Les outils du Web
Russon Wooldridge
University of Toronto
Août 2003
© 2003 Russon Wooldridge
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Le nombre et la variété d'outils conçus pour l'utilisation du World Wide Web sont vastes. L'intention de ce qui suit n'est nullement de faire une typologie des outils du Web, encore moins d'essayer d'en faire un recensement, ambition vaine et futile. Elle se borne tout simplement à un regard jeté sur un petit nombre d'outils et de types d'outils dans le but modeste d'illustrer le principe banal qu'il faut manier tout outil avec prudence et intelligence. Caveat emptor, que l'outil soit payant ou non.
1. La traduction automatique
La plupart des gens savent que la traduction automatique n'est qu'une aide permettant à l'utilisateur de découvrir l'essentiel d'un document rédigé dans une langue qu'il ne maîtrise pas ; conçue comme outil de spécialiste, elle offre au traducteur une première ébauche que celui-ci saura corriger. Cela n'a pas empêché un collègue anglophone unilingue collaborant à un projet universitaire pan-canadien bilingue d'écrire d'abord ses messages en anglais puis de les faire traduire par BabelFish pour "faire plaisir" aux collaborateurs francophones !
Deux exemples pour illustrer la gaffe :
1.1. Texte intitulé Michel Petrucciani n'est plus parlant de la mort du célèbre pianiste de jazz, paru dans Le Devoir, 7 janvier 1999.
Inter-titre : "Avec le gratin du jazz"
Traduction A : Google, Outils linguistiques, Traduction :
"With the gratin of the jazz"
Traduction B : Reverso Pro, outil de traduction vendu sur CD-ROM (voir http://www.softissimo.com/products/revpro-e.htm) :
"With the cheese-topped dish of the jazz"
Trois constatations : a) les logiciels de traduction automatique n'ont pas de règle pour déterminer si l'anglais retient ou non l'article défini ; b) Google n'aurait pas le mot gratin dans son dictionnaire français-anglais ; c) le dictionnaire de Reverso Pro ne contient que le sens propre du mot gratin.
1.2. Texte intitulé "God Save la cuisine anglaise!" sur la télé-cuistote Delia Smith, paru dans L'actualité, 15 avril 1997.
"Delia Smith s'est donné pour mission d'apprendre à ses compatriotes à faire la popote."
Traduction A : Google, Outils linguistiques, Traduction :
"Delia Smith was given for mission of learning how to its compatriots to make the cooking."
Traduction B : Reverso Pro :
"Delia Smith gave himself for mission to teach his fellow countrymen to make the popote."
Trois constatations : a) Google (outil gratuit) traduit mot à mot, alors que Reverso Pro (logiciel cher) contient des règles de syntaxe (unités complexes) ; b) ni Google ni Reverso Pro n'a de règles pragmatiques permettant de savoir que Delia est un prénom féminin (problème général des possessifs qui marquent le possédé en français et le possesseur en anglais ; problème général aussi des anaphores dont l'antécédent peut être syntaxiquement éloigné) ; c) le mot popote est dans le dictionnaire de Google mais manque à celui de Reverso Pro.
La traduction automatique autonome n'a jamais réussi à traduire de façon satisfaisante que des textes à vocabulaire limité et littéral, tels des bulletins météorologiques ou des manuels d'entretien aéronautique.
2. Les dictionnaires
Il y a un grand nombre de dictionnaires accessibles dans le Web. J'en mentionne quelques-uns pour le français : a) le Trésor de la langue française informatisé (TLFI) consultable gratuitement sur un serveur de Nancy ; b) le Dictionnaire universel francophone en ligne (DUF) à consultation gratuite chez Hachette en France ; c) l'Encyclopédie Voilà avec Hachette (EncycloVoilà) avec accès gratuit sur un autre serveur français ; d) un "French Larousse"
et un "French Synonyms" faisant partie d'un ensemble qui s'appelle Everest Dictionary et déchargeables gratuitement sur plusieurs sites dont le site roumain d'origine, semble-t-il, http://www.free-soft.ro/.
