Isabelle TURCAN Université Jean Moulin, Lyon III Institut Universitaire de France, Paris |
Jacques-Philippe SAINT-GERAND Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand II Créateur du site Langue du XIXe siècle |
Contribution à la Foire des études françaises de l'an 2000 et au Colloque international sur « Les études françaises valorisées par les nouvelles technologies d'information et de communication » (Toronto, 12-13 mai 2000) |
Le constat de ces deux situations pourrait nous conduire à nous réjouir encore davantage de voir sur Internet des sites consacrés à la littérature française ou d'expression française, le plus souvent libres d'accès : véritable bibliothèque virtuelle, aisée d'accès pour qui a la curiosité de chercher un texte, Internet rend accessible potentiellement à quiconque n'importe quel titre, même aux heures où, en France, les librairies et bibliothèques sont fermées, sans que la démarche risque d'être plus onéreuse que l'achat d'un ouvrage, dans l'absolu du moins. Mais, soyons lucides sur la réalité matérielle des faits suivants ...
- 1. La présence d'un ordinateur avec accès
à Internet est en effet peu courante encore, même dans les
couches sociales dites favorisées et la pratique de "navigation"
pour recherches documentaires ou autres reste encore en France limitée
aux familles relativement aisées (outre le budget encore lourd de
l'équipement matériel, coût toujours très élevé
des communications téléphoniques) et ouvertes aux innovations
technologiques, malgré un effort manifeste d'équipement des
écoles et lycées pour encourager ces modes de fonctionnement
dans la plupart des CDI (centres de documentation et d'information).
La prise en compte de la situation française telle
que je viens brièvement de la présenter, nous permet donc
de mieux appréhender les deux facettes de l'électronisation
des textes pour la diffusion du savoir et l'enrichissement culturel, le
public achetant ou consultant les cédéroms n'étant
pas forcément le même que celui qui se connecte sur le réseau
Internet.
Cependant, on doit reconnaître un intérêt
croissant du supérieur et des classes aisées (cadres et professions
libérales) pour les technologies de pointe et les facilités
documentaires qu'elles permettent, ce qui conduit à poser les questions
suivantes
Quel savoir ?
Le primat du dit électronique sur le non-dit
a: site Ménage en construction : http://www.univ-lyon3.fr/siehldaweb/Ménaccueil.html/
b: site "Vocabulaire de la marine au XVIIe s." en construction : http://www.univ-lyon3.fr/siehldaweb/marine-accueil.htm/
c: site Académie : http://www.chass.utoronto.ca/~wulfric/academie/
ou site Trévoux construit autour du Dictionnaire : http://www.univ-lyon3.fr/siehldaweb/trevoux/index.htm/
d: site du CRLV: Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages
: http://www.crlv.org/
e: site XIXe siècle : http://www.chass.utoronto.ca/epc/langueXIX/.
- en vertu de toute complémentarité
hypertextuelle, on ne peut qu'évoquer ici les nombreuses possibilités
d'ouvertures à la pluridisciplinarité, au sein d'un même
site ou d'un site à l'autre : il va de soi que la pluridisciplinarité
répond à l'ampleur et à la variété des
domaines appréhendés, dont la complexité et la diversité
des pôles d'intérêt ne pourrait, autrement, que risquer
d'être occultée, par réductionisme ou individualisme
... : ainsi, par exemple, les liens entre bibliophilie et lexicographie
ou grammaire pour la question délicate des retirages et des contrefaçons
(cf. mes travaux dans les Actes du colloque Ménage puis dans les
Actes du colloque Trévoux), entre littérature, grammaires
et dictionnaires (cf. le site Académie et le site Ménage,
et infra, l'exemple détaillé du site XIXe s.). On
pourra souligner ici le fait que seul le support d'Internet permet de toucher
un public vaste, outre-mer ou dans les pays d'orient pour les auteurs européens
: indépendamment des difficultés et du coût de diffusion
de l'imprimé, en Amérique du Nord comme en Amérique
du sud, se pose de toute façon le problème de la diffusion
des informations concernant une publication récente, faisant suite
à un colloque, certes international, mais sans garantie que l'ensemble
de la communauté scientifique soit au courant ... A la faveur de
mes travaux sur le Dictionnaire de Trévoux et des documents
de référence que j'ai pu mettre en ligne au fur et à
mesure de ma recherche, je suis par exemple entrée en contact avec
des bibliophiles de différents horizons, et même tout récemment,
grâce au site Académie, avec une personne soucieuse de connaître
mon avis sur une édition (simple retirage ou contrefaçon
? l'étude est en cours) du Dictionnaire de l'Académie
ne figurant pas dans la liste officielle ...
- les outils complémentaires de sources documentaires
accessibles via Internet présentent un intérêt absolu
dans le principe mais pas toujours dans la réalité, qu'il
s'agisse de pouvoir consulter des fichiers de bibliothèques à
distance ou d'avoir accès à des textes saisis en mode image,
comme le propose le fameux site Gallica de la BNF : il va de soi que le
mode image est moins satisfaisant pour le chercheur que le mode texte tel
qu'il est offert par exemple par un site comme ARTFL, surtout lorsqu'on
travaille sur des ouvrages anciens dont les images ne sont pas bonnes :
ces images en effet sont la pure et simple récupération de
microfiches elles-mêmes réalisées sur des exemplaires
pas toujours identifiables, ce qui limite l'intérêt de la
référence pour un scientifique connaissant la complexité
des impressions et réimpressions partielles avec cartons - dont
la conservation conduisait forcément à une lecture parfois
difficile (papier jauni, mauvais contraste entre l'encre et le papier,
taches d'humidité, taches d'encre ou trous de vers...). C'est le
cas d'une bonne partie des dictionnaires anciens de langue française
du site Gallica, quand on réussit à obtenir la connection
... quant à tenter d'imprimer un dictionnaire ou même quelques
pages, il faut accepter de "prendre" son temps, au rythme de dix minutes
environ par page imprimée depuis la Province, cette dernière
opération nécessitant une patience dépassant la demi-journée
sur le site même de la BNF...
Sur le plan de la conception de la seule histoire
de la langue, on comprend aisément combien la création de
sites et la publication sur Internet combat toutes les idées erronées
de standardisation abusivement retenue à des fins plus idéologiques
que scientifiques et comment peut alors se reconstruire une vision plus
honnête à la réalité historique des faits linguistiques
et socio-culturels, les deux étant intimement liés.
Toutes ces différentes possibilités
d'ouverture sont donc bien un facteur d'enrichissement perpétuel
du fait même des échanges d'informations, des confrontations,
des discussions qui peuvent alors s'instaurer en temps réel ou dans
un laps de temps réduit de telle façon que, contrairement
au support électronique du cédérom, Internet permet
l'actualisation permanente des pages web, au rythme de l'évolution
de la recherche. Ce principe de réactualisation permanente est un
facteur d'autant plus fascinant pour les chercheurs qu'il s'inscrit dans
la relation d'échange et de critique de la communauté qui
accepte de s'investir de cette façon.
Une langue du XIXe siècle d’ailleurs grandement
dévalorisée par les jugements portés sur elle au XXe
siècle, tant chez les historiens de la langue [F. Brunot], les grammairiens
et linguistes [Damourette], que chez les littérateurs. Langages
d’un siècle dévalué contre lequel — sans forcément
en connaître très explicitement les limites ni les découpages
arbitraires, sans nécessairement être aussi en mesure d’en
discerner les seuils et d’en reconnaître les bornes — vitupérait
un Léon Daudet, d’ailleurs totalement immergé en son continuum
insensible.
