PARODIE & PASTICHE
DANS
QUELQUES DICTIONNAIRES FRANÇAIS
1680 –
1890
OU
DESTINS
DICTIONNAIRIQUES DE LA LEXICOGRAPHIE?
Jacques-Philippe Saint-Gérand
Université Blaise Pascal
Clermont-Ferrand II / LRL
UMR CNRS 7118
ATILF / Nancy II
Contextualisation lexicographique
et métalexicographique.
Quand on utilise les termes de Parodie et de Pastiche, on ne fait pas que nommer des objets et caractériser des
produits de l’activité artistique. On identifie des pratiques particulières en
les rapportant à des fonctionnements pour lesquels ces dénominations
constituent des outils d’analyse technique. Et ces outils sont eux-mêmes
qualifiés par des descriptions sémantiques contenues dans les colonnes de nos
dictionnaires. Il y a là un terrible enfermement. Or, les dictionnaires sont
objets de référence ambigus en raison des mésusages qui affectent ordinairement
leur consultation irréfléchie. Leur situation définie dans l’espace et le temps
de cultures qualifiées fait de chacun d’eux un élément singulier dans la
kaléidoscopie des connaissances attachées à une époque.
Corollairement, leur statut
technique variable — dictionnaires de
langue, de chose, encyclopédiques, universels, etc., pour reprendre des
classifications bien connues — induit
non seulement des différences fondamentales dans la nature des définitions que
proposent ces ouvrages, mais réfracte également la diversité des prises en
charge axiologique de l’univers que l’idéologie des rédacteurs surajoute aux
données objectives d’un monde déconstruit et alphabétiquement ou radicalement
classé. Dès lors — simplicité de la
consultation, et objectivité apparente des gloses — s’adresser aux dictionnaires pour rechercher en leurs colonnes la
définition et les valeurs d’un signe, qui ne fait sens que par sa position à
l’intérieur de l’ensemble du lexique d’une langue à une certaine époque,
devient certes un exercice banal mais bien plus périlleux qu’il n’y paraît de
prime abord.
Interrogés par le lecteur, ces
ouvrages ramènent de l’inconnu au connu, et conforment des usages contemporains
à des modèles du passé dont le lexicographe voudrait penser qu’il peut encore
les réguler. Toutefois leur consultation n’éclaire qu’obliquement : ni la
valeur des mots, ni la nature des choses auxquels renvoient ceux-ci ne sont
directement renseignées par les discours de glose qui prétendent en rendre
compte. Le sens obvie s’y dissimule en d’infinies involutions. La langue s’y
réfléchit perpétuellement et la circularité de la relation des mots au
discours, qui règne ici en maîtresse, ne cesse de mettre en difficulté la
rectitude du jugement d’appréciation fondé sur la linéarité de la lecture des
définitions que le lecteur voudrait toutefois établir...
Le dictionnaire expose ainsi
dans sa dénomination même — recueil de
dits, de dictions — sa capacité à
subsumer des valeurs d’emploi en discours pour en déduire un ou plusieurs sens
à partir desquels se met en place —
dans d’autres discours — le processus
de signification. Il y a bien là, comme Roland Barthes le rappelait à propos de
faits lexicologiques connexes, une forme de vertigineux tourniquet.
Or, s’il ne s’agissait en effet
que de signes dotés d’un fonctionnement spécifique au sein d’une structure
générale ou de micro-structures particulières, la question serait vite tranchée.
Et les analyses structurélistes — comme le disait Queneau — prévaudraient, qui assigneraient à chaque
signe une position en quelque sorte définie en langue par abscisse et ordonnée.
Mais les signes sont
l’interface en langage d’objets aux particularités elles-mêmes souvent
complexes et aux emplois encore plus imprévisibles (humour, ironie, antiphrase,
etc.). C’est pourquoi un dictionnaire ne devrait jamais être consulté en soi et
pour soi, mais impose au contraire d’être interrogé au sein d’un ensemble plus
vaste d’instruments comparables, de sorte que la polyphonie des voix et la
polyscopie des visions restituent leurs harmoniques et leur volume aux objets
désignés par l’adresse et définis par la paraphrase qui la suit.
Si l’on prend l’exemple des
deux termes Parodie et Pastiche ces considérations générales
prennent immédiatement tout leur relief. Ces deux mots possèdent effectivement
une histoire — étymologique,
morphologique, lexicologique, phraséologique —
avant d’être employés dans les discours du XIXe siècle, qui
nous retiennent ici plus spécialement. Et l’on verra les auteurs de ce siècle
reprendre ces termes à leur compte en les transformant selon leurs propres buts
et leurs propres manières, s’appropriant ainsi
— d’une manière ou d’une autre —
les citations et les exemples, justifiant les effets de sens repérés par
les dictionnaires, les restrictions ou
les extensions, les figurations qui les affectent. On n’oubliera pas cependant
que ces deux termes relèvent du lexique des arts sémiologiques pour lesquels concevoir, composer et réaliser se
laissent difficilement dissocier tant est infrangible en eux la relation de
l’expression au contenu. Or, depuis que la pratique des arts et la reproduction
de leurs objets est devenue “industrielle”, comme nous l’a révélé le XIXe
siècle, littérature, musique, peinture,
sculpture, architecture, et, plus près de nous, cinéma, sémiologie visuelle de manière générale, portent en eux la
tentation de plagiat, le risque de contrefaçon, et le danger d’une imitation
parodique ou pastichielle.
C’est ainsi que s’inscrit en
profondeur dans le langage une dimension fondamentale de palimpseste, qui n’est pas, comme le voudrait Genette, le seul fait
de la littérature; mais qui lui est en quelque sorte antérieure, au même titre
que la rhétoricité est fondatrice du langage en action. Ce n’est probablement
pas pour rien que le Dictionnaire
Universel françois-latin, dit de
Trévoux, en 1704, caractérisait à cet égard le dictionnaire comme étant
« la plus belle partie de la littérature »…
De passation en passation,
malgré les rappels étymologiques, historiques, malgré les références, les
exemples et les citations, les marathoniens que sont tous les historiens sont
tentés d’oublier peu à peu l’origine, le terme, et la nature même de l’épreuve dans
laquelle ils sont engagés par leurs discours. C’est pourquoi aussi, dans leur
évolution et sous l’aspect rétrospectif du regard que nous portons aujourd’hui
sur eux, les dictionnaires ne peuvent
révéler la réalité des choses ou la vérité d’un objet, ils en marquent
seulement — selon certaine
épistémologie de la lexicographie — les
variations de la consistance gnoséologique.
La présente recherche ne
saurait ainsi dégager une valeur essentielle, fondamentale ou absolue des
termes Pastiche et Parodie; elle ne peut que tenter
d’exposer les lignes de force qui en structurent pour chacun le sens et
s’efforcer de faire comprendre la signification de la dialectique qui les
oppose aujourd’hui dans nos conceptions esthétiques. A défaut d’être de
véritables genres représentatifs de modes historiquement et sociologiquement
définis, ces deux pratiques sont peut-être des types fonctionnels universels
susceptibles d’être repérés à travers toutes les cultures qui mettent en
évidence la duplicité constante du même et de l’autre, et le caractère
hologrammatique ambivalent de toutes les productions artistiques
Ultime précaution
méthodologique : je ne prétendrai pas avoir recensé ni utilisé ci-dessous
tous les textes de dictionnaires identifiables dans cette période. Ils sont
trop nombreux et les effets de plagiat ou d’adaptation servile qui les
caractérisent nuisent à la lisibilité du parcours de sens qui s’établit sous la
chape compilatoire de leurs discours.