Prenons deux exemples de mots potentiellement problématiques.
2.1. Anglophone francisant connaissant le verbe to sabotage et ayant rapporté de mon premier voyage sur le continent européen une paire de sabots hollandais, je lis :
"Lorsqu'il dirigeait les Couvreurs de Paris, Bruno Guilloux, PDG de la Soprac, a dû licencier ses trois plus anciens (et plus compétents !) ouvriers parce qu'ils sabotaient l'ambiance." ("Sauvegarder la culture mais pas à tout prix" http://www.lentreprise.com/article/3.133.1.75.html)
Ces ouvriers faisaient-ils la danse des sabots sur les toits ? J'ouvre mon Everest :
Ce n'est pas très convaincant, tout ça. Une ambiance n'est ni technique ni une machine ni quelque chose comme une négociation. L'auteur serait-il un Africain subsaharien et les ouvriers de M. Guilloux le chahutaient-ils ? J'ouvre le DUF :
Tiens, tiens ! Le "French Larousse" ne serait-il pas le DUF de chez Hachette ? Je passe à l'EncycloVoilà :
Le TLFI dit, en détail et d'un point de vue historique, à peu près la même chose que les autres, sans les acceptions subsahariennes :
Revenons aux synonymes de l'Everest :
Saboter une ambiance serait-ce gâter une ambiance, donc sens figuré de saboter ? Je trouve à peu prés la même liste, et par là peut-être la provenance des "French Synonyms" de l'Everest, dans les deux versions du Dictionnaire des synonymes de l'Université de Caen et de l'Université de Lyon-1 :
Le sentiment que dans le contexte du texte Web sur Bruno Guilloux saboter signifie gâter est confirmé par une recherche plein-texte du mot sabotage dans le TLFI. Dans l'article PRONONCIATION, on lit dans un des exemples d'emploi :
"Sabotage de la prononciation de notre belle langue par les speakers de la radio."
2.2. Parisien aimant suivre les débats de l'Assemblée nationale du Palais Bourbon, je tombe sur le texte suivant :
"Dans un délire de rectitude politique l'Assemblée Nationale viole les droits d'un citoyen [...] Si les députés avaient la même paire de gosses pour s'attaquer au crime organisé, que celle qu'ils avaient pour ostraciser un citoyen, on cesserait de se tirer dans la rue au Québec. S'ils avaient la même paire de gosses pour arrêter l'anglicisation rapide de Montréal ; mais là encore ils vont éjaculer de l'eau de vaisselle par peur d'être taxé de racisme, ou de quelque chose du genre." (par Michel Bernard http://www.ao.qc.ca/chroniques/michel/michaud.html)
J'ai du mal à croire cette histoire de députés allant jusqu'au Québec pour combattre le crime avec l'aide de leurs enfants. Bon Parisien toujours, j'ouvre d'abord le TLFI, qui dit (j'omets les détails) :
Je passe chez Hachette consulter l'EncycloVoilà :
Bon ! Puisqu'il s'agit du Québec, ouvrons le DUF (voire le DUF-Everest), où je trouve, comme par hasard, une paire de gosse :
Ah ! Il s'agit donc de députés québécois, de leur Assemblée nationale à eux, du crime et de l'anglicisation du Québec (je n'avais pas fait attention à l'adresse www.ao.qc.ca). Et il s'agit de leurs couilles, donc de leur courage. Leurs enfants peuvent rester tranquilles.
Conclusion
Cette brève démonstration, quoique menée parfois sur un ton un tantinet frivole, suffit, je pense, à montrer que des outils comme la traduction automatique ou le dictionnaire ont leur place mais aussi leurs limites. La traduction automatique a besoin de l'aide du traducteur bilingue pour produire une traduction correcte et idiomatique. Le dictionnaire ne contient que des acceptions et des usages consacrés par la langue et le temps ; il n'est jamais complet et il n'est jamais à jour.