Bien sûr, les limites franco-françaises
de l’internet, justement soulignées par Isabelle en termes de diffusion
et d’accès, n’ont pas échappé aux instigateurs de
ce site et ont probablement déterminé de manière plus
ou moins consciente la conception globale sinon l’architecture de détail
d’une telle construction documentaire. Mais, il faut souligner qu’en-deçà
de la réalisation de ce site, les créateurs ont voulu — parmi
la masse indéfinie des documents exploitables — permettre un accès
plus aisé à un certain nombre de matériaux jugés
essentiels pour une meilleure compréhension de cette période
de l’histoire. Le point de vue des initiateurs de la démarche étant
essentiellement linguistique, et même — à l’intérieur
de ce secteur — plus particulièrement centré sur l’objet
"dictionnaire" et la constitution de la lexicographie française,
il était normal que l’ensemble du phénomène soit d’abord
envisagé sous son aspect terminologique, nomothétique et
encyclopédique. D’où l’intérêt initialement
marqué pour les grandes entreprises poursuivies alors de l’Académie
française ou mises en chantier par Bescherelle, Poitevin, Littré,
Larousse. J’y reviendrai. Mais, au-delà de ces circonstances, c’est
bien tout le champ des langages de l’époque qui était visé,
comme en témoignent les éléments de l'argumentaire
suivant.
C'est en effet dans l'instant précis où
la langue française devient le plus sûr garant et le plus
grand dénominateur de l'identité d'une nation, en ces années
même où la littérature – sous l'influence du politique
– assure la cristallisation dans le langage de formes sémiologiques
choisies et de pratiques esthétiques à valeur discriminante,
que cet objet unificateur "langue" est institué en instrument extraordinairement
efficace de sériation sociologique, et de sélection sociale,
sous l’effet d’une dynamique et d’une énergie qui nous sont aujourd’hui
totalement étrangères.
Or, cette langue d’époque a souffert depuis
longtemps de conditions de description et d'étude insuffisantes.
Alors que la sémantique, science nouvelle de la signification, se
mettait en place, et substituait à l'étymologie et à
la lexicologie une façon plus historiquement rigoureuse de démêler
les problèmes de sens, dans tous les témoignages subsistants
des pratiques langagières de cette période, se laissaient
percevoir des flottements de la valeur des signes, qui nous mettent aujourd'hui
dans l'erreur, l'indécision ou le doute. Il était donc temps
de revenir à une vue plus exacte des choses. Et pour cela, il était
nécessaire de procéder à la constitution d'une documentation
aussi diversifiée que possible et aisément interrogeable
grâce aux nouvelles technologies de l'information. Ces témoignages,
intrinsèquement analysés, puis articulés en co-relations
extrinsèques, grâce à l'explicitation d'une théorie
de l'histoire, ont semblé pouvoir fournir l'occasion d'une définition
moins imparfaite des lignes de force qui définissent le système
de la langue nationale, et des fissures ou des failles qu'y introduisent
à chaque instant les discours de la pratique, et ceux des théorisations
grammaticales, lexicographiques, poétiques, rhétoriques,
philosophiques, ou didactiques de la langue.
On peut alors penser que la communauté des
chercheurs se penchant sur quelque aspect que ce soit des manifestations
sémiologiques du XIXe siècle français, trouvera dans
cet ensemble documentaire, quel que soit l'angle spécifique des
observations, des conditions d'analyse clairement problématisables
et fructueuses en raison même du caractère transversal de
la documentation rassemblée.
Ce dernier facteur ne peut être négligé,
qui nous oblige, en quelque sorte, à tenir les deux bouts d'une
chaîne dont une des extrémités est la pratique variée
de la langue et l'autre, les multiples théorisations auxquelles
cette pratique diversifiée est soumise; entre les deux : les maillons
d'un continuum formel, auquel la langue – soit comme instrument, soit comme
objet – confère une configuration spécifique grâce
à laquelle la matière de langage se voit modelée,
adaptée à des effets de sens et empreinte de valeurs. Il
est désormais communément acquis que le XIXe siècle
français se caractérise dans le domaine des langages et de
la langue par l'apparition d'un mouvement d'involution métalinguistique,
auquel les contemporains accorderont une extension jusqu'alors inconnue.
Une histoire des pratiques de la langue – à travers les ouvrages
normatifs et descriptifs, qui la régulent, et les documents, qui
la mettent en usage, voire en oeuvre littéraire – ne peut donc guère
s'écrire dès lors sans une méta-historiographie de
la grammatisation de cette langue. Et, bien conscients des limites de la
démarche et des imperfections inhérentes à son entreprise,
car il ne saurait y avoir là d’objectivité, je me suis cependant
résolu à proposer ces éléments parcellaires
de rétrospection, dans l’idée que le travail devait être
incessammant poursuivi. Ce à quoi, depuis, nous avons essayé
de nous plier, T. Russon Wooldridge et moi-même, car un site internet
qui ne se renouvelle pas régulièrement est un site mort ou
condamné à périr.
Par la diversité des domaines sur lesquels
la langue française a étendu son emprise au XIXe siècle
sous la nappe de discours très spécifiques, par la multiplicité
des secteurs qu'un chercheur contemporain est obligé de couvrir
pour découvrir les tenants et les aboutissants, les implications
et les conséquences de phénomènes, qui, bien souvent,
à distance rétrospective, paraissent difficilement compréhensibles,
par les transformations mêmes qui ont affecté les sous-systèmes
constitutifs de l'objet, la langue française est ainsi devenue le
lieu de passage obligé par lequel transitent toute interrogation,
toute réflexion sur les formes d'expression sociales ou individuelles
qui ont marqué et ponctué le déroulement et l'écoulement
de ce temps.
Et cet objet a marqué de son empreinte des
domaines aussi divers que la littérature, les arts en général,
aussi complexes que les techniques industrielles, ou agricoles, que les
sciences elles-mêmes dans toute la diversité et l'étendue
de leur empan : humaines, naturelles, exactes, etc. Au-dessus même
de cet ensemble, une certaine philosophie générale, française,
dont Simon Bouquet, par exemple, a montré naguère quel avait
été l'impact effectif sur la réflexion de Saussure
et de ses contemporains, s’est fait le témoin de l’importance du
bien dire, bien penser, bien écrire.
Il est alors normal que tous les chercheurs intéressés
par cette période soient virtuellement visiteurs d’un site qui ne
privilégie pas exclusivement la dimension littéraire et puissent
trouver en ses pages des informations susceptibles de guider leurs travaux,
ou des suggestions d'infléchissement de leur démarche interprétative.
C'est dans ce dessein que les grammaires, les dictionnaires
– et le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre
Larousse figure bien ici au coeur du dispositif dictionnairique – tout
comme les essais sur le langage, les poétiques, les manuels ou traités
de style, les vade mecum rhétoriques, les ouvrages d'éloquence,
voire les guides correctifs, en tant que soubassement obligé des
grands édifices discursifs du siècle, portent témoignage
d'usages qui constituent les seuls documents sur lesquels nous pouvons
appuyer notre approche du passé.
Il importe donc de permettre un accès facilité à
chacune de ces sources. Mais il importe peut-être encore plus que
cet accès ne trahisse pas la nature et les valeurs des objets qu’il
expose à l’attention du public des spécialistes et des amateurs.
Car la facilité de " surfer " sur l’internet, et la démultiplication
des liens de l’hypertoile ouvrent sur un infini virtuel de lecteurs potentiels
dont il est impossible de préjuger les appétences et compétences.
Et dont il faut, par conséquent, préserver l’intégrité
au sens quasi moral du terme. Pour assurer cet objectif, il a donc fallu
d’abord vérifier la fidélité à l’original des
documents communiqués : il est plaisant de constater que les cacologies
du XIXe siècle, si soucieuses de dénoncer les fautes de langue
chez autrui sont souvent les plus abondantes pourvoyeuses d’erreurs ou
d’approximations ! Il est non moins intéressant de préserver
les imperfections dont souffrent de nombreux dictionnaires. Il est évidemment
impossible de préjuger de ce que personne n'aura l'idée de
se livrer à une étude exhaustive de ces erreurs.Il a fallu
ensuite livrer avec ces documents des réflexions et des éléments
annexes qui permettent à chaque visiteur de se construire sa propre
représentation des phénomènes du langage.