Les ouvrages retenus ici sont simplement ceux qui
sans surprise ponctuent les étapes de cette course mystérieuse. J'ajouterai
enfin qu'à côté des ouvrages de notre collection personnelle non encore
informatisés, notre recherche a été plus que facilitée par les versions
électroniques de dictionnaires anciens que les éditions Redon-Le Robert ont
publiées depuis 1998. L’examen portera ici sur l’ensemble : Dictionnaire Académie Fr. 1694-1935, Furetière, Richelet, Trévoux 1743, Féraud Gram. et Crit., L’Encyclopédie, Littré, GDU, Boiste, Laveaux,
Bescherelle, Poitevin…
De cet ensemble hérérogène aux
regard des critères habituels de la métalexicographie (dictionnaires de choses, dictionnaires de mots, dictionnaires
encyclopédiques, dictionnaires universels) il résulte une situation
complexe que la terminologie littéraire dont sont extraits nos termes de
référence illustre particulièrement bien, puisque Pastiche et Parodie sont
dans les dictionnaires alternativement ou simultanément vedettes glosées et
mention référant à un objet supposément identifié par un signe défini. Le socle
de nos observations préliminaires peut se résumer dès lors de la façon suivante
:
a) Les informations délivrées sur ces termes par les dictionnaires
sont fonction de la typologie des ouvrages, auxquels, selon leur nature, on ne
peut demander le même type d’analyse.
b) Toutefois, quel que soit leur type, tous les dictionnaires
possèdent une fonction commune, ils situent le terme dans une constellation
lexicale. Parodie se définit
généralement dans une constellation qui associe : caricature, charge,
contrefaçon,
glose, imitation,
pastiche,
singerie,
travestissement. Pastiche,
pour sa part, prend plutôt en charge :centon, copie, faux, imitation,
manière,
parodie,
pastichage,
plagiat.
On pourra prendre prétexte de l’examen de cette
constellation selon les dictionnaires pour déjà commencer à entrevoir des
fonctionnements singuliers de chacun de ces deux termes.
c) Enfin, à partir de ces constellation, l’analyse des notices
dans leur armature lexicographique (morphologie, étymologie, etc.) et leurs
paraphrases sémantiques fournira les éléments de conclusion préalables à un
prolongement de la réflexion en direction des ouvrages qui s’avèrent être et
revendiquent le statut des parodies ou pastiches de sérieux dictionnaires...
Il s’agira désormais de montrer comment fonctionnent nos deux termes de références dans les ouvrages dits “de langue” et dans ceux dits “encyclopédiques”, puis de montrer qu’une sorte de fatalité enferme ces mêmes ouvrages dans une circularité et un enfermement qui créent alternativement ou simultanément les conditions permanentes — indécidables mais bien tangibles — d’un pastiche ou d’une parodie.
1° Parodie et Pastiche dans
la constellation lexicale du français des dictionnaires de langue
L’histoire lexicographique de
ces deux termes est relativement aisée à reconstituer puisqu’ils sont
enregistrés à partir des ouvrages du XVIIe siècle, mais de manière
inégale. Furetière, Richelet, Thomas Corneille n’attestent que Parodie, tandis que les Académiciens
s’attachent également à Pastiche.
Les trois premiers ne
connaissent que Parodie et en font un
terme dans lequel le jeu, la moquerie, l’ironie sont les ingrédients
fondamentaux et inaliénables de la chose. Tandis que l’Académie françoise, pour
sa part, prend le temps de la réflexion et n’enregistre les deux éléments que
dans sa seconde édition, d’où s’ensuit une assez large rémanence des
définitions qui installe comme un prototype du sens de ces deux mots. On
pourrait avoir le pressentiment que ces deux termes s’expliquent l’un par
l’autre; ce n’est ici pas tout à fait le cas. Avec les Académiciens, Parodie perd le sens du jeu, de la
moquerie, de l’ironie et s’installe dans un sérieux générique qui contraint le
verbe “détourner” (le sens) à attendre les éditions du XIXe siècle
pour être infléchi par les effets du “comique”, de la plaisanterie et de la moquerie.
ACADÉMIE FRANÇAISE 1718-1932
PARODIE.
substan. fem. Sorte d'ouvrage en vers fait sur quelque piece de poësie connuë,
que l'on destourne à un autre sujet & à un autre sens, par le changement de
quelques mots. Il a fait une parodie
ingenieuse. heureuse parodie. La parodie sert souvent à tourner un sujet en
ridicule.
Édition 1718
PARODIE. n.
f. Sorte d'ouvrage en vers ou en prose qui travestit en burlesque un ouvrage
sérieux. Le Virgile travesti de Scarron
est le type de la parodie.
Par extension, Une parodie
de justice, Une contrefaçon de la justice et de ses formes.
Édition 1932-1935
Certes, on note bien un
élargissement du spectre d’application de ces termes puisque la musique
s’insinue ici aux côtés du théâtre et de la poésie, mais cet élargissement est
très relatif et ne touche guère aux autres arts à l’instant même où commence à
se faire jour au XVIIIe siècle une réflexion sur l’esthétique et la
correspondances des arts. Ce n’est guère qu’au XXe siècle que le
terme peut s’appliquer à des objets tels que la justice, la religion, les
élections, devenant alors un quasi-synonyme de simulacre.
Pour saisir l’ouverture du
spectre d’application de cette notion dans laquelle l’élément de contrefaçon
est central, il faut aller jusqu’à Pastiche,
dont l’orbe sémantique et pragmatique —
par la référence au modèle italien que justifie ici l’adaptation morphologique
du lexème — est plus largement dessinée
: musique, peinture y voisinent avec littérature, notamment grâce à la présence
d’opéra, et peuvent même s’étendre
jusqu’au costume ou aux traits caractéristiques d’une époque dont on souhaite
produire une imitation souvent ironique ou plaisamment critique. Il faudrait
retenir ici cette dernière notion de critique,
car elle est appelée à jouer un rôle important dans la constitution moderne de
la discrimination des deux termes :
PASTICHE. s.
m. Nom qu'on donne à certains tableaux où l'on a imité la manière, le goût, le
coloris, &c. d'un Peintre. Les
pastiches de Téniers.
Édition 1762
PASTICHE. n.
m. Imitation, à s'y méprendre, de la manière d'un artiste ou d'un écrivain,
soit par jeu, soit à dessein de suggérer la critique des procédés que l'on
contrefait. La Bruyère, au chapitre de la
Société et de la Conversation, a fait un agréable pastiche de Montaigne.
Il se dit aussi de l'Imitation du costume, du ton et du style
d'une époque. Un charmant pastiche du
dix-huitième siècle.
Édition 1932-1935
Le Dictionnaire Universel François-Latin, dit de Trévoux, ne va plus loin dans la définition du sens que par les
précisions qu’apporte sa visée “universelle”, déjà orientée par le sens de
l’encyclopédisme ambiant.
Il en va de même avec l’Abbé
Jean-François Féraud qui pousse le sens de la discrimination jusqu’à reprocher
leur étroitesse de vue aux Académiciens, préparant ainsi à sa manière le
travail des lexicographes du XIXe siècle
Ce n’est donc guère qu’aux
abords du XIXe siècle que l’on peut noter une spécialisation
littéraire de ces deux termes. Aux abords du XIXe siècle... parce
que la périodisation même de ce siècle protéiforme demeure complexe et variable
en fonction des points d’observation que l’on adopte.
On connaît bien les ouvrages de
Boiste auxquels Nodier a conféré toute leur notoriété, mais derrière le célèbre
:
BOISTE (Pierre-Claude-Victoire),
Imprimeur, / BASTIEN (J.-F.) Dictionnaire universel de la langue
française, extrait comparé des dictionnaires anciens et modernes ; ou Manuel
d’orthographe et de néologie, contenant ***, précédé d’un Abrégé de la
grammaire françoise et suivi d’un Vocabulaire de géographie universelle ;
ouvrage classique nécessaire à ceux qui veulent lire, parler ou écrire la
langue françoise
son
Dictionnaire de Belles Letttres
Contenant Les élemens de la littérature théorique & pratique d'après un
seul principe, l'association des idées opérées dans le langage ou loe sztyle
par le bon emploi des quatre élémens, les faits, les images, les pensées et les sentimens,
est moins reconnu encore qu'il
soit le cadre et le dessein général du précédent. Inachevé à la mort de
l'auteur, cet ouvrage n'a pas été complété et ne donne pas à lire les notices
correspondant à nos deux objets. Il faut donc retourner aux elliptiques notices
du premier pour trouver (186615):
Parodie, s.
f. -dia. Imitation ridicule d'un ouvrage de littérature sérieux (heureuse,
jolie -; ingénieuse; faire une, la – de...); ouvrage en vers fait, modelé sur
une pièce connue, dont on détourne le sens et l'application; travestissement
ridicule d'une pièce de théâtre; pièce de vers faite sur une musique donnée;
air de symphonie auquel on ajoute des paroles; maxime triviale; proverbe
populaire, G. (inus. Dans cette
dernière acception). Para, contre,
ôdê, chant, gr.). Plusieurs parodies ont blessé à mort les pièces et leurs
auteurs; le ridicule tue tout.
