissante de la forme singulière -- le texte donne à lire la formulation: "De son sein nud et brun...". On sait que la valeur poétique traditionnelle du terme est fondamentalement rhétorique, constituant une synecdoque du buste de la femme; mais dans un poème qui évoque la fragilité et le courage déterminé d'une mère, Vigny ne peut se contenter de cette désignation indirecte, qui offusque à contre-sens le symbole même de la maternité, et toute la féminité amoureuse et malheureuse de l'héroïne, très justement connotée d'une sensualité non déguisée. Au lieu de caractériser "sein" au moyen des épithètes convenues, qui ajouteraient de l'éclat, du nombre et de l'harmonie à la chose : d'albâtre, de neige, de lis, arrondi, ferme, rebondi, élevé, saillant, charmant, délectable, virginal, naissant, palpitant, élastique, Vigny préfère donc apparemment succomber à la nécessité prosodique d'éviter l'hiatus en recourant à une orthographe archaïque du premier prédicat, pour mieux affirmer la provocation sémantique réaliste du second. Ainsi, non sans un subtil érotisme qui rappelle les premiers essais en ce genre des Poèmes Antiques et Modernes, le terme de "sein" échappe-t-il ici à la réduction abstraite de la synecdoque pour donner à voir -- dans sa plénitude colorée et presque palpable -- le symbole charnel de la beauté d'une femme, qui résulte autant de ses caractéristiques physiques que de ses postulations morales.

Certes les indices relevés chez Vigny et Valéry demeurent fragiles; des régimes différents de lecture des textes poétiques pourraient faire apparaître d'autres observations et d'autres conclusions. Mais, de ces emplois du verbe poétique et de la disposition mentale dans laquelle ils prennent naissance, il me paraît possible d'inférer, pour conclure, une remarque d'ensemble sur la persistance des modèles rhétoriques dans l'écriture poétique moderne.

Les études littéraires universitaires ont généralement accrédité en France la triade: "classique, moderne et contemporain", comme si naturellement -- derrière l'énumération et par l'effet d'une histoire bien homogène -- une réelle continuité était à percevoir. Or, de même que la langue française n'a jamais uniformément évolué en tous les points de son système, et que certaines transformations ont participé de mouvements alternés de régression et de progression, de même est-il possible d'admettre que les divers constituants du champ esthétique et épistémique global de la littérature ont présenté des degrés de résistance plus ou moins fort à l'innovation, et -- réciproquement -- des tendances plus ou moins marquées à s'aligner sur les formes communes de l'expression.

La narrativité inhérente aux oeuvres de prose, notamment sous la forme de récits, a certainement été beaucoup plus proche des modèles de l'art d'écrire et des clichés de l'expression. Et, la poésie, qui, dans le sillage de cet impérialisme de la narrativité, a voulu tisser les grandes nappes de ses cadences et de ses rythmes souvent suspendus à d'identiques desseins représentatifs, n'a pu faire mieux que de s'aligner sur des formes d'expression directement référentielles et informatives. D'où le succès de Victor Hugo, qui s'est toujours montré moins révolutionnaire dans le domaine de l'esthétique poétique que ne le prétendait "Réponse à un acte d'accusation"... Pour justifier leurs limites et leurs conformismes, ces formes narratives de l'énonciation poétique versifiée -- des Ïambes vengeurs de Barbier aux tableaux de Verhaeren et Paul Fort, en passant par les grandes machines de Leconte de Lisle et les chromos de François Coppée -- ont toujours eu la possibilité de se retrancher ou de s'abriter derrière les remparts d'une tradition que les dictionnaires de poétique maintenaient artificiellement vivante. La tradition culturelle transmise par l'instruction et la normalisation esthétique des genres littéraires leur donnaient des formes susceptibles d'être reprises et démultipliées en autant d'exemplaires que nécessaire.