Au fur et à mesure du développement
espéré de cet espace cybernétique, on a donc songé
à ouvrir de nouvelles portes spécifiquement dédiées
à des secteurs d'emploi particuliers de la langue du XIXe siècle
: histoire et philologie, dialectologie, langue orale, fautes et mésusages,
etc. Question d’autant plus cruciale que, pour la période qui nous
retient ici, l’objet du verbe vit progressivement le déport de la
science du langage, au principe cardinal de laquelle s’inscrivait une linguistique
foncièrement anthropologique, vers les sciences du langage d’aujourd’hui.
Or l’on sait que malheureusement, sous prétexte de rigueur et de
scientificité, ces sciences noient en quelque sorte leur objet dans
le bain dissolvant du cognitivisme ambiant et mettent désormais
l’homme à l’écart du processus spécifique qui, seul,
le constitue en sujet individué, responsable et énonciateur
des richesses dont l’ensemble — que d’aucuns ne peuvent avoir ni l’ambition
ni la prétention de posséder — constitue le "trésor"
de la langue, au sens le plus satisfaisant du terme, s'entend.
La diversité et la complexité des formes
revêtues par les emplois de la langue du XIXe siècle, ainsi
que la profusion des documents susceptibles d'être rassemblés
sur le sujet en raison de l'extrême étendue du champ couvert
par lui, constituent les raisons principales pour lesquelles ce site, initialement
conçu comme un hypertexte des éditions du XIXe siècle
du Dictionnaire de l'Académie française, a bien l'ambition
plus large de constituer une sorte de thesaurus documentaire facilement
exploitable. Cette exploitation, grâce à la mise en base de
données sous TACTweb de ses matériaux constitutifs, est rendue
accessible à tous les chercheurs de manière infiniment plus
souple et plus économique que par quelque CDRom que ce soit, sous
l’hypothèque d’une généralisation de l’internet et
d’une facilité plus grande de son accès et de ses emplois
dans le cadre français. Que ce soit au domicile privé de
chacun, ou dans les cadres institutionnels de l’éducation nationale,
à l’école primaire (utopie ?), au collège (utopie
?), au lycée ou à l’université. Thesaurus certes imparfait,
et limité dans ses premières étapes, mais thesaurus
qui permet déjà d’entrer en contact direct avec:
Enfin, pour donner sens au contenu du syntagme "Langue du XIXe
siècle", il a semblé opportun d'agrémenter ce site
d'illustrations picturales, auxquelles nous joignons désormais des
illustrations musicales. En effet, dans la rétrospection historique
qui permet d'isoler un certain XIXe siècle sur le fond du déroulement
des années et des siècles, les bornes et les seuils qui mènent
à la reconnaissance de cette singularité du siècle
qui fut le premier à se nommer en tant que tel, ces marques démarcatives
sont souvent reflétées avec plus de force et d'efficacité
par les arts de la vision et de l'audition que par ceux de l'écriture.
Les extraits musicaux présentés aux
visiteurs de ce site n’ont donc d’autre but que de mettre en correspondance
ce passage insensible d’un temps que nous jugeons représentatif
du dix-neuvième siècle français avec les représentations
picturales et les témoignages lexicologiques, grammaticaux, lexicographiques,
et plus généralement linguistiques, réunis dans la
documentation générale. Ce laps — arbitrairement défini
en fonction de représentations propres aux concepteurs du site —
sera d’autant mieux perçu par les visiteurs que ses frontières
chronologiques immuables seront remplacées par des seuils à
l’intérieur desquels, par le travail de la musique et de la peinture,
apparaissent plus nettement les transformations des esthétiques
et des axiologies idéologiques concomitantes de cet écoulement.
De Gossec à Ravel, comme de Gérard à Seurat, ce sont
moins peut-être les années objectives qui comptent qu’un renversement
fondamental des valeurs du langage, des langages, et de la langue ; une
révolution qui s’atteste, au sens propre, dans les discours qu’il
suscite et provoque. Et c’est bien là que l’internet permet de magnifier
l’hypertexte des relations en une polyphonie des sémiologies dans
laquelle chaque medium de communication humaine définit sa propre
voie en étant à l’écoute des voix des autres.
Ces extraits dénotent certainement une grande
partialité de goûts, que leur "électeur", concepteur
du site assume et revendique en toute indépendance de jugement.
Compositeurs français, avec toutes les variantes de signification
que peut assumer ce prédicat ; beaucoup plus de musique de chambre
ou instrumentale que de musique vocale, d’opéra ou d’orchestre,
quoique le XIXe siècle — déjà siècle des dictionnaires
— ait été aussi le siècle de la mélodie française
; à l’exception de pièces connues de Chopin et de Liszt,
plutôt des musiques reléguées dans l’ombre. Dans tous
les cas, que ce soit l’Alméh de Félicien David, ou
la Chanson de la Folle au bord de la mer d’Alkan, que l’on pourra
mettre en relation avec le tableau de Puvis de Chavanne, voire l’Air
Savoyard de Vieuxtemps contemporain du rattachement de la province
à la France, l’objectif reste de suggérer des rapprochements,
des correspondances, et de tenter de réunir les manifestations du
langage du temps dans le prisme que rêvait Alfred de Vigny, en 1824:
Nous ne prétendrons pas avoir échappé
aux écueils du modernisme technologique qui aveugle trop souvent
les regards critiques et assourdit les discours soucieux de problématique,
mais nous espérons seulement avoir contribué et contribuer
encore à permettre un accès intelligent à une matière
dont la connaissance et la possession ne peuvent demeurer le fait des hasards
de la disponibilité en bibliothèque ou de la simple conservation
matérielle de documents hautement périssables sous leur forme
originelle, ou encore être la proie facile de cédéroms
réducteurs à visées purement commerciales.
On opposera donc toujours deux conceptions radicalement
différentes de l'édition électronique des textes fondateurs
de la culture et de la connaissance française : l'édition
scientifique fondée sur une méthodologie clairement réfléchie
et explicitée, respectueuse des exigences des consultants, chercheurs
ou non, d'une part, et, d'autre part, l'édition marchande simpliste,
capable parfois de produire de beaux objets esthétiques, à
l'ergonomie sophistiquée pour le plaisir, mais risquant de mépriser
au bout du compte les consommateurs-consultants, chercheurs ou non en ne
leur offrant que des sous-produits à l'instar d'une pseudo-culture
ou sous-production culturelle.
Et, même au-delà, puisque la présente
manifestation se déroule à Toronto, pourquoi, dans le contexte
plus général d'accès à la connaissance,
ne pas rappeler le très beau cédérom consacré
à Glenn Gould, par les éditions Syrinx, qui, en tant qu'objet
de consommation pour le plaisir est attrayant, mais dont le contenu informatif
ne peut se renouveler malgré la diversité des parcours proposés
et souffre au surplus d'une complexité ergonomique qui décourage
très vite son lecteur... Nous avons là, bien dommageablement,
une parfaite illustration du meilleur et du pire que peuvent offrir l'informatisation
de données et la composition d'objets textuels ou multimedia
électronisés.
Il importe en conséquence que, face à
ces nouveaux supports et media de transmission de l'information, soit préservée
la liberté d'une recherche authentique face à la prétendue
liberté du consommateur du WWW, que chacun traduira à
sa guise, comme nous le suggérions plus haut comme le réseau
mondial de la culture ou le monde sauvage en réseau!...
