Études du Web corpus d'usages linguistiques: l'alors
Je lis dans Libération :
La « loi 100 », présentée en 1993 par l'alors sénateur Alvaro Uribe, aujourd'hui président sortant et donné favori du scrutin qui s'est déroulé hier, devait mettre fin aux dérives bureaucratiques du système public. (Michel Taille, Libération, 29 mai 2006)
et je pense à l'anglais "the then-senator", tournure courte, quoique plutôt inélegante, qui est venue remplacer de plus en plus la syntaxe traditionnelle de "(the) senator of the time" ou "(a) senator at the time". Dans le même numéro de Libération, on peut lire :
Le professeur Pierre Pellerin, directeur du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) au moment du passage du nuage de Tchernobyl au-dessus du ciel français, vient de recevoir une lettre de la juge d'instruction, Marie-Odile Bertella-Geoffroy, chargé du dossier dit des cancers de Tchernobyl. (Eric Favereau, Libération, 29 mai 2006)
où je retiens "directeur au moment d[e]".
Dans le premier contexte, alors est employé adjectivement ; l'auteur aurait pu employer alors dans son rôle adverbial plus habituel : "Alvaro Uribe, alors sénateur et aujourd'hui président sortant".
Qu'en serait-il plus généralement de "l'alors + nom" par rapport à d'autres tournures ? Voici quelques résultats livrés par les pages francophones de Google (5 juin 2006) :
l'alors sénateur + Nom Propre x 1 (il s'agit de l'occurrence de Libération) ; NP + alors sénateur x 424 (type "Cornelio Malvasia, alors sénateur de la ville italienne de Bologne") ; sénateur d'alors x 2 ; sénateur de l'époque x 5 (je ne compte pas sénateur de l'époque romaine)
l'alors directeur x 0 ; NP + alors directeur x 101 000 ; directeur d'alors x 146 ; directeur de l'époque x 575
l'alors président x 6 ; NP + alors président x 149 000 ; président d'alors x 909 ; président de l'époque x 17 100
l'alors cardinal x 7 (dont notamment l'alors cardinal Ratzinger) ; NP + alors cardinal x 218 ; cardinal d'alors x 4 ; cardinal de l'époque x 6
Ces quelques statistiques brutes sont suffisantes (je n'inclus pas, par exemple, la variante "X à l'époque") pour me permettre de conclure que alors employé comme adjectif est assez rare. Mon sentiment que la construction "l'alors + nom" est lourde est confirmé par un ami, bibliothécaire français, qui a eu du mal à comprendre le texte de Michel Taille et a cru d'abord à une faute de rédaction.
© 2006 Russon Wooldridge
Recherches faites et publiées le 5 juin 2006 ; révision mineure 7 juin 2006.