Certains discours poétiques, en revanche, ont accepté de faire courageusement l'épreuve du langage et de s'écarter de cette référencialité immédiate et concrète des signes, soit qu'ils aient cherché à saisir les mouvements d'une pensée philosophique, soit qu'ils se soient volontairement abstraits du monde des choses en s'isolant dans le secret des mots pour mieux saisir l'instabilité et la fugacité des événements et des procès affectant la sensibilité et l'intelligence du sujet de l'écriture. Dès lors, il est devenu nécessaire aux poètes soucieux d'écrire de manière originale et de faire entendre leur voix, de briser d'une part les moules de la narrativité informative et, d'autre part, les modèles figés et stéréotypés -- donc d'information nulle -- conservés dans les colonnes des livres de préceptes et de théorie, dans les dictionnaires et codes divers de la rhétorique. Ainsi, à travers les pratiques de Vigny, mais aussi de Baudelaire, de Rimbaud, de Verlaine et de Mallarmé, les Gradus et Vocabulaires tombèrent-ils en déshérence puis en désuétude. Mais, pour comprendre, à la suite de Paul Valéry, le travail d'inscription de la valeur du verbe poétique, et pour retrouver l'"Honneur des Hommes" qu'ont promu les poëtes soucieux de s'écarter des standards d'expression et désireux de forger les "Belles chaînes" du "Discours prophétique et paré", le lecteur d'aujourd'hui doit recourir lui-même à ces textes d'un autre âge, et définir les conditions de l'historicité de leur lecture, à seule fin que ces documents -- échappant enfin à leur obsolescence superficielle -- retrouvent toute leur pertinence. C'est ainsi que tous ces ouvrages, poussiéreux et maculés du doigt impatient des nourrissons des Muses ayant jadis fébrilement tourné leurs pages austères, pourront sortir de l'oubli et soutenir -- sans qu'on en sourie -- l'ambition cachée que leur assignaient déjà leurs auteurs, quoique si peu d'entre fussent pourtant en mesure de la soutenir :

Les balancements prolongés de la poésie classique entre la soumission aux chaînes contraignantes de la tradition et des modèles à reproduire, d'une part, et, d'autre part, l'émancipation vers l'idéal éthéré d'une harmonie suave et séduisante, ont donc contribué -- non sans paradoxe -- à rendre plus nécessaire encore l'effort contemporain de lecture philologique des péri-textes techniques qui expliquent les modes de signification et de valorisation de ces créations aux principes esthétiques si éloignés de la compréhension immédiate des lecteurs d'aujourd'hui. Dans la matière même du "Saint Langage", à côté de la puissance représentative du verbe en général, les vrais poètes -- et non les simples versificateurs -- ont aussi trouvé par là le secret de la puissance thaumaturgique de la parole prononcée, et de ses irisations infiniment variées dans le miroir de l'énonciation poétique. Par où l'on s'aperçoit que les rhétoriques classiques et néo-classiques, pourtant si contraintes, dans un dernier sursaut de leur vitalité usée par tant d'accouplements obligés, surent encore féconder le sens créatif des individus que le langage instituait désormais en sujets d'énonciation, pleinement responsables des pouvoirs explicites et cachés de la parole poétique.


Notes

1. Jean-François Marmontel, Élémens de Littérature, 1787, réédition de 1856, Librairie de Firmin Didot, t. 2, p. 86 et 91.

2. Vie de Henry Brulard, éd. Martineau, t. 1, Paris, 1949, p. 149-150.

3. Le Magasin encyclopédique, 1800, t. II, p. 504.

4. Varinot, Dictionnaire des métaphores françaises, Paris, Arthus Bertrand, 1819, Préface p. xj.

5. La description exacte du titre est la suivante: Gradus ad Parnassum, ou Nouveau Dictionnaire Poétique Latin - Français, fait sur le plan du Magnum Dictionarium Pöeticum du P. Vanière, enrichi d'exemples et de citations tirées des meilleurs Poëtes anciens et modernes, par Fr. Noël, Membre de la Légion d'honneur, de plusieurs sociétés savantes, et Inspecteur général honoraire de l'Université Royale, Ouvrage adopté pour l'usage des classes par l'Université, Paris, Librairie de Le Normant, 1808.