- 2. A l'heure actuelle, on peut considérer
que ce sont surtout les étudiants du supérieur qui sont les
plus concernés par l'édition électronique de textes,
dictionnaires et documents variés, du seul fait de l'état
institutionnel et de la lenteur des pouvoirs publics à dégager
des fonds budgétaires pour équiper les bibliothèques
publiques de matériel informatique et d'y autoriser les connexions
sur Internet. Si les bibliothèques publiques sont de plus en plus
sytématiquement équipées de lecteurs de cédéroms,
en revanche rares sont celles encore qui proposent un accès libre
sur Internet, sachant que la liberté peut encore être contrainte
à des sites directement liés à l'objectif d'une bibliothèque: l'exemple du site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France
est significatif (cf. infra).
- 3. Les réticences à l'électronique,
a fortiori à Internet, sont encore perceptibles même dans
les milieux qui devraient être les plus intéressés
par les technologies de pointe : nous pensons aux enseignants du secondaire
comme du supérieur qui ne sont pas encore familiers, ni de la recherche
documentaire sur Internet, ni de l'exploitation systématisée
des bases de données textuelles à des fins pédagogiques.
Il est vrai que le système ambiant français
n'offre guère d'atouts susceptibles d'encourager même les
plus mordus ... Un mercantilisme primaire assez sordide y prévaut
en matière de politique de conception, de réalisation, et
de diffusion de cédéroms, dont certains prix sont d'autant
plus exorbitants que le "produit" n'offre pas pour autant une qualité
bien réelle au-delà de la publicité. Ainsi, cet état
du marché devrait en toute logique favoriser la fréquentation
des sites Internet. Mais, les remarques précédentes soulignent
les limites immédiates de ce processus compensatoire.
1.1.2. Esquisse de bilan ...
Bref, on ne peut que déplorer en France outre
la méconnaissance relative du grand public, le faible intérêt
du public scolaire des premiers et second degrés face à l'ordinateur
et à internet, qui, lorsqu'ils sont utilisés, le sont
- pour le grand public à des fins ludiques (cédéroms
de jeux) ou triviales (consommation de réseaux de communication
pseudo-humaines pour solitaires),
- pour les scolaires favorisés et un public aisé et cultivé
à des fins documentaires (cédéroms de dictionnaires,
de voyages et de musées, de ressources diverses, etc... ), le cédérom
étant amené à concurrencer la cassette vidéo
pour tout ce qui relève des loisirs en particulier, dans la mesure
où le coût en reste raisonnable.
Une des raisons qui contribue à favoriser
encore en Europe et en particulier en France l'exploitation des cédéroms
est certainement le coût encore élevé des communications
téléphoniques : ainsi, les établissements scolaires
ont-ils davantage été équipés en cédérom
qu'en crédits de connection sur Internet; l'usage du cédérom
a d'ailleurs été certainement favorisé lui-même
en entrant d'abord dans les moeurs par le biais des jeux sur consoles compatibles
TV / ordinateur.
Quelle place pour le savoir mais quel savoir ?
Quelle place pour la langue et la culture françaises mais quelle
langue et quelle culture ?
1.2. Intérêt des éditions électroniques
de textes littéraires et de dictionnaires sur cédérom
et en accès libre
1.2.1. Rappel des préalables matériels pour l'enseignement
supérieur
Les composantes littéraires des universités
françaises ont pour la plupart mis un temps certain pour comprendre
la nécessité de jouer la carte de la communication Internet
et donc de développer les modalités d'accès au réseau;
deux cas de figure sont alors à prendre en compte : la possibilité
pour un universitaire - qui a la chance de bénéficier d'un
bureau équipé - de se connecter sur Internet depuis son établissement
de rattachement, donc directement au réseau ou bien celle de bénéficier
de l'accès distant, en admettant qu'il soit équipé
chez lui, à titre personnel, avec les complications que cela risque
d'impliquer (difficultés de connection dans la journée, limitation
de la durée de connection, pannes de serveurs, etc...), outre le
coût des communications téléphoniques, même en
tarif local.
Les bibliothèques universitaires limitent
encore dans l'ensemble l'utilisation de l'électronique via l'accès
aux lecteurs de cédéroms. Elles ne sont pas ouvertes au public
en soirée, ni le dimanche ... Les étudiants ont souvent accès
à des salles informatiques, mais là encore les accès
internet sont limités de façon draconnienne ... A Lyon, par
exemple, dans la grande salle d'étude de la bibliothèque
municipale, ouverte à tout public, il faut s'inscrire à l'avance
pour avoir droit à une session de 30 minutes de connection. A Clermont-Ferrand,
le Département de Français de l'Université Blaise
Pascal possède un ordinateur en libre service pour l'ensemble de
ses 34 enseignants. Cette machine permet l'accès à l'internet
et au courrier électronique individuel, mais le Département
n'a aucunement songé, en revanche, à souscrire un contrat
d'abonnement aux bases réservées de l'INaLF, de sorte que
Frantext demeure une ressource inconnue de ceux qui devraient en exploiter
avec discernement et diffuser les contenu. La possession d'un ordinateur
personnel dans un bureau individuel de professeur relève par ailleurs,
et en parts égales, de l'opiniâtreté, du hasard des
plus ou moins bonnes relations personnelles avec les autorités administratives,
et de la périlleuse habileté des montages budgétaires...
A Paris, malgré la hardiesse des ambitions technologiques affichées,
il est aussi difficile d'accéder au site Gallica depuis la BNF que
depuis n'importe quel autre poste parisien ou provincial ...
Bref, il faut encore vraiment être motivé
pour vouloir travailler avec les technologies modernes dans de telles conditions
matérielles.
1.2.2. Utilisation de l'électronique dans la pédagogie
des lettres françaises ?
Je partirai de trois exemples tirés de ma
récente expérience :
- une de mes anciennes étudiantes qui enseigne
actuellement le français dans un lycée en classe de seconde
et première (préparation à l'épreuve de français
du baccalauréat), connaissant mes travaux, m'a demandé l'hiver
dernier si je pouvais lui apprendre à utiliser un cédérom
puis à explorer Internet pour préparer ses cours dans des
conditions plus performantes que par la simple consultation des documents
imprimés ... ce qui signifie que dans le cadre des possibilités
de formation continue des enseignants dans le secondaire, aucune structure
systématique n'est mise en place de façon viable pour offrir
une initiation concrète à l'exploitation pédagogique
des nouvelles technologies. Quand nous avons voulu mettre sur pied une
séance de travaux pratiques avec ses élèves, nous
nous sommes heurtées à la double question des locaux (comment
passer de l'ordinateur à un écran pour que tous les élèves
d'une classe (entre trente et quarante) puissent suivre la démonstration?)
et de la connection sur Internet, puisqu'il était intéressant
de montrer le contraste entre la pauvreté de certains cédéroms
(par exemple le cédérom de la première édition
du Dictionnaire de l'Académie française (1694) des
éditions Champion) et la richesse de certains sites internet (par
exemple le site Académie de Toronto). Résultat du projet
: elle a travaillé chez moi, constitué des fichiers qu'elle
a imprimés pour les exploiter à distance avec ses élèves
...
- plus récemment, en mars 2000, ayant invité
T.R. Wooldridge à intervenir dans mon séminaire de lexicographie
à l'Université Jean Moulin, je n'ai pas pu réserver
une salle disposant à la fois de plusieurs ordinateurs pour les
étudiants et d'un branchement au réseau : il nous a fallu
nous contenter de mon ordinateur portable branché sur un vidéo-projecteur
... ce qui a permis au moins de montrer quelques pages web déjà
installées sur la machine et un cédérom !
- dans le cadre de mon propre séminaire,
je n'ai pu disposer dernièrement à l'université que
d'une salle bénéficiant d'une prise électrique, ce
qui m'a permis au moins de montrer, toujours sur mon portable, quelques
cédéroms de dictionnaires (en particulier l'Atelier
historique et l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert
publiés par les éditions Redon), les atouts de l'exploitation
de bases de données textuelles et lexicographiques (les textes littéraires
que j'ai moi-même constitués en bases de données pour
la préparation aux concours et les éditions du Dictionnaire
de l'Académie française accessibles par ailleurs sur
le site Académie de Toronto dans le cadre du programme d'informatisation
que je co-dirige sur le plan scientifique avec T. R. Wooldridge) , mais
pour l'accès internet je n'aurais eu que la possibilité de
faire cours dans mon bureau et encore en espérant que la connection
fonctionne !