Et
Pastiche, s.
m. tableau rempli d'imitations; composition mêlée; opéra composé de
morceaux pillés; imitation du style d'un auteur; G. Copie servile d'un tableau
(Dubos). (Pasticcio, pâté, (fig.) mélange, ital.)
qui confirment le sens de la
tendance affectant parodie au secteur
littéraire et pastiche aux objets
esthétiques relevant des secteurs de la musique et de la peinture. On
trouverait confirmation de cette orientation dans la consultation d'un ouvrage
qui constitue en quelque sorte le compendium de l'Encyclopédie méthodique de Panckoucke, à savoir le Dictionnaire des difficultés grammaticales
et littéraires de la langue française que publie Laveaux en 1818, réédité
jusqu'en 1848 et bien au-delà encore dans ses avatars! Marmontel, de Jaucourt,
Dumarsais, Condillac sont les hérauts du rédacteur; mais le XVIIIe
siècle a passé et les intérêts du XIXe siècle sont souvent bien
différents. Cet ouvrage néglige entièrement le terme de Pastiche et ne se consacre qu'à celui de :
Parodie. Subst. f. Terme de littérature. Il se
dit proprement d'une plaisanterie poétique qui consiste à appliquer certains
vers d'un sujet à un autre, pour tourner ce dernier en ridicule, ou à travestir le sérieux en burlesque, en affectant
de conserver autant qu'il est possible les mêmes rimes, les mêmes mots et les
mêmes cadences. Le changement d'un seul mot suffit pour parodier un vers.
Le Dictionnaire National de Bescherelle, en 1846, qui a servi de base
aux premières réflexions de Littré, consacre deux notices compilatoires
nourries à Parodie et Pastiche. Cet ouvrage mérite de retenir
l'attention car on sait qu'au même titre que le dictionnaire de Poitevin — qui en est d'ailleurs le compendium dans bien des notices, il fut
considéré comme un des ouvrages de référence des grands écrivains du XIXe
siècle.
PARODIE s. f. [...] Sorte d'ouvrage en vers, fait
sur une poésie sérieuse et généralement connue, que l'on rend comique au moyen
de quelques changements, et que l'on détourne à un autre sujet dont on veut
plaisanter ou se moquer. On a la liberté d'ajouter ou de retrancher ce qui est
nécessaire au dessein qu'on se propose, mais on doit conserver autant de mots
qu'il est nécessaire pour rappeler le souvenir de l'original dont on emprunte
les paroles. On parodie aussi quelquefois des ouvrages en prose. [...]
Une telle notice réunit les
différents éléments de sens que l'on trouve dans les dictionnaires antérieurs,
avec une nette influence de l'Académie française, puisque la littérature
versifiée y est le point d'ancrage de l'objet et de sa dénomination, mais elle
met également en avant sa contemporanéité au XIXe siècle par les
annexes qu'elle donne concernant les extensions du sens et les possibilités
combinatoires du signe, tant par rapport à l'ordre syntagmatique (épithète) que
par rapport à l'ordre paradigmatique (synonymes). Il en résulte une définition
qui assigne au mot une certaine position en abscisse et ordonnée au coeur du
lexique français, idée que Littré reprendra à son tour un peu plus tard.
La notice Pastiche s'inspire évidemment des mêmes principes organisateurs :
PASTICHE s. m. (de l'ital. Pasticcio, pâté,
parcequ'ordinairement un pâté est composé de différentes viandes). Peint.
Tableau où un peintre imposteur a imité la manière d'un autre, son goût, son
coloris, ses formes favorites, dans le dessein de faire passer ses ouvrages
pour ceux des anciens maîtres. [...]
On notera ici l'intéressant
développement discriminant du dernier alinea
de la notice, dans la veine des distinctions synonymiques de Girard, Guizot ou
Lafaye. Nous nous trouvons dès lors dans une situation de transition entre
l'univers classique du sens et les turbulences “romantiques” et idéologiques de
la signification. Émile Littré, médecin formé au double modèle de la médecine
expérimentale de Claude Bernard et au positivisme historique de Bopp que Comte érige
en modèle philosophique dans la France de cette première moitié du XIXe
siècle, va retenir l'entière leçon de ces premiers tâtonnements.
Le Dictionnaire de Littré propose ainsi des notices dont
l'organisation même — en dehors de
toute spécificité lexicographique formelle et structurelle — met le rapport littérature / peinture (ou
autres arts de la représentation) en parfaite lumière. Parodie est directement lié à littérature, tandis que pastiche ne s'y rattache que par la
médiation de tableaux d'imitation
PARODIE (pa-ro-die), s. f.
1°
Ouvrage, en prose ou en vers, où l'on tourne en raillerie d'autres ouvrages, en
se servant de leurs expressions et de leurs idées dans un sens ridicule ou
malin. La parodie est la fille de la rhapsodie [c'est-à-dire elle commença chez
les Grecs à propos des rhapsodies d'Homère], SCALIGER, dans RICHELET.
PASTICHE (pa-sti-ch'), s. m.
1° Nom donné à des tableaux
d'imitation, dans lesquels l'auteur a contrefait la manière de quelque peintre,
ses touches, son dessin, son coloris, etc. On appelle communément pastiches les
tableaux que fait un peintre imposteur en imitant la main, la manière de
composer et le coloris d'un autre peintre, sous le nom duquel il veut produire
son ouvrage.
Parvenue à ce stade de son
développement, la description lexicographique tend à proposer aux lecteurs une
analyse objectivement fondée en raison, qui organise logiquement les parcours
du sens. Une section proprement chronologique restitue à l’ensemble son
historicité nécessaire. On voit ici se fixer la répartition discriminante
littérature /vs/ musique et autres arts qui permet d’opposer le pastiche et la
parodie. C’est à partir de ce constat que le XXe siècle va être
amené à travailler le contenu de ces deux termes, au-delà de la période de
référence que je me suis fixée ici.
2° Parodie
et Pastiche dans les exemples et
citations de dictionnaires encyclopédiques français.
Le repérage topologique de ces
deux termes ayant été effectué, il reste à dresser un relevé des points
qui — dans chacun de des notices
considérées — fixent leur valeur et
illustrent leur sens. Ces points sont indifféremment des citations d’auteur,
qui renvoient à un panthéon implicite de la littérature, ou des exemples forgés
pour la circonstance, qui tendent à refléter des usages plus ou moins courants.
Les citations s’inscrivent dans l’univers d’un florilège esthétique convenu des
valeurs littéraires et des canons esthétiques. Les exemples se légitiment dans
celui des habitudes de parole et des stéréotypes.
Lorsque le dictionnaire est à
orientation plus nettement littéraire (Encyclopédie,
Boiste, etc.) les citations
dessinent même des cadres normatifs définissant l’espace de liberté ou de
contraintes à l’intérieur duquel peut s’envisager la pratique de l’écriture en
fonction des genres choisis et des options ouvertes (ou fermées) par la
rhétorique.
Dans les deux cas, les termes
de Parodie et de Pastiche s’avèrent très révélateurs d’une certaine conception de la
littérature. On note en particulier une évolution intéressante au XIXe
siècle qui va progressivement s’approprier les contenus de ces deux termes au
travers d’autres arts : musique, peinture…. Ceci nous amène en conséquence à
envisager plus particulièrement le secteur des dictionnaires à visée plus
encyclopédique, car ils sont amenés à faire interférer une conception théorique
du sens et des occurrences pratiques de la signification de ces termes. Je ne
retiendrai ici que les deux plus célèbres de cette série : l’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot,
proprement dite et le Grand Dictionnaire
Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, qui sont comme les
deux plus remarquables massifs de la production de ce type en langue française.