6. Lettre du 9 février 1818, publiée par A. Chérel, in Revue de Littérature Comparée, 1937, pp. 238-263.

7. Cet helléniste était sans lien de parenté avec le célèbre critique Jean-Baptiste-Gustave Planche [1808-1857] que Balzac caricatura sous les traits de Claude Vignon. Joseph Planche était né à Ladinhac, dans le Cantal, en 1762, et mourut à Paris en 1853. Élève, puis professeur, et directeur du Collège Sainte Barbe de 1784 jusqu'à sa fermeture en 1794, Planche fait partie de ces administrateurs de la connaissance et du savoir qui façonnèrent de manière durable les conceptions culturelles de la bourgeoisie française. Terminant sa carrière officielle d'enseignant, en 1808, comme professeur en rhétorique du Collège de Bourbon, puis Bonaparte, Planche retrouva du service en 1831 comme sous-bibliothécaire, et de 1844 à 1846 comme conservateur-administrateur de la bibliothèque de la Sorbonne. Déjà connu pour avoir publié en 1812 un Vocabulaire des Latinismes de la Langue française, ou des Locutions françaises empruntées littéralement de la langue latine, une forte brochure in-8°, Planche fut aussi -- entre autres -- l'auteur d'un Traité des figures de rhétorique [1820], et, non sans signification, la même année que le Dictionnaire français de la langue oratoire et poétique, d'un Manuel du versificateur latin [1822]. Dernier trait, qui marque le caractère daté de l'esthétique littéraire de Planche: la tradition rapporte que Planche versifiait avec une égale facilité en latin qu'en français, et qu'il rédigea nombre de couplets destinés à être chantés dans les banquets de la Saint-Charlemagne au collège de Bourbon avec les formes et les manières des "vieux chansonniers"... L'ouvrage sera publié en trois tomes, de 1819 à 1822, chez Gide fils à Paris. 1819, tome 1 [A - E], 904 p.; 1822, tome 2 [F - P], tome 3 [Q - Z], ensemble de 1548 p.

8. Cet auteur avait rédigé -- en collaboration avec François Noël- -- un Dictionnaire Étymologique, Critique, Historique, Anecdotique, Littéraire, contenant un choix d'Archaïsmes, de Néologismes, d'Euphémismes, d'expressions figurées ou poétiques, de tours hardis, d'heureuses alliances de mots, de solutions grammaticales, etc., pour servir à l'histoire de la langue française, 2 forts vol. in-8°, petit texte et non-pareille à deux colonnes, Paris, Le Normant, 1816, qui devait servir de préliminaire à l'ouvrage de 1822.

9. Nicole Celeyrette-Piétri, Les Dictionnaires des Poètes. De rimes et d'Analogies, Presses Universitaires de Lille, 1983.

10. Sur ce dernier point, on pourra aussi se reporter à l'article de Pierre Larthomas, "Tradition classique et romantisme: le langage poétique", XVIIe siècle, octobre-décembre 1980, n° 129, pp. 421-431.

11. Paris, Imprimerie de Firmin Didot, xij + 268 p.

12. Ce volume, publié chez Delalain, aura une carrière prolongée jusqu'en 1875, date de la 8e et dernière édition connue.

13. Cours de Littérature ancienne et moderne, Paris, Au Bureau de la Bibliothèque Ecclésiastique, 1838, t. V, p. 400.

14. Et l'auteur précise même qu'il s'agit d'un "Ouvrage entièrement neuf". Le volume est publié en mai 1846, à Paris, chez Desrez.

15. Larousse a publié en 1849 sa Lexicologie des Écoles, qui devient, en 1850, la Grammaire élémentaire lexicologique, puis, en 1851, le Cours de Lexicologie pratique, avant de s'incarner définitivement, en 1853, dans le Cours lexicologique de style...

16. Jules Barbey d'Aurevilly: Correspondance Générale, p.p. Jacques Petit, Philippe Berthier et alii, Annales Littéraires de l'Univerrsité de Besançon, t. IV, 12 mai 1855, p. 98

17. Voir "L'Esprit et le Style de Villemain", in Oeuvres complètes, éd. M.-A. Ruff, Le Seuil, Coll. L'Intégrale, 1968, p. 502 b.

18. Salon de 1859, "4. Le Gouvernement de l'Imagination", in Oeuvres complètes, éd. M.-A. Ruff, Le Seuil, Coll. L'Intégrale, 1968, p. 398 b.

19. Préface du Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, 1866, p. Xl.

20. Mechtild Bierbach a consacré un intéressant article à cette question, dans lequel il est montré comment les dictionnaires poétiques du début du XIXe siècle ont pu influencer les théories métalexicographiques ultérieures, et, singulièrement, comment leurs conceptions de l'usage des mots ont été récupérées et travaillées par les lexicographes de la seconde moitié du siècle. Les exemples de Boiste, de Bescherelle opposé à Nodier, de Larousse et Littré, sont à cet égard très probants. Voir: "La catégorie des épithètes dans les dictionnaires français du XIXe siècle", Actes du Colloque International de Lexicographie, La Lexicographie française du XVIIIe au XXe siècle, Düsseldorf, 23-26 septembre 1986, in Travaux de Linguistique et de Philologie, XXVI, Strasbourg-Nancy, 1988, diffusion Klincksieck, pp. 205-233

