Vers l'exhaustivité: le préconstruit et le ponctuel

Russon Wooldridge

University of Toronto

Janvier 2002
© 2002 Russon Wooldridge

Le domaine des études françaises

D'abord, que recouvre le terme d'"études françaises" que s'attribue le présent site? Si le site lui-même n'en dit rien, on peut jeter un regard sur les programmes du département universitaire au sein duquel il est né. Le site des Études françaises de l'Université de Toronto indique que le département offre des cours de premier, deuxième et troisième cycles en langue française, linguistique française et littératures et cultures francophones. Le terme est surtout utilisé au Canada, mais les programmes d'"études françaises" peuvent différer d'un établissement à l'autre. Le site ClicNet, dont il sera question ci-dessous, se dit "un site culturel et littéraire francophone [qui] édite ou localise des ressources virtuelles en français pour les étudiants, les enseignants de français langue étrangère (FLE) ou langue seconde (FLS), et tous ceux qui s'intéressent aux cultures, aux arts et aux littératures francophones." Cette formulation convient assez bien au territoire qui intéresse le présent site.

Puisque notre lecteur privilégié est un usager du web, on dira que son point de vue personnel sur ce qu'il pourra considérer comme le domaine des études françaises vaut au moins autant que les prises de position normées (préconstruites) des institutions académiques.

L'exhaustivité et le médium

Il est possible de se donner l'illusion de l'exhaustivité en matière de ressources imprimées, puisque celles-ci ont une existence stable dans la mesure où tel imprimé a été publié par tel éditeur, dans tel lieu, à telle date. On peut accorder une certaine confiance, en matière de littérature française, aux volumes édités par Cabeen et Cioranescu, ou encore au Dictionnaire des lettres françaises de Grente.

Comment cependant espérer répertorier toutes les ressources du WWW concernant, par exemple, la littérature française du XVIe siècle? ClicNet, qui "regroupe plus de 3000 liens actualisés régulièrement", n'est pas dupe, se contentant de localiser "des ressources virtuelles en français" (mise en relief ajoutée). C'est que l'exhaustivité en matière d'Internet n'a de sens que théorique, celui d'une synchronie absolue et non celui de la diachronie des ressources imprimées.

Petite démonstration du partiel des répertoires en ligne

Soit le site de Trismégiste www.chez.com/trismegiste/montable.htm donnant le texte des Essais de Montaigne d'après l'édition de 1595. On notera que c'est le seul site du WWW qui offre l'intégralité des trois livres des Essais en mode texte (cf. "+montaigne +vanité dans des documents en français").

Soit cinq sites américains bien connus consacrés au recensement de sites concernant les études françaises:

Le site de Trismégiste est signalé par ClicNet et l'U. d'Albany, mais pas par les autres, qui ne mentionnent même pas Montaigne. Le site d'Albany donne également un lien vers les Montaigne Studies de l'Université de Chicago.

Certains auteurs bénéficient donc d'une attention particulière dans le WWW. Les Montaigne Studies humanities.uchicago.edu/orgs/montaigne signalent, sous la rubrique "Renaissance links", le site de Trismégiste et donne aussi un lien vers "1595 Text of the Essais", ce qui s'avère être un lien mort, défaut typique des sites portails. Ce site, naturellement plus riche en liens vers des sites concernant Montaigne, est tout aussi naturellement incomplet. Il lui manque, par exemple, le signalement du mémoire de DEA de Sarah Elizabeth Hurlburt sur "Les multiples voyages de Montaigne: Étude de la notion de voyage dans l'oeuvre de Michel de Montaigne" origin.uchicago.edu/homes/sarah/hurlburtdea.html, document publié sur un autre serveur de la même université de Chicago!

En passant, on notera que le site des Montaigne Studies n'est pas loyal. Renvoyant à un autre site, il affiche celui-ci à l'intérieur de ses cadres (frames), s'attribuant ainsi les sites d'autrui, dans la mesure où l'adresse (URL) ne change pas.

Les portails et les moteurs de recherche

Se fier aux sites portails (comme ClicNet, etc.), construits par autrui et toujours partiels, c'est se contenter d'accepter ce que quelqu'un d'autre propose. Cela peut être un bon point de départ, mais ne devrait jamais être un point d'aboutissement. Comme chacun délimite à sa façon le domaine des études françaises, comme chacun offre la sélection qu'il préfère des ressources qu'il connaît (ou connaissait à telle ou telle date), le premier intéressé – l'usager du WWW – fera bien mieux d'entreprendre lui-même des recherches ciblées, en se servant des outils les plus performants.

Mentionnons-en un, généralement considéré actuellement comme le plus performant de tous: le moteur de recherche Google. Le site de Google Canada français www.google.ca/intl/fr offre le choix de "Rechercher dans: a) Web, b) Pages francophones, ou c) Pages: Canada". Une requête +montaigne +trismégiste révèle rapidement quasiment tous les sites (*) où il est fait mention des Essais de Montaigne chez Trismégiste.

Bien entendu, l'usager naïf ignorera l'existence du site de Trismégiste. Cependant, s'il s'intéresse aux Essais de Montaigne, il trouvera rapidement ce site (comme aussi ClicNet, l'Université d'Albany et les Montaigne Studies) en demandant +montaigne +essais, toujours avec le même moteur de recherche.

Un moteur de recherche qui indexe presque exhaustivement tous les jours (*) présente plus de garanties de trouver toutes les ressources effectives concernant le sujet en question (c'est le ponctuel) que ne peut présenter un site portail construit manuellement, par définition incomplet et de nature obsolescente (c'est le préconstruit).