L’Encyclopédie du XVIIIe siècle n’hésite pas un instant à
placer le terme de Pastiche sous l’éclairage
de la seule peinture et fait de ce terme un des éléments de la consociation
sémantique qui conjoint dans cet art la technique proprement dite (évoquée ici
dans la référence à la manière) et
l’inspiration ou le projet esthétique (inclus dans les références à l’ordonnance, au coloris, à l’expression,
au dessein et au caractère du pinceau). Il en résulte que le pastiche ne peut
s’appliquer qu’aux formes les plus superficielles et s’avère incapable de
contrefaire l’esprit de l’oeuvre et de l’auteur. D’où s’ensuit que le génie,
caractéristique proprement individuelle hors la langue, ne saurait être
caricaturé ou contrefait. Le pastiche souligne dès lors les défauts, les
manques, les limites d’une production artistique, il n’exhausse nullement les
traits saillants de sa constitution :
Encyclopédie de Diderot et d'Alembert
PASTICHE, s.
m. (Peint.) tableau peint dans la
maniere d'un grand artiste, & qu'on expose sous son nom. Les pastiches, en italien pastici, sont certains tableaux qu'on ne
peut appeller ni originaux, ni copies, mais qui sont faits dans le
goût, dans la maniere d'un autre peintre, avec un tel art que les plus habiles
y sont quelquefois trompés.
On note dans cette définition
une restriction volontaire de l’acception qui n’est possible qu’en raison du
caractère encyclopédique de l’ouvrage, car c’est ce dernier qui permet des
sériations précises entre les objets, comme on peut le constater si l’on
compare avec les définitions extraites de dictionnaires de langue, lesquelles
font apparaître de conserve musique et poésie, parfois même peinture et
sculpture.
Le même ouvrage des Lumières
adopte une position similaire à propos de Parodie,
dont le sens se présente volontairement restreint à la lirttérature.
L’acception glosée met effectivement en valeur le processus général de
détournement de sens, par un effet quelconque de transformation de la matière
de l’écriture, qui conduit à la production recherchée d’un trait d’esprit fin
et plaisant, susceptible de délivrer une leçon. Il y a même là un trait distinctif
qui discrimine nettement la parodie subtile du burlesque populacier :
PARODIE, s.
f. Parodie, , parodus, se dit aussi
plus proprement d'une plaisanterie poétique, qui
consiste à appliquer certains vers d'un sujet à un autre pour tourner ce
dernier en ridicule, ou à travestir le sérieux en burlesque, en affectant de
conserver autant qu'il est possible les mêmes rimes, les mêmes mots & les
mêmes cadences.
Par où l’on voit que c’est sur
la base d’un critère de nature éthique et social, conforté par la référence aux
auteurs les plus connus et reconnus, que s’effectue la discrimination de la parodie et du pastiche, la première dépréciant le second. Le XVIIIe
siècle — même tourné vers le progrès
— n’en oublie pas moin que sa culture
est fondée sur le socle d’une morale encore classique.
L’optique change dans le GDU du XIXe siècle car le
dessein global de l’entreprise est de conférer à la matière des discours une
cohésion qui ne peut trouver sa justification que dans la matière du langage,
et plus particulièrement dans l’organisation de sa matière lexicale. C’est
autour du mot que s’est développée toute la réflexion didactique de Larousse, y
compris dans sa dimension la plus explicitement ouverte à la recherche. Bien
que ce ne soit pas ici le lieu de développer cette considération, il convient
d’en rappeler le contenu pour mieux comprendre le contexte général de la pensée
plus ou moins explicite du langage dans laquelle s’insère l’entreprise de
Pierre Larousse.
Dans le cas du GDU, le dispositif choisi et régulièrement tenu tout au long de l’ouvrage propose une macrostructure alphabétiquement ordonnée et unifiée puisque la nomenclature accueille par interclassement les mots du lexique français, les emprunts terminologiques, et les noms propres de personnes, de lieux, d’ouvrages, etc. Je ne reviendrai donc pas sur la richesse de cette nomenclature. Il y a là une disposition solide, pérenne et structurante des formes explicatives qui, bien que le lexicographe n’ait pu avoir la pré-science des distinctions de la sociolinguistique contemporaine, permet de souligner les divers phénomènes de variation dont témoigne pour lui le lexique en emploi d’une langue et qu’il revient à un dictionnaire d’expliciter à l’aide d’exemples choisis et de citations.
Même si Larousse n’a évidemment pas à sa disposition les éléments de la terminologie métalinguistique moderne, que l’on n’aille pas dire cependant que le linguiste est chez lui totalement tenu sous le boisseau par l’encyclopédiste! Entre linguistique et métalinguistique, il y a d’ailleurs constamment trace et place dans le GDU pour l’expression d’un sentiment épilinguistique diffus qui fait une large part du charme émanant de cet objet. Les notices consacrées à Parodie et Pastiche illustrent parfaitement cette particularité.
Certes, encore faut-il faire observer que du seul
point de vue d’une stricte lexicographie
scientifique moderne, Larousse n’est pas encore le lexicographe scientifique tel que nous pouvons concevoir
aujourd’hui cette corporation, tout inscrit qu’il soit dans une période de
l’histoire des dictionnaires qui s’apparente pour les historiens aux temps
modernes. Les notices que nous examinons ont ceci
d’intéressant qu’elles proposent une véritable explosion encyclopédique de ce
que nous avons trouvé dans les dictionnaires précédemment consultés. Non
seulement les termes sont restitués dans leur parentèle étymologique, mais ils
sont aussi décrits dans leurs modes d’être et de fonctionnement, ainsi que dans
les exemples qui en attestent le mieux la réalisation. Les citations qui
exposent le sens en prennent des allures quelque peu gnomiques, quelque soit la
notoriété et le statut de l’auteur.
GDU du XIXe SIÈCLE
PARODIE s. f. (pa-ro-dî -gr. parodia; de
para, à côté, et de ode, chant, pour aoidê, de aeidd. chanter,
raconter poétiquement, pour lequel Pott et Benfey restent incertains entre les
racines sanscrites vad, parler,
résonner, et vid, savoir, qui prend
au causatif vèday l'acception de
raconter. Parodia signifie proprement
chant à côté ou à côté du chant). Littér. Imitation boufonne d'une œuvre
sérieuse : Boileau a fait la PARODIE d'une scène du Cid, sous le titre de
Chapelain décoiffé. (Acad.) D'Alembert excellait aux PARODIES et aux
caricatures. (Sainte-Beuve.) La seule PARODIE amusante el curieuse des grands
maures est faite par leurs disciples et leurs admirateurs. (Th. Gaut.) Il ne
faut pas semer l'ignoble parodie Sur les fruits du talent et les dons du génie.
GRESSET. || Vers faits sur un air donné : Louis XIV faisait sur-le-champ de
petites PARODIES sur les airs qui étaient en vogue. (Volt.) Par ext. Imitation,
reproduction burlesque d'un objet quelconque : Si du monde idéal le grotesque
passe au monde réel, il y déroule d'intarissables PARODIES de l'humanité. (V.
Hugo.)
Nous voyons là se mettre en
place une représentation de Parodie
qui — insistant sur l’aspect historique
et parfois même très anecdotique des choses —
développe une analyse de son sens en extension plus qu’en compréhension,
et qui pose à son terme une évaluation
portant sur la situation contemporaine. La partie encyclopédique prend
là toute sa place et la section littéraire ne s’inscrit en son sein que de
manière dérivée. On en retiendra que le XIXe siècle historien y
prend justement là définitivement ses distances au regard de la tradition
classique. Comme le prétexte de ce jugement est d’ordre musical, la fibule est
naturellement trouvée qui amène à considérer la notice Pastiche comme une extension encore plus développée de cette
analyse. Loin de mettre en regard l’un de l’autre deux sens entièrement
distincts, le GDU réunit les deux
termes dans une égale revendication de la fonction critique attachée à ces
exercices de contrefaçon volontaire.
L’origine du développement est
inscrite dans le domaine pictural, mais très vite l’extension survient qui
réactive l’idée du syncrétisme correspondanciel des arts que le XIXe
siècle a promu dès son aube. Lorsque le rédacteur aborde la section
encyclopédique de l’analyse, c’est le défaut d’originalité qu’il souligne comme
le trait marquant de la pratique des pasticheurs. Et, là encore, la notice se
développe en interpolant dans ses colonnes nombre d’extraits de critiques d’art
contemporains, dont le célèbre Delécluze. S’il y a dans le pastiche de la
farcissure, l’auteur de la notice prend bien soin, toutefois, de distinguer
entre deux modalités de réalisation de cet objet : soit que le pastiche exprime
une soumission acceptée à un modèle dominateur, soit qu’il porte à l’inverse la
dénonciation rebelle de cette esthétique dominante et, avec lui, une dose de
critique révolutionnaire que le comique permet d’accepter.