21. Ce dernier et ses successeurs reconnaissaient en effet déjà le reproche que formulerait Bréal, et y répondaient par avance en suggérant une théorie -- aussi paradoxale que novatrice sans le savoir -- de la lecture du dictionnaire comme oeuvre littéraire: "On a blâmé les citations de morceaux empruntés aux meilleurs poëtes latins. Quoique cette édition [1857] en soit beaucoup plus sobre que les précédentes, nous n'avons pas cru cependant devoir y renoncer entièrement. Des professeurs ont prétendu que leurs élèves y trouvaient quelquefois tout traités leurs sujets de composition. D'abord nous ne pensons pas que ces citations soient assez nombreuses pour limiter les professeurs dans le choix de leurs matières. Mais ne pourrait-on pas faire la même objection, et avec plus de fondement, contre tous les recueils de vers latins dont les professeurs conseillent eux-mêmes la lecture à leurs disciples, et qui leur sont en effet d'une si grande utilité? Quant à nous, les raisons qui nous ont déterminé à conserver ces citations nous ont paru beaucoup plus fortes que les objections qui tendent à les faire supprimer. D'abord nous avons choisi la plupart du temps des morceaux tirés de poètes que les élèves n'ont point d'ordinaire entre les mains. Or c'est pour eux un moyen de faire connaissance avec ces auteurs, qu'ils ne liraient probablement jamais, s 'ils ne trouvaient dans un ouvrage qu'ils sont obligés de feuilleter tous les jours, ces passages modèles qui alors attirent et captivent leurs regards; car ces morceaux, cités à propos, répandent un véritable intérêt sur l'article auquel ils s'adaptent, font diversion à l'aridité rebutante d'un travail purement lexicologique, et permettent de faire de ce Dictionnaire l'objet d'une lecture suivie, ce qui n'existe pour aucun autre; ils en font même, on peut le dire, un cours de littérature poétique." [p. vij].

22. Michel Bréal, Quelques mots sur l'instruction publique en France, Paris, 1872, p. 222.

23. Citation extraite d'un article de L'Époque, 8 juin 1865.

24. Au début de cette relation, Valéry prend d'ailleurs bien soin de noter: "lorsque j'ai commencé de fréquenter Mallarmé en personne, la littérature ne m'était presque plus de rien. Lire et écrire me pesaient, et je confesse qu'il me reste quelque chose de cet ennui [...]", "Dernière visite à Mallarmé", Oeuvres, Pléiade, tome I, éd. Hytier, 1957, p. 630.

25. Voir Oeuvres, Pléiade, tome I, éd. Hytier, "Théories Poétiques et Esthétiques", p. 1368.

26. Essai de Sémantique (Science des significations), Paris, Hachette, 1897, qui reprend différents articles dont: "Les lois intellectuelles du langage: Fragment de sémantique", Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques en France, 27, 1883, pp. 134-142; et "Comment les mots sont classés dans notre esprit", Revue politique et littéraire. Revue bleue, 18, 1er novembre 1884, pp. 552-555.

27. Voir, en particulier, le compte rendu groupé des ouvrages du linguiste germanique Hermann Paul: Principien der Sprachgeschichte [1880] et de Darmesteter: La vie des mots... [1887], que Bréal donne à la Revue des Deux Mondes, 1887, 82: 4, sous le titre "L'Histoire des mots", pp. 187-212.

28. Le Traité de la formation des mots composés dans la langue française, comparée aux autres langues romanes et au latin, publié par Arsène Darmesteter en 1874, inaugure en effet une réflexion qui trouvera son achèvement, via différentes études intermédiaires : De la création actuelle de mots nouveaux dans la langue française et les lois qui la régissent, Paris, Vieweg, 1877; et La vie des mots étudiée dans leurs significations, Paris, Delagrave, 1887, dans les pages introductrices du Dictionnaire général de la langue française du commencement du XVIIe siècle jusqu'à nos jours, précédé d'un Traité de la formation de la langue, rédigées en collaboration avec Adolphe Hatzfeld, Paris, Delagrave, 1890.

29. Louis Hjelmslev, Prolégomènes à une théorie du langage, trad. française, Paris, Éditions de Minuit, 1967, p. 35.

30. Albert Henry, Langage et Poésie chez Paul Valéry, Paris, 1952. Il est vrai que l'étymologisme peut être considéré comme un trait distinctif de la poétique symboliste, et comme un moyen simultané d'hermétisme et d'esthétisme.

31. Pierre Guiraud, Langage et Versification d'après l'oeuvre de Paul Valéry, Klincksieck, 1953, p. 151.

32. Carpentier, Gradus français, p. 84.