Bref, nous n'en sommes en France qu'à la
phase pré-historique sur ce point. En conséquence, c'est
d'abord par rapport à ma propre expérience d'exploitation
de l'électronique que je vais souligner ce qui me paraît le
plus pertinent dans la fréquentation des cédéroms
et du réseau Internet pour la diffusion du savoir et la connaissance
approfondie de l'histoire de la langue française.
1.3. Cédérom et sites internet : principes éditoriaux,
documents associés et liens hypertextuels
1.3.1. Supports électroniques et éthique : quels
textes pour quels lecteurs-consultants ...
La qualité des versions électroniques
dépend à la fois du choix des textes ainsi édités
et de la méthodologie de mise en oeuvre, selon les objectifs de
la démarche, donc du public que l'on souhaite toucher.
Ainsi, pour les textes anciens, littéraires
ou lexicographiques, une simple saisie optique, tout comme une saisie texte,
d'éditions non conformes aux textes d'origine peut induire en erreur
un lecteur consultant non averti des faits linguistiques propres aux époques
considérées. S'il est indéniablement formidable de
pouvoir lire une partie des grands textes des XVIe et XVIIe siècles
sur internet - par exemple sur le site ABU - ou sur des sites à
accès réservé sur abonnement - par exemple les sites
Frantext ou ARTFL - on peut en revanche déplorer les légèretés
éditoriales qu'il s'agisse des références bibliographiques
des éditions sources, qu'il s'agisse des écarts par rapport
aux textes originaux du fait de la modernisation graphique adoptée
très largement notamment dans les éditions du XIXe qui furent
le plus souvent mises à contribution, par pure facilité matérielle,
semble-t-il.
Cependant, il va de soi que le grand public sera
heureux de découvrir, de lire les grands textes de la littérature
française, quelle que soit leur forme - la modernisation d'un texte
de Rabelais en facilite évidemment la lecture - quand le public
plus orienté vers une démarche pédagogique ou scientifique
déplorera de trouver les graphies des textes du XVIe comme du XVIIe
modernisées. D'où l'idée précieuse de "fac-dissimilé"
mise naguère en oeuvre par Marie-Luce Demonet pour donner aux lecteurs
modernes l'idée de l'original manuscrit ou imprimé et des
variantes graphiques dont il peut être l'objet (cf. définition de fac-dissimilé donnée par M.-L. Demonet). Il est vrai, que
désormais en France, même dans les concours nationaux de recrutement
de professeurs de français pour le second degré, qui devraient
travailler encore sur l'histoire de la langue et ses traces dans les systèmes
graphiques, les oeuvres anciennes sont proposées dans des éditions
dites améliorées : ainsi, en fut-il par exemple, cette année
pour le texte du XVIe s. (Récit de voyage en terre de Brésil
de J. de Léry), tout comme l'an dernier pour le texte du XVIIe s.
(les Maximes de La Rochefoucault). Faire intervenir là l'idée
selon laquelle, en l'absence de manuscrits, la graphie d'époque
est celle des protes ou des imprimeurs révèle tout au plus
un dommageable aveuglement aux problèmes que pose une histoire de
la langue renouvelée; et une ignorance non moins regrettable de
ce que la langue est une forme collective et une force de transactions
entre individus; personne ne saurait donc détenir intégralement
cet objet; de sorte que l'origine individuelle des variantes graphiques
recèle moins d'importance testimoniale que la dispersion des formes
de variation coexistantes à une même époque.
La question sera similaire pour les dictionnaires,
en particulier ceux du dernier quart du XVIIe siècle et du XVIIIe
siècle : en effet, en une telle période, où tout choix
de graphie par un lexicographe peut être interprété
sur le plan normatif et, surtout, où tout historien de la langue
peut être conduit à tenter d'apprécier les écarts
entre les tendances normatives et la réalité des usages au
sein d'un même ouvrage, le dictionnaire étant alors à
considérer comme un texte au plein sens du terme, il est capital
de conserver telles quelles toutes les variantes graphiques d'un même
mot, si curieuses ou aberrantes paraissent-elles [ cf. sur ce sujet notre
contribution à la Journée des Dictionnaires de Cergy, 1999,
publiée sur le site Académie de Toronto : "Variantes
graphiques et norme orthographique ...]. Du côté du grand
public, un tel choix peut paraître source de difficulté, mais
attention : quel est le grand public qui ira (/ irait) consulter spontanément,
même sur Internet, les dictionnaires de C. P. Richelet ou d'A. Furetière
(sachant qu'à l'heure actuelle ces dictionnaires ne figurent pas
toujours dans les bibliothèques municipales des moyennes et petites
villes, a fortiori dans les bibliothèques de quartier) pour vérifier
un emploi, un sens, un choix de graphie, que sais-je encore ? Nous voyons
bien, en tant qu'enseignants, combien il faut peiner, insister pour que
nos étudiants de lettres déjà avancés (à
partir de la licence) aillent se promener dans les dictionnaires, en particulier
ceux qui correspondent aux périodes des textes littéraires
étudiés ... Les enseignants du secondaire, quand ils pensent
à cette démarche et que leurs CDI la leur permettent, sont
eux aussi confrontés à la même réalité
de relative réticence ... - sans compter pour eux les contraintes
draconiennes de temps et de programmes -, même pour des dictionnaires
plus modernes comme le TLF ou le DHLF.
Si l'on s'accorde donc à reconnaître
l'importance du maintien des graphies d'origine dans les versions électroniques
de dictionnaires, qu'il s'agisse d'offrir un accès libre et gratuit
en ligne, qu'il s'agisse d'éditer des cédéroms, on
doit alors poser la question éthique du respect du texte, question
qui sera abordée infra, pour en détailler les principales
implications culturelles et scientifiques.
1.3.2. Quel savoir ? Le primat du dit électronique sur le
non-dit ... références et totalitarisme ... Le pouvoir du
médium comme outil de promotion d'une culture...
Une réflexion particulière s'impose
ici sur le vecteur Internet par contraste avec le support électronique
du cédérom, quitte à prendre le risque de répéter
partiellement des distinctions déjà énoncées,
mais qui valent particulièrement ici pour le domaine français,
et dans le secteur des études de langue.
World Wide Web ou Wild World Web ?
En effet, face au cédérom dont le contenu sera toujours ciblé,
restreint à un sujet, si vaste soit-il, et lié à la
fois à une maison d'édition et à un ou plusieurs auteurs
identifiables sur le plan professionnel, un des attraits du fonctionnement
du World Wide Web pourrait être, a priori, d'offrir une sorte
d'"hyper-dictionnaire" universel construit - si tant
est que ce verbe ait alors encore un sens - à la fois par
la seule possibilité d'interrogations multiples de l'ensemble des
documents de tous ordres qui s'y trouvent de facto et, sur un plan plus
scientifique, par la multiplicité des contributions dues aux chercheurs
du monde entier soucieux de créer leurs pages web. Mais cet "hyper-dictionnaire",
via les moteurs de recherche performants que l'on connaît, peut néanmoins
prêter à confusion et induire chez les usagers de redoutables
méprises.