PASTICHE s. m. (pa-sti-che - ital. pastic-cio, proprement pâté, du latin pasta-, pâte", le même que le grec paslê, plat de mets broyés ensemble, pasta, bouillie d'orge, probablement le
même que le sanscrit pishta, farine,
de la racine pish, broyer, zend pic, lithuanien pai- syti, latin pinso.
V. PÂTE). Tableau dans le quel un peintre a imité la
manière d'un autre
: Ce peintre n'a fait que des PASTICHES. Nos artistes sont incessamment courbés
sur les trésors du cabinet des estampes pour faire du nouveau en faisant
d'adroits PASTICHES. (Balz.) Par ext. Imitation, œuvre d'art ou
de littérature imitée d'autres-œuvres et dépourvue d'originalité : L'on éprouve des mirages
singuliers en parcourant Munich, où tous les styles se confondent dans un
PASTICHE général. Th. Gaut.
Si tant est que le pastiche, en tant qu’arrangement la
communication d’objets qu’il eût été difficile de transmettre intégralement
sous leur forme originelle, peut se définir comme doté d’une certaine forme
d’utilité historique, le point discriminant qui permet de le distinguer de la parodie demeure celui de l’intensité
critique qui caractérise ces deux termes. Le pastiche — finalement assez
admissible — s’inscrit en-deçà de la ligne de partage qui sépare la critique
positive et la critique négative, alors que la parodie — certainement moins honorable — se situe délibérement au-delà dans le
registre de la dénonciation.
Cette considération — rendue possible par l’observation historique
des faits qu’a favorisée la perspective encyclopédique — tire évidemment à conséquences et nous
entraîne d’une certaine façon vers notre conclusion, car le domaine même des
dictionnaires n’a pas échappé bien sûr à ce jeu dialectique du pastiche et de la parodie.
3° Parodies et Pastiches de
Dictionnaires dans la tradition française au XIXe siècle, pour s’acheminer
vers une conclusion ...
Il est vrai que l’histoire même
de la lexicographie peut être caractérisée par le phénomène du plagiat et de la
compilation détournée, qui suscite évidemment scandale, critique, pastiche et
parodie. Je ne prendrai ci-dessous que quelques exemples parmi les plus
célèbres, comme si une certaine fatalité s’attachait à ces objets de
compilation pour lesquels la part singulière de chacun n’est pas toujours aisée
à déterminer.
1° Le Dictionnaire de
Furetière, et cette fameuse querelle des dictionnaires qui fit
tant de bruit à l’époque, en est en quelque sorte le prototype. Depuis 1637, l’Académie
française travaillait à son dictionnaire, qui devait former comme le
bilan littéraire de tous les mots alors en usage chez les écrivains et dans la
bonne compagnie. Elle avait obtenu du Roi le privilège exorbitant, de
l’exclusivité pour publier un dictionnaire, avec défense à tous de lui faire
concurrence dans une période de vingt ans après la publication du sien.
Lorsqu’en 1662, Furetière fut admis dans la savante compagnie, on travaillait
donc depuis vingt-cinq ans à ce fameux dictionnaire
Qui, toujours très bien fait,
restait toujours à faire.
Une fois
élu, Furetière prouva sa vocation par son assiduité au travail du dictionnaire,
et Charpentier — comme le rapporte
d’ailleurs Pierre Larousse — raconte à
ce sujet une anecdote qui, pour être bien comprise, demande une certaine
connaissance des règlements académiques. A la fin de chaque séance, Furetière
avait soin d’écrire son nom en tête d’une feuille, pour s’assurer d’être le
premier inscrit sur la liste de présence à la séance suivante, et c’est
Furetière qui raconte lui-même, dans son deuxième factum, qu’il avait soin
d’arriver une demi-heure avant tout le monde, pour se donner le temps de copier
le travail de la séance précédente. Il copie donc avec diligence, change
quelques mots au commencement, et songe à avoir un privilège (nécessaire à
cette époque)assurant pour cela que son dictionnaire lui a coûté quarante années
de travail ; qu’il y a employé jusqu’à seize heures par jour. Il
affirme, à la date de janvier 1686, qu’il a fait voir, il y a trois ans, l’ouvrage
tout achevé ; que le manuscrit remplissait quinze caisses,
où, depuis trois ans, plus de deux mille
personnes l’ont vu ; que les libraires ont enchéri, pour l’avoir, jusqu’au prix de dix mille écus ; il expose enfin que la révision de l’ouvrage prendrait plus de trois années à quelqu’un qui
y donnerait tout son temps ; qu’on ne saurait le lire en un an ni le
recopier en deux, et qu’il faudrait au moins trois ans pour l’imprimer à deux
presses. La contestation fut terrible ; on
traitait « attiquement » Furetière de bélître, maraud, fripon, fourbe, buscon, saltimbanque, infâme, fils de laquais,
impie, sacrilège, voleur, subornateur de faux témoins, faux monnoyeur, banqueroutier frauduleux, faussaire, vendeur de justice, etc.
Mais Furetière n’était pas en reste ; ses épigrammes furent souvent mouche
sur les immortels :
François, admirez mon
malheur,
Voyant ces deux
dictionnaires ;
J’ay procès avec mes
confrères
Quand le mien efface
le leur ;
J’avois un moyen
infaillible
De nourrir avec eux
la paix :
J’en devois faire un
plus mauvais ;
Mais la chose était
impossible.
La Fontaine
lui-même se fourvoya dans cette bagarre. Et le Dictionnaire de Furetière, on le sait, demeure une sorte de
pastiche sérieux de celui de l’Académie française, qui a mérité toute la
notoriété qui s’attache à lui depuis lors.
2° Dans un autre registre, cette fois-ci plus
ouvertement savant, au moins au regard des critères épistémologique de
l’époque, le Dictionnaire étymologique, ou Origine de la
langue françoise, par Ménage ; 1650, et posth.1694, peut
fort bien figurer dans la liste des ouvrages qui non parodiques par eux-mêmes
n’ont cependant pas cessé d’exciter l’ironie et de susciter des parodies
critiques amusantes. Ménage avait plus d’esprit que de jugement. Comme tous les
étymologistes qui l’avait précédé, il parlait de cette idée fort juste que la
fantaisie n’a pas présidé à la formation des mots, et, comme il possédait
parfaitement le latin, la grec, l’italien, l’espagnol et le français, il
s’obstinait à trouver dans ces seules sources la raison pour ainsi dire
mathématique de tous les termes de notre langue, laissant de côté le celtique
et, à plus forte raison, le sanscrit, dont on ignorait alors jusqu’à l’existence. Aussi, parmi ses
étymologies, en compte-t-on un grand nombre qui ne sont que des suppositions
plus ou moins ingénieuses, où la « science étymologique » de son
temps n’a presque rien à voir. Un mot étant donné à Ménage, il le passait à son
laminoir en disant :
Et si vous n’en sortez, vous
devez en sortir.
On comprend
qu’une telle méthode devait amener des épigrammes dans le genre de celle-ci du
chevalier de Cailly :
Alfana vient d’equus,
sans doute ;
Mais il faut avouer
aussi
Qu’en venant de là
jusqu’ici,
Il a bien changé sur
la route.
3° Aux mêmes origines de la lexicographie française,
citons encore le célèbre Dictionnaire français,
contenant les mots et les choses, des
remarques sur la langue et les termes des arts et des sciences,
par Richelet, Genève, 1680. Savant grammairien, chercheur infatigable, habile
dans la langue française, les langues anciennes, l’espagnol et l’italien,
l’esprit de Richelet, porté à la satire et au genre burlesque, se trouvait à
l’aise dans la composition d’un ouvrage qui devait passer en revue tous les
mots de la langue. Son dictionnaire est rempli de gaillardises, d’expressions
triviales, de traits satiriques et d’obscénités. Son humeur caustique lui avait
crée beaucoup d’ennemis ; son dictionnaire lui procura les moyens de s’en
venger. Les plus maltraités sont Amelot de la Houssaye, Furetière et Varillas.
