Né de la rencontre d'une curiosité scientifique et d'un vide institutionnel, le site Fabula que j'ai fondé avec René Audet en 1999 est une association de chercheurs (régime loi de 1901 des associations à but non lucratif) s'intéressant à la théorie littéraire en général et à la question de la fiction en particulier, ayant choisi de fonctionner grâce à un site Internet et d'expérimenter les possibilités offertes par ce média. Elle se veut répondre à la nécessité de repenser aujourd'hui la théorie littéraire par le dialogue de ses différentes champs et problématiques, et de se confronter au discrédit frappant le champ de la théorie littéraire et est fondé sur le pari que seul Internet peut permettre de mettre en place une équipe de recherche délocalisée, polyvalente dans ses méthodes, ses arrières plans culturels et ses attendus disciplinaires, apte à de croiser autour de la notion de fiction littérature comparée, histoire, sociologie des arts et des mentalités, linguistique.
Fabula a été en effet pensé comme un site qui ne soit pas seulement la mise en ligne de travaux de recherche publiés de manière statique à l'instar de nombreux projets existant, mais dont les outils permettraient de créer un véritable centre de recherche en ligne, en misant sur une exploitation de toutes les technologies généralement réservées aux sites professionnels et visant à assurer dialogue, débat, forums, actualisation fréquentes d'information, et la complète maîtrise des contenus par des rédacteurs et des utilisateurs non informaticiens. Après plusieurs colloques virtuels, nous avons cherché notamment à produire un outil de travail qui permette à la fois la mise en ligne, l'hypertextualisation et la récriture à plusieurs mains de textes sans connaissance technique, et puisse conduire à la création d'une encyclopédie collective et spéculative, qui ne soit pas faite d'une liste prédéfinie de termes figés, mais animée par un réseau de relations et de commentaires. C'est L'atelier de théorie littéraire (http://atelier.fabula.org), que j'ai créé début 2002 avec Marielle Macé (Paris-IV Sorbonne).
Grâce à une lettre d'information permettant de diffuser des annonces de colloques ou des appels à contribution, Fabula joue en outre le rôle d'un site fédérateur d'informations, et propose toute une série d'outils de travail en ligne : annuaires, forums, bibliographies, etc. L'absence en France de tout autre outil conçu par des chercheurs pour des chercheurs, c'est-à-dire d'outils où les moyens technologiques sont définis par des finalités scientifiques, où le possible technique n'est que la conséquence d'un vouloir intellectuel, a d'ailleurs induit un développement bien plus large de notre site que celui que nous escomptions, jusqu'à entraîner dans une spirale inflationniste d'initiatives : hébergement de sites, de listes de discussion, de base de données (comme le Dictionnaire International de Terminologie Littéraire). Fabula est vite devenu le premier site universitaire français consacré aux lettres, et l'un des plus gros site en sciences humaines toutes catégories confondues, comme les statistiques d'accès (pages vues) en témoignent de manière spectaculaire :
Fabula en est alors venu à héberger plusieurs revues et projets littéraires indépendants, à diffuser chaque semaine plusieurs dizaines d'annonces de parution, d'offres de postes ou d'appels à contribution. À l'espace de rencontres et de débats de notre projet initial, s'est adjoint le désir d'aider certaines unités de recherche dépourvues de moyens informatiques à accéder à Internet (en leur offrant l'hébergement sur le serveur de Fabula et une assistance technique).
Notre travail peut être ainsi résumé par trois axes, que l'on retrouvera dans une copie d'écran schématisant l'organisation du site :
a) une équipe de recherche proposant des travaux et colloques dans le domaine de la théorie de la fiction littéraire (voir nos champs de recherche).
b) une revue, Acta fabula, qui s'intéresse à la théorie littéraire en général.
c) une activité de diffusion d'informations, qui touche à tout ce qui est relatif aux études littéraires (aussi bien la critique que la théorie littéraire, l'histoire de la littérature, les colloques sur des auteurs, etc.).
Renonçant à affronter les pesanteurs administratives qui rendaient inenvisageable la création d'un tel site au sein de l'université, Fabula est, institutionnellement parlant, un projet indépendant et ouvert. Sans assise lourde, Fabula bénéficie d'une totale liberté scientifique : son fonctionnement est analogue à celui d'un groupe de recherche universitaire classique et s'appuie sur une structure associative légère. Le travail effectué est entièrement bénévole, Fabula finançant par lui-même l'infrastructure nécessaire à son développement (avec l'aide de la Agence Universitaire pour la Francophonie pour l'hébergement physique de son serveur).
Enfin, l'organisation de colloques, la production de contenus scientifiques en ligne et la diffusion d'informations sont facilités par des partenariats avec de nombreuses universités ou organismes scientifiques français et étrangers :Item ; universités Paris III, Paris-IV, Bordeaux III, Toulouse II, université Laval de Québec ; EHESS (Centre de Recherche sur les Arts et le Langage) ; Ecole Normale Supérieure (Paris). Fabula travaille également en coopération avec des projets associatifs similaires dans leurs buts scientifiques : les sites internet Revues.org et Marges linguistiques. Ces partenariats ont pour but le développement d'outils scientifiques communs (tel que le moteur de recherche Aleph). Fabula travaille également de concert avec les sites qu'il héberge sur son serveur, comme par exemple le site de l'Association Internationale des Études Françaises (AIEF).
Bref, nous avons simplement cherché à encourager la constitution de noyaux virtuels, de lieux de rencontre et d'échange et à favoriser la mise en réseau des équipes de recherche à un niveau international, c'est-à-dire de permettre aux chercheurs de diffuser librement les idées qu'il produise, révolution somme toute bien peu révolutionnaire. Après tout, que les chercheurs communiquent autant par lettres que de visu, que la théorie littéraire se fonde sur des pratiques de commentaire et de débat, et que, plus généralement, l'écrit conduise à des mondes possibles, a-t-il quoi que ce soit qui puisse étonner les littéraires ?
A. Gefen,
Université de Neuchâtel
Équipe de recherche sur les Modernités littéraires, Université Bordeaux 3
Paris, 15 juillet 2002