Il convient en effet de distinguer toujours et fermement
entre Dictionnaire et Corpus : on conviendra aisément
qu'il est difficile de construire un dictionnaire sans le support d'un
corpus; on admettra aussi que le World Wide Web rassemble aisément
les données brutes d'un hypercorpus. Mais on doit
se garder - nous semble-t-il - de penser que ces données
constituent un super dictionnaire, puisqu'en l'absence d'une
construction soumise à des principes lexicographiques et enfermant
le sens dans la circularité de réseaux définitionnels
circonscrits, elles ne peuvent guère prétendre qu'aux facilités
d'un index permettant des repérages ponctuels mais interdisant
la prise en compte du caractère syntagmatique des relations susceptibles
d'être introduites entre ces différents points. Le World
Wide Web donne certes accès à une matière profuse,
mais sans mode d'emploi clairement défini, et sans la structuration
idéologique extérieure à l'usager, d'ailleurs inévitable,
qui constitue la marque sémiotique distinctive de toute production
lexicographique digne de ce nom. Et il court alors le risque de n'être
plus que l'image d'un Wild World Web, dans lequel l'utilisateur
trouvera les pièces d'un puzzle dont la représentation d'ensemble
lui demeure inconnue, étant indéfiniment ouverte sur l'infini...
On peut légitimement apprécier la
liberté laissée par une absence de hiérarchisation
des contenus, mais si l'entropie constitue une mesure de l'information
véhiculée par des contenus, encore faut-il que ces contenus
soient justement mis en forme, donc ordonnés. Toute base de données
est-elle support automatique de savoir, toute réponse à une
question signifie-t-elle immédiatement acquis culturel et
implique-t-elle que sa référence soit absolue ? On l'aura
compris, nous souhaitons introduire ici la question fondamentale de la
relativité d'appréciation des informations culturelles et,
éventuellement scientifiques, dans un ensemble qui, du fait même
de ses modalités de fonctionnement, conduit au nivellement, c'est-à-dire
à la mise au même niveau d'informations de qualité
différente (ce qui implicitement conduit à neutraliser la
qualité purement scientifique d'une information si elle est mise
sur le même plan que n'importe quelle autre, sans négliger
non plus la composante médiatique et les problèmes de bruit,
donc les difficultés de tri), en l'absence de marquage systématique
des sources, de fiches signalétiques sur les produits ainsi dispensés.
Il faudrait d'ailleurs avoir le courage ou l'honnêteté intellectuelle
de se demander dans quelle mesure on peut assimiler les résultats
d'une démarche scientifique perpétuellement soumis à
révision et enrichissement à un produit de commercialisation
pour grand public ... L'édition papier a toujours distingué
les ouvrages spécialisés de faible tirage de ceux de vulgarisation
destinés au grand public.
Or, si la curiosité et le plaisir de la découverte
sont bien un point commun des attraits culturels et des aiguillons motivant
l'activité du chercheur, il n'en reste pas moins que cette sorte
de désacralisation de la connaissance par la recherche d'informations
de tous ordres sur le mode des navigations fureteuses telle qu'elle est
manifeste sur le support Internet impose une redéfinition des choix
culturels et des critères de production scientifique en vue des
différentes modalités d'exploitations envisageables.
Dès lors que n'importe qui peut publier n'importe
quelle page web, sur n'importe quel sujet, pour le sérieux, comme
pour le délire, pour informer ou désinformer, dans un but
communautaire ou au contraire pour satisfaire son ego, quel critère
permettra-t-il à l'utilisateur / consultant de s'approprier une
information comme fiable ou susceptible de lui fournir une base de réflexion
solide ? Dans un rayon de supermarché ou d'hypermarché, le
consommateur peut encore consulter les fiches descriptives des différents
produits (il dispose même de revues pour le guider dans ses choix),
mais, quand il s'agit de connaissances et de culture (au sens européen
traditionnel du terme), où sont les critères de référence
absolus ? Peut-on d'ailleurs, en tant qu'universitaire, accepter de considérer
toute connaissance nouvelle, tout domaine culturel, comme un simple produit
de consommation courante, à moins que, pour cette catégorie
de "produits" que sont les productions culturelles, l'on puisse inventer
des critères de repérage de qualité informationnelle
du même ordre que pour les produits de consommation de luxe ou pour
les produits issus de la culture biologique ? Dérive perverse, toutefois,
du processus : l'intuition qu'ont eue certains concepteurs-diffuseurs-promoteurs
de CD-Rom du domaine français, selon laquelle il pouvait être
judicieusement efficace de se faire attribuer - ou plutôt de
s'auto-attribuer - un label de qualité valant
référence absolue... en l'absence de toute contre-évaluation
indépendante, et de tout repère objectif! La moindre association
de consommateurs de base demanderait dans les mêmes circonstances
une enquête en suspicion!
Il faut encore rappeler un élément
important : entre une connaissance technique concrète d'un professionnel
décrite de façon individuelle et une définition de
dictionnaire remaniée de lexicographes en lexicographes qui n'ont
jamais eu de contact réel avec les objets définis, où
est le critère d'authenticité fiable pour un consultant?
D'autre part, outre le vaste problème de tri des informations, il
serait abusif de croire que parce qu'on trouve une réponse à
son interrogation, celle-ci soit absolue et représentative d'un
état déterminé des connaissances, d'autant que le
nombre de sites encore en construction reste inconnu et qu'on ne saurait
préjuger de la matière - nature, qualité et
quantité - que l'on y trouvera. De fait, tout chercheur qui
vient de trouver une solution à un problème, de remanier
ou enrichir un travail portant sur une connaissance jugée acquise,
etc... ne pensera pas forcément à en faire illico presto
la publication sur internet : cela ne signifie nullement la négation
de nouveautés culturelles ou scientifiques ; il y a alors simplement
une sorte de non-dit sur un support déterminé, malgré,
certes, la prise en compte du laps de temps de "publication" moins contraignant
sur support électronique que sur support papier, si l'on est équipé
et connecté, ce qui relativise encore quelque peu la portée
du propos sans pour autant en limiter la pertinence.
On retrouve ici en fait, même sur support
électronique (sur cédérom ou en ligne) la question
fondamentale de la nécessaire distance critique de tout consultant
de texte imprimé, dictionnaire ou autre, de tout lecteur de journal,
face à l'information qui est toujours susceptible d'être partielle
ou partiale, incomplète ou même erronée. Cela suppose
évidemment aussi la prise en compte de la compétence du lecteur
/ consultant, tout en posant le délicat problème de la liberté
de chacun d'utiliser n'importe quelle information sans réserve ...
ce qui nous renvoie à une réflexion d'ordre éthique.
Au nom du principe de respect de la liberté du lecteur / consultant,
le scientifique averti et conscient a-t-il le droit de laisser n'importe
qui exploiter un texte appartenant à une culture donnée n'importe
comment, de laisser être galvaudée une connaissance inscrite
dans un ensemble socio-culturel déterminé, sans respect du
coup pour l'identité de cette culture ? A moins que l'on ne préfère,
par facilité, se ranger aux dictats d'une culture universelle ou,
plutôt, prétendant à l'univesel, sans accepter d'y
percevoir les risques de globalisation simplificatrice et d'uniformisation
totalitaire.
Or, le primat du dit sur le non-dit a toujours fonctionné
pour le grand public, puisque ce sont d'abord les scientifiques qui ont
pensé à définir la notion d'information en creux,
à souligner l'intérêt des analyses de l'implicite.
Il faudrait, me semble-t-il, réfléchir à la mise en
oeuvre d'une sorte de garde-fous aux méprises de l'internétisation
de la culture française, comme de toute autre culture, risquant
de n'être considérées que sous un prisme de miroirs
déformants, car limités ou sectaires s'ils relèvent
de monopoles informationnels, et surtout des connaissances scientifiques
diffusées sur internet de façon à aider le lecteur
/ consultant lambda à ne pas se laisser induire en erreur mais au
contraire à apprendre l'exploitation raisonnée et ciblée
de ce média aux risques totalitaires indéniables.