Pour reprendre la belle formule que Pierre Larousse lui a consacré :
« Quand on parcourt les colonnes de ce lexique, il semble que l’on assiste
à un repas auquel l’amphitryon a convié tous ses ennemis pour les empoisonner
et s’en débarrasser d’un seul coup. C’est dire que le dictionnaire de Richelet
fut considéré sous ses allures parodiques et critiques, comme une sorte de
curiosité, de friandise très recherchée ».
4° Osera-t-on ranger dans la même catégorie des ouvrages
attestant les effets du pastiche et de la parodie un ouvrage aussi sérieux en
première apparence que le Dictionnaire Universel François – Latin dit de Trévoux, ainsi nommé de la ville d’où sortit la
première édition ; 1704, 3 vol. in-folio, réimprimé pour la cinquième et
dernière fois en 1771, 8 vol. in-folio?
On sait que
Trévoux était autrefois le siège extérieur au Royaume de France d’une célèbre
Académie de pères Jésuites. Là se trouvaient les Buffier, Bougeant, Castel,
Ducerceau, Tournemine, etc. qui firent la réputation érudite et savante de la
Compagnie. On connaît les épigrammes de Boileau contre les savants religieux,
qui l’avaient attaqué au sujet de ses nombreuses imitations — sérieuses ou parodiques? — des poëtes anciens. Scarron leur rendit
justice à sa manière dans son Virgile
travesti :
.......................................
A Rome, au pays de
Cocagne,
Je veux dire dans le
Pérou,
Ou dans la ville de
Trévou,
Ville à présent de
conséquence,
L’un des bureaux de
la science,
Une boutique à beaux
écrits,
Le réservoir des
beaux esprits,
Et la célèbre
Académie
Des sciences rimant
en mie ;
Enfin l’Athènes de
nos jours.
Mais retournons à mon
discours.
C’est de
cet asile studieux des bords dombistes de la Saône que sont d’abord sortis les Mémoires dits de Trévoux. Mais ce qui a surtout illustré la petite ville du
département de l’Ain, c’est le dictionnaire qui porte son nom, offert par les
jésuites au duc du Maine, prince souverain de Dombes, lequel avait mis au
service des révérends pères son imprimerie de Trévoux. On a probablement tort
de dire de ce dictionnaire qui a joui d’un grand crédit auprès des
lexicographes français et étrangers, qu’il était un dictionnaire jésuite. On peut blâmer l’inexactitude
des définitions, le choix peu judicieux des exemples ; mais il n’en reste
pas moins vrai que tous les auteurs de dictionnaires et d’encyclopédies
ultérieurs ont puisé à pleines mains dans cet immense arsenal. Dans la préface
de la quatrième édition, les auteurs disaient, en parlant de leur
ouvrage : " Les amateurs du
vieux style peuvent y satisfaire leur curiosité sur la plus grande partie des
mots hors d’usage qui se lisent dans les auteurs anciens, et qui ont souvent
plus de force et d’énergie que ceux qu’on leur a substitués. On n’y a pas
oublié les mots de conversation ; ceux qui ne sont en usage que parmi le
peuple ou dans les provinces, et qu’on ne trouve pas ordinairement dans les
autres dictionnaires. " Outre Furetière, Basnage, Richelet et
l’Académie, les auteurs ont appelé à leur aide Ménage, Du Cange, Saumaise,
Vossius, Ferrari, Caseneuve, Guichard, le père Thomassin, Pasquier, H.
Estienne, et autres lexicographes et grammairiens. Une grande partie des
articles de botanique fut revue par le professeur Jussieu, de l’Académie des
sciences. Il n’empêche que l’ouvrage acquit rapidement une réputation
contestable au nom de l’égide jésuite sous laquelle la rumeur le plaçait, et
l’on aurait aucun mal à recenser dans ses pages des articles susceptibles
d’être qualifiés de parodie ou de pastiche
5° Il y a moins de difficultés en revanche à placer dans
ce paradigme du pastiche le très sérieux Dictionnaire historique et critique de Bayle,
œuvre de génie qui a marqué l’histoire
de l’esprit humain et qui a exercé une immense influence sur la direction des
idées au XVIIIe siècle. La Réforme avait ouvert la porte au libre
examen ; Bayle fit aboutir logiquement cette liberté au doute, qu’il
érigera en système, et qui devint entre ses mains une arme redoutable avec
laquelle il battit en brèche toutes les croyances plus ou moins surannées. L’Encyclopédie de Diderot était en germe
dans ce travail prodigieux, que l’auteur trop modeste appelait une " compilation informe de passages cousus à
la queue les uns des autres. " C’est par cet aspect
rhapsodique que l’ouvrage peut se recommander d’un genre proche du pastiche et
de la parodie, puisqu’on y trouve une foule d’article où le sens, le
raisonnement, la critique, se montrent dans toute leur puissance, et où se
déploie une érudition qui eût suffi à dix bénédictins. Bayle, ne recherchant
qu’un texte, voire un prétexte pour développer ses idées, n’a introduit aucune
méthode régulière dans son livre ; pourvu qu’un nom se rattache d’une manière quelconque à un
système, à une théorie, cela lui suffit pour asseoir une série de raisonnements
qui conduisent tous au même terme, le doute.
Dans son
dictionnaire, Bayle suit une méthode à lui : il considère les articles en
eux-mêmes comme un sommaire, un argument de chapitre ; pour lui,
l’important est d’écrire un commentaire assorti de nombreuses notes, souvent
étendues, le long desquelles se déroule une marge de citations et de renvois.
C’est là que Bayle met à l’aise son immense érudition, et qu’il déploie les
ressources de sa dialectique sur une multitude de points de théologie, de
philosophie, d’histoire, etc.
On pouvait
craindre qu’une compilation à l’allemande,
comme Bayle appelle lui-même son dictionnaire, ne blessât le goût français. De
plus, Bayle, afin de ne pas se rencontrer avec les autres dictionnaires, a été
obliger de préférer souvent, pour développer ses doctrines, des noms presque
inconnus aux noms célèbres qui doivent nécessairement défrayer ces sortes de
compilations. Toutefois, ce regret ne doit pas se tourner en censure.
Bayle n’a pas eu l’intention de composer une encyclopédie ; il a voulu
seulement écrire sur un certain nombre de sujets à sa convenance sur lesquels
il croit avoir d’excellentes choses à dire, et fait tous ses efforts pour
amener la conversation à son thème favori. On ne pourrait aisément refaire cet
immense ouvrage, dont on a dit si justement, que c’était un " savant chaos, sillonné de mille éclairs qui
rendent les ténèbres plus noires, arsenal du doute, où se mêlent toutes les
vérités et toutes les erreurs qui ont eu cours parmi les hommes. "
Bayle se plaît surtout à chercher le côté faible de chaque système pour le
battre en brèche ; il cherche à prouver que, dans toutes les écoles et
dans toutes les sectes, l’absurdité et la contradiction usurpent le nom et
l’autorité de la vérité. Voilà pourquoi Voltaire, qui l’a jugé si sévèrement comme
écrivain, le défend si chaudement comme philosophe et lexicographe
J’abandonne Platon,
je rejette Epicure.
Bayle en sait plus
qu’eux tous ; je vais le consulter :
La balance à la main,
Bayle enseigne à douter ;
Assez sage, assez
grand pour être sans système,
Il les a tous
détruits et se combat lui-même
Semblables à cet
aveugle en butte aux Philistins,
Qui tomba sous les
murs abattus par ses mains.
