Artine Blanchard

Les collections numérisées des bibliothèques municipales : de la réalisation à l'identification des ressources numériques

Introduction :

De nombreuses journées d'étude essaient de faire le point sur l'offre culturelle numérique disponible en France. La communauté scientifique se montre tout particulièrement sensible à cette question qui lui offre l'opportunité d'accéder plus rapidement à des sources documentaires immenses et de travailler en réseau avec des chercheurs du monde entier. Ainsi l'ENS et la Maison des sciences de l'homme ont organisé cette année plusieurs journées d'étude consacrées à l'offre numérique pour la recherche.

Une réflexion sur les enjeux du numérique est également en cours dans les bibliothèques. Depuis les années 90, les bibliothèques publiques développent leur offre numérique. La nature de leurs collections et la diversité de leurs publics devraient les conduire à numériser des fonds à la fois pour la recherche, le grand public et les jeunes publics (enfants et adolescents). L'ambition est grande, les moyens le sont beaucoup moins, d'où des choix parfois difficiles. Tandis que s'accroît l'offre de la BNF (Gallica, exposition virtuelle, dossiers pédagogiques), les bibliothèques publiques mettent à leur tour en place une politique d'offre numérique à destination à la fois de leurs usagers locaux et des usagers distants.

I.- la politique de numérisation des bibliothèques : quelles collections pour quels produits documentaires ?

D'après une enquête menée fin 1999- début 2000 et les informations recueillies par la DLL, une petite centaine de bibliothèques ont vu une partie de leurs collections numérisées. Les bibliothèques impliquées sont beaucoup plus variées que l'on pourrait le croire. Certes les grandes BM et BMVR disposent déjà de collections numériques (Lyon, Montpellier, Troyes, Toulouse…), mais s'y joignent aussi des bibliothèques de tailles plus restreintes où le dynamisme des professionnels et la force de leur projet culturel viennent à bout des obstacles. Parmi ces projets on peut citer bien sûr Lisieux, mais aussi Vire (bibliothèque numérique sur le modèle de Lisieux), Senlis (cartes postales et presse ancienne) ou encore Baud (riche collection de cartes postales consacrées à la Bretagne). Certaines petites bibliothèques bénéficient indirectement des programmes nationaux. Ainsi la DLL mène depuis 20 ans un programme de reproduction des manuscrits médiévaux enluminés ; ces clichés sont aujourd'hui numérisées et les manuscrits de bibliothèques comme Conches, Beaune, Joigny ou Saint-Bonnet-le Château, ont été traités au même titre que ceux de Reims ou d'Aix-en-Provence.

Quels documents sont numérisés ?

Avant tout des documents appartenant au domaine public, et cela pour des raisons juridiques liées au droit d'auteur. Certes on peut comprendre la frustration de certains bibliothécaires à ne traiter que des collections antérieures à 1914 ce qui exclue d'office toute la littérature du XXème siècle. On constate également que les fonds littéraires ont été très peu sollicités. A cela plusieurs raisons :

  • sans doute la crainte de numériser des textes déjà présents dans Gallica, tant il est inutile et coûteux de numériser plusieurs fois le dictionnaire de Trévoux ou la description de l'Egypte ;
  • la difficulté à trouver un corpus de textes original et propre à la bibliothèque dont le numérisation serait susceptible de trouver son public aussi bien en local que sur Internet (une ville préfère numériser pour ses propres usagers plutôt que pour des chercheurs dispersés en France ou à l'étranger) ;
  • la difficulté technique (logiciel plus complexe qu'une base iconographique si l'on numérise en mode image, saisie manuelle assez longue)
  • Malgré tout il y des initiatives dans ce domaine :

  • les manuscrits d'écrivains comme Flaubert (Rouen), Rimbaud (Charleville-Mézières), Stendhal (Grenoble) ;
  • des exemplaires remarquables comme l'exemplaire de Bordeaux des Essais de Montaigne Ces projets proviennent toujours des villes où l'auteur a vécu (ex : projet Jules Verne à Nantes).
  • Les programmes liés à la littérature demeurent minoritaires face aux très nombreux projets portant sur des collections iconographiques. Ces projets mettent le plus souvent en valeur des collections de photographies, d'estampes ou d'affiches constituant un fonds remarquable de la bibliothèque ou plus souvent illustrant l'histoire de la ville et de la région. Ils sont le plus souvent pensés en priorité pour un public local et régional et prennent assez peu en compte la dimension de diffusion sur un réseau national ou international.