Si l'intérêt du support internet reste
indéniable pour tout ce qui concerne les informations liées
aux impératifs d'une société de consommation orientée
vers les loisirs à visée universaliste et, le plus souvent
inscrite dans une logique purement commerciale de rentabilité, potentiellement
ouverte à l'ensemble de la planète (les habitants du tiers-monde
commandent-t-ils des disques, des vidéos, ou des vêtements,
réservent-t-ils des places de concert ou des voyages aux îles
X par internet ?), il reste à convaincre un public restreint,
car spécialisé, de l'intérêt réel de
ce support pour une meilleure diffusion du savoir et des connaissances
scientifiques, sans tomber dans le risque de la dispersion d'informations
réduites au statut d'électrons libres.
2. Langue et culture françaises : recherche et diffusion du
savoir
Après ces préalables, pour revenir
à notre domaine propre, l'histoire de la langue française
en relation avec les textes littéraires, théoriques (remarques
et grammaires) et lexicographiques, mais aussi avec tous les textes, imprimés
ou manuscrits, trop souvent méconnus, susceptibles de nous documenter
sur les usages linguistiques réels (relations de voyages, journaux
de bord, ordonnances, correspondances, etc...), plusieurs réflexions
s'imposent concernant l'intérêt du support électronique
vivant et ouvert au monde pour une recherche dynamique.
2.1. Les atouts du support électronique : les potentiels
restreints du cédérom face à l'ouverture illimitée
d'internet
Si, comme nous l'avons rappelé précédemment,
le cédérom présente l'avantage par rapport à
Internet d'être forcément circonscrit à un sujet, et
de s'adresser au public pour lequel il a été conçu,
a priori, il présente en revanche l'inconvénient majeur de
la limitation matérielle liée à la fois aux contraintes
éditoriales et à une relative fixité du support :
on ne peut du jour au lendemain enrichir une rubrique déjà
enregistrée à des milliers d'exemplaires etc...banalités,
certes, mais qu'il faut rappeler, en particulier au public scientifique
français encore trop timoré face au support internet. De
fait, pourquoi et pour qui est-il non seulement pertinent mais indispensable
désormais pour un chercheur ou un universitaire d'être en
mesure de créer un site internet correspondant à son domaine
de compétence scientifique ?
2.2. Pour une neutralisation des cloisonnements universitaires
Face aux cloisonnements universitaires et aux retranchements
de disciplines déracinées, l'intérêt du world
wide web paraît absolu, qu'il s'agisse de créer, par exemple,
un site internet consacré à un auteur fondamental pour son
rayonnement scientifique à une époque donnée (a),
un site correspondant à un thème (b), un site consacré
à une série d'ouvrages correspondant à un vaste corpus
diachronique (c), un site associant thématique et diachronie (d)
ou encore consacré à une période clé de l'histoire
de la langue et de la culture française (e) :
2.2.1. La complémentarité hypertextuelle des
informations, documents et notes critiques ou publications d'articles,
etc...
- les plans de complémentarité d'ordre
intertextuel et hypertextuel des éditions électroniques de
textes, de documents associés et de notes critiques ou publications
d'articles, d'informations (annonces ou comptes-rendus de colloques, de
parutions d'ouvrages) etc... peuvent fonctionner non seulement au sein
même d'un seul site, mais aussi d'un site à l'autre, de façon
exponentielle, pour qui a la curiosité d'explorer les liens marqués.
=> au sein d'un seul site, je retiendrai les exemples du site Ménage
et du site Académie (dont l'hypertextualité est aisée
à vérifier sur pièces) en privilégiant ici
un commentaire sur le site Ménage (qui existe sur mon ordinateur,
mais reste encore - à mon grand dam - dans l'absolue virtualité
du serveur auquel je suis rattachée) : de fait, comme on pourra
le voir au moins par la page d'accueil, ce site permettra
- de mieux cerner l'importance d'un savant dont
la réputation - parfois contestée - a surmonté l'épreuve
des siècles et
- de disposer d'une bibliographie détaillée
de ses ouvrages, imprimés ou restés manuscrits
- de passer de documents parfois difficiles à
consulter dans les bibliothèques à des extraits des différentes
éditions de ses écrits intéressant la langue, observations
et dictionnaires, à des articles et publications susceptibles d'enrichir
la consultation des documents précédents par les analyses
ainsi offertes (par exemple pour les ouvrages ayant été l'objet
de contrefaçons comme pour d'autres domaines, cf. la publication
en ligne des actes du colloque organisé à lyon pour le tricentenaire
de la parution du Dictionnaire étymologique ... de Ménage
(1694) : http://www;chass.utoronto.ca/~wulfric/siehlda/menage/), mais surtout
- de disposer sous forme de base de données
de l'inventaire manuscrit de sa bibliothèque assorti d'un commentaire
au gré de l'avancée des investigations concernant le repérage
des éditions : en effet, comme tout chercheur le sait, une édition
critique commentée de texte impose un travail de longue haleine;
or, le fait de pouvoir publier en ligne, outre une "Introduction à
l'édition du manuscrit BN 10378 : l'inventaire de la bibiothèque
de Ménage", assez rapidement la seule transcription d'un tel
inventaire offre déjà un intérêt indéniable
pour toute personne souhaitant mener une vérification concernant
les sources bibliographiques alléguées dans les ouvrages
lexicographiques en particulier; de plus, le support www permet de publier
le commentaire par tranches, qu'il s'agisse d'analyses de synthèse
(mon article concernant la composante italienne de la bibliothèque
de Ménage) ou de notices particulières concernant l'identification
des ouvrages parfois nommés de façon très succincte
dans le manuscrit.
=> d'un site à l'autre, l'exemple précédent s'inscrit
lui-même dans la complémentarité des bases dictionnairiques
associées, et invite, au-delà, bien sûr d'autres dictionnaires
élaborés dans la même période de ce dernier
quart du XVIIe s.; mais on peut y ajouter la portée d'autres perspectives,
telle l'appréciation de la destinée dictionnairique de Ménage
dans les dictionnaires du XVIIIe s. (Trévoux, Féraud) et
du XIXe s. (Littré, Larousse); d'autre part, les liens hypertextuels
avec d'autres sites comme celui que j'ai créé à l'occasion
du colloque sur le thème "Connaissance et rayonnement du Dictionnaire
de Trévoux (1704-1771)" contribuent eux-aussi à enrichir,
outre la connaissance d'un auteur ou d'un ouvrage au prisme des reflets
laissés au fil du temps, la maîtrise d'une discipline : par
exemple, la confrontation de certains articles du Dictionnaire de Trévoux
avec les articles correspondant des dictionnaires de la fin du XVIIe s.
nous permet de retrouver non seulement la trame, la filiation des sources
empruntées d'un dictionnaire à l'autre, mais aussi d'identifier
les sources cachées d'un auteur en particulier etc... Un site concernant
un même ensemble thématique comme notre site "Vocabulaire
de la marine au XVIIe siècle" (encore en construction) apporte sur
un corpus circonscrit, mais systématiquement étudié,
des éléments de vérification ouvrant eux-même
sur d'autres perspectives... Le processus d'intéraction entre sites
est encore manifeste avec l'exemple d'un site orienté sur des textes
littéraires comme celui du CRLV et de sites à orientation
lexicographique (cf. les liens obligés entre le vocabulaire de la
mer et la littérature des voyages du XVIe au XVIIIe s.).
2.2.2. Pluridisciplinarité et communauté humaine
- On l'aura déjà entrevu avec ce qui
précède, la dynamique et l'émulation entre spécialistes
de domaines différents ainsi créée, offre alors un
univers de rencontres virtuelles ou effectives entre chercheurs,
susceptible de créer elle-même une nouvelle communauté
de chercheurs, non pas réduite à des centres de recherches
plus ou moins renfermés sur eux-mêmes, qu'ils soient institutionnels
directement rattachés à un état ou dépendant
d'une structure universitaire, mais ouverte au monde, non seulement sur
le plan de la recherche internationale (cf. par exemple pour le programme
Académie, les relations entretenues entre Lyon, Clermont-Ferrand,
Toronto, Chicago, Montréal et Illinois; pour le site XIXe s. ...)
mais sur le plan des communautés d'intérêts culturels
(cf. par exemple, depuis la création du site Trévoux, les
relations établies avec des conservateurs de bibliothèques,
avec l'ENSSIB et des bibliophiles (à l'échelle individuelle
ou de sociétés savantes comme celle de Santiago du Chili).