6° Ranger le Dictionnaire
philosophique de Voltaire,
publié en 1764, dans la même catégorie des ouvrages dictionnairiques pastiches
ou parodiques pourrait sembler provocateur au premier abord. Mais il y a
peut-être là plus de sens qu’il n’y paraît de prime abord. – Les premiers
articles de ce dictionnaire furent écrits vers 1752. Le plan de cet ouvrage fut
conçu à Potsdam, à ce qu’assure Collini. " Chaque soir, dit-il,
j’étais dans l’usage de lire à Voltaire, lorsqu’il était dans son lit, quelques
morceaux de l’Arioste ou de Boccace ; je remplissais avec plaisir mes
fonctions de lecteur parce qu’elles me mettaient à même de recueillir
d’excellents observations et me fournissaient une occasion favorable de
m’entretenir avec lui sur divers sujets. Le 28 septembre, il se mit au lit fort
préoccupé : il m’apprit qu’au souper du roi, il s’était amusé de l’idée
d’un dictionnaire philosophique, que cette idée s’était convertie en un projet
sérieusement adopté, que les gens de lettres du roi et le roi lui-même devaient
y travailler de concert, et que l’on en distribuerait les article, tels que Adam, Abraham, etc. Je crus d’abord que ce projet n’était qu’un badinage
ingénieux, inventé pour égayer le souper ; mais Voltaire, vif et ardent au
travail, commença dès le lendemain. " On sait que les éditeurs de
Kehl ont agrandi le dictionnaire philosophique en refondant, dans un seul tout,
plusieurs ouvrages de Voltaire, dont l’analogie porte sur la forme et le fond.
Ce sont : 1° les Questions sur
l’Encyclopédie ; 2° les articles insérés dans l’Encyclopédie ; 3° plusieurs articles destinés par l’auteur au Dictionnaire de l’Académie ; 4° un
grand nombre de morceaux publiés depuis plus ou moins longtemps et où n’avaient
rien à voir les gens de lettres de S. M. prussienne. Tels sont les éléments du Dictionnaire philosophique que l’on
connaît qui font pencher la balance argumentative en faveur d’une
caractérisation de cet objet comme d’un pastiche...
On a
comparé le Dictionnaire philosophique de
Voltaire à sa correspondance, un causeur vif et étincelant et un causeur
universel ; il parle tour à tour de théologie et de grammaire, de physique
et de littérature ; il discute tantôt des points d’antiquité, tantôt des
questions de politique, de législation, de droit public, et cela sans jamais
prendre le ton dogmatique du professeur, sans jamais quitter le ton dégagé de
l’homme du monde, qui n’entend pas prendre le long chemin ni se présenter avec
le lourd appareil d’un enseignement d’école. Pour reprendre à nouveau
l’excellente formule que lui consacre Pierre Larousse « Il va, bride
abattue, jetant les éclairs de sa raison sur les divers sujets qui s’offrent à
lui, déchirant tous les voiles, faisant fuir tous les fantômes graves et
mystérieux. Le respect du bon sens le rend quelquefois superficiel; le respect
du bon goût lui ôte constamment l’envie de paraître savant et profond. »
Un physicien de nos jours sourirait en lisant l’article Air : mais que dire de ce trait qui termine l’article : " On nous parle d’un éther, d’un fluide
secret ; mais je n’en ai que faire ; je ne l’ai vu ni manié, je n’en
ai jamais senti, je le renvoie à l’esprit recteur de Paracelse. Mon esprit
recteur est le doute, et je suis de l’avis de saint Thomas Didyme, qui voulait mettre le doigt dessus et dedans. "
C’est presque déjà là le positivisme
d’Auguste Comte, moins la forme pédantesque ?
En parallèle à ces ouvrages qui se recommandent
encore un peu de la forme standard des dictionnaires, il faut mentionner des publications plus singulières, bien
connues des amateurs du XIXe siècle, qui constituent des sortes de
bio-bibliographies érudites concernant notamment la République des Lettres.
Ainsi :
7° France Littéraire ou Dictionnaire bibliographique des savants,
historiens et gens de lettres de la France, ainsi que des littérateurs
étrangers qui ont écrit en Français, plus particulièrement pendant les XVIIIe
et XIXe siècles, par
M. Quérard. Paris, Didot, 1826-1842, 10 vol. in-8° à 2 col., augmentée de deux
vol. par MM. Ch. Louandre et Félix Bourquelot. Cet ouvrage de bénédictin, comme
il fut souvent qualifié, relève d’une tradition appartenant à l’Allemagne et consistant à refaire,
corriger et compléter les ouvrages des abbés de Laporte et d’Hébrail, et celui
d’Ersch. Le plan de M. Quérard devait être accompagné de deux tables
terminales : l’une, des ouvrages anonymes, plus ample pour la partie
française que l’ouvrage de Barbier traitant de cette branche
bibliographique; l’autre, analytique, présentant tous les noms de lieux,
d’hommes, de faits et de choses, et autant de bibliographies particulières. On
conçoit dans ces dispositions que l’universalisme de l’ouvrage de Quérard pût
avoir souvent des allures parodiques.
De 1845 à
1846, Quérard a donné à sa France
littéraire un supplément des plus intéressants, 5 vol. sous le titre de Supercheries
littéraires dévoilées, galerie des auteurs apocryphes, supposés,
déguisés, plagiaires, pendant les quatre derniers siècles. Ce
recueil est une mine de faits curieux, de traits comiques et d’anecdotes dont
le premier mérite est d’être authentiques. L’article relatif à M. Alexandre
Dumas père est très révélateur du mode
d’être et de travail de Quérard, qui justifie sensiblement de classer
son oeuvre dans la catégorie des ouvrages dictionnaires pastiches ou
parodiques.
On rangera sous une bannière similaire des
ouvrages tels que :
8° Encyclopédie des gens
du monde, répertoire universel des
sciences, des lettres et des arts, avec des notices historiques sur les
personnages célèbres morts et vivants, par une société de savants, de
littérateurs et d’artistes français et étrangers (Paris, Treuttel et Würtz, 1831-1844, 22 vol. in-8°).
Les
collaborateurs principaux de l’Encyclopédie
des gens du monde étaient MM. Andral, Artaud, Berzelius, Blanqui aîné,
Cabanis, Phil. Chasles, Daunou, Depping, Fétis, Guillemin, Jomard, Jouffroy, de
Jouy, Klaproth, Lafargue, Lebrun, Matter, Naudet, Orfila, Valentin Parisot,
Poncelet, de Pontécoulant, Rinn, Taillandier, Tissot, Henri de Viel-Castel,
Vieillard, Villenave, baron de Walckenaer, Worms, Young.
9° Encyclopédie moderne,
dictionnaire abrégé des sciences, des
lettres, des arts, de l’industrie, de l’agriculture et du commerce, publiée
par l’éditeur Mongie aîné, sous la direction de M. Courtin ; 24 vol. in-8° et 2 de planches, Paris,
1824-1832 ; réimprimée avec de nombreuses additions, par MM. Firmin Didot,
sous la direction successive de MM. Léon Renier, Noël des Vergers et Edouard
Carteron, 1844-1863, 27 vol. in-8°, 3 de planches et 12 de Complément.
Et surtout la célèbre adaptation française du
Brockhaus allemand que constitue le
10° Dictionnaire de la
Conversation et de la Lecture, inventaire
raisonné des notions générales les plus indispensables à tous, par une société
de savants et de gens de lettres, sous la direction de M. Duckett. Cet ouvrage se situe bien loin de Bayle et
de Diderot. L’avis placé en tête de la première édition précise la
revendication fondamentale du maître d’oeuvre qui est de produire un
document engagé, et, partant, nécessairement partial donc critique et
susceptible d’être parodique ou parodié car il travaille dans la doxa : " Peut-être fera-t-on à
notre Dictionnaire le reproche
d’offrir des contradictions dans l’exposition des sciences morales et
politiques : c’est le seul que nous redoutions et le seul que nous ne
puissions pas entièrement éviter. [...] Si du choc d’opinions inévitablement
divergentes ne jaillit pas la vérité, il en résultera du moins, pour le
lecteur, l’avantage de pouvoir étudier le procès, peser le faible et le fort de
chaque plaidoyer, et décider ensuite en toute connaissance de cause. Nous
avons, par l’adoption de ce plan, singulièrement agrandi le cadre des ouvrages
allemands et anglais qui nous servaient de modèle. [...] Chacun des honorables
publicistes, savants et gens de lettres qui veulent bien concourir au succès de
notre Dictionnaire, n’entend accepter
la responsabilité que des articles qu’il aura personnellement signés. La
responsabilité des articles anonymes est prise par la direction de la
rédaction, qui, de son côté et par les mêmes motifs, décline la solidarité des
articles signés."