    On distingue plusieurs types de réalisation actuellement dans les BM

  • les programmes constitutifs d'outils documentaires
  • catalogues enrichis (ex : Valenciennes)
  • bases de données d'images ou de textes (ex : bases des estampes, des affiches et des enluminures de Lyon)
  • dossiers documentaires (création de dossiers de presse comme à Montpellier ou Lyon)
  • les programmes plus tournés vers la valorisation des collections auprès d'un public moins expert et peu habitué à utiliser des outils professionnels
  • sites "vitrines" (ex : Avranches)
  • expositions virtuelles ( ex : Troyes)
  • dossiers-expositions thématiques autour d'une problématique locale ou d'un auteur ( ex : projet de Charleville autour de Rimbaud pour valoriser le patrimoine local et inciter les visites, ex : dossiers pédagogiques de Troyes)
  • II.- Des progammes territoriaux aux progammes nationaux

    Ces programmes trouvent leur origine dans des initiatives locales venant directement de la bibliothèque ou des services culturelles de la ville. Comme on le faisait remarquer précédemment ces projets sont plutôt conçus dans une perspective de valorisation de ressources d'intérêt local (Toulouse numérise les plaques de verre représentant la ville au XIXème siècle, la Méjane veut numériser également des photos de la ville au XIXème …). Ils sont destinés en priorité à un public local ( politique culturelle de la ville concernée).

    On assiste cependant au développement des programmes de partenariat qui présentent le double intérêt de fédérer les moyens et d'enrichir l'offre documentaire. Des partenariats de ce type ce sont d'abord créés entre bibliothèques (Pôles associés de la BNF par exemple) puis ce sont élargis vers la recherche (universités et CNRS), les musées et les autres secteurs culturels. Ces regroupements aboutissent à des programmes déclinés à différentes échelles, régionales et nationales.

    L'intérêt de ces programmes coopératifs n'est pas purement financiers. Bien souvent ils permettent d'enrichir le contenu éditorial des produits numériques et de bénéficier des connaissances techniques et scientifiques des partenaires. Ainsi une bibliothèque comme Versailles peut bénéficier du savoir faire du département de la musique et de la bibliothèque numérique dans le cadre de son projet de numérisation des partitions de Philidor (musique baroque de la cour de Louis XIV). Dans le même esprit, le travail avec des universitaires ou des chercheurs du CNRS favorise la diffusion de travaux de recherche auprès du grand public : ex Patricia Stirnemann (IRHT ) a conçu avec la BM de Troyes la petite expo sur la bible de Clairvaux. Les usagers de la BM peuvent ainsi accéder aux documents, mais aussi mieux les comprendre.

    Ces entreprises peuvent participer pleinement à la constitution de réseaux documentaires fondateurs de bibliothèques virtuelles. Il s'agit pour les partenaires d'un choix radicalement différent puisque ne sont alors numérisés dans les bibliothèques que des portions de collections qui exploitées localement n'auraient qu'un intérêt très limité, mais qui dès qu'elles sont réunies à des fonds provenant d'autres établissements constituent un corpus de premier ordre dans un domaine spécifique. C'est dans cet esprit qu'a été élaboré le projet du Pôle international de la préhistoire en Dordogne, mais aussi le programme de numérisation des sociétés savantes en Aquitaine et Lorraine, ou encore la base des enluminures médiévales des bibliothèques municipales.