D'autre part, pour la seule diffusion de la connaissance et du savoir en
langue française, seul le support du www permet de transmettre à
l'étranger, extra-européen (cf. la réalité
de diffusion du livre ancien en Europe du XVIe au XVIIIe s.), via les éditions
électroniques des textes eux-mêmes, des ouvrages qui resteraient
inaccessibles à tout un public. On l'a déjà maintes
fois souligné pour le Dictionnaire de l'Académie dont
peu de bibliothèques peuvent se réjouir de conserver la collection
complète, mais il en est de même pour bien d'autres dictionnaires
appartenant à une série homogène; que dire des vastes
corpus diachroniques, tel l'ensemble des dictionnaires relevant d'un même
genre publiés sur plusieurs siècles différents.
2.3. L'exemple particulièrement significatif du site consacré
au XIXe siècle, conçu par J.-Ph. Saint-Gérand
Plutôt que de développer une diversité
d'exemples, je préfère, à titre d'illustration des
quelques réflexions qui précèdent, et pour aller au-delà,
laisser ici la parole à J.-Ph. Saint-Gérand qui a conçu
le site consacré à la "langue française au XIXe siècle"
dans son acception la plus large qui soit, site installé sur
le serveur de Toronto grâce à la précieuse et amicale
collaboration de T. R. Wooldridge, cyberthécaire acceptant de pallier
les déficiences techniques du système français, puisque,
par exemple, l'installation de bases de données sous TACTweb nous
est refusée dans nos universités actuelles de rattachement.
2.3.1. Préliminaires
Les réflexions de caractère général
développées ici par Isabelle Turcan ne peuvent que susciter
l’adhésion d’un modeste pourvoyeur et utilisateur des ressources
de l’internet, et son désir d’intégrer quelques éléments
supplémentaires à son analyse.
Spécialiste classique d’une période
de l’histoire culturelle française sur laquelle a longtemps plané
le discrédit du XXe siècle, à savoir ce stupide
XIXe siècle, rien ne me prédisposait à chercher dans
l’internet une forme de solution aux problèmes épistémologiques,
théoriques et pratiques que suscitait pour moi l’étude de
l’objet "langue", entre d’une part l’histoire traditionnelle de la langue,
et, d’autre part, une conception renouvelée des aspects systémiques
du dit objet.
En effet, cette période riche en hauts faits
esthétiques, philosophiques, politiques, scientifiques et autres
encore, a vu une telle prolifération de la documentation écrite
qu’il est impossible d’en étudier la configuration épistémique
sans passer par le filtre de la langue et des langages. De là est
donc née l’idée d’un site consacré à l’interface
sémiologique grâce à laquelle sont rendues possibles
les rétrospections explicatives de l’histoire.
2.3.2. Pourquoi avoir ainsi créé un site spécifique
consacré à la langue française du XIXe siècle?
D’une part, la complexité et la diversité
des aspects et des réalisations de l’objet "langue française"
devraient susciter chez les linguistes, les sémiologues, les historiens,
et les littéraires, des interrogations méthodologiques et
théoriques.
D’autre part, bien des occultations, des approximations,
ou mécompréhensions, voire des détournements idéologiques
ont entaché la pratique de cet objet et donné lieu à
des erreurs dans nos interprétations rétrospectives de son
inscription dans les textes de la littérature, de la philosophie,
des sciences, des arts, du commerce, des techniques, du journalisme, etc.
De sorte qu’il n’est guère facile de retrouver aujourd’hui l’ensemble
des pièces de ce puzzle axiologique et idéologique.
2.3.3. Et pour qui alors?...
La notion de communauté des chercheurs est
aujourd’hui tout à la fois rendue nécessaire par les facilités
de communication et d’échange dont nous disposons, et banale par
l’observation de ce que la multiplicité des connaissances ne peut
plus faire l’objet d’une capitalisation individuelle, d’un " mirandolisme
" qui — à lui seul — constituerait le pic insensé des
prétentions de l’homme à maîtriser l’ensemble du savoir
et à dominer toute connaissance…
2.3.4. Dans quelle intention donc ?...
Au-delà de l'intérêt strictement
humain, que l'on peut percevoir chez l'individu particulier ou dans la
communauté à laquelle il est agrégé, reste
ainsi la question des buts affichés par le site.
Cette informatisation d'ouvrages lexicographiques sous TACTweb voit son
utilité confortée dans les mêmes conditions par l'électronisation
totale — que l’on souhaite — d'ouvrages de grammaires, de rhétorique,
de linguistique historique ou comparée, et d'essais sur le langage,
qui apporteront un éclairage autre sur la nature et le fonctionnement
de l'objet langue, ainsi que sur les réflexions et réfractions
idéologiques qu'il suscite à l'époque.
En ce sens, dans l’instant où un Louis-Sébastien
Mercier opposait si pertinemment en langue peindre au sens d’"écrire"
et peinturer au sens d’"imiter platement la réalité
de la nature", donner à voir le parcours qui mène de Géricault
à Pissaro, ou à percevoir celui qui nous fait passer de Jadin,
Grétry ou Gossec à Fauré, Magnard, Debussy ou Dukas,
peut faire naître une intelligence et une compréhension de
la translation des systèmes de valeur éthique et esthétique
du siècle, à l'intérieur desquelles – en ce siècle
de correspondances absolues – les déplacements de l'épistémologie
de nos disciplines trouvent plus facilement leur signification.
" Où donc est la beauté que rêve le poète ?
Aucun d’entre les arts n’est son digne interprète,
Et souvent il voudrait, par son rêve égaré,
Confondre ce que dieu pour l’homme a séparé.
Il voudrait ajouter les sens à la peinture.
A son gré, si la Muse imitait la Nature,
Les formes, la pensée et tous les bruits épars
Viendraient se rencontrer dans le prisme des arts,
Centre où de l’univers les beautés réunies
Apporteraient au cœur toutes les harmonies,
Les bruits et les couleurs de la terre et des cieux,
Le charme de l’oreille et le charme des yeux…. "
La Beauté Idéale
La dernière page du Monde des Livres
de ce vendredi 28 avril 2000 fait référence au rachat par
les prestigieuses éditions Gallimard de Bibliopolis, et de leur
volonté de diffuser des cédéroms ainsi que de s'introduire
sur l'internet pour promouvoir leurs auteurs et la littérature de
création, ainsi que celle liée aux développements
contemporains des sciences humaines. Profitant de l'occasion, les journalistes
font également allusion à d'autres éditeurs ayant
aussi l'ambition d'occuper le marché des textes électronisés.
Grande, et même terrassante, ne peut-être que la surprise du
lecteur, lorsqu'il constate, après avoir lu cette page, que rien
n'est dit sur la nature et les contenus de ce qui sera ainsi diffusé
commercialement, et que l'information transmise par Le Monde ne
touche fondamentalement qu'aux aspects financiers de l'entreprise : rachats,
politique d'investissement, parts de marché, etc....
En guise de conclusion
L'exemple précédent peut servir à
amorcer une très brève conclusion. Il convient certainement
de mettre en garde les lecteurs contemporains, et notamment les nouveaux
lecteurs, les adolescents et les étudiants qui semblent redécouvrir
les nouvelles Indes, mais aussi nombre de nos congénères
éblouis par le miroir aux alouettes informatique, contre les dangers
d'une électronisation aveugle et bête, qui, tout en risquant
de dénaturer la perception des oeuvres, tend à placer le
consultant dans la position d'un panurge moutonnier dépourvu d'intelligence,
de sens critique et de savoir, au seul nom du prétendu respect
paradoxal de sa liberté.