Les
principaux collaborateur du Dictionnaire
de la Conversation sont : MM. Aimé Martin, Fr. Arago, Arnault,
d’Audiffret, Marie Aycard, Azaïs, Ballanche, Balzac, Barbier, Odilon Barrot,
Hector Berlioz, Berryer, Boissy d’Anglas, Boitard, Em. De Bonnechose,
Bordas-Dumoulin, Bory de Saint-Vincent, Bouillet, Boussingault, Briffaut, Burette,
Capefigue, de Carné, Castil-Blaze, Chaix d’Est-Ange, Champollion jeune,
Champollion-Figeac, Philarète Chasles, Chateaubriand, Choron, Cormenin, G.
Cuvier, Denne-Baron, Despretz, Duffey (de l’Yonne), Dulaure, Dumas (de
l’Institut), Dupin aîné, Du Rozoir, Etienne, Fresse-Montval, Joseph Garnier,
Géruzez, Granier de Cassagnac, Guéroult, Guizot, J. Janin, Jay, Jubinal,
Kératry, Ed. Laboulaye, Lacretelle, Paul Lacroix, Lamartine, Lamennais, Larrey,
Laurentie, Le Bas, John Lemoine, Lémontey, Charles Lenormant, Leroux de Lincy,
Leverrier, Malte-Brun, Armand Marrast, Henri Martin, Alfred Maury, Michelet,
comte Molé, Désiré Nisard, Ch. Nodier, Norvins, Paulin Paris, Passy, Patin,
Pelouze, Pongerville, Poujoulat, Amédée Pichot, Gustave Planche, Louis Reybaud,
H. Rigault, Saint-Marc Girardin, Salvandy, J. Sandeau, Sarrans jeune, Philippe
de Ségur, Sicard, Silvestre de Sacy, Ém. Souvestre, Thiers, Tissot, Achille de
Vaulabelle, Velpeau, Veuillot, Viennet, Auguste Vivien, etc., etc. Ce qui donne
une excellente idée de l’éclectisme
dominant l’entreprise...
Ajoutons à cette liste :
11° Encyclopédie
Catholique, répertoire universel et
raisonné des sciences, des lettres, des arts et des métiers, avec la biographie
des hommes célèbres, etc. publiée sous la direction de M. l’abbé Glaire, de
M. le vicomte Walsh, et d’un comité d’orthodoxie ; Paris, 1839-1849, dix-huit volumes in-4°. Nous
nous trouvons là devant un objet dont le titre même et les noms des
collaborateurs, suffisent à indiquer la valeur d’une compilation sans aucune
valeur scientifique ou littéraire. La partie biographique est empruntée presque
entièrement à Feller ; la partie scientifique est obérée par le principe
forcé qui veut que; toutes les découvertes qui se mettent en contradiction avec
les axiomes de la Bible sont considérées comme non avenues. Comme l’écrit
Pierre Larousse « La partie philosophique est une contre-épreuve des cours
de séminaires ; la partie historique est arriérée à tous les points de vue
et besognée avec toute la platitude qui distingue les travaux des scribes de
sacristie. »... Nous avons dans ces pages une caricature d’Encyclopédie,
pour qui, par exemple, Diderot n’était qu’une sorte d’épileptique, dont
" la prétendue sensibilité ne s’exprimait que par des hurlements et
des convulsions. "...
Bien d’autres dictionnaires de même acabit
mériteraient de figurer au palmarès... Je ferai donc désormais des tris
sélectifs...
12° Dictionnaire
historique, par le P. Feller. Connu de
notoriété publique comme un plagiat du dictionnaire de celui du bénédictin
Chaudon, cet ouvrage est imputable à un auteur qui, en 1788, s’appropria par
exemple le Dictionnaire géographique
de Ladvocat, que celui-ci avait publié sous le nom de Vosgien, comme traduit de
l’anglais, et dans lequel les articles sur la Hongrie sont presque les seuls
qui aient été refondus. Mais le vol le plus large et le plus audacieux fut
celui du Dictionnaire historique de
Chaudon. Sous prétexte qu’il le trouvait trop philosophique, il le reprit en
sous-œuvre : il ne changea rien à une foule d’articles, soit anciens, soit
modernes, où l’esprit de parti n’a rien à démêler ; mais il arrangea à sa manière tous les personnages dignes
d’encourir le blâme ou l’éloge, la haine ou l’affection des membres de la compagnie de Jésus. La première
édition de ce plagiat effronté et de cette transformation parut en 1781, 6 vol.
in-8°. Dans la préface, comme il se doit, et
dans le dessein de se disculper, Feller a soin de décrier tous les
dictionnaires antérieurs : celui de Moréri n’est qu’une masse ; celui de Ladvocat porte l’empreinte de la passion et du préjugé ;
celui de Barral a été écrit par une
société de convulsionnaires ; celui du bénédictin, qu’il s’approprie
pour le gâter, est entaché des défauts
les plus graves, et n’a été accueilli que faute de mieux. Il trouve partout des marques insignes de mauvaise foi ; les rédacteurs ne sont que
des compilateurs, des calomniateurs, etc. ; enfin le
dictionnaire de Chaudon est monstrueux,
et il faut lui attribuer " une très-grande part de la révolution qui
se fait dans les idées humaines. " Dom Chaudon répondit, en publiant
sa cinquième édition (1783) : " On ne se contente pas
aujourd’hui de s’emparer d’un
ouvrage ; on le remplit de fautes en annonçant des corrections, on le
défigure, …. Et d’une production impartiale et équitable on fait un livre
rempli de déclamations et de faux jugements. " Le bénédictin, volé et
injurié, se montrait modéré ; le jésuite voleur et injuriant était
furieux ; mais il avait alors, comme aujourd’hui encore, ses partisans
dans cette classe de gens qui ont pour axiome que la fin justifie les moyens, et en multipliant ses éditions, il
attaquait toujours les chaudonistes.
Parodie involontaire, volontaire pastiche, le plagiat rendu nécessaire par le
temps porte ici des fruits bien curieux!
Et nous pourrions continuer, ainsi de suite, und so weiter... en citant et commentant
des ouvrages qui, pour certains, remontent à la nuit des temps, et quelquefois
jusqu’aux origines mêmes où compilation et plagiat, parodie et pastiche, sans nécessaire visée
ironique ou comique, demeurent si étroitement imbriqués qu’il devient
impossible à distance rétrospective de les dissocier :
Et puisque nous venons de citer
Charles Nodier, dont la récente reviviscence, grâce à Henri de Vaulchier,
Jacques-Rémi Dahan et Jean-François Jeandillou, est désormais avérée, pourquoi
ne pas terminer sur l’évocation même de cet EXAMEN CRITIQUE DES DICTIONNAIRES DE LA LANGUE FRANÇOISE, ou RECHERCHES GRAMMATICALES ET
LITTÉRAIRES SUR L’ORTHOGRAPHE, L’ACCEPTION, LA DÉFINITION ET L’ÉTYMOLOGIE DES
MOTS de 1828 et 1829, qui,
après Gabriel Feydel et ses REMARQUES
MORALES, PHILOSOPHIQUES ET GRAMMATICALES SUR LE DICTIONNAIRE DE L’ACADÉMIE
FRANÇAISE de 1807, et bien avant le COMMENT J’AI FAIT MON DICTIONNAIRE FRANÇAIS de Littré, donne en quelque sorte le ton de ce
mélange complexe de parodie et de pastiche qui semble de toute évidence
essentiellement attaché au genre lexicographique.
C’est peut-être là ce que
suggérait déjà Raymond Queneau lorsque
— dans Le Chien à la mandoline
— il faisait sonnet et résonner la
petite musique pastiche et parodique des dictionnaires, ces fictionnaires de l’objectivité la plus
sérieuse, ou, devrait-on peut-être dire de la subjectivité la plus rieuse dès
lors que celle-ci s’affiche sous le jour du détournement plaisant d’une pesante
réalité positive :
Une niche de sons
devenus inutiles
Abrite des rongeurs l'ordre académicien
Rustiques on les dit mais les mots sont fragiles
Et leur mort bien souvent de trop s'essouffler vient
Alors on les dispose en de grands cimetières
Que les esprits fripon nomment des dictionnaires
Et les penseurs chagrins des alphadécédets.