    III Les modes de financements

    Financement grâce aux subventions du MCC

    - le Plan de numérisation du ministère propose régulièrement des appels à projets ouverts aux établissements culturels ; il offre une prise en charge pouvant aller, selon le type d'appel, de 50 à 100% des frais de numérisation. Pour la numérisation des fonds d'Etat la subvention finance 100 % de la prestation de numérisation. Dans le cas de collections appartenant à la ville, la subvention peut couvrir jusqu'à 50 % des dépenses nécessaires à la numérisation et à la diffusion numérique (numérisation + autres prestations + équipements). Depuis 1996, le Plan de numérisation a retenu les projets de 18 BM et plus de 80 bibliothèques ont bénéficié de la numérisation par le ministère de leurs manuscrits médiévaux enluminés.

    - la deuxième part de la Dotation générale de décentralisation (au sein concours particulier aux bibliothèques) prévoit également une aide pouvant atteindre 40 % des frais d'acquisition de matériel numérique ou de prestation de numérisation. Cette aide est biensûr très dépendante du montant de la deuxième part de la DGD encore disponible pour ce type d'opérations. De ce fait ce mode de financement semble très peu sollicité. La BM de Moulins en offre cependant un exemple (numérisation de la Bible de Souvigny).

    Le MCC apporte aussi une contribution financière aux programmes inscrits sur les contrats de plans Etat-Région tels que ceux développés en région Aquitaine (Banque numérique du savoir avec son volet Pôle international de la préhistoire).

    Les collectivités locales, Régions et villes, soutiennent de façon non négligeable bon nombre de projets, dont certains sont de grande ampleur. Parmi eux on peut citer les programmes de Montpellier (numérisation d'archives de la TV locales, numérisation de fonds iconographiques), de Lyon (base des estampes, base des affiches, base des enluminures) ou encore de Valenciennes. A l'avenir les EPCC pourraient à leur tour devenir des acteurs essentiels de la diffusion numérique du patrimoine en région.

    Conclusion longue : comment repérer les réalisations ?

    Difficulté évidente à repérer les réalisations, à tel point que parfois impression que beaucoup d'effet d'annonces mais bien peu de réalisations ! Cette constatation peut décourager certaines bibliothèques ou du moins inspirer une certaine méfiance vis à vis du risque de refaire ce que d'autres font déjà.

    Depuis un peu moins d'un an le MCC a élaboré un Catalogue des fonds culturels numérisés. Malgré ses insuffisances (manque d'exhaustivité et absence des BU), cet outil est un instrument de repérage précieux car il identifie clairement les projets subventionnés par le MCC sans toutefois s'y restreindre. Par manque de moyens nous sommes dans l'incapacité à l'heure actuelle d'assurer un repérage exhaustif des projets. L'alimentation du catalogue repose donc largement sur la bonne volonté des professionnels qui peuvent télécharger le formulaire d'inscription et demander par messagerie à figurer dans le catalogue. Le seul critère pour être mentionné dans le catalogue est de porter un programme de numérisation et de diffusion numérique bénéficiant déjà d'un mode de financement. Ce critère nous paraît une garantie importante de crédibilité.

    Un outil de ce type présente plusieurs avantages :

  • identifier les institutions qui numérisent
  • identifier les collections concernées et les types de diffusion retenus
  • localiser les ressources numériques en particulier lorsqu'elles sont déjà en ligne
  • identifier les professionnels qui mènent ces projets afin de pouvoir partager leur expérience
  • encourager les rapprochements entre établissements et la mise en ouvre de partenariat pour une diffusion numérique en réseau.
  • Cette rapide présentation a pour objectif de dépeindre à grands traits le paysage de la numérisation dans les bibliothèques municipales. Pour toute information plus précise je vous engage à consulter le Catalogue des fonds culturels numérisés (Cf le prospectus) ou encore à contacter la DLL.


    M. Blanchard,
    Paris, 14 mai 2002


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